mercredi 14 décembre 2011

Critique 294 : LA VIE EST BELLE MALGRE TOUT, de Seth

La Vie est belle malgré tout rassemble les épisodes 4 à 9 de la série Palooka-Ville, écrits et dessinés par Seth, publiés en 1998 par les Humanoïdes Associés.
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Seth raconte comment, en collectionnant des bandes dessinées publiées dans la presse quotidienne et les magazines spécialisés, il découvre l'existence et l'oeuvre d'un artiste surnommé Kalo. Son oeuvre est brêve et fulgurante, et il semble avoir disparu au sommet de sa gloire, du jour au lendemain.
En parallèle à l'enquête qu'il mène sur Kalo, le narrateur flâne, passant chez sa mère et son frère Stephen, discutant avec son ami Chet, et rencontrant Ruthie avec laquelle il a une brêve liaison.
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J'avais lu La vie est belle malgré tout il y a déjà quelques années et j'en avais gardé un bon souvenir, celui d'une bande dessinée à la mélancolie élégante. Je l'ai relu pour, entre autres choses, vérifier ce sentiment et me remémorer des passages que j'avais oublié, comme je le constatai en feuilletant l'album.
Je dois dire que j'ai à présent un jugement plus nuancé sur cette oeuvre et son auteur, qui ont les défauts de leurs qualités.
Seth produit une petite musique qui ne manque pas de charme et de raffinement, mais qui s'avère horripilante. Sa manière de juger la production bédestique moderne est particulièrement antipathique, partiale et injuste - grosso modo, tout ce qui est fait depuis les années 60 ne vaut rien. Cette attitude est d'un snobisme exécrable, que ne pardonne pas la nostalgie d'un âge d'or. La bande dessinée, quand on l'aime vraiment, doit être abordée avec un esprit ouvert et non avec ce passéisme qui idéalise les auteurs et leurs oeuvres comme les pièces d'un musée. C'est d'autant plus dommage que cela contredit de façon flagrante le discours d'un artiste qui prétend adorer le média dont il collectionne les éléments et dans lequel il s'exprime.
La meilleure partie du livre réside dans l'enquête, à la fois passionnante et dérisoire, sur le mystérieux et météorique Kalo : à la fin de l'album, on peut d'ailleurs découvrir les onze dessins qu'a pu dénicher Seth. La qualité du travail de cet artiste n'a franchement rien d'exceptionnel, c'est même pour tout dire très anecdotique, suranné, mais il y a quelques pépites spirituelles. En même temps, cela témoigne parfaitement de l'attachement irrationnel que n'importe quel fan de comics peut éprouver pour un auteur, de l'aspect obsessionnel des complétistes, et de la tradition bien particulière des dessinateurs collaborant pour la presse quotidienne et les magazines (dont Sempé pourrait être l'archétype absolu).
Dans cette quête, on peut deviner aussi que Seth cherche un double fantasmé, dont la rareté nimbe d'un halo irrésistible la production. L'époque où Kalo s'est fait connaître agit comme une plus-value puisque les années 50 représente encore aujourd'hui une période propice à un sommet du raffinement. Cela répond au manièrisme affiché par Seth, qui est toujours vêtu comme un dandy de l'après-guerre, écoute du vieux jazz et rejette absolument la modernité, qu'il considère comme une déchéance. Ce côté désabusé est à la fois amusant et agaçant, mais tant qu'il parle de bande dessinée, cela reste sympathique.

Là où ça devient fatiguant et énervant, c'est quand, sous le couvert de la nostalgie, Seth se répand complaisamment sur ses échecs amoureux pathétiques, son point de vue condescendant à l'extrème sur sa famille et les gens en général (son frère est décrit comme un abruti, les personnes qu'il observe comme des créatures dégénèrées, la femme avec qui il entame une relation indigne d'intérêt - d'ailleurs, l'évocation de leur rupture souligne le mépris avec lequel il la considère).
Se dépeindre comme un dépressif chronique, au comportement minable, se vautrant dans l'auto-dénigrement permanent, ne fait pas de soi un individu plus honnête ou lucide, cela a plutôt l'effet pour le lecteur de suivre les pérégrinations d'un geignard qui cherche à se rendre sympathique en se présentant sous un mauvais jour et qu'on devrait plaindre en lui souhaitant de tirer les leçons de ses coupables négligences (à titre de comparaison, Mazzuchelli ne faisait pas d'Asterios Polyp un homme plus avenant mais il finissait par en payer le prix et surtout par changer vraiment, là où Seth reconnaît ses défauts tout en en trouvant encore plus chez les autres).
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Le dessin est à l'image du propos : les influences de l'artiste sont manifestes, et il se représente d'ailleurs à plusieurs reprises en train (d'essayer) de recopier des illustrations d'autres graphistes. C'est un adepte de la ligne claire, et ses images dégagent une poésie certaine parfois (des planches muettes avec des décors urbains ou hors de la ville, souvent sans personnages).
Mais Seth n'a pas la sensibilité de Dupuy et Berberian, son trait manque de texture, ses personnages ont une expressivité très limitée. Son récit dont le fond comme la forme ressemble à celui d'un journal manque cruellement de vie, et la simplicité de son style joue contre le sentiment d'intimité que devrait produire son propos.
Là où Kalo réussissait en une image à traduire une idée pleine de malice de manière économique, Seth souffre d'un côté élève appliqué dont le dessin manque d'âme : c'est clairement la limite de cette "école" d'auteurs modernes nourris au lait d'Hergé mais dont très peu ont su tirer autre chose qu'une copie froide.
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La vie est belle malgré tout est au diapason de son glossaire final : une plongée atypique dans une certaine forme de bande dessinée par un auteur curieux, mais aussi horripilant par son côté pontifiant et sectaire.

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