samedi 8 octobre 2011

Critique 270 : SPIDER-MAN - ONE MOMENT IN TIME, de Joe Quesada et Paolo Rivera



The Amazing Spider-Man : One Moment In Time rassemble les épisodes 638 à 641 de la série, écrits par Joe Quesada et dessinés par Joe Quesada et Paolo Rivera, publiés par Marvel Comics en 2010. L'épisode 638 contient des extraits d'Amazing Spider-Man Annual 21, écrit par Jim Shooter et David Michelinie et dessiné par Paul Ryan, publié en 1987.
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Au lendemain de Civil War, après qu'il se soit démasqué publiquement, suivant le conseil de Tony Stark/Iron Man (prônant à l'époque un recensement de tous les individus masqués), Peter Parker/Spider-Man prend parti pour le camp des résistants au "registration act", mené par Captain America. La défaite de ce dernier et son arrestation oblige le Tisseur à vivre dans la clandestinité. Malheureusement, le Caïd sait maintenant qui il est et engage un tueur pour l'assassiner. Mais c'est sa tante May qui est gravement blessée. Désespéré, Parker demande son aide à Stark (qui la lui refuse puisqu'il ne veut plus se faire recenser) puis au Dr Strange (qui, lui aussi contraint à la clandestinité, ne pense pas pouvoir secourir May Parker). Méphisto apparaît alors et propose à Spidey de tout arranger. Mais en échange, Peter doit sacrifier son mariage... Mary-Jane Watson marchande avec le diable les finalités de ce pacte : elle consent à "vendre" son mariage mais Méphisto promet de ne plus importuner Peter.

Aujourd'hui, les anciens époux, les seuls à ne rien avoir oublié de ce qui s'est passé avant leur négociation avec Méphisto, font le point, et Peter révèle à MJ comment il a réussi à faire oublier à tous les autres qu'il était Spider-Man, tandis que la jeune femme avoue pourquoi elle ne peut plus vivre avec lui comme épouse...
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En 2007, l'éditeur Joe Quesada commande au scénariste J. Michael Straczynski, en charge de la série Amazing Spider-Man, d'effacer le mariage de Peter Parker et MJ Watson. JMS, qui pilote (avec de moins en moins de liberté - à cause du succès du comic-book et de ses adaptations cinématographiques) la série depuis six ans, n'apprécie pas mais obtempère tout en le faisant savoir publiquement : cette histoire sera la dernière qu'il signera tout en reniant le dénouement, et peu après, au bout d'une quinzaine d'épisodes de Thor (qu'il a relancé avec la même réussite), il finira par claquer la porte de chez Marvel, excédé par le dirigisme de Quesada et ses plans pour le dieu du tonnerre (amené à être au coeur de la saga Siege).

Spider-Man sort de l'arc One more day profondèment changé : le mariage est effectivement effacé, Parker à nouveau célibataire et tirant le diable par la queue, collectionnant les aventures sentimentales. Editorialement aussi, le titre est métamorphosé sous l'impulsion de Steve Wacker (débauché de chez DC où il avait orchestré le feuilleton hebdomadaire 52) : désormais trois épisodes sortent par mois avec des scénaristes et des dessinateurs qui se relaient (en moyenne) tous les trois épisodes (la quatrième semaine du mois est dévolue à des épisodes bouche-trou). Commercialement, c'est un succès. Artistiquement, c'est plus mitigé : la qualité des intrigues est très variable, graphiquement c'est très inégal, de nouveaux personnages (bons ou méchants apparaissent), la plupart sans s'imposer, puis des vilains classiques resurgissent, parfois revampés (souvent plus violents)... Une centaine d'épisodes sont proposés ainsi en trois ans.

Mais les lecteurs ne savent toujours pas comment le monde a oublié que Parker était Spidey (entre autres surprises délivrées par un Méphisto apparemment facétieux). L'initiative narrative de Quesada a d'ailleurs dès le début suscité une féroce controverse et déclenché un schisme parmi les fans : pour les uns, il s'agissait d'un affront supprimant vingt ans de continuité (le mariage avait eu lieu dans le 21ème Annual de la série, en 1987) ; pour les autres, c'était un moyen de renouer avec un héros devenu trop adulte, avec des ajouts à sa mythologie (le lien totémique de ses pouvoirs, imaginé par JMS).

Joe Quesada a donc pris sur lui de nous révèler enfin la clé du mystère, espérant sans doute calmer tout le monde avant de relancer une nouvelle fois la série (qui paraîtra désormais à un rythme bimensuel - deux fois par mois donc - avec un seul scénariste - Dan Slott - et un artiste régulier - Humberto Ramos, plus quelques renforts occasionnels).

Le résultat est, disons-le tout net, poussif et échoue lamentablement à apaiser la situation. Certes, quatre épisodes, ce n'est pas beaucoup, sauf qu'il s'agit de quatre chapitres volumineux (44, 30, 26 et 44 planches) pour nous expliquer comment Parker a failli faire capoter son mariage la première fois (à cause d'un complice d'Electro, qui reviendra par la suite l'embêter régulièrement à des instants cruciaux), puis revient sur le quasi-trépas de tante May, révèle comment MJ a obtenu que Méphisto lâche Spidey et, enfin, comment le Tisseur a convaincu le Dr Strange (soudain beaucoup moins scrupuleux que lorsqu'il s'agissait d'aider May...) d'effacer de la mémoire de tous sa double identité (avec l'aide de Tony Stark et Red Richards - qui ont oublié pour la peine leurs différents avec l'ex-sorcier suprême...).

A aucun moment Quesada ne parvient à nous émouvoir ou nous captiver en nous dévoilant ces coulisses si décisives dans le destin de Spider-Man : c'est raconté avec un cruel manque de rythme, des justifications alambiquées, des rebondissements grotesques (ah, le complice à deux balles qui réapparaît providentiellement pour emmerder ou valoriser le héros). Bien entendu, à la fin, MJ et Peter se sont tout dit et embrassés une dernière fois, se jurant de rester amis, mais l'insistance avec laquelle Quesada refuse leur union ne fait que souligner le pathétique avec lequel il tente de nous convaincre que c'est mieux ainsi.
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Graphiquement, ces épisodes sont également inégaux en qualité. Le dialogue entre MJ et Peter est illustré par Joe Quesada (encré par Danny Miki et mis en couleurs par Richard Isanove) : les gros plans sont très beaux, très expressifs, mais dès que le cadre s'élargit, des erreurs de proportions étonnantes apparaissent, typiques d'un dessinateur qui ne pratique plus régulièrement.
Les scènes issues de l'Annual 21 font lourdement leur âge (on se demande d'ailleurs pourquoi ce n'est pas John Romita Jr qui l'a réalisé à l'époque) : le trait de Paul Ryan et l'encrage de Vince Colleta sont, à l'image du scénario de Jim Shooter (scripté par David Michelinie), datés.
Il reste les séquences intermédiaires mais finalement les plus abondantes dessinées, encrées et mises en couleurs par Paolo Rivera, qui sont un vrai bonheur pour les yeux et témoignent d'un souci remarquable dans leur élaboration (Rivera travaille d'après photo et accumule les croquis avant de finaliser ses planches). Son style évoque à la fois John Romita Sr et Mike Zeck, une belle ligne claire (un peu livrée à elle-même hélas ! dans la dernière partie se déroulant dans le plan astral, dénué de décors).
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Parfois joli mais très creux et artificiel, OMIT est bien la preuve qu'un caprice d'éditeur peut endommager profondèment une série, quand bien même le responsable s'évertue à colmater les brêches par la suite : c'est une saga qui ne résout rien, ou en tout cas pas de manière satisfaisante. Dommage.

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