mercredi 5 octobre 2011

Critique 269 : BLACKEST NIGHT, de Geoff Johns et Ivan Reis



Blackest Night est une mini-série en huit épisodes et un prologue, écrite par Geoff Johns et dessinée par Ivan Reis, publiée en 2009 et 2010 par DC Comics. Cette intrigue est la trame centrale d'un crossover ayant impacté plusieurs séries comme à l'accoutumée.

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Flash (Barry Allen) et Green Lantern (Hal Jordan) se receuillent sur la tombe de Batman (Bruce Wayne - mort dans la saga Final Crisis, écrite par Grant Morrison) et évoquent les nombreux amis et ennemis morts, comme, récemment, le Martian Manhunter (également mort dans Final Crisis) ou Aquaman. Dans l'ombre, Black Hand (alias William Hand) les épie puis, une fois qu'ils sont partis, profane la tombe de Wayne : il commence à distribuer des anneaux de puissance noirs alimentés par la Black Lantern et qui vont ranimer des cadavres. Ces zombies ont récupéré une partie de leur mémoire et se nourrissent des émotions de leurs victimes : en effet, ils s'attaquent sauvagement à des amis, des amants, des ennemis. Déjà morts, ils sont quasiment impossibles à tuer. La crise s'étend rapidement dans des proportions dantesques et seule une poignée de héros résiste. Mais que trame Black Hand ? Et qui sert-il ?

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Blackest Night a été la saga évènementielle de DC Comics durant l'hiver 2009-2010 et un énorme succès commercial (face au Siege de Brian Michael Bendis et Olivier Coipel chez Marvel, bien que cette dernière production ait été deux fois plus courte). Dans cet album sont rassemblés le prologue (de huit pages, offert lors du Free Comic Book Day en 2009) et les huit épisodes de la mini-série : Geoff Johns, le scénariste-vedette de DC, a bâti son projet sur la mythologie de la série Green Lantern, qu'il a complètement relancée au point d'en faire le titre-phare de son éditeur et au sein de laquelle il a patiemment avancé ses pions. Devenu un architecte incontournable de DC, scénariste aussi productif qu'influent (peut-être le plus puissant de toute l'industrie des comics actuels au point d'être devenu un des cadres de la firme aujourd'hui), Johns a pu manoeuvrer en toute liberté, contrairement à son précédent event (Infinite Crisis) où il avait dû composer avec des pressions éditoriales.

Sa connaissance de l'univers DC (qu'il a largement réécrit, car c'est chez lui une véritable manie - on ne compte plus les "secret origin" de tel ou tel personnage qu'il a produite) et son habileté de conteur lui permettent d'animer cette histoire en se basant non pas sur la "trinité"classique Superman-Wonder Woman-Batman mais sur ses héros fêtiches comme Flash et Green Lantern (plus Atom/Ray Palmer et Méra, l'épouse de feu Aquaman, et les autres Lanterns en vedette dans la saga Sinestro Corps War : Sinestro, Atrocitus, Star Sapphire, Saint Walker, Indigo-1 et Larfleeze). Cela indique nettement un basculement dans la tradition de ce genre de récits, mais Flash et Green Lantern ne sont pas simplement (re)devenus des personnages commercialement attractifs, ils symbolisent surtout le temps (Barry Allen se déplaçant super-vite jusqu'à se projeter dans le passé ou le futur) et l'espace (Hal Jordan étant un flic appartenant à une autorité cosmique) et c'est justement sur ces deux notions que se fondent Blackest Night, où des morts sont manipulés, ressucitent et attaquent tout l'univers.

L'histoire est accessible au néophyte mais favorise quand même davantage le connaisseur de l'univers DC, en particulier ceux qui ont suivi les évènements de la série Green Lantern (spécialement Secret Origin et Sinestro Corps War - un petit tour par Wikipédia permettra à l'amateur d'accéder à des résumés et de ne pas être complètement perdu, pas de panique). L'ensemble est en tout cas (infiniment) plus facile à suivre que Final Crisis, plus cohérent et nerveux (même si c'est parfois proche de l'hystérie, donc un peu fatiguant) qu'Infinite Crisis. Le statut des protagonistes et de seconds rôles est profondèment changé à la fin, et si certains (une bonne douzaine, et pas que des gentils) reviennent de l'au-delà (prévisible vu l'argument), d'autres resteront absents (sans, hélas ! que cela soit très émouvant).

Geoff Johns réalise donc des efforts louables, mais cède quand même souvent à des facilités récurrentes chez lui (et, à mon goût, horripilantes) : il abuse de scènes gore (au bout d'un moment, l'arrachage de coeurs n'est même plus écoeurant mais juste lassant), rédige des dialogues d'une ahurissante platitude, sa caractérisation est sommaire, son symbolisme est d'une naïveté risible, et on remarque même une pointe de créationnisme douteux (la Terre au centre de l'univers : on croirait lire un manifeste des conservateurs républicains du Tea Party). Sa volonté d'avancer constamment pied au plancher est éreintante et produit un effet de suffocation plus qu'un bon suspense (où pour apprécier les temps forts, il faut aussi savoir calmer le jeu). En outre, à force d'enchaîner les morceaux de bravoure, inévitablement, Johns en laisse quelques-uns en plan (et pas des moindres) : qui trop embrasse, mal étreint... D'une certaine manière, Blackest Night pêche par excès d'action et finit par manquer de relief à force de vouloir tout traiter, et surtout tout traiter à plein volume. Toujours plus haut, plus fort : ce n'est plus enivrant, ni grisant, c'est monotone.

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Par contre, c'est un vrai plaisir qu'un seul et même artiste ait dessiné toute la saga (même la mythique Crisis on infinite earths avait été co-illustrée par George Perez et Jerry Ordway). Et Ivan Reis abat un boulot titanesque, d'une fabuleuse qualité, avec des splashs et doubles-pages à foison, un découpage dynamique, le tout servi par un trait réaliste, expressif, puissant et intense à la fois. Il réussit des vignettes surpeuplées impressionnantes et des compositions qui vous sautent au visage, avec une explosivité digne de ses influences les plus évidentes (Neal Adams et Alan Davis). L'histoire nécessitait un homme capable d'assurer visuellement le spectacle et la mission est accomplie.

Joe Prado (qui a secondé Oclair Albert à l'encrage) a participé au design de la saga, mais on peut déplorer le peu de variété de ses Black Lanterns. De même que Reis a échoué à donner à la fameuse Entité (de vie et de lumière blanche) un aspect plus étonnant. D'ailleurs, bien que très fort sur la représentation des personnages et de leurs pouvoirs (en particulier avec Flash, constamment en mouvement, inspiré par ce qu'avait imaginé Alex Ross dans Kingdom Come), le brésilien néglige parfois ses décors (soignés quand il s'agit des intérieurs, mais souvent juste suggérés lors des scènes en extérieur).

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Blackest Night est davantage un plat pour les gourmands (voire les gouinfres) que pour les gourmets et pour les DC-fanboys que pour le lecteur exigeant (mais sur ce point, il faut aussi ne pas trop en demander aux events). Certaines relations entre les protagonistes sont trop effleurées pour toucher vraiment, la philosophie formulée par Johns avec ses néo-Power Rangers (le blanc/la vie contre le noir/la mort, les couleurs/les émotions...) prête souvent aux ricanements, et la résolution de son épopée est bien trop expéditive et facile par rapport à une exposition trop longue. De fait, il y a un évident problème de construction : le début est trop long, la fin carnavalesque, mais il n'y a pas de (juste) milieu - et certains éléments sont complètement laissés en plan (le cas du Spectre -personnage surpuissant trop vite soumis et absent de l'action après qu'il soit devenu un Black Lantern - , les apparitions providentielles de Deadman, l'aide opportune de Ganthet, l'équipe des suppléants à peine exploitée). A moins d'avoir lu les tie-in, il y a des éléments frustrants alors que la mini-série fonctionne plutôt bien en soi, mais Johns n'est pas Marv Wolfman et on ne peut pas raconter en huit chapitres ce que que COIE disait en douze (avec des certains épisodes "king-size").

Un peu saoûlant à force de morceaux de bravoure, complaisant dans le sanguinolent et le morbide, mais efficace et puissamment illustré, Blackest Night a d'indéniables qualités... A la mesure de gros défauts. Cela aurait pu être une épatante réussite avec plus de mesure, et avec un authentique dénouement (plutôt qu'une fin ouverte annonçant la maxi-série Brightest Day).

De toute façon, telle une machine folle, le DCverse a fini par sabrer cette fresque avec son dernier event (Flashpoint) et le relaunch/reboot complet de tous ses titres sous la bannière du New # 52.

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