mercredi 4 mai 2011

Critique 227 : UNCANNY X-MEN - FROM THE ASHES (#168-176), de Chris Claremont, Paul Smith, Walter Simonson et John Romita Jr


Uncanny X-Men : From the ashes rassemble les épisodes 168 à 176, publiés en 1983, de la série écrite par Chris Claremont et dessinée par Paul Smith (#168-170, 172-174, et les 29 premières planches du #175), Walter Simonson (#171) et John Romita Jr (les 9 dernières pages du #175 et le #176).
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Trois histoires composent ce recueil : la première introduit les Morlocks (#168-171), la deuxième se déroule au Japon (#172-173) et la dernière voit le retour du Cerveau (#174-176).

- Professor Xavier is a jerk - Catacombs - Dancin' in the dark - Rogue (#168-171). Kitty Pryde est furieuse en apprenant que le Pr Xavier a décidé de l'intégrer à l'équipe des Nouveaux Mutants alors qu'elle pensait avoir fait ses preuves au sein des X-Men. Sur les conseils de son amie Illyana Raspoutine, elle déploie toute son imagination pour qu'il change d'avis... Cependant, en Alaska, Scott Summers/Cyclope (qui a quitté les X-Men depuis la mort de Jean Grey/Phénix - cf. #137) rencontre Madelyne Pryor, qui est le sosie de son amour de jeunesse. Warren Worthington III/Angel est enlevé par Callisto, leader des Morlocks, des mutants vivant dans le sous-sol de New York. Tornade, Diablo, Colossus et Kitty Pryde partent sauver leur ami mais doivent affronter ces parias. Pour les raisonner, Ororo Munroe devra vaincre Callisto - une épreuve qui annonce de profonds bouleversements pour elle. Malicia, membre de la Confrérie des Mauvais Mutants, quitte Mystique et Destinée pour demander au Pr Xavier de l'aider car, après avoir absorbé les pouvoirs et la mémoire de Carol Danvers/Ms Marvel, elle est désorientée. Son admission au sein de l'institut divise les X-Men - et le courroux de Binaire (le nouvel alias de Carol Danvers).

- Scarlet in glory - To have and have not (#172-173). Tornade, Diablo, Colossus, Kitty Pryde et Malicia arrivent à Tokyo, au Japon, où Wolverine s'apprête à épouser Maryko Yashida. Mais le père de la jeune femme, récemment mort, avait partie liée avec le crime organisé et le demi-frère de Maryko, Keniuchio Harada/le Samouraï d'Argent, compte bien lui succèder, après avoir, avec la complicité de Viper, membre de l'Hydra, neutralisé Wolverine et les X-Men. Seul avec Malicia, le mutant griffu, dont les camarades ont été drogués, est sur le pied de guerre, tandis que Tornade accomplit une mue radicale au contact de la ronin Yukio.

- Romances - From the ashes... - Decisions (#174-176). Scott Summers/Cyclope file désormais le parfait amour avec Madelyne Pryor. Parfait, vraiment ? Pas si sûr car, d'une part, il doit décider s'il quitte la Terre en compagnie de son père et des Starjammers, et d'autre part, la ressemblance troublante entre Madelyne et feu Jean Grey le dérange de plus en plus. Serait-elle la réincarnation de Phénix ? Ou un ennemi dans l'ombre tire-t-il les ficelles pour le manipuler et détruire les X-Men ? Pour le savoir, les mutants devront mener une nouvelle rude bataille. Et Scott faire un choix crucial pour la suite...
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En 1983, quand paraissent ces épisodes, voilà déjà deux ans que le duo magique Chris Claremont-John Byrne s'est séparé, et leur éditeur, Jim Shooter, qui s'est successivement fâché avec eux deux, a laissé sa place à Louise Simonson. Dave Cockrum est revenu entretemps pour illustrer quelques épisodes moyens (Bob McLeod a également fait un bref passage), mais la magie a disparu de la série, qui reste néanmoins le plus gros succès commercial de Marvel.
Lorsque Paul Smith devient le nouvel artiste régulier d'Uncanny X-Men (parfois supplée par Walter Simonson, le mari de Louise, qui va redynamiser à la même époque Thor), la série opère immédiatement un virage esthétique et va y gagner une nouvelle jeunesse, un nouvel élan. Cela commencera pourtant par une saga inégal, très influencé par le triomphe cinématographique d'Alien, avec les Broods, entraînant les mutants dans un de ces voyages au fin fond de l'espace comme ils en feront souvent. Puis viendront les chapitres collectés dans ce recueil, véritable sommet du tandem Claremont-Smith, avant que John Romita Jr ne débarque.
Le titre de l'ouvrage indique clairement que ces épisodes sont placés sous le signe du Phénix, donc de Jean Grey, dont la mort a été pour toute une génération de lecteurs un des moments les plus forts des comics Marvel. Après cela, plus rien n'a été pareil : des millions de fans firent l'expérience de la mort d'un super-héros au terme de cette histoire spectaculaire, préparée de longue date par Claremont et Byrne. Le pseudonyme de Jean Grey ne pouvait qu'inspirer au scénariste une nouvelle séquence dans laquelle il jouerait avec l'idée qu'elle ait survécu et reviendrait hanter ses co-équipiers.
Claremont, maître-és sub-plots, n'abat pas ses cartes tout de suite mais sème des indices tout au long de ces huit épisodes, qui trouble Scott Summers jusqu'à la réunion du leader emblématique des mutants avec l'équipe qu'il a quittée suite à la perte de son amour de jeunesse. Entretemps, l'auteur va nous faire vivre des aventures contrastées, introduisant une foule de personnages qui animeront longtemps après la série - les Morlocks, résidents des catacombes new-yorkaises - et nous faisant voyager jusqu'au Japon.
Les chapitres concernant les Morlocks sont déjà importants car ils vont radicalement transformer le personnage de Tornade, en proie à une lente métamorphose depuis la saga spatiale des Broods (où elle a été l'hôte d'un de ces monstres extra-terrestres) : la maîtrise de ses pouvoirs lui échappent et son comportement devient de plus en plus violent. Son duel à mort (ou presque...) avec Callisto va définitivement sceller cette mue dont l'achèvement passera par un relooking des plus radicaux - c'est le moment où Ororo va devenir une punk, à la coiffure iroquoise, vêtue d'un pantalon et d'un blouson de cuir noir : un choc pour les amateurs à l'époque, mais adroitement amené.
Le périple au Japon est un autre climax à double titre : Wolverine est sur le point de se marier (!) mais Claremont continue de développer l'intrigue relative à Phénix, encore une fois d'une façon redoutablement subtile. Le rebondissement final va durablement, lui aussi, marquer le personnage du griffu canadien et produire une réplique encore culte près de trente après (le fameux "You are not worthy" - "Tu ne le mérites pas"). En outre, ce dyptique offre un combat d'anthologie entre Wolverine et le Samouraï d'Argent (absurdement censuré/remonté par Lug en vf à l'époque, alors que le découpage était admirablement suggestif).
Enfin, le climax de l'album : on découvre qui veut faire croire au retour du Phénix et comment Cyclope, tout en affrontant ses ex-co-équipiers abusés, les sauvera, eux et Madelyne Pryor. Tout cela aboutit à un épisode "king-size" de presque 40 pages, virtuose, avant un épilogue plus anecdotique sur la lune de miel, forcèment perturbée, des jeunes mariés.
Ce qui est et reste formidable, même après toutes ces années, c'est le talent de conteur de Claremont, qui nous amène précisèment là où il l'a prévu, développant une histoire par petites touches jusqu'à un final spectaculaire, tout en nous ayant, entretemps proposé des aventures exotiques et étranges, haletantes et émouvantes, dans des décors parfaitement choisis pour divertir (aussi bien dans le sens d'amuser que de nous entraîner sur de fausses pistes). Son écriture est d'une fluidité exemplaire, les personnages sont puissamment caractérisés, les situations exploitées à fond, la dynamique du groupe d'une efficacité magistrale. Chaque personnage a son "grand moment" et l'équipe fonctionne comme une horloge même avec le départ ou l'arrivée de certains membres. Une leçon de narration.
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Paul Smith illustre ces histoires avec un trait clair, simple, d'une lisibilité jamais prise en défaut, mais surtout, déjà, d'une fabuleuse élégance. La beauté de ses héroïnes permet à Claremont de les mettre plus que jamais en vedette. Smith est aussi à l'aise pour représenter la métamorphose de Tornade que la jeunesse de Kitty Pryde ou le doute de Malicia ou le conflit intérieur de Maryko Yashida.
Mais quand il s'agit d'animer les personnages masculins, Smith n'est pas en difficulté non plus : nul mieux que lui a su donner une telle prestance à Diablo, souligner la juvénilité de Colossus, la rudesse de Wolverine ou la sveltesse de Cyclope, sans se départir de la finesse qui caractérisait ses créatures féminines.
Mais la réussite de Paul Smith, c'est aussi celle de son encreur, Bob Wiacek, qui a embelli ses planches comme celles de John Byrne (sur quelques épisodes d'Alpha Flight) et a été maintenu à son poste quand Walter Simonson et John Romita Jr ont supplée Smith. Partenaire du légendaire Jerry Ordway, Wiacek est un encreur qui mérite d'être redécouvert et salué.
Seul bémol concernant la partie graphique : comme tous les comics de cette époque, les couleurs tramées de Glynis Oliver ont mal vieilli, ce n'était déjà pas beau alors, ça ne l'est pas devenu depuis, et il est dommage que Marvel ne "restaure" pas ces épisodes en les rééditant car l'impression des films, souvent baveuses, ne flatte pas la beauté de ces planches.
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From the ashes est un superbe recueil qui témoigne de la qualité des X-Men époque Claremont - la suite de son run, avec John Romita Jr, Jon Bogdanove, jusqu'à Marc Silvestri, ne déméritera pas... Et montre à quel point la série a aujourd'hui perdu de sa superbe, avec des auteurs et des artistes souvent beaucoup moins inspirés.

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