vendredi 10 décembre 2010

Critique 189 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 8 - LA MAUVAISE TÊTE, de Franquin

Les Aventures de Spirou et Fantasio : La Mauvaise tête est le 8ème album de la série, écrit et dessiné par Franquin, publié en 1956. Il contient également une courte histoire : Touchez pas aux rouges-gorges.
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Les choses vont mal pour Fantasio : licencié du "Moustique", il vient d'être victime d'un cambriolage où on lui a volé des photos d'identité. Spirou, de passage, essaie de la réconforter mais se brouille avec lui après une brêve partie de Jokari (le jeu que Franquin a préféré illustrer).
Alors qu'il traverse la ville, Spirou voit Fantasio conversant avec son voisin (qu'il lui avait pourtant juré ne pas connaître) et s'éloigner sans le remarquer. Le groom, agacé par l'attitude de son ami, entre dans une bijouterie dont le propriétaire criait "au secours" après avoir été attaqué. Fantasio surgit et est accusé par le commerçant d'être son voleur. Le commissaire Chevelu procède à des vérifications d'identité et laisse partir nos héros.
En voiture, Spirou se fâche à nouveau avec Fantasio qui prétend n'avoir pas rencontrer plus tôt son voisin. Ils se séparent jusqu'à ce que, devant la vitrine d'un magasin de télévisions, Spirou assiste à la retransmission en direct à la présentation du masque d'or de Néfersisit... Volé devant tout le monde par Fantasio !
Résolu à demander des explications à son ami, Spirou se rend chez lui le lendemain matin et le trouve très irrité, racontant qu'il a passé la nuit à faire un voyage à Paris pour un rendez-vous bidon. Le commissaire et ses deux adjoints arrivent et trouvent alors des pièces accablant le journaliste à propos du vol de la bijouterie. Fantasio n'a d'autre choix que la fuite.
Tandis que la police se lance aux trousses de son ami, Spirou examine les photos dans le journal et pense que Fantasio est manipulé, peut-être hypnotisé. Il va chez le voisin de ce dernier et y trouve des indices compromettants - un moulage de la tête de Fantasio, de la matière pour créer un masque - puis surprend une bagarre entre ledît voisin et ses complices. Hélas ! Il ne peut les empêcher de s'échapper, les uns filant en voiture, l'autre l'assommant plutôt que de l'accompagner au poste. Toutefois, le voisin laisse un mot sur la destination de ses acolytes.
Spirou part pour Montauris quand il trouve Fantasio caché dans le coffre de leur Turbotraction. Puis Fantasio, pour semer Chevelu, embarque en train de son côté.
Le commissaire et ses adjoints épinglent le reporter mais Spirou réussit à gagner le domicile présumé des malfrats, tel qu'indiqué par le voisin. C'est ainsi qu'il découvre le cerveau de l'affaire, celui qui a commis ces méfaits sous un masque avec les traits de Fantasio : Zantafio (qui avait juré de se venger dans le tome précédent : Le Dictateur et le Champignon).
Après une course-poursuite, Spirou piège Zantafio dans une cabane où les rejoint le complice du maléfique cousin. Laissant les brigands s'expliquer, Spirou doit encore récupérer le masque de plastique et celui en or de Néfersisit. Il y parviendra, mais au prix d'une cascade apparemment fatale...
Trois mois s'écoulent, le procès de Fantasio est sur le point de se conclure et sa condamnation semble acquise. Il ignore que Spirou est vivant mais amnésique et en possession des pièces qui l'innocenteraient. Mais, par chance, à la faveur d'un concours de circonstances, le groom recouvre ses esprits et surgit au tribunal juste à temps pour sauver son acolyte.

Dôté d'une couverture qui désolait Franquin (il est vrai qu'elle n'est pas très réussie) et d'un titre discuté par son éditeur (l'adjectif "Mauvaise" risquait de nuire commercialement à l'album - le problème se posera à nouveau au tome 11 : Le Gorille a bonne mine qui devait en fait avoir "mauvaise mine"), ce 8ème opus est quand même une nouvelle réussite.
Si Fantasio est le déclencheur de l'histoire, dans la configuration "hitchcockienne" du faux coupable que tout accable, c'est pourtant une histoire dominée par Spirou qui de la planche 37 à 51 s'emploie seul, après l'arrestation de son compère, à démasquer (littéralement) son adversaire et à récupérer les preuves de son innocence. Après un premier morceau de bravoure (la course cycliste remportée malgré lui par Fantasio - planches 30 à 35) à la fois spectaculaire et burlesque, qui rapproche encore une fois Franquin de Chaplin dans la mécanique gaguesque, c'est l'autre occasion pour l'auteur de nous entraîner dans une longue séquence débridée au rythme époustouflant comme il en a le secret.
La dynamique du "couple" Spirou-Fantasio est mise à l'épreuve dans cet album où on les voit se brouiller et se réconcilier jusqu'à ce que groom soit seul aux commandes : on comprend alors que la quête de la vérité (sur la manipulation de Fantasio) est aussi importante pour Spirou que son amitié pour le reporter. Franquin déplorait que son héros n'ait pas plus de caractère : il prouve pourtant le contraire. Si Spirou est comme beaucoup d'autres aventuriers fondamentalement gentil, loyal, honnête, bon, il est aussi brave, jusqu'à l'intrépidité, déterminé jusqu'à l'entêtement. Mais là où Fantasio est un personnage expansif, tempêtueux, pressé, parfois injuste en étant expéditif, Spirou est plus posé, raisonnable : il n'agit que quand il est certain de son coup et alors rien ne saurait l'arrêter.

Sans être une suite directe du Dictateur et le Champignon - le décor a changé, des éléments en sont absents (comme le Marsupilami, Seccotine) - , le retour de Zantafio relie évidemment les deux albums et a le mérité de ne pas retarder la vengeance qu'il avait promise aux deux héros dans le tome 7. Franquin ménage toutefois le suspense en révèlant l'identité du malfaisant tardivement (page 39), mais le machiavèlisme et l'énergie déployés par Zantafion soulignent à quel point c'est un vrai méchant après Spirou et Les Héritiers et Le Dictateur... : prêt à tout pour nuire. La vraie némésis de Spirou et Fantasio, c'est bien lui et sa présence même donne une perversité certaine au récit, dépassant la simple aventure distrayante.

Franquin a, sur cette trame policière plus rigoureuse, cependant pu donner libre cours à toute sa virtuosité graphique, notamment dans la seconde partie à Montauris avec la course cycliste mentionnée plus haut puis les efforts de Spirou pour neutraliser Zantafio et récupérer les preuves de sa machination et son butin.

Sans le Marsupilami, et avec la présence discrète de Spip, mais également sans des seconds rôles comme Champignac ou Seccotine, le dessinateur ne dévie pas (ou peu) de l'histoire, mais prouve que même moins fantaisiste, il sait captiver sans faillir.

Le trait est follement élégant et le découpage admirablement fluide : c'est magnifique et imparable. Une autre leçon de narration.

Les deux planches de Touchez pas aux rouges-gorges qui complètent l'album mettent en scène le Marsupilami protégeant une couvée d'oisillons d'un chat. Réalisées pour le magazine de Spirou, elles n'ont pas d'autre intérêt que de nous faire retrouver l'animal palombien, ce qui reste un plaisir.

Un polar "spiroutiste" implacable, quasiment la version "franquinienne" de La Mort aux Trousses. Indispensable donc.

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