mercredi 17 juin 2009

Critique 62 : DC COUNTDOWN & INFINITE CRISIS, de Geoff Johns et Phil Jimenez

(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 1, par George Pérez)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 1, par Jim Lee)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 2, par George Pérez)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 2, par Jim Lee)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 3, par George Pérez)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 3, par Jim Lee)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 4, par George Pérez)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 4, par Jim Lee)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 5, par George Pérez)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 5, par Jim Lee)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 6, par George Pérez)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 6, par Jim Lee)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 7, par George Pérez)
(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis 7, par Jim Lee)
(Ci-dessus : la couverture de Countdown to Infinite Crisis,
par Jim Lee et Alex Ross)

Suite des analyses des crossovers DC : après l'historique Crisis on Infinite Earths (1985), qui avait redéfini la continuité de cet univers en mettant fin au concept du Multivers, et Zero Hour (1995), qui tenta d'unifier les lignes temporelles, 2005 vit une nouvelle révolution s'effectuer, remettant en cause les oeuvres de Wolfman et Jurgens.
Le terrain fut préparé par Identity Crisis, questionnement brutal sur la vulnérabilité des super-héros. Mais ce n'était qu'une mise en bouche avant un nouveau grand chambardement, dont les effets allaient être durablement sensibles, engendrant bien des débats sur son opportunité...
Avant de se pencher sur le cas si épineux qu'allait incarner Infinite Crisis, il faut parler de DC Countdown, soit comme le précisait la couverture le compte à rebours vers Infinite Crisis. Countdown to Infinite Crisis est un substantiel récit complet qui marqua le démarrage officiel de la saga à venir.
Aussitôt mis en vente, aussitôt épuisé ! Ce prologue mit l'eau à la bouche du lectorat de manière fulgurante : il faut dire que la couverture (dessinéee par Jim Lee et peinte par Alex Ross) avait de quoi accrocher les curieux. On y voit Batman portant un cadavre - mais qui est la victime dans les bras du "Dark Knight" ? Et qui l'a tué ? Dans quelles circonstances ?
Lors du second tirage de la revue, l'identité du défunt fut révèlée et suggérait un récit dramatique à souhait, prémice d'une nouvelle et importante crise.
Countdown... compte exceptionnellement 80 pages - l'opus étant vendu un dollar, on comprend mieux son triomphe. Créativement, c'était aussi un livre spécial, écrit conjointement par Geoff Johns, Greg Rucka et Judd Winick, chacun s'occupant d'un chapitre, lequel était illustré par un artiste et un encreur différents - parmi lesquels Rags Morales, Jesus Saiz, Ivan Reis, Phil Jimenez et Ed Benes.
*
Blue Beetle s'introduit dans un endroit inconnu et on découvre en flash-backs ce qui l'y a conduit, en revenant quatre jours avant.
Tout avait commencé lorsqu'Oracle
(Barbara Gordon) lui avait appris que des fonds étaient détournés de ses comptes. Avec l'aide de Booster Gold, Blue Beetle rencontre une vieille connaissance, Maxwell Lord, mais qui ne prête pas attention à ce qu'il lui raconte.
Le héros va ensuite voir Batman, visiblement occupé par une autre affaire, et évoque avec lui le satellite Brother One, en ignorant que c'est un engin conçu par le "Dark Knight" pour surveiller la JLA (après les évènements d'Identity crisis).
Le lendemain, Blue Beetle avertit ses amis héros d'un vol de kryptonite
dans un de ses entrepôts, mais l'affaire n'intéresse visiblement pas ses partenaires, qui ne trouvent aucun indice sur place pour identifier les cambrioleurs. Une fois seul, il est attaqué par les Madmen, avant de recevoir le renfort providentiel de Booster Gold.
Ailleurs, un groupe de vilains dirigé par par Lex Luthor, avec le Dr Psycho, Talia al Ghul, Deathstroke, Black Adam, Calculator et Dr Light, complotent (on saura quoi en lisant la mini-série Villains United).
Booster Gold et Blue Beetle effectuent des recherches informatiques pour retracer la fuite de l'argent volé mais un éclair frappe l'ordinateur sur lequel ils travaillent et blesse gravement Booster.
Tandis qu'on emmène ce dernier à l'hôpital, Beetle découvre que le scarabée qu'il a hérité de son prédécesseur s'illumine. Il se rend à Fawcett city pour consulter Captain Marvel, mais le scarabée le transporte jusque dans le repaire du sorcier Shazam. Celui-ci récupère le talisman, explique que Captain Marvel est occupé ailleurs (ainsi qu'on le découvrira dans la mini-série Day of vengeance) et congédie son visiteur.
Blue Beetle est blessé quand, de retour dans la réalité, son vaisseau explose devant lui. Il est soigné à bord du satellite de la Ligue de Justice et veillé par Wonder Woman
, soucieuse de l'enquête qu'il mène et lui demandant de la tenir au courant de son évolution. Il quitte la base peu après alors que le Martian manhunter reçoit un message d'Adam Strange en difficulté sur la planète Rann (à suivre dans la mini-série The Rann-Thanagar war).
Livré à lui-même, accablé par l'absence de soutien de la JLA, Blue Beetle découvre alors par hasard un émetteur dans ses lunettes : il reconnaît, là, la technologie de Skeets, le robot-archiviste du XVème siècle qui accompagnait Booster Gold.
En remontant la piste du signal de cet émetteur, Beetle aboutit à un château dans les Alpes Suisses, où se situe le quartier général de l'organistation de contre-espionnage des nations-unies, Checkmate - là où il s'est introduit au début du récit.
Il y découvre une base de données contenant des dossiers sur tous les super-héros et des liens avec d'autres sociétés (projet Cadmus, S.T.A.R. Labs, D.E.O., projet M, Progene Tech, Escadron suicide). C'est alors qu'il est surpris par Maxwell Lord, désormais aux commandes de Checkmate, dont il veut se servir pour neutraliser la communauté méta-humaine.
Beetle tente de s'échapper mais il est stoppé par un OMAC. Lord lui propose une alliance mais devant son refus, l'abat froidement d'une balle dans la tête !
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Ce prélude est un modèle d'efficacité narrative : on est tout de suite happé par l'intrigue car le sort du héros, qui n'est ni une vedette ni un justicier invulnérable, est incertain. Dès le départ, sa situation est des plus fragiles : quasiment ruiné, esseulé, il perd rapidement son seul soutien. Malgré tout, il poursuit sa quête, découvrant une vérité qui le dépasse, contre laquelle il se rebelle, mais contre laquelle aussi il ne peut visiblement pas grand'chose. Sa mort devient inéluctable : nous y assistons, impuissants, et la brutalité de son exécution nous laisse pantelants.
DC Countdown est le trait d'union entre Identity Crisis (de Brad Meltzer et Rags Moralès) et Infinite Crisis : on y voit comment Batman, ayant retrouvé peu à peu ses souvenirs (que Zatanna avait effacés après que le "Dark Knight" ait surpris certains de ses collègues de la JLA en train de manipuler la mémoire de Dr Light, qui venait de violer Sue Dibny, la femme d'Elogated Man), a mis en orbite un satellite pour surveiller les super-héros. Ce même satellite est désormais contrôlé par Maxwell Lord, cadre d'une organisation de contre-espionnage, Checkmate (auquel une série sera consacrée), et celui-ci entreprend de se débarrasser des justiciers. Le retournement de situation est aussi inquiétant qu'efficace.
Batman se retrouve dans la peau de l'homme qui a créé l'instrument dont la découverte causera la perte de son acolyte Blue Beetle ! Identity Crisis était l'histoire d'une crise intérieure, interne, révélant la vulnérabilité des héros dont les proches étaient le talon d'Achille. Infinite Crisis sera l'histoire d'une crise extérieure, débordant du cadre intime des héros, et questionnant les notions mêmes d'héroïsme, de responsabilité, de la légitimité su statut de ces héros.
On reconnait dans Countdown to Infinite Crisis la "patte" de ses auteurs : le sens du spectacle de Geoff Johns, de la "detective story" de Greg Rucka, et des dialogues rythmés de Judd Winick. La conjugaison de ces trois talents explique qu'on ne s'ennuie pas en lisant ce récit, qui promettait beaucoup pour la saga à venir et ouvrait la voie à quatre histoires explorant d'autres aspects du contexte (dont les deux meilleures furent OMAC Project, par Rucka et Saiz, et Villains United, par Gail Simone et Dale Eaglesham).
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Graphiquement, la diversité des styles peut dérouter, mais on a quand même affaire à des artistes d'un excellent niveau : c'est un plaisir de retrouver Rags Moralés qui avait fait des merveilles sur Identity Crisis, Phil Jimenez s'applique sans vraiment se forcer, Jesus Saiz signe des planches élégantes, Ivan Reis est un peu bridé par un encrage décevant (dû Marc Campos), et Ed Benes emballe son segment efficacement.
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Bref, c'est une réussite : un avant-programme alléchant. L'essai allait-il être transformé ?

(Ci-dessus : la couverture d'Infinite Crisis, par Phil Jimenez)

Infinite Crisis est une mini-série en 7 chapitres, publiée à partir d'Octobre 2005 - chaque numéro sortit en deux versions, l'une avec une couverture par George Perez, l’autre par Jim Lee.
Infinite Crisis
se présente comme la suite de Zero Hour, sorti en 1994, et son influence s'est faite sentir dans d'autres séries (régulières ou provisoires) : l'histoire revient sur le sort de quelques personnages apparus dans Crisis on infinite earths et ambitionne de rétablir le concept du Multivers. C'est ainsi que des versions alternatives de héros du "golden age"(comme le Superman de Terre II) sont réapparues, 20 ans après s'être éclipsées.
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Au centre de cette saga, Geoff Johns interroge la nature même de l’héroïsme, celle des justiciers traditionnels par rapport à celle des héros modernes, plus noirs et plus tourmentés - depuis la révolution instaurée par des titres mythiques comme Watchmen et Batman : The Dark Knight Returns.
En mars 2006, DC a fait subir un saut dans le temps à toutes ses séries, correspondant à l'année "perdue" après les évènements d'Infinite Crisis : cette béance temporelle allait fournir la matière à un projet gigantesque sous la forme d'une parution hébodomadaire, à partir de Mai 2006, intitulée 52.
Dan Didio, l’éditeur en chef de DC Comics, a expliqué qu’Infinite Crisis était en préparation depuis deux ans avant sa sortie : ceci justifiait des indices annonçant sa réalisation, à commencer par la "mort" de Donna Troy (membre des Teen Titans). Puis des titres, tous écrits par Geoff Johns, confirmèrent l'imminence de l'évènement (il fallait suivre Teen Titans, Flash et JSA).
Dès lors, des auteurs comme Johns mais aussi Grant Morrison et Mark Waid (qu'on allait retrouver, avec Greg Rucka, aux commandes de 52) furent impliqués dans la politique éditoriale de DC Comics, afin de donner une plus grande cohérence dramaturgique à l'entreprise. En fait, plus qu'une refonte de la production maison, Infinite Crisis marquait la résurgence des crossovers des années 80 et 90, avant que la crise commerciale et artistique ait failli couler l’industrie des comics.
Pour amorcer la saga, à partir de mars 2005, 4 mini-séries, The OMAC project, The Rann-Thanagar war, Day of vengeance et Villains united, plus le n° spécial sur le retour de Donna Troy, furent lancées avec des surtitres énumérant le compte à rebours avant le début de l'histoire.
Une fois lancée, Infinite Crisis affecta profondèment d'autres séries, les annexant pour composer une fresque totale bien plus vaste : ainsi, le story-arc Crisis of Conscience de la JLA dévoilait la destruction de la base de l'équipe.

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C'est justement à la suite de la destruction du Q.G. de la JLA que commence vraiment Infinite Crisis, dans un climat de tension extrème où le monde doit affronter plusieurs menaces. De la dimension parallèle (où ils s'étaient réfugiés à la fin de Crisis on Infinite Earths) s'échappent Loïs Lane et Kal-L (de Terre II), Alexander Luthor et Superboy-prime.
Kal-L croit que la santé de Lois se rétablira si elle revient dans son monde natal et compte la remplacer par la Lois de Terre I. Kal-L sollicite l'aide de Batman en lui expliquant que la vilainie propre aux habitants de Terre I est à l'origine de la méfiance et l’hostilité du "Dark Knight" à leur égard. Mais Batman refuse de soutenir le projet de Kal-L, et il apprendra plus tard que c’est Superboy-Prime qui a détruit la base de la JLA.
Alexander Luthor révèle à Power Girl, cousine de Kal-L (et comme lui rescapée de Terre II), qu’avec Superboy-Prime ils ont abandonné leur refuge dimensionnel et, en utilisant ce qui restait de l’Anti-Monitor, a kidnappé des héros et des vilains venant d’autres univers (dont Power Girl) pour redonner vie à Terre II.
Superboy-Prime agresse sauvagement Conner Kent, alias Superboy de Terre I : durant cette affrontement, il tue de nombreux héros mais Flash et Kid Flash le neutralisent en l'attirant dans la "speed force", où d'autres bolides résident. N'ayant pas participé à cette manoeuvre, Jay Garrick déclare ensuite que la Force Véloce a cessé d'exister désormais.
Ambitionnant de crér un monde parfait, Alexander Luthor reproduit les mondes parallèles. Pour la Lois Lane de Terre II, c'est trop tard : Kal-L, rendu fou par la perte de sa bien-aimée, s'en prend à Superman et il faut l'intervention de Wonder Woman pour le raisonner. Bart Allen (devenu adulte et vêtu du costume de Flash II) resurgit de la speed force et annonce que Superboy-Prime s'en est échappé. Protégé par une armure avec laquelle il absorbe les rayons solaires, il est en outre plus puissant que jamais.
Batman manoeuvres ses OMACs (batterie d'androïdes) pour détruire son satellite Brother Eye, dont Maxwell Lord avait pris le contrôle. Alexander Luthor produit la fusion de plusieurs terres parallèles dans l'espoir de créer son monde "parfait" mais Firestorm parvient à l'en empêcher. Conner Kent et Superboy-Prime ravagent lors de leur duel la tour construite par Alexander et les terres multiples se "fondent" en une nouvelle Terre. Conner agonise dans les bras de Wonder Girl.
Une meute de super-vilains en profite alors pour envahir Metropolis et en réponse, plusieurs héros interviennent. Tout à sa folie meurtrière, Superboy-Prime entreprend alors de mettre fin à l'existence d'Oa, ce qui provoquera la fin de l'univers tout entier : gardiens de cette planète, de nombreux Green Lanterns trouvent la mort en tentant de l'arrêter. Kal-L et Superman entraînent alors Superboy-Prime vers Krypton, dont le soleil de Krypton a raison de son armure. Puis sur Mogo, la planète vivante membre du Green Lantern Corps, Kal-El maîtrise enfin Superboy-Prime en se sacrifiant. Sa cousine, Power Girl, receuille son dernier souffle.
Sur Terre, Batman souhaite exécuter Alexander Luthor mais Wonder Woman s'y oppose. Il s’enfuit alors mais tombe sur Lex Luthor et le Joker, qui le tue.
Wonder Woman, Batman, et Superman se retrouvent plus tard à Gotham. L'aventure a laissé des traces sur la "trinité", dont chacun des membres décident de quitter la scène. Pour Diane l'amazone, c'est un voyage à la recherche d’elle-même qui commence. Pour Bruce wayne, c'est le début d'un pélerinage autour du monde, en compagnie de Dick Grayson et Tim Drake. Pour Clark Kent, désormais privé de ses pouvoirs, c'est l'expérience d'une vie normale de simple humain qui l'attend.
Le Green Lantern corps
, quant à lui, emprisonne Superboy-Prime dans un dévoreur de soleil rouge.
*

Avant de procéder à la critique de l'intrigue principale, il convient d'ajouter que les conséquences de cette saga ont été détaillées dans plusieurs mini-séries, de qualité (et d'intérêt) variable(s) comme Crisis aftermath : the battle for Blüdhaven et Crisis aftermath : the Spectre. Le label "One year later" sera apposé à la plupart des titres suite à la publication de Infinite Crisis 5, signifiant que l'action se déroule donc un an plus tard. En raison de ce saut dans le temps, plusieurs séries furent interrompues (Gotham central) ou relancées (Wonder Woman, Flash).
En outre, Infinite Crisis se sera distingué par divers hommages référentiels à l’histoire de DC : comme dans Crisis on Infinite Earths, Kal-L pleure la mort de "sa" Loïs Lane comme Superman pleura la fin de Supergirl ; le dialogue entre Jay Garrick et Bart Allen reproduit celui du même Garrick avec Wally West et on retrouve le ciel rouge de la saga de Wolfman (un gimmick qui est devenu une vraie signature).
Bon, maintenant, quid de la qualité propre d'Infinite Crisis ? Ce crossover aura agité bien des lecteurs, fans ou simples amateurs de DC. Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas l'histoire idéale pour découvrir cet univers, tant ses références à Crisis on Infinite Earths sont nombreuses et ses ramifications multiples. La finalité même de cette saga prête à la controverse dans la mesure où on revient à la situation du "DCverse" pré-Crisis : 20 ans après, balayer ainsi les efforts de Wolfman pour remettre de l'ordre dans tout ça, c'est un peu cavalier et exaspérant. Il semble évident que les concertations de Johns, Grant Morrison et Dan Didio ne visaient qu'à ça : restaurer un modèle permettant de re-jouer avec les mondes parallèles, les réalités alternatives - quitte à embrouiller tout le monde...
Cependant, on ne peut reprocher à Geoff Johns sa volonté de produire un récit où l'action ne manque pas, quitte à tomber dans une surenchère certaine : la brutalité est explosive, à la mesure de la tension dans laquelle baignent les protagonistes au début du crossover. On n'est pas surpris par cette irruption de violence mais on peut être saturé par sa durée et la démence qui s'empare de Superboy-Prime, devenant une machine à tuer. C'est un brin "too much" et c'est dommage, de la part d'un auteur qui, certes, n'a jamais été timide sur ce plan-là mais pêche par trop de complaisance.
Cette brutalité atteint d'ailleurs la lisibilité même du récit, ponctué parfois d'ellipses dérangeantes puis s'attardant sur des affrontements spectaculaires mais envahissants. Il y a une sorte d'incompatibilité entre le style et les intentions : Wolfman avait très bien su gérer cette difficulté, privilègiant le souffle de son épopée à la personnalité de l'écriture. Johns sait faire rebondir son histoire mais peine à lui donner de l'ampleur en lui imposant des climax successifs qu'on n'a pas le temps de digérer. Dans Identity Crisis, Meltzer imprimait à son récit un tempo bien mieux maîtrisé, avec un projet aux dimensions finalement plus modestes. En s'aventurant dans des péripéties cosmico-inter-dimensionnelles, Johns se perd et nous perd. Dommage.
Néanmoins, il existe un évident aspect "défouloir" dans Infinite Crisis, pour les mêmes raisons qui en déterminent les limites. Cette avalanche de batailles épiques, de duels à mort, de dilemmes tranchés à grands coups, ce manque même de subtilité a quelque chose de jouissif, presque de régressif. Ce n'est définitivement pas une grande oeuvre mais c'est un divertissement assurèment musclé, proche de l'absurde et du grotesque, qui a un côté amusant - même s'il s'y joue des passages tragiques (la mort de Connor, de Loïs Lane de Terre II, la séparation finale de la "trinité" et donc la dissolution de la Justice League).
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Un sentiment similaire est inspiré par la partie visuelle, qui voit se succèder et parfois se mêler des talents aussi sûrs que divers. Phil Jimenez n'ayant pu tenir les délais, on lui adjoint d'autres dessinateurs pour boucler les épisodes après le n°3. De ce point de vue, DC a choisi des "rustines" en or puisque George Pérez (le mentor de Jimenez et artiste mythique de la première Crise), Jerry Ordway (déjà de la partie sur COIE et Zero Hour, un habitué donc) et Ivan Reis sont venus jouer les renforts.
Même si leurs styles ajoutées produisent parfois de curieux effets, surtout avec Ordway et Reis dont les registres ne sont pas similaires à ceux de Pérez et Jimenez, on a quand même droit à des planches de toute beauté, restituant toute l'intensité de cette épopée et correspondant à son ton baroque. Andy Lanning et Ordway (encore !) ont aussi contribué, par leur encrage, à donner le plus de cohérence possible à cet improbable amalgame de talents, plus forts individuellement que collectivement.
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En définitive, la morale de cette entreprise au résultat inégal ressemble à celle qui découla de Zero Hour : le meilleur restait à venir. De la composition inaboutie, maladroite, frustrante, d' Infinite Crisis allait naître un projet bien plus énorme, fou et pourtant réussi, avec la série hebdomadaire 52. Comme si la suite du programme légitimait son institution : un peu curieux comme façon de faire, mais tout compte fait, 7 chapitres tordus pour en dispenser 52 autres passionnants, ce n'est pas si mal..

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