vendredi 9 avril 2010

Critique 142 : NUMBER OF THE BEAST, de Scott Beatty et Chris Sprouse

Number of the Beast est une série limitée de huit épisodes, écrite par Scott Beatty et dessinée par Chris Sprouse (avec Simon Coleby, Leandro Fernandez et Neil Googe pour le dernier chapitre). Cette production s'inscrit dans une trilogie ( avec Armageddon et Revelations), qui aboutit au relaunch de plusieurs titres Wildstorm, un des labels de DC Comics.
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Imaginez que des équivalents de la JLA, des Vengeurs et quelques super-vilains comprennent plus de soixante ans après la seconde guerre mondiale qu'ils ont été enfermés dans un bunker souterrain dans le Nevada par l'armée et qu'ils évoluent dans un vaste programme informatique simulant la fin du monde, un entraînement virtuel pour l'éviter...
C'est ce qui est arrivé aux Paladins, historiquement les premiers méta-humains de l'univers Wildstorm, et à leurs ennemis, les Crime Corps. Mais cette "salle des dangers" géante finit par se détraquer à cause du trop grand nombre de suppléments apportés au programme au fil des années et les héros comme les vilains veulent désormais recouvrer leur liberté.
Evidemment, les responsables de l'opération "Number of the beast", et le Général Zebulon McCandless en premier à son origine, ne l'entendent pas de cette oreille : et si, pour arrêter tout cela, il fallait vraiment provoquer la fin du monde ?
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Number of the Beast est un curieux objet quand on le découvre sans avoir suivi les évènements du Wildstorm Universe : conçu pour conclure un tryptique de l' "Armageddon" et établir un nouveau statu quo à toute une gamme, son histoire est à la fois connectée à des faits qui échapperont au profane (comme en attestent des références à d'autres ouvrages), présente une foule de nouveaux personnages et se termine d'une manière à la fois étrange et spectaculaire. Pourtant, c'est aussi un album qui reste compréhensible, riche en péripéties, en héros attachants au potentiel évident, très bien écrit et somptueusement dessiné.
L'atout majeur de cette entreprise est son équipe de super-justiciers, les Paladins, introduits comme les premiers super-héros de cet univers. Il s'agit d'un mix bigarré et séduisant évoquant la JLA (avec en lieu et place de Superman, The High alias John Cumberland, dont le destin fut évoqué dans un autre titre Wildstorm bien connu, le génial Planetary de Warren Ellis et John Cassaday - le Dr Axel Brass et Elijah Snow l'ont rencontré), les Vengeurs (Engine Joe est une version alternative du Iron Man originel) et de personnages censés avoir inspiré des équipes modernes de la gamme Wildstorm (comme la Midnight Rider pour le Midnighter d'Authority, qui intervient d'ailleurs une apparition à la fin de l'histoire).
Scott Beatty et Chris Sprouse ont élaboré des protagonistes aux caractères, pouvoirs et designs, vraiment brillants, témoignant davantage du respect pour les classiques du genre super-héroïque que de la parodie ou de la critique (alors qu'Authority, par exemple, avait été imaginé comme une réponse transgressive à la JLA).
Du coup, on regrette que cette galerie de héros n'ait pas été inventée pour alimenter une histoire indépendante, auto-suffisante, plutôt que pour servir d'ingrédients à une refonte des titres d'un label.
Le concept du récit, articulé autour du programme "Number of the Beast", s'inspire sans subtilité de la trilogie cinématographique Matrix, avec ces personnages prisonniers d'une réalité virtuelle. Comme les films des frères Wachowski, l'histoire multiplie les références bibliques, à commencer par son titre (le nombre de la Bête, donc du Diable, est le 666) et Beatty ponctue les chapitres d'extraits de versets, supposés donner une profondeur philosophique à un sujet qui n'en demande pas tant.
Bien entendu, la Révélation sera suivi d'une Apocalypse digne de ce nom, sacrifiant bêtement des personnages auxquels on s'est attaché sur l'autel du spectacle : c'est la partie la moins réussie et la plus discutable. Que ceux qui se plaignent des crossovers Marvel et DC mesurent à quel point on peut faire encore pire en lisant cette BD où une époque, des héros, un enjeu ne sont créés juste pour permettre à d'autres personnages d'exister et de se trouver de nouvelles campagnes à mener.
Dans ces premiers chapitres, NOTB demeure une excellente surprise : on est intrigué par ces scènes où quelques hommes semblent assurer la maintenance d'une base secrète tout en épiant les faits et gestes des Paladins dans une ville étrangement dépeuplée.
Beatty se montre adroit dans la caractérisation, affuté dans les dialogues (avec des passages d'un humour noir inattendu, comme lorsqu'une soucoupe volante écrase une grand'mère) et habile pour ménager le mystère. Cette atmosphère singulière culmine lors d'une séquence où The High essaie de quitter la ville, sans comprendre pourquoi il n'y arrive pas, et où les personnages comme le lecteur saisissent que tout cela n'est qu'une gigantesque manipulation.
Ensuite, cela se gâte un peu : le complot militaire (évidemment) est révèlé, et comme les Paladins, on se sent abusés. Quand, enfin, il est clair que cela va très mal finir, que beaucoup vont rester sur le carreau et, surtout, que tout ce qu'on nous a racontés sert surtout à réinstaller d'autres héros, d'autres histoires, la déception le dispute à la colère.
J'aurai franchement préféré qu'une fois sortis de leur bunker, les Paladins, après avoir croisé le fer avec the Authority, gagnent le droit de continuer à vivre, sans qu'on ait droit à l'affrontement final avec les clones de The High et le désastre (ridiculeusement outrancier) que cela entraîne. Cela aurait ouvert la porte à une future série avec les Paladins et leur réintégration à l'époque moderne, par exemple.
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Heureusement, cette mini-série nous permet de profiter de Chris Sprouse, cet immense artiste au trait si élégant et épuré, maître du découpage, et génie du design. Le tpb nous offre à la fin du récit plusieurs pages de bonus, des dessins où l'on peut admirer l'art de Sprouse pour inventer des personnages au look à la fois rétro et irrésistible, conçus à la fois comme des hommages à des icones du genre (Hotfoot par rapport à Quicksilver, Johnny Photon par rapport au Two-gun kid, Honeybee et The Mite par rapport à The Wasp, The Aeronaut par rapport à Tony Stark, etc) tout en témoignant d'une vraie créativité.
C'est un pur régal, qui justifierait presqu'à lui seul l'achat de cet album.
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Production inégale mais pourtant brillamment réalisé, Number of the beast est une curiosité : de la chair à canon mais préparée comme un mets de choix par de grands chefs.

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