vendredi 13 novembre 2009

Critique 113 : FANTASTIC FOUR VISIONARIES 1-5, par John Byrne

L'oeuvre la plus importante de John Byrne après les X-Men (co-écrit avec Chris Claremont de Décembre 1977 à Mars 1981) est son run de six ans sur Fantastic Four (#232-293, 1981-1986), considéré par beaucoup comme un "second âge d'argent" pour la série.
Sur ce titre, Byrne a déclaré que son but était de revenir aux basiques et de voir ce qui faisait la fraîcheur et la grandeur des FF à leurs débuts. Cependant, il a marqué de son empreinte la mythologie de la série en y apportant un nombre significatif de mdifications : Ben Grimm y fut remplacé par Miss Hulk alors que la Chose vivait ses propres aventures dans son propre comic-book (également écrit par Byrne), et la fiancée de ce dernier, Alaicia Masters, le quitta pour vivre avec son co-équipier Johnny Storm/ la Torche Humaine ; Jane Storm-Richards vit ses pouvoirs accrus, devenant un membre plus influent au sein du groupe au point d'être renommée la Femme Invisible ; puis le Baxter building, leur quartier général, fut détruit.
Alors qu'il semblait installé pour encore longtemps sur le titre, Byrne l'abandonna pourtant au sommet de sa gloire, justifiant son départ par des divergences artistiques avec son éditeur. Malgré tout, encore aujourd'hui, son run reste probablement l'un des plus aboutis, si ce n'est le meilleur, depuis la glorieuse époque du duo Stan Lee-Jack Kirby. En tout cas, la durée de son investissement (pensez donc, six ans avec un même homme sur un titre aujourd'hui, cela serait étonnant) et la qualité de ses histoires, tant au niveau de l'écriture que du dessin, n'ont pas été égalées depuis.
Marvel Comics a réuni dans une collection les épisodes de Byrne justement intitulée Fantastic Four Visionaries, dont voici un passage en revue des cinq premiers volumes (sur huit). Une page d'Histoire et une leçon de storytelling !

Ce premier tome contient les épisodes 232 à 240, publiés de Juillet 1981 à Mars 1982.

- #232 : les FF affrontent le sorcier Diablo qui a créé pour les supprimer quatre entités possédant les pouvoirs des éléments (eau, terre, feu, air). Avec le concours du Dr Strange, le quatuor neutralisera ces adversaires.
- #233 : Johnny Storm réhabilite un ancien camarade de classe injustement condamné à mort (et exécuté) à la demande d'un prêtre. L'occasion pour la Torche Humaine de combattre Hammerhead.
- #234-235 : un individu apparemment ordinaire, Skip Collins, est en vérité lié à une planète vivante, Ego, qui le dôte de pouvoirs immenses et sur laquelle va se rendre le quartet pour en annuler l'influence.
- #236 : ce numéro double célèbre le 20 anniversaire de la série. Le Dr Fatalis, némésis des FF, avec la complicité du Puppet Master, le père d'Alicia Masters, emprisonne ses ennemis dans une ville miniature, Liddleville, pour mieux les persécuter... Jusqu'à ce que la situation se retourne contre lui.
- #237 : John Byrne introduit un sub-plot (une intrigue secondaire qui sera ultérieurement développée : une technique que lui et Claremont employaient couramment dans X-Men) impliquant Frankie Raye, la girlfriend de Johnny, tandis que le groupe rencontre une géante extra-terrestre, Spinerette, échouée avec plusieurs de ses semblables sur Terre.
- #238 : nous découvrons le secret de Frankie Raye, possédant des pouvoirs semblables à Johnny Storm à cause de son beau-père, Phinéas Horton, le créateur de la Torche Humaine originelle. Elle intègre l'équipe tandis que Reed en cherchant à redonner à Ben Grimm son apparence humaine altère sa physionomie de manière dramatique.
- #239 : en route pour Benson, un bled perdu où les habitants meurent littéralement de peur. La petite Wendy y a d'étranges amis... Que même les FF ne réussiront pas à dominer !
- #240 : du grand spectacle en perspective : Attilan, la demeure des Inhumains, est carrèment déplacée sur la Lune, dans la zone bleue où réside Uatu, le Gardien, pour la survie de ses habitants.
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Ce qui frappe dans ces premiers épisodes, c'est la rapidité avec laquelle John Byrne s'empare des personnages, de leur dynamique de groupe, en les plongeant tout de suite dans une succession d'aventures spectaculaires et déjà mémorables.
Il sait à la fois prendre le temps de s'intéresser à chacun (comme dans l'épisode où Johnny enquête sur son ami exécuté, ou quand il commence à se pencher sur les mystères de Frankie Raye) et il interroge le quatuor sur ses origines, ses failles (dans l'épisode du 20ème anniversaire qui est une vraie leçon de storytelling, avec le piège de Fatalis qui se refermera sur ce dernier).
Byrne sait aussi instiller une ambiance comme personne, en peu de pages, tout en en exploitant tout le potentiel : le séjour des FF à Benson est un hommage aux films d'épouvante au dénouement troublant. Au coeur de ce récit, il aborde le thème de la maltraitance des enfants sans jamais être lourd. C'est fabuleux.
Enfin, il réalises deux "issues" particulièrement saisissantes : contre la planète vivante Ego, c'est toute la mythologie des voyages spatiaux de la série qui est revisitée en deux volets au déroulement crescendo ; meilleur encore est le "déménagement" des Inhumains sur la Lune (qui sera évoqué dès le premier épisode du volume 2), avec des accents écologistes et pacifistes inspirés.
A cette variété de thèmes, de tons, répond une maîtrise graphique prodigieuse : Byrne "tient" déjà ses héros - certes, il ne les dessine pas pour la première fois - mais il va y imposer sa griffe, et durablement. Sous son crayon, la Chose a vraiment un aspect brut, rocailleux, fascinant ; Sue possède une féminité qui va au-delà du simple sex-appeal ; Johnny possède une juvénilité exempte de niaiserie ; et Reed incarne l'intelligence et la sagesse à la perfection. La galerie de seconds rôles témoigne de l'art de Byrne pour camper des personnages dont on se souviendra longtemps (comme le pourtant banal Skip Collins, ou les troublants Inhumains auxquels il donne de l'élégance et de la majesté).
Le génie de Byrne s'exprime aussi dans les décors où il invente des bâtiments délirants, où la technologie foisonne, qu'il prend plaisir à saccager pour montrer des paysages dévastés dessinés avec un souci du détail qui ira grandissant. Dépaysement garanti !

Pour un début, c'est déjà un sans-faute : on finit ce premier tome avec le sentiment d'avoir entre les mains une oeuvre amenée à devenir un classique. Qu'un seul et même homme parvienne à ce résultat a de quoi bluffer le plus blasé des lecteurs de comics mainstream !
Ce deuxième tome contient les épisodes 241 à 250, publiés d'Avril 1982 à Janvier 1983.

- #241 : au Wakanda, en compagnie de la Panthère Noire, roi et héros de cette contrée africaine, les FF doivent faire face à Gaius Tiberius, survivant de l'Empire romain dôté de pouvoirs immenses.
- #242-244 : un arc mémorable et spectaculaire où le héraut rebelle de Galactus, le dévoreur de mondes, oblige nos héros à tuer son maître. Un projet insensé : le géant se débarrasse de Terrax puis, pour apaiser son appétit, entreprend de détruire la Terre. Avec l'aide des Vengeurs, il en est empêché. Mais Reed se refuse à laisser mourir leur adversaire et le ranime. Frankie Raye offre de remplacer son héraut, causant une grande détresse chez Johnny. Galactus promet de ne plus menacer la Terre, reconnaissant. Le calme revient ? Pas sûr : les pouvoirs de Franklin Richards s'éveillent brusquement alors qu'il est surveillé par le robot H.E.R.B.I.E. ...
- #245 : Devenu subitement adulte et fabuleusement puissant, mais amnésique, Franklin rend à la Chose son aspect rocailleux après que ses parents l'aient raisonné.
- #246-247 : Fatalis entraîne les FF en Latvérie sous le joug d'un souverain encore plus tyrannique que lui : Zorba. Contre toute attente, nos héros aident leur pire ennemi à récupérer son trône... Pour le bien de la population locale.
- #248 : De retour à Attilan, Fantastiques et Inhumains sont victimes d'un épouvantable cauchemar collectif. Seul Triton en a localisé la cause, dans les profondeurs de la Lune, et va prévenir les siens de la menace qu'il a découverte.
- #249-250 : l'officier de la garde impériale Shi'Ar, Gladiator, traque un équipage Skrull à travers l'espace et échoue sur Terre où il agresse les FF qu'il prend pour les aliens métamorphes. Captain America et Spider-Man s'interposent pour dissiper ce malentendu et appréhender les malfaisants extra-terrestres.
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Ce deuxième volume tient toutes les promesses entrevues dans le précédent et souligne une montée en puissance de Byrne, qui va désormais s'autoriser des audaces narratives et graphiques de plus en plus marquées.
La preuve la plus flagrante de cet affranchissement pourrait se résumer dans le tryptique au coeur duquel Terrax oblige les FF à l'aider à supprimer Galactus : de la démonstration de force du héraut rebelle du dévoreur de mondes à sa déchéance puis au combat opposant Vengeurs et Fantastiques au géant cosmique et enfin à la décision (qui sera lourde de conséquences, résolues dans le volume 4 - soit plus de deux ans après !) de lui sauver la vie, le récit est prolixe en rebondissements spectaculaires, scènes intenses, surprises choquantes... Parmi lesquelles la plus mémorable reste sans doute le choix opéré par Frankie Raye de devenir la nouvelle émissaire de Galactus, Nova ! Ce faisant, elle brise le coeur de Johnny, qui de jeune feu follet insouciant acquiert une gravité inédite, mais surtout va nouer une relation trouble et troublante avec son maître pour lequel elle nourrit à l'évidence un sentiment amoureux. Ce couple extraordinaire inspirera à Byrne ce qui est peut-être sa plus belle oeuvre, mais aussi sa plus rare : La dernière histoire de Galactus, publiée dans la revue Epic.
L'art du contre-pied de Byrne s'exprime aussi dans les alliances qu'il ose former entre ses héros et leur pire ennemi, Fatalis, lorsque celui-ci obtient (certes par la force) à libérer sa Latvérie d'un tyran encore pire que lui ! Cette mini-fable politiquement incorrecte, moralement équivoque, est l'occasion d'un double épisode plaçant les 4F dans une position délicate où leur idéalisme est interrogé avec perversité.
De pouvoir politique et de ses excés, il en est également question dans le magnifique séjour des FF au Wakanda où, en compagnie de la Panthère Noire, ils affrontent un mégalomane sorti de l'époque de l'Empire romain !
Le thème de la mystification, de la confrontation traverse ces épisodes puisque ce recueil s'achève avec un autre double épisode où les Skrulls médusent Gladiator au grand dam du quatuor mais aussi Captain America et Spider-Man, prestigieuses guest-stars de passage. Byrne y adresse un clin d'oeil aux nostalgiques de son autre run historique en convoquant les X-Men (ou presque). C'est aussi en décrivant un sidérant cauchemar sur Attilan que l'auteur se joue de nous et de ses héros.
Le dessin est un festival : abondant en morceaux de bravoure, ces volets permettent au dessinateur de donner toute la mesure de son insolent talent. Il prend un plaisir particulier à représenter des scènes de dévastation hors du commun (Manhattan arraché à la Terre par Terrax puis saccagé dans le combat contre Galactus, Attilan balayé par un alien gigantesque, les rues de Big Apple ravagées par la furie de Gladiator).
C'est aussi à cette époque qu'après la tentative ratée de Reed de redonner forme humaine à la Chose, cette dernière recouvre son aspect de brique par l'intervention "divine" de Franklin au cours d'un chapitre où le fils de Mr Fantastic et la Fille Invisible dévoile le potentiel d'un Dieu...

La suite s'annonce encore meilleure avec une saga épique qui fera de 1983 un très grand millésime...

Ce troisième tome contient les épisodes 251 à 257, l'Annual #17, mais aussi Avengers #233 (co-écrit par Byrne et Roger Stern, dessiné par Byrne, et qui complète le n°256 des FF) et The Thing #163 (illustré par Ron Wilson).

- #251-255 : avec cet arc exceptionnellement long, nous partons pour la Zone Négative, une dimension parallèle à propos de laquelle Reed Richars veut complèter ses connaissances. Malheureusement, en en franchissant la frontière, les FF ignorent que leur adversaire de cet univers, le redoutable Annihilus, en a profité pour pénétrer dans notre monde : il séquestre Franklin et Alicia. Cependant, le quatuor découvre la planète Ootah où a lieu unn étrange rituel matrimonial (l'épisode est entièrement cadré "à l'italienne", avec des bandes horizontales, ce qui souligne l'étrangeté de cette première station). Puis ils croisent un vaisseau Kestorian à la dérive depuis des millènaires mais incapables de renouer avec une vie normale sur un monde pourtant fait pour eux, où les a guidés Reed. Enfin, ils sont victimes d'un effroyable piège tendu par Mantracora, qui va les obliger à quitter la Zone Négative précipitamment...
- Avengers 233 + FF #256 : ce crossover express montre la même situation sous deux angles différents. D'un côté, sur Terre, les Vengeurs doivent faire face à l'assaut d'Annihilus depuis le Baxter Building. De l'autre, les 4F tentent une sortie risquée de la Zone Négative. Leur ennemi commun retournera dans sa dimension sans ménagement et, au passage, Reed, Sue, Johnny et Ben verront leurs costumes re-designés en bleu et blanc !
- Thing #163 : cet épisode anecdotique (dessiné par Ron Wilson) lève le voile sur un pan du passé de Ben Grimm, avant qu'il ne devienne la Chose, et son premier amour, tandis qu'Alicia se remet doucement des supplices que lui a infligée Annihilus.
- #257 : Galactus, affamé et désormais précédé par Frankie Raye/Nova, dévore le monde Skrull - un acte qui ne restera pas sans conséquence... Pour protéger Franklin et mener une existence plus ordinaire, Sue convainc Reed d'emménager en banlieue en adoptant des doubles identités et va visiter une maison. En son absence, son mari est enlevé - mais par qui ?
- Annual 17 : Sharon Selleck, l'ex-co-locataire de Frankie Raye, tombe en panne en rase campagne avant de tomber dans les griffes des habitants du coin, contaminés par le lait de trois vaches... Qui furent des Skrulls piègés il y a fort longtemps par les FF (dans le 2ème épisode de la série !). Johnny Storm, devenue proche de la jeune femme, entraîne l'équipe à sa recherche.
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Ce troisième tome est d'une qualité en tout point exceptionnelle, et ce pour la simple raison qu'il est bâti sur une histoire qui l'occupe quasi-intégralement : il s'agit de ce qu'on peut baptiser "la saga de la Zone Négative" au cours de laquelle John Byrne va explorer à la fois cette étrange dimension parallèle mais aussi le rôle d'explorateurs qui définit les Fantastiques, en dehors du fait qu'il s'agit d'une famille. En montrant son équipe à l'oeuvre dans ce qui est en vérité leur profession, l'auteur rappelle leur situation particulière : avant d'être des redresseurs de torts classiques comme les Vengeurs ou la majorité des héros solitaires du Marvelverse, les 4F sont d'abord des découvreurs, leurs découvertes inspirent ses inventions à Reed qui en commercialisant leurs brevets financent le train de vie de la formation et... Leurs futures explorations !
Exceptionnelle aussi par la durée qu'il y consacre car cette saga compte pas moins de six épisodes plus un un des Avengers, co-écrit avec le légendaire Roger Stern : ce story-arc est pourtant bien différent de la notion qu'on a aujourd'hui d'une séquence scénaristique tant chaque volet contient d'éléments, va faire évoluer profondèment les protagonistes au fil de rencontres surprenantes, et aboutir à un final mémorable.
Toutes les étapes du voyage sont décrites avec minutie, du départ suscitant des réactions contrastées chez chacun (l'excitation de Reed, l'appréhension de Sue, la curiosité de Johnny, le pointillisme de Ben) et provoquant le passage dans notre dimension du redoutable Annihilus (qui tout en projetant de détruire notre monde va torturer avec un plaisir sadique l'infirme Alicia mais aussi le petit Franklin, ce qui en fait un monstre aussi hideux physiquement que moralement) jusqu'aux rencontres que vont faire nos héros dans cet ailleurs imprévisible.
C'est l'occasion pour le dessinateur Byrne d'expérimenter (avec l'épisode à l'horizontale sur la planète Ootah) et de s'adonner à deux exercices dans lesquels il est particulièrement à l'aise : l'illustration de technologies délirantes (en digne héritier du maître Kirby) et d'aliens aux physionomies les plus variées mais dont il réussit à nous traduire les sentiments, les émotions, la psychologie, d'une manière confondante.
Comme toujours, il nous réserve des surprises narratives auxquelles répondent des audaces graphiques : confronté au terrible Mantracora, qui parviendra à pièger Mr Fantastic lui-même, l'apparence véritable de ce vilain sera à la mesure de la répugnace qu'il inspire au lecteur. Mais c'est surtout le nouveau design des costumes du quatuor qui restera dans les souvenirs puisqu'en sortant de la Zone Négative, le bleu et noir deviendra un élégant bleu et blanc, expliqué d'une façon astucieuse. Aujourd'hui encore, ce relooking reste le plus simple et le plus beau qu'ait imaginé un artiste sur ces personnages.
Alors, après ces émotions fortes, il est vrai que le reste semble moins conséquent : l'épisode de la série The Thing est bien mal dessiné par un Ron Wilson loin de son niveau du récit complet Super-Boxeurs (également écrit par Byrne) et assez anecdotique et l'Annual, bien que revisitant des faits imaginés fort longtemps auparavant par Stan Lee, n'est pas très accrocheur.
Mais l'épisode 257, où Galactus engloutit le monde-skrull, est importantissime pour la suite puisqu'il aboutira à un évènement considérable relaté dans le volume 4, et sur un plan plus intimiste, on suit Sue qui prépare l'installation de sa petite famille (sur le point de s'agrandir car elle et Reed n'ont pas fait que de la recherche scientifique dans la Zone Négative...) hors de New York, donc hors du Baxter Building - hé, oui, les Fantastiques s'apprêtent à délaisser leur Q.G. historique avec lequel ils entretiennent un rapport quasi-organique !

Autant dire qu'on a encore de grands moments en perspective, peut-être même le sommet d'un run déjà mythique...

Ce quatrième tome contient les épisodes 258 à 267, plus Alpha Flight #4 (qui s'intercale entre FF 260 et 261) et The Thing (vol.2) #10 (dessiné par Ron Wilson, situé entre FF 264 et 265), publiés de Septembre 1983 à Juin 1984.

- #258-260 : un tryptique survolté qui marque le retour de Fatalis et... Terrax ! Ayant miraculeusement survécu à son duel avec Galactus, il retrouve une partie de ses pouvoirs cosmiques pour supprimer les FF. Le Surfeur d'Argent s'en mêle, mais lorsque Fatalis découvre que Reed Richards ne participe pas à la bataille tente (au prix de sa vie ?) de stopper Terrax, bientôt consumé par l'énergie dont il a été pourvu. Sue n'a pas le temps de s'interroger de l'absence de Reed que surgit Namor, en piteux état, au Baxter Building...
- Alpha Flight #4 : en Septembre 83, John Byrne accepte décrire et dessiner une série consacrée aux super-héros canadiens de la Division Alpha (apparus dans Uncanny X-Men 120-121 en 1979, et qu'il a créés). Le voilà donc aux commandes de deux productions mensuelles dont il est l'auteur complet !
Vont s'y croiser Sue Richards, Namor et les mutants de la Belle-Province. Ces derniers voient l'une d'eux fuir après avoir sauvagement blessé Puck lors d'un entraînement. Elle est en vérité sous l'emprise mentale du Maître qui l'attire dans son gigantesque repaire sous les glaces du Pôle Nord, là où Namor a failli mourir, dans des eaux contaminées par cet être malfaisant.
Sue, le Submariner et l'Alpha Flight récupèrent Marina (que Namor emmenera à son royaume d'Atlantis au terme de l'aventure) mais le Maître leur échappe en détruisant sa cachette.

- #261-262 : comme dans Alpha Flight, Byrne développe couramment des intrigues en deux chapitres successifs et celui-là constitue peut-être le sommet de son run sur les FF.
Rappelez-vous : Galactus a dévoré le monde Skrull et Reed a disparu. Il est en fait accusé pour ce génocide car il a sauvé la vie du géant de l'espace. Uatu, le Gardien, transporte Sue, Ben et Johnny au tribunal et devient l'avocat de Mr Fantastic face à l'Impératice Shi'Ar Lilandra dans le rôle du procureur. Il faudra l'intervention d'Eternité, créature surpuissante, invoquée par Galactus et Uatu pour sauver Reed de la peine de mort.
Et dans le rôle du chroniqueur judiciaire ? Mais John Byrne lui-même, qui se met en scène dans ce dyptique mémorable !
- #263-264 : en participant à une course automobile privée, Johnny trouve la mort. Mais Ben refuse la fatalité et enquête jusqu'à faire connaissance avec l'organisateur de la compétition, l'auto-proclamé Messie, qui veut utiliser le pouvoir de la Torche pour résoudre d'une manière singulière le problème de la surpopulation. Mais son plan va être contrarié par l'intervention de l'Homme-Taupe...- Thing (vol.2)#10 : l'occasion de revenir sur une aventure du passé... Mais surtout le moment où Reed, Johnny et Ben (Sue, enceinte, est contrainte au repos) vont être happés dans la saga Secret_Wars (Guerres Secrètes en vf), les éloignant de la Terre.
- #265 : en ce temps-là, un crossover ne cannibalisait pas toutes les séries de personnages qu'il impliquait et les aventures des FF reprenaient leur cours un mois après... Avec quelques surprises qui allaient questionner un bout de temps les lecteurs ! Reed et Johnny reviennent sur Terre mais Sue découvre que Ben a été remplacé par She-Hulk avant d'être prise d'un violent malaise : elle est sur le point d'accoucher.
- #266 : Tandis que Reed et Johnny sont au chevet de Sue, Alicia raconte à She-Hulk comment une certaine Charisma rendit fou la Chose. Michael Morbius (le vampire maudit, bien connu de Spider-Man), Bruce Banner (alter-ego de Hulk) et Walter Langowski (alias Sasquatch d'Alpha Flight) convainquent Reed que le seul savant en mesure de sauver Sue n'est autre qu'Otto Octavius, c'est-à-dire... Le Dr Octopus !
- #267 : Reed fait sortir Octavius de son asile mais doit le raisonner sur la route de l'hôpital après qu'il soit pris d'un accès de folie. De retour auprès des siens, Mr Fantastic apprend une terrible nouvelle : Sue a perdu le bébé !
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Le contenu de ce quatrième volume est telle qu'il s'impose instantèment comme un classique du genre : tous les épisodes sont des chefs-d'oeuvre, écrits avec un génie narratif et dessinés avec ampleur graphique comme peu de titres mainstream peuvent s'en vanter. John Byrne n'a sans doute jamais été aussi bon, en pleine possession de ses moyens, aussi inspiré. Tout atteint son but, jamais le niveau ne faiblit : c'est éblouissant. On lit là quelques-unes des plus grandes planches jamais réalisés dans les comics super-héroïques.
Tout démarre avec un tryptique qui donne en quelque sorte le "la" de ce qui va suivre, un feu d'artifices visuel et scénaristique, un concentré de l'art "byrnien", d'une efficacité intacte 25 ans après, pied au plancher. Fatalis ramène Terrax à la vie tout en le piègeant à son insu, s'ensuit un combat homérique contre les Fantastiques, mais où l'absence de Reed et l'intervention du Surfeur d'Argent va bouleverser les plans du maître de la Latvérie.
Rarement vous sentirez de manière aussi tangible la fureur d'un affrontement de titans, entraînant des dégâts spectaculaires, traversé par une tension dramatique soutenu. A peine cette histoire conclue pourtant, Byrne nous embarque à toute allure ailleurs.
Fin 1983, l'artiste pilote deux séries simultanèment ! Ce travail de forçat, loin de l'épuiser ou de l'assécher, semble au contraire le doper puisque les FF vont connaître leurs aventures les plus trépidantes et que La Division Alpha, avec ses mutants canadiens si chers à leur créateur, servira de terrain d'expérimentations passionnantes (dont celle, majeure, d'être une série où la plupart des épisodes s'intéresse davantage à un membre isolé du groupe qu'au groupe lui-même, tout en osant aller la tragédie avec la mort de son leader ou l'emploi de héros physiquement monstrueux, difformes ou sévèrement perturbés psycholgiquement).
Au quatrième épisode d'Alpha Flight, Byrne organise déjà une rencontre avec les FF, ou au moins avec Sue, entraînée au Pôle Nord par Namor. Ce crossover express est une merveille de dynamisme... Et laisse pantois quand on se rend compte qu'un seul et même homme a fait tout ça en même temps !
Toujours plus vite, plus fort, plus haut : telle semble être la devise de Byrne qui enchaîne avec le célébre "Procès de Reed Richards", point culminant d'évènements entamés deux ans auparavant. Souvenez-vous que Mr Fantastic avait sauvé la vie de Galactus, qui a ensuite détruit le monde Skrull, et le voilà tenu pour responsable de ce génocide ! Uatu le Gardien défend le terrien contre l'impératrice Shi'Ar Lilandra (une vieille connaissance des X-Men de l'ère Claremont-Byrne, déjà aux premières loges lors de la mort de Jean Grey). Plaidant contre toute attente (et toute prudence) coupable, Reed ne devra son salut qu'à celui qu'il a soigné et à une entité surpuissante, Eternité, dont l'intervention raisonnera tous les participants de l'audience. Comment exactement cet arbitre opportun justifie-t-il l'existence de Galactus ? Byrne ne répond pas franchement à cette question : on peut trouver cela un peu lâche, facile, mais c'est en fait très intelligent car ainsi il laisse tout leur mystère à des personnages comme lee dévoreur de mondes, le Guardien et Eternité, suggérant qu'ils existent à un niveau qui nous dépasse mais aussi que le jour où la faim de Galactus sera apaisé, le sort de l'univers en sera bouleversé...
Sur un mode plus mineur mais néanmoins très prenant, la fausse mort de Johnny et l'enquête de Ben Grimm qui devra convaincre l'Homme-Taupe de l'aider contre le Messie servent une aventure rondement menée.
L'épisode tiré de la série The Thing est toujours aussi mal dessiné par Ron Wilson et faiblement rédigé, mais il est s'avère indispensable car c'est là que Mr Fantastic, la Chose et la Torche (Sue dont le ventre est maintenant bien rond est obligée de rester à la maison) sont engagés malgré eux dans le méga-crossover de l'époque, Guerres Secrètes (publié en France dans le mensuel Spidey), où le Beyonder va opposer une belle brochette de héros et de vilains à l'autre bout de l'univers.
Mais en ce temps-là, une telle saga ne cannibalisait pas toutes les séries et un mois après, les trois Fantastiques disparus revenaient sur Terre... A un détail près !
En effet, Byrne va bousculer le titre en osant modifier la composition de l'équipe durablement puisque la Chose est remplacée par She-Hulk ! Cette révolution est d'autant plus sensible qu'elle va altérer la dynamique du groupe en y introduisant un deuxième élément féminin, parce que Miss Hulk a un caractère différent de Ben Grimm, et qu'on ne saura que bien des mois plus tard, au terme de la maxi-série Secret Wars, pourquoi la Chose n'est pas revenue avec ses acolytes de la planète du Beyonder. Ce genre de suspense et de révèlations différées pourraient inspirer les éditeurs aujourd'hui que les crossovers contraignent des mois durant les séries régulières à suivre le mouvement impulsé par la saga principale...
Mais à peine revenus, Reed et Johnny doivent faire face à un évènement plus intime mais plus intense qu'un conflit cosmique : Sue est hospitalisée, sur le point d'accoucher, dans un état critique. Le seul à pouvoir les sauver, elle et son bébé, serait le Dr Octopus et le temps que passera Reed à l'emmener au chevet de sa femme aura des répercussions poignantes.
On sait que Byrne ne fut pas favorable à la mort de Jean Grey (et d'ailleurs il la ramènera dans un épisode ultérieur). Pourtant il n'hésitera pas par la suite, dans les productions qu'il dirige, à écrire des chapitres où il sacrifiera, cruellement pour ses lecteurs et ses héros, des personnages, révèlant une tendance au mélodrame - qui est un genre avec lequel les comics super-héroïques flirtent souvent - : ainsi la grossesse tragique de Sue ici et quelques mois plus tard, dans Alpha Flight, le décés de James Hudson/Guardian (qui plus est devant les yeux de sa femme).
Je vois dans ce genre de manoeuvre une volonté d'humaniser un univers fantaisiste, irréaliste : leurs aventures ne les atteignant jamais vraiment, confronter ces personnages à des drames que chacun peut vivre (comme la perte d'un enfant, d'un amant, d'un ami) nous les rend plus proches car plus vulnérables. Ce n'est sans doute pas un hasard si, également au milieu des années 80, des auteurs comme Alan Moore ou Frank Miller "déshabillèrent" également les super-héros pour les humaniser, leur donner plus de réalisme. En procédant à l'intérieur d'un titre mainstream, l'apport de Byrne à cette démythification a eu moins d'impact que des oeuvres-culte comme Watchmen ou The Dark Knight : pourtant, il a fait preuve d'autant, si ce n'est plus, de courage et de radicalité en osant "dé-tabouiser" ce type d'éléments.
C'est sur ce fait notable, et encore une fois en considérant la virtuosité graphique de ces épisodes, dont le découpage pourtant basique en comparaison avec les excentricités actuelles (usant et abusant de splash et double-pages, de cadrages biscornus, d'effets numériques pas toujours justifiés et heureux...) est un modèle de visualisation et de lisibilité, que se clôt ce volume fabuleux.
Et dire que Byrne a fourni encore assez de matériel pour remplir quatre autres tomes...
Ce cinquième tome contient les épisodes 268 à 275, l'Annual 18 (co-écrit avec Mark Gruenwald, dessiné par Mark Bright) et The Thing (vol.2)#19 (dessiné par Ron Wilson), publiés de Juillet 1984 à Février 1985.

- #268 : l'ambiance est sombre : la perte du bébé de Sue et Reed va durablement hanter les épisodes à suivre. Comme si cela ne suffisait pas, Johnny en faisant visiter le Baxter Building à She-Hulk doit lutter contre le masque de Fatalis. Le dictateur latvérien serait-il encore en vie ?
- Annual 18 : le mariage des Inhumains Flêche Noire et Medusa ramènent les 4F à Attilan sur la Lune. Mais les noces vont être perturbées par le duel auquel se livrent depuis des mois un Kree et un Skrull (engagés lors de la bataille entre la Garde Impériale Shi'Ar et les X-Men au cours de laquelle périt Jean Grey/Phoenix dans Uncanny X-Men 141, en 1981).
- #269-270 : l'indien Wyatt Wingfoot va avoir besoin de l'aide des FF pour neutraliser l'imposant Terminus. Sue ronge son frein, privée d'action alors qu'elle aimerait oublier la perte de son bébé. Johnny et Alicia deviennent amants.
- #271-272-273 : Reed constate que depuis son combat contre Mantracora dans la Zone Négative (cf. vol.3, épisodes 254-255) il ne souvient plus d'éléments de son passé. Il se confie à Sue, après que l'équipe (à laquelle fait désormais partie Wyatt Wingfoot, pour qui She-Hulk a le béguin) ait fêté son anniversaire, évoquant leur ancienne rencontre avec l'alien Gormuu. Puis le groupe se rend à la demeure familiale des Richards... Hantée par d'étranges fantômes ! Un voyage interdimensionnel s'impose pour résoudre cette énigme : Reed va y retrouver son père, Nathaniel, qu'il pensait mort, et devenu le Warlord.
- Thing (vol.2)#19 + FF #274 : toujours sur la planète du Beyonder où se jouèrent les Guerres Secrètes (cf.vol. 4, épisode 10 de The Thing), Ben Grimm erre dans des contrées inhospitalières et croise des figures pourtant familères... Alors que sur Terre, le costume-symbiote de Spider-Man s'échappe du caisson où Reed l'avait confiné dans le Baxter Building.
- #275 : et pour clore ce volume sur une note légère, She-Hulk, en compagnie de Wyatt Wingfoot, subit le harcèlement de paparazzis - la rançon de la gloire quand on est devenu membre des Fantastiques...
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Après les sommets atteints dans le volume 4, les épisodes suivants paraissent en-deçà de ce à quoi John Byrne nous avait habitués depuis le début de son run. En resituant les choses dans leur contexte, on peut nuancer cette impression : en effet, l'auteur anime deux séries simultanèment (plus quelques extras), cumulant les postes de scénariste, dessinateur et encreur. Personne ne peut prétendre enchaîner des chefs-d'oeuvre sans discontinuer à ce rythme-là.
Il est par ailleurs intéressant de remarquer qu'au moment donc où Byrne va un peu mollir sur les FF, il compensera en quelque sorte en produisant d'excellents épisodes d'Alpha Flight (où il bénéficiera du soutien de Bob Wiacek comme encreur). Les editors des FF vont aussi se succéder, avec Carl Potts, Bob Budiansky, Denny O'Neill ou Mark Gruenwald sous la tutelle de Jim Shooter... Que Byrne tiendra pour responsable de son éviction du titre. Le partenariat des deux hommes a, semble-t-il, toujours été tendu même s'il a abouti à des productions magnifiques (Shooter supervisant déjà les X-Men). Mais passons.
Byrne va continuer à "shacker" les 4F pour sa quatrième année sur le titre. Toutefois, la magie opère moins. Sans doute, tout simplement, parce qu'il a déjà beaucoup (dé)fait : la Chose n'est plus là, Johnny a connu bien des soubresauts sentimentaux, et Reed et Sue doivent "gérer" la perte de leur enfant. Il faut, parallèlement, intégrer la nouvelle recrue, She-Hulk, et concevoir de nouvelles menaces qui ne souffriront pas de la comparaison avec les évènements du volume 4. La barre est haute !
L'autre handicap tient dans l'Annual, d'un niveau médiocre : l'histoire imaginée par Byrne et Mark Gruenwald est divertissante, référentielle, mais finalement vite oubliée. Pourtant, ce genre d'épisode construit autour d'un mariage (ici celui de Flêche Noire et Medusa chez les Inhumains) a souvent fourni de bonnes "issues", mais là, ça ne prend pas. Et ça prend encore moins à cause de dessins épouvantables pourtant signés Mark Bright.
L'incorporation de Wyatt Wingfoot et le récit qui conduit Reed à retrouver son père, devenu le maître d'une Terre parallèle dans le futur, relève d'un cran ce cru 84-85 : Byrne nous distrait avec une maîtrise de grand professionnel, sans forcer son talent, mais avec de belles idées, notamment sur le plan graphique (son utilisation de planches avec des cases verticales est d'une élégance et d'une efficacité impeccables).
Et l'épisode 273 est une piquante récréation sur le thème des affres de la célébrité, avec Miss Hulk harcelée par la presse à scandales alors qu'elle bronze topless sur le toit du Baxter Building et que son idylle avec Wingfoot est manifeste. Ce récit léger, pétillant, sans prétention, vaut bien mieux que le nouvel épisode de The Thing qui se poursuit dans FF #274 où Ben Grimm, toujours sur la planète du Beyonder croise la route de monstres issus du folklore terrien.
En revanche, la manière dont Byrne évoque l'évolution de Sue est subtile : entre le chagrin dû à la perte de son enfant et le caractère déterminé dont il a dôté la jeune femme, et en la ramenant sur le terrain, il décrit admirablement comment elle traverse cette épreuve.
Le bilan est donc mitigé pour ce volume - le dernier que je chronique pour l'instant puisque je n'ai pas encore pu acquérir les trois suivants, qui clôturent le run de John Byrne. A suivre donc, bientôt (j'espère...).

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