Pour ce quatrième épisode de X-Men, Gerry Duggan change de recette : il ne s'agit plus de combattre une nouvelle attaque lancée par Cordyceps Jones. C'est déjà ça. Mais ça n'est pas encore ça. Le scénariste donne l'impression d'écrire la série en mettant en scène ses héros en attendant de consacrer les ultimes pages aux choses qui l'intéressent d'avantage. Le procédé est flagrant. Heureusement, l'absence de Pepe Larraz est compensée mieux que bien par Javier Pina, dans un grand jour.
La nuit d'Halloween. Sunfire monte la garde dans le Q.G. des X-Men mais ses écrans de contrôle le lui permettent pas de remarquer l'intrusion d'un visiteur. Cauchemar se glisse dans l'antre des héros mutants et sondent leurs rêves agitées, comme celui de Cyclope.
Mais le sommeil de Jean Grey attire son attention quand il voit qu'elle a été l'hôtesse du Phénix et a causé un génocide cosmique. De quoi la hanter et pour Cauchemar de s'amuser à la tourmenter. Avant cela, il s'aventure dans d'autres chambres.
En allant dans celle de Laura Kinney, il découvre son séjour dans la Voûte et le souvenir de sa romance avec Synch qui le perturbe encore. Toutefois, Cauchemar n'a pas le temps d'en savoir plus car Marvel Girl le surprend et le congédie sans ménagement.
Il tente de se venger en terrorisant les habitants du quartier dans leurs songes mais elle les tranquillise. Pendant ce temps, Ben Urich découvre la tombe profanée de Nathan Summers. Le Dr. Stasis envoie un rapport au sujet du programme Polyphème. Et Feilong s'envole pour Mars...
Tout d'abord, dissipons une inquiétude qu'auront certainement les fans de la série : ce mois-ci, Pepe Larraz ne dessine pas cet épisode, ayant éprouvé le besoin de souffler après avoir enchaîné Planet-Size X-Men et les trois premiers numéros de X-Men. Il est remplacé par Javier Pina, un artiste inégal, qui est capable du meilleur comme du pire, souvent dans l'ombre de dessinateurs plus côtés que lui (il a aussi assuré l'intérim de Jesus Saiz sur Dr. Strange).
Mais, et c'est une fort agréable surprise, Javier Pina a, comme on le dirait d'un sportif, haussé considérablement son niveau de jeu pour ne pas décevoir ceux qui apprécient X-Men grâce au dessin de Larraz. Il semble d'ailleurs que Pina aait voulu reproduire les effets d'encrage et le découpage énergique de son confrère, avec un succès indéniable.
On a droit à des planches vraiment superbes, dynamiques, où Pina maîtrise parfaitement le décor si particulier du QG des X-Men mais aussi les trois personnages à l'honneur dans l'épisode - Cyclope, Wolverine et surtout Marvel Girl. Franchement, je ne m'y attendais pas, mais c'est épatant. La narration est très soignée, tonique et inventive, avec un trait un peu épais mais qui convient parfaitement à ce récit nocturne où l'artiste peut se laisser aller à des effets de mise en scène volontiers grandiloquents.
Le tout est valorisé par la mise en couleurs de Erick Arciniega, dont la palette est proche de celle de Marte Gracia ou David Curiel. Un vrai plaisir des yeux, avec une ambiance intense, des contrastes superbes. Si vous craigniez d'avoir un épisode un ton en dessous des trois précédents sur le plan visuel, ce n'est pas le cas.
Cette belle prestation graphique suffit-elle à combler le lecteur ? Pas vraiment, hélas ! Car, à sa manière, cet épisode synthétise les défauts de Gerry Duggan comme scénariste et plus particulièrement comme auteur de la série. Je m'explique.
J'ai toujours considéré Gerry Duggan avec sympathie, le bonhomme a l'air cool, il a du talent, et Jonathan Hickman l'a choisi pour lui succéder sur le titre phare de la franchise qu'il a radicalement dépoussiéré. De quoi être en confiance. Par ailleurs, si je n'ai pas suivi la production de Duggan sur Deadpool (sur lequel il a beaucoup oeuvré), j'avais beaucoup apprécié son run sur Uncanny Avengers, très pêchu, totalement différent de la proposition plus épique de Rick Remender. Je n'avais donc pas d'a priori négatif sur le fait qu'il écrive X-Men, d'autant que, malgré des hauts et des bas, il a assuré sur Marauders.
Mais il me semble évident qu'il répéte les mêmes erreurs sur X-Men que sur Marauders, qui avait connu des débuts très laborieux (j'avais même été à deux doigts de lâcher la série à l'époque). Encore maintenant, Duggan ne s'est pas départi d'une désinvolture certaine sur ce titre, dont il a volontairement écarté les concepts (qui devaient être de suivre le sauvetage de mutants persécutés en même temps que d'assurer la commercialisation de la médecine krakoane), au profit d'aventures décousues mais divertissantes.
A son arrivée sur X-Men, Duggan a annoncé son ambition, en programmant une année entière d'épisodes qui allait être tonique et spectaculaire. C'était le deal, semble-t-il : faire de la série un blockbuster plus divertissant et tourné vers l'action que durant le run de Hickman. Et dès les premiers épisodes, il n'y est pas allé avec le dos de la cuiller, envoyant un kaiju alien puis carrément la vague d'annihilation et dernièrement le Maître de l'Evolution contre les champions mutants.
Le souci, c'est que cette volonté de tout miser sur le grand spectacle et l'action à tout-va a pris le pas sur tout le reste : pas le temps pour les membres des X-Men de s'entraîner, de faire connaissance, pas de place pour installer un véritable esprit de groupe. Duggan a dû penser que le lecteur ferait ce travail à sa place puisque Cyclope et Marvel Girl forme un couple, que Wolverine et Synch avaient vécu une romance dans la Voûte (sans qu'on sache vraiment si Wolverine s'en rappelle aussi bien que Synch), que Malicia était une X-woman populaire depuis longtemps, et que Sunfire et Polaris feraient leur trou tout seul.
Mais ce n'est pas évidemment pas aussi simple. Le lecteur, je crois, a besoin de scènes où les héros apprennent à cohabiter, non seulement pour solidifier leur esprit d'équipe mais aussi pour interagir, pour créer des liens de sympathie, d'amitié, d'amour ou de rivalité. Plus que toute autre fomation super-héroïque, l'ADN des X-Men s'est construit dans un mélange éternel de soap opera et de super-héroïsme. Lisez donc actuellement The Unbelievable Unteens de Jeff Lemire et Tyler Crook, leur version des X-Men dans le monde de Black Hammer, et vous comprendrez à quel point le scénariste canadien a bien résumé les clichés, le folklore propres aux mutants pour en tirer sa propre version.
Cela est cruellement absent de la version de Duggan. Y compris dans cet épisode où, pour une fois, les mutants n'affrontent pas une nouvelle menace cosmique et n'engagent pas un combat titanesque. Ils sont visités par Cauchemar (qui profite de l'assassinat récent du Dr. Strange, dans la mini-série The Death of Dr. Strange de Jed MacKay et Lee Garbett) la nuit d'Halloween. Cet intrus sonde les rêves tourmentés de Wolverine (un peu), mais surtout de Cyclope et de Marvel Girl. Mais quand celle-ci s'en aperçoit, elle éjecte l'importun fissa, en prouvant qu'elle est de taille, en tant que mutante de niveau oméga, à lui tenir tête. Et après ?
On n'apprend rien de neuf : Cyclope est hanté par son fils, Nathan Summers/Cable, Jean Grey par le Phénix et Wolverine par la Voûte. Cette aventure a tout d'une parenthèse sans conséquence, puisque ni Sunfire, ni Malicia, ni Polaris, ni Synch n'auront été impactés. Marvel Girl retourne se coucher en ne mentionnant rien de son intervention à Cyclope. C'est passé, et c'est tout. Si rien ne s'était passé, ça aurait été strictement la même chose.
Le pire, dans tout ça, c'est qu'on sent que Duggan écrit les X-Men pour donner au lecteur ce qu'il attend, alors que lui ne semble pas franchement intéressé. Il ronge son frein pour, dans les dernières pages, renouer avec ses subplots (pas moins de trois simultanés !) où on suit Ben Urich sur la tombe profané de Nathan Summers dans le cadre de son investigation sur les résurrections mutantes inexpliquées. Puis le Dr Stasis envoie un rapport à Orchis où il mentionne très subtilement un certain projet Polyphème (qui était le nom du cyclope battu par Ulysse dans l'Odyssée, et qui renvoie donc à la mort de Cyclope dans la station Orchis lors de House of X #4). Et enfin on retrouve le milliardaire Feilong en route pour Mars, en train de s'exposer aux rayons cosmiques à travers du quartz rubis (le même matériau qui équipe la visière de Cyclope).
Si Duggan osait, comme l'aurait fait Hickman, consacrer un épisode entier pour développer ces subplots, quitte à priver le lecteur de toute apparition des X-Men, sans doute se soulagerait-il et peut-être reviendrait-il le mois suivant à une histoire avec ses héros, sans que cela ne gêne grand-monde en vérité. A lieu de ça, il trousse une histoire sans conséquence avec Cauchemar, puis accélère comme un fou pour développer ces sous-intrigues en fin d'épisode. Ce n'est ni fait, ni à faire. Qu'il relise Claremont et Byrne pour apprendre à gérer les subplots, ça n'a pas vieilli, c'est toujours un modèle du genre, et les X-Men vivaient des aventures palpitantes, avec une caractérisation irréprochable.
J'avoue une certaine lassitude, ce qui n'est pas bon signe au bout de seulement quatre numéros. Je me donne jusqu'à la fin 2021 (c'est-à-dire jusqu'au #6) pour décider si je persiste à suivre X-Men version Duggan. A ce moment-là, on en saura également certainement plus sur la franchise post-Hickman et si ça vaut le coup de poursuivre l'aventure ou de procéder à un tri très sélectif.
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