Je n'avais jamais vu la tétralogie Hunger Games et j'ai voulu corriger ça ces derniers jours en visionnant les films de cette saga cinématographique à succès, adaptée des romans de Suzanne Collins, qui ont consacré Jennifer Lawrence comme une vedette - en parallèle à sa carrière tout aussi brillante dans des productions d'auteur. Le résultat : un habile mais captivant cocktail de divertissement et de réflexion politique sur fond de symboles dans un cadre dystopique.
Effie, Haymitch et Katniss (Elizabeth Banks, Woody Harrelson et Jennifer Lawrence)
Katniss Everdeen, 16 ans, vit dans le District 12 de l'Etat de Panem, autrefois les Etats-Unis d'Amérique. Le pays a pour Président Snow, qui le dirige d'une main de fer après avoir, jadis, mis fin dans un bain de sang à une insurrection populaire, détruisant notamment le 13ème District.
Snow, le Président de Panem (Donald Sutherland)
Pour distraire la bourgeoisie du Capitole mais aussi dissuader la populace de se rebeller à nouveau sont organisés depuis 73 ans les "Hunger Games" (les Jeux de la Faim") pour lesquels sont tirés au hasard deux adolescents mixtes dans chaque District. Ils doivent ensuite s'affronter dans une série d'épreuves dans une arène sous un dôme jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un seul vainqueur.
Katniss et Gale (Jennifer Lawrence et Liam Hemsworth)
Face à cela, Katniss et son ami Gale, qui s'aiment depuis l'enfance, font contre mauvaise fortune bon coeur, attendant résignés l'année où ils seront sélectionnés tout en rêvant de s'enfuir dans les forêts environnant leur District en y chassant à l'arc (discipline pour laquelle ils sont remarquablement doués).
Caesar, Katniss et Peeta (Stanley Tucci, Jennifer Lawrence et Josh Hutcherson)
Mais lorsque c'est sa soeur cadette, Prim, qui est désignée pour participer aux Jeux, Katniss la remplace en se portant volontaire et elle fait ensuite équipe avec Peeta Mellark, le fils du boulanger, également épris d'elle, mais sans le lui avoir avouée. Ensemble, ils déjouent les pièges et ont raison de leurs adversaires, Katniss s'attirant même la sympathie des autres Districts en accompagnant une jeune candidate dans son agonie, ce qui déplaît à Snow. In fine, Katniss et Peeta sont déclarés vainqueurs de l'édition après avoir menacé de se suicider plutôt que de s'entretuer.
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Le triomphe du premier film conduit naturellement le studio Lionsgate à enchaîner avec la production d'une suite, avec l'espoir de confirmer et d'exploiter la franchise comme Twilight auparavant. Le budget grimpe notablement comme cela est visible à l'écran mais le réalisateur change : Francis Lawrence s'installe dans le fauteuil et ne le quittera plus, nouant avec Jennifer Lawrence une collaboration fructueuse (jusqu'au récent Red Sparrow, sorti cette année et dont j'ai parlé dernièrement).
Peeta, Haymitch et Katniss
Suite à leur sacre, Katniss et Peeta deviennent les jouets de la propagande du Capitole et enchaînent avec une tournée dans les Districts pour promouvoir les vertus du régime. Ils sont accompagnés par Haymitch, leur coach, et Effie, leur costumière, dans un train spécialement affrété.
Katniss et Peeta
Katniss se montre peu coopérative, écoeurée après avoir vu le faste dans lequel vit la bourgeoisie de la capitale alors que les Districts sont dans le dénuement complet. Mais Snow l'a menacée de s'en prendre à sa famille si elle n'est pas plus docile pour apaiser les velléités de rébellion qu'elle inspire. En vérité, le Président veut se débarrasser d'elle et charge pour cela le haut-juge Plutarch d'organiser l'assassinat de l'adolescente.
Le haut-juge Plutarch (Philip Symour Hoffman)
Plutarch lance alors l'idée d'organiser une édition spéciale des "Hunger Games" dit de l'Expiation dans lesquels les champions des précédentes années s'affronteraient. A nouveau Katniss et Peeta (qui a refusé que Haymitch le remplace, malgré la promesse faite à Katniss) font équipe. Mais cette fois les concurrents nouent des alliances pour ne pas se massacrer. Le point culminant de cette fronde a lieu quand, séparée de Peeta à la suite d'une péripétie, Katniss brise la plafond du dôme de l'arène avec une de ses flèches. Elle est alors évacuée à bord d'un overcraft.
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L'Embrasement est un carton tel que Hunger Games devient un vrai phénomène au box office et dans les médias : l'emblème du Geai Moqueur auquel est associé l'héroïne de la saga et qui est le signe de ralliement des rebelles devient même, à l'époque, un logo pour les plus jeunes spectateurs. Le studio Lionsgate, constatant qu'il tienne un filon inestimable prend alors la décision de transformer ce qui était conçu comme une trilogie en quatre films, coupant l'histoire du troisième opus, La Révolte, en deux parties. Un choix qui décevra la critique et divisera les fans sans diminuer les recettes...
Tous derrière le "Geai Moqueur"
Katniss découvre qu'elle a été exfiltrée par la Rébellion dont le haut-juge Plutarch est l'éminence grise et Gale Hawthorne, son ami d'enfance, un des soldats. Tous se cachent dans les souterrains du District 13, autrefois rasé par Snow, sous le commandement de leur propre chef, la Présidente Coin, consciente de l'importance de Katniss mais qui aurait préféré sauver Peeta, plus malléable.
La Présidente Coin (Julianne Moore)
Plutarch, Coin, Haymitch et Effie préparent Katniss à jouer le rôle du Geai Moqueur, l'égérie de la résistance à Snow dans des films de propagande afin d'unifier les Districts contre le Capitole. Mais la jeune femme n'est pas à l'aise pour jouer la comédie, plus soucieuse de savoir si Peeta est encore vivant.
Peeta
Ce qui va la motiver, ce sont les découvertes de la destruction du District 12 (dont Gale a réussi néanmoins à sauver sa mère et sa soeur) et la présence, dans une vidéo du régime, de Peeta comme partisan de Snow, comme si on lui avait lavé le cerveau, appelant à la cessation des combats. Un raid est organisé pour délivrer le compagnon de Katniss mais en le retrouvant, elle le découvre conditionné mentalement pour la haïr, ce qui la plonge dans la détresse et la colère contre Snow...
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Plus encore que les précédents volets, la seconde partie de La Révolte est donc la suite organique de Hunger Games 3 : l'histoire reprend exactement là où elle s'arrêtait et met en scène le dernier acte de la saga dans une super-production ambitieuse, à la fois synthèse et conclusion. Francis Lawrence et Jennifer Lawrence retrouvent tout leur élan pour leurs adieux à cette saga.
En route pour prendre le Capitole avec Boggs (au centre : Mahershala Ali)
Katniss, ivre de vengeance après le traitement infligé à Peeta, s'échappe du District 13 avec le projet d'assassiner Snow. Mais sa réputation et son signalement la précédent désormais partout où elle se déplace et Gale, avec la compagnie dans laquelle il sert, ne tarde pas à la localiser. Bon gré mal gré, un commando accepte de la soutenir dans la mission qu'elle s'est fixée à condition qu'en chemin elle continue d'être filmée pour des vidéos de propagande au bénéfice de la Rébellion.
Dans les entrailles du Capitole avec Peeta, Katniss et Cressida (Natalie Dormer)
En plus des pièges qu'il rencontre durant leur progression en remontant vers le Capitole, le groupe doit aussi composer avec Peeta que Plutarch a jugé opportun de rapprocher de Katniss afin qu'elle ne tente pas de semer les soldats qui l'escortent. Mais l'état mental du jeune homme en fait un danger supplémentaire dans un environnement déjà très hostile. Le commando perd ainsi son chef dans une embuscade mais, juste avant de mourir, il a désigné Katniss comme son second.
Peeta et Katniss
Atteignant le Capitole, après avoir essuyé d'autres pertes humaines, Katniss décide de profiter de l'invitation de Snow à ses partisans de rejoindre son palais pour y être protégés et s'infiltre parmi eux avec Gale. Mais alors qu'ils arrivent aux portes du bâtiment, des vaisseaux de la Rébellion bombardent la foule et tuent des centaines de civils innocents, dont la soeur de Katniss, Prim, venue porter secours en sa qualité d'infirmière.
Katniss
Lorsqu'elle revient à elle, Katniss constate que Snow a été renversé et que la Présidente Coin a pris sa place. Invitée à prendre place à la table des décisions du nouveau gouvernement provisoire, avant des élections prévues dans plusieurs mois, Katniss entend la dirigeante proposer la tenue de nouveaux "Hunger Games" pour calmer la foule qui souhaite l'exécution massive des anciens partisans de Snow. La proposition divise mais Katniss la soutient en échange du privilège de tuer en place publique Snow - c'est une ruse pour abattre Coin. Son geste lui vaut d'être bannie, renvoyée dans le District 12 en ruines, où Peeta la rejoint vite. Ils deviennent amants et parents, libres enfin du tumulte et des intrigues politiques.
De 2008 à 2012, la saga Twilight a raflé la mise au cinéma, après avoir été un succès de librairie : cette romance fantastique sur fond de vampires et de lycanthropes conquit le coeur de midinettes éprises de Robert Pattinson et permit à Kristen Stewart d'accéder à une popularité immense. Malgré une niaiserie souvent épinglée, on assistait à un phénomène proche de celui des Harry Potter, avec de jeunes héros aux destins contrariés par des forces obscures.
Cela allait donner lieu à une vraie recette qu voulurent reproduire toutes les majors companies d Hollywood en achetant les droits de romans en plusieurs tomes susceptibles de charmer le même public avec des arguments narratifs similaires. A ce jeu-là, finalement, peu rivalisèrent avec Twilight et Harry Potter, et bien des starlettes sur lesquelles les studios comptaient pour devenir la nouvelle Kristen Stewart ou de jeunes bellâtres pour succéder à Robert Pattinson furent vite jetés aux oubliettes.
Jusqu'à ce que Lionsgate mit la main sur les best-sellers de Suzanne Collins et entreprit d'en faire leur machine à cash. Le pari, rétrospectivement, était ambitieux car le fond des romans n'était pas optimiste et possédait un discours politique, certes manichéen, mais détonant par rapport aux adaptations de Stephanie Meyer (Twilight) ou J.K. Rowling (Harry Potter). On est là dans le registre de la dystopie et de l'uchronie, et même sans rivaliser avec la complexité d'un Philip K. Dick, c'est tout de même moins léger et sentimental que les amourettes des vampires ou l'apparentissage des sorciers.
La production du premier film Hunger Games trahit d'ailleurs une certaine prudence (et une prudence certaine) : la réalisation est confiée à Gary Ross, qui est davantage un habile faiseur, un technicien compétent, ancien scénariste (on lui doit notamment Big de Penny Marshall avec Tom Hanks dans les années 80), qu'un auteur racé. Le budget dont il dispose est confortable mais on ne sent jamais qu'on a affaire à un long métrage taillé comme un blockbuster, avec de fastueux décors et une débauche d'effets spéciaux (seuls les costumes du Capitole se distinguent par leur exubérance). Néanmoins, il y a quelque chose dans cette modestie qui rend le résultat direct, sans fioritures, très efficace, comme si, en cas d'échec ou du moins de résultats insuffisants au box office, le film devait se suffire à lui-même.
Le propos est original et brode autour d'une version moderne des jeux du cirque romain conçus pour distraire l'élite et contrôler le peuple par le divertissement. Dans la république de Panem, les jeunes adolescents sont de la chair à canon, des outils pour le pouvoir autoritaire en place, qui se sacrifient pour le District auquel ils appartiennent dans une loterie cruelle et absurde. Le concours n'est rien d'autre qu'une battle royale où il ne doit en rester qu'un à la fin.
Le plus choquant en dehors de cette compétition aberrante est le contraste que montre le film entre la bourgeoisie, oisive, composée de courtisans, de goinfres, ignorant (ou choisissant d'ignorer) la misère des Districts. Panem est une société concentrique : le Capitole en occupe le centre, les Districts à mesure qu'ils sont éloignés sont de plus en plus pauvres, désolés. Le Président Snow et ses sujets les plus proches sont habillés de vêtements colorés, coiffés de manière délirante, agissent avec affectation, ont profité de tous les avantages dus à leur rang (bonne éducation, confort matériel...). Les Districts sont gris, leurs habitants exercent des métiers pénibles, l'espérance de vie y est faible, leur condition archaïque (on y chasse à l'arc dans des forêts environnantes comme dans le District 12 dont est originaire Katniss).
Katniss est le produit de ce milieu et le scénario la décrit rapidement et très bien : c'est une archer remarquable, aussi déterminée que mélancolique, aspirant à fuir ce monde quitte à aller ailleurs en se contentant d'encore moins mais en étant libre. Ses projets sont bouleversés quand sa jeune soeur est choisie pour participer aux "Hunger Games" et elle se porte volontaire pour la remplacer, devinant qu'elle n'y survivra pas car elle n'est pas une guerrière et qu'elle veut préserver son innocence. Katniss est à cet égard une soeur exemplaire, une fille aînée remarquable, mais aussi un peu "l'homme de la famille" (sa mère vit seule, veuve).
Son partenaire est Peeta et non Gale, comme le spectateur pouvait s'y attendre et le prologue le suggérer en nous montrant Katniss chassant avec son ami d'enfance, beau et amoureux d'elle (et elle de lui). Ce choix scénaristique va bouleverser la donne de l'intrigue jusqu'à la fin de la saga, la rendant moins prévisible que ce qu'on craignait (même si Josh Hutcherson dans le rôle de Peeta tout comme Liam Hemsworth souffrent d'un égal manque de charisme préjudiciable).
Il est souvent décisif de trouver dans un film la scène où tout bascule et ici, elle se trouve lorsque Katniss assiste à la mort d'une très jeune concurrente noire, Rue, touchée à sa place. L'attention avec laquelle elle l'accompagne dans sa brève agonie et la sincérité de son chagrin après sa mort ainsi que, surtout, le signe de solidarité qu'elle adresse aux habitants du District de la sacrifiée éclairent son personnage d'une aura singulière et durable, autant parce qu'elle s'attire ainsi la sympathie des spectateurs que l'ire du Président Snow, qui comprend aussitôt qu'elle devient l'égérie des affamés - un grain de sel dans sa machine bien huilée, un danger contre le système, la potentielle étincelle d'une poudrière, celle par qui la rébellion pourrait resurgir. Donald Sutherland n'a pas à forcer son talent pour incarner alors le mal absolu, ce politicien déjà bien accablant qui, non content d'envoyer les enfants à la mort, a désormais comme adversaire une adolescente qu'il faut éliminer sans la transformer en martyr.
C'est ce que Francis Lawrence, un cinéaste qui a percé en 2008 et a ensuite servi des stars (comme Will Smith dans Je suis une légende ou Keanu Reeves dans l'adaptation du comic-book Constantine) avec un goût pour la belle image, va s'employer à développer avec un peu plus de style et d'envergure que Gary Ross dès le deuxième film.
Le premier opus a en effet cassé la baraque et Lionsgate n'a donc pas hésité à mettre en chantier non pas une mais deux suites, une trilogie orchestrée comme un crescendo. La franchise ainsi lancée profite même d'un atout inattendu quand, en 2012, son actrice principale reçoit, pour son exceptionnelle interprétation dans Happiness Therapy de David O. Russell, l'Oscar de la meilleure actrice. Désormais Hunger Games dispose non plus simplement d'une jeune comédienne prometteuse mais d'une lauréate de la prestigieuse académie, de quoi conférer une crédibilité artistique providentielle au projet qui passe de divertissement de masse pour un public jeune à une oeuvre portée par sa jeune vedette reconnue par le milieu.
Sous-titré L'Embrasement, le script du deuxième épisode a la délicate tâche de faire mieux que le premier tout en préparant une conclusion accrocheuse. Et il y parvient impeccablement avec restant focalisé plus que jamais sur le personnage de Katniss dont le Capitole fait un instrument de propagande au cours d'une tournée à la suite de sa victoire aux Jeux de la Faim. Mais la jeune femme n'est pas dupe ni très coopérative, elle n'obtempère d'ailleurs que sous la menace de Snow qui veut s'en prendre à sa famille.
Mais le ver est de toute façon dans le fruit : les Districts, même sous la contrainte des sinistres Pacificateurs (la police de Panem), accueillent Katniss et Peeta pour les écouter réciter un discours que personne ne veut plus entendre. Des exécutions sont commises contre des francs-tireurs, horrifiants le jeun couple. Plutarch, le haut-juge du gouvernement, convainc Snow d'organiser à la hâte de nouveaux Jeux dits de l'Expiation pour mater ce début de révolte : de manière sournoise, on va y opposer les vainqueurs des précédentes éditions dans l'objectif qu'un ancien champion aguerri saura éliminer Katniss et étouffer l'espoir qu'elle a suscité.
Lawrence mène son affaire avec beaucoup de maîtrise en profitant de moyens plus larges mais sans verser dans l'exagération. Il y a un sens du dosage exemplaire chez le metteur en scène qui lui permet de découper son récit en plusieurs étapes et on passe du premier au second acte avec de quoi encore surprendre. Les pièges qu'affrontent les candidats sont pervers à souhait (fumée empoisonné, animaux mutants, éléments déchaînés...), les forçant à nouer des alliances pour survivre. Katniss se méfie malgré tout de tout le monde, ayant deviné qu'elle est la cible à abattre.
Comme dans le premier film, il faudra une péripétie déchirante pour qu'elle agisse radicalement. Mais le réalisateur choisit une solution intermédiaire, moins tragique que la mort d'un candidat (ce qui évite la redite), se "contentant" de séparer Peeta de sa partenaire pour qu'elle interrompe la partie de façon spectaculaire dans un cliffhanger parfait à l'iconographie très christique (Katniss évacuée dans les pinces géantes d'un overcraft les bras en croix, à demi-morte électrocutée).
L'Embrasement dépasse en entrées et en gains le premier opus et va conduire Lionsgate à un choix plus commercial qu'artistique, que tout le monde lui reprochera : découper en deux parties le dernier chapitre et donc transformer la trilogie en tétralogie. Il n'y a pas de petits profits pour le studio qui espère ainsi doubler ses bénéfices. Le calcul ne dispensera pas le studio de devoir augmenter ses acteurs, peu désireux d'enchaîner deux nouveaux épisodes au prix d'un seul...
La Révolte 1 & 2/2 n'est cependant pas un ratage indigne car Francis Lawrence s'emploie avec énergie à filmer une histoire plus décompressée sans pour autant livrer un montage trop lâche (le troisième film dure ainsi seulement deux heures). Mais il ne peut malheureusement pas tout corriger et les scénaristes manquent l'occasion de développer des aspects importants comme leur aurait permis de le faire ce re-découpage du récit.
Aux mains de la Rébellion, installée dans le District 13 (autrefois rasé par Snow pour empêcher une insurrection), et commandée par la Présidente Coin (dont on devine, comme Katniss, qu'elle ne vaut guère mieux que son adversaire déclaré - et qui le lui rend bien car cette chef n'apprécie pas la jeune femme trop indocile pour ses projets de reconquête), Katniss prend pleinement la mesure de son rôle d'égérie, d'incarnation du Geai Moqueur (l'oiseau emblématique des insurgés). Mais cela ne signifie pas qu'elle sait jouer mieux cette partition que lorsque Snow voulait qu'elle serve la propagande du Capitole.
On le voit ainsi quand elle doit être filmée dans des petits films à destination des Districts hésitants à se rebeller. Elle n'est pas une actrice pouvant singer l'insubordination parce qu'elle l'a vécue et donc elle doit être saisie en situation. En apprenant par Gale, soldat de la Rébellion, que le District 12 a été détruit (mais que sa famille en a été évacué à temps), elle trouve l'inspiration et les accents de la pasionaria parce qu'elle a des raisons objectives d'en vouloir à Snow et de le défier. L'autre raison étant que Peeta est aux mains du Capitole...
Et le jeune homme, pour lequel Katniss a éprouvé depuis le premier épisode, des sentiments confus, apparaît lui aussi dans des vidéos émises par le régime présidentiel, soutenant Snow et appelant les révoltés à déposer les armes. Une mission est désignée pour aller le délivrer et quand il est ramené, avec d'autres candidats torturés, au District 13, Katniss découvre son ami rendu fou de haine contre elle, le cerveau lavé - une manoeuvre odieuse de Snow pour la décourager. Sauf que, évidemment, la colère va l'emporter sur le chagrin et la jeune femme, pour la satisfaction de Plutarch et Coin alliés, veut désormais faire payer personnellement le Président en le tuant pour tout le mal qu'il (lui) a fait.
Le quatrième film reprend avec adresse la structure même des Jeux de la Faim mais en l'appliquant à l'insurrection lors d'un raid auquel participent Katniss, Gale, Peeta, l'équipe de tournage des films de propagande de la Rébellion, et des soldats, en direction du Capitole. A nouveau on a droit à une succession de pièges, d'étapes, à des pertes humaines, à des courses d'orientation (à la surface et en sous-sol). Le spectacle renvoie, dans des décors ravagés par des bombardements et des obstacles sadiques, aux théâtres de guerre, laissant les villes des Districts à l'état de ruines. Francis Lawrence a le bon goût de ne pas esthétiser ces horreurs et se montre même étonnamment sobre pour les représenter (qu'il s'agisse d'explosions, de tirs échangés, de jets de flammes, de mutants voraces dans les égouts...), préférant souligner la tension au sein du commando, l'état mental fragile de Peeta (qui constitue un poids supplémentaire pour le groupe), l'émancipation de Katniss (qui doit rapidement remplacer le chef de l'équipe). Bien joué.
En revanche, les scénaristes manquent une occasion en or, dans le troisième film, de s'intéresser (et nous avec) à l'organisation de la Rébellion, sa hiérarchie, son passé, ses stratégies, sa base, son armée, ses équipements. Tout cela aurait été passionnant à décrire et aurait permis à l'histoire d'être enrichie sans sacrifier le reste (l'évolution de Katniss, ses retrouvailles contrariées avec Peeta, son amitié amoureuse sacrifiée avec Gale, la trahison de Plutarch qui abandonne Snow pour Coin...).
Cela est, en quelque sorte, compensé par la constance apportée au personnage de Katniss, et il est temps de parler de Jennifer Lawrence. La jeune actrice porte son personnage avec une rigueur impressionnante : elle est crédible en archer, en survivante acharnée, en égérie, en forte tête, sans oublier d'être séduisante (même lors des scènes de parade où elle est affublée de costumes kitschissimes). Son regard clair et perçant, son visage qu'on voit s'affiner des rondeurs de l'adolescence jusqu'à celui d'une jeune femme ayant vécu le pire, entourés d'une chevelure brune (comme dans Happiness Therapy, alors qu'elle est blonde et lumineuse au naturel), saisissent le regard. Elle capte l'attention naturellement et n'a aucun mal à voler la vedette même à des partenaires confirmés mais dont les prestations sont très inégales : pour une Elizabeth Banks au maquillage, coiffure et costumes ahurissants, qui donne le change, Woody Harrelson répète son numéro trop souvent vu de mec désabusé, noyant ses désillusions dans l'alcool, affublé d'un postiche ridicule, ou Julianne Moore échoue à surprendre en politicienne dont on devine trop vite la duplicité derrière un jeu froid, calculateur. Seul le regretté Philip Seymour Hoffman (mort en 2013, avant la fin du tournage, mais auquel est dédié le troisième épisode) donne satisfaction en Machiavel sans surjouer, avec une présence physique fabuleuse, à la douceur perfide.
La morale de ce casting, c'est que Jennifer Lawrence a besoin de comédiens de sa trempe pour que le film soit plus qu'une simple machine la mettant en valeur (David O. Russell l'a bien compris en lui associant Bradley Cooper et Robert de Niro). Car le succès et les prix d'interprétation plus le charisme immédiat de la comédienne lui ont donné une place à part dans le cinéma américain : bien que celui-ci regorge de jeunes actrices remarquables (Emma Stone, Kristen Stewart, Elle Fanning, Saoirse Ronan, j'en passe et j'en oublie), Lawrence est la seule à passer aussi bien des grosses productions sans s'y noyer aux films d'auteur en choisissant des cinéastes assez solides. Elle profite de l'attractivité de franchises lucratives (X-Men) comme de longs métrages "oscarisables", et même quand la critique étrille un de ses choix (comme dans le récent Mother !), elle trouve le moyen d'en tirer un bénéfice car on lui reconnaît le culot d'aller vers un projet casse-gueule (et qui se casse effectivement la gueule dans la presse spécialisée et au box office) en produisant une performance notable. Enfin, quand elle veut retomber sur ses pieds et retrouve son metteur en scène homonyme (même s'ils n'ont aucun lien de parenté), elle réussit à nouveau à performer dans les salles et à envoûter le public dans Red Sparrow de Francis Lawrence. C'est vraiment un cas.
La fin de la saga Hunger Games pourrait aussi illustrer le phénomène car l'histoire ne se termine pas franchement sur une happy end : Katniss, jusqu'au-boutiste, fait un choix tactique salutaire pour la démocratie mais sacrificiel pour elle. Son panache, c'est de réussir malgré tout à transformer son bannissement en libération, et même les derniers plans où on la voit, en couple avec Peeta, de retour dans le District 13 dont ils sont les seuls habitants, avec deux enfants en bas âge, diffuse la même mélancolie qu'on lisait dans ses yeux au tout début - celui de quelqu'un qui n'a jamais connu le bonheur spontanément mais a du lutter, abandonner beaucoup de choses, pour le gagner. Et promettant d'enseigner en priorité à sa progéniture ce pour quoi elle s'est battu, ce qui en vaut la peine de se battre, même en laissant derrière soi des amis, une carrière, la civilisation.
Pour échapper à la simplification ainsi, et malgré quelques errements de production, Hunger Games vaut la peine. A l'image de sa star, il y a dans cette épopée un éloge de la rectitude, de la droiture, de la pugnacité, sans concessions, irrésistiblement séduisant.