The Shade est une mini-série en 12 épisodes, écrite par James Robinson et dessinée par Cully Hamner (#1-3), Darwyn Cooke (#4), Javier Pulido (#5-7), Jill Thompson (#8), Frazer Irving (#9-11) et Gene Ha (#12), publiée en 2011-2012 par DC Comics.
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"Children."
(The Shade #1, page dessinée par Cully Hamner)
Super-vilain repenti, Richard Swift alias the Shade réside à Opal City, dont il est devenu un des protecteurs. Il vit une liaison avec Hope O'Dare, membre d'une famille de policiers qu'il a affrontée avant d'en devenir l'allié. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à ce que Deathstroke, le mercenaire, tente de l'assassiner.
Qui veut tuer the Shade ? Et pourquoi ?
Hope O'Dare laisse The Shade
partir enquêter.
(The Shade #2, pages dessinées par Cully Hamner)
The Shade décide de se faire passer pour mort afin d'enquêter pour identifier le commanditaire de Deathstroke et son mobile. Grâce aux informations recueillies par le détective William Von Hammer, il oriente ses recherches et part d'abord en Australie où il retrouve à l'article de la mort son arrière petit-fils, Darnell Caldecott, qu'il avait sauvé une première fois en 1944 contre les nazis. Aujourd'hui, il souffre d'une leucémie et pense en réchapper grâce à une transfusion sanguine de son aïeul.
Premier retour dans le passé, en 1944
(The Shade #4, pages dessinées par Darwyn Cooke)
Il gagne donc l'Espagne où il retrouve la Sangre, une vampire, sa fille adoptive, qui a peut-être conservé un échantillon de son sang. Avec Montpellier, un autre héros local, ils affrontent l'Inquisiteur. Mais la Sangre n'a plus d'échantillon sanguin de Swift.
The Shade compte sur la Sangre pour
l'aider à sauver son arrière petit-fils...
(The Shade #5, pages dessinées par Javier Pulido)
... Mais the Shade et la Sangre vont devoir
d'abord neutraliser, avec Montpellier,
l'Inquisiteur de Barcelone.
(The Shade #6, pages dessinées par Javier Pulido)
Le décés de Darnell conduit the Shade à se rappeler comment il rencontra son petit-fils, sans que ce dernier le sache, en France et en Angleterre en 1901.
The Shade rencontre son petit-fils par hasard
à Paris en 1901.
(The Shade #8, pages dessinées par Jill Thompson)
Il lui faut alors retourner à Londres, là où tout a commencé, pour résoudre son affaire et savoir lequel de ses héritiers est le "fruit pourri", celui qui veut le supprimer et pourquoi.
A Londres, tout a commencé et tout finit
pour the Shade
(The Shade #10, pages dessinées par Frazer Irving)
Puis, enfin, Richard Swift dévoilera dans quelles extravagantes circonstances, en 1838, avec son ami, l'écrivain Charles Dickens, il est devenu the Shade...
Les origines de the Shade enfin révèlées...
(The Shade #12, pages dessinées par Gene Ha)
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Après m'être procuré l'épisode 4, dessiné par Darwyn Cooke, l'envie de découvrir l'intégralité de cette mini-série n'a fait que grandir et j'ai attendu que DC la compile en un album. Non sans une certaine appréhension et les questions qui vont avec : James Robinson allait-il transformer l'essai ? Mieux : allait-il renouer avec sa verve d'antan (celle de l'auteur de JSA : The Golden Age ; Leave it to Chance ; et Starman - dont The Shade est le second spin-off, après une première mini en 1997) ?
Quand Robinson commença à écrire la série Starman en 1994, il recréa aussi un personnage charismatique, qui, à mes yeux, volait presque la vedette à Jack Knight : the Shade. Ce dernier était à l'origine un ennemi de Flash/Jay Garrick, imaginé en 1942, mais Robinson en fit tout autre chose : un immortel résidant à Opal City, d'abord malfrat puis protecteur de la ville, partenaire du héros local, Ted Knight, puis ses fils, ainsi que de la famille O'Dare, des policiers irlandais (il deviendra d'ailleurs l'amant d'Hope, une des filles du clan, également flic).
Le scénariste se servit aussi de ce second rôle pour donner une profondeur étonnante à son récit, par le biais du journal de the Shade, chronique de l'histoire d'Opal City et de ses aventures personnelles. Ceci plus les références à la pop-culture sous toutes ses formes (cinéma, musique, comics), une galerie de protagonistes admirablement bien pensée, des rebondissements multiples, des intrigues foisonnantes, ont contribué à ce que Starman soit une des séries les plus étincelantes qu'ait produite DC dans les 90's.
Après un run de 80 épisodes, Robinson conclut la série. C'était en 2001.
8 ans après, l'auteur effectua un come-back inattendu et bienvenu. Profitant de la saga Blackest Night et ses tie-in, il renoua avec l'univers d'Opal
City mais sans ramener sur le devant de la scène Jack Knight, au profit de the Shade, en développant sa romance avec Hope O’Dare. Puis s'ensuivirent des contributions moins heureuses, sur des titres exposés mais en pleine tourmente éditoriale (comme Justice League of America ou la mini-série Cry for Justice)...
De retour en terrain familier, Robinson avait beaucoup plus à perdre qu'à gagner et encore plus à prouver en se lançant dans cette mini-série, qui n'a certes pas rencontré le succès commercial (au point qu'elle faillit être annulée après 6 numéros) mais de bonnes critiques, soulignant le retour d'inspiration de son auteur.
Le prétexte de la tentative d'assassinat par Deathstroke permet à cette histoire de resituer the Shade et de l'embarquer dans un périple à travers l'espace et le temps. Robinson dépeint sont héros comme un quasi-retraité, mélancolique, que la menace qui pèse sur sa vie va réveiller - moins parce qu'il craint de mourir que parce qu'il a l'intuition immédiate que cela est une vieille affaire de famille qui remonte à la surface, parce qu'il doit enfin faire face à sa propre histoire. En vérité, il s'ennuie et l'aventure de découvrir qui lui en veut, l'opportunité de solder les comptes avec son passé, l'amuse, le stimule, l'irrite, et finalement va lui permettre d'être en paix avec lui-même.
Délibérement, Robinson emploie les trois premiers épisodes avec le dessinateur Cully Hammer (le plus décevant de ses partenaires, même s'il livre quelques belles pages dans le #3) comme un (peu long) prologue : il s'agit d'amorcer l'intrigue tout en déplaçant le personnage hors de son territoire. A partir de là, le voyage devient de plus en plus exotique, mouvementé. On quitte Opal City pour Hambourg, en Allemagne, puis Sydney, en Australie.
Mais le premier sommet de la série, là où l'entreprise devient un comic-book qui sort de l'ordinaire, survient lors du premier des flash-backs, les fameux "Times Past" : Darwyn Cooke et son encreur J. Bone subliment le script de Robinson, qui s'enhardit en se dotant d'un casting jubilatoire (notamment le Vigilant - longtemps, avant la publication de cet épisode, les fans crurent que Robinson et Cooke allaient consacrer une histoire complète à ce personnage improbable de justicier moderne déguisé en cowboy). Cooke est dans son élément (les années 40) tout comme Robinson :le résultat est merveileux, la série décolle, son niveau ne régressera plus.
Ensuite, on enchaîne avec un tryptique magnifique, dessiné par Javier Pulido, qui a pour cadre la ville de Barcelone, en Espagne is set in Barcelona,
Spain. Le personnage de la Sangre, une vierge vampire qui combat le crime et qui est en quelque sorte la fille adoptive du Shade, permet à Robinson de parler directement de ce qu'il maîtrise le mieux : la famille, l'héritage, avec de l'action, de l'humour, sur un rythme soutenu, des dialogues brillants. Le méchant de cet arc, l'Inquisiteur, est également très réussi, tout comme le justicier Montpellier.
Cette partie de la série est la plus réussie, la plus enlevée. Pulido donne son meilleur, en tirant partie des décors avec virtuosité, lors de scènes splendides (le final à la Sagrada Familia est bluffant, avec un découpage inspiré, des cases verticales, des silhouettes - "Toth-esque" !).
Tandis que la trame principale se déroule linéairement et efficacement, les flash-backs la poncutent en creusant chaque fois plus loin dans le passé comme en témoigne le "Times Past" en 1901 illustré par Jill Thompson.
L'artiste, reconnue pour son splendide travail (en couleurs directes) sur le roman graphique Bêtes de somme, emploie ici un style plus classique mais d'une belle élégance, mis en valeur par la colorisation de Trish Mullvihil (avec une gamme chromatique sobre de brun et beige).
Robinson donne un ton mélancolique à la fois poignant et ironique à ce chapitre, qui va aboutir à un dénouement spectaculaire et délirant.
Les trois épisodes suivants nous emmènent à la fois à Londres et en Egypte. Robinson a visiblement eu pour objectif de conclure son récit en y mettant les formes, convoquant des éléments grandiloquents - la franc-maçonnerie, des pharaons célestes, la capitale britannique ravagée : on en prend plein la vue !
Et comme c'est Frazer Irving qui dessine, la formule prend tout son sens. L'artiste n'a pas peur de jouer avec des couleurs saturées (presque trop d'ailleurs), mais ce traitement radical est à la hauteur du récit. Les évènements s'emballent, mais Irving dose ses effets, avec de belles trouvailles de mise en scène (recours au gaufrier, vignettes en diagonale, pleines et doubles pages : un crescendo visuel, mais qui fonctionne très bien sur trois chapitres - au-delà, ç'aurait été fatigant).
La résolution de l'intrigue est habile, cruel, et permet de boucler la boucle en aboutissant à la révèlation des origines du Shade.
C'est à
Gene Ha que revient la tâche de dessiner cet épilogue : l'artiste, qui avait déjà participé à la précédente mini-série sur le personnage, en 1997, donne sa version, très belle, de ce "Times Past" situé en 1838. Traité comme des gravures, avec une colorisation d'
Art Lyon presque monochrome (un sépia tirant sur le gris et le mauve), l'épisode est visuellement superbe.
Robinson n'est malheureusement pas aussi inspiré pour expliquer dans quelles circonstances Richard Swift est devenu le Shade. Il a beau inviter Charles Dickens, user de la voix-off (un instrument qu'il maîtrise pourtant parfaitement), je crois qu'il a commis une erreur en voulant tout dire sur son héros : il fallait mieux laisser aux ténèbres dont the Shade est le maître ce passage. Tout cela, quitte à être raconté, aurait gagné à être seulement suggéré plutôt que dévoilé... Mais peut-être que Robinson a tenu à être aussi explicite pour rester le seul à raconter cela. Ce que l'auteur a gagné en contrôle sur le personnage, le lecteur l'a perdu en fascination. Dommage (mais pas non plus grave au point de gâcher tout ce qui a précédé, soyons juste).
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Volontiers verbeux, inégal, mais d'une lecture jubilatoire, avec un personnage parmi les plus magnétiques de son éditeur, cette mini-série prouve que James Robinson a de beaux restes. Souhaitons qu'il confirme ce retour en beauté dans ses prochaines productions - et, pourquoi pas, que DC redonne sa chance à Starman, si possible sans le "rebooter".