jeudi 28 février 2019

HEROES IN CRISIS #6, de Tom King, Mitch Gerads et Clay Mann


Pour ce sixième épisode de Heroes in Crisis, le lecteur est gâté car Tom King retrouve son dessinateur de Mister Miracle, Mitch Gerads (Clay Mann ne signe que deux pages). On s'attend donc, et on obtient un numéro pas comme les autres pour une saga elle-même atypique. L'intrigue conserve son secret intact (un exploit) mais demeure aussi captivante.


Trois patients du Sanctuaire, avant le massacre qui y a eu lieu, s'interrogent, lors de leurs "sessions", sur la notion de sauver. Les héros sauvent des innocents. Se sauvent-ils aussi par la même occasion ? Ou se perdent-ils dans cette activité sans fin ?


Gnarrk est un homme préhistorique qui est revenu à la vie à l'ère moderne. Il se rappelle du temps où il voyageait à dos de mammouth et se battait d'abord pour survivre, face aux bêtes sauvages et les autres hommes.


Wally West, lui, est revenu aussi d'entre les morts et a incarné pour cela l'espoir pour tous ses pairs. Mais son appréciation était différente car il avait perdu sa femme et ses enfants - une peine insurmontable, une solitude hantée.


Harley Quinn s'est incrustée au Sanctuaire sans y être invitée ni inscrite, pour voir son amie Poison Ivy. Celle-ci lui a fait profiter de la technologie de l'endroit pour qu'elle tente de se désintoxiquer du Joker.


Puis l'alarme a retenti, sommant les patients de quitter le Sanctuaire. Harley est restée derrière puis, quand elle est sortie, elle a surpris Booster Gold qui tuait Wally West. Si un héros tue ses semblables, qui sauvera les héros ?

Comme pour le #3, illustré par Lee Weeks, Tom King a su moduler son récit afin que le remplaçant provisoire de Clay Mann (qui ne signe que les première et dernière pages) s'intègre à la saga sans que le lecteur soit perturbé.

Cela ne signifie pas pour autant que la présence de Mitch Gerads, appelé en renfort pour soulager Mann, aboutit à un épisode bouche-trou, pour gagner du temps. Le scénariste en profite à nouveau pour revenir sur le lieu du crime et interroger à la fois les victimes et le lecteur sur ce qui a causé le massacre du Sanctuaire.

Mais King ne dévoile pas (pas encore) qui a fait quoi et pourquoi. Depuis que l'histoire a débuté, on l'a vu, l'auteur de Heroes in Crisis néglige volontiers le travail d'enquête classique. Contrairement à Identity Crisis ( de Brad Meltzer), auquel on la compare souvent à tort, l'intrigue esquive le cliché des super-héros rassemblés pour percer le mystère d'un crime multiple. Batman et Flash ont bien été montrés en train de relever des indices, d'inspecter l'endroit, mais guère plus.

On peut s'étonner de cette apparente désinvolture, du fait que de fins limiers ne soient pas convoqués pour résoudre cette énigme, surtout quand on sait le nombre de victimes, la violence de l'attaque, l'impact dans la communauté super-héroïque et dans l'opinion publique (maintenant que les faits ont été révélés aux médias). C'est un vrai pari narratif, qui explique sans doute les réactions très divisés des fans.

Mais en vérité tout procède chez King d'une volonté de laisser travailler le lecteur justement, de ne rien lui asséner, ou du moins de le laisser gamberger, phosphorer. Chacun peut (ou non) émettre des hypothèses, parier sur le coupable, son mobile. Mais King brouille à plaisir les cartes, suggérant même que toute une partie de ce qu'on a lu est peut-être une hallucination ( après tout les deux suspects sont une folle et un voyageur temporel à la masse). Mais, pour qui accepte ce dispositif, Heroes in Crisis est une expérience passionnante, qui révolutionne sans en avoir l'air les traditionnels events en écartant tout ce qui en fait le folklore (le casting foisonnant, les bastons spectaculaires, la démesure... Au profit d'une réflexion sur le traumatisme, la culpabilité...).

King cite, dans le texte, Keats, Rousseau, Darwin, Platon, évoque la solitude, la toxicité de la vie de héros. En vérité, tous sont des êtres cassés, et les patients du Sanctuaire sont ceux qui le reconnaissent, même s'ils l'avouent parfois difficilement, laborieusement. Admettre qu'on se bat en sachant qu'on ne sauvera pas tout le monde, qu'on est même la première victime de cette activité, qu'il devient impossible de dissocier sa vie sociale de son existence de héros, qu'on est créé parfois par le mal qu'on combat, ou qu'on peut regretter une vie où on était la cible et pas celui qui empêche des drames, tout cela n'est pas simple. Gnarrk l'homme des cavernes, Wally West, Harley Quinn en témoignent, et King parvient à rendre leurs paroles poignantes, troublantes.

Comment dès lors imaginer qu'un autre que Mitch Gerads dessine cet épisode ? Après avoir si bien contribué à traduire le flou de Mister Miracle, il était programmé pour ce numéro tout entier construit autour de l'appréciation des choses et de soi.

L'artiste n'a pas à composer avec un découpage aussi rigide que sur la maxi-série Mister Miracle, mais il sait trouver le cadre, l'angle de vue justes pour souligner le malaise grandissant de ce chapitre. Les accolades données à Wally West, symbole d'espoir quand lui-même est désemparé par la perte de sa famille ; les pérégrinations de Gnarrk philosophant sur son passé difficile mais simple dans la préhistoire ; ou l'auto-perdition dont Harley Quinn prend la mesure dans le sillage de la thérapie suivie par Poison Ivy, sont autant d'expressions auxquelles les dessins de Gerads procurent une forme, une intensité, une densité épatantes.

En captant un regard effrayé, las ou au bord des larmes, un geste trahissant le désarroi, le fatalisme ou la sidération, Gerads complète admirablement la partition de King. Et lorsqu'à l'avant-dernière page, Harley surprend Booster Gold, on en est quitte pour de nouveaux doutes sur qui a fait quoi et pourquoi.

Bien malin qui peut affirmer l'identité du coupable et son mobile. En revanche, ce qu'on sait, c'est que Heroes in Crisis risque de perturber durablement les amateurs de sagas fédératrices - et, peut-être, qui sait, si les autres scénaristes prennent en compte ce qu'a mis en place King (à l'instar des auteurs de Green Arrow par exemple), les héros DC eux-mêmes. Pensez : un event qui aurait de vraies conséquences durables...
  
La variant cover de Ryan Sook.

mercredi 27 février 2019

SUR LA PLAGE DE CHESIL, de Dominic Cooke


Ian McEwan est un des plus grands romanciers britanniques et, à 71 ans, il n'a plus rien à prouver. Pourtant, il a accepté d'adapter lui-même un de ses plus beaux textes pour le premier film de Dominic Cooke : Sur la plage de Chesil. Le résultat est moins poignant que le livre mais fort beau quand même, surtout grâce à son couple de comédiens exceptionnels.

 Florence et Edward (Saoirse Ronan et Billy Howle)

1962. Edward Mayhew, issu d'un milieu modeste, rencontre Florence Pontig, fille de bonne famille, alors qu'ils viennent tous deux d'obtenir, avec mention, leur baccalauréat. Il se destine à devenir historien, elle concertiste - elle est premier violon dans un quatuor du lycée (et courtisée par le violoncelliste, Charles Morrell).

 Eddie et Flo

Mais c'est le couple de foudre entre Flo et Eddie. Ils se plaisent, rencontrent leurs familles respectives et décident de se marier sans attendre. Pourtant, comme le suggèrent les parents de la jeune fille et le père du jeune homme, ils devraient attendre car cela est précipité.

 Le dîner de la lune de miel

Mais ils n'écoutent pas leurs aînés et partent sur la plage de Chesil pour leur lune de miel. L'ambiance est tendue, les amants empruntés dans cette intimité loin de tous leurs repères. Eddie désire sa femme, Flo se montre distante. Il s'impatiente, elle cède. Ils passent au lit...

 Sur la plage de Chesil

Flo tente de gagner du temps en incitant Eddie à parler de leurs passés, jusqu'à leur rencontre. Le garçon a souffert de la démence traumatique précoce de sa mère et souhaite profiter d'une promotion sociale. Elle tait les abus sexuels commis à son encontre par son père et sur lesquels sa mère a fermé les yeux. Quand Eddie va pénetrer Flo, elle le repousse, dégoûtée, et s'enfuit sur la plage. Une violente explication acte la fin de leur mariage, jamais consommé, et annulé peu après.

Un bonheur illusoire...

Treize ans après, en 1975. Eddie tient un magasin de disques lorsqu'une fillette vient acheter une compilation de Chuck Berry pour l'anniversaire de sa mère. Il devine qu'il s'agit de la fille de Flo... En 2007, Eddie vit dans la maison de feu ses parents lorsqu'il apprend que le quatuor de Flo donne son dernier concert. Il assiste à la représentation et elle l'aperçoit dans le public. Ils pleurent, rattrapés par l'emotion et les regrets.

Le roman de Ian McEwan tenait plus de la grosse nouvelle : son argument minimal, sa construction, sa pudeur déchirante n'en devenaient que plus forts, plus intenses. C'est la marque de cet écrivain génial et cruel. Joe Wright avait déjà souligné cela dans son adaptation d'Expiation, son chef d'oeuvre, sous le titre Reviens-moi, une autre romance contrariée et terrible.

A l'origine pourtant, l'auteur n'était pas impliqué dans la réalisation de ce projet : c'est le cinéaste Sam Mendes qui devait s'en charger, mais il a préféré se consacrer à Skyfall, un épisode de "James Bond". Il avait pourtant prévu d'engager Carey Mulligan pour le rôle de Florence Pontig.

Puis le débutant Dominic Cooke a hérité de l'affaire et convaincu McEwan de rédiger lui-même le script, lui permettant d'apporter quelques modifications au manuscrit original. Il n'empêche, il fallait du culot pour porter ce récit sur grand écran sans tomber dans le mélodrame lacrymal.

Au bout des 110 minutes du long métrage, subsistent quelques longueurs, et, pour ma part, j'aurai volontiers zappé l'épilogue qui montre les deux acteurs lourdement maquillés pour paraître sexagénaires - ou alors il me semble qu'il aurait été préférable que des interprètes de cet âge les remplacent pour ce final. L'effet est raté et gâche un peu ce dénouement.

Mais, avant cela, c'est un sans-faute : la narration qui alterne la lune de miel dans un hôtel de Chesil Beach et des flash-backs sur la rencontre de Florence Pontig et Edward Mayhew est habilement développée. On passe avec beaucoup de fluidité et de tension mêlées du coup de foudre au malaise prégnant entre les deux tourtereaux qui ont confondu leur amour avec la vie conjugale, qui se sont engagés sans se connaître vraiment, sans mesurer justement le fossé socio-culturel qui les sépare.

McEwan suggère avec une admirable subtilité des éléments qui, chez d'autres, péseraient des tonnes de pathos, comme la maladie de la mère de Eddie (dont on comprend bien le drame tout l'abordant de manière très délicate) ou les soupçons d'abus sexuels du père de Flo sur ladolescente qu'elle fut (et qui explique, rétrospectivement, sa frigidité).

Quand arrive le pic du film avec l'explication entre quatre yeux des tous frais époux, après le fiasco de leur première fois au lit, la simplicité des dialogues et la puissance tranchante des mots résument parfaitement l'acuité de McEwan pour dévoiler la frustration des protagonistes. Le marché que propose Florence à Edward devient alors tellement insensé que la réaction du jeune homme est moins dure qu'inévitable : plus qu'inacceptable, le deal est impossible, même si Flo aime sincèrement Eddie et qu'il s'en apercevra plus tard.

La réalisation de Cooke a le bon goût de ne rien souligner. C'est ce qu'il faut. Il a deux Stradivarius devant son objectif et il suffit d'enregistrer leurs prestations au cordeau pour que le film s'élève vers des sommets tout seul.

Billy Howle est la révélation brute et touchante de l'histoire : on compatît complètement à sa situation tout en pressentant dès le début qu'il commet une erreur. Mais cette "erreur" a le visage d'une pureté absolue de Saoirse Ronan, et qui y résisterait. La jeune comédienne confirme son excellence après Lady Bird : sa sensibilité, sa beauté éthérée, son élégance et sa justesse sont confondantes. Elle brille sans éclipser son partenaire - au contraire, elle fait ressortir son côté brut par sa fragilité.

Même si certains esprits chagrins ont reproché à McEwan, et par ricochet à Cooke, d'accabler Florence et de mésestimer le stress lié à la sexualité pour une jeune femme, surtout dans les années 60 corsetées, Sur la plage de Chesil est une vraie oeuvre romantique et romanesque, sublimement incarnée et écrite.

mardi 26 février 2019

THUNDER ROAD, de Jim Cummings


Développé à partir du court métrage du même nom, Thunder Road est le premier film de Jim Cummings, qui en est aussi le scénariste, le monteur et l'acteur principal. Financé participativement sur la plateforme Kickstarter, c'est une petite merveille à la fois drôle et poignante, en équilibre permanent - un vrai petit miracle de cinéma.

 Jimmy Arnaud (Jim Cummings)

Policier décoré mais en instance de divorce, Jimmy Arnaud voit sa vie basculer quand sa mère meurt. Une messe est dite en sa mémoire et il prononce un discours émouvant avant d'esquisser quelques pas de danse, devant une assistance gênée.

 Nate Lewis et Jimmy Arnaud (Nican Robinson et Jim Cummings)

Désobéissant à l'ordre de son supérieur, Jimmy reprend le travail au lieu de profiter d'un congé. En compagnie de son collègue et ami Nate Lewis, il arrête un SDF aviné, mais l'intervention dégénère et il est sommé de rentrer chez lui.

 Crystal Arnaud et son père, Jimmy (Kendall Farr et Jim Cummings)

Bien qu'il ait besoin d'argent, il se résoud pas à vendre la salle de danse de sa mère. Mais lorsque Rosalind, sa femme, lui annonce son intention de réclamer la garde exclusive de leur fille, Crystal, pour s'installer ailleurs avec son nouveau compagnon, il est désemparé.

 Crystal

Invité à dîner chez Nate, Jimmy est recommandé à l'avocate de de son collègue. Mais en passant devant le juge, Jimmy, trop nerveux, s'exprime mal et le magistrat prend sa défense pour des menaces. Le verdict tombe comme un couperet : il perd la garde de sa fille.

 Nate

Jimmy se dispute avec Nate devant le poste de police et, sans s'en rendre compte, dégaine son arme de service. Il est renvoyé et se cloître chez lui pour se soûler. Nate culpabilise et lui rend visite pour le réconforter, tout en mesurant sa chance d'avoir une vie de famille plus équilibrée.

 Morgan, la soeur de Jimmy (Chelsea Edmundson)

Sachant qu'on risque de saisir sa maison, Jimmy se rend chez sa soeur aînée, Morgan, pour lui demander de l'héberger. Elle lui fait des révélations sur leur mère et l'arrêt de sa carrière de danseuse suite à une blessure. Il ignorait tout cela et saisit que Morgan a dû le cacher pour l'épargner. Jimmy renonce à demander le gîte et le couvert à son aînée.

 Jimmy et Nate

De retour en ville, Jimmy est interpellé par un ancien collègue qui lui annonce que sa fille a appelé la police à cause de Rosalind. Celle-ci a succombé à une overdose et son compagnon est en fuite. Jimmy rassure Crystal dont il promet de bien s'occuper, en commençant par quitter cet endroit.

Jimmy

Quelque temps après, le père emmène sa fille assister à la représentation d'un ballet. Crystal traîne les pieds avant d'être subjugée par le spectacle, ce qui émeut aux larmes Jimmy.

Le film s'ouvre (presque) par un long plan-séquence d'une douzaine de minutes : on assiste à la messe dite pour la mère du héros qui se fend d'un discours interminable et décousu avant de s'achever maladroitement par quelques pas de danse devant les proches stupéfaits de la défunte. 

On peut à la fois être impressionné par la prouesse technique et complètement sidéré par la véritable performance de Jim Cummings, qui est à la fois irrésistiblement drôle et très embarrassante. Mais ce prologue a surtout valeur de programme pour tout le film, sans cesse sur la corde raide, jusqu'à réussir à être simultanément parfois amusant et triste, décalé et déplacé, cocasse et malaisant.

Comme pour bien des premiers films, on sent chez son auteur une urgence, une volonté de tout déballer et on ne serait pas étonné que Cummings ait adapté des situations personnelles dans la descente aux enfers de son héros, qui perd sa mère, la garde de sa fille, sa femme, son meilleur ami, son job.

Pourtant, Thunder Road évite surtout le risque de trop-plein et alterne séquences longues, étirées jusqu'à la rupture et ellipses fulgurantes (si bien qu'on ne sait plus trop sur combien de temps s'étale l'histoire - quelque jours, semaines ?). Cela participe admirablement à la confusion de cet homme dont la vie part en morceaux et qui ne sait plus où il en est, dont les convictions s'effritent, les amitiés et les amours se barrent en sucette.

La chanson de Bruce Springsteen, qui donne son titre au film, et qui était la préférée de la mère de Jimmy Arnaud, (mais qui, hélas ! ne figure pas dans la bande-son) racontait justement la décision d'un jeune couple de quitter leur bourgade pour tenter leur chance ailleurs et voir leur amour s'épanouir, sans mésestimer le risque qu'il s'agissait d'une fuite en avant. Le héros ne veut pas partir mais le fera finalement pour se redonner de l'air et éloigner sa fille du malheur qui, lui, a failli le détruire.

Tout est là : on peut quitter l'enfance, la vie peut vous forcer à grandir, brutalement, mais notre enfance ne nous quitte pas. On croit nos parents immortels et lorsque nous devenons orphelins, en fait, tout le monde sans fout, impuissant face à notre chagrin et encombré par son expression. Jimmy intègre ça dans une cascade d'emmerdements cruels où il passe de fils à père.

Oeuvre totale et magistrale, mais aussi inconfortable, Thunder Road est un objet de cinéma à part, qui s'inscrit dans le registre indépendant mais avec une sensibilité unique. Jim Cummings est lui-même un cas atypique qui avoue en interview n'être pas un acteur né : après dix ans à produire des clips, des pubs, sans faire fortune, il réalise d'abord un court métrage (la fameuse scène inaugurale du film) puis monte une cagnotte sur le Net pour financer le long. Pour rendre le projet faisable, il cumule les postes de scénariste, acteur, réalisateur, monteur.

La limite de l'exercice est, évidemment, que les autres ont un peu de mal à exister dans ce cadre, éclipsé par le show Cummings. Pourtant il ne cabotine pas et livre une interprétation renversante (s'inspirant de ses idoles Steve Coogan et Robert de Niro), et se met en condition en visionnant avant chaque prise des scènes de Vice-Versa (le dessin animé de Pixar) ou en se remémorant William et Harry à l'enterrement de Lady Di (!).

On retiendra néanmoins, malgré tout, la petite et formidable Kendall Farr dans le rôle de Crystal, et Nican Robinson dans celui de Nate. Le quasi-monologue de Chelsea Edmundson, grande soeur du héros, est aussi un grand moment.

On quitte cette histoire la gorge serrée et pourtant heureux car, comme Jimmy Arnaud, croyant à un futur plus léger, en compagnie des fantômes. Peu de films parviennent à procurer un tel tourbillon émotionnel - en cela, c'est un film éminemment "Springsteenien". 

lundi 25 février 2019

THE FAVOURITE, de Yorgos Lanthimos


Les hasards du calendrier veulent que j'écrive cette critique juste après qu'Olivia Colman ait reçu l'Oscar de la meilleure actrice : la récompense ne pouvait guère échapper à la britannique à laquelle The Favourite offre un somptueux écrin. Pourtant le film de Yorgos Lanthimos est loin d'être l'oeuvre féministe que beaucoup prétendent : c'est un diamant noir sur la vengeance et une farce aigre sur le pouvoir.

Sarah et la reine Anne (Rachel Weisz et Olivia Colman)

1708. La France est en guerre contre l'Angleterre. La reine de Grande-Bretagne, Anne, dirige son pays depuis un château de province, mais préfère s'amuser et soigner ses lapins que se mêler de politique. Elle laisse cela à sa dame de compagnie, la duchesse de Malborough, Sarah Churchill, dont le mari est au front et qui est l'ennemie du chef de l'opposition au Parlement, Robert Harley, qui, lui, trouve ce conflit trop honéreux.

 Sarah et sa cousine Abigail (Rachel Weisz et Emma Stone)

Entre alors en scène Abigail Hill, lointaine cousine désargentée de Sarah qui lui a promis une place de servante au château. La jeune femme, qui souhaite retrouver son rang parmi la noblesse, sait vite se rendre indispensable en soulageant la reine d'une crise de goutte. Harley le remarque et cherche à s'en faire une alliée pour espionner Sarah et penser dans les débats.

 le chef de l'opposition au Parlement Robert Harley (Nicholas Hoult)

Ignorant cela et mésestimant dangereusement l'ambition de sa cousine, Sarah fait de Abigail sa femme de chambre. Lorsque cette dernière surprend la reine au lit avec la duchesse, elle décide de séduire Anne à tout prix. Aussi profite-t-elle des absences fréquentes de Sarah, accaparée par les séances au Parlement, pour se rapprocher de la reine.

 Abigail et Sarah : "Nous allons faire de vous une tueuse."

Lorsque Sarah se rend compte du succès des manoeuvres d'Abigail, il est trop tard : Anne a changé d'amante et refuse de la congédier. La jeune femme, vigilante, empoisonne la duchesse avant qu'elle ne parte en promenade dans la forêt voisine à cheval. Elle chute de sa monture qui la traîne jusqu'à un bordel dont la tenancière la soigne pour mieux la prostituer ensuite.

 Abigail

Contrariée puis vexée, car certaine que Sarah ne donne plus signe de vie par jalousie, la reine s'en remet totalement à Abigail. Celle-ci obtient un mariage avec Samuel Masham, qui la protégera, et complote pour que Anne intervienne au Parlement pour abréger la guerre comme le souhaite Harley.

 La reine Anne

La reine change de premier ministre et promeut Harley qu'elle charge de négocier un traité de paix avec les français. Sarah reparaît mais constate que la situation a changé irrémédiablement pour elle. Elle joue son va-tout en menaçant la reine d'un scandale en révélant leur liaison sexuelle, mais Anne, soutenue par Abigail, réplique en ordonnant le bannissement de la duchesse et son mari, sur la foi de fausses accusations de détournement de fonds publics destinés à l'armée en campagne.

 Sarah et la reine Anne

Sarah, déchue, accepte son sort. Abigail s'étonne de son manque de réaction mais s'apercevra bien vite qu'elle a hérité d'une place ingrate, auprès d'une régente dont la santé est de plus en plus fragile et le caractère de plus en plus cruel. 

Abigail et la reine Anne

On peut comprendre facilement le malentendu suscité par le film : une histoire en costumes avec trois femmes puissantes dans les rôles principaux, voilà qui ressemble en effet fort à un cadeau rare pour ses interprètes et un geste politique dans l'ère post-#metoo. Pourtant, la lecture du long métrage de Yorgos Lanthimos ne laisse aucun doute sur l'objectif du cinéaste, dont l'oeuvre ne brille pas par l'optimisme et dont le style emprunte plus à la fable trouble qu'à la revendication claire et politiquement correct.

En vérité, le cadre historique apparaît comme un prétexte : l'intrigue aurait la même perversité à d'autres époques. Sous les perruques et le fard, les personnages sont juste plus grotesques et leurs manoeuvres plus codifiées dans les décors d'un château et d'une cour. Grattez à peine ce vernis et vous en verrez vite toute la vermine, toute la déliquescence funèbre.

The Favourite est un donc un film sur la vengeance et l'ambition. Tous les coups (bas) y sont permis pour arriver à ses fins, qu'il s'agisse de garder sa place, de reconquérir son rang, d'influencer une reine, de prétendre épargner le petit peuple tout en s'adonnant à des jeux et festins ruineux ou en envoyant des hommes au champ d'honneur pour le simple plaisir d'humilier un ennemi déjà vaincu.

Le parallèle entre la guerre franco-britannique (qu'on ne voit jamais) et les coups fourrés de la cour est éloquent : pas de victoire totale sans disgrâce. Il faut que l'ennemi rende gorge et sorte du jeu exsangue. Le scénario de Deborah Harris et Tony McNamara privilégie le temps lent de conquêtes aigres, de méchancetés mesquines, aux coups d'éclat. Nous assistons à la fin d'un monde, d'une certaine idée du règne en compagnie de cette régente malade, qu'on plaint des outrages qui l'accablent (la perte de plusieurs enfants morts-nés ou en bas âge, la maladie, la vieillesse) et qu'on trouve aussi répugnante, exaspérante, pathétique.

Lanthimos n'épargne personne dans sa comédie noire : ni la dame de compagnie impitoyable, ni la prétendante déclassée à sa place, ni cette reine capricieuse et finissante. Le réalisateur, avec le concours du chef opérateur Robbie Ryan, immortalise ce trio délétère dans un château constamment plongée dans les ténèbres, et il use d'objectifs qui anamorphosent l'image (le fameux effet "fish eye", déformant les bords du cadre comme lorsqu'on regarde à travers un judas). On se croirait tour à tour dans une crypte ou un bocal, ce qui souligne la folie sournoise du lieu. La reine Anne d'ailleurs n'en sort jamais, à cause de sa santé, mais aussi parce qu'elle finit par ressembler à un gros insecte dans ce cocon aux allures de tombeau.

Que l'Académie des Oscar ait salué les trois actrices dans leur catégorie respectives (seconds rôles et rôle principal) est une évidence difficilemen contestable. Elles sont magistrales et Olivia Colman "performe" comme la favorite imparable qu'elle a été pour la statuette dorée : son numéro, à la fois outrancier et impressionnant, est de ceux que les américains adorent honorer, même si ce n'est pas d'une folle subtilité. En tout cas, Colman a fait un sacré chemin en peu de temps, depuis sa révélation tardive dans la série Broadchurch.

On pourra néanmoins préférer les interprétations moins spectaculaires mais plus nuancées de Rachel Weisz, extraordinaire en garce manipulatrice, et plus encore d'Emma Stone (qui aurait elle aussi mérité l'Oscar), en ambitieuse absolue - l'américaine confirme au passage qu'elle est une "voleuse" de scènes redoutable, entraînant souvent ses passages dans la comédie bouffonne de manière irrésistible puis assumant tout le pathétique et la vilainie de son personnage. 

L'autre divine surprise vient de Nicholas Hoult, acteur sans relief, qui excelle ici en opposant sournois à la reine, emperruqué et maquillé comme un bouffon. Il éclipse sans peine le falôt Joe Alwyn.

The Favourite n'est jamais meilleur que quand il met en scène, sans voile, la canaille grotesque de ses protagonistes. Les femmes y sont au premier plan mais sans être flattées, bien au contraire : elles apparaissent bien pires, dans la déchéance comme dans la manipulation, que les hommes, ces pantins courtisans, qui les entourent. C'est une oeuvre noire, acide, et puissante.

dimanche 24 février 2019

SUPERGIRL #27, de Mark Andreyko et Eduardo Pansica


La suite des aventures de Supergirl avec les Omega Men se poursuit ce mois-ci sous la plume de Marc Andreyko en compagnie d'Eduardo Pansica (nouveau fill-in artist de la série). L'enquête sur la fin de Krypton est mise de côté mais pas totalement oubliée, au profit d'un récit de guerre mouvementé. Toujours classique mais efficace.


Supergirl et les Omega Men combattent les soldats de Harry Hokum dans sa citadelle. Mais Kara Zor-El est privée de ses pouvoirs, faute d'avoir pu profiter de l'énergie d'un soleil depuis longtemps.


De son côté, le Coluan Z'ndr et le chien Krypto ont été récupérés par le vaisseau de la mère du premier. Elle considère qu'elle a été trahie car Z'ndr a pris fait et cause pour Supergirl au lieu de la surveiller. Désormais il refuse de fuir et s'échappe avec l'aide de Krypto.


Splyce, la tueuse d'Hokum, tente de tirer profit de la faiblesse de Supergirl mais celle-ci se défend alors avec la hache de Rogol Zaar. Cependant elle se retient de justesse de tuer son adversaire et évacue la citadelle avec les Omega Men, venus y délivrer trois des leurs.


A l'abri dans un de ses vaisseaux, Harry Hokum n'est pourtant pas abattu par les circonstances. Il a en effet préparé un redoutable piège contre les Omega Men et Supergirl.


Kara Zor-El le comprend trop tard quand les Omega Men doivent affronter les clones de leurs amis secourus. Et que Hokum lâche sur leur astronef des répliques de la kryptonienne...

Au début, j'ai été un peu déçu que Kevin Maguire, à peine après être revenu, laisse à nouveau sa place à un remplaçant. Mais cela n'empêche pas cet épisode d'être d'un très bon niveau.

Supergirl n'est pas une série renversante, avouons-le. Marc Andreyko l'écrit d'ailleurs de manière très classique, sans manières. Sa narration est propre, nette, directe. Les enjeux sont posés rapidement et développés de façon linéaire. Tout est simple, premier degré.

On pardonne même au scénariste de mettre de côtéla quête initiale de Supergirl - sur les raisons réelles de la destruction de Krypton (dont s'est vanté Rogol Zaar) - pour dérouter l'histoire en compagnie des Omega Men. D'ailleurs, s'il dévie, Andreyko ne dévisse pas et se sert d'un indice infime pour alerter son héroïne sur le piège qu'a tendu Harry Hokum aux héros.

Ce n'est pas de l'indulgence, mais l'appréciation d'un travail humble et efficace. Là où beaucoup de scénaristes actuels cherchent souvent à réinventer la roue ou promettent beaucoup sans tenir vraiment, se prenant les pieds dans des péripéties indigestes, des caractérisations touffues, Andreyko oeuvre à l'ancienne : sa BD, il la mène avec le souci de divertir le lecteur et en respectant le matériau qu'on lui a confié.

En privant aussi temporairement Supergirl de ses pouvoirs, il rend son voyage initiatique plus dur que prévu. Plongée dans une guerre provoquée par un excentrique dangereux, aux côtés de héros soldats aguerris, face à des adversaires coriaces, Kara éprouve dans sa chair ces difficultés. Et de voir la cousine de Superman ainsi égratignée, malmenée, créé un écho aux tourments que fait endurer Bendis à l'homme de fer actuellement.

Comme je le dis plus haut, en voyant que Maguire passait son tour ce mois-ci, j'étais un peu désappointé. D'autant que je connaissais pas Eduardo Pansica et qu'il n'est pas prévu qu'Evan Shaner revienne (il prépare de prochains épisodes de Batman Beyond).

Mais le résultat n'est pas désagréable. Certes Pansica n'évolue pas dans le registre élégant de Shaner et ne possède pas le génie de Maguire, son trait est moins séduisant, l'encrage moins beau. Pourtant ses planches dégagent une bonne énergie.

L'épisode regorgeant d'action, il fallait un dessinateur à l'aise dans ce domaine et Pansica ne déçoit pas. Son découpage, sommaire mais direct, correspond bien, le duel entre Supergirl et Splyce (dont l'apparence devient vraiment monstrueuse dans le feu du combat) a une hargne étonnante.

La vertu de Supergirl, c'est sa régularité. Même en changeant d'artistes, elle demeure accrocheuse et Andreyko mène bien son affaire. Ce n'est pas renversant, non, mais c'est solide, efficace. Et finalement, rassurant.
  
La variat cover d'Emanuela Lupacchino.

NAOMI #2, de Brian Michael Bendis, David F. Walker et Jamal Campbell


Le titre figurant en couverture trompe un peu sur la marchandise car, non, la "vérité" ("truth") n'est pas encore au programme (par contre des révélations sont annoncés le mois prochain). Mais il n'empêche que le trio Bendis-Walker/Campbell sait titiller la curiosité du lecteur avec Naomi. Et surtout ces trois-là travaillent vraiment sur la même longueur d'ondes.


Naomi demande au mécanicien Dee comment il connaît la date à laquelle elle a été adoptée, qui se trouve correspondre avec le premier événement méta-humain qui s'est produit à Port Oswego il y a dix-ans.


Mais il refuse d'en dire davantage et la congédie avant de s'éclipser à moto. De retour chez elle, Naomi, bouleversée, interpelle ses parents : Dee est-il son père biologique ? Ils nient et la rassurent autant que possible.


Après avoir parlé via Skype avec sa meilleure amie Annabelle au sujet de Dee, Naomi apprend qu'il vient d'Iron Heights, une prison pour méta-huamains. La nuit est agitée et traversée de visions étranges sur des dieux en guerre.


Le sommeil la fuit et Naomi sort de chez elle pour retourner au garage de Dee dans lequel elle s'introduit par effraction. Elle fouine à l'intérieur et découvre, punaisée sur un mur, une photo.


Sur le cliché, Dee est avec une femme ressemblant à Naomi. Le mécano surprend la jeune fille qui lui somme de s'expliquer. Bien qu'il ne s'estime pas près, Dee accepte de parler...

Cette semaine n'a pas été bonne : les séries que j'ai lues m'ont globalement déçu, souvent pour la même raison. Un manque de correspondance entre le récit et sa mise en images. Comme un décalage qui soulignait la différence flagrante entre l'histoire et sa représentation visuelle.

Cela résume bien la difficulté à réaliser un comic-book et définit la singularité du média de la BD. Un bon texte mal dessiné est pénible. Un mauvais texte bien illustré est frustrant. Il faut vraiment que scénariste et artiste soient sur la même longueur d'ondes pour que le résultat de leurs efforts soit probant et agréable.

C'est ce que rappelle et prouve Naomi, qui n'est pas (pas encore ?) la série la plus épatante du monde mais la plus solide que j'ai lue ces derniers jours, celle dont l'équipe créative est la mieux accordée, celle où texte et dessin sont de qualités identiques et aboutissent à une lecture satisfaisante.

L'héroïne est bien une créature de Brian Michael Bendis, jeune, métisse, saisie avec une justesse remarquable, dont la quête est captivante sans excès dans les effets déployés pour sa narration. David F. Walker semble celui des deux auteurs chargé de donner corps et langue à Naomi et son style, proche de Bendis, ne permet pas de noter de différence. Quant à l'intrigue...

Certes, ça progresse doucement, mais nous n'en sommes qu'au deuxième épisode et Bendis et Walker ont su me hameçonner avec cette histoire d'une jeune fille ordinaire dont le passé renferme visiblement quelque chose d'extraordinaire. Pour l'instant, le scénario se concentre sur le quotidien, le non-dit, mise sur a suggestion, l'allusion. Mais des pics de tension rythment le tout au bon moment (la discussion poignante de Naomi avec ses parents adoptifs).

Des indices sont semés - le passé de Dee à Iron Heights, le rêve hallucinant de Naomi, la photo dans le garage. Juste assez pour nous donner envie d'en savoir plus, pour laisser entendre qu'un truc énorme se joue en coulisses. Bendis a d'ailleurs communiqué récemment en expliquant que le premier arc (en six parties) correspondait à la "saison 1" de la série, après quoi le titre ferait un petit break (le temps pour Jamal Campbell de se reposer). Et de poster un teaser montrant Naomi entouré des membres de Young Justice et la Justice League...

Jamal Campbell est la révélation de cette série : en deux épisodes, il s'est imposé comme un artiste à suivre de très près. Même si son traitement du dessin par informatique donne parfois à ses images un aspect un peu trop lisse, la copie qu'il rend est tout de même épatante.

Ses pages sont denses, avec des décors bien détaillés, un découpage varié mais un nombre souvent important de cases. Surtout, son art de la composition et l'expressivité de ses personnages sont sensationnels. Il maîtrise parfaitement l'animation d'une héroïne jeune sans en faire une caricature et sait exagérer certains éléments sans sombrer dans l'outrance.

On comprend pourquoi Bendis a précisé que son dessinateur prendra un bref congé au terme de ce premier arc car Campbell se montre généreux, comme en témoigne des doubles pages très remplies, qu'il s'agisse d'un dialogue nerveux entre Naomi et Annabelle ou du rêve de Naomi mettant en scène une guerre cosmique. Tout ça magnifiquement colorisé (par le même Campbell !).

Tel quel, il se dégage un sentiment de facilité, presque insolente. Mais on comprend bien la somme de travail et la bonne intelligence entre les auteurs et l'artiste pour en arriver là. C'est cela qui aboutit à une bonne BD.  

samedi 23 février 2019

HIGH LEVEL #1, de Rob Sheridan et Barnaby Bagenda


Le label Vertigo de DC Comics, dédié à des séries non super-héroïques et plus adultes, est un malade convalescent. Mais l'éditeur semble vouloir le ranimer. High Level fait partie des titres qui prétendent à ce rétablissement et il est le fruit des efforts d'un membre du groupe rock Nine Inch Nails, Rob Sheridan, et du dessinateur d'Omega Men (version Tom King), Barnaby Bagenda. Un début classique et sage mais pas dénué d'intérêt.


La Terre, dans un futur post-apocalypse. Thirteen est une jeune femme éboueur qui, après une dure journée de labeur, passe prendre un verre chez "Benny's". C'est alors que le Black Helix, une brigade de police, fait irruption, à la recherche d'un homme et d'une fillette.


Thirteen rentre chez elle, à Ordell Faire, où elle croise son ami Jasper, sur le départ. Il va s'installer à High Level, une cité mythique, en quête de promotion sociale. Thirteen est dépitée de ce choix mais Jass ne reviendra pas dessus.


La jeune femme en parle d'ailleurs ensuite à Ema qui lui donne une toute autre version de High Level, décrite comme une cité dont les habitants, espérant être élus pour "l'ascension", vivent comme des esclaves.


Le lendemain soir, Thirteen accepte d'exécuter un boulot bien payé sur la recommandation de Ema. Elle déroute les drones de surveillance du secteur et s'introduit dans un entreprêt où elle surprend un inquiétant rassemblement.


Découverte, elle est sur le point d'être sacrifiée par un cyborg lorsqu'une brigade de Black Helix fait irruption. Sauvée par le chef de ce commando, Akan, un ancien amant, Thirteen accepte pour le remercier une mission : ramener la fillette recherchée, Minnow, à High Level, car elle pourrait mettre fin à la guerre...

Depuis les licenciements successifs de Karen Berger et Shelly Bond, le label Vertigo n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut. Les arrêts de séries cultes comme Fables ou Astro City (même si Kurt Busiek - qui n'a toujours pas terminé le script de sa mini Batman : creature of the night - promet de la reconduire sous forme de romans graphiques, l'intégration à l'univers classique de personnages comme John Constantine ou Swamp Thing, la fuite des talents (vers Image notamment), n'ont laissé que la peau sur les os à cette collection autrefois si réputée.

DC semblait se moquer de son sort jusque récemment, puis de nouvelles séries ont été lancées. Dernière en date, ce High Level était une des plus excitantes sur le papier. Mais il faudra certainement attendre un peu pour mesurer son vrai potentiel.

Le scénariste est un membre du groupe de rock Nine Inch Nails et Rob Sheridan ne se distingue pas d'emblée par une grande originalité. L'histoire se situe dans un énième futur post-apocalypse, dont l'esthétique reprend une fois encore celle de Mad Max, avec un décor principal en forme de bidon-ville et en prime son cortège de déclassés, de police hyper-répressive, de cités mythiques et de cyborgs.

L'argument est lui aussi vu et revu : un enfant-messie, susceptible d'empêcher une guerre, confiée à une héroïne revêche pour être ramené dans une citadelle légendaire. Donc à la clé un périple s'inscrivant dans le schéma bien commode du "voyage du héros" selon Christopher Vogler.

En vérité, et personne ne songe vraiment à s'en cacher, l'attraction principale du projet repose sur son dessinateur, Barnaby Bagenda. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une star, ce dernier bénéficie d'une jolie côte depuis qu'il a illustré la maxi-série Omega Men, qui révéla chez DC Tom King : le titre ne fut pas un gros succès commercial, mais reçut des éloges critiques et dût à ses fans d'être mené à son terme quand DC voulut l'annuler. L'aura gagné par King depuis a en quelque sorte rejailli sur Bagenda, même si les deux hommes n'ont pas retravaillé ensemble.

Graphiquement donc, High Level est exceptionnel car le dessinateur a un style puissant, généreux dans le détail et, associé au coloriste Romulo Fajardi, un rendu saisissant. Rarement peut-on voir une telle complicité entre un artiste et son collaborateur puisque Fajardi colorise directement les crayonnés de Bagenda.

En résulte un travail superbe sur les lumières, les textures, les ambiances, qui donnent vie de manière intense à cet univers pourtant rebattu. Grâce à eux, la série possède ce dont son scénario manque : une patte, une singularité, une personnalité, de l'allure.

D'un côté, on peut déplorer que Bagenda et Fajardo ne bénéficient pas d'une matière plus riche, plus originale, à la mesure de leurs talents. De l'autre, sans eux, High Level psserait inaperçu.

Il "suffit" maintenant à Rob Sheridan d'emballer la suite de manière plus musclée et inattendue pour se hisser au niveau de ses partenaires et combler ses lecteurs. A cette condition, Vertigo pourra s'énorgueuillir de publier une nouvelle pépite.