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dimanche 16 avril 2023

dernière sortie sur THE DEUCE


Quatre ans après la fin de sa diffusion, j'ai enfin pris le temps de suivre la dernière saison de The Deuce, une des toutes meilleures séries produites par HBO. J'ignore pourquoi j'ai laissé passer autant de temps, peut-être craignais-je d'être déçu. Le show créée par David Simon, George Pelecanos et Richard Price ne déçoit pourtant pas à l'heure de faire ses adieux. Huit épisodes crépusculaires et nostalgiques.

CE QUI SUIT COMPORTE DES SPOILERS.


Six ans se sont écoulés. Alors que se profile l'année 1985, New York est en pleine restructuration urbaine sous l'impulsion de l'ambitieux Gene Goldman qui s'appuie sur le capitaine Alston pour faire le ménage dans les quartiers chauds, comme celui de la 42ème Rue (The Deuce), où sévit toujours la prostitution, le trafic de drogue et la pornographie.


Vincent Martino renoue avec son ex-femme Andrea alors que le couple qu'il formait avec Abby bat de l'aile. Candy et Harvey se disputent sur la direction à faire prendre à leurs films X car le marché évolue et le porno amateur séduit de plus en plus de clients. Lori Madison sort de sa cinquième cure de désintoxication et reprend vite le chemin des tournages en Californie.


Frankie Martino se brouille avec son protecteur Rudy Pipilo car il deale de la drogue, dont le caïd italien de la vieille école ne veut pas entendre parler même si cela lui rapporterait encore plus d'argent. Candy rencontre un homme, Hank Jaffe, conseiller financier, qui la séduit sans être gêné par son passé de prostituée et d'actrice de films X. Lori réfléchit à l'avenir et à sa reconversion.


Abby fait la connaissance d'une street-artist, Pilar, dont elle devient la maîtresse, ce qui l'éloigne encore plus de Vincent, même s'il fait mine de ne pas se vexer. Candy songe à tourner un film porno féministe mais manque de fonds, Harvey refusant de la suivre dans ce projet et Hank ne parvenant pas à la convaincre de l'aider financièrement. Todd apprend qu'il a le SIDA et revoit ses priorités avec Paul alors que sa carrière de comédien au théâtre décolle. 


Frankie est tué par un client qui l'accusait de lui avoir vendu de la drogue de mauvaise qualité. Mais ce dernier est le fils d'un parrain et Rudy jure à Vincent qu'il ignore où il se cache. Lori revient à New York pour passer une audition pour un film traditionnel, mais c'est un échec humiliant. Invitée par Abby, Candy rencontre des militantes féministes qui veulent que le gouvernement fasse voter une loi pour interdire la pornographie et tente de les convaincre que son travail se distingue de la production habituelle.


Todd meurt du SIDA avec ses parents, appelés par Paul, à ses côtés. Paul décide de s'investir dans l'activisme pour alerter sur l'épidémie qui décime le milieu gay alors que les pouvoirs publics ne font rien. Dévasté par la mort de Frankie, Vincent obtient des renseignements sur celui qui l'a tué et se venge. Abby quitte Pilar pour soutenir Vincent mais est horrifiée en devinant ce qu'il a fait. Lori, de retour en Californie, découvre que son homme la trompe et elle le quitte. Pour subsister, elle se produit dans des clubs de strip-tease avec le projet de revenir à New York pour de bon.


De retour en ville, Lori reçoit l'aide de Candy qui l'embauche pour son film avec l'espoir que cela attirera des investisseurs. Mais, le soir même, après avoir fait une ultime passe avec un inconnu sur la 42ème Rue, Lori se suicide, sûre que son passé ne lui permettra jamais de se réinventer. Alston et Goldman obtiennent du maire Koch la fermeture des bordels, bars et saunas pour des mesures de santé publiques, rassurant ainsi les promoteurs immobiliers qui veulent rebâtir. Rudy, qui a couvert la vengeance de Vincent, est abattu par Tommy Longo, son bras-droit. Candy préfère accepter de tourner à nouveau comme actrice pour boucler le budger de son film plutôt que d'être aidé par Hank, ce qui acte leur séparation.


2019. Vincent Martino revient à New York à l'occasion du mariage de son neveu. Il apprend dans un article du journal la mort, à 73 ans, de Candy, dont le seul film traditionnel est réédité en DVD. En flânant sur la 42ème Rue le soir, il croise les fantômes de son passé et s'engouffre dans le métro, accompagné par celui de son frère Frankie...

The Deuce semble désormais, en 2023, d'un autre âge, d'un autre temps. Verra-t-on à nouveau une série de ce calibre, de cette ambition, sur un sujet aussi délicat ? On peut se poser la question au moment où HBO est en pleine restructuration car la chaîne à péage, propriété du groupe Warner Discovery, vit ses dernières heures et sera rebaptisée MAX, avec de nouvelles productions sur le long terme, pour (re)conquérir ses abonnés perdus.

Déjà, après une première saison phénoménale, The Deuce avait dû revoir sa narration à la baisse : ses créateurs, David Simon, George Pelecanos et Richard Price, avait des plans courant sur plusieurs saisons, avec le rêve de montrer l'évolution de ce quartier et de New York des années 1970 à nos jours. La chaîne ne leur donnait plus que trois saisons pour boucler leur saga, et, avec un art consommé de l'ellipse, ils transformèrent l'essai lors d'une saison 2 toujours aussi magistrale.

Pourtant, quand la troisième et dernière saison fut disponible, je ne me jetai pas dessus. Pourquoi ? Je l'ai oublié. Sans doute étais-je accaparé par une autre série alors (c'était en 2019, une éternité quand on considère que c'était avant le COVID, la guerre en Ukraine...). Peut-être aussi avais-je peur d'être déçu ? Ou voulais-je différer le moment de dire "adieu" aux personnages de The Deuce

Finalement, cette semaine, je m'y suis mis. Et non seulement je n'ai pas été déçu, mais j'ai été une fois encore impressionné, et même ému. Car la mélancolie est omniprésente dans ces huit derniers épisodes, dont Vincent Martino est le coeur. Celui-ci, comme Frankie Martino, son jumeau, est incarné par James Franco, qui est absolument bluffant (il signe aussi la réalisation de l'épisode où Frankie trouve la mort). Mais entre-temps, l'acteur a été rattrapé par le tribunal médiatique du mouvement #MeToo, ce qui l'a contraint à ne plus tourner pendant trois ans (de 2020 à 2023) après qu'il a avoué des relations avec des étudiantes suivant des cours de comédie qu'il donnait.

Si j'évoque cette triste affaire, c'est parce qu'elle trouve un écho troublant avec le propos de The Deuce où il est question de l'industrie du cinéma pornographique, de la prostitution (et du trafic de drogue). C'est aussi pour cela que je posais la question au début sur la possibilité de voir un jour à nouveau une série traitant de sujets pareils. L'époque a tellement changé depuis le scandale Harvey Weinstein qu'on se croirait parfois revenu à cette évocation du puritanisme de l'ère Reagan où il était question d'interdire les films X et d'éradiquer la prostitution.

Je ne défends ni l'un ni l'autre, mais je ne crois pas que prohiber le porno et la prostitution soit une solution. Il y aura toujours des films X sur le Net, d'une manière ou d'une autre, sans doute tournés dans des conditions dégueulasses (comme du gonzo) et c'est idem pour la prostitution (alors que dans certains pays, elle est encadrée, les travailleuses du sexe protégées, etc.). On sait aussi que d'anciennes stars du X ont un discours souvent plus posé et intelligent sur ce milieu que certains sociologues (avérés ou auto-proclamés) et politiques, mais encore faudrait-il les entendre (je pense à Ovidie par exemple, qui ressemble à Candy dans The Deuce par certains aspects).

En nous ramenant en 1985, la série revient sur l'épidémie du SIDA, qu'on appelait le "cancer des pédés" et qui était ignoré par les pouvoirs publics, jusqu'à ce que des activistes portent la question sur la place publique et que des célébrités avouent être atteintes de ce mal. Aujourd'hui, grâce à des thérapies, les porteurs du virus survivent plus longtemps, mais il faut tout de même rappeler que le SIDA existe toujours, n'est pas éradiqué.

La force de The Deuce, finalement, c'est, en regardant dans le rétroviseur, de prouver que beaucoup de choses changent, et que rien ne change. Même aujourd'hui, dans notre époque où tout est commenté, noyé dans un déluge de paroles dénué de sens ou qui file la nausée, on continue de considérer la société et ses maux comme des problèmes à gérer et non à résoudre, négligeant la part humaine qui les crée ou les subit. Ainsi l'ambitieux et hypocrite Gene Goldman veut nettoyer les villes mal famées de Big Apple pour rendre la cité à nouveau attractive pour des business men et s'appuie sur un flic efficace qu'il paie grassement pour harceler, intimider, faire fuir tous ceux qui se dressent sur leur chemin.

Mais, au final, là encore, le problème n'est pas réglé : Alston embarque Goldman un soir pour une virée dans le Bronx afin qu'il voit où ont déménagé les putes, leurs macs, les toxicos, les gangsters. Rien n'a été réglé, simplement déplacé, jusqu'à ce que les promoteurs décident d'investir dans cet autre quartier. Goldman est un personnage antipathique jusqu'au bout, n'assumant pas ses propres turpitudes, et fermant les yeux tant que ses objectifs sont atteints. Il n'est ni un urbaniste, ni un visionnaire, ni même un politicien, juste un profiteur, un jouisseur cynique.

Qu'importe que des vies soient brisées, des individus comme lui sont convaincus que c'est la marche du progrès ou des bénéfices, c'est selon. A l'autre bout de ce spectre capitaliste, Frankie Martino aura moins de chance que Goldman : il périt tristement, pathétiquement par là où il a péché, victime d'un client rancunier, entraînant sans le savoir une cascade de règlements de comptes (avec pour victime collatérale son protecteur, Rudy) et de chagrins (celui de son frère en premier). Anti-héros flamboyant, il a fini, baignant dans son propre sang, sur le parquet de la boîte de nuit de son frère, quelque temps après avoir enregistré une vidéo avec femme et enfants pour que son petit dernier ait un souvenir - étrangement prémonitoire.

Le casting de la série se resserre sur ses protagonistes les plus emblématiques et leurs interprètes rendent justice aux rôles qu'ils ont porté durant trois saisons épiques. Emily Meade est particulièrement bouleversante et la scène de son suicide vous cueille à froid, au moment où on s'y attend le moins, avec une brutalité sèche terrible. Margarita Levieva et Chris Coy incarnent deux amants que le destin n'épargnent pas, mais avec une dignité admirable. Luke Kirby est parfaitement infect dans le costume de Goldman alors que Lawrence Gilliard Jr. est impeccable en capitaine Alston à la lucidité implacable.

Toutefois, les deux monarques de The Deuce restent jusqu'au bout Maggie Gyllenhaal, toujours aussi charismatique et classe en Candy, et James Franco, dont l'ultime promenade sur la 42ème Rue, est bouleversante. Certains ont reproché aux auteurs cette scène finale, comme si elle idéalisait un passé sordide mais fantasmé. Moi, j'ai trouvé ça poignant, très beau, une issue élégante.

Quand même, c'était bien, The Deuce.

dimanche 11 novembre 2018

THE DEUCE (Saison 2) (HBO)


Les audiences plus faibles qu'espérées de la première saison, HBO a réduit le nombre de saisons de The Deuce à trois. Pour leur deuxième acte, les showrunners David Simon et George Pelecanos ont donc modifié leur plan en confiant au scénariste en chef de la série, Richard Price, le soin d'aménager le déroulement de leur fresque sur le porno et la prostitution à New York dans les années 70. Le résultat n'en souffre pourtant guère, même si le destin de quelques personnages s'en trouvent scellés et que l'ensemble a un peu moins d'intensité - mais plus de mélancolie.

 Abby et Vincent (Margarita Levieva et James Franco)

1978. Vincent Martino, toujours en couple avec sa barmaid et photographe Abby, dirige avec succès deux établissements pour le compte de la mafia, le "Club 366" et le "Hi-Hat". Son frère jumeau, Frankie, gère le peep-show "Showland" en se servant allègrement dans les caisses pour jouer aux cartes et entretenir sa compagne qu'il épouse. De son côté, Candy ambitionne de réaliser un porno artistique dont l'ambition effraie Harvey, son associé. Lori est devenue une actrice de films "x" demandée mais toujours sous la coupe de C.C., tandis que Darlene obtient son bac à l'insu de son souteneur, Larry. Le sergent Alston a pris du galon et il est approché par l'adjoint au maire Koch, Gene Goldman, qui veut réhabiliter Times Square.  

Candy et Darlene (Maggie Gyllenhaal et Dominique Fishback)

Candy rencontre Genevieve Furie, un actrice de porno passée à la réalisation, qui lui donne quelques conseils. Lori et Harvey sont nominés pour des récompenses attribuées par l'Adult Film Association of America, dont la cérémonie se déroulera à Los Angeles. Lori rencontre, en prévision de ce déplacement, Kiki Rains, une agent, qui veut la représenter à condition qu'elle quitte C.C.. Vincent emmène Abby à Coney Island où il a grandi et parle de leur avenir. Larry demande à Candy de lui donner sa chance comme acteur et Darlene la prévient qu'il est illettré. Abby retrouve Dorothy, ancienne tapineuse sous le nom de Ashley pour C.C., qui travaille maintenant à aider les filles sur le trottoir.

C.C. et Lori (Gary Carr et Emily Meade)

C.C., par peur de l'avion, laisse, à contrecoeur, partir Lori à Los Angeles pour la remise des prix. Là-bas, Candy noue un contact avec un producteur prêt à investir dans son film en échange d'une gâterie sexuelle. Rudy Pipilo, le caïd qui protège les Martino, ordonne à Vincent d'écarter Frankie de leur business car il tape trop dans les recettes. Frankie se refait vite en gagnant une petite fortune aux cartes. Un rival de Pipilo, qui veut s'implanter dans son quartier, incendie ses salons. Goldman précise à Alston pourquoi il veut nettoyer le secteur de la prostitution à des fins spéculatives sur l'immobilier et le tourisme. Abby s'investit de plus en plus aux côtés de Dorothy et son partenaire, Dave.

Alston et Goldman (Lawrence Gillard Jr. et Luke Kirby)

Candy soumet à un scénariste son idée d'adapter le conte du "Petit Chaperon Rouge", mais le script qu'il lui rend donne la part trop belle au grand méchant loup. De retour de Los Angeles où elle a gagné un prix (comme Harvey), Lori est brutalisée par C.C. qui la met en garde si elle compte le quitter. Candy teste Larry dans un porno et il se révèle excellent en improvisant. Un salon de Pipilo est incendié et Kitty, une des prostituées, meurt dans les flammes. Abby tient Bobby, le beau-frère de Vincent, qui tenait l'endroit, pour responsable et le bannit du "Hi-Hat", engendrant une crise avec Vincent. Alston explique que pour se débarrasser des salons et des macs, il faut créer une brigade spéciale car tous les agents des Moeurs sont corrompus. Vincent paie les funérailles de Kitty.

Abby et Darlene (Margarita Levieva et Dominique Fishback)

Larry renonce à son activité de souteneur pour se consacrer à la comédie, laissant à Darlene le temps de suivre des cours du soir, où elle fait la connaissance d'un étudiant qui lui offre un emploi dans une friperie. Candy réécrit le script de "Red Hot", son adaptation du "Petit Chaperon Rouge", avec Jocelyn, la secrétaire de Jarvey, pour en tirer une histoire plus féministe et "auteuriste". Frankie accepte de participer au financement du film et convainc Pipilo d'investir dedans aussi. Lori est embauchée pour le premier rôle. Alston organise une descente-surprise dans le salon de Bobby qui est arrêté devant les caméras de télé convoquées par Goldman.

Harvey et Candy (David Krumholtz et Maggie Gyllenhaal)

Candy tourne "Red Hot" sans autorisation, notamment pour des scènes en extérieur. Elle vire rapidement l'acteur-vedette, trop capricieux, pour le remplacer par Larry, puis la compagne de Frankie, incompétente, qu'elle supplée dans le rôle de la grand-mère du Chaperon Rouge. Harvey voit, avec inquiétude, le budget être dépassé, mais le premier montage le rassure, estimant que le résultat est inédit dans la production "x". Bobby est relâché. Abby avec Dave négocie une trêve avec les macs pour que leurs filles aient accès à des soins médicaux tandis qu'Ashley se confronte à C.C.. Vincent annonce à Pipilo ne plus vouloir gérer les salons mais comprend qu'il n'a pas le choix. 

Dave et Abby (Sebastian Arcelus et Margarita Levieva)

Vincent s'offre une virée dans le Vermont pour se changer les idées et y repère une maison à vendre. En son absence, Abby couche avec Dave et l'avoue à Vincent quand il rentre. Elle lui explique qu'elle n'ira jamais vivre dans le Vermont, ayant justement quitté sa province six ans plus tôt pour New York. Pipilo discute de l'exploitation de "Red Hot" avec Harvey et Candy craint qu'on la dépossède de son oeuvre, même si elle est résolue à ne pas se laisser faire. Kiki Rains explique à Lori qu'on lui offre un contrat pour trois films à Los Angeles, ce qui implique une séparation défintive avec C.C.. Un soir qu'il roule avec Pipilo et Longo, Vincent essuie des tirs d'une autre voiture. Il n'est pas blessé mais comprend qu'il était la cible - sans savoir pourquoi.

Frankie et C.C. (James Franco et Gary Carr)

Kiki Rains s'adresse à Pipilo pour écarter, sans le tuer, C.C., en proposant au caïd une part sur le contrat de Lori. Pipilo rachète Lori à C.C. qui invite sa protégée à dîner une dernière fois avant de la violer. Dave rompt tout contact avec Dorothy car il désapprouve ses méthodes : les macs savent qu'elle encourage, et paie même certaines filles pour quitter New York. Vincent parle de ses problèmes de couple avec son père qui lui rappelle qu'il avait déjà une femme et des enfants avant Abby. C.C. tente d'escroquer Frankie et Bobby en leur réclamant l'argent que Lori leur a rapportés quand elle travaillait au salon. Mais Bobby le tue quand il mentionne, d'un ton menaçant, sa femme.

Candy (Maggie Gyllenhaal)

Une semaine après la disparition soudaine de C.C., Alston trouve le corps sans vie de Dorothy. Lori craint que son ancien mac ne l'ait tué et veuille faire de même avec elle avant son départ pour Los Angeles. Abby, dévastée, culpabilise et Vincent paie à nouveau pour les funérailles. Alston, grâce à Goldman, obtient une promotion du Maire pour faire le ménage définitivement dans Times Square. Candy passe à la télé pour la promo de son film : ses parents lui interdisent de revoir son fils après ça car il a subi des brimades à l'école à cause d'elle. Darlene quitte Larry en bons termes, chacun ayant trouvé sa reconversion. Frankie, pour raisonner Lori, lui avoue que C.C. est mort. Elle peut partir sur la Côte Ouest. Pipilo engrange des profits grâce au succès de "Red Hot". Frankie, floué par le caïd, retourne s'occuper du "Showland" et Vincent du "Club 366".

Quand ils ont initié la production de The Deuce avec HBO, David Simon et George Pelecanos espéraient rééditer la réussite de The Wire - Sur écoute, soit réaliser une resque courant sur plusieurs saisons avec une chorale de personnages saisis dans une époque et une activité précises. Mais la saison 1, louée par la critique, n'a pas eu le succès d'audience escompté.

Il a donc fallu faire des choix quand la chaîne à péage a annoncé que le show se réduirait à trois saisons. A charge pour Richard Price, scénariste en chef, de trouver des solutions narratives. C'est ainsi qu'on découvre que six ans se sont passés depuis les huit premiers épisodes : nous voilà propulsés en 1978, loin du disco mais en pleine fièvre punk.

L'ellipse est audacieuse et risquée. On est d'abord un peu frustré par ce bond en avant et il faut s'accommoder de l'évolution de certains personnages qu'on avait quittés en plein doute existentiel et qu'on retrouve dans des situations nouvelles. Pourtant, la familiarité reprend le dessus et les intrigues se nouent efficacement. The Deuce démarre un peu laborieusement puis s'envole à nouveau.

Il serait pourtant malhonnête de prétendre que ces neuf nouveaux épisodes sont aussi bons. Quelque chose manque - un peu d'intensité, de surprise, une happy end un peu grossière, et la perte de plusieurs personnages importants. Autant d'éléments qui promettent, ou font redouter, que le troisième et dernier acte sera tout de même compliqué à mener. On peut louer Simon, Pelecanos et Price de ne pas reculer quand il s'agit de faire vraiment avancer leur projet, mais ce faisant ils ne se facilitent vraiment pas la tâche (déjà peu aisée quand il faut rogner sur le plan initial).

Les auteurs-créateurs n'évitent pas non plus toujours quelques facilités. Beaucoup d'épisodes étant réalisés par des femmes, qui ont visiblement eu les coudées franches, manquent de sérieux : l'exemple le plus évident concerne le traitement du personnage de Larry, le mac qui se reconvertit en acteur de porno, et qui est franchement tourné en ridicule. Bien entendu, cela prête à sourire de voir ce proxénète illettré jouer le grand méchant loup, mais cela ne rend pas justice à la formidable interprétation de Gbenga Akinnagbe d'une part, et d'autre part, cela créé un contraste malheureux avec le sujet (l'ambition de Candy de mettre en scène un porno de qualité, les compromissions qu'elle fait pour cela, le racisme dont est l'objet Larry, etc.). 

Entendons-nous bien, je ne dis pas que si des hommes avaient dirigés ces épisodes, cela aurait été meilleur. Je ne suis pas misogyne. Mais les réalisatrices choisis ont à l'évidence moins d'ambition que Candy et ont privilégié le grotesque des situations, le mépris que leur inspire ce porno exigeant, et incidemment tournent en dérision l'exploitation des acteurs/trices, la portée subversive du "x" à l'époque. En fait, il y a là comme un regard porté un peu condescendant et décalé, comme si le mouvement #MeToo interdisait à ces cinéastes de considérer l'action passée sans militantisme.

Pourtant, Simon, Pelecanos et Price ne peuvent être taxés de complaisance vis-à-vis de la prostitution, de corruption, du banditisme et tous les autres fléaux de 1978. La brutalité de C.C. (campé avec force par Gary Carr) contre Lori (superbe Emily Meade) ne laisse aucune place au doute sur ce qu'ils pensent des souteneurs et la croisade, même maladroite, menée par Dorothy (Jamie Neumann) pour de meilleures conditions de travail des prostituées, témoigne avec subtilité et émotion du mythe de Sisyphe que cela représente. 

Une autre séquence bouleversante se situe presque à la marge, avec la mort de Kitty dans un incendie criminelle. Ce drame montre bien comment la rivalité des mafieux italiens a accablé des innocentes et provoque une prise de conscience poignante chez Vincent (James Franco, exceptionnel dans le double rôle des jumeaux Martino - Vincent torturé, Frankie jouisseur) et Abby (Margarita Levieva, magnifique).
        
Toutefois la reine de The Deuce, cette saison encore davantage que la précédente, demeure Maggie Gyllenhaal : elle réussit à doser génialement le vulgaire et l'élégance, la compromission et l'ambition, la débauche et l'art. Ce serait terriblement injuste que la comédienne n'obtienne pas un Emmy pour son rôle l'an prochain, pour l'ensemble de son oeuvre dans la série.

En explorant l'émancipation de quelques-unes de ses héroïnes (au point de les sortir de la scène) et le tournant plus politique et moral de l'époque, cette saison 2 est sans doute plus inégale (le projet de Goldman avec l'aide d'Alston est développé un peu trop à part et mis à exécution tardivement), mais la série continue à impressionner par le prestige de son casting, la rigueur de son écriture (à défaut de sa réalisation) et son son ambition.

mardi 31 octobre 2017

THE DEUCE (Saison 1) (HBO / OCS)


J'avoue, bien piteusement, n'avoir jamais suivi les précédentes séries, pourtant réputées fameuses, créées par David Simon, comme The Wire/Sur Ecoute ou Treme, mais ce n'était qu'une question de temps avant que je fasse connaissance avec l'oeuvre de cet ancien journaliste engagé associé au romancier de polars George Pelecanos. The Deuce aura donc été l'occasion : produite par HBO et diffusée en France sur OCS, cette première saison (sur les trois que devrait compter le projet) en huit épisodes de 60 minutes (hormis le pilote qui en dure 85) est pourtant né après plusieurs idées refusées par la chaîne. Plus désabusé que cynique ou opportuniste, Simon a investi dans un sujet périlleux : raconter comment, à l'aube des années 1970, l'industrie du X a bouleversé le milieu de la prostitution et l'économie du cinéma en faisant croire à une révolution des moeurs.

Le résultat est passionnant et magistral.    

 Frankie Martino, Paul Hendrickson et Vincent Martino (James Franco et Chris Coy)

1971, New York. The Deuce est le surnom argotique de la 42ème Rue où tapinent les prostituées, surveillées par leurs proxénètes, eux-mêmes sous dans le viseur de la police. Vincent Martino tient un bar dans cette artère où vient se désaltérer toute cette faune urbaine, l'établissement appartient à un restaurateur coréen qui se désole de l'image de son commerce et veut céder son affaire.

Ruby, Vincent et Candy (Pernell Walker, James Franco et Maggie Gyllenhaal)

Car, en vérité, tout ce beau monde est complice : les autorités procèdent aux arrestations ponctuelles et arbitraires des filles pour que la Mairie donne le sentiment de contrôler cette débauche et garde la ville propre, mais les flics reçoivent des pots-de-vins des barmen en échange de leur protection et les macs font tourner leurs putes en attendant que l'une d'elles soit relâchée.

 Bobby Dwyer et Vincent (Chris Bauer et James Franco)

Bobby Dwyer, le beau-frère de Vincent, qui travaille sur des chantiers de construction, souhaiterait se reconvertir dans un business moins pénible et plus lucratif et c'est, de manière inattendue, qu'il va pouvoir exaucer son souhait. Frankie, le frère jumeau de Vincent, est un flambeur qui doit beaucoup d'argent à la mafia italienne. L'un des caïds conclut un marché avec les frères Martino, qui y mêle Bobby : d'abord il confie la gestion d'un ancien bar gay à Vincent pour y blanchir leur argent sale puis Frankie veille à la récolte des fonds encaissés par des cabines clandestines de projection de films pornos dans des vidéo-clubs et enfin Bobby dirige un immeuble abandonné transformé en "salon de massage" (une couverture pour une maison close).

C.C., Reggie et Larry (Gary Carr, Tariq Trotter et Gbenga Akinnagbe)

Tout en graissant la patte des flics, les italiens profitent de l'assouplissement de la législation sur les moeurs avec ces combines. Mais, ce faisant, ils révolutionnent rapidement le marché de la prostitution et du porno. Les macs acceptent à contrecoeur de laisser leurs filles travailler dans les "salons" pour éviter les arrestations intempestives de la police et les clients dangereux : entre le loyer qu'ils versent à Bobby et le profit qu'ils tirent de ce nouveau mode d'exploitation, ils restent gagnants même s'ils ne sont plus les maîtres de la rue. Les affaires prospèrent pour tous : les Martino, la mafia, la police, les proxénètes. 

Eilen Merrell alias "Candy"

Trois femmes traversent cet univers masculin. D'abord, il y a "Candy", de son vrai nom Eilen Merrell : elle a fui son père violent et gagne sa vie en tapinant tout en payant l'éducation de son fils laissé à sa propre mère. Refusant d'être sous la coupe d'un mac, un soir, elle se fait tabasser par un client : c'est le déclic pour qu'elle décide d'arrêter la prostitution et tenter sa chance comme actrice de films X amateurs. Assimilant rapidement les ficelles du métier et les opportunités qu'offrent l'évolution de la loi sur la pornographie, elle aspire à passer derrière la caméra en gagnant la confiance d'un réalisateur.

Abigail Parker (Margarita Levieva)

Ensuite, il y a Abigail Parker : cette étudiante issue d'une bonne famille interrompt sur un coup de tête des études universitaires prometteuses pour être indépendante. Après quelques petits boulots aliénants, elle se fait embaucher par Vincent comme barmaid et devient sa maîtresse. Libre et intelligente, tenant à son autonomie, elle s'interroge sur les raisons qui poussent les putes à rester aux ordres de leurs macs - et aidera l'une d'elles à s'en sortir.

L'agent Chris Alston et Sandra Washington (Lawrence Guillard Jr. et Natalie Paul)

Enfin, il y a Sandra Washington : cette journaliste noire et ambitieuse rédige des articles sans intérêt dans un petit journal mais enquête sur les activités de la Deuce. Elle questionne d'abord les prostituées jusqu'à être arrêtée en leur compagnie une nuit et c'est ainsi qu'elle rencontre l'agent Chris Alston, policier intègre grâce auquel elle met à jour le réseau de corruption généralisé qui règne sur cette artère. Ils deviennent amants mais, malheureusement, l'article qu'elle écrit est censuré, faute d'une source dûment nommée - ce que refuse d'être Alston, dont le nouveau capitaine de son district entend bien, avec son aide (et contre une promotion), procéder à un grand nettoyage parmi tous les ripoux sous son commandement.

Les tapineuses de la Deuce

1972. Le film Gorge Profonde sort dans toutes les salles et obtient un triomphe : le monde est en train de changer et l'industrie du sexe, depuis la rue jusque dans les studios de tournage, s'emballe, entraînant avec eux tous ceux qui saisiront cette opportunité et laissant sur le carreau les autres, refusant d'embarquer...

Tous les articles, dans la presse ou sur le Net, sont unanimes et je ne serai donc pas original en m'alignant : The Deuce est un "instant classic", un chef d'oeuvre. L'écriture est extraordinaire de justesse, les acteurs fabuleux, la réalisation somptueuse, on ne peut qu'être impressionné par la qualité de la production et son audace et son intelligence.

Même si des figures se distinguent dans ce foisonnant récit, il s'agit d'une série chorale, et l'ambition de David Simon et George Pelecanos est immense. Cela ne leur suffit pas de reconstituer une époque de manière plus vraie que ne le ferait un documentaire, ils utilisent ces voix multiples, cette diversité de points de vue pour embrasser leur sujet de la façon la plus complète et nuancée possible. Et tout cela en évitant tout racolage.

Bien entendu, comme The Deuce est diffusée aux Etats-Unis sur une chaîne à péage comme HBO, cela permet de montrer tout ce qu'un grand Network interdirait : la nudité, la violence (verbale et physique)... Mais passez votre chemin si vous espérez vous rincer l'oeil en suivant cette saison (et les prochaines aussi à mon avis) car le regard posé sur ce milieu, ce décor, les êtres qui l'animent, est d'une vibrante humanité et exempt de tout jugement moral. Nulle glorification des macs, aucun glamour chez les travailleuses du sexe, pas d'héroïsme rassurant chez les flics, et profil bas chez les complices. Le constat qu'on en tire est celui d'une Amérique au carrefour de son Histoire : en 1971, le pays est encore déchiré par le conflit au Vietnam, le mouvement hippie s'est fané, tout un chacun doit se débrouiller pour survivre dans un environnement brutal et morose... Sans se douter que le pire est encore à venir avec le "Watergate", le retour des vétérans au pays, le fossé entre l'euphorie du disco et la rage du punk : en somme, la fin d'une grande illusion dans le territoire de la seconde chance, là où tout est possible du rêve au cauchemar. 

Le capitalisme sauvage va bientôt s'imposer et marchandiser de fond en comble la société : cela esst illustré par l'éclosion du cinéma porno contre le commerce des corps dans la rue, les salons de massage qui cachent des bordels et le cinéma qui procure les plaisirs jusqu'alors interdits du sexe en toute légalité. Gorge Profonde, le film étendard de cette révolution, dans lequel l'héroïne, incarnée par Linda Lovelace (incarnée fugacement par une actrice dans le dernier épisode de la saison lors d'une "première" à New York), a un vagin dans la gorge, deviendra ironiquement le surnom donné à l'informateur qui permettra de faire éclater le scandale des écoutes placé dans une permanence du Parti Démocrate par le camp Républicain sur ordre de Richard Nixon, ensuite destitué.

La 42ème Rue est un théâtre fascinant et abject à la fois : la mysoginie y est omniprésente et assumée, sans complexe, les filles y sont exploitées et quand elles sont fatiguées réprimées, les clients viennent se soulager de leurs frustrations dans des chambres sordides et si les putes sont tabassées ou tuées, personne ne les pleure. Ni les proxénètes écoeurants d'indifférence, pensant plus à l'argent perdu, ni les flics protégeant les commerçants contre des enveloppes de cash, ni la municipalité qui organisent un simulacre de service d'ordre pour nettoyer la rue durant quelques heures chaque semaine.

Ces individus, victimes ou malfrats, témoins ou clients, Simon et Pelecanos (avec le concours sur quelques épisodes de Richard Price, autre cador de la série noire) ont voulu les représenter avec le concours de collaboratrices - la moitié de la saison est réalisée par des femmes. Les acteurs eux-mêmes ont investi dans le projet en s'impliquant totalement dans leurs rôles mais aussi en qualité de co-producteurs. On peut aisément deviner le souci de livrer une oeuvre politique, militante, mais surtout équilibrée, lucide dans cette participation exceptionnelle à cette société en mutation où personne n'a les mains propres.

On retiendra particulièrement les prestations sensationnelles de James Franco (lui aussi derrière la caméra le temps de deux épisodes) dans les rôles des frères Martino (dont les modèles ont fourni des anecdotes sur cette époque aux auteurs) et de Maggie Gyllenhaal, prodigieuse de finesse. Mais le trio de macs campés par Gary Carr, Tariq Trotter et Gbenga Akinnagbe, le policier honnête joué par Lawrence Guillard Jr. ou les partitions interprétées subtilement par Margarita Levieva et Natalie Paul sont aussi remarquables.

Huit épisodes, c'est en vérité bien peu pour tout ce que promet The Deuce, mais la densité, l'intensité et la régularité de cette première saison en fait une série incontournable qui, comme Westworld sur la même chaîne, devrait assurer de beaux jours à son diffuseur en quête d'un successeur à Games of throne sur le point de s'achever.