samedi 31 décembre 2022
EMILY IN PARIS (Saison 3) (Netflix)
vendredi 30 décembre 2022
X-TERMINATORS #4, de Leah Williams et Carlos Gomez
jeudi 29 décembre 2022
THE MAGIC ORDER 3 #6, de Mark Millar et Gigi Cavenago
C'est la fin du troisième volume de The Magic Order. Mais la suite ne se fera pas attendre puisque le premier épisode du volume 4 paraîtra le 25 Janvier prochain. Mark Millar et Gigi Cavenago concluent donc avec un épisode double (de 40 pages) qui, comme on pouvait s'y attendre, laisse beaucoup de portes ouvertes mais réserve aussi son lot de surprises.
Comme d'habitude, j'ai veillé à ne rien spoiler d'essentiel, même si avec le début du volume 4 dans un mois, je serai certainement obligé de revenir rapidement sur des éléments que j'ai cachés ici. Il faut dire que Mark Millar est un homme pressé qui multiplie les projets pour 2023 et même 2024.
Outre des adaptations de ses comics pour Netflix (The Magic Order au premier rang, mais aussi Huck), et de nouveaux titres (The Ambassadors, la suite de Prodigy - et j'espère celle de Empress), Millar a d'ores et déjà annoncé travailler sur une histoire de Superman à laquelle il pense depuis longtemps et pour laquelle DC n'a pas tardé à montrer son vif intérêt (ce sera au mieux en 2024 et évidemment ça promet d'être "énorme" comme aime le dire l'écossais).
Mais cette accélération se manifeste surtout dans le rythme de parution de The Magic Order, que Millar a conçu comme une saga en cinq actes. Cette année, on a eu droit aux volumes 2 et maintenant 3, avant le 4 dans un mois.
Comme je l'avais prédit, la conclusion du volume 3 est très ouverte et laisse beaucoup de pistes en suspens, qui vont certainement fournir du matériel pour les deux prochains actes. On peut légitimement trouver cela frustrant, surtout après le volume 2 qui semble du coup un peu accessoire (même si on peut rester réservé à ce sujet car il est bien possible qu'il ait contenu des éléments réutilisables). Néanmoins, c'est aussi en ne réglant pas tout qu'on mesure l'ambition du scénariste pour ce projet où six épisodes à chaque fois ne suffisent pas/plus à englober une histoire complète.
Sur ce qu'on peut dire sans rien "divulgâcher", ce qui frappe le plus, c'est l'isolement de plus en plus prononcé dans lequel est plongée Cordelia Moonstone. Elle a désormais perdu ses deux frères (Gabriel dans le volume 1, Regan maintenant). Regan coupable d'avoir invoqué la magie noire à des fins personnels est banni de l'Ordre Magique mais surtout privé de ses pouvoirs. Plus personne n'a la droit d'entrer en contact avec lui ni lui avec son ancienne communauté.
Conséquences immédiates : Cordelia est donc seule à la barre de l'Ordre Magique et court chercher du réconfort auprès de Francis King, l'ensorceleur introduit dans le volume 2, son ex-amant toxico actuellement en réhab'. Il est donc certain que Francis aura un rôle important dans la suite, sans qu'on sache s'il sera un soutien fiable au vu de son passé de drogué. Et puis il y a Rosie, la fille de Gabriel, dont Regan avait la charge et qui est donc confiée à d'autres magiciens. Sauf que la gamine ne semble nullement affectée par la situation et réserve une sacrée surprise à la fin de cet épisode... Mais chut !
Je vais par contre rester plus discret sur ce qui arrive à Leonard Moonstone et Salomé. Voilà un rebondissement que personne n'a vu venir et qui est glaçant. Salomé a en tout cas bien caché son jeu, tout en établissant de sinistres prédictions (aucun des enfants Moonstonne ne survivra à la quarantaine). La manière dont Millar nous a roulés dans la farine avec ce personnage est brillante.
Enfin, on revoit in extremis Sammy Liu, introduit comme un personnage important dans le premeir épisode de ce volume et qu'on n'a guère revu ensuite. Lui aussi va être aux premières loges dans la suite qui arrive et reçoit une visite imprévisible à la fin. La toute dernière page va complètement vous cueillir, je vous préviens, et surtout prouve que Millar avait tout prévu depuis le début du volume 1. Quand il affirme que The Magic Order est son magnum opus au sein du Millarworld, il ne ment pas car jamais jusqu'à présent il n'a construit une intrigue aussi élaborée sur autant d'épisodes, et avec une telle adresse.
Visuellement, Gigi Cavenago aura impressionné sans temps mort. Encore une fois, il produit des planches exceptionneles, sans jamais que le niveau ne baisse. Le passage à une pagination augmentée n'a aucun effet sur la qualité graphique de ce prodigieux artiste italien.
Fréquemment, il nous gratifie de splash-pages à tomber à la renverse, comme des ponctuations qui répondent spectaculairement à l'imagination débridée de Millar. Alors que sur le volume 1, Coipel s'était un peu éteint sur la fin, et que Immonen ensuite avait livré une prestation impeccable mais un chouia trop sage (avec il est vrai un scénario plus faible), Cavenago, lui, a donné tout ce qu'il avait - et encore a-t-on le sentiment qu'il en avait encore sous le pied !
J'espére vraiment que Millar retravaillera avec lui car c'est un régal à lire. Ces dessinateurs italiens sont des tueurs et cela me fait penser à la vague espagnole dans les années 90 qui avait vu exploser des artistes ayant ensuite fait leur nid aux Etats-Unis (comme Carlos Pacheco, Salvador Larroca jusqu'à David Aja, Pepe Larraz et j'en passe). Millar l'a bien compris en attrapant dans ses filets Buffagni, Cavenago - et Marvel a intérêt à occuper Schiti s'ils ne veulent pas le voir collaborer avec l'écossais...
Même si je suis ravi de lire la suite très vite, j'espère que le pari sera gagnant, d'abord pour l'histoire proprement dîte, ensuite pour Dike Ruan (qui dessinera le volume 4 et qui a un énorme potentiel). Dans l'idéal, même si ça peut paraître bizarre, j'aurai presque préféré que ça attende quelques mois, pour respirer (et que le recueil de ce volume 3 soit dispo afin que chacun puisse être à jour). Mais on ne va pas se plaindre.
samedi 24 décembre 2022
JOYEUX NOËL !
Je vous souhaite un joyeux Noël, à vous tous qui me suivez.
Et en attendant de se retrouver pour de nouvelles entrées sur ce blog,
je vous laisse avec ce conte de malicieux écrit et dessiné par l'excellent David Lopez !
KROMA #2, de Lorenzo de Felici
Le premier épisode s'était conclu sur un cliffhanger terrible avec la mort de Zet, ce jeune apprenti qui voulait aider Kroma à quitter sa cellule. La jeune fille était utilisée pour entretenir de vieilles superstitions dans une cité régie par un prêtre fanatique et manipulateur auprès d'habitants qui avaient fui la colère d'un roi des couleurs après qu'un d'entre eux l'ait irrité.
En une cinquantaine de pages, Lorenzo de Felici, surtout connu pour avoir co-créé et dessiné Oblivion Song (co-créée et écrit par Robert Kirkman) et avoir participé au projet collectif Infinity 8, nous livrait le premier chapitre d'une histoire fascinante, profonde et troublante, avec une maturité exceptionnelle.
Aucun hasard pourtant dans cette maîtrise car, comme il y revient à nouveau dans la postface de ce deuxième numéro, Kroma est un projet longuement mûri. L'italien explique que l'idée initiale remonte à une dizaine d'années et était destinée au marché de la BD européenne. Mais après le refus de plusieurs éditeurs et de multiples réécritures, dont une avec l'aide d'un scénariste français, il préféra remiser son récit en attendant que l'horizon ne s'éclaircisse. Puis Robert Kirkman lui proposa Oblivion Song...
En confiance avec son partenaire et Image Comics, de Felici sut qu'il avait trouvé là un endroit et des auditeurs prêts à l'aider à porter son histoire à son terme. Comme il le raconte, entre temps, Kroma a beaucoup évolué, il a ramené l'intrigue à l'essentiel et pu la faire publier comme il l'entendait, soit à raison de quatre épisodes king-size, en assumant seul scénarion dessin, encrage et couleurs.
Très vite, dans ce nouveau chapitre, on sort de la cité pâle dont s'échappe, acrobatiquement, Kroma. Nous voici à ses côtés dans la forêt aussi belle que dangereuse, avec sa faune grotesque et inquiétante. Elle est traquée par Damog, un soldat zélé qui entend bien la ramener au prêtre Makavi qui la séquestrait, mais pas forcément en vie, car ce sinistre sire la considère comme une authentique créature maudite.
Le sauvetage de Kroma est l'occasion d'un rebondissement ébouriffant puisqu'il introduit un nouveau personnage : Soristo est un vieillard excentrique qui se camoufle avec un déguisement d'oiseau et vit dans un "nid". On apprend ensuite qu'il a été banni de la cité pâle, où il était enseignant, au prétexte qu'il s'était "égaré" - en vérité il avait remis en question les croyances propagées par les religieux. Depuis il vit dans cet environnement hostile où il a appris à décoder les couleurs des animaux qui le peuplent mais sans réussir à communiquer avec eux. Pour cela, il lui manque une "clé"...
On comprend instantanément que Kroma est cette "clé" et on devine aussi vite que Soristo, sous des dehors sympathiques, n'est pas net. Son existence solitaire, au contact d'une nature aussi mystérieuse, semble même l'avoir rendu fou. Sa manière de parler est aussi illuminée que celle du prêtre Makavi, et cela donne une ambiguïté épatante au récit. Ce qui se passe dans la cité n'était pas rassurant, mais ce qui se joue en dehors, au-delà des "monstres" qui y vivent, ne l'est pas davantage. La jeunesse de Kroma et la tension qui l'anime aide à s'identifier. Même si elle voit le fantôme de Zet et suit ses conseils...
De Felici nous guide jusqu'à une nouvelle chute absolument effrayante. La densité des épisodes est palpitante, mais le rythme du récit est tel qu'on ne voit pas le temps passer et on n'a jamais le sentiment d'être submergé par tout ce que nous dit l'auteur. Il a trouvé un équilibre magistral entre ce qu'il veut suggérer et ce qu'il veut expliquer, laissant de l'espace au lecteur tout en lui fournissant le nécessaire pour ne pas être perdu dans ce monde à la fois envoûtant et angoissant. Il n'oublie pas non plus de nous émouvoir, comme dans une saynète poignante où Kroma feuillette le carnet qu'elle avait subtilisé à Zet et dans lequel elle trouve son portrait dessiné -et qu'elle agrémente avec des pigments de couleurs.
Visuellement, Kroma est un comic-book splendide et pour tous ceux qui pensent que "c'était mieux avant" dans la BD (américaine ou d'ailleurs), le travail de Lorenzo de Felici devrait les convaincre qu'au contraire le neuvième Art sait encore fréquemment nous subjuguer par les visions d'artistes inspirés.
En changeant de cadre, la série nous plonge dans une déluge chromatique vertigineux, grisant. De Felici nous éblouit avec des splash-pages étourdissantes, mais son découpage est aussi admirable par la fluidité et la vigueur qu'il possède. L'action du premier tiers de l'épisode est menée tambour-battant, réservant son lot de surprises. Jamais le dessinateur ne cède à la facilité.
La suite est plus apaisée avec le chemin parcouru par Kroma et Soristo. De Felici "coupe le son" à l'occasion pour laisser parler ses images par elles-même, sans que la lisibilité ne soit entamée. Ces silences au contraire fonctionnent comme un contraste puissant où l'on partage l'émerveillement de Kroma mais aussi son appréhension puisque, comme elle, nous ignorons où nous allons.
Généralement, Lorenzo de Felici privilégie des cases de dimensions généreuses pour qu'on appréhende le décor et les proportions entre personnages et environnement. Cela produit un effet percutant car les compositions de l'artiste sont impeccables, la façon dont il joue avec les ombres, la valeur des plans nous maintiennent constamment aux aguets.
Ce mélange de sidération et d'accalmie fait tout le sel de cette série. Je repense alors à Isola, la série de Brandon Fletcher et Karl Kerschl (en rade depuis deux ans et demi), qui, avec des auteurs plus aguerris, ne rivalisait pas avec ce projet hallucinant de beauté, de poésie et de terreur.