samedi 31 mars 2018

MYSTIK U : BOOK THREE, d'Alisa Kwitney et Mike Norton (FINALE)


Je ne m'étais jamais soucié du nombre exact d'épisodes de ce titre et me suis donc aperçu avec la parution de celui-ci que c'était (déjà) le dernier. Mais l'un dans l'autre, avec des numéros de cinquante pages chaque mois, Mystik U donne autant à lire qu'un arc narratif traditionnel de six chapitres. C'est donc l'heure du dénouement pour l'histoire concoctée par Alisa Kwitney et Mike Norton et le moment de savoir qui représente la Malveillance menaçant la fameuse université de magie (et si cette entité triomphera comme c'est prévu)...


Après avoir échangé un baiser avec Sebastian Faust, Zatanna a perdu connaissance et son prétendant a averti, paniqué, leurs amis. Sargon et June Moon/l'Enchanteresse se rendent à la Maison des Secrets dans le campus pour avertir Rose Psychic, la directrice, mais tombent sur Mr. E et le Dr. Occult en train de s'exercer sur un sortilège.


Dr. Occult gagne la chambre de Zatanna et confirme son décès puis prend Sebastian Faust à part pour lui signifier sa punition. Cependant, Pia Morales ne croit pas à la mort de son amie et utilise ses pouvoirs de guérisseuse pour la ressusciter. Zatanna revient à elle, désorientée, sans aucun souvenir de ce qui s'est passé.
  

Le corps professoral de l'université se réunit et débat une nouvelle fois de la Malveillance incarnée par un des nouveaux élèves. Mme Xanadu s'oppose au Dr. Occult sur l'identité du coupable tandis que Rose Psychic est étonnamment absente de cette réunion.


Plus tard, dans la journée, Sebastian Faust retrouve Pia Morales dans le parc du campus et lui révèle avoir percé son secret : elle n'est pas une simple guérisseuse mais une nécromancienne, ce qui fait qu'en ramenant Zatanna à la vie elle l'a sous son emprise - et il faut y remédier pour qu'elle retrouve son autonomie.


Consciente de l'obstacle que constitue le Dr. Occult et doutant de sa loyauté, Mme Xanadu l'attire dans son grenier et le piège et l'embrassant et en le mordant à la lèvre. Avec son sang, elle ouvre un passage dans le miroir magique derrière le reflet duquel Rose Psychic est retenue prisonnière - et avec laquelle il échange sa place. Mais il les met en garde : elles ne parviendront pas, à elles deux, à stopper la Malveillance.


Zatanna se réveille dans une grotte glaciale en compagnie de Pia, Sebastian, Sargon et June sans se souvenir comment ils sont arrivés là. Plop les y rejoint mais la galerie par laquelle il s'est faufilé est trop étroite pour permettre aux élèves de s'y glisser. Sebastian découvre alors que le démon Neburos, qui a acheté son âme, se cache là, dans l'ombre, et passe un marché avec lui. Ils signent tous un pacte pour recouvrer leur liberté en échange d'un sixième de leur âme (ce qui équivaut pour le démon à une âme entière).
  

Neburos honore sa promesse et les six étudiants sont libres... Mais à l'extérieur de l'université ! Pia neutralise les bestioles menaçantes qui les encerclent et rentre avec ses camarades dans l'école pour s'attabler au réfectoire où tous les élèves dînent. Plop découvre, trop tard, que la nourriture servie est empoisonnée et, à nouveau, ils sont expulsés de l'enceinte protectrice de l'établissement, transformés qui plus est en fragiles animaux et prêts à être exécutés par Mr. E !


Leur sacrifice doit honorer la version adulte de Pia, incarnation de la Malveillance. Plop se sacrifie pour sauver ses amies avant que la menace n'aille défier Rose Psychic et Mme Xanadu dans le parc du campus. Reprenant forme humaine, Zatanna, Sebastian, Sargon, June et Pia adolescente aident leurs enseignantes à vaincre leur adversaire et sauver l'école. 
Chacun retrouve ses parents pour les vacances mais Zatanna repart à la recherche de son père, Giovanni, en compagnie de Sebastian Faust.

Le format "prestige" de cette parution rend évidemment la lecture plus dense qu'un comic-book traditionnel de vingt pages et la somme des péripéties narrée ici aboutit à un examen critique différent, plus proche de l'expérience d'une bande dessinée franco-belge bien fournie en vérité. Mais c'est ce qui fait le sel de l'entreprise.

Alisa Kwitney a réalisé un excellent travail depuis le début et la qualité première de son écriture est de savoir parfaitement doser les ingrédients de chacun de ses trois Livres. Depuis le début, l'intrigue principale mettait en scène l'apprentissage d'un groupe de jeunes adultes dans une université où ils apprenaient à maîtriser leurs pouvoirs magiques. Tout cela avait un délicieux air de déjà-vu, on pensait bien sûr à Harry Potter, sans pourtant plagier l'oeuvre de J.K. Rowling.

Puis, un subplot, assez puissant pour être mémorable, dressait la menace : il s'agissait d'une prophétie dévastatrice annonçant la destruction de l'institution par une entité appelée la Malveillance. Ce danger était incarné par un des nouveaux élèves, et Zatanna, l'héroïne principale, conduite là par la directrice Rose Psychic, après la mort apparente sur scène de Giovanni, le père de la jeune fille, était une des suspectes possibles pour une partie des professeurs (dont les influents Mr. E et Dr. Occult).

Tout l'intérêt de l'intrigue reposait à la fois sur la possibilité que la prophétie se réalise en même temps que la formation des jeunes magiciens permettrait de déterminer lequel était le plus puissant et donc potentiellement le plus dangereux, le plus susceptible d'être la Malveillance incarnée. Pour ponctuer ce whodunnit, le script de Kwitney développait les relations entre six élèves, bien caractérisés, sur lesquels, chacun à leur tour, le lecteur pouvait projeter ses soupçons (tout en maintenant un doute concernant Zatanna elle-même).

La scénariste brouillait les pistes aussi en décrivant, de manière décalée, les us et coutumes des universités américaines traditionnelles, avec notamment les sororités, le corps enseignants, la sélection à l'entrée des établissements prestigieux, etc. On obtenait, à partir de tout cela, un cadre très fourni, à la fois divertissant, malin et captivant.

Dans le précédent Livre, on assistait à une chute dramatique : après avoir embrassé le ténébreux Sebastian Faust, cédant enfin à son attirance pour elle, Zatanna perdait connaissance, visiblement morte. Le troisième et dernier Livre démarre où le lecteur en était resté et tout de suite, les événements s'enchaînent. Le rythme ne baissera plus durant cette aventure au terme de laquelle de nombreux rebondissements vont se succéder crescendo.

D'un côté, Kwitney souligne les dissensions entre les professeurs : deux camps se sont formés, avec Mme Xanadu contre le Dr. Occult et Mr. E. Un "détail" s'y ajoute : l'absence inexpliquée de Rose Psychic. Au centre des débats : Zatanna, soupçonnée d'être l'incarnation de la Malveillance. Mais au-delà de ce problème, c'est la prise de contrôle de l'université qui est en jeu : celui qui la sauvera héritera de sa direction.

De l'autre côté, la vie du groupe d'étudiants continue d'alimenter la série. Zatanna ressuscite vite, mais dans des circonstances qui éveillent la méfiance de Sebastian Faust et conduisent à la révélation du secret de Pia Morales. Cette dernière devient alors l'objet d'une curiosité accrue et le lecteur voit son intérêt déplacé de Zatanna à Pia à mesure que le dénouement approche. La scénariste suggère subtilement au public que l'incarnation de la Malveillance n'est pas celle qu'on croit - et que les professeurs suspectent. Quand cela se vérifie, le coup de théâtre demeure efficace car il prend une forme inattendue et démasque un traître parmi les professeurs. La progression dramatique est très accrocheuse et l'affrontement final, dont le lecteur connaît l'importance de l'issue, est palpitant car vraiment incertain.

Le plus fort dans tout cela est sans doute que Alisa Kwitney et Mike Norton ménagent jusqu'au bout leurs effets, ne cédant pas au grand spectacle, l'action restant circonscrite au périmètre de l'université. Mais c'est néanmoins intense.

Norton a prouvé depuis le début de la série son implication et son application à animer cette histoire. Le soin avec lequel il a représenté l'université, campé les étudiants, souligné les temps forts en laissant le lecteur respirer par un découpage tour à tour spectaculaire et sage, se retrouve encore ici, et il faut saluer la qualité de la prestation.

Mystik U, grâce au style classique, jamais tape-à-l'oeil, de Norton a gagné en consistance, en cohérence, en régularité, là où beaucoup d'artistes se seraient vite épuisés en donnant tout dès le début pour finir sur les rotules, expédiant les affaires courantes, cédant à la facilité. Ici, c'est tout le contraire : chaque Livre a su conserver un haut degré d'exigence sous des apparences de simplicité, voire de modestie, mais en vérité, en préférant servir le récit Norton a su lui injecter une classe folle.

Son trait n'est peut-être pas flamboyant, ses cadrages pas délirants, mais ses personnages sont expressifs, ses designs étudiés. C'est un dessin qui a le mérite de donner à lire, autant que le scénario, pas plus mais pas moins. Beaucoup de dessinateurs de comics, partant bille en tête pour terminer en sacrifiant les arrières-fonds ou en étant aidés par des brigades d'encreurs, feraient bien d'en prendre de la graine car Norton prouve qu'en disposant bien ses efforts, on obtient un rendu bien plus complet.

La dernière page voit la bande se séparer, retrouvant leurs parents, à l'exception de Sebastian Faust et Zatanna, partant ensemble pour retrouver le père de cette dernière. Comme une invitation, Alisa Kwitney rappelle ensuite que "chaque fin est aussi le début d'autre chose". On interprétera cela à sa convenance mais il n'est pas interdit d'y deviner une suite, d'autant que Zatanna (adulte) sera l'une des vedettes de la relance de Justice League Dark (par James Tynion IV et Alvaro Martinez), donc un personnage sur lequel DC Comics semble vouloir miser...  

vendredi 30 mars 2018

THE TERRIFICS #2, de Jeff Lemire, Ivan Reis et José Luis


Après l'excellente surprise du premier épisode, The Terrifics allait-elle confirmer ses promesses ? Affirmatif ! Jeff Lemire est toujours dans une forme pétaradante, accompagné d'Ivan Reis qui est ici aidé pour quelques pages de José Luis.


Dans le Dark Multiverse, les Terrifics ont découvert, vu et entendu le message laissé par Tom Strong les avertissant d'une grave menace qu'ils doivent empêcher de sévir car il est mort en voulant le faire. Mais aucun des héros ne sait qui est Strong et de quoi il parle. Mr Terrific en profite pour interroger Phantom Girl sur son séjour dans cette dimension afin qu'elle puisse peut-être éclaircir la situation.


Linnya explique qu'enfant elle était en voyage avec ses parents dans les parages avant que leur vaisseau soit pris dans une tempête. Placée dans une capsule de survie, elle échoua sur le corps du géant mort où ils se trouvent tous aujourd'hui. Mr Terrific arrache l'antenne-relais de Tom Strong avec l'aide Plastic Man et Metamorpho et c'est alors que le sol se met à trembler. Plastic Man s'étire et prévient ses amis que le géant n'est pas mort et se réveille !


Ils prennent alors la fuite mais le géant les poursuit, et ils franchissent le portail dimensionnel ouvert par Stagg. Mr Terrific le referme in extremis et en retire la clé pour que son rival ne l'utilise plus. Metemorpho étreint Sapphire Stagg sous les regards attendri de Phantom Girl et sarcastique de Plastic Man.


Mais Phantom Girl découvre alors qu'elle a recouvert son état solide... Ce qui a pour effet de faire exploser tout ce qu'elle touche et de l'obliger à redevenir intangible. Mr Terrific remonte dans son vaisseau pour aller examiner l'antenne-relais de Tom Strong dans son laboratoire mais promet de revenir pour soigner Linnya.
  

A peine s'est-il éloigné du domaine de Stagg que Mr Terrific de son côté et ses trois acolytes du leur sont traversés par une terrible douleur. Obligé d'atterrir en catastrophe, Mr Terrific en déduit rapidement que quelque chose s'est passé dans le Dark Multiverse qui les oblige désormais à rester ensemble !

Un des charmes du premier épisode était sa vitesse narrative : tout s'y déroulait comme si Jeff Lemire calquait son écriture sur la manière de rédiger un script dans les années 60, en exposant et développant à toute allure une situation, en réunissant héros et vilains, en les propulsant dans une aventure échevelée. La question se posait alors de savoir si l'auteur allait garder ce tempo ou en faire le rythme de la série.

Le deuxième chapitre des Terrifics (même si le quatuor n'a pas encore adopté un nom d'équipe) part sur les mêmes bases et maintient ce swing entraînant qui est à la fois rafraîchissant et exigeant (car il ne suffit pas d'enchaîner les péripéties, il faut aussi ajouter du sens à l'histoire).

Le séjour dans le Dark Multiverse ne dure pas longtemps puisque les quatre protagonistes en sortent avant le terme de l'épisode, mais ce voyage, si bref soit-il, va changer profondément la dynamique de leur formation. Phantom Girl ne bénéficiait ainsi que de quelques pages : ici, on apprend ses origines, la raison de sa présence dans cette zone, et l'on découvre à son retour dans notre dimension que ses pouvoirs ont muté de manière spectaculaire et instable. Idem pour ce mystérieux géant apparemment mort qui servait de planète où faisaient connaissance les trois garçons avec la fille : il se réveille subitement et il s'en faut de peu pour qu'il n'envahisse notre monde après une fuite trépidante (où Metamorpho pourrait presque se fendre d'un "It's a clobberin' time !"). Tom Strong ? Il demeure une énigme dans le récit mais amené à être éclairci.

Toutefois l'élément le plus déterminant de cet aller-retour dans le Dark Multiverse est l'impact qu'il a donc sur l'équipe elle-même, désormais, littéralement, dans l'incapacité de se séparer ! Lemire garde des cartouches et n'explique pas pourquoi, mais on retrouve là le motif à la base de son (excellente série) Black Hammer où les circonstances obligent aussi les héros à rester ensemble, contraints et forcés. Même s'il est impossible que Lemire ait su que Chip Zdarsky avait imaginé que les Fantastic Four s'affaiblissaient en restant séparés longtemps comme il le raconte dans Marvel Two-in-One, cette façon de coller le groupe des Terrifics est troublante de ressemblance. Ce n'est plus une cause commune qui les agrège, mais la nécessité vitale.

Lorsque la preview de cet épisode a été diffusée, on a pu remarquer qu'Ivan Reis n'en dessinait pas la totalité puisque José Luis était mentionné comme second artiste. Que les fans du premier se rassurent : Reis aligne quand même 14 planches sur les 20 que compte le numéro et il produit un merveilleux travail, riche en détails, d'une énergie intacte. Le brésilien est en forme, mais sachant qu'il cède sa place au prochain épisode, il est possible qu'il ait préféré être secondé pour préparer son prochain projet (l'épisode de la mini-série Man of Steel puis le Superman de Bendis).

José Luis effectue un boulot impeccable, son style collant au plus près de celui de Reis, si près d'ailleurs qu'on remarque à peine quand la liaison s'opère à la quinzième page jusqu'à la vingtième. La qualité reste identique, l'expressivité des personnages, le souci des décors, le découpage, rien ne troublera votre lecture.

(N.B. : il semble d'ailleurs que la série connaîtra des fill-in dans un futur proche, puisque Evan Shaner officiera comme prévu dès le #4, mais Dale Eaglesham est prévu pour, au moins, le septième épisode.)

A la fois, encore, exercice de style épatant et avancée notable, ce nouveau chapitre confirme que The Terrifics est un comic-book extrêmement plaisant, avec cette touche old school dans la narration que vient contrebalancer un dessin tonique et fourni.

jeudi 29 mars 2018

OLD MAN HAWKEYE #3, de Ethan Sacks et Marco Checchetto


Nous voilà au quart de cette maxi-série et Old Man Hawkeye #3 offre encore sa dose de grand spectacle dans ce futur post-apocalyptique où les héros ont été défaits par les méchants. Il n'est plus temps de considérer ce spin-off de Old Man Logan comme un ersatz, mais bien comme une des meilleures productions actuelles de Marvel (dont les annonces pour son énième statu quo, "Fresh Start", ne me convainquent pas du tout).


Hawkeye entre dans le Murderworld d'Arcade où, après avoir assisté au tabassage d'un comédien en habit de Captain America, est reconnu par une vieille aveugle, Mme Web qui l'invite dans sa tente pour lui dire la bonne aventure. Elle lui recommande d'abandonner ses projets de vengeance qui, outre qu'ils ne lui rendront pas ses amis morts, risquent surtout de lui coûter la vie. 


Cependant, Bullseye autopsie the Orb (qui ne semble pourtant pas encore mort...) afin de savoir où s'est déplacé Clint Barton. Il est interrompu par Crâne Rouge, furieux qu'il n'ait pas répondu à ses derniers appels, mais le marshall s'est fixé une mission prioritaire et répond à son supérieur qu'il dispose de bien d'autres tueurs pour s'occuper des basses oeuvres.


Tonya, l'ex-femme de Clint, reçoit la visite tardive de la barmaid où l'archer a agressé the Orb. Poursuivie par ses ennemis, elle veut récupérer sa moto et décamper le plus loin possible. Mais dehors, les Venoms entendent tout de l'échange entre les deux femmes et apprennent où l'archer s'est rendu.


Retour au Murderworld d'Arcade : Clint entre sous un chapiteau et dans la loge d"Erik Josten, son ancien partenaire au sein des premiers Thunderbolts, qui se donne en spectacle dans des combats. Il a pour survivre trahi les héros qui l'ont toujours considéré comme un vilain et les vilains qui l'ont toujours considéré comme un félon.


Les deux anciens acolytes s'affrontent dans un combat spectaculaire au terme duquel Hawkeye tue Atlas et repart. Plus tard, le marshall Bullseye arrive sur place et identifie la victime : il sait maintenant que Barton va traquer tous les anciens Thunderbolts encore en vie.

Jusqu'à présent, Ethan Sacks s'est, mais c'est déjà beaucoup et surtout essentiel, "contenté" de poser son décor - l'Amérique après la chute des super-héros suite à une attaque orchestrée de super-vilains - et de déterminer les enjeux de son récit - la vengeance de Hawkeye avant qu'il ne perde la vue. Le lecteur évoluait avec le héros dans un cadre mixant éléments tirés du western et de Mad Max, tout en découvrant que Clint Barton laissait derrière lui pas mal de monde déterminés à lui faire la peau - le marshall Bullseye, Venom qui a pris les cadavres de l'Homme Multiple pour hôtes.

Il restait à savoir de qui allait précisément se venger Hawkeye, en gardant donc en tête ce compte à rebours concernant sa cécité et le nombre de ceux résolus à l'exterminer, sans se soucier de sa mission. Avec ce nouveau chapitre, le scénariste éclaircit de manière décisive notre lanterne.

Désormais, en effet, tout fait sens : pourquoi Bullseye est-il si ravi d'en découdre avec Barton ? Parce que, lorsqu'il fut membre des Dark Avengers, c'est lui qui hérita du pseudonyme et du costume de Hawkeye dans l'équipe dirigée par Norman Osborn/Iron Patriot. Tuer Barton, c'est tuer celui dont il avait usurpé l'identité un temps, se mesurer à l'original en quelque sorte.

Quant aux cibles de Barton, ce sont les premiers Thunderbolts, dont il fut le chef dans la série de 1997, écrite par Kurt Busiek et dessinée par Mark Bagley. Petite piqûre de rappel : après la disparition des Vengeurs et des Quatre Fantastiques lors du crossover Onslaught (en 1996), une nouvelle équipe de super-héros, les Thunderbolts, apparaît pour combler le vide laissé. Mais à l'issue du premier épisode, ces nouveaux héros se révèlent être d'anciens super-vilains, les Maîtres du mal, revenus sous de nouvelles identités. Certains, pourtant, prendront goût à être des justiciers oeuvrant pour le Bien. Le groupe est constitué de Helmut Zemo, fils du Baron Zemo devient Citizen V ; Le Scarabée devient Mach-1 ; Screaming Mimi devient Songbird ; Fixer devient Techno ; Goliath devient Atlas ; et Moonstone devient Météorite.

Sacks inscrit donc son récit dans une continuité même si la saga est censée se dérouler dans un futur alternatif. Les retrouvailles de Hawkeye avec Atlas donnent lieu à une discussion sans ambages et aussitôt après à un affrontement grandiose. On en a pour son argent, plus encore que lors de la descente de l'archer dans le bar où il a débusqué the Orb le mois dernier.

C'est que Marco Checchetto accomplit là ce qui pourrait bien être sa meilleure prestation de sa carrière. Je l'ai déjà dit et je me répète donc, mais cet univers de rouille et d'os, de sang et de poussière, lui va comme un gant, il s'y éclate manifestement, mais surtout produit des pages sensationnelles. Bien entendu, quand il s'agit de mettre en scène une baston aussi épique que celle de cet épisode, c'est déjà impressionnant, et le luxe de détails qu'il dispense vaut celui qu'on trouvait sous le crayon débridé de Hitch à l'époque de Ultimates - pas moins !

Mais quand il s'agit de poser des situations moins mouvementées, sa créativité n'est pas au repos, avec toujours le souci de rendre la scène intense, de souligner chaque effet pour le rendre mémorable. L'autopsie de the Orb, le dialogue de Tonya et la barmaid avec les Venoms dehors, ou surtout la séance avec Mme Web dont les visions sont illustrées par la fumée de sa tasse sont extraordinaires.

La colorisation d'Andres Mossa est aussi essentielle au plaisir qu'on éprouve à cette lecture : la palette qu'il a choisie se limite souvent à peu de couleurs, mais instaure tout de suite un climat, une ambiance, une texture frappantes, comme pourrait le faire une bande-son dans un film.

Dans la production sinistre de Marvel ces temps-ci, Old Man Hawkeye n'a aucun mal à se distinguer : c'est d'abord par son excellence que cette maxi-série séduit, l'exigence de son équipe artistique, et sa puissante simplicité (on n'a aucun mal à rentrer dans chaque nouvel épisode car on n'a rien oublié du précédent) ensuite qu'Ethan Sacks et Marco Checchetto gagnent la partie. Ils cherchent à raconter avec soin une bonne histoire : simple, évident, mais pas pour tout le monde dans la "maison des idées" apparemment.

mercredi 28 mars 2018

SHADE THE CHANGING WOMAN #1, de Cecil Castellucci et Marley Zarcone


Suite au crossover Milk Wars, dans lequel les personnages du label "Young Animals" de Gerald Way rencontraient ceux de la JLA et des versions détournées de Superman, Batman et Wonder Woman, toutes les séries de cette collection sont relancées au #1. Leurs intitulés subissent aussi quelques changements pour souligner leur évolution au terme de la saga (même s'il n'est pas indispensable de l'avoir lue pour raccrocher les wagons) : Shade the Changing Girl devient donc Shade the Changing Woman. Mais, heureusement, avec la même équipe artistique.


Cinq ans ont passé depuis la fin des précédentes aventures de Loma. Son corps sur la planète Meta a péri et son esprit est donc désormais prisonnier du corps de Megan Boyer, qui, lui-même, a vieilli en conséquence. Ce n'est plus une adolescente mais une jeune femme, toujours vêtue du manteau de folie du poète Rac Shade avec lequel elle peut communiquer depuis l'au-delà pour qu'il la guide encore sur Terre. Mais il lui recommande surtout, désormais, de se laisser porter par les événements.
  

Sur Meta, après avoir subi les infâmes traitements de Mellu Loran, Lepuck est libre et Mme Depps a levé toutes les charges pesant contre lui. Malheureusement, il demeure inconsolable depuis la mort du corps de Loma, bien qu'il ait eu le temps de lui avouer son amour et qu'il sait son esprit encore vivant dans un corps terrien. Mais son destin est peut-être, à lui aussi, sur le point de basculer quand un anneau des Green Lantern l'aborde...


Sur Terre, River, après avoir obtenu son baccalauréat, s'inscrit à l'université de Floride pour y suivre des études d'exobiologie. Loma l'a suivi pour avoir son soutien, plus déboussolée que jamais par sa situation. Teacup communique avec eux via Skype et suggère à Loma de consulter un groupe de thérapie collective.


Mais cette solution ne convient pas au désarroi de la jeune femme dont le manteau de folie lui fait ressentir tous les troubles de la Terre - contestations sociales, menaces de guerre, autant d'éléments qui ajoutent à sa détresse... Et devant lesquels River se sent bien impuissant à la rassurer.


Lui-même doit composer avec Kelvin, le responsable de la cité universitaire réservé aux garçons, qui a remarqué la présence de Loma et donne 24 heures pour qu'elle parte. River ressent un trouble physique évident envers cet élève. Mais ce n'est rien comparé au fait que le corps enseignant exige que leur soit communiqué, sur ordre du gouvernement, tout signe d'une forme de vie extraterrestre s'il en rencontre une...

La folie douce de ce nouveau Volume de la série perpétue parfaitement celle qui régnait dans les douze épisodes précédents, tout en y ajoutant un piment supplémentaire. Le cadre de l'action se déplace en même temps que l'état de l'héroïne a sensiblement évolué, et d'ailleurs, d'entrée de jeu, nous sommes avertis que cinq ans ont passé depuis les événements narrés dans Shade the changing girl.

Il n'est donc plus question d'explorer, de manière métaphorique, les affres de l'adolescence avec une histoire d'esprit extraterrestre ayant investi le corps d'une jeune fille américaine à la conduite répréhensible. Le récit initiatique s'est mué en une aventure plus complexe sur le fait de devoir composer avec une situation sans issue puisque le corps de Loma n'est plus et que son esprit est condamné à rester sur Terre dans le corps de Megan Boyer.

Cecil Castellucci consacre plusieurs pages, quasiment les deux tiers de l'épisode, à montrer le désarroi de Loma aujourd'hui. Dans un corps de jeune femme qui donne son nouveau titre à la série, Shade the Changing Woman, elle fait l'expérience du bonheur, de la sexualité, mais aussi du malheur, du deuil, de la différence. Son hypersensibilité, accrue par le manteau de folie, lui communique les tourments non seulement de son hôte mais de la Terre entière en proie à diverses tensions. 

Comme le suggérait les douze premiers épisodes, la folie du manteau de Rac Shade menace d'engloutir celui/celle qui l'enfile et on craint d'abord que ce soit ce qui attend Loma. Pourtant, en essayant d'avoir quelques conseils avisés du poète, elle ne reçoit que de vagues suggestions comme de ne pas résister, de se laisser porter par les choses, de ressentir pleinement le monde, de se laisser submerger - elle devrait alors, naturellement, faire ses propres choix, s'engager sur son propre chemin : en un mot, s'adapter.

Après avoir failli s'égarer donc, Loma constate qu'elle a "merdé" (selon sa propre expression) et se reprend en mains. Mais ce ressaisissement est fragile et elle suit donc, à sa manière, bien singulière, avec les pouvoirs que lui confère son manteau, River, qui intègre l'université et une cité non-mixte. La présence de Loma se transforme à la fois en compagnie pour le jeune homme et en problème (puisqu'une présence féminine n'est pas tolérée dans ces murs). Au passage, la scénariste glisse une allusion discrète à l'homosexualité éventuelle de River, troublée par Kelvin, responsable des étudiants.

Marley Zarcone, qui a soufflé le temps du crossover Milk Wars, revient visiblement gonflée à bloc et illustre cet épisode majoritairement introspectif avec une inventivité visuelle magistrale. On devine des influences comme celle de Dali, mais aussi des affichistes de propagande, dans des pleines et dess doubles pages somptueuses, où tout le délire qu'autorise le manteau de folie est traduit.

Mais l'artiste fait aussi montre d'une malice réjouissante quand elle joue avec un découpage plus classique dans lequel Loma utilise ses pouvoirs (voir le moment où elle passe littéralement à travers l'écran de l'ordinateur de River et aboutit dans la chambre de Teacup). La colorisation acidulée de Kelly Fitzpatrick n'adoucit pas forcément les tourments traversés par l'héroïne mais les souligne en introduisant un décalage entre les extravagances graphiques que le manteau de folie produit et la panique éprouvée par le personnage.

Il y a bien des choses encore à picorer dans cet épisode (la présence d'un anneau de Green Lantern devant Lepuck ?), comme autant de promesses à exploiter pour la série. On a l'assurance que Cecil Castellucci et Marley Zarcone ont encore beaucoup à dire et à montrer avec leur personnage excentrique et terriblement attachant. La folie douce de cette Changing Woman est aussi captivante que savoureuse.

mardi 27 mars 2018

LUMIERE SUR... CHRIS SPROUSE

Une petite friandise spéciale aujourd'hui,
que je partage bien volontiers avec vous,
pour 45ème anniversaire (et mon 1410ème post !)

Un épisode de The Rocketeer Adventures,
écrit par David Lapham et dessiné par Chris Sprouse :
Coulda'been...








BATWOMAN #13, de Marguerite Bennett et Fernando Blanco


Avec ce treizième épisode commence en quelque sorte la deuxième "saison" de la série, mais "en quelque sorte" seulement car il est si organiquement lié aux précédents qu'il ne s'agit pas d'une histoire différente, mais de la poursuite, du développement de l'intrigue démarrée depuis le début du titre. On est dans une logique de feuilleton, sans interruption, et cela donne une ampleur nouvelle aux aventures de Batwoman, qui l'émancipe vraiment du reste de la "Bat-family".


Une fois arrivée à Bruxelles, Kate Kane se rend au sanatorium où est internée sa soeur jumelle, Beth alias Alice, l'ennemie de son alter-ego Batwoman. Mais elle apprend que celle-ci a disparu, enlevée (sans que cela ne semble vraiment déranger les responsables de l'établissement...). Batwoman se rend donc à l'adresse du domicile occupé par les Kane dans la capitale belge autrefois, là aussi où Kate, sa soeur et leur mère furent kidnappées avant d'être rendue, pour la première, à leur père, Jacob Kane.


La maison est abandonnée depuis les sinistres événements dont elle fut le théâtre mais Batwoman est certaine d'y trouver un indice, peut-être même la "Mother of War", leader de l'organisation des "Many Arms of Death", dont elle pense qu'il s'agit de Safiyha Sohail. Elle l'attend effectivement dans l'ancienne chambre des jumelles Kane.
  

Les deux ex-amantes s'affrontent et Batwoman, animée par la colère, a l'avantage et menace Safiyha. Mais celle-ci jure n'être pour rien dans la disparition de Beth ni même dans les manigances des "Many Arms of Death" : il s'agit d'une ruse, entreprise depuis longtemps, pour les éloigner de leurs bases respectives, Coryana et Gotham.


Et qui, plus que toute autre, peut leur en vouloir à ce point, à toutes deux ? Quelle femme est leur ennemie jurée, parce que Kate a été sa rivale et Safiyha la maîtresse qui l'a rejetée ? Tahani bien sûr. Celle-là même qui, en ce moment, est à bord d'un avion privé avec les jumeaux de l'organisation et la vraie chef des "Many Death of Arms" : rien moins qu'Alice, alias Beth Kane, résolue à attaquer Gotham comme elle l'a fait avec Coryana !

C'est vraiment un point d'orgue, un climax, pas seulement avec la révélation de la dernière page - l'identité de la "Mother of War" - mais tout l'épisode. Ce genre d'épisode où une série prouve qu'elle n'est pas seulement une série de plus, qui plus est dans une collection dont la tête de gondole est Batman. Mais un épisode où son héroïne gagne ses galons, devient vraiment une vedette, l'actrice d'une saga.

On me rétorquera, qu'en leur temps, Greg Rucka et J.H. Williams III, puis J.H. Williams III seul, avaient produit des arcs narratifs passionnants, visuellement impressionnants. Mais c'était à une époque où Batwoman cherchait encore sa place dans le "Bat-verse" (et par extension le DCU), après avoir eu du mal à prendre corps (depuis son apparition dans la saga hebdomadaire 52). Ce qui manquait à ce personnage, c'était une série où, peut-être, il y aurait moins de coups d'éclats narratifs et de morceaux de bravoure graphiques, mais une continuité, une suite d'épisodes qui l'affirmeraient comme un personnage méritant sa place.

James Tynion IV a grandement contribué à cela en intégrant Batwoman à la série Detective Comics, tout en caractérisant le personnage comme une sorte de chef très autoritaire, agissant comme une militaire, prête à tuer (ce qui reste cohérent vu sa formation). Mais cela lui ôtait du coup un capital sympathie essentiel pour adhérer complètement.

Marguerite Bennett n'a pas gommé la dureté inhérente, consubstantielle, à Kate Kane, mais elle a pu, en opérant un focus sur elle, en l'affranchissant de Batman, de la "Bat-family", lui ajouter une humanité, des failles, une prise de conscience de ses défauts - tout ce qui permet au lecteur d'apprécier une héroïne.

Ce travail a pu sembler d'abord classique et laborieux, avec le récit d'une romance contrariée avec Safiyha (alors que le fan de Batwoman l'associait à Renee Montoya). Mais la scénariste n'a pas effacé l'oeuvre de ses prédécesseurs comme on peut en juger dans cet épisode où elle mentionne les origines de Kate telles que narrées dans l'arc Elegy de Rucka, puis en ramenant Alice, et en rattachant tout cela au subplot de "l'année perdue" sur Coryana. Le plan du récit, on le voit ici, a été minutieusement élaboré et respecté, chacune des étapes, via les arcs narratifs successifs, participant à son déroulement. Non seulement la série a décollé mais pour atteindre des sommets. La suite est prometteuse.

Fernando Blanco revient au dessin, après l'intérim de Scott Godlewski (qui reste dans cet univers puisqu'il officie désormais sur Batgirl). On avait quitté l'artiste un peu fatigué avec l'aventure contre l'Epouvantail, épaulé par Marc Laming. Son break lui a été profitable car l'épisode est formidable.

Toute l'action, pratiquement, se situe dans la maison abandonnée des Kane à Bruxelles que Batwoman explore minutieusement avant de retrouver Safiyha. Il ne se passe pas grand-chose mais il fallait du talent pour exprimer la tension de ce retour, de cette visite. Blanco excelle à faire monter la pression, il fait mariner Batwoman et le lecteur avec un découpage admirablement dosé, ponctué d'éclats.

Le face-à-face entre Kate et Safiyha est intense à souhait et la transition jusque dans l'avion où se trouvent les jumeaux, Tahani et Alice est exceptionnellement fluide. Une merveille de précision.

Pour ceux qui en doutaient encore, Batwoman est une superbe réussite. Pas l'exploit permanent du Batman de Tom King, mais au moins aussi bien que Detective Comics de Tynion IV, et supérieure à Batgirl (qui joue sur un registre plus léger) et Nightwing (très irrégulier).   

lundi 26 mars 2018

BATWOMAN #11-12, de Marguerite Bennett et Scott Godlewski


Les épisodes 11 et 12 de Batwoman sont parus en Janvier et Février dernier, ce qui va me permettre, dès demain, d'atteindre le n°13 sorti ce mois-ci et de donc être synchrone avec la publication de la série, pour laquelle, malgré le plaisir que j'ai à la lire, j'ai commis l'erreur de laisser passer trop de temps après son premier arc narratif. Le diptyque auquel je consacre cette entrée aujourd'hui est une transition qui mène à la prochaine étape, dans laquelle Marguerite Bennett boucle l'intrigue sur "l'année perdue" de Kate Kane sur l'île de Coryana avant de rebondir directement sur la suite de sa mission contre l'organisation "Many Arms of Death".


Pendant qu'elle affrontait l'Epouvantail dans le désert du Sahara, où elle a croisé son père, Jacob Kane et sa Colonie, Batwoman a laissé seule son assistante, Julia Pennyworth, qui a été enlevée au Caire, en Egypte. Mais ses ravisseurs ont laissé un indice déterminant - un fragment de porcelaine - qui évoque à la justicière un ennemi de Batman.


Grâce à cela, elle peut mener des recherches à Alexandrie. Mais la concentration lui fait défaut car ce morceau de porcelaine lui fait aussi penser à sa soeur jumelle Beth, devenue Alice, son ennemie. Se pourrait-il que les deux affaires soient liées ?


Batwoman délivre Julia du Professeur Pyg qui détient plusieurs otages dont il comptait faire ses sbires. Mais il réussit à s'évader, non sans avoir livré quelques révélations troublantes à son adversaire au sujet de sa soeur. C'est désormais assez pour Batwoman qui décide de creuser cette piste tout en étant résolue à faire preuve de plus de rigueur - à la manière d'un détective comme Batman et plus seulement d'un soldat comme elle y a été formé...


Pour ses investigations concernant Alice, Batwoman se rend en jet à Bruxelles. En route, elle se remémore la fin de l'année qu'elle passa sur l'île de Coryana aux côtés de Safiyha Sohail au sujet de laquelle elle nourrit des soupçons sur sa disparition - serait-ce elle, la "Mother of War", leader des "Many Arms of Death" ?
  

Sur l'île une étrange épidémie touchait et éliminait tous les renards. Tout portait à croire à un empoisonnement et le cartel de pirates guidé par Safiyha était à cran : qui pouvait vouloir ruiner leur refuge ainsi ? Les soupçons se portèrent sur Maksim qui fut jugé expéditivement et condamné à mort, tué sous les yeux de Kate Kane qu'il avait accusé précédemment d'avoir semé le trouble dans leur communauté depuis son arrivée.


Mais Kate comprit qu'elle était responsable de la maladie des renards qu'elle avait infectés accidentellement en leur transmettant une bactérie provenant du corail qu'elle avait heurté avant d'être repêchée. Safiyha avait donc sacrifié Maksim en connaissance de cause et se préparait à démanteler son propre gang.


Refusant d'être sa complice, Kate prit la fuite mais Safiyha lança à sa poursuite Tahani pour l'empêcher, à tout prix, de quitter Coryana. Kate parvient à ses fins malgré tout... Aujourd'hui, elle a la conviction que Safiyha est à la tête des "Many Arms of Death" depuis laquelle elle prépare des actes terroristes d'ampleur - et prête, pour écarter Batwoman, à s'en prendre à sa soeur Beth/Alice...

C'est une mécanique décidément bien huilée qu'a développée Marguerite Bennett depuis le début de la série (même si elle a d'abord été aidée par James Tynion IV, dans un rôle de mentor/superviseur) car pile un an après son lancement, on arrive aux révélations expliquant comment et (surtout) pourquoi Kate Kane a quitté l'île de Coryana et son amante Safiyha Sohail. Un an dans le passé pour mieux éclairer l'année présente et sa collection de péripéties avec la mission donnée par Batman à Batwoman de démanteler l'organisation "Many Arms of Death".

On mesure donc avec quelle rigueur et quelle application la scénariste a à la fois respecté son plan tout en semant les indices. Le lecteur a avancé à la même vitesse que Batwoman dans cette enquête, partageant son trouble, ses doutes, ses incertitudes, mais aussi sa détermination, sa pugnacité, et sa croyance dans l'identité du coupable - même si, sur ce dernier point, on le verra dans le numéro suivant, l'auteur nous a réservés une surprise...

Ces deux épisodes soulignent aussi l'importance des femmes qui ont entouré/entourent Kate/Batwoman : dans un premier temps, elle doit retrouver Julia Pennyworth, qui l'assiste dans ses missions, alors qu'elle a été enlevée par le Pr. Pyg. Celui-ci est un des méchants les plus grotesques, inquiétants et contestés de la galerie d'ennemis de Batman : affublé d'un masque porcin, il pratique des expériences sur ses victimes pour en faire ses laquais. Visuellement, il semble sorti d'un cartoon mais psychologiquement il émane de lui quelque chose de profondément malsain qui contredit son aspect ridicule. C'est en fait comparable au clown Pennywise du roman ça de Stephen King.

Passé ce chapitre, vite expédié bien que livrant des informations qui désarçonnent Batwoman (et qui voit le méchant lui échapper), Bennett revient au coeur de sa saga, la mythologie établie dans son run, la fameuse "année perdue" de Kate Kane passée sur l'île de Coryana et sa romance avec la pirate Safiyha Sohail. Comme le promet la couverture, on va enfin savoir comment elles se sont achevées.

La narration se fait encore plus nerveuse, tendue, intense, atteignant un vrai pic avec l'exécution de Maksim, la découverte de la véritable raison de la mort des renards, de la duplicité de Safiyha, la rivalité explosive entre Kate et Tahani. De nombreuses pièces du puzzle s'assemblent alors et le lecteur partage avec Batwoman une conviction terrible sur les projets de son ex-amante, liés à l'organisation des "Many Arms of Death". De l'art d'utiliser un flash-back avec à-propos et efficacité, juste avant d'entamer la "saison 2" de la série.

Pour ces deux épisodes, Scott Godlewski remplace Fernando Blanco (qui reviendra au #13). Ce dessinateur, révélé par la série Copperhead (écrite par Jay Faerber chez Image, avant qu'elle ne soit interrompue puis relancée avec un autre graphiste récemment), a rejoint DC Comics où il cherche encore sa place (on l'a vu participer au Superman de Peter J. Tomasi en fill-in de Patrick Gleason).

Animer une héroïne, au caractère bien trempée et dans le feu de l'action, ne le dépayse guère puisque c'était déjà le cas de la shérif Bronson de Copperhead. On remarquera cependant qu'il a modifié un peu son style : Godlewski faisait penser à un Scott Murphy plus calme, avec un trait moins saturé de hachures, mais avec des éléments communs (une tendance à privilégier les formes anguleuses, y compris anatomiquement, et un soin apporté aux détails des décors).

Peut-être plus pressé par le temps, il rend une copie moins peaufinée mais néanmoins excellente. Son dessin a gagné en nervosité ce qu'il a perdu en précision, mais c'est un mal pour un bien car la narration est très dynamique. Godlewski multiplie les angles de vue, varie son découpage, et la colorisation de John Rauch donne beaucoup de force aux scènes (en particulier nocturnes).

La suite, très vite, promis, avec des twists percutants, le retour de Fernando Blanco, et Marguerite Bennett toujours aussi captivante !    

dimanche 25 mars 2018

ANNIHILATION, d'Alex Garland


Changement de programme : j'avais prévu de consacrer cette entrée à autre chose, mais je ne peux attendre pour vous parler d'Annihilation, réalisé par Alex Garland, que j'ai vu hier et qui est une claque magistrale pour tout amateur de cinéma fantastique (et de bon cinéma en général). C'est aussi que ce n'est pas si courant que l'auteur du roman (traduit en France sous le titre Le Rempart Sud), Jeff VanderMeer, dont est tiré ce long métrage affirme que ce dernier est supérieur à son propre manuscrit ! 

 Lena et Kane (Natalie Portman et Oscar Isaac)

Placée en quarantaine dans une base militaire secrète, Lena, ex-soldat de l'armée de terre et biologiste, est interrogée sur son expédition dans le "miroitement" - dont elle est la seule, avec son mari, à être revenue.

Ventress, Lena, Cass Shepard, Josie Radeck et Anya Thorensen
(Jennifer Jason Leigh, Natalie Portman, Tuva Novotny, Tessa Thompson et Gina Rodriguez)

Depuis un an, Lena est sans nouvelles de son mari, Kane, lui-même membre de l'armée, parti en mission confidentiel. Il resurgit subitement un jour sans pouvoir expliquer où il était et comment il est revenu. Mais il est en mauvaise santé et, victime d'une hémorragie interne, doit être conduit à l'hôpital. L'ambulance est stoppée par un commando militaire, Kane en est sorti et Lena est sédatée. Lorsqu'elle se réveille, elle est dans une chambre de la base X et le Dr. Ventress, psychologue, lui explique que son mari est dans le coma, unique survivant de son régiment après avoir pénétré dans le "miroitement", une zone protégée par un champ électromagnétique depuis trois ans et en pleine expansion. 

Lena et le crocodile-requin

Avec Cass Shepard (anthropologue), Josie Radeck (physicienne) et Anya Thorensen (médecin), Lena décide à son tour de s'aventurer dans ce périmètre sous la direction de Ventress (la seule à savoir que Kane et Lena sont époux). Leur objectif : un phare atteint par un rayon depuis l'espace depuis lequel tout a commencé. Dans le "miroitement", tout est détraqué : la technologie déraille, impossible de communiquer avec l'extérieur ni de se guider, la notion du temps se perd. Les cinq femmes atteignent des marais et une cabane à l'intérieur de laquelle Josie est attaquée par un crocodile. Mais Lena la sauve puis examine la bête dont elle découvre qu'elle a muté avec un requin.

Une faune étrange

Plus loin, dans une base désaffectée, le groupe découvre un enregistrement vidéo où Kane éventre un de ses hommes à l'intérieur de l'estomac duquel s'est développée une forme de vie reptilienne. La nuit venue, Lena vient relever Ventress au sommet d'une tour de garde lorsque Cass Shepard est attaquée par un ours et traînée dans la forêt voisine. Le lendemain matin, Lena part à sa recherche et surprend des animaux transformés par l'environnement lui-même altéré puis découvre le cadavre mutilé de son amie.

Une flore étonnante

Les quatre femmes poursuivent leur périple jusqu'à un village recouvert d'une épaisse végétation dont la manifestation la plus curieuse est une série de plantes à forme humaine. Josie comprend alors le fonctionnement du "miroitement" qui réfracte tout ce qui l'entoure pour le modifier. La nuit venue, en proie à une crise de paranoïa, Anya Thorensen ligote et bâillonne ses camarades après avoir découvert la photo de Kane dans le médaillon du pendentif de Lena qu'elle accuse d'avoir tué Cass Shepard avec la complicité de Ventress. Mais l'ours resurgit et s'en prend à la jeune femme avant de revenir s'occuper des trois autres. Alors qu'il va attaquer Lena, Josie, ayant réussi à se délivrer, le tue.

Lena

Ventress, au matin, décide malgré tout de continuer, seule s'il le faut, pour atteindre le phare. Josie, contaminée, révèle qu'elle est en train de muter à l'état végétal à Lena et disparaît dans la forêt. Lena part à la poursuite de Ventress et gagne le phare. Elle longe la mer et observe les arbres changés en cristal sur la côte. Puis elle entre dans le bâtiment où un corps carbonisé se trouve entre un trou dans un mur et une caméra sur pied. Elle visionne la vidéo où Kane a filmé son suicide avant que son double n'apparaisse sur l'image.

Lena dans le "ventre" du phare

En attendant du bruit en provenance du trou dans le mur, Lena s'y glisse et, au fond, y trouve Ventress, s'exprimant de manière délirante en expliquant que le processus engagé est irréversible. Puis elle se désintègre avant qu'une structure nébuleuse en suspension ne se forme face à Lena. Une goutte de son sang est absorbée par ce nuage qui se transforme en un double de la jeune femme. Lena l'affronte, sans succès, jusqu'à ce qu'elle ait l'idée de lui mettre dans les mains une grenade au phosphore comme celle utilisée par Kane. La créature prend feu, les flammes dévorent le phare de l'intérieur. Dehors, Lena observe toute la zone métamorphosée par le "miroitement" revenir à la normale.

Fin du débrief pour Lena

Lena conclut son récit devant ses interlocuteurs de la base. On la conduit jusqu'à la chambre de Kane, sorti du coma. Elle sait qu'il ne s'agit pas de son mari et il lui demande si elle Lena, mais elle ne répond pas. Ils s'enlacent, leurs yeux brillant étrangement...

Le deuxième film (après Ex-Machina) d'Alex Garland devait initialement sortir en salles en France le 15 Mars dernier, mais cette date était communiquée sous réserve. En cause, un différend entre Paramount, le studio qui a produit Annihilation, et son scénariste-réalisateur, soutenu par son co-producteur Scott Rudin, qui refusait de remonter la fin de l'histoire, jugée "trop complexe". Netflix entre en scène et récupère le projet pour le diffuser en exclusivité. Plus d'exploitation en salles mais un chef d'oeuvre sauvé.

Car, oui, c'est un chef d'oeuvre, de ceux qui nourrissent des conversations passionnées, qui possèdent bien des interprétations possibles, grâce à une écriture ciselée dans l'adaptation d'un roman (faisant partie d'une trilogie) et d'une mise en scène inspirée, avec un casting investi. Annihilation n'est pas de ces films dont on sort facilement, qu'on oublie aisément : il vous hante, vous interroge, vous fait vivre une expérience aussi bien narrative que sensorielle.

L'intrigue synthétise pourtant des éléments familiers : une mission militaire secrète qui a mal tourné, l'apparition fantastique d'une zone mystérieuse et menaçante, une exploration potentiellement sans retour, des péripéties dans une environnement déréglé, une ambiance tendue, la décimation d'un groupe et un dénouement inattendu. Mais ce qui compte ici, ce sont moins ces éléments que la manière dont ils sont traités et dont le cinéaste les traduit (ou pas) pour perturber, désorienter, envoûter le (télé)spectateur.

Au début, on craint pourtant un peu que le sujet ne soit plombé par une couche mélodramatique avec son héroïne aux prises avec un deuil impossible : Lena n'a plus de nouvelles de son mari depuis un an, quand il est parti subitement en mission. Elle pense qu'il avait peut-être deviné sa liaison avec un collègue, enseignant comme elle, et estime qu'en l'ayant trompé, elle a perdu Kane. Puis son époux réapparaît, mais son comportement est aussi bizarre que son retour. Soudain tout s'accélère : ils sont enlevés et elle est informée d'une menace incroyable, que l'armée a de plus en plus de mal à garder confidentielle. Pour savoir comment Kane a réussi à sortir du "miroitement" et peut-être le sauver du mal qui le ronge depuis, elle s'engage dans une mission exploratrice sans garantie de résultat ni de retour.

Le film prend alors toute son envergure, encore que le terme est impropre car le cadre est finalement intimiste. Garland se garde de jouer la carte du grand spectacle, préférant suggérer, doser les rebondissements, rester évasif sur ce qui s'est passé.  Annihilation se distingue aussi par le simple fait que ses héros sont des femmes, toutes fortement caractérisées, échappant à des rôles d'aventuriers féminisés pour l'occasion. Elles se révèlent progressivement, leurs secrets se dévoilent occasionnellement, parfois accidentellement, ou a posteriori (on apprend ainsi, lors du débrief de Lena, que Ventress était atteinte d'un cancer, ce qui explique son obsession à poursuivre la mission en se moquant d'en revenir). Ces femmes sont aussi des têtes bien faites : une anthropologue, une physicienne, une médecin, une psychologue, une biologiste, mais ce collectif de savantes n'étalent pas leurs connaissances et évitent d'alourdir le propos - leurs savoirs soulignent plutôt l'étrangeté de l'environnement dans lequel elles évoluent et nous renseignent juste assez pour nous accrocher.

Visuellement, Garland a conçu un cadre à la fois merveilleux et dégénéré : le "miroitement" a un aspect visqueux depuis l'extérieur mais avec les couleurs d'un arc-en-ciel - ce mélange à la fois dégoûtant et enchanteur donne le la à tout le reste du production design. La flore réserve des surprises extraordinaires, culminant avec la découverte du village envahi par la végétation et les plantes à forme humaine, une aberration superbe. La faune est plus inquiétante avec un alligator impressionnant et surtout un ours à la tête décharnée vraiment effrayant (la séquence où il resurgit pour tuer Anya et manque de faire de même avec Lena est saisissante, d'une intensité mémorable).

Pour que ce récit vive au-delà de ses extravagances, il fallait des interprètes de haut vol et Garland a réuni une bande d'actrices épatantes, dominée par la prestation fébrile de Natalie Portman qui compense la cérébralité distante de son personnage (aussi bien public que fictif). Dans ce registre physique inhabituel chez elle, elle est d'une crédibilité étonnante, et n'a pas besoin de grimacer pour exprimer la gamme émotionnelle qui agit Lena. Plus convenue, Jennifer Jason Leigh campe une psy borderline qui est éclipsée par la sobriété de sa partenaire. Tuva Novotny et Gina Rodriguez sont plus en retrait mais bénéficient de quelques scènes intenses. Quant à Tessa Thompson, elle est remarquable dans le personnage le plus lucide et fragile du lot. Enfin, Oscar Isaac (déjà présent dans Ex-Machina) est troublant à souhait.

Cette réflexion sur les thèmes du double, de la mutation, avec quelques accents subtilement écologiques, est passionnante et, si on peut comprendre la perplexité d'un grand studio sur la façon de distribuer un tel film, on sait gré à Netflix de nous permettre d'expérimenter cette oeuvre hypnotique.