J'avais, avant de prendre des vacances, laissé sur ma pile de lectures ce n°3 de Supergirl : Woman of Tomorrow, histoire sans doute d'avoir quelque chose de bon sous le coude quand je reprendrai la rédaction de mes critiques. Et je ne suis pas déçu car cette mini-série est une des meilleures propositions actuelles de Tom King, dont le duo avec Bilquis Evely produit une vraie merveille, quand bien même cet épisode renoue avec une veine plus familière avec d'autres travaux du scénariste.
Poursuivant leur traque de Krem des Collines Jaunes, Ruthye et Supergirl s'arrêtent sur la planète Maypole. Derrière les visages avenants des gens d'ici elles découvrent vite une attitude beaucoup moins hospitalières dès qu'elles mentionnent le passage du criminel.
Ni la police, ni le concierge de leur hôtel, ni les passants ne veulent les aider, feignant ostensiblement de ne pas savoir de quoi elles parlent. Supergirl fait preuve de patience. Jusqu'à un certain point. Ruthye sent le malaise grandir même reste résolue dans sa quête.
Un détail attire l'attention de Supergirl quand elle remarque que la population de Maypole compte les Bleus et les Pourpres, mais que ces derniers sont invisibles. Elle embarque Ruthye hors de la ville pour inspecter les environs où elles font une sinistre découverte.
De retour en ville, Supergirl use de la force pour que la vérité éclate : Krem a été arrêté puis libéré par les brigands de Barbond avec lesquels, pour gagner leur confiance, il a commis un massacre contre les Pourpres, dont les Bleus voulaient se débarrasser.
C'est du grand Tom King qu'on peut lire dans cet épisode : tout repose sur un suspense et une révélation choquante qui remplissent parfaitement leurs rôles. Ce qui épate, c'est la manière dont le scénariste s'y prend pour faire monter la tension, attisant la curiosité du lecteur pour mieux lui coller une gifle dans la dernière partie.
Depuis le début de Supergirl : Woman of Tomorrow, la récit s'articule sur la quasi-absence à l'image du méchant, Krem des collines jaunes. Tous ses méfaits, à commencer par le père de la jeune Ruthye, ne reposent que sur ce que celle-ci a raconté. Mais en vérité, on peut douter qu'il soit autre chose qu'un banal criminel, ayant tué à l'épée le père de Ruthye.
Tous les doutes sont levés avec ce qu'on apprend dans cet épisode. Arrivées sur une planète où il a fait une halte récente dans sa cavale, Supergirl et Ruthye sont confrontées à un drôle d'accueil. On les reçoit d'abord très aimablement, trop pour que cela soit honnête et sincère, puis on les bat froid dès qu'elles insistent pour avoir des informations sur l'homme qu'elles traquent. Une ambiance intense et tendue s'installe de façon très efficace.
Pour cela, King utilise un procédé qu'il affectionne : la répétition. A plusieurs reprises, en divers lieux, les deux héroïnes entament la conversation puis très vite, subitement, le ton change chez leur interlocuteur qui leur répond de se mêler de leurs affaires. Supergirl a du mal à supporter cela, elle se retient difficilement. Mais cela ne sert de toute façon pas à grand-chose car elle est connue comme le loup blanc dans ces contrées : pour qui se prend-elle, cette kryptonienne, qui n'a pu empêcher la destruction de son monde ? Que vient-elle chercher ici ? La destruction de Maypole ? On verra ensuite à quel point ce soupçon, odieux, résonne de manière troublante avec ce qui s'est passé sur cette planète.
L'épisode se déroule un peu comme dans le film Un Homme est passé (1955) de John Sturges avec Spencer Tracy où le personnage joué par ce dernier arrive dans une bourgade en posant des questions qui rapidement dérangent. Il ne se passe rien de spectaculaire, mais le climat s'alourdit, l'intégrité physique du protagoniste est de plus en plus menacée (et il est déjà manchot et âgé). Progressivement on appprend ce qu'il cherche et toute la communauté du bled est compromise dans une sale affaire. C'est exactement cela ici aussi avec un secret qui accable toute une partie de la population de Maypole.
Je ne spoilerai pas trop mais quand la vérité éclate, on mesure à la fois la lâcheté des locaux et l'horreur commise par Krem des collines jaunes et des brigands de l''espace dans ce qui est un crime contre l'humanité, l'extermination organisée et barbare de tout un peuple. Un moment glaçant, qui renoue avec ce que King connaît bien et traite déjà dans d'autres comics (Mister Miracle, Strange Adventures, Omega Men).
Si cela marche aussi fort, c'est aussi grâce au dessin de Bilquis Evely, dont la beauté esthétique nous "endort" en quelque sorte. On tourne les pages et c'est un enchantement constant, souligné par les couleurs vives et magnifiques de Mat Lopes. Supergirl : Woman of Tomorrow est vraiment une série sublime et il est impossible de ne pas suspendre sa lecture pour contempler certaines images ou pages, aux détails et aux teintes renversants.
Comme je l'ai déjà écrit, Evely dessine une Supergirl qui n'a rien à voir avec celle qu'on connaît, une jeune fille charmante, sans aspérités. Elle la représente comme une jeune femme, qui fait plus que ses 21 ans et dont l'apparence a un côté délicieusement rétro, avec sa chevelure ondoyante, les traits de son visage fins, son regard perçant, son port altier. C'est le feu sous la glace et cette caractérisation est parfaitement rendue par le dessin de l'artiste. C'est sans doute la meilleure version graphique de Kara Zor-El, la plus surprenante, la plus envoûtante, la plus remarquable. Elle occupe l'espace comme jamais.
Petit à petit, Supergirl recouvre ses pouvoirs, en s'éloignant des soleils rouges (qui les dmininuent) mais aussi par l'énergie qu'elle consacre à retrouver Krem pour sauver Krypto. En faisant cela, King a certes affaibli l'héroïne, mais à dessein, et tout cela, cette frustration, porte maintenant ses fruits car chaque manifestation de ses pouvoirs frappe plus puissamment. Lorsqu'elle renvoie un policier dans les cordes ou, surtout, lorsqu'elle s'envole en portant sur son dos Ruthye (voir page ci-dessus), un sentiment de plénitude irradie la page et comble le lecteur qui renoue avec le personnage puissant qu'il connaît.
Bilquis Evely sait subtilement mettre cela en scène et dose ses effets. Quand, après une splash-page, elle découpe en bandes la scène suivante conduisant à la découverte sinistre faîte par Supergirl, on est saisi par le contraste entre l'envol de la kryptonienne et son abattement devant ce qu'elle met à jour. Et ce n'est pas fini puisque le bref flash-back révélant les agissements abominables de Krem et des brigands de Barbond contre les Pourpres de Maypole profitent de couleurs de feu de Mat Lopes.
La prochaine étape marquera la moitié de cette histoire, qui s'impose déjà comme une indéniable réussite. La complicité entre l'écriture de King et les visuels de Evely est totale. Difficile, pour ne pas dire impossible de ne pas être emballé.