C'est donc le sixième épisode de Batman/Catwoman, et l'histoire arrive à mi-parcours. En temps normal, cette étape sonne comme un premier bilan. Mais celui qu'on tire de la mini-série de Tom King et Clay Mann est rien moins que désastreux. En rédiger le résumé est fastidieux, de toute façon l'intrigue n'avance pas (ou si peu) et quand elle le fait, c'est de manière grotesque. Visuellement aussi, c'est limite honteux. Alors, puisque c'est la dernière fois que je parlerai de cette production, je vais changer la façon de la traiter.
Initialement, l'histoire de Batman/Catwoman aurait dû être celle du dernier arc écrit par Tom King pour son run sur Batman. Il a été évincé de la série avant, par Bob Harras (qui a depuis été licencié de DC Comics, avec beaucoup d'autres). DC Comics a quand même permis au scénariste de finaliser son plan avec douze épisodes, visiblement détachés de la continuité puisque publiés sous le Black Label.
King a tout de suite mis la barre très haut en annonçant vouloir faire de Batman/Catwoman l'équivalent de grands classiques comme The Dark Knight Returns de Frank Miller, une saga auto-contenue qui marqueerait les esprits et les personnages. Il l'a aussi écrite pour le dessinateur Clay Mann, qu'il considère comme le meilleur artiste avec lequel il a travaillé, et ce dernier lui a soufflé l'idée d'intègrer au récit le personnage d'Andrea Beaumont/Phantasm, uniquement apparu dans le film d'animation Le Masque de Phantasm. Le tout dans une construction à trois étages, entre passé, présent et futur. C'était donc très ambitieux et alléchant.
Tellement que DC a même accepté de repousser la publication de Batman/Catwoman d'un an afin de laisser à Clay Mann le temps nécessaire pour réaliser assez d'épisodes à l'avance, car lui et King refusaient l'intervention d'un fill-in artist. Les premiers épisodes de la mini-série m'ont impressionné mais aussi déboussolé, car la structure narrative était très haché et empêchait à la fois de s'attacher aux personnages, de bien saisir l'intrigue. Puis ça s'est rétabli. Avant de repiquer du nez car, contre toute attente, les épisodes ont pris du retard (deux mois et demi entre ce n°6 et le n°5)...
Mais je suis plutôt du genre cool avec les retards. Il m'en faut beaucoup pour me décourager et je n'oublie pas qu'un dessinateur n'est pas une machine à livrer vingt pages/mois comme si c'était naturel. Sauf si évidemment la qualité n'est pas au rendez-vous... Et de ce point de vue, mais pas seulement, ce sixième chapitre a eu raison de mon indulgence.
Clay Mann ne dessine plus aucun décor, on se croirait dans un comic-book de Rob Liefeld (je n'exagère pas). C'est déjà quelque chose qui m'agace. Mais on doit ajouter que Tom King n'écrit plus vraiment de script non plus, plutôt un enchaînement de scènes morcelées, bavardes, qui ne font plus progresser l'histoire, souvent de façon invraisemblable, pour ne pas dire ridicule.
Dans les années 70, dans le feuilleton Happy Days, une scène où Fonzie, à la plage, sautait par-dessus un requin sous le vivas des vacanciers a donné naissance à une expression péjorative pour désigner le moment où une production commençait à décliner qualitativement (et ce, même si l'épisode en question fut à l'époque un succès d'audience). Jumping the shark, littéralement, pour dire que les auteurs étaient allés trop loin.
Dans Batman/Catwoman #6, Tom King et Clay Mann, indissociablement, ont sauté par-dessus le requin : il s'agit de la page ci-dessus (la troisième). On y voit Selina Kyle, âgée, partir en patrouille avec sa fille Helena/Batwoman, après avoir enfilé son costume de Catwoman mauve avec la cape verte. Ce qui est ridicule ici, ce n'est pas tant de voir Selina en habit de Catwoman alors qu'elle doit avoir 60-70 ans, mais le choix de cet habit et la posture héroïque, iconique que lui donne Mann. Il est imposible de ne pas éclater de rire devant cette page et d'être surtout gêné. Gêné par ce choix scénaristique et visuel, qui est censé pour les auteurs montrer une femme d'un certain âge (d'un âge certain) en costume en ayant toute sa dignité alors que la représentation de cette idée est saugrenue, humiliante, embarrassante. D'un comique involontaire et dégradant.
On a vu, dans le précédent épisode, lors de son combat contre Harley Quinn, que Selina Kyle avait de beaux restes et Mann l'a dessinée depuis le début comme une belle femme âgée, élégante, avec un maintien impeccable. Donc pourquoi pas en effet l'envoyer patrouiller avec sa fille ? Mais accoutrée de la sorte ? Non. C'est juste pas possible.
Le sentiment qu'on garde de ce moment détruit tout ce qui précéde et suit. Et qui n'est déjà pas bien fameux. C'est littéralement l'instant jumping the shark. Une histoire ne peut se remettre d'une idée pareille.
Et, au fond, ce qu'on se demandait depuis le début - est-ce que King n'aurait pas dû en rester à la jolie fin de son run sur Batman, à l'épisode 85 ? - resurgit. Car Batman/Catwoman ressemble vraiment au combat de trop, à l'histoire de trop. Dans l'Annual #2 de son run, King explorait plus de façon bien plus efficace et émouvante ce qu'il tente lourdement de dire en douze laborieux épisodes ici : "comment ils vécurent, comment ils sont morts" (pour reprendre les paroles de Bonnie & Clyde par Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot), leur première fois, leur dernière fois. Il n'a pas su s'arrêter, il a tout gâché. Enfin... pas tout, non. Mais Batman/Catwoman ressemble à un appendice inutile et disgracieux à cet Annual sublime, dessiné par Michael Lark et Lee Weeks, où tout était déjà dit.
Dès lors, on se contrefiche bien que Selina, contre toute logique, cache le Joker chez elle et qu'ils décorent un sapin de Noël, que Catwoman serve d'appât à Phantasm pour pièger Batman et que Selina avoue à Helena avoir bel et bien tué le Joker finalement. Quelle astuce cette série peut encore offrir qui vaille six épisodes supplémentaires et indispensables ? Je ne vois pas. Je ne le verrai jamais car j'arrête les frais.
Sur le papier, avec l'attente, et le désir qui l'a accompagnée, Batman/Catwoman était un projet qui faisait très envie. Si tant est que Clay Mann avait assuré, que King tenait son pari fou de pondre son classique Batmanien... Mais ce n'est pas le cas. C'est encore pire que Heroes in Crisis, agréable hormis son final capillotracté et idiot. Mieux vaut relire Mister Miracle, ou suivre Strange Adventures, Rorschach, Supergirl : Woman of Tomorrow, et attendre The Human Target. N'importe quoi sauf ça. King a définitivement tout dit sur Batman à mon goût, qu'il le laisse partir, et nous régale avec des personnages moins iconiques sur lesquels il est plus inspiré.
Quant à Clay Mann, comme Olivier Coipel, je ne suis pas certain de lui refaire confiance tant ce qu'il a fait là ressemble quand même à du foutage de gueule en règle. Il a un talent indéniable, mais peu de rigueur et encore moins d'honnêteté pour mériter que ses fans lui accordent du crédit.
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