samedi 31 décembre 2022

EMILY IN PARIS (Saison 3) (Netflix)


Opportunément mise en ligne avant Noël, la troisième saison de Emily in Paris sur Netflix a, comme les précédentes, fait un carton, séduisant même des critiques qui, jusque-là, n'appréciaient pas la série créée par Darren Starr.  Même si ces dix nouveaux épisodes jouent (un peu) moins avec les clichés de la vie dans la capitale française au profit de personnages plus creusés, j'ai trouvé le résultat pourtant moins efficace.


Sylvie Grateau renvoyée l'agence Savoir par Madeline, Emily ne sait qui suivre, entre rester fidèle à sa mentor américaine ou son ex-chef française. Si bien qu'elle se trouve à travailler pour les deux jusqu'à ce que Luc révèle la vérité à Sylvie qui la renvoie après un dîner à la Tour Eiffel où elle négociait avec un client d'Emily et où Madeline les a surprises. Alfie, lui, est obligé de rentrer à Londres.


Désireuse de se racheter auprès de Madeline qui vient d'accoucher, Emily doit la soutenir lorsqu'elle menace Sylvie d'un procès si elle cherche à récupérer des clients de l'agence Savoir en vertu d'une clause de non-concurrence dans son contrat. Emily découvre ensuite que Alfie est devenu le directeur financier de Maison Lavaus tandis que Pierre Cadault quitte Sylvie pour vendre sa marque au groupe de luxe JVMA.


Sylvie veut reprendre les locaux de l'agence et, avec la complicité du concierge de l'immeuble qui les abrite, rend la vie insupportable à Madeline. Mindy décroche un contrat au cabaret La Trompette Bleue, mais sans Benoît. Alors que Emily a profité de la Fête de la Musique pour déclarer sa flamme en public à Alfie, Madeline lui annonce que le groupe Gilbert ferme leur antenne à Paris et qu'elles rentrent donc à Chicago. Mais la jeune femme démissionne pour pouvoir rester.


Sans emploi, Emily tient un vlog sur Paris qui devient très suivi. Gabriel, lâché par un de ses serveurs, la recrute provisoirement, mais doit la remercier aussi vite suite à un incident en salle avec un client. Grâce au soutien de Luc et Julien, Emily est embauchée par Sylvie qui la veut pour s'occuper de la prochaine campagne du champagne produit par la famille de Camille. Cette dernière expose une artiste grecque, Sofia, qui la drague ouvertement.


Alfie loue un appartement à Paris et lors de la pendaison de crémaillère Emily surprend sur le toit-terrasse Sofia et Camille échangeant un baiser langoureux. Au même moment, à cette fête, Mindy croise une vieille connaissance, Nicolas de Leon, fils du patron du groupe JVMA, ce qui rend jaloux Benoît. Celui-ci ne tarde pas à rompre. Emily s'emploie à faire la promo de l'agence de Sylvie pour une liste de personnalités dans Le Monde, mais c'est elle que la journaliste met en couverture.


Emily et Gabriel accompagnent Alfie en provence où Antoine Lavaux s'apprête à commercialiser sa nouvelle fragrance. Mais le parfum s'avère invendable car le mélange des senteurs a tourné. Gabriel emmène Emily dîner dans un restaurant étoilé où le chef les prend pour un couple. De retour auprès d'Antoine, Emily lui suggère une solution pour son parfum avant la réception qu'il donne pour le présenter. Ce jour-là, Erik quitte Sylvie après l'arrivée inattendue de Laurent, son mari. En Grèce, Camille et Sofia entament une liaison.


Camille absente, Alfie reparti à Londres (pour voir sa mère), Alfie passe la soirée avec Gabriel et accompagne Mindy qui a rendez-vous avec Nicolas de Leon. Celui-ci confie à l'américaine qu'il est excédé par les caprices de Pierre Cadault qu'il songe à licencier pour le remplacer par un autre styliste. Emily promet de parler au couturier, puis s'éclipse avec Gabriel. Il lui confie que son couple bat de l'aîle et soupçonne que Camille fréquente quelqu'un d'autre. Le lendemain, Emily convie Cadault à un lunch avec Nicolas et Sylvie mais il se fait renverser par une voiture en traversant pour les rejoindre.


Cadault se rétablit dans une clinique privée où Sylvie et Emily lui apprennent que Nicolas va le remplacer par son rival, Gregory Dupree. Une présentation publique va avoir lieu le soir-même pour officialiser cela. Jugeant cela injuste, Sylvie et Emily font croire que Cadault est mort, ce qui gâche l'évenement avant que le couturier ne surgisse pour révéler aux invités la manière dont le groupe JVMA l'a traité. Nicolas est humilié devant son père et Mindy. Emily, de retour chez elle, croise Gabriel très heureux et qui lui annonce avoir parlé avec Camille qu'il a l'intention d'épouser !


Alfie est de retour mais Emily apprend qu'il n'a pas parlé d'elle à sa mère, ce qui la trouble. Julien présente son projet à un client et Emily propose sans l'avoir averti d'y impliquer Gabriel et Camille. Julien pense alors à démissionner, excédé par sa collègue. Finalement, faute d'obtenir la participation de Gabriel et Camille, qui continue de voir Sofia en cachette, Emily convainc Alfie de devenir avec elle les visages de la pub de ce client. Mindy tente de réconcilier Nicolas avec Emily, sans succès, juste avant que Benoît lui annonce qu'ils sont sélectionnés pour représenter la France à l'Eurovision.


Gabriel impose à Antoine un nouveau partenariat pour leur restaurant car le jeune chef veut gagner une étoile au guide Michelin. Luc contacte une de ses ex, Marianne, critique gastronomique, pour l'aider. Sylvie apprend que Laurent va ouvrir un club à Paris, financé avec JVMA. Gabriel propose à Camille de l'épouser lors d'un week-end chez ses parents à l'occasion de la présentation de leur nouveau cru de champagne. Mais Camille décline en expliquant qu'elle sait que Emily et Gabriel s'aiment toujours. Alfie se retire. Gabriel et Emily sont désemparés, mais lui encore plus qu'elle car il a appris que Camille était enceinte.

Emily in Paris est un guilty pleasure, un plaisir coupable : j'aime regarder cette série tout en ne l'assumant pas complètement. Les deux premières saisons de la création de Darren Starr étaient une friandise acidulée jonglant avec les clichés de la vie parisienne à travers les yeux d'une jeune et jolie américaine. On pouvait accepter la caricature avec le sourire, ou lever les yeux au ciel devant un spectacle aussi sucré.

Ce qui faisait pencher la balance en faveur de la série, pour moi en tout cas, c'était le ton employé. Car si le téléspectateur pouvait ressentir une certaine honte à dire qu'il regarder Emily in Paris, les auteurs eux faisaient feu de tout bois et proposaient un divertissement coloré et léger où le réalisme n'avait rien à faire. Autant reprocher à une comédie musicale ses numéros chantés ou son idéalisation des situations !

En mettant en ligne la quatrième saison juste avant Noël, Netflix visait un public déjà gavé de bluettes hivernales tout en promettant que ces dix nouveaux épisodes seraient un peu moins too much, que les personnages y traverseraient de épreuves plus intimes - bref, que Emily in Paris serait plus mature.

Il faut tout de suite dissiper ce malentendu : ce n'est pas absolument pas le cas. Emily in Paris reste invraisemblable au possible et pour s'en convaincre, il suffit de voir les looks arborés par les personnages défilant dans les rues (impeccables) de Paris, tous beaux, chics, glamours. La capitale n'est filmé que son meilleur jour, il ne pleut jamais, on ne voit aucun chantier, les clients comme les serveurs sont souriants et aimables, et nos héros continuent à s'aimer sans se le dire comme si toute leur vie ne tournait qu'autour des affaires de coeur sans aucun souci d'ordre matériel.

On cherche en vain un antagoniste de taille qui viendrait faire dérailler ce manège et on croit le tenir avec l'horripilante Madeline en début de saison, campée par une Kate Walsh parfaitement insupportable. Mais elle quitte vite la scène à la fin du troisième épisode, fermant l'agence Savoir et rentrant à Chicago. 

Plus coriace, le personnage de Nicolas de Leon, père d'un milliardaire qui s'inspire ouvertement de Bernard Arnault, va jouer les trouble-fête entre Mindy et Emily, mettant sur la touche Pierre Cadault, et dans le pétrin Sylvie Grateau à au moins deux reprises (à cause de Cadault justement, puis quand il s'avère être le partenaire financier du projet de club de Laurent). Mais là encore, tout est bien qui finit bien puisque, à la fin de la saison, il se réconcilie avec Emily. Il faudra attendre la saison 4 (d'ores et déjà commandée) pour savoir si ce rabibochage durera car Mindy est sur le point de suivre Benoît dans une histoire croquignolesque (chanter à l'Eurovision - moment culte en perspective) et que Laurent ignore tout de la bisbille entre Sylvie et JVMA.

C'est un peu le problème de cette saison que de tenter des choses supposées bousculer l'ordre établi sans oser aller jusqu'au bout. On a le sentiment d'épisodes de transition, qui préparent le terrain pour la suite. Exemple flagrant avec la liaison entre Camille et Sofia qui déjà est maladroitement amenée et surtout ne semble avoir été imaginée que pour justifier la rupture entre Camille et Gabriel dans un dénouement trop fourni et qui, à force de vouloir précipiter les choses, les noie (entre les fiançailles plantées, la possibiltié de ganger une étoile Michelin, la grossese de Camille, le départ de Alfie, c'est trop).

Emily in Paris a perdu beaucoup de ce qui faisait son charme dans ces dix épisodes, comme si en voulant convaincre les critiques acides, la série avait perdu ses fondamentaux. On ne gagne jamais rien à vouloir conquérir les railleurs ni à donner aux fans ce qu'ils exigent. Il faut qu'une série existe et avance comme elle l'entend, en suivant sa musique et pas en lisant une autre partition qui ne satisfait ni les analystes ni les fans. D'ailleurs, on a plus d'une fois l'impression que Emily n'est plus là que pour faire briller les autres et, alors excentrée, la jeune et jolie américaine subit trop et n'amuse plsu autant. Dommage.

Le vrai bonheur est donc à trouver au second plan, avec des personnages comme Julien (qui évolue bien sur la fin), Luc (toujours très drôle) et surtout Sylvie à qui Philippine Leroy-Baulieu donne toute sa classe naturelle. C'est elle, la reine du show, celle autour de qui le plus intéressant gravite. L'actrice resplendit et réussit à concilier dérision et présence. Lucien Laviscourt incarne aussi Alfie avec subtilité, d'abord agaçant et puis plus fin, attachant, complexe qu'il n'y paraît. Camille Razat gagnerait à ce que les scénaristes creusent davantage son rôle car elle devient aussi plus troublante.

Et Lily Collins ? Hé bien, elle est égale à elle-même. La comédienne porte la série avec enthousiasme mais c'est plutôt ce que les auteurs lui écrivent qui frustrent car elle paraît réduite, sinon condamnée à être en permanence ramené à son attirance avec Gabriel. Lucas Bravo qui le joue a d'ailleurs osé exprimé en interview qu'il préférait pourtant la #teamalfie pour dire que la série fonctionnait mieux en ne misant pas tout sur la romance entre Emily et Gabriel mais davantage sur la tension et l'incertitude entre eux.

En conclusion, j'ai donc été partagé sur cette saison 3. Emily in Paris est une série fraîche et amusante, mais que je préfére quand elle assume sa nature enjôleuse plus que quand elle ambitionne d'être moins caricaturale et à l'eau de rose. Maintenant, les cartes étant tellement rabattues au terme de ces dix épisodes, tout est possible pour la saison 4.

vendredi 30 décembre 2022

X-TERMINATORS #4, de Leah Williams et Carlos Gomez


C'est déjà (presque) la fin pour X-Terminators et on regrette déjà cette mini-série, véritable bulle d'air frais dans la franchise mutante, pépite impertinente, sexy et régressive. Leah Williams et Carlos Gomez s'amusent visiblement beaucoup et il est difficile de résister à ce qu'ils offrent avec cette histoire loufoque, toujours pied au plancher.


Livrées au Collectionneur à qui s'est associé Alex en échange du droit de pratiquer des expériences interdites par sa communauté vampire, Dazzler et ses amies jurent pourtant de s'échapper.


Wolverine, qui a passé le plus de temps dans la base du Collectionneur, informe Dazzler sur l'installation et Boom-Boom reçoit l'ordre de s'en prendre au système de canalisation et d'évacuation.
 

Gagnant la zone de transfert du vaisseau, les quatre mutantes et les autres prisonniers du Collectionneur resurgissent sur Krakoa au beau milieu d'un match de base-ball.


Mais leur aventure a créé un incident diplomatique avec les vampires. Jubilé explique à Dracula lui-même ce qu'a fait Alex et Dazzler obtient même de le faire payer après qu'il a été excommunié...

Au fond, la première qualité de X-Terminators s'aligne sur la première question que pose cette mini-série : depuis quand avez-vous lu un comic-book marrant ? Et cela sans qu(il s'agisse d'une parodie ou d'un pastiche. Les comics, de super-héros puisque c'est d'eux dont on parle, sont sérieux. Trop ?

Récemment, j'ai relu une interview de Carmine Infantino donné au magazine "Comic Box" en 2006 où il revenait sur sa riche carrière. Il y déplorait l'évolution des comics vers un lectorat quasi-exclusivement adulte et le ton dramatique des histoires proposées alors qu'il avait la conviction qu'il s'agissait d'un genre conçu pour les plus jeunes. Fabrice Sapolsky, qui l'interrogeait, lu faisait alors remarquer que les plus jeunes s'étaient désintéressaient des comics pour les mangas et les jeux vidéos, les comics devenant une niche pour des lecteurs adultes, souvent fans de longue date. Infantino répondait que c'était l'autre défaut des comics que de s'adresser à des connaisseurs en oubliant d'attirer des profanes.

Bien entendu, Infantino avait déjà 81 ans à l'époque et on peut juger ses opinions trop tranchées et décalées. Disons, en étant nuancé, qu'on peut regretter que beaucoup trop de comics ne fassent effectivement plus l'effort de séduire des lecteurs perdus au profit des mangas. On peut aussi abonder dans le sens d'Infantino en observant qu'effectivement les plus jeunes lecteurs sont pratiquement totalement oubliés par les éditeurs de comics. Et qu'il n'y a plus (plus assez) de comics reader's friendly, immédiatement accessibles.

Le poitn sur lequel je suis le plus d'accord avec Infantino concerne le sérieux des comics. La légèreté est désormais le plus souvent absente. Bien entendu, les comics de super-héros jouent sur une note majoritairement dramatique, mais le drame est souvent sinistre, violent, dénué de second degré. Beaucoup d'auteurs entraînent même les héros dans l'horreur.

Je ne dis pas qu'il faut condamner ce réalisme ou même ce sens du drame exacerbé. Mais alors que nous traversons une époque tourmentée, déjà étouffante à bien des titres, ce serait pas mal que éditeurs et auteurs n'oublient pas que les comics, de super-héros, sont aussi un divertissement. Et qu'on peut faire palpiter le lecteur sans oublier d'être léger, voire drôle.

X-Terminators, en considérant tout cela, me paraît une voie à suivre parce que, en assumant des éléments ouvertement régressifs et même politiquement incorrects, c'est une mini-série écrite avec irrévérence et bonne humeur. Leah Williams s'autorise bien des choses car elle est une femme et que son récit, s'il avait été signé apr un homme, aurait été taxé de sexiste et complaisant. Mais surtout la scénariste s'amuse et nous amuse avec une vigueur décomplexée qui fait un bien fou.

Les aventures de Dazzler, Jubilé, Boom-Boom et Wolverine sont souvent un sommet de wtf, c'est foutraque, gratuit, mais on n'est pas trompé sur la marchandise et surtout ça reste efficace et plein d'auto-dérision. Il y a une volonté de se moquer du sérieux de la franchise X sans pour autant se moquer de la qualité de sa refondation depuis Hickman. La manière dont, par exemple, Williams ressert le thème éculé des mutants persécutés (ici par un vampire) devient très drôle tout en respectant les canons du genre.

Le machisme qu'on n'aurait pas manqué de reprocher à un scénariste ici se retourne contre les grincheux car Williams fait de son quatuor de mutantes bien plus que de belles plantes : des filles qui prennent leur revanche et n'ont besoin d'aucun homme pour s'en sortir. Mieux : elles n'oublient pas de se vanner entre elles, pointant malicieusement ce dont on ne plaisanterait jamais avec des super-héros masculins (voir lres remarques sur l'odeur de Wolverine).

Carlos Gomez est sur la même longueur d'ondes que sa scénariste et peut en même temps se faire plaisir, lui qui adore croquer des héroïnes girondes et le fait avec un talent indéniable. On se dit alors que si Frank Cho ou Adam Hughes se mettaient au service d'auteurs féminines, ils ne se seraient pas embêtés apr les culs-serrés qui ne voient dans leur représentations du beau sexe que de la concupiscence.

Mais Gomez n'est pas qu'un dessinateur de belles filles, c'est aussi un narrateur énergique et complet. Dans cet épisode, notamment, il a à composer avec un figuration importante et ne rechigne pas à l'effort. Ses plans offrent des angles variés et dynamiques, ses personnages sont expressifs, avec des attitudes sexys sans être vulgaires. Et le tout est fluide, c'est un page-turner redoutable.

Je ne dis pas que X-Terminators est à mettre entre toutes les mains (même si, en la matière, je préférerai toujours qu'on tombe sur un bouquin avec de jolies nanas qui se fightent que sur un régiment de body-builders qui s'étripent). Mais l'humour et la santé qui animent cette mini-série sont inestimablement rafraîchissants. Et prouvent qu'on peut déjà commencer par écrire et dessiner des comics funs, puis penser à repenser à attirer de futurs fans plus jeunes. Le reste continuera d'avoir sa place. Mais surtout on aura plus de choix. Et donc plus de plaisir.

jeudi 29 décembre 2022

THE MAGIC ORDER 3 #6, de Mark Millar et Gigi Cavenago

 

C'est la fin du troisième volume de The Magic Order. Mais la suite ne se fera pas attendre puisque le premier épisode du volume 4 paraîtra le 25 Janvier prochain. Mark Millar et Gigi Cavenago concluent donc avec un épisode double (de 40 pages) qui, comme on pouvait s'y attendre, laisse beaucoup de portes ouvertes mais réserve aussi son lot de surprises.



1991. Alors que Salomé quitte Leonard Moonstone, il reçoit la visite de Madame Albany venue lui réclamer l'Orichalcum qu'elle espérait recevoir en héritage.


Condamné au bannissement pour avoir utilisé la magie noire, Regan Moonstone quitte Cordelia après qu'on lui ait retiré tous ses pouvoirs et interdit à la communauté de rentrer en contact avec lui à l'avenir.


Salomé et Leonard gagnent le pôle Nord pour y attendre et affronter le Puzzle, qui a tué le père de Salomé. Mais celle-ci réserve un très mauvais tour à son ancien mari...


... Quant à Sammy Liu, au courant du sort réservé à Regan, il est surpris par la visite que lui rend Rosie Moonstone...

Comme d'habitude, j'ai veillé à ne rien spoiler d'essentiel, même si avec le début du volume 4 dans un mois, je serai certainement obligé de revenir rapidement sur des éléments que j'ai cachés ici. Il faut dire que Mark Millar est un homme pressé qui multiplie les projets pour 2023 et même 2024.

Outre des adaptations de ses comics pour Netflix (The Magic Order au premier rang, mais aussi Huck), et de nouveaux titres (The Ambassadors, la suite de Prodigy - et j'espère celle de Empress), Millar a d'ores et déjà annoncé travailler sur une histoire de Superman à laquelle il pense depuis longtemps et pour laquelle DC n'a pas tardé à montrer son vif intérêt (ce sera au mieux en 2024 et évidemment ça promet d'être "énorme" comme aime le dire l'écossais).

Mais cette accélération se manifeste surtout dans le rythme de parution de The Magic Order, que Millar a conçu comme une saga en cinq actes. Cette année, on a eu droit aux volumes 2 et maintenant 3, avant le 4 dans un mois.

Comme je l'avais prédit, la conclusion du volume 3 est très ouverte et laisse beaucoup de pistes en suspens, qui vont certainement fournir du matériel pour les deux prochains actes. On peut légitimement trouver cela frustrant, surtout après le volume 2 qui semble du coup un peu accessoire (même si on peut rester réservé à ce sujet car il est bien possible qu'il ait contenu des éléments réutilisables). Néanmoins, c'est aussi en ne réglant pas tout  qu'on mesure l'ambition du scénariste pour ce projet où six épisodes à chaque fois ne suffisent pas/plus à englober une histoire complète.

Sur ce qu'on peut dire sans rien "divulgâcher", ce qui frappe le plus, c'est l'isolement de plus en plus prononcé dans lequel est plongée Cordelia Moonstone. Elle a désormais perdu ses deux frères (Gabriel dans le volume 1, Regan maintenant). Regan coupable d'avoir invoqué la magie noire à des fins personnels est banni de l'Ordre Magique mais surtout privé de ses pouvoirs. Plus personne n'a la droit d'entrer en contact avec lui ni lui avec son ancienne communauté.

Conséquences immédiates : Cordelia est donc seule à la barre de l'Ordre Magique et court chercher du réconfort auprès de Francis King, l'ensorceleur introduit dans le volume 2, son ex-amant toxico actuellement en réhab'. Il est donc certain que Francis aura un rôle important dans la suite, sans qu'on sache s'il sera un soutien fiable au vu de son passé de drogué. Et puis il y a Rosie, la fille de Gabriel, dont Regan avait la charge et qui est donc confiée à d'autres magiciens. Sauf que la gamine ne semble nullement affectée par la situation et réserve une sacrée surprise à la fin de cet épisode... Mais chut !

Je vais par contre rester plus discret sur ce qui arrive à Leonard Moonstone et Salomé. Voilà un rebondissement que personne n'a vu venir et qui est glaçant. Salomé a en tout cas bien caché son jeu, tout en établissant de sinistres prédictions (aucun des enfants Moonstonne ne survivra à la quarantaine). La manière dont Millar nous a roulés dans la farine avec ce personnage est brillante.

Enfin, on revoit in extremis Sammy Liu, introduit comme un personnage important dans le premeir épisode de ce volume et qu'on n'a guère revu ensuite. Lui aussi va être aux premières loges dans la suite qui arrive et reçoit une visite imprévisible à la fin. La toute dernière page va complètement vous cueillir, je vous préviens, et surtout prouve que Millar avait tout prévu depuis le début du volume 1. Quand il affirme que The Magic Order est son magnum opus au sein du Millarworld, il ne ment pas car jamais jusqu'à présent il n'a construit une intrigue aussi élaborée sur autant d'épisodes, et avec une telle adresse.

Visuellement, Gigi Cavenago aura impressionné sans temps mort. Encore une fois, il produit des planches exceptionneles, sans jamais que le niveau ne baisse. Le passage à une pagination augmentée n'a aucun effet sur la qualité graphique de ce prodigieux artiste italien.

Fréquemment, il nous gratifie de splash-pages à tomber à la renverse, comme des ponctuations qui répondent spectaculairement à l'imagination débridée de Millar. Alors que sur le volume 1, Coipel s'était un peu éteint sur la fin, et que Immonen ensuite avait livré une prestation impeccable mais un chouia trop sage (avec il est vrai un scénario plus faible), Cavenago, lui, a donné tout ce qu'il avait - et encore a-t-on le sentiment qu'il en avait encore sous le pied !

J'espére vraiment que Millar retravaillera avec lui car c'est  un régal à lire. Ces dessinateurs italiens sont des tueurs et cela me fait penser à la vague espagnole dans les années 90 qui avait vu exploser des artistes ayant ensuite fait leur nid aux Etats-Unis (comme Carlos Pacheco, Salvador Larroca jusqu'à David Aja, Pepe Larraz et j'en passe). Millar l'a bien compris en attrapant dans ses filets Buffagni, Cavenago - et Marvel a intérêt à occuper Schiti s'ils ne veulent pas le voir collaborer avec l'écossais...

Même si je suis ravi de lire la suite très vite, j'espère que le pari sera gagnant, d'abord pour l'histoire proprement dîte, ensuite pour Dike Ruan (qui dessinera le volume 4 et qui a un énorme potentiel). Dans l'idéal, même si ça peut paraître bizarre, j'aurai presque préféré que ça attende quelques mois, pour respirer (et que le recueil de ce volume 3 soit dispo afin que chacun puisse être à jour). Mais on ne va pas se plaindre.

samedi 24 décembre 2022

JOYEUX NOËL !

 Je vous souhaite un joyeux Noël, à vous tous qui me suivez.

Et en attendant de se retrouver pour de nouvelles entrées sur ce blog, 

je vous laisse avec ce conte de malicieux écrit et dessiné par l'excellent David Lopez !











KROMA #2, de Lorenzo de Felici


Kroma revient et ce deuxième épisode (sur quatre) est aussi, sinon plus beau et terrifiant que le premier. Lorenzo de Felici signe vraiment une oeuvre magistrale, qu'on attribuerait à un auteur expérimenté si on ne savait pas qu'il s'agit de son premier script. La mise en image est splendide, avec un usage des couleurs renversant.


Zet transpercé par la lance d'un garde du prêtre Makavi, Kroma est terrifiée mais préfère fuir au péril de sa vie que retourner en cellule et être la captive du magistrat de la cité pâle.


Le prêtre Makavi ordonne à son homme de main, Damog d'aller cherche Kroma dans la forêt avec une bande de soldats. La jeune fille se réveille en voyant le fantôme de Zet qui la guide loin du danger.


Des crocodiles géants dévorent une partie de la troupe conduite par Damog avant que celui-ci et son second, Devu, ne rattrapent Kroma au sommet d'un monticule. Un oiseau géant la sauve in extremis.


Sous le plumage aux couleurs flamboyantes du volatile se cache un vieillard, Soristo, banni jadis de la cité pâle et qui offre son aide à Kroma. Ensemble ils parcourent un paysage chatoyant.


Parvenus au "nid" de Soristo, Kroma l'écoute expliquer comment il a décrypté le code des couleurs des animaux sans pourtant réussir à communiquer avec eux. Pour cela, il lui manque une "clé"...

Le premier épisode s'était conclu sur un cliffhanger terrible avec la mort de Zet, ce jeune apprenti qui voulait aider Kroma à quitter sa cellule. La jeune fille était utilisée pour entretenir de vieilles superstitions dans une cité régie par un prêtre fanatique et manipulateur auprès d'habitants qui avaient fui la colère d'un roi des couleurs après qu'un d'entre eux l'ait irrité.

En une cinquantaine de pages, Lorenzo de Felici, surtout connu pour avoir co-créé et dessiné Oblivion Song (co-créée et écrit par Robert Kirkman) et avoir participé au projet collectif Infinity 8, nous livrait le premier chapitre d'une histoire fascinante, profonde et troublante, avec une maturité exceptionnelle.

Aucun hasard pourtant dans cette maîtrise car, comme il y revient à nouveau dans la postface de ce deuxième numéro, Kroma est un projet longuement mûri. L'italien explique que l'idée initiale remonte à une dizaine d'années et était destinée au marché de la BD européenne. Mais après le refus de plusieurs éditeurs et de multiples réécritures, dont une avec l'aide d'un scénariste français, il préféra remiser son récit en attendant que l'horizon ne s'éclaircisse. Puis Robert Kirkman lui proposa Oblivion Song...

En confiance avec son partenaire et Image Comics, de Felici sut qu'il avait trouvé là un endroit et des auditeurs prêts à l'aider à porter son histoire à son terme. Comme il le raconte, entre temps, Kroma a beaucoup évolué, il a ramené l'intrigue à l'essentiel et pu la faire publier comme il l'entendait, soit à raison de quatre épisodes king-size, en assumant seul scénarion dessin, encrage et couleurs.

Très vite, dans ce nouveau chapitre, on sort de la cité pâle dont s'échappe, acrobatiquement, Kroma. Nous voici à ses côtés dans la forêt aussi belle que dangereuse, avec sa faune grotesque et inquiétante. Elle est traquée par Damog, un soldat zélé qui entend bien la ramener au prêtre Makavi qui la séquestrait, mais pas forcément en vie, car ce sinistre sire la considère comme une authentique créature maudite.

Le sauvetage de Kroma est l'occasion d'un rebondissement ébouriffant puisqu'il introduit un nouveau personnage : Soristo est un vieillard excentrique qui se camoufle avec un déguisement d'oiseau et vit dans un "nid". On apprend ensuite qu'il a été banni de la cité pâle, où il était enseignant, au prétexte qu'il s'était "égaré" - en vérité il avait remis en question les croyances propagées par les religieux. Depuis il vit dans cet environnement hostile où il a appris à décoder les couleurs des animaux qui le peuplent mais sans réussir à communiquer avec eux. Pour cela, il lui manque une "clé"...

On comprend instantanément que Kroma est cette "clé" et on devine aussi vite que Soristo, sous des dehors sympathiques, n'est pas net. Son existence solitaire, au contact d'une nature aussi mystérieuse, semble même l'avoir rendu fou. Sa manière de parler est aussi illuminée que celle du prêtre Makavi, et cela donne une ambiguïté épatante au récit. Ce qui se passe dans la cité n'était pas rassurant, mais ce qui se joue en dehors, au-delà des "monstres" qui y vivent, ne l'est pas davantage. La jeunesse de Kroma et la tension qui l'anime aide à s'identifier. Même si elle voit le fantôme de Zet et suit ses conseils...

De Felici nous guide jusqu'à une nouvelle chute absolument effrayante. La densité des épisodes est palpitante, mais le rythme du récit est tel qu'on ne voit pas le temps passer et on n'a jamais le sentiment d'être submergé par tout ce que nous dit l'auteur. Il a trouvé un équilibre magistral entre ce qu'il veut suggérer et ce qu'il veut expliquer, laissant de l'espace au lecteur tout en lui fournissant le nécessaire pour ne pas être perdu dans ce monde à la fois envoûtant et angoissant. Il n'oublie pas non plus de nous émouvoir, comme dans une saynète poignante où Kroma feuillette le carnet qu'elle avait subtilisé à Zet et dans lequel elle trouve son portrait dessiné -et qu'elle agrémente avec des pigments de couleurs.

Visuellement, Kroma est un comic-book splendide et pour tous ceux qui pensent que "c'était mieux avant" dans la BD (américaine ou d'ailleurs), le travail de Lorenzo de Felici devrait les convaincre qu'au contraire le neuvième Art sait encore fréquemment nous subjuguer par les visions d'artistes inspirés.

En changeant de cadre, la série nous plonge dans une déluge chromatique vertigineux, grisant. De Felici nous éblouit avec des splash-pages étourdissantes, mais son découpage est aussi admirable par la fluidité et la vigueur qu'il possède. L'action du premier tiers de l'épisode est menée tambour-battant, réservant son lot de surprises. Jamais le dessinateur ne cède à la facilité.

La suite est plus apaisée avec le chemin parcouru par Kroma et Soristo. De Felici "coupe le son" à l'occasion pour laisser parler ses images par elles-même, sans que la lisibilité ne soit entamée. Ces silences au contraire fonctionnent comme un contraste puissant où l'on partage l'émerveillement de Kroma mais aussi son appréhension puisque, comme elle, nous ignorons où nous allons.

Généralement, Lorenzo de Felici privilégie des cases de dimensions généreuses pour qu'on appréhende le décor et les proportions entre personnages et environnement. Cela produit un effet percutant car les compositions de l'artiste sont impeccables, la façon dont il joue avec les ombres, la valeur des plans nous maintiennent constamment aux aguets.

Ce mélange de sidération et d'accalmie fait tout le sel de cette série. Je repense alors à Isola, la série de Brandon Fletcher et Karl Kerschl (en rade depuis deux ans et demi), qui, avec des auteurs plus aguerris, ne rivalisait pas avec ce projet hallucinant de beauté, de poésie et de terreur.

G.C.P.D. : THE BLUE WALL, de John Ridley et Stefano Raffaele


Nous voici à la moitié de la mini-série écrite par John Ridley et dessinée par Stefano Raffaele et il était donc temps de se pencher sur la situation de la nouvelle commissaire du G.C.P.D., Renee Montoya. La couverture ne ment pas : il y a aussi Harvey Dent/Double-Face. Mais les auteurs réussissent à éviter l'écueil de réduire leur héroïne à son passé traumatique avec le criminel. Sans oublier les recrues introduites précédemment.


Les ordres passés par Renee Montoya de procéder à une surveillance accrue de Double-Face passent mal auprès de ses collègues qui lui reprochent son obsession pour le criminel.


De son côté, l'agent Ortega consulte un avocat dans l'idée d'engager des poursuites contre ses collègues racistes. Mais le conseil lui demande de réfléchir avant de se mettre à dos son service.


Le rapport sur les activités de Double-Face confirme qu'il suit scrupuleusement son programme de réhabilitation. Pourtant, Montoya s'entête et assigne un officier à sa filature.


Tandis que l'agent Park se voit offrir d'intégrer la brigade scientifique, Montoya est abordée par Double-Face qui s'excuse pour ce qu'il lui a fait et jure qu'il veut se racheter...

G.C.P.D. : The Blue Wall est une drôle de mini-série. Je vous avoue volontiers que à chaque nouveau numéro je ne suis pas super motivé à l'idée de la lire, surtout une semaine comme celle-ci où, en plus de préparer les fêtes de Noël, d'autres comics de très bonne qualité m'attendent.

Et puis, et c'est assez rare pour être signalé, je lis l'épisode et je suis bien forcé d'admettre que mes réserves sont infondées, que c'est une mini-série qui vaut vraiment la peine, qui est très bien écrite et dessinée. Alors, oui, elle souffre de la concurrence et DC ne la prolongera certainement pas pour en faire le vrai successeur du mythique Gotham Central, mais c'est une réussite indéniable.

On distingue souvent les séries story-driven et character-driven. G.C.P.D. : The Blue Wall appartient à la seconde catégorie. Chaque épisode a bien un fil rouge (Harvey Dent/Double-Face prépare-t-il un mauvais coup ?), mais John Ridley laisse planer le doute au point de vraiment reléguer cette partie de la série à l'arrière-plan. Ce qui compte pour l'auteur et doit captiver le lecteur, ce sont bien les personnages.

Ridley a fait le pari, risqué, de ne pas faire apparaître du tout Batman dans cette histoire se déroulant à Gotham. Pire (ou mieux, c'est selon) : il a bâti son projet sur des personnages inédits, inconnus, jeunes, qu'on ne reverra sans doute jamais autre part. Le seul point de repère dont on dispose est Renee Montoya, devenue commissaire principale de la police de Gotham après le départ de Jim Gordon, et même elle, ce n'est pas une vedette (bien qu'elle soit familière aux lecteurs assidus de DC).

Comptant six épisodes, il était logique que la série ait un épisode dédiée à Montoya, surtout après les événements dramatiques survenus le mois dernier (un braquage qui a mal tourné pour un ancien détenu sous la responsabilité de l'agent Wells, braquage dont Double-Face est soupçonné d'être le commanditaire). Montoya, qui reste hantée par son enlévement par Harvey Dent (à l'époque de Gotham Central), est convaincue qu'il est bien à la manoeuvre et veut le coffrer.

Elle ordonne donc à ses hommes de le surveiller. Dent est sorti de prison et suit un programme de réhabilitation, qu'il suit scrupuleusement. Rien à signaler. Mais Montoya n'y croit pas. Et s'entête, malgré le rapport de surveillance, l'avis d'un collègue. Tout va culminer dans un dialogue étrangément dépassionné entre la flic et le malfrat, dans une ruelle sombre. John Ridley signe une scène intense, électrique, et en même temps curieusement diminuendo, où il est question de regret, de repentir, de doute aussi (Dent admet qu'il peut replonger). Mais surtout on retient les excuses de Dent et sa conviction que Montoya reste obsédée par lui.

C'est brillant et sobre à la fois, Montoya est très bien dépeinte, et Double-Face parfaitement saisi dans cette attitude lucide et affligée. L'affliction, c'est aussi le sentiment qui touche l'agent Ortega, une des trois recrues du G.C.P.D. qu'on apprend à connaître dans cette mini-série et qui doit faire face au racisme de collègues policiers. Refusant de subir, il est prêt à porter plainte mais l'avocat à qui il s'adresse le met en garde car il s'engagera alors dans un conflit avec tout le service. Et même si les coupables sont condamnés, sa réputation à lui sera irrévocablement atteinte.

Le cas de conscience d'Ortega trouve lui aussi son point culminant dans une scène avec Montoya qui, par le passé, a dû faire face à des railleries sur son homosexualité. Elle a réglé ses comptes sans passer par une procédure judiciaire, prouvé qu'elle savait encaisser et s'est endurcie tout en gagnant le respect de ses pairs. Mais on retient le désarroi, la confusion du jeune Danny Ortega, qui décide de transiger autrement, en consignant désormais tous les propos et actes déplacés à son encontre.

La série bénéficie d'un dessinateur remarquable qui, normalement, devrait gagner du crédit chez DC pour sa prestation. Stefano Raffaele est un artiste impeccable pour ce genre de projet car il est naturellement à l'aise pour animer des scènes de dialogues.

Son découpage est simple, il ne souffre pas d'excentricité inutile, il sert le script. Parce qu'il capte parfaitement les émotions sur les visages, fait bouger ses personnages avec naturel, de manière là aussi à correspondre à leur personnalité (le dos voûté de Ortega, l'économie de gestes traduisant la détermination de Montoya), c'est un excellent choix pour un tel scénario.

Cet épisode est son meilleur, car l'action spectaculaire est absente et on a vu précédemment qu'il était maladroit encore pour cadrer ce genre de mouvements. Mais Raffaele a du potentiel, et s'il travaille sérieusement (et que les editors savent où le placer), nul doute qu'il s'améliorera. C'est juste dommage que la colorisation toujours monotone de Brad Anderson ne lui convienne pas.

En tout cas, si, le moment venu, Urban Comics traduit ce titre, vous pourrez investir quelques Euros pour son recueil car c'est de la belle ouvrage et que G.C.P.D. : The Blue Wall gagne à être lu.

vendredi 23 décembre 2022

NAMOR THE SUB-MARINER #3, de Christopher Cantwell et Pasqual Ferry


L'odyssée futuriste de Namor the Sub-Mariner par Christopher Cantwell et Pasqual Ferry est décidément une franche réussite. Pour qui est fan du héros, c'est même une bénédiction car rarement ces dernières années il aura été si bien traité. Le scénario réserve cette fois-ci encore des surprises et visuellement c'est tout simplement magnifique.


Alors que Eudora, la scientifique atlante, tente de reconstituer l'ADN de Jim Hammond, elle est enlevée par un androïde. Au même moment, Namor et Luke Cage atteignent la Latvérie désertée par Dr. Fatalis.


Accueillis et escortés par des Fatalibots, les deux hommes cherchent des indices sur la Torche Humaine et découvrent dans les sous-sols du château des survivants humains et leurs enfants.


Ceux-ci sont sous la protection de Egad le mort-vivant, créature de Fatalis, qui engage le combat avec Namor qu'il accuse de vouloir tuer les enfants. La bataille dégénère mais Namor calme son adversaire.


Eudora réussit à échapper à son ravisseur et contacte Namor, convaincu que Jim Hammond prépare un mauvais coup, même si Egad et Luke Cage sont plus réservés...

J'ai souvent été déçu ces derniers temps par les mini-séries produites par Marvel qui ressemblent plus pour moi à des moyens de garder dans l'actualité des personnages par ailleurs absents de titres popualires. Je compare fréquemment les ambitions de l'éditeur en la matière avec ce que réussit à faire DC et son Black Label, autrement plus ambitieux et abouti.

Mais Namor The Sub-Mariner : Conquered Shores de Christopher Cantwell pourrait bien marquer un tournant et inspirer de futurs projets et donc Marvel à être plus audacieux. Car si Namor est actuellement présent dans les pages de Avengers par Jason Aaron, il reste mal écrit par beaucoup, qui se satisfont de le décrire comme un vilain colérique, seulement sauvé par son amitié avec Captain America.

Par le passé, John Byrne par exemple avait écrit un run resté dans les mémoires de ceux qui l'ont lu et qui faisait honneur au prince des mers. James Robinson et Steve Pugh dans leur relance des Invaders l'animèrent aussi avec application. Et puis il y eut le superbe Namor : Voyage au fond des mers de Peter Milligan et Esad Ribic. Maigre bilan malgré tout pour le personnage imaginé par Bill Everett en 1939.

Christopher Cantwell a eu une riche idée en déplaçant l'action de son récit dans le futur car cela lui permettait d'appréhender Namor sans avoir à tenir compte de ce qui en a été fait récemment, de faire en somme table rase du passé. C'est un peu un "Old Man Namor" qu'on trouve dans les pages de Conquered Shores, moins impulsif, moins arrogant, et plus sage, presque repenti.

Namor n'a pas perdu sa morgue ni sa majesté, mais son périple en compagnie de Luke Cage fait irrésistiblement penser à Ulysse dans L'Odyssée de Homère. Son voyage s'apparente à une initiation tardive, celle d'un roi déchu en quête de réconciliation avec les gens de la surface qu'il a si souvent pris pour ennemi.

Ce troisième épisode souligne avec à-propos ce à quoi il doit faire face quand on lui rappelle sans cesse, Luke Cage le premier, à quel point son attitude hautaine et agressive a abouti à une méfiance éternelle à son égard. Même maintenant qu'il a abandonné son trône au profit de sa cousine et tente de s'imposer comme un protecteur de tous les rescapés d'une attaque kree qui a envoyé tous les super-héros dans l'espace, Namor doit persuader tous ceux qu'il croise qu'il a changé, mûri, appris de ses erreurs.

Dans cette étape qui le mène avec Cage en Latvérie, il est rappelé à ses alliances ponctuelles avec le Dr. Fatalis et à sa réputation de conquérant aux méthodes expéditives quand Egad le mort-vivant l'accuse de vouloir tuer des enfants qu'il a mis à l'abri dans les sous-sols du château. En parallèle, Cantwell met en scène l'enlèvement de Eudora, la scientifique atlante, par un androïde mais souffle chaud et le froid à ce sujet. Comme Namor, on devient sûr que Jim Hammond prépare un vilain coup avec les machines. Mais la voix de Cage nuance cela quand il s'agit de questionner le mobile de cette attaque. La dernière page nous plonge encore plus dans la perplexité.

Le script, nuancé donc et malin aussi, est magnifiquement mis en image par Pasqual Ferry qui revient en très grande forme - et ce retour semble se faire sur la durée puisque le dessinateur espagnol va enchaîner ensuite avec le relaunch de Docto. Strange (écrit par Jed MacKay, à partir de Mars 2023).

Ferry était fait pour dessiner Namor à qui il donne cette allure altière sans forcer. L'époque futuriste lui a permis de le vieillir légèrement en lui donnant des tempes blanches (comme son rival Mr. Fantastic) mais aussi un vêtement en rapport avec une régression de ses pouvoirs, sous la forme d'une armure. Ainsi, Namor ressemble à un chevalier revenant de la guerre, comme Ulysse ou un membre de la Table Ronde.

Surtout, Ferry respecte la physionomie du personnage, loin de son incarnation dans le MCU (où le personnage est devenu mézo-américain, un choix qui ne cesse de m'interroger alors qu'à tout prendre j'aurai davantage vu Namor campé par un asiatique comme le suggère ses yeux en amande). Il le représente ni trop grand ni trop musclé, svelte, ce qui apporte un contraste intéressant avec le plus massif Luke Cage ou le très grand Egad.

Tout cela évoulue dans des décors auxquels le dessinateur ibérique avec le coloriste Matt Hollingsworth insufflent un côté hanté, désolé sans être post-apocalyptique. Ces "rivages conquis" comme l'indiquent le sous-titre de la mini-série sont surtout ceux d'une Terre délaissée, déserté, où ceux qui sont restés vivent comme dans d'ultimes refuges et dans un dénuement poignant.

Si seulement Marvel avait l'idée de confier à Cantwell une série régulière dans le présent sur Namor, avec un artiste d'une classe équivalente à celle de Ferry, ce serait idéal. Mais en attendant cela, cette production a de quoi combler les fans du prince des mers.

BATMAN - SUPERMAN : WORLD'S FINEST #10, de Mark Waid et Dan Mora


Le pénultième épisode de cet arc de Batman - Superman : World's Finest réserve un cliffhanger de folie - et je pèse mes mots ! Mark Waid fait très fort, en revisitant un de ses propres classiques, donnant à cette série une dimension et une perspective assez vertigineuses. Dan Mora n'est pas en reste et produit encore une fois débordantes d'énergie.


Enlevé par le Joker et la Clé, David Sekela/Boy Thunder est recherché par Superman les Teen Titans et Batman, qui trouve un indice déterminant en relation avec un bâtiment abandonné de LexCorp.
 

Pendant ce temps, entre deux interrogatoires musclés du Jiker qui veut savoir l'identité de Batman et Superman, David révèle à la Clé qu'il vient d'une Terre parallèle, ce qui fascine le vilain.


Batman, les Teen Titans et Superman arrivent enfin pour sauver David. Le Joker s'enfuit d'un côté et la Clé de l'autre, libérant un monstre d'une dimension parallèle pour occuper les héros.


Une fois délivré, David poursuit le Joker et manque de le tuer, promettant que, quel que soit le temps que ça prendrait, il se vengera de ce qu'il lui a fait subir - et il tiendra promesse...

La tentation est grande de vous dévoiler ce que montre la toute dernière (splash) page de cet épisode car on y découvre quelque chose de véritablement vertigineux. Mark Waid prouve par-là même qu'il n'écrit pas Batman - Superman : World's Finest comme une simple succession d'aventures située dans le passé des deux héros, mais que cela lui sert de passerelle vers le futur du DCU.

C'était déjà le cas avec le premier arc qui a abouti à la mini-série Batman vs. Robin qui, elle-même, débouche sur l'event Lazarus Planet. Mais en vérité, ce qui intervient à la fin de World's Finest #10 est sans aucun doute encore plus fort en termes d'impact dramatique.

Pourquoi ? Parce que, sans donc en dire trop, Mark Waid offre une perspective inattendue et folle à un de ses grands classiques des années 1990. Le citer reviendrait à éventer où il veut en venir. C'est donc très compliqué de rédiger cette critique sans spoiler. Le mois prochain avec le #11, ce sera sans doute inévitable, donc profitez-en.

Cela ne signifie pas qu'avant cette dernière page ce qui se passe revêt un intérêt moindre ou négligeable. Le mois dernier, le Joker et la Clé créaient une diversion spectaculaire pour enlever David Sekela/Boy Thunder et le jeune garçon est désormais entre les mains des deux criminels. L'occasion pour le scénariste là encore d'évoquer des références passées.

En torturant David, le Joker semble répéter ce qu'il infligera des années plus tard à Jason Todd, le deuxième Robin et futur Red Hood, qu'il avait passé à tabac avant de l'assassiner. C'était le climax de Batman ; Un Deuil dans la Famille en 1988 (écrit par Jim Starlin et dessiné par Jim Aparo) au terme duquel les lecteurs furent sollicités par DC pour décider du sort de Jason Todd - condamné alors par des fans qui l'aimaient moins que Dick Grayson, son prédécesseur.

Tandis que Superman, frustré par la tournure des événements et en colère contre lui-même pour avoir perdu de vue David au pire moment, mais aussi Batman et les Teen Titans cherchent Boy Thunder dans Gotham et doivent franchir plusieurs épreuves dans une narration ressemblant aux niveaux d'un jeu  vidéo, les scènes avec le garçon et ses ravisseurs sont d'une intensité exceptionnelle. Waid, en particulier, en profite pour donner un relief particulier à la Clé, en revenant sur l'origine de ses pouvoirs et de son aspect physique, mais surtout sur son obsession d'ouvrir des portes de toutes sortes.

En apprenant que David vient d'une Terre parallèle, il le considère comme la preuve de l'existence du multivers, autrement dit comme une sorte de clé permettant d'accéder à des dimensions inconnues, c'est-à-dire une sorte d'aboutissement pour ce vilain. Cet échange devient le résumé de tout l'épisode (et même de cet arc) car jusqu'à la fin il ne s'agira plus que d'ouvrir des passages et d'atteindre des paliers dramatiques.

Dan Mora n'a pas abandonné son rythme de travail car même s'il en a fini avec Once é Future (la série qu'il a co-créée avec Kieron Gillen), il signe encore de nombreuses couvertures et vient de produire le premier numéro d'un crossover entre les Mighty Power Rangers et les Teenage Mutants Ninja Turtles. A quand cet homme dort-il ?

Cette fantastique santé rejaillit sur son dessin qui déborde d'énergie. Et même si on peut repérer, pour peu qu'on fasse attention, quelques raccourcis graphiques (avec des décors parfois absents ça et là), on ne peut reprocher à Mora de faire les choses à moitié. D'abord parce que son découpage est une emrveille de tonicité et de fluidité. Ensuite, parce que même en étant plus léger sur certains éléments, la quantité d'informations visuelles qu'il fait passer et la densité de ses compositions restent au-delà de la moyenne.

En effet, il doit animer un casting très fourni (Batman, Superman, les cinq Teen Titans, David Sekela, le Joker et la Clé), et le plus souvent quand tout ce monde est réuni, il parvient à les caser dans un même plan dans leur grande majorité. Mais surtout parce qu'il se plie à un script avec une sorte d'amusement sidérant, qu'il s'agisse de montrer l'intérieur d'un bâtiment rempli de portes dans tous les sens ou de fiare jaillir un énorme monstre de l'une d'entre elles.

Il y a une double jubilation dans le dessin de Mora : la première parce qu'on ressent la jouissance de cet artiste à dessiner, et la seconde parce qu'on apprécie ce foisonnement si vif. Ajoutez-y les couleurs parfaites de Tamra Bonvillain, avec laquelle il a ses habitudes, et la lecture est un plaisir sans égal.

Après donc ce climax, comment le prochain épisode va-t-il résoudre cette intrigue en "effaçant" en quelque sorte Boy Thunder de la continuité tout en opérant la liaison vers ce qu'il est devenu ? Cette question explique pourquoi lire Batman - Superman : World's Finest est si palpitant.