dimanche 26 mai 2013

Critique 397 : A + X # 003, de Jason Aaron, James Asmus, Pasqual Ferry et Billy Tan



A + X est une anthologie mensuelle, déclinée après la fin de la saga Avengers vs X-Men, publiée en 2012 par Marvel Comics. Chaque numéro contient deux récits complets de 10 pages chacun, réalisés par une équipe artistique différentes, et chaque histoire réunit un Vengeur et un X-Man (A pour Avengers, X pour X-Men).
Ce 3ème numéro, paru en Décembre 2012, propose un épisode avec La Panthère Noire et Tornade, écrit par Jason Aaron et dessiné par Pasqual Ferry, et un autre avec Hawkeye et Gambit, écrit par James Asmus et dessiné par Billy Tan.
*


Black Panther + Storm. Séparé d'Ororo Munroe à cause des évènements d'Avengers vs X-Men (Namor, possédé par la force du Phénix, a dévasté le Wakanda), T'Challa est poussé par ses conseillers à choisir une nouvelle épouse. Mais Storm perturbe les rendez-vous amoureux de son ancien mari...

A la lecture de cet épisode (très) anecdotique, il semble évident que c'est d'abord l'affection qu'il porte au couple formé par Black Panther et Storm qui a inspiré Jason Aaron. Le scénariste s'amuse à réconcilier les amants que AvX a séparé, et son humour, qui fait merveille sur la série Wolverine & The X-Men, se retrouve ici (plus dans l'enchaînement des situations que dans des dialogues fadasses).
Dommage, cependant, qu'il n'ait pas pris plus de soin à orchestrer ces retrouvailles autour d'une bonne bagarre - en lieu et place, on a juste droit à un rapide affrontement de la Panthère Noire contre des agents de l'AIM puis contre un chasseur en plein safari.

Pasqual Ferry (qui signera un prochain épisode de W&TXM), artiste inégal et trop rare, se montre plus à son avantage, et on aimerait bien, après avoir vu ses planches, qu'il développe avec Aaron une vraie série autour de T'Challa (même si ce n'est pas à l'ordre du jour).

Superficiel et léger, mais très beau et assez amusant. 
 *

Hawkeye + Gambit. Alors qu'il assiste, en plein air, à une représentation théâtrale, Gambit entreprend de sauver des griffes d'un démon une jeune actrice. Jusqu'à ce qu'Hawkeye s'en mêle et que les deux hommes ne se chamaillent pour les faveurs de la belle...

James Asmus, qui vient d'écrire une nouvelle série consacrée au mutant louisianais Gambit (déjà promise à l'annulation après 17 épisodes), organise sa rencontre avec le tombeur de ses dames côté Vengeurs, Hawkeye. 
Hélas ! tout cela manque cruellement de piquant, et le prétexte à cet épisode est même assez navrant. Qui plus, quand on lit l'excellente série actuelle consacrée à l'archer, on mesure à quel point Asmus ne retient que le cliché du personnage (un dragueur vaniteux).

La partie graphique est calamiteuse : Billy Tan n'a jamais été un grand dessinateur, certes, mais avec un encreur solide, il lui est arrivé de produire des pages efficaces. Depuis qu'il a décidé de s'en priver (et alors qu'il était sur le point de faire ses valises pour aller chez DC), son travail révèle toutes ses faiblesses : trait mal assuré, personnages laids, découpage paresseux...

Ratage total.
*
Bilan : Après un n°2 jubilatoire, l'anthologie dévoile les faiblesses inhérentes au concept : en l'absence de vraies propositions scénaristiques et visuelles, on tombe vite dans la banalité. Seul Pasqual Ferry est digne de félicitations.

lundi 13 mai 2013

Critiques 396 : REVUES MAI 2013

 Marvel Knights 8 :

Daredevil (#13-14 : Le retour du Spectre Noir - Règlement de comptes !). Menacé, en présence de Kirsten McDuffie, par un agent de l'organisation pourtant dissoute du Spectre Noir, Daredevil choisit de provoquer un combat contre toutes les entités du MégaCrime (l'Hydra, l'Agence Byzantine, l'AIM, l'Empire Secret). Le disque Oméga lui échappe dans l'affrontement... A moins que "Tête à cornes" ait été plus malin.
Cependant, la tactique de DD n'a pas fini de lui causer des ennuis : il est téléporté en Latvérie et malmené par son ministre des finances, Beltane. Ce qui signifie que désormais il est dans le collimateur du Dr Fatalis !

Mark Waid a depuis son deuxième arc (à partir du #4) développé cette intrigue du disque Oméga et de MégaCrime, tout en menant d'autres récits. Il est temps, après un an et 13 épisodes, de clore cette histoire et la résolution qu'il apporte est plutôt astucieuse, quoiqu'un brin tarabiscotée. 
Il faut dire que le plaisir est gâché car ce chapitre est mis en images par le médiocre Koi Pham, une erreur de casting reconnu par l'editor de la série lui-même (Stephen Wacker). Dommage...

Mais Waid et Wacker sont malins et l'editor a finalement réagi promptement en confirmant rapidement Chris Samnee (qui avait dessiné le #12) comme nouvel artiste régulier de la série (il l'est toujours) tandis que le scénariste rebondit en donnant une nouvelle impulsion jubilatoire à son récit. En déportant DD en Latvérie, il invoque Fatalis, un ennemi inattendu pour le héros, qui subit un traitement éprouvant immédiat. Le cliffhanger, en forme d'hommage à La Grande Evasion de John Sturges, annonce un prolongement excitant.

Samnee, quant à lui, est déjà comme chez lui et livre des planches au découpage énergique, avec des personnages expressifs, parfaits pour Waid. On va se régaler.
*
Punisher (#12-13 : L'adieu aux vivants - Des enchères à l'eau). Frank Castle retrouve Rachel Cole-Alvès qui lui a faussé compagnie après l'affaire du disque Oméga. Ils conviennent d'une méthode pour mener leur croisade plus efficacement et solidairement.
C'est ainsi qu'ils infiltrent une vente aux enchères d'armes appartenant à des super-vilains et héros sur un yacht. La mission n'est cependant gagné d'avance car ils sont repérés par la sécurité à bord...

Greg Rucka poursuit directement sur les évènements survenus lors du crossover L'effet Oméga (paru dans le précédent numéro de "Marvel Knights"). Les retrouvailles de Castle et Cole-Alvès offrent une belle bagarre, aussi bien physique que morale entre ces deux chasseurs à la cible commune.
Puis le duo reformé repart en guerre et Rucka orchestre de main de maître une mission d'infiltration sur un yacht, au suspense admirable, et dont le cliffhanger promet là encore beaucoup.

Marco Checchetto (qui traversait pourtant alors des problèmes personnels) illustre l'épisode 12 : l'italien confirme qu'il est la révélation de ce run. Découpage nerveux, personnages bien campés, il sert superbement le script.
Mico Suyan le remplace ensuite : son travail n'est pas mauvais (en tout cas beaucoup plus lisible que d'autres effectués dans le passé), même s'il aurait pu se passer de donner à des figurants le visage de célébrités (on reconnaît Dean Martin, Frank Sinatra, Sammy Davis Jr) et concentrer ses efforts sur un découpage moins classique. Mais la colorisation de Matt Hollingsworth donne une belle ambiance à l'ensemble.
*
Le Soldat de l'Hiver (#5-6 : Gare aux dormeurs... - Flèche brisée, Prologue). Après avoir, avec le concours du Dr Fatalis, le Fatalibot dérobé par Lucia Von Bardas et deux agents dormants du projet Zéphyr réveillés par le Fantôme Rouge et entraînés par Bucky Barnes, ce dernier, la Veuve Noire et Fatalis doivent se presser pour empêcher Von Bardas d'activer des missiles à têtes nucléaires latvériens...
Reste à savoir ce qu'est devenu le troisième agent dormant du projet Zéphyr. Le nommé Leonid Novokov est bien vivant mais dans la nature depuis douze ans et déterminé à faire payer Barnes, qu'il accuse de l'avoir abandonné à son sort et d'avoir trahi les russes...

Ed Brubaker clôt son premier arc en donnant un salutaire coup d'accélérateur à une intrigue un peu trop sinueuse et au tempo inégal. La faute à un casting de bad guys trop abondant (Dr Fatalis, le Fantôme Rouge, Lucia Von Bardas, les agents dormants). L'ambiance entre série noire et espionnage a compensé une histoire qui aurait gagné à être moins touffue.
En revanche, le second arc démarre sur les chapeaux de roue, avec une amorce bien plus accrocheuse et un traitement déjà plus synthétique, qui pose formidablement le personnage de Novokov, le dernier agent dormant du projet Zéphyr. La suite s'annonce prometteuse.

Butch Guice (encré par Stefano Gaudiano et Tom Palmer) réalise des planches superbes, où l'influence de John Buscema et Jim Holdaway est visible mais très bien digérée.
Puis le duo gagnant Michael Lark-Stefano Gaudiano prend la relève pour le 2ème arc, reformant l'équipe artistique qui faisait des merveilles sur Daredevil. C'est un vrai bonheur de retrouver cette petite bande et les planches sont somptueuses. Toutefois, il faudra vite en profiter : ils ne sont là que pour 4 épisodes, et Lark a depuis quitté Marvel (pour aller publier Lazarus, un creator-owned avec Greg Rucka chez Image)...
*
Bilan : très positif - hormis Koi Pham sur DD, c'est un sans-faute. Il est hélas ! regrettable que Panini ait jugé bon de bouleverser ce sommaire dès le prochain numéro en y ajoutant une quatrième série (les nouveaux Thunderbolts de Daniel Way et Steve Dillon - beurk !).    

 Marvel Best Sellers 2 :

Avengers : Reunion (#1-5). Au lendemain de l'attaque destructrice de Norman Osborn et ses Dark Avengers contre Asgard (qui s'est soldé par la défaite des agresseurs et la mort de Sentry), Steve Rogers, Iron Man et Thor (dont les relations ne sont pas au beau fixe depuis la "Civil War") inspectent les ruines de la demeure des dieux nordiques dans les plaines de Broxton, Oklahoma. Thor, après avoir constaté le dommage subi par le "rainbow bridge", est téléporté avec Steve Rogers et Iron Man dans une dimension où les Neuf Royaumes sont emmêlés. Qui règne sur ce nouveau territoire ? Et qui détient une telle puissance pour avoir altérer ainsi les territoires ? Séparés, les trois héros vont chacun découvrir comment cet entre-monde est sous la coupe de différents belligérants, puis en se réunissant, combattre le nouveau maître des lieux qui y fait régner la terreur...

Publié en 2010-2011, cette mini-série en cinq épisodes a été réalisée dans la foulée de la saga Siege, déjà écrite par Brian Michael Bendis (et dessinée par Olivier Coipel). A l'époque, il s'agissait de conclure la période du "Dark Reign", qui était elle-même née à la fin de l'event Secret Invasion et vit Norman Osborn former sa propre équipe de Vengeurs, obligeant les héros à prendre le maquis (comme y étaient dèjà les New Avengers depuis la fin de Civil War). Siege devait signer la réconciliation du trio emblématique Captain America-Iron Man-Thor, mais c'est avec Avengers : Prime (Réunion en vf) que ces trois-là allaient vraiment se réconcilier.
Narrativement, il s'agissait aussi de rétablir, à la suite du run de J. Michael Straczynski sur la série Thor, la mythologie asgardienne telle qu'elle était avant le Ragnarok. JMS avait quitté la série parce qu'il ne désirait pas que le dieu du tonnerre soit si vite impliqué dans un event, lequel event (Siege) connaîtra un succès mitigé (histoire bancale, format raccourci, ventes décevantes). Brian Bendis devait à la fois se refaire et lancer la période suivante, l' "Heroic Age".

Et c'est une belle réussite. En vérité, on peut même dire qu'Avengers : Prime réussit partout là où Siege ne fonctionnait pas. C'est un parfait dosage entre l'action spectaculaire et la caractérisation, l'aventure et l'intimisme, la saga épique et le "buddy comic-book".
En premier lieu, Bendis répare ce que Civil War puis Secret Invasion avaient défait, à savoir la relation pivotale entre Captain America, Iron Man et Thor. Quoi de mieux qu'une bonne aventure dans un décor à la fois exotique (pour au moins deux d'entre eux) et inquiétant, avec diverses menaces, et un méchant coriace, pour redevenir amis ? C'est dans l'épreuve que les Vengeurs, et leur trio vedette, s'est toujours construit, reconstruit, renforcé.
Bendis ne change pas sa manière de procéder : peu intéressé par l'exploitation des clichés du genre, il préfère s'en amuser, et émaille son scénario de répliques malicieuses, pince-sans-rire, comme pour désamorcer à la fois les dangers que traversent les héros et leur permettre de relativiser leur brouille. On sourit souvent, tout en vibrant suffisamment. Les grincheux trouveront que le scénariste prend tout ça trop à la légère mais trop de sérieux aurait tué la fibre épique du récit.
Avengers : Réunion est un vrai "feel-good comic-book", avec des morceaux de bravoure, des rebondissements abondants, du rythme, du fun, du cool, du sexy, et à la fin, les trois amis repartent après une franche accolade, ressoudés. C'en est (enfin) terminé du "Dark Reign".
Que se serait-il passé si JMS avait pu développer Thor comme il l'entendait, si Siege et Avengers : Prime n'avaient pas interféré avec ses plans... Nous ne le serons jamais. C'est à la fois un terrible gâchis éditorial, mais Bendis aura proposé une issue très honorable et surtout très divertissante, après un event bâclé et bancal. L'un dans l'autre, ce n'est pas si mal. 

Et puis il y a Alan Davis au dessin ! L'anglais a pris huit mois pour boucler ces cinq épisodes, mais le résultat en vaut la peine. C'était un des rêves de Bendis que d'écrire pour l'artiste et il y a mis les formes en lui donnant du biscuit.
Ses planches sont splendides, d'une énergie ébouriffante, chaque chapitre étant poncuté de quelques doubles pages extraordinaires (la première apparition de l'Enchanteresse Amora, le premier face-à-face entre Thor et les hordes d'Héla, le rassemblement des alliés des trois Vengeurs, la charge finale...). 
C'est impressionnant : le découpage est fou, les attitudes sont majestueuses, les personnages expressifs, il y a un souffle puissant qui traverse chaque plan, chaque planche, encrés par Mark Farmer et sublimement mis en couleurs par Javier Rodriguez.

Bilan : un sans-faute - un récit décoiffant et souvent drôle, des illustrations renversantes. Tout ça en 112 pages et pour 5,90 E. Merci qui ? Merci Panini !

Before Watchmen 3 :

Minutemen (La minute de vérité #3/6 : Un jeu d'enfants). Le Comédien vient de tenter de violer le Spectre Soyeux et l'équipe décide de l'expulser. Ce dérapage souligne les tensions grandissantes entre les membres, partagés entre la soif de reconnaissance (même si elle repose sur des faits d'armes peu glorieux) et l'envie de mener de vraies actions bienfaîtrices (certains partent sur le front en Europe, d'autres continuent à combattre le crime en Amérique). C'est ainsi que le Hibou va apprendre à faire mieux connaissance avec la Silhouette, pour qui il éprouve de l'attirance...

Darwyn Cooke réalise toujours un travail de grande qualité : il tient son sujet bien en mains, sans complaisance il raconte à quel point les Minutemen étaient un groupe miné de l'intérieur. En quelques cases, il réussit à mettre en scène la sortie du Comédien (quand bien même on pourra lui reprocher de l'avoir montré parvenant à dominer physiquement le Juge Masqué !), les tensions entre le Spectre Soyeux et la Silhouette, l'homophobie de Dollar Bill, les sentiments du Hibou, la croisade (à la fois sincère et expéditive) de la Silhouette... La densité de l'épisode est tout de même remarquable.

Visuellement aussi, Cooke ne lâche rien et s'amuse même à parodier le style des illustrés des années 40, à employer des astuces de montage pour bousculer la chronologie ou les hallucinations (quand la Silhouette délire, blessée), avec un découpage en gaufrier extraordinairement bien maîtrisé. 
La colorisation de Phil Noto ajoute à la qualité graphique.
C'est vraiment très fort.
*
Spectre Soyeux (#3/4 : Sans illusion). La fugue de Laurie prend une tournure dramatique quand son fiancé Greg échappe de peu à une overdose. Elle décide de faire son affaire à Gurustein et son complice. Cependant, sa mère fait appel à Eddie Blake pour la retrouver - et écarter le garçon qui l'a entraînée loin de chez elle...

Darwyn Cooke et Amanda Conner forment un tandem étonnamment efficace depuis le début de leur collaboration sur cette mini-série. Ils s'amusent avec le trip de Laurie, puis osent une brusque rupture de ton par la suite, qui va déboucher sur un prochain (et dernier) épisode imprévisible. Certes, tout ça n'a pas grand'chose à voir, ni à dire, avec ce qui s'inscrit dans une préquelle à Watchmen, les deux auteurs brodent en profitant d'une béance dans le récit de Moore, mais on ne s'ennuie pas à le lire : c'est déjà ça.

Conner, encore elle, alterne des planches débridées, aux cadrages audacieux (la séquence du trip), et plus sages, avec un découpage proche de celui employé par Cooke lui-même pour Minutemen. L'expressivité savoureuse qu'elle donne aux personnages, le côté polisson et cartoony à la fois de son dessin, les couleurs vives de Paul Mounts, contribuent là aussi au plaisir de la lecture.
*
Le Comédien (#3/6 : Jouer avec le feu). Eddie Blake fait encore plein de vilaines choses...

On va faire vite : c'est aussi mauvais que les deux précédents épisodes et rien ne laisse penser que ça s'améliorer. Pire, on en a encore pour trois épisodes. C'est affligeant : tous les mauvais tics d'Azzarello sont concentrés dans ce portrait stupide du Comédien.

Visuellement, c'est pareil : JG Jones rend l'affaire encore plus pénible. Style photo-réaliste grotesquement figé, découpage sans relief... Tout ça me tombe des mains.
*
Rorschach (#1/4 : Ville maudite). Rorschach se prend une branlée...

Et le lecteur a les yeux qui piquent. Scénario complaisant, traitement ras-de-terre du personnage, ambiance glauque sans originalité.

Et Lee Bermejo... C'est affreusement laid à regarder. DC s'est visiblement dit que ça collerait bien au personnage, mais c'est juste affligeant : rien n'est raconté, et c'est quand même mal fait !
(Si vous avez encore un doute, Urban complète l'épisode avec un article sur la Question, le personnage de Steve Ditko qui inspira Alan Moore pour Rorschach : c'est effectivement très éloquent pour prouver qu'Azzarello n'a rien compris et que Bermejo, après Ditko et Gibbons, est le pire des choix.) 
*
Dr Manhattan (#1/4 : Qu'y a-t-il dans la boîte ?). Le Dr Manhattan revisite ses origines avec cette interrogation essentielle : son existence a-t-elle été le fruit d'un malheureux hasard ? Ou le fruit d'un enchaînement de faits inévitable ? Ou l'expression d'une possibilité quantique parmi tant d'autres ?

J. Michael Straczynski, guère convaincant sur le Hibou (absent du programme pour ce numéro), se montre bien mieux inspiré avec le Dr Manhattan, sans doute le personnage le plus fascinant et emblématique de la série d'Alan Moore. Il a opté pour un point de vue original, qui s'éloigne du concept "Before Watchmen", pour s'intéresser aux méditations existentielles du surhomme : celles-ci le conduisent à réfléchir aux conditions dans lesquelles il est devenu l'égal d'un dieu. Le résultat est certes un peu verbeux, mais passionnant, intrigant, avec un cliffhanger épatant qui, pour le coup, donne une perspective surprenante à tout le projet, sans dénaturer le personnage. L'astuce, sans trop en dire, c'est que JMS fait comme si ce qu'il nous racontait était sans doute une version possible, et pas une préquelle classique ou une retcon : très malin.

Cerise sur le gâteau, Noël avant l'heure : c'est Adam Hughes qui dessine la mini-série. Et si le célèbre cover-artist était attendu au tournant, il ne déçoit pas : ses pages sont splendides. Le soin maniaque de ses compositions, l'expressivité des personnages, la simplicité classieuse du découpage, l'ambiance qui se dégage du tout - magnifiée par les couleurs extraordinaires de Laura Martin - : c'est un enchantement.
Souhaitons que Hughes ait trouvé là une motivation pour redessiner des intérieurs (quand bien même ses couvertures sont toujours des joyaux).
*
Bon, il y a aussi, encore, la back-up sur les pirates, mais ça, je zappe.
*
Bilan : positif - malgré Le Comédien et Rorschach. Cooke, Conner et le binôme JMS-Hughes procurent quand même de grands moments, qui consolent de tout.

dimanche 12 mai 2013

Critique 395 : THE SHADE, de James Robinson et Cully Hamner, Javier Pulido, Frazer Irving, Darwyn Cooke, Jill Thompson, Gene Ha

The Shade est une mini-série en 12 épisodes, écrite par James Robinson et dessinée par Cully Hamner (#1-3), Darwyn Cooke (#4), Javier Pulido (#5-7), Jill Thompson (#8), Frazer Irving (#9-11) et Gene Ha (#12), publiée en 2011-2012 par DC Comics.
*
 "Children."
(The Shade #1, page dessinée par Cully Hamner)
Super-vilain repenti, Richard Swift alias the Shade réside à Opal City, dont il est devenu un des protecteurs. Il vit une liaison avec Hope O'Dare, membre d'une famille de policiers qu'il a affrontée avant d'en devenir l'allié. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à ce que Deathstroke, le mercenaire, tente de l'assassiner.

 Qui veut tuer the Shade ? Et pourquoi ?
 Hope O'Dare laisse The Shade
partir enquêter.
(The Shade #2, pages dessinées par Cully Hamner)

The Shade décide de se faire passer pour mort afin d'enquêter pour identifier le commanditaire de Deathstroke et son mobile. Grâce aux informations recueillies par le détective William Von Hammer, il oriente ses recherches et part d'abord en Australie où il retrouve à l'article de la mort son arrière petit-fils, Darnell Caldecott, qu'il avait sauvé une première fois en 1944 contre les nazis. Aujourd'hui, il souffre d'une leucémie et pense en réchapper grâce à une transfusion sanguine de son aïeul.



 Premier retour dans le passé, en 1944
(The Shade #4, pages dessinées par Darwyn Cooke)
Il gagne donc l'Espagne où il retrouve la Sangre, une vampire, sa fille adoptive, qui a peut-être conservé un échantillon de son sang. Avec Montpellier, un autre héros local, ils affrontent l'Inquisiteur. Mais la Sangre n'a plus d'échantillon sanguin de Swift.


 The Shade compte sur la Sangre pour
l'aider à sauver son arrière petit-fils...
(The Shade #5, pages dessinées par Javier Pulido)


 ... Mais the Shade et la Sangre vont devoir 
d'abord neutraliser, avec Montpellier,
l'Inquisiteur de Barcelone.
(The Shade #6, pages dessinées par Javier Pulido)

Le décés de Darnell conduit the Shade à se rappeler comment il rencontra son petit-fils, sans que ce dernier le sache, en France et en Angleterre en 1901. 



The Shade rencontre son petit-fils par hasard
à Paris en 1901.
(The Shade #8, pages dessinées par Jill Thompson

Il lui faut alors retourner à Londres, là où tout a commencé, pour résoudre son affaire et savoir lequel de ses héritiers est le "fruit pourri", celui qui veut le supprimer et pourquoi.



 A Londres, tout a commencé et tout finit 
pour the Shade
(The Shade #10, pages dessinées par Frazer Irving)
 
Puis, enfin, Richard Swift dévoilera dans quelles extravagantes circonstances, en 1838, avec son ami, l'écrivain Charles Dickens, il est devenu the Shade...


Les origines de the Shade enfin révèlées...
(The Shade #12, pages dessinées par Gene Ha)
*
Après m'être procuré l'épisode 4, dessiné par Darwyn Cooke, l'envie de découvrir l'intégralité de cette mini-série n'a fait que grandir et j'ai attendu que DC la compile en un album. Non sans une certaine appréhension et les questions qui vont avec : James Robinson allait-il transformer l'essai ? Mieux : allait-il renouer avec sa verve d'antan (celle de l'auteur de JSA : The Golden Age ; Leave it to Chance ; et Starman - dont The Shade est le second spin-off, après une première mini en 1997) ?

Quand Robinson commença à écrire la série Starman en 1994, il recréa aussi un personnage charismatique, qui, à mes yeux, volait presque la vedette à Jack Knight : the Shade. Ce dernier était à l'origine un ennemi de Flash/Jay Garrick, imaginé en 1942, mais Robinson en fit tout autre chose : un immortel résidant à Opal City, d'abord malfrat puis protecteur de la ville, partenaire du héros local, Ted Knight, puis ses fils, ainsi que de la famille O'Dare, des policiers irlandais (il deviendra d'ailleurs l'amant d'Hope, une des filles du clan, également flic).
Le scénariste se servit aussi de ce second rôle pour donner une profondeur étonnante à son récit, par le biais du journal de the Shade, chronique de l'histoire d'Opal City et de ses aventures personnelles. Ceci plus les références à la pop-culture sous toutes ses formes (cinéma, musique, comics), une galerie de protagonistes admirablement bien pensée, des rebondissements multiples, des intrigues foisonnantes, ont contribué à ce que Starman soit une des séries les plus étincelantes qu'ait produite DC dans les 90's.
Après un run de 80 épisodes, Robinson conclut la série. C'était en 2001.
8 ans après, l'auteur effectua un come-back inattendu et bienvenu. Profitant de la saga Blackest Night et ses tie-in, il renoua avec l'univers d'Opal City mais sans ramener sur le devant de la scène Jack Knight, au profit de the Shade, en développant sa romance avec Hope O’Dare. Puis s'ensuivirent des contributions moins heureuses, sur des titres exposés mais en pleine tourmente éditoriale (comme Justice League of America ou la mini-série Cry for Justice)...

De retour en terrain familier, Robinson avait beaucoup plus à perdre qu'à gagner et encore plus à prouver en se lançant dans cette mini-série, qui n'a certes pas rencontré le succès commercial (au point qu'elle faillit être annulée après 6 numéros) mais de bonnes critiques, soulignant le retour d'inspiration de son auteur.

Le prétexte de la tentative d'assassinat par Deathstroke permet à cette histoire de resituer the Shade et de l'embarquer dans un périple à travers l'espace et le temps. Robinson dépeint sont héros comme un quasi-retraité, mélancolique, que la menace qui pèse sur sa vie va réveiller - moins parce qu'il craint de mourir que parce qu'il a l'intuition immédiate que cela est une vieille affaire de famille qui remonte à la surface, parce qu'il doit enfin faire face à sa propre histoire. En vérité, il s'ennuie et l'aventure de découvrir qui lui en veut, l'opportunité de solder les comptes avec son passé, l'amuse, le stimule, l'irrite, et finalement va lui permettre d'être en paix avec lui-même.
Délibérement, Robinson emploie les trois premiers épisodes avec le dessinateur Cully Hammer (le plus décevant de ses partenaires, même s'il livre quelques belles pages dans le #3) comme un (peu long) prologue : il s'agit d'amorcer l'intrigue tout en déplaçant le personnage hors de son territoire. A partir de là, le voyage devient de plus en plus exotique, mouvementé. On quitte Opal City pour Hambourg, en Allemagne, puis Sydney, en Australie.

Mais le premier sommet de la série, là où l'entreprise devient un comic-book qui sort de l'ordinaire, survient lors du premier des flash-backs, les fameux "Times Past" : Darwyn Cooke et son encreur J. Bone subliment le script de Robinson, qui s'enhardit en se dotant d'un casting jubilatoire (notamment le Vigilant - longtemps, avant la publication de cet épisode, les fans crurent que Robinson et Cooke allaient consacrer une histoire complète à ce personnage improbable de justicier moderne déguisé en cowboy). Cooke est dans son élément (les années 40) tout comme Robinson :le résultat est merveileux, la série décolle, son niveau ne régressera plus.
Ensuite, on enchaîne avec un tryptique magnifique, dessiné par Javier Pulido, qui a pour cadre la ville de Barcelone, en Espagne is set in Barcelona, Spain. Le personnage de la Sangre, une vierge vampire qui combat le crime et qui est en quelque sorte la fille adoptive du Shade, permet à Robinson de parler directement de ce qu'il maîtrise le mieux : la famille, l'héritage, avec de l'action, de l'humour, sur un rythme soutenu, des dialogues brillants. Le méchant de cet arc, l'Inquisiteur, est également très réussi, tout comme le justicier Montpellier.
Cette partie de la série est la plus réussie, la plus enlevée. Pulido donne son meilleur, en tirant partie des décors avec virtuosité, lors de scènes splendides (le final à la Sagrada Familia est bluffant, avec un découpage inspiré, des cases verticales, des silhouettes - "Toth-esque" !).

Tandis que la trame principale se déroule linéairement et efficacement, les flash-backs la poncutent en creusant chaque fois plus loin dans le passé comme en témoigne le "Times Past" en 1901 illustré par Jill Thompson.
L'artiste, reconnue pour son splendide travail (en couleurs directes) sur le roman graphique Bêtes de somme, emploie ici un style plus classique mais d'une belle élégance, mis en valeur par la colorisation de Trish Mullvihil (avec une gamme chromatique sobre de brun et beige).
Robinson donne un ton mélancolique à la fois poignant et ironique à ce chapitre, qui va aboutir à un dénouement spectaculaire et délirant.

Les trois épisodes suivants nous emmènent à la fois à Londres et en Egypte. Robinson a visiblement eu pour objectif de conclure son récit en y mettant les formes, convoquant des éléments grandiloquents - la franc-maçonnerie, des pharaons célestes, la capitale britannique ravagée : on en prend plein la vue !
Et comme c'est Frazer Irving qui dessine, la formule prend tout son sens. L'artiste n'a pas peur de jouer avec des couleurs saturées (presque trop d'ailleurs), mais ce traitement radical est à la hauteur du récit. Les évènements s'emballent, mais Irving dose ses effets, avec de belles trouvailles de mise en scène (recours au gaufrier, vignettes en diagonale, pleines et doubles pages : un crescendo visuel, mais qui fonctionne très bien sur trois chapitres - au-delà, ç'aurait été fatigant).
La résolution de l'intrigue est habile, cruel, et permet de boucler la boucle en aboutissant à la révèlation des origines du Shade.
C'est à Gene Ha que revient la tâche de dessiner cet épilogue : l'artiste, qui avait déjà participé à la précédente mini-série sur le personnage, en 1997, donne sa version, très belle, de ce "Times Past" situé en 1838. Traité comme des gravures, avec une colorisation d'Art Lyon presque monochrome (un sépia tirant sur le gris et le mauve), l'épisode est visuellement superbe.
Robinson n'est malheureusement pas aussi inspiré pour expliquer dans quelles circonstances Richard Swift est devenu le Shade. Il a beau inviter Charles Dickens, user de la voix-off (un instrument qu'il maîtrise pourtant parfaitement), je crois qu'il a commis une erreur en voulant tout dire sur son héros : il fallait mieux laisser aux ténèbres dont the Shade est le maître ce passage. Tout cela, quitte à être raconté, aurait gagné à être seulement suggéré plutôt que dévoilé... Mais peut-être que Robinson a tenu à être aussi explicite pour rester le seul à raconter cela. Ce que l'auteur a gagné en contrôle sur le personnage, le lecteur l'a perdu en fascination. Dommage (mais pas non plus grave au point de gâcher tout ce qui a précédé, soyons juste).
*
Volontiers verbeux, inégal, mais d'une lecture jubilatoire, avec un personnage parmi les plus magnétiques de son éditeur, cette mini-série prouve que James Robinson a de beaux restes. Souhaitons qu'il confirme ce retour en beauté dans ses prochaines productions - et, pourquoi pas, que DC redonne sa chance à Starman, si possible sans le "rebooter".

dimanche 5 mai 2013

Critique 394 : HAWKEYE #9, de Matt Fraction et David Aja


HAWKEYE : GIRLS est le 9ème épisode de la série, écrit par Matt Fraction et dessiné par David Aja, publié en Mai 2013 par Marvel Comics. 
*
 Le point de vue des filles après les
évènements de l'épisode 8 et le retour de Cherry/Penny...

La réapparition de Cherry/Penny dans la vie de Clint Barton lui a causé bien du tort : il a fini par passer une nuit au poste de police, reçu des reproches de Captain America et la jeune femme a de nouveau disparu. Mais les mafieux russes, qui en avait après elle et après Clint, sont eux toujours là - pire : ils ont convaincu la pègre (avec ses cadres comme le Caïd, le Hibou, Typhoid Mary...) d'engager un tueur pour éliminer l'archer !
Témoins stupéfaites des évènements, les amies de Hawkeye décident de s'en mêler : Natasha Romanoff/Black Widow ("the work wife") identifie la fugitive (dont le vrai nom est Darlene Penelope Wright) et la retrouve pour l'aider à quitter la ville ; Bobbi Morse/Mockingbird ("the ex-wife") fait signer les papiers de leur divorce à Clint tout en éloignant (momentanément les russes en planque devant son immeuble) ; Jessica Drew/Spider-Woman ("the friend-girl") vient interroger son amant sur son infidélité ; et Kate Bishop ("Kate") tente de le réconforter malgré tout.
Mais, déjà, un nouveau drame est en place et va frapper durement le héros...

Comme le titre de l'épisode l'indique, Matt Fraction donne la vedette aux filles les plus proches de Clint Barton pour traiter des conséquences du précédent épisode (et de ce qui a commencé en fait depuis le #3). Cependant, le scénariste s'attache comme souvent plus aux à-côtés qu'au coeur du problème, ce qui rend le dénouement de ce chapitre encore plus terrible et augure de suites plus sombres.
Fraction conserve aussi une narration à la chronologie décousue, ce qui a le double mérite de stimuler le lecteur tout en dynamisant le récit avec une alternance de moments calmes/forts, de dialogues/actions. En mettant en scène les "femmes" d'Hawkeye, l'auteur en profite aussi non seulement pour rappeler ses relations sentimentales passées et présentes mais aussi préciser le portrait intime du héros : Clint Barton est-il vraiment, comme le prétend Jessica Drew, un lâche je-m'en-foutiste qui en trompant ses ami(e)s se punit lui-même (de ses origines criminelles, de son inconstance, de son complexe d'infériorité vis-à-vis des Vengeurs- ces surhommes au sein desquels il évolue sans avoir de pouvoir) ?

En tout cas, après avoir failli quitter le quartier (sous la menace des russes dans le #6), Hawkeye est à nouveau en pleine tourmente  - parce que Cherry/Penny l'a roulé, parce qu'il a (peut-être) perdu Jessica Drew, parce qu'il est dans le collimateur de la police, parce qu'il se sent impuissant face aux mafieux... Les raisons ne manquent pas pour qu'il soit accablé. Mais c'est aussi pour cela ce mix de motifs ordinaires et extraordinaires, qu'on éprouve encore de la sympathie pour lui.

Matt Fraction règle les "dossiers" de l'archer avec méthode :

- la Veuve Noire retrouve et exfiltre Cherry/Penny ;
- Bobbi Morse officialise son divorce avec Clint ;
- Jessica Drew fait part de sa douleur après avoir été trompée ;
- Kate Bishop assiste dépitée à tout cela en ayant essayé d'arrondir les angles (sans succès). Natasha et Bobbi partagent la même inquiétude en ignorant dans quel pétrin s'est fourré Hawkeye.
L'épisode peut être frustrant pour celui qui attendait sinon un règlement plus net, du moins des réponses sur certains points. Mais il est clair, en revanche, que Fraction a désormais inscrit la série dans une trame à plus long terme, depuis l'épisode précédent. Le personnage de Cherry/Penny a été en fait employé comme un déclencheur intime (Clint a trompé sa girfriend, ce ne sera pas sans conséquence) et plus global (l'aide que Clint à prêtée à Cherry/Penny a décidé la mafia à se débarrasser de lui et un tueur entre déjà en scène). Des pistes restent à creuser à partir de là : qui est le tueur ? Clint réussira-t-il à le neutraliser (et rapidement) ? Cela suffira-t-il à calmer la pègre ? Jessica Drew a-t-elle définitivement tourné la page ? Quid du statut de Clint au sein des Vengeurs ? Du rôle de Kate Bishop ?

Les déclarations du scénariste et les sollicitations de Marvel pour les prochains épisodes fournissent déjà quelques indications (les #10 et 12, dessinés par Francesco Francavilla, vont développer la trame autour du tueur ; le #11 s'intéressera à "Pizza Dog", le #13 va voir un proche de Clint refaire surface, tous deux par Aja aux crayons ;  et un "Annual", dessiné par Javier Pulido, se penchera sur le sort de Kate)...

En attendant cela, la lecture reste un régal car Fraction continue de construire chaque chapitre comme un récit auto-contenu mais qui enrichit progressivement toute la série, redéfinit le personnage principal. Les dialogues restent à la fois plein d'esprit et précis dans l'expression des sentiments qui agitent les protagonistes, et la narration est à la fois énergique et élaborée. Il subsiste cette espèce de grâce depuis le début du run de l'auteur, totalement en phase avec son sujet et complice avec ses fans (car cet ovni a su conquérir un lectorat consistant).

Visuellement, David Aja est sur sa lancée : depuis le début, aucune de ses prestations n'a été décevante, celle-ci ne fait pas exception. Si son découpage s'est assagi, il  l'a fait en bonne intelligence, pour servir au mieux le script : chaque plan est juste, chaque émotion est dosée, chaque effet est bien distribué. Il ne cède à aucun tic ni personnel ni général (par exemple, pas de splash et encore moins de double pages). Cette sobriété est d'une efficacité imparable, tout entière dévouée à l'histoire, aux personnages, à la cohérence du projet : c'est à saluer.
Avec la complicité du coloriste Matt Hollingsworth, Aja soigne d'abord des détails qui semblent insignifiants mais qui s'avèrent cruciaux pour la justesse de ses compositions : par exemple, la série ne montre jamais les héros en costumes de super-héros, mais les évoque en permanence à travers les coupes des vêtements de ville, les couleurs. C'est encore une fois particulièrement étudié avec les filles de cet épisode dont le look est remarquablement transcrit au civil : la Veuve Noire avec son dress-code fonctionnel, Bobbi Morse avec une robe aux couleurs de sa combinaison de Mockingbird, Jessica Drew avec son manteau rouge et ses chaussettes jaunes (comme son habit de justicière), Kate et sa tenue mauve. Aja convoque l'esprit des couturieurs des années 60 et joue sur l'aspect apprêté des femmes contrastant avec celui débraillé de Clint (la majeure partie de l'épisode en pyjama, recouvert de pansements, hirsute, mal rasé).
Quand, à la toute dernière page, apparaît le fameux tueur à gages, Aja ne cadre qu'une fois son visage en gros plan et lui donne une allure terrifiante instantané, rappelant Orange Mécanique de Kubrick.
Encore une fois, quel talent !
*
A noter que le premier tpb en vo vient de sortir (regroupant les épisodes 1 à 5 plus un chapitre de Young Avengers present, par Fraction et Alan Davis - mais que le scénariste préférerait pourtant avoir oublié. C'était bien avant qu'il n'écrive la série actuelle, avec sa nouvelle définition).
La version française de cet album (qui ne comprendra justement pas l'épisode dessiné par Davis) sortira en Juillet dans la collection 100% Marvel de Panini, en librairie.

samedi 4 mai 2013

Critique 393 : THE MASSIVE, VOLUME 1 - BLACK PACIFIC, de Brian Wood, Kristian Donaldson et Garry Brown


The Massive, Volume 1 : Black Pacific rassemble les épisodes 1 à 6 de la série créée et écrite par Brian Wood, publiée par Dark Horse Comics en 2012-2013. Les dessins sont signés Kristian Donaldson (#1-3) et Garry Brown (#4-6). Le sommaire est complété par trois histoires de 8 pages chacune, extraites de la revue anthologique Dark Horse Presents (#8-10), également dessinées Donaldson.
 *




 Un bâteau à la poursuite d'un autre,
tous deux au service d'une même organisation,
dans un monde post-apocalyptique.

- Landfall (The Massive #1-3). Dessins de Kristian Donaldson. Le navire Kapital est à la recherche du vaisseau The Massive, appartenant comme lui à l'organisation environnementaliste Ninth Wave. Alors qu'il évolue dans les eaux sibériennes, l'équipage doit à la fois semer des pirates et récupérer une de ses membres partie faire diversion et ayant rompu tout contact.
On apprend, parallèlement, que la Terre a été victime d'une série de catastrophes naturelles inexpliquées ces dernières années (surnommée le "Crash"), qui a bouleversé l'équilibre écologique, l'économie mondiale, l'ordre géo-politique et les rapports internationaux. 

- Black Pacific (The Massive #4-6). Dessins de Garry Brown. Après une escale en Somalie pour s'approvisionner en fuel et nourriture, le Kapital se dirige ensuite vers l'Antarctique pour trouver de l'eau potable dans une base scientifique abandonnée. Puis, au large de la Micronésie, le navire croise un vaisseau transportant des containers et prend la décision de l'aborder, convaincu qu'il n'y a personne à bord.
On continue, parallèlement, à en savoir plus sur les membres éminents du Kapital comme son capitaine Callum Israel (un ancien mercenaire devenu militant écolo), sa compagne Mary Dob (rencontrée lors d'une mission sur une plateforme pétrolière), et son bras droit Mag Nangendra (ancien enfant soldat).
*
Brian Wood s'empare du thème éculé des survivants d'un monde dévasté après une grande et mystérieuse catastrophe planétaire, mais il le fait de manière singulièrement originale et puissante. 
En vérité, une question sous-tend tout son projet : comment continuer à vivre et agir, lorsqu'on est un activiste de l'environnement, quand le Terre a déjà été ravagée, qui plus est par une suite d'évènements inexpliqués ?
Cette question, c'est celle que pose Brian Wood à travers les membres d'un navire, le Kapital, qui parcourt les océans pour retrouver un autre bâteau, The Massive, appartenant à la même organisation que lui, Ninth Wave (inspirée par Greenpeace). Sa série s'intéresse plus spécialement à trois équipiers : le capitaine Callum Israel, sa compagne Mary Dob, et leur bras-droitMag Nagendra.
Comme toujours avec Wood, ses personnages sont très bien caractérisés et sortent de l'ordinaire grâce à des parcours personnels et des tempéraments à la fois réalistes et hors normes. 
Callum est un ancien militaire devenu mercenaire puis militant écologiste pacifiste : il a abandonné les armes, dégoûté par les théâtres de guerre puis après avoir assisté à une manifestation spectaculaire du "Crash" (une gigantesque vague ayant emporté une plateforme pétrolière où il avait été envoyé pour déloger des activistes, parmi lesquels se trouvait Mary). Avec ses cheveux longs et sa barbe, et cette "révélation" quasi-mystique, ce leader atypique pourrait évoquer une figure religieuse, mais Wood en fait plutôt un pragmatique romantique, dont chaque action est mesurée mais qui a trouvé l'amour et ne cesse de chercher la rédemption. Mary Dob est un personnage beaucoup plus nébuleux et on sent que le scénariste soigne ses zones d'ombre pour alimenter une partie de la série. Séduisante, déterminée, efficace, elle en impose naturellement, et en même temps elle semble dotée de caractéristiques quasi-surhumaines (comme en témoigne l'épisode 5, en Antarctique), ce qui donne à l'histoire un zeste de fantastique discret et accrocheur. Sa liaison avec Callum est  traitée également avec subtilité, sans effusion, mais l'on sent l'intensité de leurs sentiments.
Mag Nagendra est un ancien enfant soldat africain, il a gardé de son passé militaire un tempérament pro-actif. Ainsi, il est encore ce que Callum n'est plus, un homme d'armes, prêt à se défendre ou à attaquer, ce qui rompt avec la charte pacifiste de l'organisation Ninth Wave. Il incarne l'action, entre l'expérience assagie de Callum et la présence intrigante de Mary.
Quelque seconds rôles complètent ce casting - et nul doute, que dans les prochains épisodes, d'autres seront mis en avant ponctuellement - comme le responsable des communications (Lars), l'assistant de Mag (Georg) ou la partenaire de Mary (Ryan). On devine déjà, à la fin du 2ème arc, que cet équipage se cache des choses, ce qui constitue une réserve pour de futurs rebondissements.
La mission du Kapital est une référence directe à Moby Dick d'Herman Melville : the Massive, ce vaisseau disparu, est semblable à la baleine blanche traquée par le capitaine Achab, sauf qu'ici il ne s'agit pas d'une chasse mais d'une quête pour retrouver des compagnons, des amis, des camarades. Tout comme les causes du "Crash", la raison pour laquelle the Massive est introuvable est un autre ressort dramatique qui va nourrir la série, même si elle se lit avec intérêt au-delà de ça car Brian Wood joue avec maîtrise sur le suspense (quand Mary ne donne plus signe de vie alors que les pirates rôdent) et des ambiances contrastées dans des décors inquiétants (Mogadiscio et ses trafiquants ou les anciennes relations de Callum, la base polaire avec ses voleurs, le porteur de containers et ses snipers).
C'est une vraie et grande réussite car on est aussi captivé par la catastrophe environnementale que par les périples ponctuels des héros que par la vie à bord du Kapital et la recherche du Massive. Il y a vraiment de quoi faire avec tout ce que ces six épisodes (et les trois courts récits antérieurs) proposent.
*





 Planches extraites du #3, dessinées par 
Kristian Donaldson.

Présentée d'abord dans la revue anthologique Dark Horse Presents, la série a débuté avec la dessinatrice Kristian Donaldson, avec qui Brian Wood avait déjà signée Supermarket. Elle signe ici les illustrations des trois premiers épisodes, format un arc complet.
Son trait est fin, précis, ses compositions sont élaborées, aérées, dynamiques. Elle dessine les personnages et les insère dans des décors générés et encrés par ordinateur, ce qui peut produire un résultat un peu froid, désincarné, mais qui est compensé par la colorisation virtuose de Dave Stewart - celui-ci n'hésite pas à traiter des scènes entières avec une seule gamme de couleurs (comme du jaune ou du bleu) pour souligner l'atmosphère, le climat ou encore l'époque.
Ce mix est très intéressant, mais il semble que l'artiste ait jeté l'éponge à cause de la charge de travail que nécessitait la documentation pour les bateaux et les décors très divers d'une telle série. C'est dommage (quoique compréhensible) car Donaldson a un talent particulier, notamment pour représenter les personnages et mettre en scène les scènes d'action.


Planches extraites du #4, dessinées par
Garry Brown.
 
Puis, à partir du deuxième arc (épisodes 4 à 6), c'est Garry Brown qui prend en charge la partie graphique. Son style diffère totalement de celui de Donaldson et évoque des artistes comme Tommy Lee Edwards ou, surtout, John Paul Leon. Le trait est plus gras, mais plus chaleureux, incarné, vivant.
De manière assez troublante, c'est avec Brown que la série décolle vraiment et gagne en vivacité, car Wood compose alors chaque épisode avec un décor différent et des actions plus variées : le dessinateur est toujours à l'aise, qu'il s'agisse de représenter Mogadiscio, l'Antarctique ou l'abordage du porte-container. Ses découpages sont entraînants, avec un usage de l'espace négatif (dans l'épisode polaire) remarquable (voir ci-dessous).


*
Avec ce premier recueil, vous découvrirez une des meilleures séries indés récentes, au pitch original, à l'écriture brillante et aux dessins magnifiques. Ne passez pas à côté !