samedi 4 mai 2013

Critique 393 : THE MASSIVE, VOLUME 1 - BLACK PACIFIC, de Brian Wood, Kristian Donaldson et Garry Brown


The Massive, Volume 1 : Black Pacific rassemble les épisodes 1 à 6 de la série créée et écrite par Brian Wood, publiée par Dark Horse Comics en 2012-2013. Les dessins sont signés Kristian Donaldson (#1-3) et Garry Brown (#4-6). Le sommaire est complété par trois histoires de 8 pages chacune, extraites de la revue anthologique Dark Horse Presents (#8-10), également dessinées Donaldson.
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 Un bâteau à la poursuite d'un autre,
tous deux au service d'une même organisation,
dans un monde post-apocalyptique.

- Landfall (The Massive #1-3). Dessins de Kristian Donaldson. Le navire Kapital est à la recherche du vaisseau The Massive, appartenant comme lui à l'organisation environnementaliste Ninth Wave. Alors qu'il évolue dans les eaux sibériennes, l'équipage doit à la fois semer des pirates et récupérer une de ses membres partie faire diversion et ayant rompu tout contact.
On apprend, parallèlement, que la Terre a été victime d'une série de catastrophes naturelles inexpliquées ces dernières années (surnommée le "Crash"), qui a bouleversé l'équilibre écologique, l'économie mondiale, l'ordre géo-politique et les rapports internationaux. 

- Black Pacific (The Massive #4-6). Dessins de Garry Brown. Après une escale en Somalie pour s'approvisionner en fuel et nourriture, le Kapital se dirige ensuite vers l'Antarctique pour trouver de l'eau potable dans une base scientifique abandonnée. Puis, au large de la Micronésie, le navire croise un vaisseau transportant des containers et prend la décision de l'aborder, convaincu qu'il n'y a personne à bord.
On continue, parallèlement, à en savoir plus sur les membres éminents du Kapital comme son capitaine Callum Israel (un ancien mercenaire devenu militant écolo), sa compagne Mary Dob (rencontrée lors d'une mission sur une plateforme pétrolière), et son bras droit Mag Nangendra (ancien enfant soldat).
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Brian Wood s'empare du thème éculé des survivants d'un monde dévasté après une grande et mystérieuse catastrophe planétaire, mais il le fait de manière singulièrement originale et puissante. 
En vérité, une question sous-tend tout son projet : comment continuer à vivre et agir, lorsqu'on est un activiste de l'environnement, quand le Terre a déjà été ravagée, qui plus est par une suite d'évènements inexpliqués ?
Cette question, c'est celle que pose Brian Wood à travers les membres d'un navire, le Kapital, qui parcourt les océans pour retrouver un autre bâteau, The Massive, appartenant à la même organisation que lui, Ninth Wave (inspirée par Greenpeace). Sa série s'intéresse plus spécialement à trois équipiers : le capitaine Callum Israel, sa compagne Mary Dob, et leur bras-droitMag Nagendra.
Comme toujours avec Wood, ses personnages sont très bien caractérisés et sortent de l'ordinaire grâce à des parcours personnels et des tempéraments à la fois réalistes et hors normes. 
Callum est un ancien militaire devenu mercenaire puis militant écologiste pacifiste : il a abandonné les armes, dégoûté par les théâtres de guerre puis après avoir assisté à une manifestation spectaculaire du "Crash" (une gigantesque vague ayant emporté une plateforme pétrolière où il avait été envoyé pour déloger des activistes, parmi lesquels se trouvait Mary). Avec ses cheveux longs et sa barbe, et cette "révélation" quasi-mystique, ce leader atypique pourrait évoquer une figure religieuse, mais Wood en fait plutôt un pragmatique romantique, dont chaque action est mesurée mais qui a trouvé l'amour et ne cesse de chercher la rédemption. Mary Dob est un personnage beaucoup plus nébuleux et on sent que le scénariste soigne ses zones d'ombre pour alimenter une partie de la série. Séduisante, déterminée, efficace, elle en impose naturellement, et en même temps elle semble dotée de caractéristiques quasi-surhumaines (comme en témoigne l'épisode 5, en Antarctique), ce qui donne à l'histoire un zeste de fantastique discret et accrocheur. Sa liaison avec Callum est  traitée également avec subtilité, sans effusion, mais l'on sent l'intensité de leurs sentiments.
Mag Nagendra est un ancien enfant soldat africain, il a gardé de son passé militaire un tempérament pro-actif. Ainsi, il est encore ce que Callum n'est plus, un homme d'armes, prêt à se défendre ou à attaquer, ce qui rompt avec la charte pacifiste de l'organisation Ninth Wave. Il incarne l'action, entre l'expérience assagie de Callum et la présence intrigante de Mary.
Quelque seconds rôles complètent ce casting - et nul doute, que dans les prochains épisodes, d'autres seront mis en avant ponctuellement - comme le responsable des communications (Lars), l'assistant de Mag (Georg) ou la partenaire de Mary (Ryan). On devine déjà, à la fin du 2ème arc, que cet équipage se cache des choses, ce qui constitue une réserve pour de futurs rebondissements.
La mission du Kapital est une référence directe à Moby Dick d'Herman Melville : the Massive, ce vaisseau disparu, est semblable à la baleine blanche traquée par le capitaine Achab, sauf qu'ici il ne s'agit pas d'une chasse mais d'une quête pour retrouver des compagnons, des amis, des camarades. Tout comme les causes du "Crash", la raison pour laquelle the Massive est introuvable est un autre ressort dramatique qui va nourrir la série, même si elle se lit avec intérêt au-delà de ça car Brian Wood joue avec maîtrise sur le suspense (quand Mary ne donne plus signe de vie alors que les pirates rôdent) et des ambiances contrastées dans des décors inquiétants (Mogadiscio et ses trafiquants ou les anciennes relations de Callum, la base polaire avec ses voleurs, le porteur de containers et ses snipers).
C'est une vraie et grande réussite car on est aussi captivé par la catastrophe environnementale que par les périples ponctuels des héros que par la vie à bord du Kapital et la recherche du Massive. Il y a vraiment de quoi faire avec tout ce que ces six épisodes (et les trois courts récits antérieurs) proposent.
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 Planches extraites du #3, dessinées par 
Kristian Donaldson.

Présentée d'abord dans la revue anthologique Dark Horse Presents, la série a débuté avec la dessinatrice Kristian Donaldson, avec qui Brian Wood avait déjà signée Supermarket. Elle signe ici les illustrations des trois premiers épisodes, format un arc complet.
Son trait est fin, précis, ses compositions sont élaborées, aérées, dynamiques. Elle dessine les personnages et les insère dans des décors générés et encrés par ordinateur, ce qui peut produire un résultat un peu froid, désincarné, mais qui est compensé par la colorisation virtuose de Dave Stewart - celui-ci n'hésite pas à traiter des scènes entières avec une seule gamme de couleurs (comme du jaune ou du bleu) pour souligner l'atmosphère, le climat ou encore l'époque.
Ce mix est très intéressant, mais il semble que l'artiste ait jeté l'éponge à cause de la charge de travail que nécessitait la documentation pour les bateaux et les décors très divers d'une telle série. C'est dommage (quoique compréhensible) car Donaldson a un talent particulier, notamment pour représenter les personnages et mettre en scène les scènes d'action.


Planches extraites du #4, dessinées par
Garry Brown.
 
Puis, à partir du deuxième arc (épisodes 4 à 6), c'est Garry Brown qui prend en charge la partie graphique. Son style diffère totalement de celui de Donaldson et évoque des artistes comme Tommy Lee Edwards ou, surtout, John Paul Leon. Le trait est plus gras, mais plus chaleureux, incarné, vivant.
De manière assez troublante, c'est avec Brown que la série décolle vraiment et gagne en vivacité, car Wood compose alors chaque épisode avec un décor différent et des actions plus variées : le dessinateur est toujours à l'aise, qu'il s'agisse de représenter Mogadiscio, l'Antarctique ou l'abordage du porte-container. Ses découpages sont entraînants, avec un usage de l'espace négatif (dans l'épisode polaire) remarquable (voir ci-dessous).


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Avec ce premier recueil, vous découvrirez une des meilleures séries indés récentes, au pitch original, à l'écriture brillante et aux dessins magnifiques. Ne passez pas à côté !

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