vendredi 1 octobre 2021

INFERNO #1, de Jonathan Hickman et Valerio Schiti


Nous y voilà : ici débute Inferno, l'adieu de Jonathan Hickman aux X-Men, dont il aura révolutionné radicalement l'histoire depuis deux ans. Cette saga va s'achever au terme de quatre épisodes de 50 pages chacun, dont le premier (et le dernier) sera dessiné par Valerio Schiti. Et ce qui surprend d'abord, c'est à quel point Inferno semble le prolongement direct de House of X - Powers of X, comme si, effectivement, on assistait à la fin d'un cycle... 


Depuis leur premier assaut contre la station Orchis, les X-Men ont multiplié les tentatives de la détruire. Mais pourquoi, après une quinzaine de tentatives, échouent-ils encore ? C'est comme s'ils n'avaient aucun souvenir de leurs ratages, déduisent les Dr. Gregor et Devo...


Dans sa troisième vie, Moira MacTaggert avait découvert une cure contre les mutants. Mystique et la confrérie des mauvais mutants étaient intervenus violemment contre elle pour qu'elle se rappelle dans sa prochaine vie de ne pas renouveler cette expérience...
 

Aujourd'hui, Moira rejoint sa base secrète où elle est attendue par Charles Xavier et Magneto. Elle comprend qu'ils tracent ses déplacements et ils l'avouent. Mais il s'agit de la protéger car Orchis, ils l'ignorent tous les trois, sont sur ses traces sans l'avoir encore identifiée...


Magneto face aux échecs contre Orchis envisage une alliance avec les machines. Mais Moira est consultée et refuse cette option qui précipiterait leur perte. L'autre problème à traiter définitivement concerne Destinée qu'il faut effacer...


Toujours sur les suggestions de Moira, il s'agit d'évincer Mystique du conseil de Krakoa. A cette fin, Xavier propose un renouvellement de ses membres, avec des retraits et de nouvelles arrivées. Il invite son gouvernement à réfléchir à la question.
 

Mystique saisit l'occasion pour suggérer une candidate à la table du conseil. Elle la fait entrer et son apparition stupéfait l'assemblée...
 
Cette scène finale va faire parler et je me garderai donc de révéler l'identité de la candidate proposée par Mystique. Toutefois, ce n'est pas difficile à deviner. Mais en vérité la surprise vient moins de qui il s'agit que de comment peut-elle être là...

En fait, si on observe la construction de ce premier acte d'Inferno, le motif de la boucle et la notion d'échec sont au centre du récit de Jonathan Hickman. Ce sont des motifs logiques dans la mesure où Powers of X nous montrait la neuvième vie de Moira MacTaggert, celle située dans le futur le plus éloigné, où elle s'était alliée à Apocalypse pour combattre Nimrod et les machines - l'ultime échec. Mais tout projet pour préserver la race mutante n'était-il pas voué à l'échec ?

Avec un titre comme Inferno, on sent bien que la dernière histoire mutante écrite par Hickman n'est pas placée sous le sceau de l'optimisme. Inferno, l'Enfer, les flammes : c'est ce que Destinée demandait à Mystique dans un flash-back de X-Men #6, si elle n'était pas ressucitée. Détruire l'île de la nation X, Krakoa.

Les flammes, le feu, cela renvoie aussi à la troisième vie de Moira MacTaggert, dans laquelle elle parvenait à créer une cure pour les mutants. La confrérie des mauvais mutants tuait tous ses collaborateurs scientifiques et finissait par la brûler vive après que Destinée lui ait expliquée en quoi son remède était une mauvaise chose, qu'elle en faisait une criminelle génocidaire encore plus terrible que l'équipe de Mystique. Tuer aussi atrocement Moira MacTaggert, c'était alors un moyen pour qu'elle se rappelle dans ses vies suivantes la peur que lui inspirerait Destinée, seule à pouvoir anticiper ses mouvements, et donc à la dissuader de reprendre ses recherches pour éradiquer le génome mutant.

Le cercle, c'est aussi ce qui nous ramène à la station Orchis, théâtre d'une mission-suicide dans House of X #3-4, pour détruire la Sentinelle-Mère et empêcher la création de Nimrod. Cela n'a pas suffi car le robot exterminateur de mutants a finalement été achevé par le Dr. Gregor. Depuis X-Force, Magneto, Mystique ont tenté à plusieurs reprises (une quinzaine recensée sur une date page) de finir le travail. Sans succès. Entretemps, les chercheurs d'Orchis n'ont pas attendu : ils se sont penchés sur la résurrection inexpliquée des mutants (sans encore la résoudre) et ont réfléchi à ces échecs répétés de leurs puissants ennemis pour les supprimer. Comme s'ils ne gardaient aucun souvenir de leurs ratés, comme s'ils n'en retiraient aucun enseignement...

Vous le voyez, Hickman pose les questions qui fâchent, revient sur des épisodes douloureux, brandit des menaces au sein même de la communauté mutante et de son gouvernement. On se rend ainsi compte que, en parallèle, des succès des mutants, les soucis n'ont cessé de s'accumuler sans être résolus. Et surtout il revient au personnage central de son projet : Moira Mac Taggert.  

Pourtant, celle-ci a été la grande absente de Dawn of X et de Reign of X. On a pu le déplorer et accuser Hickman d'avoir complètement oublié Moira, incompréhensiblement. Mais on s'aperçoit désormais que c'était volontaire et non sans conséquences. Charles Xavier et Magneto ont porté son projet et l'ont réalisé, sans pour autant l'accomplir, l'achever. La communauté mutante est toujours en danger, malgré des succès éclatants. Et Moira va rappeler séchement aux deux hommes qu'ils ont gouverné sans elle, sûrs d'eux - trop sûrs. Aujourd'hui, ils constatent leurs échecs et la menace qu'ils font peser. Ils ont à nouveau besoin d'elle. Mais est-il encore temps ?

D'autant que, non contents d'avoir cru pouvoir réussir sans leur inspiratrice, ils l'ont tracé, suivi ses déplacements. Pour la protéger, certes, mais sans l'en avertir, en agissant en douce. Cette tactique est discutable et suscite, légitimement la colère de l'intéressée. Mais elle n'est pas injustifiée puisque Orchis, sans qu'ils le sachent, piste Moira sans l'avoir identifié mais en ayant remarqué qu'elle rusait pour pouvoir aller de Krakoa à l'île de Muir sans être prise.

Face aux choix qui s'imposent pour survivre, encore et toujours, comme une éventuelle alliance avec les machines, Moira répond à Xavier et Magneto qu'il faut règler définitivement un dossier plus brûlant, qu traîne depuis trop longtemps. Il s'agit bien sûr de Destinée et par ricochet de Mystique, dont l'admission au sein du conseil de Krakoa avait suscité la méfiance de Moira. Elle réclame que soit "effacée" Destinée, donc que soient détruits les échantillons de son ADN (collectés et conservés par Mr Sinistre) et les sauvegardes de son esprit (dans Cerebro). Plus moyen pour les Cinq et Xavier de la ressuciter ainsi. Quant à Mystique, il faut l'expulser du conseil, mais discrétement, subtilement. Et c'est là qu'on retombe sur la scène finale, signant un échec de plus (de trop ?) pour les deux chefs d'Etat que sont Xavier et Magneto.

C'est redoutablement bien construit. Les séquences s'enchaînent sans temps mort et se répondent, jusqu'au vertige. Certains se plaindront peut-être que ce soit un épisode sans action, reposant essentiellement sur des dialogues, revenant sur une scène entière de House of X #2 (au découpage près), comme si Hickman voulait nous rappeler avec insistance un moment-clé, et recontextualiser son intrigue pour mieux préparer sa conclusion. Mais je répliquerai en disant que ce n'est pas gratuit ni inutile car, comme le passé d'Arakko avait été raconté selon deux points de vue (celui de l'Invocateur et celui Genesis) pour en souligner les divergences et donc prouver que l'un mentait, alors revenir sur la troisième vie de Moira, la mise en garde de Destinée, les réflexions des savants de la station Orchis, les manigances de Mystique, c'est de la même manière nous prouver que nous avions deux versions de la même histoire - celle que nous avons lu et cru (celle des vainqueurs) et celle qui apparaît comme l'image sur une photo en développement (celle des possibles vaincus).

Valerio Schiti dessine donc ce premier chapitre. Il a quitté la série S.W.O.R.D. pour accepter le défi que lui proposait Hickman : un épisode de 50 pages, dense, intense, infernal. Et le dessinateur italien remplit sa mission avec brio. 

Sa force a toujours été de bien composer ses plans et ses planches, de façon dynamique et claire. Cela lui est utile pour passer d'une séquence à l'autre car le script est très balisé. Les ambiances, les décors, les personnages sont tous marqués, typés. Ce sont autant d'étapes à franchir, avec des cols et des descentes, mais toujours à fond, sans pouvoir s'économiser.

Le morceau de bravoure de l'épisode est bien entendu la reproduction de la scène de la troisième vie de Moira MacTaggert avec Mystique, Destinée et Pyro. Schiti s'astreint à reprendre exactement le découpage de Pepe Larraz, avec les mêmes valeurs de plan, les mêmes angles de vue, et David Curiel adopte la même palette de couleurs que Marte Gracia il y a deux ans. C'est bluffant et ça illustre parfaitement la démarche d'Inferno : redire, peu ou prou, des choses qu'on savait, les montrer à nouveau, tout en faisant comprendre de nouvelles nuances dans les propos, les expressions, la portée des événéments. Schiti n'imite pas Larraz, ils n'ont pas le même style, le même trait, il le convoque en se réappropriant ce moment-clé et effectivement, c'est comme si un même morceau était rejoué par un musicien différent, nous révélant des éléments, des notes, des intonations qu'on n'avait pas remarqués.

L'autre scène qui marque les esprits est la dernière. Le lecteur sait ce qui va se passer (Xavier et Magneto vont faire semblant de proposer au conseil de se renouveler mais c'est une manipulation, et en même temps on a anticipé que quelque chose allait ne pas se passer comme prévu). Effectivement, là encore, le manque de surprise fait partie de la surprise parce qu'on se dit que "non, ils ne vont pas oser". Mais ils osent, et en le faisant, vient le temps des questions : comment est-ce possible ? Comment ce personnage est-il là ? Un cliffhanger que Schiti met en images de façon très astucieuse, sans chercher à épater, en nous endormant presque, puis en alignant dans des planches en "gaufrier" des gros plans sur les visages médusés, ravis, décontenancés, accablés, etc. Soit toutes les émotions que le lecteur lui-même ressent.

Enfin, Hickman et Schiti soulignent bien à quel point finalement ce qui se joue dans le conseil, dans un titre qui n'a pas de mission d'action spectaculaire (comme X-Men version Duggan, X-Force...), est (était) la force du run du scénariste. Le socle de la franchise telle qu'il l'a redéfinie. Sa base. Privée d'un titre comme celui-ci (comme l'était X-Men version Hickman), il ne reste plus finalement que des satellites. Inferno comble peut-être pour la dernière fois ce vide car tout le concept mutant selon son scénariste-architecte reposait sur Krakoa, son gouvernment, ses dirigeants, avec leurs alliances improbables, sa configuration inattendue et précaire. Inferno brpulera-t-il cela ? Ou inspirera-t-il quelque chose d'équivalent mais différent aussi, mais à mon sens indispensable ?

Suite dans un mois avec, cette fois Stefano Caselli pour les dessins.

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