Dévastée par la mort de sa famille, désintégrée par le colonel Ward, Lucy, vêtue comme Black Hammer, sort de sa torpeur en attendant une sonnerie. Celle-ci provient de la chambre de Rosie, sa fille, dans le sac à dos de laquelle elle trouve un bipeur à l'effigie de Skulldigger.
Vingt ans avant. Alors qu'elle vient de tuer Dr. Andromeda pour l'empêcher d'ouvrir un portail sur notre dimension pour l'Anti-Dieu, Black Hammer incinère le corps et s'éclipse, n'assumant pas son geste. Elle rentre chez elle où l'attend sa mère - car Lucy avait passé le flambeau à Rosie à cette époque.
Aujourd'hui, Lucy vole au-dessus de la ville et observe l'autre Spiral City dans le ciel, sur le point d''entrer en collision avec sa jumelle. Des agents du T.R.I.D.E.N.T. ignorent comment éviter cette catastrophe. Lucy rejoint Spiral City 2, suivant le signal émis par le bipeur.
Elle découvre alors rapidement que Skulldigger émet le signal et sollicite son aide. Il lui explique qu'il existe un autre Dr; Andromeda, seule à même d'empêcher le désastre. Mais il faut faire vite car Sherlock Frankenstein et sa Ligue du Mal vont s'interposer...
Black Hammer, depuis le début, est à la fois une série super-héroïque, qui s'amuse à déplacer ses héros dans un cadre où leurs pouvoirs ne leur servent à rien, et un commentaire sur les séries super-héroïques en général. Jeff Lemire puise ainsi dans tout ce que Marvel et DC (principalement) on produit pour en recycler les personnages, les motifs, puis les intégrer dans l'environnement qu'il a créé et enfin en tirer une interprétation méta-textuelle.
Ce n'est donc pas un simple pastiche, ni une super fan-fiction. Jeff Lemire appose à sa grille de lecture un instrument critique qui révèle à la fois les clichés des comics super-héroïques et leur dimension néo-mythologique. En cela, il reconnaît à ce folklore une valeur symbolique, à laquelle j'ai toujours adhéré : les super-héros sont les descendants des chevaliers médiévaux, des cow-boys, des soldats, et leurs aventures explosives sont héritées des récits légendaires de l'antiquité, des chansons de gestes, etc.
D'une certaine manière, Lemire affirme que les comics n'ont rien inventé, mais ont, comme lui désormais, recyclé, reformulé des figures, des signes anciens. C'est, à mon sens, une grille de lecture sensée et pertinente. Le talent du conteur fait la différence et transforme ce matériau en une oeuvre originale. Seuls les meilleurs auteurs sont capables de transcender cela - c'était d'ailleurs la démarche de Alan Moore avec Watchmen, originellement conçu comme une histoire avec les action heroes de Charlton Comics, tout comme Tom Strong s'inspirait de Doc Savage, Top Ten de Hill Street Blues, sans parler de La Ligue des Gentlement Extraordinaires où il n'y avait plus de filtre.
Ce mélange de tradition et de relecture critique est le terreau de Black Hammer et avec le volume Reborn, Lemire pousse le curseur encore plus loin, en se confrontant à des héros et des scénarios plus récents. C'est évident dans ce cinquième épisode.
Tel Yggdrasil, l'univers de Black Hammer est composé de plusieurs régions, royaumes, autant de branches d'un même arbre. Certaines branches racontent des histoires passées, d'autres au présent, d'autres dans le futur, mais tout est lié par un tronc commun. Ainsi, dans Black Hammer : Reborn, on suit Lucy Weber vingt ans après qu'elle ait cessé son activité de super-héroïne, mais on croise aussi Skulldigger, Amanda Ryan (tous deux issus de la mini Skulldigger + Skeleton Boy), le Dr. Andromeda (ex-Dr. Star), le colonel Weird, on mentionne les Unbelievable Unteens (qui ont apparemment connu un sort funeste). Mais on n'en est pas encore à anticiper les événements de Quantum of Age (une mini-série futuriste).
Et soudain, alors qu'on croyait tout savoir, Lemire nous cueille en révélant que, vingt ans avant les faits de Reborn, Lucy avait passé le flambeau à sa fille Rosie et que c'est cette dernière qui a tué le Dr. Andromeda quand il a voulu ouvrir un portail pour l'Anti-Dieu. Ce twist, fabuleux, imprévisible, modifie la perception et la compréhension des quatre épisodes précédents. Mais ce n'est pas tout.
Le centre-ville de Spiral City a vu apparaître des fenêtres dimensionnelles qui, lorsqu'on les franchit, révèlent des horreurs, un environnement anarchique, directement issus de la Para-Zone. La Para-Zone renvoie évidemment directement au colonel Weird et du Dr. Andromeda, qui l'ont exploré, avec des fortunes diverses (mais en y laissant des plumes tous les deux). Ces ouvertures dimensionnelles ont abouti à l'apparition d'une nouvelle Spiral City qui flotte à l'envers au-dessus de la Spiral City actuelle et la collision est aussi inévitable qu'imminente. Cela vous dit quelque chose ? Bien entendu, si vous avez lu les différentes Crisis de DC ou Avengers de Hickman, avec les fameuses "incursions" et le choc de Terres issues de dimensions parallèles.
Lorsque, suite à une découverte qui renvoie au début de Black Hammer : Reborn, quand Rosie Weber a rencontré Skulldigger qui lui a remis in bipeur, Lucy remonte le signal jusqu'à Spiral City 2 et tombe sur... Skulldigger. Celui évite de justesse son exécution par Black Hammer lorsqu'il lui révèle qu'un autre Dr. Andromeda est le seul à pouvoir empêcher la collision des deux villes. Mais, pour ne rien arranger, voilà que surgissent Sherlock Frankenstein (l'amant de Golden Gail - cf. Black Hammer : Age of Doom et la mini-série Sherlock Frankenstein) et sa Ligue du Mal, résolus à contrecarrer les plans des deux héros.
On ne s'ennuie vraiment pas. Mais on pouvait craindre que le résultat pâtisse de l'absence au dessin de Caitlin Yarsky, dont la perstation depuis quatre mois était irréprochable. Que nenni ! En recrutant Malachi Ward et Matt Sheean pour la remplacer, Lemire a eu le nez creux et gâgeons que, pour les fans, ce sera une très bonne surprise.
Je n'avais jamais lu ce que dessinaient Ward et Sheean auparavant (ils ont signé une série chez Image, The Ancestor, et réalisé des épisodes du relaunch de Prophet, créé par Rob Liefeld), mais j'ai été séduit par ce qu'ils font ici. Leur trait est plus rond que celui de Yarsky, mais comme elle, leurs planches sont détaillées. Il suffit de voir la double page où Lucy vole entre les deux Spiral City pour apprécier la minutie avec laquelle tous les buildings sont représentés.
Les deux artistes, chez qui il est impossible de distinguer qui fait quoi (même si je crois que Sheean réalise les finitions, l'encrage, et Ward les crayonnés), s'amusent volontiers avec le découpage, de manière toujours pertinente (voir la planche ci-dessus où Lucy trouve le bipeur de Skulldigger dans le sac de Rosie avec des cases qui se rétrécessent de bande en bande). Toutefois, l'ensemble reste sobre et cela contribue efficacement à souligner à quel point l'environnement est sans dessus-dessous (comme lorsque Lucy passe de Spiral City 1 à Spiral City 2).
Alors, oui, encore une fois, la limite de cette entreprise tient dans le fait que Black Hammer : Reborn s'adresse à des lecteurs initiés, familiers de cet univers de ces personnages. Si vous n'avez rien lu de Lemire à ce sujet, vous serez largués par les auto-citations. Mais raison de plus pour vous pencher sur le Black Hammer-verse, où il n'y a pratiquement rien à jeter, riche d'une diversité incroyable.
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