Après deux mois d'absence, Danger Street revient pour son second acte. C'est peu dire que la série m'a manqué et donc je suis content de la retrouver. Encore une fois Tom King et Jorge Fornes comblent leurs fans avec leurs récits entremêlés et imprévisibles, réussissant à réunir des personnages apparemment sans rien de commun.
"Lady Cop" patiente pour rencontrer Commodore Murphy dans le cadre de son enquête. Elle fait à cette occasion la connaissance de Jack Ryder qui a aussi rendez-vous avec le chef de la Green Team. Par ailleurs, Non-Fat est arrêté par l'agent Cooper et partage une cellule avec Travis Morgan. Le Manhunter poursuit Abdul Smith qui lui tend un piège. Et les Néo-Dieux s'emploient toujours à sauver l'univers...
A chaque fois qu'une série s'interrompt, ma crainte est que lorsqu'elle reprend, il soit difficile de se rappeler où j'en étais dans ma lecture. Ainsi, le mois dernier, Danger Street était absent des bacs, mais ce hiatus était volontaire puisque le dessinateur Jorge Fornes avait un souci ophtalmologique qui l'empêchait de travailler.
Toutefois, Fornes est toujours aussi irréprochable. Quoiqu'il en soit, que ses fans se rassurent, on ne sent aucune faiblesse dans les pages de ce numéro. Son trait est de plus en plus proche d'un Lee Weeks (après avoir longtemps été influencé par Mazzuchelli) et sa narration est déconcertante de maîtrise. Impossible de détecter que l'artiste a été handicapé.
Lorsque, en Mai dernier, on avait donc quitté Danger Street (attention, spoilers !), l'ultime page du n°6 nous montrait pour la première fois les Outsiders, ces mystérieux personnages maintes fois évoqués dans la série comme étant la cible de la Green Team et Jack Ryder/the Creeper, accusés d'être des terroristes et des monstres.
Dans l'anthologie 1st Issue Special où Tom King a trouvé l'inspiration pour Danger Street, les Outsiders n'avaient rien à voir avec le groupe formé par Batman après son départ de la Justice League. De l'aveu même du scénariste, il s'agissait de personnages tellement improbables qu'il s'est longtemps demandé comment les intégrer à son projet et on peut penser qu'il a retardé leur arrivée dans l'histoire le plus longtemps possible afin que les lecteurs qui ignoraient tout d'eux soient franchement surpris par leur représentation.
Mais le vrai coup de force de Tom King, c'est la manière dont il les a introduits puisque Abdul Smith, un membre de la Green Team, trahi par son ami Commodore Murphy et traqué par le Manhunter, finissait par trouver refuge auprès des Outsiders dont on devinait vite qu'il avait aidé à bâtir la fortune de la Green Team avant de vivre en reclus et pointé du doigt comme des terroristes.
Logiquement, une des pistes narratives de cet épisode consiste à suivre de retournement de situation. Le Manhunter retrouve la piste de Abdul Smith qui se cache sous un faux nom sur une île paradisiaque et qui lui a tendu un piège avec l'aide des Outsiders. Ce développement constitue une des surprises les plus captivantes de ce numéro, d'autant qu'il est précédé d'une longue course-poursuite effrayante où le lecteur ne peut que prendre fait et cause avec Abdul contre la marche implacable du Manhunter.
Les Dingbats de Danger Street connaissent aussi des mésaventures, même si on peut légitimement se demander à quel point ils n'ont pas pris des risques calculés. Car Non-Fat en vient à être arrêter et placé en détention dans la même cellule que Travis Morgan/Warlord. C'est la magie de cette série : King finit toujours par des moyens à la fois incroyables et inéluctables à provoquer des rencontres entre des personnages qui n'avaient a priori aucune chance de se croiser.
Jorge Fornes est aussi pour beaucoup dans la fluidité de ces réunions. Son découpage ne se dépare jamais de cette simplicité désarmante qui rend tout naturel. Et, pourtant, la composition de ses images est d'une ingéniosité épatante. Ainsi quand l'agent Cooper surprend les Dingbats en train de taguer le panneau de signalisation de Danger Street (qui devient Anger Street, soit la Rue de la Colère), les trois gamins forment une échelle humaine au sommet de laquelle se trouve Non-Fat. Précisément celui qui va finir dans la même cellule que Warlord (dont on apprend qu'il y croupit depuis une semaine, après avoir profané la tombe de Goodlooks tandis que Starman affrontait Orion).
Une fois dans la cellule, Non-Fat demande à Morgan (dont il ignore encore l'identité) où se trouve l'horloge et ce moment est cadré de telle sorte que le lecteur remarque le cadran et l'heure avant le personnage. Plus tard, après avoir disputé une partie de gin dans la cellule, Morgan se lève et prend la place qu'occupait Non-Fat au début. Entre temps, il lui a raconté comment lui et Starman ont été impliqués dans la mort de Goodlooks et Atlas, soulignant au passage le désoeuvrement de Morgan qui avoue avoir été moqué par la Justice League et d'autres super-héros jusqu'à ce qu'il devienne ami avec Mikaal Tomas. Désormais séparé de Starman, Travis Morgan est en fait aussi esseulé que l'est Non-Fat depuis la disparition de Goodlooks. Non-Fat et Warlord peuvent échanger leurs places dans la cellule puisqu'ils partagent non seulement cet espace mais aussi une forme semblable de solitude.
Tom King a un penchant avéré pour les héros confrontés à leurs failles, leurs mensonges, leurs échecs. Il le prouve avec la scène avec Orion en train de se soûler dans un bar tout en ne se pardonnant pas d'avoir échoué à avoir trouvé Atlas et de s'être fait corriger par Starman. On peut en dire autant du Haut-Père de New Genesis sur les épaules duquel repose désormais le destin de l'univers avec l'aide de Darkseid qui lui fournit l'énergie pour cet effort.
Jorge Fornes s'illustre encore avec la séquence en plusieurs parties qui fait office de fil rouge dans cet épisode où "Lady Cop"/Liz Warner doit attendre que Commodore Murphy la reçoive dans le cadre de l'enquête qu'elle mène sur le meurtre de Goodlooks et Atlas. Confrontée à une secrétaire qui lui répété que Murphy est sans cesse au téléphone, elle bout mais ne craque pas. Elle fait elle aussi la connaissance d'un individu qu'elle n'avait que peu de chances de rencontrer : Jack Ryder/the Creeper.
King rédige un dialogue superbe où la vanité de Ryder, persuadé que Liz va le reconnaître, est battue en brèche quand "Lady Cop" lui répond qu'elle ne regarde pas beaucoup al télé à cause de ses horaires de travail. Lorsqu'il est reçu avant elle par Murphy, la situation révèle son humour absurde et cruel et le lecteur comprend que Liz ne verra jamais, ce jour-là en tout cas, celui qu'elle était venu interroger. Quand Ryder sort du bureau de son patron, il donne sa carte à Liz en lui promettant de l'aider. Effectivement, elle ne parlera pas à Murphy mais, plus ahurissant, elle sera reconduite hors du bâtiment par la secrétaire à la fin de la journée et dans l'ascenseur, cette dernière fait des aveux ahurissants sur la Green Team depuis des mois pour la contrôler. "Lady Cop" écoute ça sans broncher avant de se rendre compte de l'énormité de ces paroles.
J'en dis beaucoup, et pourtant même avec ça, vous pourrez encore lire cet épisode en étant sidéré. Car King comme Fornes excellent dans la manière de raconter leur histoire. Ce n'est pas tant révéler ce que contient l'épisode que la façon dont les deux auteurs le font qui compte. On est constamment cueilli parce qu'on ne sait jamais comment ça va se terminer et où cela va mener la prochaine fois. A ce compte, tout dire c'est aussi ne rien dire parce que l'effet que produisent ces scènes est plus grand, plus surprenant que les scènes elles-mêmes. Tout est hautement improbable dans Danger Street et pourtant tout coule de source, tout s'enchaîne, tout finit par s'imbriquer.
A ce niveau-là, il faut à la fois du culot et beaucoup de talent, aussi bien dans l'écriture que dans le dessin, pour embarquer le lecteur. Ce dont ne manquent ni King ni Fornes.
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