Suite et fin (mais fin provisoire) de l'arc avec les Enfants de la Voûte, ce dix-neuvième épisode de X-Men est une vraie leçon de storytelling. Le résultat est tellement dense et fluide, captivant et riche à la fois qu'on a du mal à croire que tout a tenu dans un seul numéro. Jonathan Hickman reprend une narration qu'il a déjà employée (le récit illustré) en s'appuyant sur un dessinateur suffisamment solide pour cela en la personne de Mahmud Asrar. Impressionnant.
Après leur premier affrontement contre les Enfants de la Voûte au coeur de leur cité, Wolverine, Darwin et Synch comprennent que cet endroit se régénère comme eux. En revanche, ils ne peuvent plus communiquer avec l'extérieur ni sortir. Place donc à l'exploration.
Durant les cinquante premières années de leur séjour dans la Voûte, le trio découvre notamment la Crêche, protégée par Madre, qui y oeuvre la nuit pendant que le jour de nouveaux Enfants voient le jour. Les trois mutants maquillent leur mort mais laissent derrière eux une partie de l'ADN de Darwin.
Le temps s'écoule et éprouve le trio, qui se sépare puis se reforme. Ils atteignent la base de données de la Voûte et apprennent que trois générations d'Enfants ont été produites, la fin de leur évolution. Wolverine et Darwin sont capturés grâce aux améliorations génétiques des Enfants.
Synch va vouloir sans relâche à libérer ses amis. Renouant avec Wolverine, il constate qu'une quatrième génération est née grâce à l'ADN de Darwin. Wolverine couvre la fuite de Synch qui réussit à prévenir le Pr. X sur ce qu'il a appris. Et qui permettra aux mutants de survivre aux Enfants de la Voûte.
Si on l'examine avec attention, cet arc sur les Enfants de la Voûte court depuis le tout premier épisode de X-Men écrit par Jonathan Hickman. Souvenez-vous : on assistait à une opération en compagnie de Magneto, Polaris, Tornade et Cyclope dans une base de l'organisation Orchis (introduite, elle, durant House of X) pour libérer des mutants sur lesquels étaient pratiquées des expériences. L'un de ces mutants était Serafina, une Enfant de la Voûte qui échappa à ses sauveteurs. Puis dans X-Men #5, Wolverine remontait sa piste jusqu'en Equateur où se trouvait une Sentinelle désactivée qui camouflait l'entrée de la Voûte. Cyclope confiait alors au trio Wolverine (Laura Kinney/X-23), Darwin et Synch la mission d'entrer dans la Voûte, où le temps s'écoulait différemment mais où ils pourraient survivre grâce à leurs pouvoirs. Puis dans X-Men #18, on retrouvait ces trois mutants dans la Voûte où ils étaient depuis trois mois et cinq jours (dans notre temporalité), équivalent à 557 ans (dans la Voûte). Rapidement repérés, ils affrontaient quatre résidents et les tuaient.
Sur la forme, Jonathan Hickman renoue avec une narration qu'il apprécie quand il s'agit pour lui de rendre compte d'une série d'événements sur une durée très longue. Il l'avait utilisé pour nous conter le passé d'Arakko durant X of Swords. Littéralement, on a donc droit à des pages sans dialogues (ou très peu) avec un narrateur qui s'exprime en voix-off tout du long, avec un recours à des ellipses mais aussi des data pages à base de frises quand il s'agit de condenser encore plus des faits, qui seraient laborieux de communiquer en art séquentiel.
Sur le plan graphique, Mahmud Asrar use de cases occupant toute la largeur de la bande, avec de rares exceptions. Ce format permet là encore de gagner du temps pour planter les décors, situer les personnages, concevoir des intérieurs mémorables, suggérer des dimensions cinématographiques. Pour autant, ce n'est pas une tâche aisée pour l'artiste qui doit se concentrer sur l'expressivité des acteurs et le détail des environnements de manière à ce que le lecteur soit suffisamment impliqué émotionnellement dans les épreuves des personnages.
En combinant tout cela, le rythme est soutenu, mais il faut accepter cette narration écrite et visuelle particulière pour s'immerger dans le récit. Certains trouveront cela trop détaché, voire froid, des reproches souvent adressés à Hickman. Mais je trouve que le style de dessin de Asrar compense cela habilement avec une incarnation forte, et les couleurs nuancées de Sunny Gho.
La notion de temps est évidemment au centre d'une expérience comme celle-ci. Le narrateur étant Synch, dont le pouvoir lui permet de répliquer le pouvoir d'autrui, on suit la relation qu'il fait de ce voyage incroyable avec le sentiment qu'il s'en tient à l'essentiel. Il n'a pas besoin d'en rajouter pour qu'on ressente les émotions qui le traversent, qu'il s'agisse de communiquer sur les années qui filent imperceptiblement et pourtant de manière marquante, sur les sentiments qui naissent entre lui, Wolverine et Darwin, sur la dangerosité de la Voûte et de ses Enfants, sur le fait d'être littéralement coincés dans une situation tout en acceptant de se sacrifier pour accomplir ce qui est une mission de reconnaissance. C'est, j'ai trouvé, très prenant, sensible, et dur aussi.
Hickman ne donne jamais (ou presque) la parole à l'ennemi, sinon pour quelques mots menaçants et définitifs, qui suffisent à déterminer leur objectif et leur résolution implacable. Ce choix, radical, empêche aux méchants d'avoir une réelle épaisseur, mais en même temps les définit avant tout comme une communauté d'individus qui pense à l'unisson, effrayante. La Voûte est une sorte de reflet terrifiant de Krakoa, aussi sectaire, autarcique, puissante, mais où la notion d'individu justement serait complètement effacée au profit d'un collectif voué à l'extermination des mutants car les Enfants de la Voûte se considèrent comme le vrai et unique futur. Cela créé un contraste percutant avec le trio Wolverine-Synch-Darwin, isolé, livré à eux-mêmes, qui ne tient que pour survivre et collecter des infos.
Mahmud Asrar pourrait sembler frustré par cet exercice de style où il anime peu les scènes à sa disposition. Mais le dessinateur parvient brillamment à infuser de l'humanité, de la sensibilité dans ses compositions, suggérant très finement des éléments narratifs quasi-imperceptibles. On devine ainsi la romance entre Synch et Wolverine grâce à quelques cases superbement composées, où une étreinte, un sourire, un regard en disent plus long que n'importe quel dialogue. C'est très fort.
On commence cet épisode, magistral, haletant, poignant, comme une sorte de brève histoire du temps, et on le termine sur une note étrangement belle et romantique. Entre les deux, Hickman et Asrar ont semé la graine d'une future guerre entre mutants et Enfants de la Voûte. Le futur des X-Men s'annonce épique si l'on compte les arakki et ces nouveaux super-humains (qui ne sont pas des mutants au sens strict, comme je l'écrivais dans ma précédente critique), l'ombre de Orchis qui se rappelle à nous (ici mais aussi dans S.W.O.R.D.) et le perspective du Hellfire gala qui promet de faire bouger les lignes au mois de Juin (avec des épisodes synchrones qui couvriront tous les aspects de cet événement).
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