vendredi 12 mars 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #1, de Laura Samnee et Chris Samnee


Le premier épisode de Jonna and the Unpossible Monsters est sorti la semaine dernière mais j'ai préféré attendre avant d'en rédiger la critique pour ne pas vous imposer trop de Chris Samnee d'un coup. Je suis un fan inconditionnel de cet artiste, mais je comprends tout à fait que tout le monde ne partage pas cette passion et a envie de lire autre chose sur ce blog. Ecrit avec sa femme Laura, dont ce sont les débuts dans les comics, cette série est publiée par Oni Press et se présente comme une BD pour les plus jeunes. Mais cela ne veut pas dire qu'on doit s'interdire de la lire et de l'apprécier si on est adulte car c'est une merveille.


Rainbow cherche sa soeur cadette dans la forêt. Mais Jonna comme à son habitude préfère crapahuter dans les arbres, sautant d'arbre en arbre. Que cherche-t-elle ? Observer les monstres gigantesques qui rôde dans la région et son souhait est exaucé ce jour-là.


La bête rugit en voyant la fillette et Rainbow suit ce terrible bruit. Elle assiste alors à une scène terrifiante lorsqu'elle voit Jonna se jeter dans la gueule du monstre. Puis une lumière vive l'aveugle et la fait tomber à la renverse. Rainbow perd connaissance.


Un an passe. Rainbow n'a plus revu sa soeur mais garde l'espoir. Elle refuse de la croire morte et a été recueillie par des villageois qui surveillent les environs. Grandma Pat invite Rainbow à goûter. La vieille a perdu ses ennfants à cause des monstres et soutient la jeune fille.


Leur repas est interrompu par un visiteur qui prévient Rainbow qu'un étranger aurait vu Jonna. Il l'attend à la sortie du village pour lui parler. Rainbow boucle ses bagages et se retire avec les encouragements de Grandma Pat...

Si vous n'êtes pas abonné à la newsletter de Declan Shalvey, alors faîtes-le car vous pourrez lire un entretient antre ce dernier et Laura Samnee qui raconte la genèse de Jonna and the Umpossible Monsters. C'est toujours instructif de connaître les origines d'un projet, notamment les circonstances dans lesquelles il a été conçu.

L'idée originale est de Chris Samnee et elle ne date pas d'hier. Au commencement, il partage avec sa femme des characters designs pour une vague histoire qu'il en a tête. A cette époque, Samnee sort de l'anonymat après avoir été repéré grâce au site participatif Comic Twart (où se sont aussi faits connaître Evan Shaner, Tow Fowler, Dan Panosian, Mitch Gerads... Et que Laura Samnee a grandement aidé à mettre en place).

La carrière de Chris ne tarde pas à décoller et il enchaîne les projets, négligeant son idée. La reconnaissance culmine avec son run sur Daredevil, où il débute une fructueuse colaboration avec Mark Waid (avec qui il co-signera une histoire de The Rocketeer, puis 12 n° de Black Widow, et 6 de Captain America). Son contrat expire chez Marvel mais Samnee ne le prolonge pas, il décide de prendre son indépendance. Pendant plusieurs mois, son activité se résume à des commissions arts, quelques couvertures. Jusqu'à l'annonce de son retour chez Skybound pour Fire Power, écrit par Robert Kirkman.

On sait maintenant qu'en vérité Samnee n'est pas resté inactif après son départ de chez Marvel puisqu'il en a profité pour aligner des numéros d'avance de Fire Power. Mais pas que. Il est aussi revenu à son histoire et a embarqué sa femme dans l'aventure. La crise sanitaire va cependant changer la donne. Confinés chez eux avec leurs trois filles, les Samnee concrétisent Jonna and the Umpossible Monsters et en font un récit plus personnel et artisinal, inspiré de leurs deux filles les plus âgés. Une fois le projet mieux défini, ils le soumettent à Oni Press, un éditeur indépendant avec quelques succès à leur actif (notamment le western The Sixth Gun, qui révèla Cullen Bunn).

Ironie du sort : alors que Chris pensait travailler avec moins de pression sur Fire Power grâce à l'avance qu'il avait prise, Oni Press préfère décaler la publication de Jonna... pour lui assurer une meilleure visibilité. Ce qui fait que l'artiste dessine désormains deux séries mensuelles simultanément !

Le plus épatant dans tout ça, c'est que Jonna... ne souffre pas l'emploi du temps bien chargé de Chris. La lecture de ce premier épisode rassure même sur la capacité de ce dernier à assurer cette charge de travail, sans bâcler son ouvrage. Les fans pourront même admirer le soin apporté à la production avec la création d'un univers entier, dont on peine à identifier la temporalité, mais qui propose des personnages aux looks variés, dans des décors superbes. Le style de Samnee est plus dépouillé, plus simple, il a une sorte de fraîcheur, voire de naïveté qui collent à la perfection à l'histoire, et effectivement, comme Laura l'a expliqué à Shalvey, on peut y déceler l'influence des dessins animés Hanna-Barbera, notamment dans la représentation des monstres.

Visuellement donc, c'est magnifique, d'autant que le fidèle Matt Wilson est aux couleurs et livre une prestation irréprochable, d'une intelligence et d'une finesse incomparables. Mais Jonna and the Unpossible Monsters, c'est quoi au juste ?

L'épisode s'inscrit dans une fantasy familière. Si le scénario ne donne pas d'indication sur l'endroit où se déroule l'action ou l'époque, on peut imaginer qu'il s'agit de la Terre et sans doute d'un futur lointain, où des monstres évoquant des bêtes préhistoriques seraient réapparues. Mais ce n'est qu'une hypothèse, et ce flou n'est pas dérangeant. Personne ne se soucie de savoir si la Terre du Milieu dans Le Seigneur des Anneaux ou les royaumes de Game of Thrones se trouvent sur notre planète, dans une dimension parallèle ou sont juste un cadre et un temps de pure fiction. Il s'agit ici, comme ailleurs, de situer une histoire dans un lieu et une période propices à la rêverie, l'évasion, le fantastique, avec des éléments graphiques évocateurs.

Jonna s'inspire de la cadette des Samnee, selon sa mère, c'est une fonceuse, une téméraire, une curieuse aussi. Elle est attirée par les monstres, qui ne lui font pas peur, et joue dans une forêt luxuriante. Elle est très agile et rieuse. Rainbow doit davantage à l'aînée des Samnee, plus mûre, plus sage, une sorte de grande soeur protectrice et inquiète mais déterminée. Quand Jonna disparaît, un an plus tard Rainbow n'a toujours pas renoncé à la retrouver, c'est même devenu sa quête, son objectif, et donc la série appartient au genre initiatique, avec un voyage et probablement une narration parallèle avec d'un côté ce qu'est devenue Jonna et de l'autre ce que va traverser Rainbow jusqu'à leurs retrouvailles.

Laura Samnee a expliqué à Declan Shalvey que l'écriture était vraiment collaborative avec son mari. Ils construisent ensemble l'intrigue, phase durant laquelle Chris griffonne un découpage, puis une fois la trame établie, Laura se charge des dialogues. Elle a toujours écrit, avoue-t-elle, de la poésie dans sa jeunesse, puis a étudié l'écriture cinématographique, avant de se consacrer à la carrière de son époux, prenant en charge toute la partie administrative et légale. Elle a donc aussi activement pris part à l'élaboration du site (désormais inactif) Comic Twart en servant de relais entre les artistes qui y prenaient part puis en nouant des contacts avec des éditeurs, des agents artistiques. Comme elle le dit elle-même, elle connaît bien le business des comics et cela lui a servi durant le processus créatif de Jonna... pour que le projet soit solide et permettre à Chris de pouvoir cumuler deux séries simultanées.

Là encore, on peut constater à quel point le couple a produit une histoire très fluide, rythmée, avec des personnages attachants, un enjeu simple. C'est effectivement une BD qui s'adresse prioritairement à un public jeune, mais qui est aussi accrocheur pour des adultes car le storytelling est abouti, efficace.

On peut être admiratif de la performance de Chris Samnee, mais Jonna and the Umpossible Monsters est réellement une série qui doit autant à Laura. Et sa qualité, narrative et graphique, la rend attractive et captivante. Ne passez pas à côté, si la vo ne vous fait pas peur (mais le niveau d'anglais est vraiment très abordable), car j'ignore quel éditeur traduira la série en France (on peut quand même espérer que cela se fasse car Samnee est suffisamment connu).  

Aucun commentaire: