vendredi 13 janvier 2012

Critique 303 : HUMAN TARGET 1 - CHANCE MEETINGS, de Peter Milligan, Edvin Biukovic et Javier Pulido

Human Target 1 : Chance Meetings rassemble les 4 épisodes de la minisérie publiée en 1999 par DC Comics dans la collection Vertigo et le récit complet Final cut de 2002, écrits par Peter Milligan et respectivement dessinés par Edvin Biukovic et Javier Pulido.
Human Target 2 : Second Chances rassemble 6 histoires - To Be Frank ; The Unshredded Man ; Take Me Out to the Ball Game ; dessinées par Javier Pulido ; et For I Have Sinned ; Living in Amerika ; Five Days Grace ; dessinées par Cliff Chiang - , écrites par Peter Milligan et publiées en 2003-2004 par DC Comics dans la collection Vertigo. 
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- Human Target (#1-4). Dessiné par Edvin Biukovic. Christopher Chance est un caméléon qui loue ses services pour assurer la protection d'un particulier en prenant sa place, son identité et son apprence (grâce à des maquillages et prothèses). Il refuse pourtant au début l'offre que lui soumet un individu masqué, défiguré par un tueur à gâges. Par contre, Chance accepte de se glisser dans la peau du révérend Earl James dont le quartier est devenu le terrain de chasse des gangs et du trafic de drogues. La "cible humaine" est alors dans la ligne de mire de D-Noyz, le caïd local, et d'une tueuse, Emerald, qui semble tout savoir de lui. Et comme si ça ne suffisait pas, Chance doit composer avec la disparition de son adjoint, Tom McFadden, qui semble avoir perdu la raison à force d'endosser la vie des autres...
- Final Cut. Dessiné par Javier Pulido. À Hollywood, plusieurs personnes sont victimes d'un maître-chanteur qui les abat si elles ne lui paient pas un million de dollars. Chance vend son aide à l'une des victimes dont le fils a été kidnappé. Mais il tombe amoureux de la femme de son client, puis prouver qu'il n'a pas tuer le supposé maître-chanteur. Jusqu'à ce qu'il comprenne que toute l'affaire n'est qu'une énorme arnaque et que son partenaire, Bruno, l'a trahi...

- To Be Frank. Dessiné par Javier Pulido. Chris Chance a désormais le visage et la place de Frank White (le producteur rencontré dans Final Cut) dont il aime la femme. Mais lorsqu'un détraqué désapprouve la violence des films qu'il finance, la situation de l'usurpateur vacille...

- The Unshredded Man (#1-2). Dessiné par Javier Pulido. John Matthews a vu sa vie basculer le 11 Septembre 2001 avec les attentats du World Trade Center. Il se fait passer pour mort auprès de sa femme et son fils et devient Jack Martin car il a été complice des escroqueries de Ken Foley. Aujourd'hui, il espère se venger de son ancien patron et récupérer son existence en lui extorquant une rançon. Chris Chance lui accorde son aide...

- Take Me Out to the Ball Game (#1-2). Dessiné par Javier Pulido. Pourquoi Ruben Valdez, prometteur joueur de base-ball, s'est-il suicidé ? En acceptant de prendre la place de son co-équipier sur le retour, Larry McGee, Chris Chance découvre que les sportifs sont les cibles (mais pas forcèment innocentes) d'un chantage sur fond de dopage...

- For I Have Sinned. Dessiné par Cliff Chiang. Alors qu'il a pris la place de Carlo, l'oncle de son ancien secrétaire Bruno, Chris Chance assiste à une tentative d'assassinat contre le Père Mike. En enquêtant sur le tueur, il va découvrir une sale histoire de pédophilie impliquant le prêtre...

- Living in Amerika (#1-3). Dessiné par Cliff Chiang. Il y a trente ans, le groupuscule révolutionnaire, the Weathermen, disparaissait dans l'explosion accidentelle de leur Q.G. Aujourd'hui, les survivants sont victimes d'un tueur qui selon John Charles (anciennement Charles Rivers) ne peut être que James Malloy, recherché par l'agent du FBI, William Williamson. Quand Chris Chance arrive à Middle Rock où vit Charles, il ne se doute pas que ce dernier et l'agent fédéral le prennent pour Malloy...

- Five Days Grace. Dessiné par Cliff Chiang. James Grace s'évade de prison alors qu'il devait témoigner contre un gangster. Il demande à son ami  Chris Chance d'attirer l'attention de la police pendant une semaine, durant laquelle il va visiter ses maîtresses. Mais des mercenaires traquent à leur tour le fugitif en ignorant qu'il s'agit de son double...
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Peter Milligan s'est littéralement emparé du héros créé en 1972 par Len Wein et Carmine Infantino pour en faire sa créature et produire une série policière qui, peut-être mieux que n'importe quel autre titre de la collection Vertigo, symbolise le vertige et interroge les notions d'identité et d'héroïsme. Souligner en couverture que ce sont ses épisodes qui ont inspiré la piteuse adaptation télé de la Fox ne rend pas justice au travail du scénariste de X-Statix (avec Mike Allred) et Hellblazer tant la bande dessinée est bien supérieure.
Dans les deux histoires que contient ce volume (la seconde ayant déjà été critiqué ici : http://mysterycomics-rdb.blogspot.com/2009/08/critique-94-human-target-2-de-peter.html - à l'époque, je m'étais procuré la vf de Final Cut/La dernière bobine, sans avoir lu les 4 épisodes précédents), Milligan met d'entrée de jeu la barre très haut et nous entraîne dans des parties de cache-cache sophistiquées, au suspense relevé et aux développements aussi méandreux que palpitants.
Sa description d'un quartier gangréné par les gangs et la drogue, de la banlieue chic d'Hollywood avec une famille dégénérée, de New York un an après le 11-Septembre, des coulisses du base-ball, des turpitudes des hommes d'église, d'une cellule anarchiste décomposée, ou de la folle cavale d'un irrésistible voyou, est saisissante : les personnages qu'on y croise sont d'une grande force, l'atmosphère est à la fois violente et vénéneuse, et tout y est masques, secrets, tactiques - à tel point qu'on s'y perd mais avec délice.
A la réflexion qu'impose la lecture répond les réflexions de Christopher Chance comme dans de subtils et brutaux jeux de miroirs : Human Target ressemble parfois à une version de Monsieur Ripley de Patricia Highsmith revisité par David Lynch et Michael Mann
Christopher Chance est un personnage fascinant qui peut non seulement, comme Frégoli, ressembler physiquement à son client, mais qui comme un acteur adepte de la Méthode de Stanislavski se fond dans le rôle qu'il interpréte en devinant de façon quasi-surnaturelle la psychologie de celui qu'il remplace. Cette immersion a cependant un coût terrible, qui le ronge progressivement, sournoisement (quand il ne s'y abandonne pas avec un plaisir trouble) : il lui arrive alors de ne plus savoir qui il est, de croire qu'il est réellement celui qu'il joue, et  ainsi découvre-t-il la clé de l'énigme en atteignant les secrets les plus crapoteux de son double.
Ce mariage d'action percutante et de cérébralité dérangeante (et dérangée) confère à cette production un cachet unique, redoutable, admirablement dosé et ponctué de dialogues bien senties.
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Ces histoires valent également pour leur qualité graphique.
Prématurèment décédé à 37 ans, Edvin Biukovic aura eu le temps de marquer ce comic-book de son empreinte avec un style très élaboré : découpage savant, personnages expressifs à la gestuelle bien pensée et aux physionomies étudiés, son trait est réaliste, avec des lignes souples et des à-plats noirs magnifiquement placés, adoucissant les formes.

Javier Pulido s'exprime dans un registre différent, plus dépouillé, dans la veine de l'école "mazzuchellienne", flirtant avec l'abstraction : son stylet s'appuie sur une économie de traits, un découpage simple et agencé comme les génériques de Saül Bass.

Cliff Chiang produit des planches à la fois dynamiques et d'une folle élégance, avec ce trait magnifiquement dépouillé et évocateur qui ont fait merveille partout où il l'a exercé (Green Arrow and Black Canary ; Greendale) : ses personnages sont à la fois expressifs et plein d'allure, ses décors suggestifs sans esbrouffe.

Dans tous les cas, ces artistes ont compris qu'il fallit soigner les détails, la scénographie et l'aspect des protagonistes, toutes choses essentielles pour des histoires reposant sur les faux-semblants, les apparences. 
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Ce volume constitue une excellente surprise où l'intelligence du lecteur est mise à contribution sans oublier de le divertir ni de la gâter visuellement.
Dommage que DC n'ait jamais compilé la dizaine d'épisodes restants de ce run irréprochable...

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