samedi 22 août 2009

Critique 94 : HUMAN TARGET 2 - LA DERNIERE BOBINE, de Peter Milligan et Javier Pulido

Human Target est une série policière écrite par Peter Milligan, publié sous le label Vertigo de DC Comics. Il s'agit d'une re-création d'un personnage, la Cible Humaine (Human Target), conçu en 1972 par le scénariste Len Wein et le dessinateur Carmine Infantino.
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En 1999, Peter Milligan et le dessinateur Edvin Biukovic le raniment pour une première mini-série en quatre épisodes. Puis avec Final Cut, un récit complet paru en 2003, Milligan collabore cette fois avec l'artiste espagnol Javier Pulido :

Chance, toujours profondèment marqué psychologiquement par sa précédente mission, est engagé par un riche producteur d'Hollywood dont le fils a été enlevé. Son enquête va le compromettre au point d'être suspecté du rapt et lorsqu'enfin, il découvre la vérité, il est sévèrement blessé dans un incendie.
A nouveau défiguré mais tombé amoureux de l'épouse de son client, Chance adopte l'identité de ce dernier sans que personne ne se doute de rien, laissant ses proches et les autorités qu'il a péri dans les flammes. Ainsi espère-t-il trouver ce qu'il n'a jamais eu : une vie paisible avec la femme qu'il aime mais ignore qu'il a pris la place de son vrai mari.
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Il se dégage de ce polar une impression de vertige aussi saisissante que durable, d'autant plus que le scénario est admirablement ambigü, à l'image de son héros, et que le dénouement est dérangeant.
Je ne connaissais le travail de Milligan que de réputation mais à l'évidence, on se trouve en présence d'un excellent auteur, maîtrisant parfaitement son sujet, entraînant comme il le veut le lecteur là où il l'a décidé, sans jamais céder à la facilité.
L'identité et la filiation sont au coeur de l'histoire. Une histoire qui se distingue par sa densité, sa subtilité et son efficacité : tous les élements sont là pour en faire une réussite indiscutable - personnages riches, complexes ; intrigue à la fois limpide et piègeuse ; décor exploité de manière habile, référentielle sans ostentation. L'action se situe dans la capitale du cinéma, l'endroit idéal pour ce précipité de péripéties où l'illusion, les faux-semblants, la manipulation règnent. Personne n'échappe au regard perçant de l'auteur, ni le héros (qui finit par profiter de la mort de son client tout en renonçant à rester lui-même), ni son fidèle bras-droit (qui l'a trahi dans le passé), ni la victime supposée de cette aventure (qui se venge avant d'être doublé par son complice).
Le rythme du récit est ensorcelant : on ne s'y ennuie pas une seconde et on tourne les pages avec gourmandise. Pourtant le tempo n'est pas trépidant et la violence ne surgit que par éclairs - ce qui ne la rend que plus spectaculaire. Milligan manoeuvre avec dextérité pour assoupir le lecteur puis le faire sursauter au moment qu'il a choisi : on se laisse mener par le bout du nez sans jamais être en avance sur le héros, ainsi on découvre avec la même stupéfaction l'énormité du traquenard dans lequel il est tombé, avec la même incrédulité les fausses pistes qu'il a suivies, le même trouble qui l'étreint lorsqu'il est prêt à oublier qui il est en espérant gagner la paix intérieure.
Superbe écriture...
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... Et graphisme magnifique ! Javier Pulido est l'autre révèlation de cet ouvrage : cet artiste, issu de la génération espagnole qui a percé dans les comics américains durant les années 90, a, il est vrai, tout me séduire.
Son trait élégant et racé, marqué par un encrage (qu'il effectue lui-même) au pinceau, est similaire à celui de son compatriote et ami Marcos Martin. Le graphisme épuré répond de manière originale et intelligente à la sinuosité du récit et restitue à merveille l'ambiance vénéneuse de l'intrigue.
Son style est à la fois lumineux et dépouillé, parfois proche de l'abastraction avec un emploi du découpage diabolique : l'émotion et l'expressivité sont soulignées avec une sobriété étudiée.
Apparemment peu productif, ce dessinateur mérite donc qu'on guette ses apparitions.
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Pour se changer les idées et aller voir ailleurs que les super-héros, ce Human Target témoigne de la variété du média outre-Atlantique : c'est une pépite, brillamment rédigée et formidablement illustrée.

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