jeudi 31 décembre 2020

X-MEN #16, de Jonathan Hickman et Phil Noto


X-Men #16 est la seule nouveauté que je critiquerai cette semaine. Les sorties du 30 Décembre sont rares, et même Marvel propose peu de titres avant la Saint-Sylvestre. Mais il y a de quoi faire avec ce numéro, qui est passionnant et très riche. Jonathan Hickman y aborde en effet deux sujets qui vont durablement impacter la franchise et sa série-phare et c'est très excitant de voir ce qu'il met en place. Le scénariste est accompagné par Phil Noto au dessin, qui s'avère un choix judicieux pour cet épisode où le dialogue est en avant.


Cyclope, Cable et Prestige assistent depuis une colline de Krakoa à l'apparition de Arakko et sa capitale via le portail externe. Puisque Apocalypse a quitté l'île avec femme et enfants, l'autre moitié de nation mutante est désormais vouée à se relier avec Krakoa. Mais les choses ne se passent pas comme prévu.


Après être intervenu, avec Krakoa, Cypher fait son rapport au Conseil. Il s'avère que les deux îles ne s'aiment plus, trop longtemps séparées. Elles refusent de ne faire qu'une à nouveau. Sachant que Arakko a une population vingt fois plus nombreuse, le Conseil doit réagir.
 

Charles Xavier et Magneto se rendent sur Okkara et s'entretiennent avec Isca l'imbattable. Elle met en évidence les différences entre leurs deux nations et s'étonne de la cohabitation actuelle entre mutants et humains. Mais elle va en parler au gouvernement d'Okkara pour tenter de trouver un arrangement.


Puis Magneto et Xavier discutent avec Cyclope et Jean Grey des sièges laissés vacants au Conseil. Toutefois, le couple refuse de s'y asseoir, préférant se consacrer à la reformation des X-Men, comme un groupe qui défendra les mutants. Et pour choisir ses membres, il veut que les krakoans votent.

L'épisode, on le voit dans ce résumé, se découpe en deux parties. Mais toutes deux découlent de faits survenus à la fin de X of Swords. Ainsi, Jonathan Hickman fait de cet épisode un chapitre programmatique, dans lequel il annonce la couleur de ce que sera certainement la nouvelle ère de la franchise mutante, Reign of X.

Hickman, en interview, avait déclaré que le nouvel acte de la franchise serait celui de "l'expansion". Si cela pouvait paraître énigmatique, on y voit plus clair après la lecture de cet épisode. X of Swords n'aura pas été qu'un grand crossover, souvent délirant, mais bien un événement avec des répercussions et le scénariste ne  tarde pas pour les dévoiler. Au premier rang : le sort de Akkaro et ses conséquences sur Krakoa.

Pour entériner la paix entre les deux nations mutantes, Saturnyne avait imposé qu'un mutant de chaque camp rejoigne la partie adverse. Genesis avait choisi son mari, Apocalypse. Apocalypse, décidant à la place du Conseil de Krakoa, avait décidé que le peuple arakki rejoindrait celui de Krakoa - un geste saluée par Saturnyne pour son audace. On assiste donc, dès les premières pages, à l'arrivée des gens d'Arakko via le portail externe avec l'Outremonde. Les deux îles doivent logiquement se retrouver et se relier pour ne faire à nouveau qu'une (Okkara). Mais ce n'est pas ce qui se produit.

Cypher assiste avec Krakoa, qui se matérialise alors sous une forme humanoïde géante, à une discussion avec Arakko, qui s'incarne identiquement, et fait son rapport auprès du Conseil de Krakoa. Le temps passé loin de l'autre a éteint la flamme entre les deux îles vivantes. Elles ne veulent/peuvent plus se lier. Reste qu'il y a désormais une seconde île pleine de mutants et ce n'est pas rien car la population d'Arakko est estimée à vingt fois supérieure à celle de Krakoa.

Hickman donne déjà le vertige avec ces données. La notion d'expansion qu'il a mentionnée prend tout son sens. Vingt fois plus de mutants d'un coup viennent de débarquer, sans qu'on sache qui ils sont, quelle est leur puissance, leurs intentions, etc. Et les deux îles qui devaient se réunir ne le font pas. Voilà un dossier bigrement épineux à gérer. Apocalypse n'avait certainement pas prévu cela en laissant ce "cadeau" à ses pairs.

Depuis qu'il est devenu le showrunner de la franchise "X", Hickman n'a pas manqué d'ambitions. Mais c'est une chose de voir les choses en grand et une autre de les convertir en des histoires captivantes, à la hauteur des questions que cela soulève. Il a d'abord joué avec le temps (dans House of X-Powers of X) et, à la faveur d'un twist énorme, rediriger toute la problématique mutante pour aboutir à un statu quo inédit et radical (l'Etat de Krakoa). Il a ensuite joué avec les ressorts politiques, invitant les mutants à la table des puissants de ce monde et de l'univers (l'épisode à Davos, le diptyque avec les Broods et les Shi'ar). Puis il a orchestré un crossover pour rebattre les cartes, sacrifiant des pions, imposant des bouleversements profonds. Il était acquis qu'avec Hickman la relance de la franchise ne serait pas un long fleuve tranquille mais bien une pièce en plusieurs actes.

La discussion entre Magneto, Xavier et Isca met tout cela en perspective et donne aussi le tournis. On comprend très bien que Okkara n'est pas qu'une île avec beaucoup de nouveaux mutants dont l'intégration s'avère délicate. C'est l'arrivée (ou plutôt le retour) de mutants originaux, dont les origines sont bien antérieures à celles des habitants de Krakoa, à la mentalité très distincte (conquérants, guerriers, n'ayant jamais connu la paix, sidérés de la tolérance des krakoans envers les humains - considérés comme des anomalies dériosires). Et doté d'un gouvernement de douze membres comme sur Krakoa (The Great Ring, qu'on pourrait traduire par le Grand Cercle), mais dont chaque membres est un mutant de niveau Oméga !

Isca s'engage à jouer les intermédiaires, mais on devine que rien n'est règlé. Tout cela va être passionnant à suivre, à observer. Je crois, sans me tromper, que c'est la première fois qu'une telle situation se produit, chez les mutants, mais aussi dans la communauté super-héroïque (même le Multivers de DC, tel qu'établi par Grant Morrison dans The Multiversity, et réutilisé dans la saga Doom War de Justice League par Scott Snyder et James Tynion IV, suggère que face à une menace commune, toutes les terres parallèles sont d'accord pour s'unir afin de survivre à une menace comme Perpétua). Dans son event Infinity aussi, Hickman montrait que des planètes parfois rivales ou ennemies s'unissaient finalement pour combattre les Bâtisseurs et Thanos. Là, c'est beaucoup moins évident avec les arakki, qui ont vraiment de quoi renverser la table, pour les mutants et le reste des super-héros.

Mais c'est pas tout ! Dans le dernier quart de l'épisode, Hickman revient sur un autre cas soulevé dans les derniers temps de X of Swords, quand Cyclope avait défié le Conseil qui refusait d'envoyer une équipe au secours des champions de Krakoa dans l'Outremonde. Pour Scott Summers et Jean Grey, il s'agissait au début de secourir leur fils, Nathan (alias Cable ou "Kid Cable"). Mais en vérité, cette scène-clé révèlait un quiproquo étonnant : depuis la relance de la série X-Men, on n'entendait plus parler des X-Men comme équipe. Il existait les Marauders, la X-Force, X-Factor, mais plus de X-Men. Et on apprenait d'ailleurs ensuite que Charles Xavier ne voulait plus que ce terme soit utilisé, car il le considérait révolu, désormais obsolète du fait de la situation nouvelle de la nation mutante. Cyclope ne l'entendait pas ainsi : les X-Men devaient renaître, d'abord pour sauver donc les champions de Krakoa mais aussi, dans le futur, pour incarner l'équipe qui défendrait les mutants dans le monde, les représenterait.

Concrètement, on a vu ce que cela a produit : une armée de mutants krakoans s'est abattue sur l'Outremonde en pleine bataille et a contribué non seulement à sauver les champions de Krakoa mais aussi à forcer la décision de Saturnyne de mettre un terme au projet de Annihilation/Genesis. Aujourd'hui, Charles Xavier et Magneto, soucieux de remettre de l'ordre dans ce qu'ils estimaient sans doute être un couo d'éclat, proposent à Jean Grey de réintègrer le Conseil (une formalité puiqu'il y aura plus de membres favorables à ce retour que le contraire) mais aussi à Cyclope de remplacer Apocalypse. Scott Summers et sa compagne refusent : ils veulent toujours reformer les X-Men.

Et là, Hickman sort une idée de son chapeau, une idée géniale, imparable, inattendue : qui seront ceux qui formeront cette équipe ? Hé bien, ce sont les krakoans qui en décideront en les élisant ! C'est génial parce que, là encore, ça me semble inédit (les équipes de super-héros se forment toujours un peu miraculeusement, tout le monde reste ensuite ensemble comme si c'était évident, que chacun avait du temps pour ça, etc.). Mais imaginer une équipe élue par le peuple, ça, c'est vraiment pas banal. Appliquée à la Justice League, aux Avengers, que donnerait cette méthode ? Sûrement pas des compositions ordinaires, avec les indéboulonnables de chaque groupe. Je suis impatient de voir qui seront ces X-Men élus et je fais confiance à Hickman pour surprendre (tout en sachant qu'il a tenu à l'écart des stars mutantes jusqu'ici et nommé quelques mutants qu'il adorait), d'autant que, de son côté, l'editor Jordan White a garanti que Reign of X allait faire bouger les lignes et que pas mal de personnages évolueraient (on sait par exemple que Tornade sera au centre d'une grande histoire en 2021, tout comme Diablo).

En outre, on a pu reprocher à Hickman, depuis un an et demi, de ne pas écrire X-Men comme une série répondant aux codes, c'est-à-dire manquant d'action, de combats, avec des ennemis en retrait. La renaissance des X-Men comme équipe de super-héros, c'est, me semble-t-il, la promesse de relire des histoires plus traditionnelles où ils seront écrits comme des héros accomplissant des actes héroïques, donc avec de la baston, donc avec des adversaires plus définis. Voilà qui devrait réconcilier certains fans avec ce run atypique.

Il ne manque plus qu'à féliciter Phil Noto pour sa contribution. Le voir sur la série est une surprise puisqu'il dessine d'habitude Cable, mais c'est un artiste très rapide, capable de produire deux épisodes par mois sans difficulté. Il esr venu dépanner avant le retour de Mahmud Asrar. Marvel a récemment débauché Brett Booth, qui dessinera le #17 : pour moi, ce n'est pas une bonne nouvelle car je considère que c'est un dessinateur épouvantable, ayant hérité du pire du style graphique des débuts d'Image Comics (il est d'ailleurs souvent somparé à Jim Lee, dont je ne suis pas fan). J'ose espérer qu'il ne va pas devenir la doublure de Asrar car ça m'embêterait beaucoup. Tant que Leinil Yu se reposera, la question du second artiste régulier pour la série se posera (à moins que Marvel ne fasse preuve de sagesse et arrête de publier X-Men quasi-bimensuellement).

Mais donc Noto. Il fait un excellent travail pour l'occasion. Il est là pour dépanner en attendant le retour de Asrar, alors qu'il dessine d'habitude Cable. Mais c'est un artiste très rapide, capable d'abattre deux épisodes par mois, sans difficulté. Et surtout il correspond à ce qu'exige ce genre d'épisode, où l'essentiel se joue entre quatre yeux, avec des dialogues denses, un effort particulier sur les expressions et la valeur de chaque plan. Pas besoin d'en faire des caisses, Noto le sait : il est totalement au service du script. Si vous êtes allergique aux "talking heads" et aux "gaufriers", passez votre chemin. Mais en même temps, sachez que c'est ce qu'il faut pour ces scènes. Les traiter différemment ne les rendrait pas plus attractives, au contraire elles desserviraient le propos en détournant notre attention. Cela est presque minimaliste, austère même. Mais cette sobriété a du bon, elle repose après les grand spectacle du crossover et elle souligne les idées, les échanges riches, denses, qui sont inscrits dans le scénario.

2021 ne sera peut-être pas une année facile (en tout cas pas une remise à zéro, comme si 2020 n'avait pas existé ou que la crise allait disparaître comme par enchantement). Mais ce ne sera certainement une nouvelle année passionnante pour les fans des mutants (du moins ceux qui ne sont pas encroûtés dans une espèce de tradition immobile, pétrifiée). 

lundi 28 décembre 2020

AN UNKINDNESS OF RAVENS #4, de Dan Panosian et Marianna Ignazzi


Le mois dernier, j'étais prêt à abandonner cette série si Dan Panosian ne produisait pas un effort conséquent dans la caractérisation de son héroïne et le rythme de son intrigue. Tout n'est pas encore palpitant, mais il y a du mieux. Suffisant pour poursuivre ? On verra. Mais An Unkindness of Ravens redresse la tête et reste joliment mis en images par Marianna Ignazzi.


Alors qu'elle franchit juste les portes du lycée en compagnie de son ami Ansel, Wilma est convoquée dans le bureau de la principale Andrews; Celle-ci la reçoit avec les Ravens qui n'apprécient pas qu'elle se soit rendue chez Scarlett Dansforth malgré leurs recommandations.


Mais, fatiguée de ces récriminations, Wilma s'emporte et exprime son ras-le-bol, estimant qu'on joue avec elle un jeu auquel elle ne comprend rien. Les Ravens lui expliquent que les Dansforth, lors de la réception qu'ils préparent, vont leur déclarer la guerre et elle en sera l'enjeu. Wilma, bouleversée, s'en va.


A la maison, son père s'étonne de la voir si tôt. Wilma, elle, exige des explications et en reçoit. Son père lui révèle que Waverly Good était sa soeur et que sa mère avait décidé de leur retour à Crab's Eye dans l'espoir de les protéger grâce aux Ravens, dernières d'une longue lignée de sorcières. 


Wilma rassemble les pièces du puzzle mais, s'estimant trahie par ses parents, ressort. Elle croise Ansel qui lui confie que la police vient de procéder à l'arrestation des Ravens. Puis, au lycée, Scarlett lui indique que d'autres policiers viennent de trouver un cadavre...

Dans le précédent épisode, je déplorai que l'héroïne de An Unkindness of Ravens subisse autant les événements et soit écrit comme une oie blanche constamment cueillie, passive. Wilma Farrington manquait cruellement d'épaisseur et semblait trop perdue dans une intrigue. Son égarement agaçait d'autant plus que le scénario  de Dan Panosian ne se pressait pas pour dévoiler ses secrets, se contentant d'allusions à une sororité de sorcières contre une riche famille de notables (tout cela était plus clairement indiqué dans les pages introductives de chaque épisode, narrées par le concierge de la Maison Abigail, et dessinées par Panosian lui-même).

La série semblait marcher tantôt sur une jambe, tantôt sur l'autre : ces prologues disaient une chose, établissaient une mythologie, tandis que les épisodes raconter quelque chose de beaucoup plus anecdotique, faute de tension, faute d'une héroïne dotée d'un tempérament plus fort. Cétait d'autant plus regrettable que les seconds rôles eux ne manquaient pas de piment, entre la bande des Ravens ou Scarlett Dansforth.

Est-ce que Panosian s'est rendu compte qu'il ne pourrait plus jouer la montre plus longtemps ? En tout cas, il fait preuve d'un louable sens du rebond avec ce quatrième chapitre qui voit Wilma se réveiller. Déjà le prologue souligne franchement qu'une guerre est en train de se préparer et que la Maison Abigail dispose d'impressionnantes archives sur les Ravens, qui existent depuis des lustres, et dont les notables de Crab's Eye, au premeir rang desquels se trouvent les Dansforth, cherchent à se débarrasser définitivement.

Cette ambiance de veillée d'armes va se prolonger dans tout l'épisode, beaucoup plus intense que d'habitude, car prêt à distiller quelques précieuses informations à Wilma et donc à provoquer des réactions vives chez la jeune fille. Cela commence par une réunion avec la principale Andrews et les Ravens et se poursuivra avec une mise au point avec le père de Wilma. Deux scènes qui font considérablement avancer le récit.

En vérité, ce qu'on y apprend comme l'héroïne, c'est que trop de coïncidences ne peuvent qu'éveiller la méfiance. Pourquoi Scarlett Dansforth est-elle si curieuse au sujet de la mort de la mère de Wilma quand la sienne a également mystérieusement disparue ? Pourquoi Waverly Good ressemble à ce point à Wilma Farrington ? Pourquoi, enfin, les Farrington père et fille sont-ils revenus à Crab's Eye (où le père de Wilma ne cherche aucun nouveau travail contrairement à ce qu'il a prétendu pour justifier leur installation) ?

A ces interrogations, Panosian apporte des réponses. Pas toujours clairement formulées, ce qui reste énervant (car, à ce stade, il en dit à la fois trop dans le prologue et incompréhensiblement pas assez dans l'épisode). Mais tout de même claires pour l'essentiel. On sent bien que certaines des révélations sont maladroites car le scénariste les aurait voulues spectaculaires, étonnantes, alors qu'elles s'avèrent convenues, prévisibles (Wilma et Waverly sont soeurs, la mère de Wilma a été une Raven). Mais tout cela au fond n'est que la conséquence d'une histoire mal construite et qui a connu un démarrage poussif.

 En revanche, voir Wilma saisir les ramifications de l'intrigue et même s'emporter fait plaisir car enfin elle sort de cette apathie irritante et si son alliance avec les Ravens ne fait plus de doute, celle-ci se voit contrariée quand les jeunes sorcières sont, providentiellement, arrêtées au même moment où un corps est découvert (celui, selon toute vraisemblance, de Waverley. A moins que ce ne soit celui de Ruth Dansforth, la mère de Scarlett. En tout cas, il est certain que cela va être mis sur le dos des Ravens). Il ne manque plus qu'à donner un peu de relief à Ansel pour en faire autre chose qu'un faire-valoir...

Face à ses faiblesses narrartives, Panosian peut remercier Marianna Ignazzi car son dessin séduisant a permis de rester accroché. Non pas que les images soient époustouflantes : Ignazzi, on le voit, n'est pas une artiste accomplie, elle abuse un peu trop des gros plans sur les visages, des arrière-plans sans décors, et ses compositions sont un peu fades (elles ne cadrent souvent qu'à plat, sans recourir à des plongées ou contre-plongées) et son découpage est sommaire.

 Mais Ignazzi a un trait élégant et vif, spontané. Elle sait à merveiller représenter ses jeunes protagonistes, en particulier les filles à qui elle donne un physique crédible et varié à la fois. Le soin apporté aux looks de chacune est inspiré et finalement, ce naturel sert parfaitement une intrigue qui, elle, emprunte au registre fantastique, même si ça reste discret. La mise en couleurs est au diapason, un peu trop acidulée certes, mais restituant bien l'ambiance d'une petite ville de province américaine, où tout est plus charmant que la réalité.

Je vais donc encore donner au moins un épisode à An Unkindness of Ravens pour voir si c'est une série qui mérite qu'on s'y investisse sur la durée ou s'il s'agit d'un pétard mouillé.

dimanche 27 décembre 2020

JUGGERNAUT #4, de Fabian Nicieza et Ron Garney


Bien qu'il soit sorti depuis le 9 Décembre dernier, j'avais gardé ce quatrième épisode de Juggernaut sous le coude pour cette fin d'année où le nombre de sorties est réduit. La mini-série touche à sa fin (elle se conclura le mois prochain) mais Fabian Nicieza a gardé des munitions. Ron Garney délivre quelques planches épiques aussi.


L'analyse des particules de Sable Mouvant après sa tentative de rapt contre D-Cel a permis à Damage Control  de déterminer qu'elles avaient été irradiées. Le Fléau est largué au-dessus d'un bunker souterrain, où Sable Mouvant aurait été captive.


Une fois dans la place, le Fléau est vite repéré et attaqué par Primus, un androïde créé par Arnim Zola, le savant nazi. Maîtrisé, Cain Marko est conduit devant le maître du lieu qui lui a tendu un piège pour attirer D-Cel.


Quelques mois auparavant, Cain Marko retrouve la gemme de Cyttorak en morceaux. Il récupère ses pouvoirs malgré tout et comparaît devant son maître. Mais le Fléau refuse de le servir plus longtemps et quitte sa dimension pour réintégrer la notre, ignorant la colère de Cyttorak.


D-Cel devinant que le Fléau est en difficulté le rejoint dans le repaire de Arnim Zola. Ensemble, ils neutralise Primus et font parler le savant. Celui-ci mentionne les Architectes du Dongeon pour lesquels ils travaillent et avec qui le Fléau décide de règler se comptes définitivement...

Les mini-séries, quand elles arrivent à leur terme, diffusent toujours un sentiment de frustration, surtout quand elles comptent peur de numéros (je ne parle donc pas des productions à douze épisodes comme en produit DC). On sait que la conclusion ne satisfera personne, si on s'est attaché au héros, ou bien parce qu'il aura manqué des numéros pour qu'on s'y attache vraiment.

Soyons honnêtes et lucides : avec Juggernaut, nos espoirs se sont évaporés quand Cain Marko a reçu la "visite" de son demi-frère, Charles Xavier, à l'hôpital pour apprendre qu'il ne serait pas admis sur Krakoa puisqu'il n'est pas un mutant. Dès lors, les perspectives du personnage et de son retour ont paru dérisoires, son aventure était condamnée à n'être que ça (une aventure, une passade), san avenir, sans lendemain.

Pourtant au crédit de Fabian Nicieza, il faut reconnaître que cette mini-série aura permis de redéfinir proprement, dignement, le Fléau, en en faisant un personnage plus profond, ambivalent, humain. Ce n'est ni l'histoire d'un super-vilain surpuissant, ni celle d'un repenti ou d'un héros qui a pris les mauvaises décisions. C'est plutôt le portrait d'un homme qui a eu accès à un pouvoir immense et terrifiant, qui trouve un certain salut et cherche à convaincre le monde qu'il n'est plus une menace. C'est aussi un individu dépendant à ce pouvoir, qui ne peut se s'en passer, presque un toxicomane, pathétique.

Dans cet épisode, on a droit à une scène, spectaculaire, où le Fléau fait face à Cyttorak et refuse de le servir plus longtemps, d'être une force destructrice. C'est un point de bascule, qui, développé dans une franchise comme celle des X-Men, aurait pu aboutir à un récit passionnant. Mais Nicieza est comme son personnage, un outsider, il ne fait pas (plus) partie du club des auteurs sur lesquels Marvel est prêt à miser en l'intégrant à la collection mutante, en plein boum, et donc, comme Cain Marko, Nicieza repart et va terminer sa mini-série, visiblement sans illusions (comme il l'a dit en interview, il sait pertinemment que ses efforts pour redonner du lustre au Fléau seront respectés jusqu'à qu'on collègue décide qu'il est préférable d'en faire à nouveau un super-vilain).

Et donc, comme il n'ira pas sur Krakoa (où je l'aurai bien vu dans une série comme X-Force), le Fléau continue son enquête. La série procède par bonds et rebonds, elle ne présente guère d'intérêt en soi. Cette fois, Cain Marko rencontre Arnim Zola, un méchant attaché habituellement à Captain America, mais Zola lui-même travaille pour une organisation, les Architectes du Dongeon. Le dernier épisode mettra donc en scène, de manière très prévisible, le combat entre le Fléau et ces commanditaires de Zola, qui n'en ont pas après lui mais après D-Cel.

D-Cel, une création de Nicieza pour cette mini-série, ne restera pas dans le mémoires, on ne la reverra sans doute jamais ensuite. C'est une béquille scénaristique, imaginée pour justifier la rédemption du Fléau. Il l'a sauvée, elle le suit, il la protège, elle lui permet de redorer son blason. Le duo fonctionne bien même s'il est totalement artificiel. Chaque épisode n'aura été qu'une étape pour souligner à quel point leur relation est providentielle et mécanique, avec une opposition spectaculaire à chaque fois (Hulk, Sable Mouvant, Zola). Sans doute qu'avec un personnage déjà existant mais jouant le même rôle, la série aurait été plus consistante, moins anecdotique, mais là, le lecteur sait que D-Cel n'est rien d'autre qu'une astuce, un gimmick, un faire-valoir.

Cette artificialité rejaillit sur tout le projet et l'affaiblit. Visuellement, on pouvait croire qu'avec Ron Garney, on allait en prendre plein la vue, mais l'histoire écrite par Nicieza donne peu d'occasions au dessinateur de briller. Le point fort de Garney, c'est son énergie, dans l'action, le mouvement, or ici il est clairement bridé. Quand il peut lâcher les chevaux et illustrer la puissance du Fléau, c'est toujours bref et un peu forcé, comme un passage obligé, conventionnel.

Comme il est un grand pro, Garney sait raconter une histoire en images même quand celle-ci le contraint à rester sobre. Et donc, lorsque le Fléau est largué d'un hélicoptère au-dessus d'un bunker ou défie Cyttorak, ses planches renouent avec cette espèce de grandiose un peu bourrin où il est à son avantage. Cependant, Garney dessine cela avec un style suffisamment fort pour que qu'on l'apprécie : il a "digéré" Miller et Buscema et ce drôle de mélange produit des plans mémorables, que la colorisation de Matt Milla sublime. Sinon, on devine que l'artiste trouve un peu le temps long (et nous aussi).

Marvel a un vrai souci avec ce format de la mini-série, qu'il publie comme des bouche-trous au lieu de les concevoir comme des projets prestigieux, adultes (comme chez DC avec le "Black Label"). C'est dommage, mais pas nouveau tant l'éditeur semble avoir renoncé à toute ambition supérieure autre que de produire et faire fructifier des franchises.

samedi 26 décembre 2020

BONNES FÊTES !

 Je vous souhaite à tous de bonnes fêtes !

J'espère que vous avez été gâtés pour Noël et que,

pour ceux qui en ont, vous profitez de congés.

Pour l'occasion, voici quelques Xmas cards dessinées par divers artistes :

Chip Zdarsky

Dan Mora
Dan Mora
Eric Powell
Frank Quitely
Gabriel Bà
Jamal Campbell
Mike Mignola
Sanford Greene
Terry & Rachel Dodson

jeudi 24 décembre 2020

JOYEUX NOËL A TOUS (ET RESTEZ PRUDENTS) !


 

Dans les circonstances particulières de cette année, je veux vous souhaiter un joyeux Noël et de bonnes fêtes.

J'espère que vous serez gâtés à la mesure de votre sagesse. Mais restez également prudents. 

On se retrouve bientôt. Je vous laisse avec ce délicieux dessin d'Otto Schmidt, intitulé "I Love Xmas".

RDB.

CATWOMAN #28, de Ram V et Fernando Blanco


Alors que la série va connaître un hiatus de deux mois (j'y reviendrais), Ram V a décidé de laisser Catwoman à l'aube de ce qui ressemble à un nouvel arc narratif. Pour l'heure, Selina Kyle continue de marquer de son empreinte le quartier de Alleytown à Gotham, d'autant qu'elle a délibérèment provoqué les caïds en place. Fernando Blanco est là pour mettre ce scénario haletant en images, avec sa coutmière efficacité.


Informé par "Pit" Rollins des ambitions de Catwoman pour Alleytown, Nahigian Khadym, le baron de la drogue, envoie une bande de mercenaires armés pour détruire le Nid et tuer cette concurrente. Mais celle-ci a tout prévu, au point qu'elle peut s'occuper d'un autre dossier, ailleurs.


Ainsi intervient-elle sur les docks où Rollins doit accueillir des trafiquants de drogue. Catwoman élimine les gardes et met le feu à la cargaison. Puis elle surgit dans la salle des négociations et congédie les dealers pour avoir une explication avec Rollins.


Grâce à la formation qu'elle leur a donnés, les vagabonds de Alleytown, tous ces gamins à l'abandon, sont en mesure de défendre le Nid. Ils ont préparé des pièges et neutralisent les mercenaires avant l'arrivée de la police à laquelle ils les livrent.


Khadym grillé, Rollins raisonnée, Catwoman quitte les docks et croise le Père Vallée. Cependant le détective Hadley apprend successivement que Khadym a passé un accord avec les fédéraux et que sa drogue présente une particularité...

S'il n'est pas indiqué qu'il s'agit de la fin de l'arc, tout simplement par ce rien n'a été précisé sur le nombre d'épisodes qu'il comptait, cela y ressemble fort. Ram V, depuis qu'il a repris la série en main, a orchestré le retour de Catwoman à Gotham, dans le quartier de Alleytown, au peuplement du Nid et à la reconquête de ce territoire. Tout ça alors que le Pingouin, que Selina Kyle a roulé, a recruté un tueur à gages mystique pour l'éliminer...

Dans ce #28, on assiste à l'aboutissement du plan de Catwoman : elle a méthodiquement accompli les missions qu'elle s'était fixée. D'abord en donnant à des gosses à l'abandon un Nid et en en faisant sa petite armée. Puis en s'attaquant aux malfrats qui gangrénaient le quartier de Alleytown. Désormais, elle tient "Pit" Rollins, et a écarté Nahigian Khadym.

La rapidité et l'efficacité du script de Ram V est épatante. Il a rendu à Catwoman ses lettres de noblesse en un temps record et honoré ceux dont il s'est inspiré (Ed Brubaker, Darwyn Cooke). Les fans de la féline fatale n'ont pas été à pareille fête depuis longtemps. Le personnage louvoie à nouveau entre un rôle de justicière et de voleuse, conservant son ambiguïté et son charme uniques. En outre, c'est un des rares personnages de la Bat-Familly à ne pas dépendre de Batman, à ne pas lui rendre de comptes, à exister sans lui (même si Ram V se garde bien d'épiloguer sur leur relation, alors que James Tynion IV, le scénariste de Batman, préférerait à l'évidence qu'ils restent séparés).

Le scénariste a de plus soigné le background de la série avec deux seconds rôles de choix : d'un côté, le détective Hadley, transfuge de Villa Hermosa (et donc du run de Joelle Jones) ; de l'autre, le Père Vallée, un tueur atypique. Ces deux hommes tournent autour de Catwoman et la considèrent comme le lecteur peut le faire, à la fois comme une femme séduisante, attirante, mais aussi dangereuse. Si Hadley a encore besoin d'être un peu étoffé, le Père Vallée est en revanche un personnage fascinant, qui bien qu'il ait accepté de tuer Catwoman l'a sauvé et prend son contrat comme une mission mystique, puisqu'il se présente comme un berger devant ramener dans le droit chemin les âmes égarées ou les éliminer. Pour la première fois, Catwoman et son adversaire se croisent et se parlent et leur échange ne déçoit pas.

Si Catwoman est un tel plaisir de lecture, la série le doit aussi à Fernando Blanco, que DC a eu la bonne idée de laisser sur le titre après qu'il ait servi de fill-in à Joelle Jones. Son style se prête merveilleusement à ce titre, avec son cadre urbain, ses personnages entre chien et loup, son héroïne acrobate et charismatique.

Blanco est un as du découpage : tout a l'air simple chez lui et pourtant il fait preuve d'invention, comme quand il s'agit de dessiner une double-page mouvementée où Catwoman neutralise plusieurs hommes de main en sautant d'un container à un autre et en isolant dans des cases les moments où elle frappe. La colorisation de FCO Plascencia est remarquable aussi parce qu'elle met en valeur sobrement les effets de mise en scène.

Autre exemple du brio de Blanco : la narration parallèle. Durant tout l'épisode on va et vient entre les docks (où opère Catwoman) et le Nid (où les mercenaires de Khadym tombent sur les gamins). Les pièges tendus par les protégés de Catwoman pour maîtriser une bande d'hommes lourdement armés sont toujours représentés de manière très lisible et démontre la supériorité de l'ingéniosité sur la brutalité. 

Cette intensité, grisante, qui parcourt le récit permet de laisser un souvenir vivace au lecteur. Il en aura besoin car la série (comme toutes les publications de DC) vont connaître un hiatus de deux mois. Durant cette période, l'éditeur a en effet choisi de proposer un projet qui traînait depuis un an, originellement connu sous le titre 5G et désormais intitulé Future State. En mars, tout reviendra à la normale, mais avec de nouvelles équipes créatives (et un nombre restreint de séries régulières). Sauf pour Catwoman qui, ouf, conserve Ram V et Fernando Blanco aux commandes.

samedi 19 décembre 2020

NEW MUTANTS #14, de Vita Ayala et Rod Reis


New Mutants était devenue une série à la dérive. Lorsque Jonathan Hickman a lâché le titre (dont il s'était surtout servi pour préparer une intrigue dans X-Men), son successeur Ed Brisson n'a pas su être à la hauteur. Logiquement, les fans se désespéraient et ne vont pas regretter ce scénariste. Place donc à Vita Ayala, qui, elle, débarque avec des idées bien affirmées. Et profite du retour au dessin de Rod Reis.


Sur l'île de Krakoa, les jeunes mutants s'ennuient et se laissent aller, délaissés par les adultes et les dirigeants. Certains pourtant décident de jouer les guides pour leur génération, avec l'aval du Pr. X. Mais le malaise touche aussi leurs cadres, comme Karma qui confie à Mirage un cauchemar récurrent.


Les deux amies sont interrompues par les arrivées successives de Magik, Warlock, Félina et Warpath. Ceux-ci assument le rôle de guides pour les adolescents et enfants de l'île. Un exercice sur le terrain est d'ailleurs en cours.


Le résultat satisfait les Nouveaux Mutants mais ils indiquent à leurs élèves qu'il leur faut améliorer leur synergie. Pour le leur prouver, ils organisent entre eux une démonstration immédiate, qui impressionne leur public par la complémentarité dont ils font preuve entre eux, en situation de combat.


La leçon terminée, Honey Badger, clone de X-23, s'inquiète des dangers de la méthode des Nouveaux Mutants, et se demande si elle profitera de la résurrection comme les autres. Magik la rassure. Les élèves se dispersent. Quatre d'entre eux rejoignent une grotte où ils sont attendus par un intrus sur l'île...

Il y a eu, à l'évidence, un malentendu dès le départ avec la relance de New Mutants. Il ne s'agissait pas de raconter de nouvelles aventures avec le groupe d'origine mais bien de traiter de tous les jeunes mutants de Krakoa. Cette confusion a été entretenue par Jonathan Hickman qui, en écrivant le premier arc de la série, a utilisé les membres les plus emblématiques de la série (Mirage, Karman Solar, Cannonball, Cypher, Félina), y ajoutant quelques éléments par ailleurs superflus (Mondo, Chamber).

En outre, Hickman s'est surtout servi du titre pour préparer une intrigue qu'il terminerait dans les pages de X-Men. Pour écrire tous les autres jeunes mutants, sans les stars des Nuveaux Mutants, Marvel a confié la série à Ed Brisson, mais il s'est avéré incapable de raconter des histoires intéressantes, comme s'il ne trouvait jamais le ton juste. A ce rythme, on pouvait même penser que l'éditeur annulerait la série en profitant de X of Swords.

Finalement, une annonce a été rapidement communiquée sur l'avenir de New Mutants : Vita Ayala succéderait à Brisson et Rod Reis, qui avait dessiné les épisodes de Hickman, reviendrait comme artiste régulier.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Ayala débarque avec ses idées. Elle n'a plus accès à Solar et Cannonball, à demeure dans l'empire Shi'ar ? Qu'importe. Que faire de tous les jeunes mutants, dont certains n'intéressent ni les fans ni le conseil de Krakoa ? Les employer comme un argument. Quel ennemi pour cette équipe ? Une vieille connaissance.

Détaillons : l'épisode s'ouvre par un flash-back sur les origines d'Amahl Farouk, alias le Roi d'Ombre, qu'on n'avait plus vu depuis les Astonishing X-Men de Charles Soule. Ayala suggère que, même coincé dans le plan astral, les pouvoirs mentaux extraordinaires de Farouk étant lié à l'entité du Roi d'Ombre lui permettent de s'en extraire. Il est désormais présent sur Krakoa et on peut légitimement penser que la scénariste expliquer plus tard comment il y est sans avoir été repéré par la sécurité de l'île.

Ensuite, de manière habile, grâce à une data page, Ayala revient sur l'état de la jeunesse de la Nation X. Délaissée par les adultes et les dirigeants, elle se laisse aller, au point pour certains de sombrer dans la dépression ou la violence. Une reprise en main s'impose. Les plus anciens des Nouveaux Mutants avertissent le conseil qui acceptent volontiers de leur confier le tutorat de cette jeunesse. L'idée est brillante : comme les X-Men avant eux, Magik, Karma, Mirage, Félina, mais aussi Warpath et Warlock deviennent à leur tour des formateurs.

Au passage, Ayala glisse une scène cruciale : Karma a un cauchemar récurrent, en relation avec la bataille qui a eu lieu dans l'Outremonde (à la fin de X of Swords), dans lequel elle voit un individu inquiétant mais sur lequel elle n'arrive pas à mettre un nom. Mirage la soutient. Mais les deux amies doivent différer la résolution de ce problème car, justement, c'est l'heure des cours.

La narration est très dynamique, Ayala alterne des scènes dialoguées jusque-là avec une séquence d'action où des jeunes mutants s'affrontent au cours d'un exercice. Puis les Nouveaux Mutants expliquent, démonstration à l'appui, les atouts d'un vrai travail d'équipe en conjugant leurs talents. La mise en scène des pouvoirs et leurs combinaisons sont ingénieuses. On comprend même pourquoi Warlock est présent sans Cypher (qu'il craint d'embarrasser maintenant qu'il est en couple avec Bei, combattante arakki). Puis la conclusion de l'épisode opère une boucle avec son prologue tout en suggérant que les cauchemars de Karma sont provoqués par le Roi d'Ombre.

Tout ça est vraiment rondement mené et les dessins de Rod Reis ajoutent au plaisir de la lecture. Cet artiste, qui assume pleinement l'influence de Bill Sienkiewicz, lequel a tant marqué visuellement la série à ses débuts, fait des merveilles. Il maîtrise parfaitement ce casting, l'environnement particulier de l'île. Son découpage des scènes est toujours plein d'inventions, qu'il s'agisse de montrer l'aspect inquiétant du cauchemar de Karma ou le chaos de l'affrontement organisé pour entraîner les jeunes mutants puis la leçon réalisée par les Nouveaux Mutants.

Surtout Reis parsème ses cases de détails savoureux, voire franchement drôles. La manière dont il anime Warlock est un régal. J'ignore si tout est indiqué dans le script d'Ayala, mais par exemple, voir Warlock imiter les mimiques de Warpath est hilarant, tout en voyant plus loin comment ces deux-là associent leurs talents pour prouver leur complémentarité face à Magik et Mirage. Comme Reis s'occupe aussi de la colorisation, il dose parfaitement chaque effet et on retrouve ses teintes vives grâce à la technique numérique qui l'autorise à manger l'encrage et à passer parfois en couleurs directes.

Enfin Reis respecte l'âge de personnages. Ils restent jeunes, pour les plus connus, mais sont désormais plus âgés que les ados et enfants dont ils s'occupent. Le dessinateur peut ainsi plus facilement justifier que Magik se balade dans une tenue plus sexy que ses camarades (encore avec leurs uniformes jaunes et noirs) ou que Warpath soit revenu à un costume plus traditionnel (simplement parce qu'il le trouve plus confortable). Le casting est majoritairement féminin (avec Magik, Mirage, Karma, et Félina), ce qui permet à Reis et Ayala de s'amuser avec la relation des filles vis-à-vis de Warpath, tout en suggérant peut-être des rapprochements plus sentimentaux entre certaines (comme Mirage et Karma, deux personnages à la préférence sexuelle jamais vraiment définie - et comme désormais sur Krakoa, le polyamour est monnaie courante, tout est possible).

C'est vraiment une épatante surprise. Pour ma génération, les Nouveaux Mutants ont une valeur particulière puisque nous les avons naître et parfois grandir, de manière très chaotique, toujours dans l'ombre des X-Men (alors que Claremont rêvait d'en faire leurs remplaçants). Sous la direction de Vita Ayala, la série retrouve des couleurs, une identité, qui lui manquaient cruellement. Et avec Rod Reis, un look attractif. Et si la série démarrait vraiment aujourd'hui ?

vendredi 18 décembre 2020

X-FORCE #15, de Benjamin Percy et Joshua Cassara

 

Comme Marauders la semaine dernière, l'intrigue laissée en suspens de X-Force reprend ses droits. Benjamin Percy n'écrit pas une série aimable, elle montre toujours qu'il y a bien quelque chose de pourri au royaume de Krakoa, et ce nouvel épisode ne déroge pas à la règle. Cependant, c'est bigrement efficace, surtout quand Joshua Cassara est de retour au dessin.


Les attaques répétées des russes contre Krakoa et le récent vol de l'épée Cerebro par Mikhail Rasputin (qui a également enlevé Kid Omega) ont conduit le Fauve à exiger de Jean Grey à sonder télépathiquement Colossus. Il en ressort qu'il ne sait rien des plans de son frère.


Wolverine est encore plus furieux après le Fauve mais Colossus rejoint les côtes de Krakoa où des enfants mutants s'amusent. Il en sauve un d'une chute d'une falaise. De la paroi rocheuse s'est détachée une boule noire visqueuse qui finit dans l'océan où un cétacé l'avale.


Jean Grey prend congé de Wolverine et du Fauve à qui elle a demandé de s'excuser auprès de Colossus. Les deux hommes entrent dans la cellule de Omega Red qui a été scanné. Cet examen a permis de découvrir qu'il portait une bombe dans le thorax. Le Fauve veut en savoir plus et à son idée pour ça.


Le Fauve sollicite l'aide de Forge et celle des Cinq pour utiliser Omega Red comme agent double à son insu. Cependant, la matière noire ingérée par le cétacé a coûté la vie à l'équipage d'un navire qui s'échoue sur la côte de Krakoa devant Black Tom Cassidy et Domino...

Avant X of Swords, ceux qui lisent mes critiques sur X-Force le savent déjà, j'étais sur le point d'arrêter la série. Cependant, Benjamin Percy avait laissé son histoire en suspens à un moment crucial pour un des X-Men emblématiques, Colossus, et je voulais quand même savoir ce qui lui arriverait.

Percy est un auteur à part : il a la charge de la série la moins confortable et il s'en acquitte sans se cacher derrière son petit doigt. Il y va franchement, il y va fort. Le malaise est permanent. Et son traitement du personnage du Fauve résume son programme autant qu'il divise les fans (du héros et de la franchise). Sous sa plume, Hank McCoy est devenu l'incarnation des pires dérives de la Nation X, bien loin de l'image du bon copain à laquelle on l'associe. Est-ce justifié toutefois ?

Ce n'est pas Percy qui a fait du Fauve l'extrèmiste qu'il est devenu. Cela résulte d'une écriture du personnage plus ancienne et qui a vraiment démarré avec Mike Carey, me semble-t-il, durant la saga du Complexe du Messie. Dans cette histoire, le Fauve constatant qu'il n'y avait plus de nouveau-né mutant depuis le Jour-M (lorsque la Sorcière Rouge, dans House of M, a lancé un sort pour qu'il n'y ait plus de mutant) s'est alors mis en tête d'y remédier pour éviter une extinction de masse. Pour accomplir son projet, il n'a pas hésité à collaborer avec des individus peu recommandables.

Puis il y eut le Fauve écrit par Brian Michael Bendis dans All-New X-Men. Cette fois, après le meurtre du Pr. X par Cyclope (peut-être sous l'influence de la Force Phénix), il a remonté le temps pour aller chercher les premiers X-Men et le jeune Cyclope dans l'espoir que celui-ci raisonnerait sa version adulte.

Et aujourd'hui, donc, le Fauve fait partie de la X-Force, cette C.I.A. de Krakoa, un job qu'il remplit avec beaucoup de zèle, au point récemment d'arrêter Colossus pour l'interroger car il est russe et frère de Mikhail Rasputin, responsable du vol de l'épée Cerebro et de l'enlèvement de Kid Omega. Cette arrestation a tourné à l'humiliation publique puisque Hank McCoy avait invité les mutants de l'île à assister à son transfert jusqu'à la salle d'interrogatoire - une manoeuvre qui a fait sortir de ses gonds Wolverine et dégoûté Jean Grey (déjà démissionnaire de la X-Force).

Comme je le résume plus hauit, cela n'aura servi à rien : Colossus est (évidemment) innocent. Reste à s'occuper de Omega Red, considéré comme une menace par Wolverine, car associé aux vampires pour espionner Krakoa, voire tuer ses dirigeants. Wolverine préfèrerait le tuer, quitte à ce qu'il soit ressucité ensuite mais le cerveau lavé. Le Fauve a d'autres plans, pas idiots d'ailleurs, mais soulignant encore davantage sa nature manipulatrice. Cela aboutit à une data page avec des courriers échangés entre le Fauve, les Cinq et le Conseil de Krakoa, dont il ressort que Charles Xavier donne toute autorité en matière défense à la X-Force, et donc au Fauve.

Entre temps, Colossus a rejoint des enfants mutants. Cela va provoquer une réaction en chaîne aboutissant à un phénomène spectaculaire mais qui n'est pas sans rapport avec ce qui concerne le Fauve. Quand je paraphrasais Hamlet en écrivant qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume de Krakoa, on a l'illustration litttérale puisqu'un échantillon de l'île sera la cause d'une catastrophe spectaculaire en quelques pages. 

Ce qu'on peut observer, globalement, et qui paraît être la tendance pour cette deuxième "saison" de la franchise "X", c'est que tout paraît se désagréger, lentement mais sûrement. Krakoa entre dans une crise qui va certainement se répandre dans toutes les séries. La belle utopie est-elle en train de dégringoler, de s'auto-détruire ? Il semble en tout cas que les choses vont beaucoup bouger. Percy le traduit très bien et avec le cliffhanger de cet épisode, il pique notre intérêt.

Cette réussite, on la doit aussi à la contribution au dessin de Joshua Cassara. Comme Juann Cabal avec Guardians of the Galaxy, l'artiste donne son vrai visage, sa vraie dimension à la série. Quand il est absent, ce n'est plus du tout la même chose. Il restitue à merveille l'aspect délétère des relations entre les protagonistes, l'ambiance crapoteuse et viciée, le cadre en pleine décrépitude des coulisses de Krakoa.

Cassara, en outre, anime les personnages à la perfection. Il tient son casting : son Wolverine est un type qui ne transige pas avec les principes, le Fauve est un stratège radical et désagréable. Mais il donne aussi une dignité triste et poignante à Colossus, dont le statut pourrait bien changer de façon importante dans l'avenir. Cassara glisse aussi de l'humour dans ses images comme lorsqu'il représente Black Tom Cassidy sur la plage avec Domino, et cela donne alors encore plus de force à l'horreur qui suit.

Enfin, si j'oublie souvent de le faire, il faut saluer la colorisation du studio Guru-FX, qui assure impeccablement son rôle et contribue lui aussi à rendre X-Force visuellement très puissante (ce n'était pas évident après le départ de Dean White qui a défini la palette de la série).

Me voilà à nouveau engagé dans la série, qui, même si elle n'est pas des plus sympathiques et confortables, dispose d'indéniables atouts et ne mérite assurément pas qu'on l'abandonne.

jeudi 17 décembre 2020

DECORUM #6, de Jonathan Hickman et Mike Huddleston


Après deux mois sans parution, Decorum est de retour, et aborde sa dernière ligne droite avec ce antépénultième numéro. Jonathan Hickman a développé, en parallèle, deux intrigues dont on pouvait se demander comment, quand et si elles se rejoindraient : c'est chose faite avec cet épisode, une fois de plus magnifiquement mis en images par Mike Huddleston.


Chi Ro comparaît devant la Singularité dont il est le leader de l'Eglise et avoue son échec à récupérer et livrer l'Oeuf cosmique. Il s'attend à être exécuté mais contre toute attente il reçoit une solution pour se tirer de ce mauvais pas.
 

Au centre d'entraînement de la Sororité de l'Homme, Chi Ro se présente et passe un contrat. Il offre une récompense faramineuse si les assassins de l'école lui ramènent soit l'Oeuf intact soit ce qui en est sorti, mort ou vivant. Ma confie cette mission à Imogen mais elle suggère que les élèves participent tous.


Malgré les doutes de Ma, Imogen obtient satisfaction car ce contrat permettra vraiment d'évaluer leurs recrues. Neha a compris qu'avec la récompense, même si elle n'en touche qu'une partie, elle pourrait refaire sa vie et donner des soins à son frère, peut-être le sauver.


Mais la jeune apprentie est consciente de la difficulté de cette mission et propose à Imogen de faire équipe en partageant le butin. Imogen refuse net. Elle rend visite à son mari qui lui parle de son dernier rêve, où elle apparaît. Neha rend visite à son frère mais sent qu'elle est suivie...

S'il est bien une chose qu'on peut reconnaître à Jonathan Hickman, c'est que, même s'il ne choisit pas souvent la ligne droite pour raconter une histoire, il retombe sur ses pieds avec une adresse stupéfiante. De ce point de vue, Decorum est une leçon de narration et particulièrement ce sixième épisode où il réussit à lier les deux intrigues qu'il développait dans cette mini-série sans qu'elles aient apparemment le moindre rapport.

D'un côté, nous suivions le tandem Imogen-Neha, digne d'une buddy-story dans un cadre SF, la tueuse la plus redoutable et la plus exigeante sur les bonnes manières de son job et l'ancienne coursière devenue sa protégée et l'élève de l'école d'assassins où la première a fait ses classes. De l'autre, un récit beaucoup plus nébuleux où il était question d'un oeuf, d'une église qui le convoîtait, de Mères Célestes. D'un côté une histoire character-driven. De l'autre, quelque chose d'indéfinissable et d'à peine compréhensible.

Et puis, voilà les premières pages de ce numéro 6 où dans une scène aux lumières bariolées, avec un dialogue entre une créature et une entité informe, qui va tout lier, magistralement et simplement. Cet oeuf cosmique, que la créature (Chi Ro) a échoué à livrer à l'entité (la Singularité), et qui est désormais couvé par une Mère Céleste (mais ça, ils l'ignorent), autant demander à des professionnels de le localiser et de le rapporter. S'il a éclos, alors il faut éliminer celle qui l'a couvé et ce qui en est sorti et le remettre à Chi Ro. Et quels meilleurs professionnels que des assassins ?

Et donc les assassins de la Sororité de l'Homme, où se trouvent Imogen et Neha (et les camarades/concurrents de celles-ci). Simple comme bonjour ! Nos deux héroïnes vont donc partir à la recherche de l'oeuf, de sa couveuse, peut-être de sa progéniture.

La scène de la transaction, qui fait suite au dialogue d'ouverture, est savoureuse. On a d'un côté un commanditaire pour qui la notion même d'argent, de rétribution n'a aucun sens, mais baste ! s'il faut payer, il paiera. Et donc il offre comme récompense un diamant de la taille d'une planète. Je sais que ça ne paraîtra jamais évident à beaucoup mais c'est dans ces moments-là qu'on mesure à quel point Hickman est un auteur capable d'un sens de l'humour complètement loufoque (c'est peut-être aussi, surtout, ce qui a déconcerté les X-fans avec X of Swords, qui déjouait les codes d'un comic-book super-héroïque en transformant son tournoi des champions en une farce grotesque et une collection d'épreuves délirantes pour moquer les batailles épiques traditionnelles).

Au fond, Hickman ne serait-il pas un auteur sérieux qui ne se prend pas au sérieux, ou autrement dit un auteur qui n'a pas l'air de ce qu'il montre ? Derrière l'auteur qui aime raconter qu'il planifie tout, qui adore les data pages, les figures, les diagrammes, n'y a-t-il pas surtout un type rigoureux pour, sinon la déconne, en tout cas pour démonter ce qui est trop sérieux dans les comics ? Car enfin, entre un Oeuf cosmique, une planète en diamant, une tueuse mariée avec un sosie du Prince Charles, une ex-coursière qui témoin d'un contrat est obligée de se reconvertir en assassin, une entité divine, son chef d'église incompétent, tout ça n'a ni queue ni tête. Mais inscrits dans le registre de la SF, du space opera, de la buddy-story, et de la métaphore absurde, c'est franchement drôle.

Moi, en tout cas, c'est comme ça que je vois la chose. J'admets que Decorum paraisse imbuvable parce qu'insaisissable, cryptique, abscons. Il faut s'accrocher parfois, c'est sûr. Mais en même temps, c'est quand on accepte de se relâcher, de s'y abandonner, que cette histoire si bizarre devient jubilatoire. Et Hickman nous récompense de notre patience en reliant le tout à deux étapes de la fin. Ce n'est pas juste un pétage de cable par un auteur reconnu. L'affaire a quand même une construction, une structure, des personnages attachants (et aussi d'autres complètement impossibles car volontairement définis comme des créatures échappant à des représentations classiques). Et désormais un but, un objectif, une finalité, simple, efficace, captivante, parce qu'avec ce qui les ont précédés, on peut quand même croire que tout ne va pas se règler de façon basique.

Par ailleurs, Decorum n'a pas pris ses lecteurs en traître car, visuellement, dès le départ, Mike Huddleston ne s'est pas contenté d'illustrer un script, il a fait sa propre BD avec des images sublimes, déroutantes, belles, moches, bizarres, indéfinissables. C'est une expérience renouvelée d'épisode en épisode et qui signale au lecteur que, esthétiquement, le voyage sera un trip unique.

Huddleston déstabilise le lecteur car il semble n'appliquer à ses pages aucune logique justifiant le traitement de son graphisme. Il ne se réinvente pas d'une page à l'autre, ou d'un numéro à l'autre : non, il va plus loin, il maintient le lecteur sur le qui-vive en permanence car il dessine selon son humeur, de manière imprévisible. Il peut aligner des pages entières en oir et blanc, puis enchaîner avec une débauches d'effets numériques, le plus souvent même ces sauts visuels se produisent d'une case à l'autre, sans aucune prévention. Juste pour souligner un détail, une expression.

Il transcende les notions de beau, pas beau, efficace, raisonnable. C'est parfois délicat, acrobatique, car on n'est pas habitué à un tel feu d'artifices. Mais notre attention est sans cesse requise, c'est une lecture très active et qui nous interroge, nous force à nous questionner sur ce qui est acceptable, supportable, agréable, fluide. Même quand il nous agresse avec des formes, Huddleston semble soucieux de se faire presque pardonner en sortant plus loin une image, une planche à couper le soufffle. Avant de nous chahuter à nouveau.

Pour tout cela, Decorum est une BD passionnante. Parfois complètement fumeuse, limite fumiste. Mais aussi virtuose, et très ludique. Si vous aimez un certain inconfort, voire les sensations fortes, c'est parfait. Pour lecteurs avertis seulement ? Non. Mais un peu quand même.

Variant cover de Mike Huddleston

mercredi 16 décembre 2020

RORSCHACH #3, de Tom King et Jorge Fornes


Rorschach est décidément une série impressionnante : en trois épisodes, Tom King et Jorge Fornes ont emprunté des chemins de traverse avec l'oeuvre et le personnage d'Alan Moore et Dave Gobbons, mais ce choix s'avère payant. En effet, il permet aux deux auteurs de ne pas être écraser par le poids de Watchmen mais aussi de faire mieux, plus fort, plus troublant que la série HBO.


Après avoir enquêté sur Wil Wyerson à New York, le Détective se rend dans la bourgade de Hanna, Wyoming. Cette ancienne localité minière a été frappée au début du XXème siècle par une terrible tragédie : l'effondrement d'une mine, causant la mort de plusieurs hommes.


C'est là que grandit Laura Cummings, la complice de Myerson dans la tentative d'assassinat contre le candidat Turley. Elle est élevée par un père, ancien cheminot, qui s'occupait du cimetière où reposaient les mineurs.


Laura est, très jeune, initiée au maniement de armes par son père, qui croit à une nouvelle attaque extra-terrestre comme celle survenue en 1986 à New York, et dont le président Redford serait le complice. Laura s'entraîne avec une milice prête en découdre avec les autorités.


Le père de Laura a tué sa femme qu'il croyait sous l'emprise des extra-terrestres et finit par demander à sa fille de le supprimer quand il se croit à son tour sous leur contrôle. Le Détective découvre cela dans le journal intime de la jeune femme où il croit avoir décelé un indice important sur sa collaboration avec Myerson...

A la fin du Chapitre V de Watchmen, Alan Moore glissait, comme pour tous les épisodes de sa série, une phrase d'un auteur célèbre, censée éclairer ce qu'il venait de raconter au sujet d'un des protagonistes. Pour Rorschach, William Blake était évoqué avec ces vers : "Tigre, tigre, flamboyant / Dans les forêts de la nuit / Quelle main, quel oeil immortel / Traça ta terrible symétrie ?". Une manière poétique d'illustrer le masque aux marques symétriques et mobiles de Rorschach mais aussi son parcours scindé en deux (enfant battu-justicier implacable, annonciateur de la fin du monde-enquêteur découvrant un vaste complot, etc).

Ce motif de la symétrie ne pouvait que fasciner et inspirer Tom King dont les comics sont eux-mêmes composés à partir de découpages stricts (les "gaufriers", les allers-retours dans l'espace-temps, les personnages tiraillés entre le Bien et le Mal, la Vie et la Mort, etc). Il en fait la structure de ce troisième épisode de Rorschach dans lequel on découvre le passé de "la gamine" ("the Kid"), Laura Cummings, la complice de Wil Myerson, l'ancien auteur de BD qui, masqué comme Rorschach, a tenté de tuer le candidat à la présidentielle Turley.

Observons-là, cette Laura Cummings, déguisée en cowgirl. Les plus cinéphiles d'entre vous seront peut-être interpelés, sinon je vais tâcher de vous éclairer. Voyez ci-dessous :


Il s'agit là de Peggy Cummins, interprête principale du film Gun Crazy/Le Démon des Armes, de Joseph Lewis (1950). Dans ce film, elle joue une tireuse qui se produit dans les fêtes foraines où elle rencontre son amant, lui-même pistolero émérite. Ils deviennent des braqueurs de banque et vont devenir les ennemis publics numéro un, jusqu'à leur fin tragique. 17 ans avant Bonnie & Clyde de Arthur Penn, cette magnifique série B a foudroyé tous ceux qui l'ont vue.

Et apparemment, elle a aussi inspiré Jorge Fornes au moment de designer Laura Cummings et Tom King au moment de baptiser cette anti-héroïne qui a presque le même nom de famille (à une lettre près) que l'actrice.

Car l'épisode de ce mois-ci ne fait pas qu'emprunter à Peggy Cummins son allure inoubliable. L'histoire qu'il raconte pourrait lui-même s'appeler Gun Crazy/Le Démon des Armes. En effet, le Détective se rend, comme il l'annonçait à la fin du numéro précédent, dans le Wyoming, à Hanna exactement, une ancienne bourgade minière. En 1903, un coup de grisou tua plusieurs dizaines de travailleurs et les autorités, constatant que le cimetière ne serait pas assez grand pour enterrer toutes les victimes, acquit un terrain plus grand. Le père de Laura, un ancien cheminot, devint responsable de l'entretien des tombes mais il emmenait aussi sa fille pour l'entraîner au tir au pistolet. Puis plus tard, il lui avouera avoir tué sa mère et l'intègrera à une milice.

Tom King avait annoncé, dans sa déclaration d'intention pour Rorschach, qu'il s'agissait d'une histoire qui ne contredirait ni Watchmen version Moore/Gibbons ni version HBO. Cette synthèse est parfaitement illustrée ici avec des mentions au comic-book originel et à la série tv. Le père de Laura fait allusion à l'attaque de New York de la BD (organisée par Ozymandias) mais aussi aux machinations d'Adrian Veidt telles qu'on les voit dans la série télé. Il est convaincu que le président Redford a agi de concert avec des extraterrestres qui veulent prendre le contrôle mental des citoyens américains pour les affaiblir. S'il a tué sa femme, c'est parce qu'il était persuadé qu'elle était déjà sous leur emprise. Et in finira par demander à Laura de le tuer quand lui-même se sentira menacé de la même façon.

Tom King a aussi expliqué que, avec Strange Adventures, Batman/Catwoman et Rorschach, il s'était rendu compte que la colère l'avait guidé, inspiré par les années de présidence Trump notamment, et la monde qu'il laisserait à ses enfants. Cette colère se traduit ici par le portrait glaçant et réaliste de ces américains qui prennent les armes, s'organisent en milice, croient aux théories du complot (quand ils ne les conçoivent pas eux-mêmes), tous ceux qui forment la base électorale de Trump. L'actualité avec la crise sanitaire et toute la propagande contre les vaccins, l'élection américaine, mais pas que (on en perçoit des échos avec le mouvement des Gilets Jaunes, les anti-Europe, les néo-nazis, les climato-sceptiques et j'en passe) prouve que cette mouvance se propage, fondé sur une lutte anti-système, un sentiment d'exclusion, de tromperie généralisée, un terreau fertile pour échauffer les esprits.

Appliqué au personnage de Laura Cummings, cela donne une gamine endoctrinée dès son plus jeune âge et dont la fin était programmée, alors qu'elle tenait dans sa ligne de mire un candidat aux présidentielles. Ce n'est pas l'histoire d'une folle ou d'une idiote, attention : c'était une jeune femme structurée, déterminée. Mais selon des codes complètement aberrants, délirants. Elle a cru à un père qui lui prédisait un grand destin et l'a formée pour cela, presque comme on entraîne une sportive pour battre des records dans une discipline. King écrit cela sobrement, de manière détachée, ce qui rend son récit encore plus terrible et crédible. Le déguisement apparaît alors comme une transfiguration ultime : s'habiller comme une cowgirl, c'est revenir à l'Ouest sauvage, à des règles simples, à une époque et un espace où la solution se trouvait au bout d'un six-coups, et où un président abolitionniste (Lincoln) fut exécuté après la guerre civile.

La mise en images répond aux mêmes critères. Rorschach est une BD résolument austère, avec ses couleurs passées, son découpage froid, ses personnages-marionnettes. Nous sommes dans une configuration théâtrale, une esthétique "maison de poupée". Chaque pion avance sur un échiquier et King est le maître de la partie tandis que Fornes dessine les mouvements des acteurs.

Cette simplicité aboutit à des enchaînements prodigieux dans la manière dont il joue les ellipses, les transitions d'une époque à une autre, font dialoguer des morts avec des vivants, des idées avec dess faits, des hypothèses avec des résultats. La manière dont on voit Laura enfant quitter le pla pour y revenir adulte produit un effet étonnant et puissant, tout comme quand la cowgirl et le pseudo-Rorschach interrogent par-delà la mort le Détective pour lui demander ce qu'il voit maintenant qu'il a en mains le récit du passé de Laura.

Cela, King se garde bien de le dire, il garde cela pour plus tard, et Fornes, dans le même élan, se retient de le montrer. Ce qui apparaît comme certain, c'est que le Détective a découvert, ou du moins deviné quelque chose de plus grand, de plus profond, dans les histoires de Myerson et Cummings que l'histoire de deux individus pris dans un courant fou où ils ont fini, abattus, après avoir failli tuer Turley.

Nous ne sommes qu'au quart de l'histoire de Rorschach, et ce mystère promet d'être levé lentement. Il faudra donc être patient. Mais le jeu en vaut la chandelle car l'ambiance de ce récit est envoûtante et sa traduction en images, superbe.