mercredi 28 février 2024

PINE & MERRIMAC #2 ( Kyle Starks / Fran Galan)


Linnea et Parker ont découvert que Tabitha avait pu être emmenée sur une île au large de Jamesport et Jody les y conduit à bord de sa péniche. Sur place, ils font une découverte sordide impliquant le sénateur Lockridge en campagne pour l'élection présidentielle...


Comme promis, ,je vais vous parler du deuxième épisode (sur les cinq prévus) de Pine & Merrimac. Ce numéro m'a vraiment convaincu d'investir sur ce titre après un début très classique mais entraînant. L'intrigue prend de l'ampleur et nous plonge dans des développements inattendus.


Kyle Starks s'appuie toujours sur son duo de héros, qui sont également un couple, et joue sur leur complémentarité tout en insistant davantage sur les démons qui les hantent. Dans le premier chapitre, on apprenait que Linnea avait perdu sa soeur, kidnappée et laissée morte quand elle était encore jeune fille. Un événement suffisamment traumatisant pour faire naître sa vocation de détective d'abord au sein de la police puis au sein d'une agence privée.


De son côté, Parker a eu aussi affaire aux forces de l'ordre alors qu'il était une vedette des rings et qu'il a failli être accusé à tort d'un meurtre. Mais la sagacité de Linnea, chargée de l'affaire, et l'amour qu'ils éprouvèrent l'un pour l'autre lui a permis d'en sortir blanchi. De quoi souder les deux époux dont le fonctionnement repose sur la pugnacité de Linnea et la force de Parker.


Mais Starks ne se contente pas de brosser des portraits trop simplistes de ses héros : ainsi, les investigations de Linnea et Parker les conduisent sur une île au large de Jamesport où aurait pu être emmenée Tabitha, la jeune fille que ses parents cherchent après son enlèvement par des bikers. Le décor est magnifiquement exploité pour engendrer une ambiance angoissante et malaisante.

Fran Galan accomplit un travail somptueux en couleurs directes pour cet épisode qui se déroule entièrement en une nuit. Ses aquarelles montrent la péniche de Jody sur les flots avec un rayon lumineux qui déchirent les ténèbres environnantes. Puis, une fois sur l'île, en suivant Linnea et Parker, c'est un nuancier de bleus extraordinaire qui donne au site un aspect presque surnaturel. On est à deux doigts de penser que la série va basculer dans le fantastique.

Mais on reste dans un thriller. D'un côté, on le regrette un peu, mais ce qu'on perd sur ce plan, on le gagne sur l'intensité de ce qui suit. Starks, en refusant d'investir un registre, donne du poids à chaque découverte de ses deux héros et le lecteur est saisi comme eux, devinant plus qu'il ne sait ce qui se trame de glauque sur ce bout de terre au milieu de l'eau. Le découpage de Galan est d'une intelligence imparable, cadrant toujours justement et composant avec les premiers et second plan comme quand Linnea et Parker surprennent l'échange entre deux hommes dans la même pièce qu'eux.

Le récit s'emballe dès que nos détectives sont mis à jour et doivent fuir. Là encore, Galan accompagne de manière magistrale le mouvement, suggérant la panique qui s'empare aussi bien des fugitifs que de leurs poursuivants. On ressent de manière très physique la confusion, la peur, l'urgence, comme rarement une BD permet de la partager.

Au passage, c'est aussi dans ces pages-là que Kyle Starks creuse la caractérisation de ses personnages : Parker est écoeuré par ce qu'il a vu et corrige les malfrats moins pour les écarter de son chemin dans sa fuite que pour les punir tandis que Linnea démontre qu'elle sait réagir de façon radicale quand le danger est proche (voir le moyen qu'elle trouve pour empêcher les poursuivants de leur tirer dessus, elle et Parker, quand ils atteignent l'embarcadère).

L'intrigue, comme écrit plus haut, s'enrichit considérablement en impliquant un politicien dans un traffic sordide. Cette difficulté ajoutée rend encore plus passionnante l'histoire et préfigure les obstacles qu'auront à franchir Linnea et Parker pour faire éclater la vérité sur ce scandale. C'est palpitant.

Bref, Pine & Merrimac mérite vraiment le détour et n'a aucun mal à accrocher le lecteur qui s'y plonge. Vite la suite !

mardi 27 février 2024

MR. & MRS. SMITH : match retour


Deux inconnus, un homme et une femme, sont engagés par une mystérieuse organisation, la Compagnie, pour devenir espions et former un couple sous le nom de John et Jane Smith avec le grade d'agents "haut risque". Pour cela, ils acceptent de couper les ponts avec leurs familles. Leur première mission ; intercepter et livrer un paquet... Qui contient en vérité un gâteau... Qui explose après leur départ, tuant tous les habitants d'une villa !
 

Les missions s'enchaînent : une vente aux enchères silencieuse au cours de laquelle ils doivent capturer un acheteur, un voyage dans les Dolomites italiennes pour y surveiller un couple dont la femme est très riche et trop occupée par ses affaires, protéger Toby Hellinger à laquelle la Compagnie tient beaucoup... Mais, après être devenus plus intimes, des tensions apparaissent dans le couple Smith.


D'abord après leur rencontre avec d'autres agents de la Compagnie, plus haut gradés qu'eux, puis lors de séances auprès d'une thérapeute de couple qui les force à mettre des mots sur le malaise entre eux. les Smith décident de travailler chacun de leur côté jusqu'à ce qu'ils se trouvent à enquêter sur la même cible. Et sachant qu'au bout de trois échecs, la Compagnie les sanctionnera de la manière la plus cruelle...


En 2005, le réalisateur Doug Liman portait sur le grand écran un script de Simon Kinberg mettant en scène un couple dont chaque membre exerçait le métier d'espion sans que son partenaire le sache. Quand chacun l'apprenait, la situation déraillait complètement pour aboutir à un règlement de comptes entre eux. A l'époque, le long métrage fit surtout grand bruit car il vit la naissance du couple "Brangelina", Brad Pitt et Angelina Jolie, qui éclipsa quelque peu le résultat.


Pendant longtemps, le sujet fit l'objet de spéculations quant à une adaptation pour le petit écran sous forme de série, jusqu'à l'an dernier quand Donald Glover, la star des séries Atlanta et Communauty, aussi connu comme chanteur sous le pseudo de Childish Gambino, s'en mêla et annonça la production de huit épisodes avec pour partenaire Phoebe Waller Bridge, la créatrice et vedette de Fleabag.


Puis, sans qu'on sache vraiment pourquoi, Waller-Bridge quitta le projet et fut remplacée par Maya Erskine, comédienne remarquée dans PEN15. Prime Vidéo lançait le tournage et enfin on a pu apprécier le résultat ces dernières semaines. Alors, concluant ou pas ? Trêve de suspense : c'est une réussite !


J'avoue ne pas avoir un grand souvenir du film de Liman, sinon pour le cabotinage de Pitt et parce que je n'ai jamais apprécié Jolie comme actrice. Mais il faut avouer que le pitch était accrocheur et qu'on pouvait s'interroger sur la façon de le transposer en le découpant sur huit épisodes. Pourtant, le format est parfaitement maîtrisé et enrichit le matériau originel spectaculairement. C'est à la fois une série remplie d'action mais surtout merveilleusement caractérisée, inattendue, surprenante, s'achevant sur un cliffhanger qui donne envie d'une saison 2 le plus rapidement possible.


Donald Glover a co-créé la série avec Francesca Sloane mais ce qui fonctionne le mieux, c'est que ces deux-là n'ont pas cherché à en faire quelque chose de trop écrit, de trop rigide. On sent qu'il y a eu une large place à l'improvisation pour que le jeu de Glover et celui de Maya Erskine s'épanouisse, tous deux venant de la comédie. L'alchimie entre John et Jane Smith opère immédiatement et donne chaque épisode une densité humaine rare.


Et finalement, Mr. & Mrs. Smith se transforme, lentement mais sûrement, en une quasi-rom-com mais à l'envers. En effet, le rapprochement entre John et Jane s'accomplit plus vite qu'on l'attend (dès la fin du deuxième épisode). Et ensuite jusqu'à l'épisode 5, on assiste à l'évolution et l'épanouissement de ces deux-là, qui s'étaient pourtant juré de ne pas mélanger les affaires et le plaisir, affirmant même qu'ils n'avaient pas signé pour une romance.

De façon très subtile, entre deux scènes mouvementées, le téléspectateur assiste pourtant à des coups de canif dans le contrat. Par exemple, dans l'épisode 3, John et Jane doivent se séparer pour surveiller chacun une femme d'affaires et son mari qui ne se parlent plus et dont le jeune fils assiste à leurs disputes en se réfugiant dans le jeu vidéo sur sa console électronique. La femme est victime d'une tentative d'enlèvement et, bien que rien ne l'y oblige, John décide de lui venir en aide. Il abat plusieurs ravisseurs et doit affronter des tueurs. Jane le rejoint et le ramène à leur chambre d'hôtel. C'est tendu car elle lui en veut de s'être écarté du plan alors que lui ne pouvait se contenter de regarder sans rien faire.

Par la suite, Jane révèlera un comportement de plus en plus dirigiste, jusqu'à s'attribuer tous les mérites. La Compagnie, qui ne communique avec ses agents que via une messagerie électronique, s'en rend compte et propose à le jeune femme de changer son binôme si elle le souhaite. C'est tentant car à ce moment-là John a évoqué la possibilité de fonder une famille avec elle tout en s'agaçant de son attitude trop détachée.

La seconde partie de la saison montre les Smith face à leur pire ennemi, dans leur mission la plus délicate : face à eux-mêmes, et ça ne va plus du tout. Ils consultent une thérapeute qui ne fait que mettre en évidence leurs divergences, au point qu'ils conviennent de ne plus travailler ensemble. Malgré ça, il faut bien faire car au bout de trois échecs, la Compagnie a prévenu que des sanctions tomberaient. Mais John et Jane sont loin de se douter de ce que ça signifie - ils négligent même cet avertissement, se repliant sur leur idée initiale : se faire assez d'argent pour démissionner quand ils en auront envie et refaire leur vie ailleurs...

Le dernier épisode, sans spoiler, est le plus proche de qu'était le film (du moins dans mon souvenir, et je le répète, celui-ci n'est pas fiable). Toutefois, les showrunners avaient visiblement prévu de ne pas fermer la porte à une saison 2 -et ils ont eu raison, puisque la saison 1 a été un succès - d'où un cliffhanger bien crispant comme il se doit, après lequel on exige de nouveaux épisodes très vite (mais même en étant raisonnable, il faudra attendre 2025 au moins).

Chaque épisode fonctionne comme un one-shot et en même temps les huit chapitres forment un tout composite, compact, sans temps mort, inventif, sensible, remarquablement écrit et réalisé. Mais surtout s'appuyant sur des guest-stars impeccables et un duo vedette exceptionnel. Le premier épisode s'ouvre avec une scène avec Alexander Skarsgard et Eiza Gonzalez, puis on croise John Turturro, Billy Campbell, Sarah Paulson, Ron Perlman, Ursula Corbero, Michaela Coel, Parker Posey, Paul Dano, que du beau monde, particulièrement bien exploité (avec quand même une mention à Sarah Paulson, irrésistible en psy et le tandem Parker Posey-Wagner Moura en agents "super haut risque").

L'alchimie entre deux acteurs est quelque chose d'imprévisible et délicat. Si ça ne fonctionne pas immédiatement, c'est un désastre irrattrapable. Mais même si on ne saura jamais ce qu'aurait donné le couple Glover-Waller Bridge, on sait que Donald Glover et Maya Erskine sont plus que parfaits. Il y a un mélange d'improbabilité et de charme incroyable entre eux, plusieurs fois on les observe et on remarque leur gêne, leur embarras, leur maladresse, et en même temps, miraculeusement, leur complémentarité, leur complicité, cette harmonie uniques entre eux. C'est franchement enchanteur.

Oubliez le film. Préférez la série. C'est un bijou de plus dans le catalogue de Prime Vidéo.

lundi 26 février 2024

G.O.D.S. #5 (Jonathan Hickman / Valerio Schiti)


Dimitri a disparu. Mais Wyn sait où il est et il sollicite l'aide de mIa pour le récupérer. Saviez-vouq qu'il existe une curieuse clinique où les infirmières attirent des hommes pour leur faire subir un test terrifiant servant à décrypter une énigme ? Vous n'aurez pas envie d'y mettre les pieds...


Je vous ai dit, je veux dire : clairement dit, que G.O.D.S. est ma série préférée actuellement, tous éditeurs confondus. Et pourtant, il y a quelques années, vous évoquiez devant moi le nom de Jonathan Hickman et je faisais la grimace. Que s'est-il passé depuis ?


HoX / PoX évidemment. Mais pas que. Non, avec Decorum (sa série chez Image, dessinée par Mike Huddleston - pas le truc le plus facile à lire mais quand même une sacrée expérience), j'ai découvert que Hickman avait de l'humour, qu'il avait de l'auto-dérision, et qu'il aimait ses personnages. Ce qui n'avait rien d'évident puisque lui-même se présentait volontiers comme un world-builder, avec des intrigues planifiées sur des années, l'archétype du story-driven writer, un peu suffisant.


Et tout ça, je l'ai retrouvé dans G.O.D.S., qui est un comic-book sophistiqué, "Hickmanien" au possible, avec une intrigue touffue, des ramifications multiples, qui joue avec l'univers, le panthéon Marvel, en lui ajoutant des éléments de sa création. Mais qui, comme Decorum, affiche un amour pour ses héros, les caractérise merveilleusement, les fait interagir de manière ludique et maline, et qui finalement donne à lire le meilleur des deux mondes, comme si du comics indé avait infiltré Marvel. Et si ça vous rappelle quelque chose, ne cherchez pas trop loin : oui, c'est comme quand Matt Fraction et David Aja produisait Hawkeye.


Ce que j'aime aussi dans G.O.D.S., et que ce cinquième épisode illustre à merveille, c'est que Hickman ne dit que ce qui est nécessaire à la compréhension de chaque épisode et en même temps suffisamment pour avoir envie de creuser avec lui ce projet, ces personnages, cet univers. Bien entendu, on peut s'étonner de découvrir des organisations comme le Pouvoir-en-place et l'Ordre-naturel-des-choses, qui régissent les forces essentielles de l'univers Marvel, sans qu'on en ait entendu parler auparavant. Mais voyez la chose autrement et elle prend tout son sens.

Dans Decorum, j'y reviens, il était question d'assassins professionnels dans un contexte de space opera, et on distinguait l'élite de ces assassins par l'élégance avec laquelle ils exécutaient leurs contrats, le decorum donc. Personne ne savait où ils étaient formés, ni comment, malgré des forces supérieures censés tout savoir sur tout, mais ils étaient redoutés, respectés. Au fond, ce n'est pas le fait qu'ils soient connus ou pas qui importait, mais bien le fait que leurs actions pesaient quand leurs services étaient requis.

Hé bien, avec G.O.D.S., c'est pareil. Voyez le Pouvoir-en-place et l'Ordre-naturel-des-choses comme des officines, comme des agences d'espions. Personne ne sait où ils sont, ni quand ils frappent, ni depuis combien de temps ils existent, ni qui ils servent, mais justement leur efficacité passe par le secret de leur existence. tant qu'on ne sait rien sur eux, c'est qu'ils ont bien fait leur boulot. Pour la représentation, il y a des magiciens et des savants connus de tous : Dr. Strange, Dr. Fatalis, Amadeus Cho, Mr. Fantastic, Black Panther, etc. Mais ceux qui tirent vraiment les ficelles, veillent au grain, ce sont ceux du Pouvoir-en-place et de l'Ordre-naturel-des-choses, Wyn Aiko, Saint-Maur Cercle, Dimitri, Mia, et un panthéon d'entités surpuissantes (plus encore que Thor, Loki, les Eternels, etc).

Hickman a construit sa série jusque-là en évoquant New Gods de Jack Kirby : chaque organisation a en son sein un apprenti de la partie adverse - Wyn avec Dimitri, Aiko avec Mia. Comme une garantie de paix mais aussi comme un sujet d'études. Cet épisode va montrer ce qu'il en coûte à ces apprentis d'être ainsi adoptés par le camp opposé et le prix est accablant de cruauté.

Pour le reste, ça fonctionne comme un one-shot aux allures de braquage : il faut entrer dans une clinique, récupérer Dimitri, décrypter une énigme, mais aussi mettre en garde des cygnes noirs (tiens, tiens, voilà une appellation familière dans le "Hickman-verse"...). C'est drôle, palpitant, dialogué en orfèvre, du nectar des dieux. Bon sang, après ça, plus personne, surtout pas l'ancien moi qui détestait Hickman pour son côté pompeux, ne peut détester ce scénariste, si facétieux - comme transformé, comme s'il avait décidé de s'amuser et de nous amuser. Quoi de plus fun, de plus cool que d'être diverti par quelqu'un de si intelligent ?

En plus, G.O.D.S. est dessiné par celui qui est devenu mon artiste préféré, Valerio Schiti. Oh, bien sûr, il y a toujours Samnee dans mon coeur (mais il a gâché tant de temps sur Fire Power), Mora (ce bestiau incroyable), Smallwood, Fornes, Larraz, Immonen, Bachalo... Mais Schiti, bon dieu, quel talent ! Voilà un narrateur graphique, qui comprend ce qu'un script veut dire, qui sait qu'il faut le servir avec humilité mais aussi l'augmenter, le "plusser".

L'épisode s'ouvre par une séquence complètement déroutante avec l'entretien que passe un inconnu, entrecoupé par le récit d'une fable (dont on saisit le sens à la fin). Puis on retrouve Wyn, Mia, on retombe sur nos pattes et la suite est jubilatoire parce que visuellement d'une intelligence et d'une puissance remarquable. C'est formidablement grisant de lire des planches comme celles de Schiti parce que cet artiste n'a pas peur, ni d'Hickman, ni de l'ambition de la série, ni de l'investissement qu'elle exige. Il y va à fond.

Son dessin a considérablement gagné en densité, en texture - comparez ces pages actuelles avec celles de ses Gardiens de la Galaxie. Du coup, il se permet des effets, de découpage, de composition, de lumière et d'ombre. Chaque scène est interprétée graphiquement au maximum de ce qu'elle dit, chaque effet est dosé, pesé. C'est vraiment bon. C'est pas seulement bon, c'est très bon. En fait c'est la différence avec Mora : Mora est puissant, il est énergique, tout en force, c'est étincelant. Mais Schiti est énergique et subtil. Il varie ses coups, ses effets, bien plus que Mora, et du coup, comme en plus il dessine sur du Hickman, c'est comme écouter un virtuose non pas simplement jouer la partition, mais la faire vibrer.

Bon, y a aussi Marte Gracia aux couleurs, ça ne gâche rien. Tout est si parfaitement fait dans G.O.D.S. qu'on se demanderait presque si le titre désigne des dieux ou l'équipe artistique.

La série va se terminer bientôt, au n°8. Mais je ne crois pas que ce sera la fin. Je pense plutôt à une pause, un break, pour laisser souffler Schiti. Hickman veut le garder pour tous les épisodes et comme Marvel passe tout à Hickman, il a obtenu que la série s'interrompe quelques mois (même si on ne sait rien de la date de son retour). Et ça aussi, c'est un peu de l'esprit indé dans un comic-book Marvel, qui publie des mensuels coûte que coûte - sauf avec Hickman, qui a convaincu que c'était mieux avec Schiti et quelques mois sans épisodes qu'avec un fill-in sans arrêt. Je peux lme tromper, remarquez, ce sera peut-être la fin, mais si je n'y crois pas, c'est parce que, comme avec Decorum, Hickman a lancé un truc si riche, si plein de potentiel, avec des nouveaux personnages si denses, que ça m'étonnerait beaucoup qu'il ait tout dit en huit épisodes.

Ah, au fait, le recueil de ces huit épisodes sera dispo en vo le 24 Août prochain. Marquez ça sur vos achats à venir. Ou attendez la vf en Automne puisque Panini traduira ça à ce moment (même si je ne sais pas sous quelle forme, n'achetant plus rien en vf chez eux). Parce que G.O.D.S., bon sang, c'est un gros kif, vous allez adorer !

BATMAN - SUPERMAN : WORLD'S FINEST #24 (Mark Waid / Dan Mora)


Darkseid est arrivé sur la Terre 22. Son objectif : extraire de Gog l'équation d'anti-vie. Les héros sur place pourront-ils l'en empêcher ? Et Superman et Batman de Terre 1 réussiront-ils à en empêcher le jugement dernier ?
 

Inutile de se cacher derrière son petit doigt : la lecture de cet arc a été laborieuse. Mais ce n'est pas vraiment la faute de Mark Waid et de Dan Mora, qui ont réalisé une prestation irréprochable ? Non, je suis entièrement responsable. Et d'ailleurs parlons-en, de la responsabilité du lecteur-critique.


Je ne vais pas spoiler évidemment le dénouement de cette histoire, sachez seulement qu'il est épique et subtil à la fois, on a droit à des scènes d'action très musclées et aussi à une réflexion intelligente sur ce qui fait un héros. Par rapport à Kingdom Come, c'est une préquelle nuancée et bien construite, qui respecte totalement le récit de Waid et Alex Ross. En revanche, pour Thy Kingdom Come, sa suite dans les pages de Justice Society of America par Geoff Johns et Ross, on peut clairement dire que Waid s'en fiche, ce n'est pas son affaire et on le devine pas ce qu'il aurait imaginé (même s'il récupère Gog au passage). Mais c'était attendu puisque Waid et Ross s'étaient déjà fâchés quand le premier avait voulu développer les conséquences de Kingdom Come avec les spin-off intitulés The Kingdom (Ross les ayant désavoués).


Non, le problème que j'ai rencontré en lisant ces épisodes, c'est que j'ai d'abord cru à une séquelle, puis j'ai été perdu, puis j'ai enfin compris qu'il s'agit d'une histoire antérieure à Kingdom Come. Du coup, j'ai eu le sentiment permanent et désagréable de courir après ce que racontait Waid, impossible dès lors d'apprécier pleinement le propos.


Mais je le répète, c'est ma faute, c'est ma responsabilité. Et c'est parce que, tout connement, j'ai lu trop de comics. Déjà le mois dernier, j'ouvrais 2024 en signant une entrée dans laquelle je vous prévenais, chers lecteurs, de mon intention de faire évoluer ce blog, dans la forme et le fond. Bon, sur la forme, je n'ai pas eu les bonnes idées ou en tout cas, je n'ai pas su correctement les traiter et donc je les ai abandonnées (au moins pour l'instant).

Sur le fond, mon souci, c'était, déjà, que j'avais l'impression de consommer trop et d'avoir parfois du mal à tout suivre, à tout savourer. Du coup, j'ai réduit la voilure en cessant de suivre des titres, notamment ceux auxquels j'accrochais le moins, que je lisais en me forçant un peu (Wonder Woman, Daredevil...). Mais ça n'a pas suffi. Je crois qu'il faut que je lâche encore un peu de lest et que je lise moins et que j'écrive moins par devoir (Fall of the House of X et Rise of the Powers of X vont certainement passer à la trappe).

Comment dire ?... J'ai du mal en ce moment. Je ne vais pas me plaindre en disant que c'est difficile, car, non, ce serait indécent, déplacé de dire que c'est difficile d'écrire des critiques de comics (et de séries, de films). Si je les écris, c'est parce que j'ai le temps, l'envie, personne ne me force, donc je m'interdis de me plaindre à ce sujet. Non, c'est différent. Le problème, c'est, je crois, que je ne lis pas assez choses différentes, assez variées. Je le sens bien : il y a un manque d'inspiration générale, parfois parce que les comics ne me comblent pas, parfois aussi parce que je ne sais tout simplement pas/plus quoi dire. Et pour couronner le tout, j'ai eu cette grippe qui m'a pourri la vie pendant quinze jours, qui m'a mis à plat, mais j'ai voulu continuer malgré tout et j'ai parfois dû écrire des trucs pas fameux.

A cet égard, Batman - Superman : World's Finest est un test remarquable sur la responsabilité du lecteur et critique que je suis. Voilà un titre que j'apprécie de lire chaque mois, qui est réalisé par un scénariste et un dessinateur de talent. Vraiment, c'est de la belle ouvrage. Mais c'est aussi une synthèse de ce que propose le genre super héroïque. Et je crois que quand on a du mal avec un comic-book aussi facile, alors le reste en pâtit forcément. C'est comme un indice. Et ma responsabilité est alertée par cet indice. Si on n'écrit pas facilement sur une série pareille, alors c'est que ça va pas. Que rien ne va en somme. Bon, c'est pas une maladie incurable non plus, c'est pas la fin de tout, mais ça alerte.

J'ai bien conscience qu'un blog devient une sorte d'endroit, d'espace où les visiteurs et abonnés viennent chercher quelque chose de précis. Si vous appelez votre blog "Mystery Comics", bon, ben, ça doit au minimum parler comics, de façon intelligible et honnête. Et moi, je triche un peu, beaucoup, en y ajoutant des séries télé, des films. Aujourd'hui, si je devais baptiser ce blog, j'enlèverai le mot "comics" du titre pour quelque chose de plus vague, de plus généraliste (Mysterious Ways" comme la chanson de U2 ?). Ce serait plus adéquat. Mais bon, je vais pas créer un nouveau blog pour ça. Je vais faire avec et de toute façon, je vois bien que le nombre de vues pour une entrée non comics est très inférieur à celle pour un comic-book : je ne vous en veux pas, c'est vrai que ça reste bizarre de tomber sur la critique d'une série télé ou d'un film dans un blog comics.

Mais je m'égare : les super-héros ne sont pas un problème en soi, j'aime toujours lire leurs comics, je ne suis pas comme ces youtubeurs qui décident de retourner leur veste pour parler manga parce que c'est moins cher ou qu'ils en ont marre de la politique vf de Panini et compagnie (de toute façon, j'achète quasi plus de vf, donc je m'en fiche). Je continuerai à parler de super héros. Mais aussi d'autres choses, peut-être pour un moment seulement, parce qu'il y a des séries que j'ai envie de lire et sur lesquelles j'ai envie d'écrire, toujours des trucs ricains. Non, ça ne me fera certainement pas gagner des vues, ça va peut-être même faire fuir certains, on verra.

Et puis, avec le jeu des sollicitations des éditeurs, on voit ce qui va bouger dans les mois à venir. Les parutions prévues pour Mai viennent de tomber et par exemple, deux infos m'ont tapé dans l'oeil : G.O.D.S. chez Marvel va cesser au n°8 (pas une annulation, je pense, mais plutôt une pause parce que Hickman doit vouloir garder absolument Schiti au dessin et donc le laisser souffler), et DC a annoncé son event estival, Absolute Power. Justement, il sera écrit par Mark Waid (la saga principale en quatre parties mais également tous les tie-in, soit la bagatelle de 25 épisodes !) et dessiné par Dan Mora (ce qui explique maintenant pourquoi ils ont laissé tomber Shazam !). Comme la Justice League sera au coeur de cet event, je pense qu'on va avoir, à l'issue de tout ça, le retour d'une série régulière sur la JL, peut-être par Waid et Mora (en tout cas, j'aimerai, même si ça signifierait qu'ils quittent World's Finest).

D'ici cet été, on aura aussi droit à la refonte de la franchise X-Men, sous la direction de Tom Brevoort, et j'attends de voir les auteurs impliqués pour savoir si je suivrai ça. La lecture de choses comme Somna, If you find this I'm already dead, Masterpiece ou Pine & Merrimac m'a donné envie de surveiller les indés avec des choses comme Helen of Wyndhorn (le nouveau projet de Tom King et Bilquis Evely chez Dark Horse), je suis tenté par l'expérience The One Hand et The Six Fingers (deux séries qui se répondent chez Image), Ghostlore (chez Boom !)...

Evidemment, d'un côté, je dis que je vais moins lire, moins suivre de titres, et me voilà, de l'autre, à déclarer que j'ai envie de lire plein de trucs à la place, c'est pas cohérent. Mais ce sont des projets. Faut d'abord que j'essaie de lire et ensuite je verrai si ça me plait, si j'en parle, si j'ai l'inspiration pour en parler. Surtout, ça signifie que je n'ai pas l'intention d'ajouter des nouveautés super héroïques à mon programme.
    

J'ai triché : je n'ai pas vraiment parlé de World's Finest #24, mais de toute façon c'est toujours délicat de commenter le dernier épisode d'un arc, par peur de spoiler. Il est très bon en tout cas, cet épisode, et quand le recueil sera dispo, je relirai cet arc au calme, avec la certitude qu'il le plaira davantage. Je suis sûr que ça fera le même effet à beaucoup d'autres fans.

dimanche 25 février 2024

Que trouve-t-on UNDER THE SILVER LAKE ?


Los Angeles. Eté 2011. Sam, la trentaine, est sans emploi et son propriétaire le menace d'expulsion. Il ne cherche pas  d'emploi et passe ses journées à épier ses voisines, comme celle qui habite en face de chez lui avec un perroquet et s'exhibe seins nus sur son balcon. Puis il remarque une nouvelle locataire, plus jeune, Sarah, dont la beauté le subjugue. A la télé, les infos évoquent la disparition intrigante du riche Jefferson Evence. Sam aborde Sarah qui l'invite chez elle pour regarder "Comment épouser un millionnaire ?". Ils flirtent mais leur soirée est interrompue par l'arrivée des co-locataires de la jeune femme.


Le lendemain matin, Sam découvre que l'appartement de le jeune femme est désert et il se renseigne auprès du propriétaire qui sait seulement qu'elle a déménagé avec ses amies dans la nuit.. Sam remarque ensuite une jeune femme qui entre dans l'appartement de Sarah pour y prendre quelques affaires restantes et il la suit, d'abord à pied puis en voiture à travers la ville, jusque dans la soirée à une fête où est présente Millicent, la fille de Jefferson Evence.


Sam assiste au concert du groupe Jesus et les fiancées de Dracula et rencontre une danseuse qui lui donne un gâteau qui lui servira à entrer dans une autre fête donnée le lendemain dans un cimetière de Hollywood. Obsédé par la disparition inexplicable de Sarah et déjà adepte des théories du complot, Sam cherche des indices partout autour de lui pour la retrouver. Il fait de multiples rencontres dans ses investigations comme avec Comic-Man, qui édite un fanzine et lui remet un exemplaire du guide des vagabonds, revoit la danseuse, décrypte les paroles de la chansons du groupe Jésus et les fiancées de Dracula...


Celles-ci le conduisent à un observatoire où il est abordé par le roi des vagabonds qui l'entraîne, les yeux bandés, dans un abri atomique. Plus tard, dans ses recherches, il découvrira que d'autres refuges du même type sont achetés par de riches excentriques voulant de protéger de la fin du monde et qui aurait entraîné Sarah dans son délire. Mais Sam écoutera les histoires d'un compositeur affirmant comment depuis des décennies, à travers des tubes musicaux, il a influencé la pop culture et manipulé les foules...


Il y a quelque temps j'ai écrit une critique du film Eileen avec Thomasin McKenzie et Anne Hathaway en relevant ses références au film noir classique. En 2001, David Lynch sortait son avant-dernier film, le mythique Mulholland Drive, considéré par beaucoup comme le dernier grand film noir, une sorte d'équivalent au Impitoyable de Clint Eastwood pour le western. 


David Robert Mitchell s'est fait remarqué en 2014 avec It Follows, qui était déjà une sorte de revisite du film d'épouvante avec une métaphore sur le passage à l'âge adulte : un exercice de style brillant, flippant et mémorable. Quatre ans après, il est revenu avec Under the Silver Lake, long métrage ambitieux, qui s'inscrit franchement dans le sillage de Mulholland Drive, dont il se veut à la fois le prolongement et la terminaison. Un pari fou. Et réussi ?


Si Lynch explorait les fantômes de Hollywood à travers la romance entre une jeune aspirante actrice et une amnésique dans un cauchemar tortueux, Mitchell choisit un trentaine comme pseudo-détective privé de son post-polar. C'est moins flamboyant mais plus raccord avec le phénomène des hipsters qui apparut au début des années 2010, avant la gentrification du quartier de Los Angeles où se déroule son histoire et qui est remarquable pour son réservoir d'eau, le fameux Silver Lake (le lac argenté).

Sam est un glandeur qui ne sort de chez lui que pour aller faire quelques courses ou voir ses rares amis. Sans emploi, il ne paie plus son loyer et est sous la menace d'une expulsion. Il passe le restant de ses journées à espionner sa voisine exhibitionniste, une femme d'âge mûr qui se balade seins nus sur son balcon, quand il ne lit pas des ouvrages consacrés à la théorie des complots. Lui-même a une sérieuse tendance à voir des signes cachés partout et tente de les décoder comme s'ils pouvaient le prévenir d'une catastrophe à venir.

Le bouleversement survient avec Sarah, une nouvelle voisine qui le subjugue : blonde, la silhouette d'une top-model, déambulant en bikini blanc, elle sympathise avec lui et l'invite même à voir un film chez elle en partageant un joint. Mais elle disparaît littéralement du jour au lendemain. Pour Sam, c'est un choc, un chagrin et aussi le prétexte à mener une enquête où sa connaissance des signes cryptés lui sera enfin utile.

L'intrigue est filandreuse à souhait. Sam rencontre des individus farfelus mais ses investigations sont particulièrement décousues. En vérité, il erre sans savoir où il va, si la piste qu'il suit est la bonne. C'est un mélange drôle et inquiétant de personnages et d'endroits qu'il croise et traverse. Son parcours ressemble davantage à celui d'une boule de flipper qui rebondirait aléatoirement et parfois, miraculeusement, irait juste dans la bonne direction.

C'est ce qui fait à la fois la qualité, le charme, mais aussi le défaut, l'artificialité, du film. Contrairement à Lynch qui semblait lui aussi improvisait son intrigue comme un musicien de free-jazz mais construisait en réalité un puzzle brillant et envoûtant, Mitchell s'appuie un peu trop sur la complicité su spectateur qui n'est plus dupe (puisqu'il a déjà vu un objet semblable). Du coup, cette déambulation est parfois longuette, ses références un peu trop prononcées. Par exemple, on y trouve une belle blonde fantomatique (Sarah) mais aussi une brune fatale (Millicent), comme des répliques des héroïnes de Lynch, non plus liées (sinon par un personnage de second plan) mais présentes aux deux extrémités de l'histoire (au début et à la fin).

On préfère presque quand le cinéaste évoque directement des motifs lynchiens comme avec le personnage du compositeur reclus dans sa villa et qui explique comment, à travers ses chansons les plus populaires depuis des décennies (des siècles ?), il manipule les masses et invente donc de toutes pièces une mythologie pour des geeks crédules comme Sam. Ce vieillard sort directement de la filmographie de Lynch, renvoyant à ces figures les plus flippantes (comme Dennis Hopper dans Blue Velvet), et la scène, très longue, s'achève dans un éclat de violence qui a quelque chose d'à la fois terrifiant et de libérateur.

Au fond, que le dénouement soit clair et absurde n'a que peu d'importance. On a compris que le voyage - le trip ! - importait plus que la destination. Sam accomplit ce périple en sachant que la fin ne sera pas heureuse mais qu'elle lui permettra d'accéder à un nouveau palier de son existence. A cet égard, quand, enfin, il rentre chez lui, il est étonnamment plus tranquille, serein, apaisé, malgré la peine qu'il vient d'éprouver et le calvaire qu'il a enduré lors de son étrange odyssée.

La réalisation est inspirée dans sa manière de créer cette ambiance cotonneuse, somnambulique et le film aurait pu durer une heure de plus ou de moins sans qu'on voit vraiment la différence. On sent plus quelques longueurs par moments, dans des scènes un peu trop insistantes (quand l'ami de Sam épie avec un drone une jeune femme, répétition du propre geste du héros) ou en voulant justifier certaines pistes grotesques (le paquet de céréales de Comic-Man).

Le casting comporte peu de visages connus, même s'il est amusant de repérer la toute jeune Sydney Sweeney (une des bombes de la série Euphoria, alors à ses débuts). Riley Keough n'a que peu de temps de présence à l'écran mais réussit à faire de Sarah cette fille inoubliable pour le héros. Et Andrew Garfield, justement, est formidable en type qui se trouve un objectif dans la vie, promenant son air constamment endormi et fiévreux à la fois, sorte de néo-Ulysse dans ce Los Angeles aux façades dissimulant des secrets idiots ou glaçants.

Under the Silver Lake n'égale donc pas Mulholland Drive et échoue à en être le prolongement terminal. Mais le film de David Robert Mitchell est un long métrage singulier, suffisamment pour se détacher du lot et séduire, non pas malgré mais plutôt grâce à ses défauts.

samedi 24 février 2024

PINE & MERRIMAC #1 (Kyle Starks / Fran Galan)

 

A Jamesport, Missouri, à l'angle des rues Pine et Merrimac, se trouve l'agence d'enquêtes privées de Linnea et Parker Kent. Elle est une ancienne flic qui a perdu sa soeur, assassinée durant leur enfance. Lui un ancien lutteur. Lorsqu'un couple vient leur demander de retrouver Tabitha, leur fille, Linnea accepte l'affaire malgré les souvenirs qu'elle fait remonter en elle...



J'avais acheté ce premier épisode le mois dernier, lors de sa sortie, mais je l'ai gardé sous le coude en attendant de voir ce que donnerait le deuxième numéro pour savoir si j'allais en tirer des critiques. Et je peux vous dire que je vais vous reparler de Pine & Merrimac dès la semaine prochaine et par la suite car c'est un gros coup de coeur.


J'avais vu ici et là (La mini Assassin Nation, des apparitions aux générique de Batman : The Brave and the Bold) le nom de Kyle Starks, scénarite et co-créateur de cette série, mais c'est surtout Fran Galan qui m'a motivé à acheter Pine & Merrimac. En effet, l'an dernier, Marvel avait publié un one-shot, Werewolf by Night, illustré par l'artiste espagnol, qui avait été une de mes lectures favorites et j'étais impatient de savoir où Galan rebondirait.
 

Boom ! Studios est une maison d'édition indépendante qui propose des choses très intéressantes et dont le succès de Something is killing the children (et ses spin-off) de James Tynion IV et Werther Dell'Edera a mis en lumière le reste de son catalogue. Cette fois, il s'agit d'un polar à l'ancienne sur un couple de détectives privés dont le titre pourrait faire croire qu'il s'ait de leur identité alors qu'en vérité cela désigne l'adresse de leur agence à Jamesport dans le Missouri.
 

Dans ce décor loin des métropoles américaines, on suit donc Linnea et Parker. Leur passé est résumé au début du premier épisode, de manière rapide mais claire : elle est une ancienne flic qui a vécu un drame durant son enfance (sa soeur a été enlevée et retrouvée morte) puis qui a rencontré son futur mari, lutteur, lors d'une enquête. Ils se sont mariés et reconvertis en enquêteurs. La plupart de leurs dossiers concernent des affaires d'adultère.

Jusqu'à ce qu'un couple vienne leur demander de retrouver leur fille, Tabitha, disparue. Même si Linnea s'est jurée de ne jamais accepter ce genre d'investigations, elle ne résiste pas à l'envie de réconforter ces parents. Avec Parker, elle remonte la piste de bikers qui évoquent une île voisine où il se passerait de drôles de choses...

Kyle Starks ne cherche pas à réinventer la roue. L'intrigue démarre de su des bases très classiques : les deux héros sont un peu la tête (Linnea) et les jambes (ou les muscles - Parker). Le cadre de Jamesport fournit un environnement a priori paisible et sans histoire mais cachant en réalité des secrets glauques. Les enquêtes du couple leur valent la rancune des gens dont ils ont mis à jour les tares, mais aussi des amitiés solides, notamment avec leur voisin, Jody, qui tient un stock de surplus militaire, une sorte de bazar avec des articles à bas prix.

La caractérisation des personnages est elle aussi basique : Linnea est une femme qui a traversé des choses dures mais que sa silhouette frêle ne laisse pas deviner. Parker est un type un peu rustre mais follement épris de sa femme et dont l'expérience du ring fait un partenaire utile quand l'ambiance se met à chauffer. Les parents de Tabitha sont des gens ordinaires frappés par un drame auquel nul ne peut rester insensible.

On est donc dans un épisode d'exposition, où les protagonistes et le décor sont présentés. Mais le rythme file à toute allure, c'est un vrai page-turner, très efficace et quand on arrive à la fin de ce premier chapitre (pour l'instant, les auteurs se gardent de dire si le titre sera une série limitée ou une ongoing, attendant de voir comment il sera accueilli par les lecteurs, mais les ventes sont excellentes donc tous les espoirs sont permis), on a envie de lire la suite car on s'est attaché sans difficulté aux héros.

Fran Galan assure le dessin et sa colorisation et le résultat est aussi beau que sur Werewolf by Night. S'il est impossible d'être catégorique sur la technique employée, vu les ressources actuelles de l'infographie qui permet de copier n'importe quoi, il me semble quand même évident que Galan dessine sans encrage et utilise de l'aquarelle ensuite. Ce qui suppose une compétence très solide car évidemment on ne peut pas rattraper ce qu'on a raté : soit la planche est parfaitement exécutée, soit il faut la refaire entièrement.

Galan ne s'inscrit pas dans un registre purement réaliste, il exagère subtilement les proportions, les expressions, souligne les physionomies, accentue les perspectives, ce qui ajoutent au dynamisme de l'ensemble. Le rôle joué par les lumières et les ombres est déterminant et magnifiquement accompli. C'est impressionnant et Kyle Starks sait qu'il dispose d'un artiste de première classe, à même de transcender son script.

Au risque de me répéter et de paraître prudent, Pine & Merrimac est très classique, mais surtout possède un fort potentiel, de quoi en faire un sleeper, le titre que personne n'attend et qui conquiert une fan base de fidèles supporters. Alors, ne passez pas à côté et rejoignez la bande !

vendredi 23 février 2024

ULTIMATE SPIDER-MAN #2 ( Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Peter Parker a donc hérité des pouvoirs de Spider-Man et d'un costume ad hoc grâce à Tony Stark/Iron Lad. Le Daily Bugle, dirigé par Wilson Fisk, tout comme Ben Parker et J. Jonah Jameson s'interrogent sur la présence de cet individu masqué mais aussi de l'agresseur de Fisk. Et bientôt quelqu'un est au courant du secret de Peter...


Je me rappelle que, lorsque Brian Michael Bendis avait réécrit les origines de Spider-Man dans la première version de Ultimate Spider-Man en 2000, ses détracteurs lui reprochaient déjà de prendre son temps alors que Stan Lee et Steve Ditko avaient réglé ça en 18 pages. Nous étions alors en plein règne de la narration décompressée, une façon de faire qui allait marquer la décennie suivante et qui continue d'influencer le style de nombreux auteurs actuels.


Soyons honnêtes : ceux qui n'aiment pas la narration décompressée lisent quand même des comics écrits ainsi et plébiscitent des scénaristes qui la pratiquent (Warren Ellis fut un des premiers à la développer dans Stormwatch et The Auhority, et sur un plan strictement artistique Ellis demeure une référence peu discutée). Faire aujourd'hui, comme il y a un quart de siècle, le procès de la narration décompressée, c'est un peu comme avancer contre le vent ou refuser l'existence d'un courant d'écriture qui s'est imposé.


Autrement dit : Jonathan Hickman applique dans son Ultimate Spider-Man une narration décompressée. Il prend son temps, et certains diront même qu'il joue la montre. Ce deuxième épisode montre certes Spider-Man de la Terre 6160 en action, mais le développement de l'intrigue se fait à pas comptés, sans précipitation. L'auteur en est encore à questionner la validité même de son héros. Et en fait, on peut se demander si ce n'est pas ça d'abord, le sujet de cette nouvelle version : est-ce qu'en se découvrant des pouvoirs on devient automatiquement, naturellement un héros ? Ou bien s'interroge-t-on sur le fait qu'on soit fait pour cette vie ?


Dans le cas de ce Peter Parker, ces interrogations sont d'autant plus pertinentes qu'il est plus âgé que le Peter Parker de la Terre 616, qu'il est marié (et n'a pas encore révélé à Mary Jane Watson ce qu'il est devenu) et père de famille. On peut admettre, honnêtement, qu'il se demande s'il est fait pour ça, pour être un super héros, pour être Spider-Man (il n'a même pas imaginé son pseudonyme).

Hickman enfonce même le clou jusqu'à le montrer à la fois à son avantage, découvrant les capacités que lui donnent la morsure de l'araignée (il est plus fort, plus agile, plus rapide, plus endurant), mais aussi très emprunté, maladroit, gauche, voire pathétique (quand il rencontre à deux reprises le Shocker qui lui flanque une dérouillée en profitant de sa naïveté). En tout cas, il est très loin de s'impliquer dans des affaires plus compliquées, comme enquêter sur Wilson Fisk, ce Bouffon Vert qui l'attaque, et encore moins le complot contre lequel Iron Lad et ses Ultimates combattent.

Dans deux échanges, savoureusement dialogués, d'abord entre Ben et Jonah puis Fisk et un certain Mr. Britain (un membre du cercle du Créateur, certainement Brian Braddock, le Captain Britain de cette Terre), on mesure à quel point ce proto-Spider-Man et ce proto-Green Goblin sont des couvertures. Des histoires dans l'histoire. Pour Fisk, il s'agit de se servir de ce Spider-Man qui ne dit pas son nom pour dissimuler les attaques dont il est la cible de la part du Bouffon Vert. Pour Ben et Jonah, le Bouffon Vert est un sujet car il s'intéresse à Fisk tandis que Spider-Man est une distraction (dont Fisk se sert pour couvrir les agressions dont il est la victime). Hickman nous fournit une grille de lecture à son propre scénario, mais sans condescendance.

Marco Checchetto a pour tâche de donner corps à cela, c'est-à-dire de donner vie et chair à ce qui pourrait pour l'instant se limiter à des concepts, des idées. Son style s'y prête merveilleusement dans la mesure où son expérience des super-héros, dont il a dessiné un paquet d'aventures depuis qu'il est chez Marvel (et notamment sous la direction de Hickman) lui permet de produire des planches aux images fortes, intenses, dans des compositions dynamiques et des postures iconiques.

Même si Spider-Man est maladroit, on devine aisément son potentiel et on suit avec plaisir son apprentissage. Tout le monde en vérité dans ce début de série est engagé dans un parcours initiatique : Peter apprend à devenir ce dont on l'a privé, le Bouffon Vert n'est pas clairement un super vilain, Fisk se prend pour un roi en étant malgré tout débordé par ce qu'il subit, Ben Parker et J. Jonah Jameson doivent trouver un nom à leur nouveau journal et un angle inédit pour parler de ce qui se passe.

Checchetto n'est pas que bon dans le registre super héroïque. Il réussit merveilleusement une scène à la fois casse-gueule et cruciale comme celle où la petite May Parker découvre le secret de son père, ce qui aboutit à la toute fin de l'épisode à une suggestion sur l'aspect du costume de son père. Grâce à l'expressivité des personnages, à la justesse de la mise en scène, ce moment passe impeccablement alors qu'il aurait pu trahir chez l'artiste une fébrilité.

Alors, certes, ça ne va pas vite. Mais ce qui est dit et montré est tout de même superbement juste et dosé. On assiste, quasiment en temps réel, à la naissance d'un héros tout en voyant la mise en place d'éléments dramatiques amenés à être développés sur le long cours. En termes de storytelling, c'est à la fois très maîtrisé et audacieux. En termes visuels, c'est parfait. Hickman prouve son goût de l'expérimentation même dans le cadre d'un comic-book mainstream et embarque avec lui Checchetto qui sert, avec justesse, son script. Laissez-vous porter et vous vous régalerez.

RISE OF THE POWERS OF X #2 (Kieron Gillen / R.B. Silva)


Où il est question de Mr. Sinister, de Dominion, de voyages dans le temps, du projet meurtrier de Charles Xavier, d'une équipe de Dead X-Men sélectionnée et guidée par Rachel Summers... 


Alors, on va aller droit au but : j'ai un gros problème. La fin de l'ère Krakoa s'annonce mal. Pas complètement foireuse - la lecture de X-Men reste agréable - mais je ne suis pas du tout optimiste. Fall of the House of X nous a montrés il y a une semaine des X-Men n'hésitant pas, dans un grand out-of-character, à tuer des agents d'Orchis et à déclarer la guerre à cette organisation anti-mutante tout en échafaudant un plan d'évasion pour leur leader Cyclope.


Plus je pense à cet épisode, plus je suis mal à l'aise. En vérité, je ne comprends pas le but de cette histoire, l'objectif visé par les personnages : les X-Men déclarent la guerre à Orchis, soit, mais comment espère-t-il que cela va finir ? Quelle image donnent-ils à une opinion largement acquise à la propagande de leur adversaire qui les fait passer pour des empoisonneurs et devenant en plus des quasi-Punisher ? Et puis ça ne colle pas avec la mission qui devrait monopoliser leurs efforts, libérer Cyclope ? C'est n'importe quoi si on y réfléchit deux secondes.


Et puis il y a Rise of the Powers of X. Cette seconde mini-série se situe dix ans dans le futur, après la défaite des X-Men. Donc, si je suis bien, ce qui se déroule dans Fall of the House of X, aboutit à un échec total et dévastateur pour les mutants, réduits à quelques résistants sous le commandement de Charles Xavier et subissant à la fois les assauts répétés de Nimrod, la Sentinelle Oméga, Moira X, mais aussi d'un Dominion, Enigma, dont Nathaniel Essex, le Mr. Sinistre originel, a acquis la puissance illimitée.
 

Bon, raconter en parallèle une histoire d'échec et une autre qui se passe dix ans après et qui consiste à dévoiler la mission de la dernière chance des krakoans est déjà curieux. Mais bon sang, quand, en prime, c'est écrit comme ça, avec d'un côté Gerry Duggan qui fait des X-Men des meurtriers, et de l'autre Kieron Gillen qui s'aventure dans la S.-F. dure au détriment total de toute émotion, de tout attachement aux personnages, c'est compliqué.

Déjà que Gillen, pardonnez-moi, m'emmerde copieusement avec sa lubie concernant Mr. Sinistre qu'il fiche partout dès qu'il en a l'occasion, c'est pénible. Mais quand en prime il nous assène un arrière-plan d'intrigue avec quatre clones de Sinistre, un personnage de sa création (Mother Righteous), des allusions à la "White Hot Room", des renvois à la mini Dead X-Men (qu'il faut donc suivre pour tout capter), le Dominion Enigma, n'en jetez plus, la coupe est pleine.

Je me suis fait ch... à lire, je me suis accroché, mais... Non, c'est indigeste, c'est trop pour moi. C'est beau, remarquez : RB Silva produit de belles pages, très infographiées, avec des designs assez superbes, mais tout ça reste désespérément désincarné. Impossible de s'attacher aux protagonistes, il n'y a aucune émotion palpable. Gillen en rajoute quand, au détour d'un plan, Cypher arbore sur son front le losange rouge de Sinistre (mais pas avant ni après...).

Et puis bon, tant pis, excusez-moi si je vous spoile le truc, mais le voyage dans le temps pour aller liquider Moira dans sa dixième vie avant que son pouvoir ne se manifeste, mais attention, rien ne va évidemment se passer comme sur des roulettes parce que le Dominion Enigma veut parler avec Moira X, que les Dead X-Men (un groupe improbable formé de Dazzler, Frenzy, Jubilé, Prodigy et Cannonball - soit une partie des X-Men élus et aussitôt massacrés lors du dernier Hellfire Gala) doivent cibler la ligne temporelle correcte de la dixième vie de Moira pour Xavier... Oh, p... ! On n'est pas rendu !

N'aurait-il pas été plus simple d'aller au bout de la période Krakoa via les séries régulières encore en cours (X-Men Red s'est terminé e en Décembre, X-Force s'achèvera le mois prochain, Wolverine est - encore - en plein fritage avec Dents-de-sabre, Immortal X-Men est également bouclé, New Mutants et Marauders ont baissé le rideau depuis un moment), plutôt que de s'engager, éditorialement, dans deux mini-séries qui veulent reprendre le procédé de House of X / Powers of X, mais sans un auteur du calibre de Hickman ? Car ni le bon Duggan, ni l'assommant Gillen, on en a la preuve, ne rivalisent avec celui qui a revitalisé la franchise X.

Duggan fait encore de chouettes choses dans X-Men. Gillen a signé un run sur Immortal X-Men qui a été apprécié (même si, moi, je n'ai pas accroché). Benjamin Percy termine ce qu'il a développé dans X-Force et Wolverine, sans grand rapport avec le reste. Mais Fall of... et Rise of... apparaissent comme deux mini superflues, déplacées, surchargées, qui gâchent plus la fin de Krakoa qu'elles ne lui donnent un terme de qualité. Là encore, d'un côté, c'est méritoire de vouloir boucler cette période en allant jusqu'au bout du concept. De l'autre, le concept est bêtement sacrifié dans des conclusions inutilement compliquées, tortueuses.

Le dénouement que laisse présager Rise of the Powers of X revient à un reboot, avec la solution que tout sera effacé, oublié, que les X-Men pourront renaître sans que le monde dans lequel ils vivent n'aient conscience des atrocités auxquelles ils en ont été réduits pour sauver leurs miches. Mais c'est à la fois dommage de faire passer les personnages par ça et un peu pathétique d'avoir opter pour cette résolution, inutilement compliquée.

Un Youtubeur (Old School Comics) expliquait que, depuis le début des années 2000, il ne considérait plus les séries Marvel comme suivant une continuité, mais plutôt comme des versions "Ultimatisées", puisque les personnages n'étaient plus les mêmes, n'agissaient plus logiquement, que la mécanique des relaunchs était trop fréquente.. Les X-Men en sont le symbole et ce que Marvel en a fait la preuve : plutôt que d'assumer ces transformations, l'éditeur préfère en passer par des voies détournées et appliquer des reboots qui ne disent pas leur nom. Quand c'est bien fait, ça donne ce qu'avait lancé Hickman. Quand c'est mal fichu, c'est en train de devenir Fall of the House of X et Rise of the Powers of X.