mercredi 28 février 2018

SUPERMAN #10-11, de Peter J. Tomasi et Patrick Gleason


Je sais que ça va vous paraître curieux de découvrir une critique sur la série Superman, co-écrite par Peter Tomasi et Patrick Gleason, ce dernier en étant aussi un des dessinateurs, alors que le titre va bientôt (en Juin pour être exact) être relancé avec Brian Michael Bendis et Ivan Reis aux commandes. Qui plus est un article sur les épisodes 10-11... Mais je peux tout vous expliquer en vous disant que c'est pour préparer une entrée imminente sur le premier recueil de la série Super Sons, également écrite Par Tomasi et dessinée par Jorge Jimenez, et donc ces deux numéros constituent en quelque sorte le prologue (même si on peut les zapper). Maintenant, voyons comment Damian Wayne et Jonathan Kent se sont rencontrés pour la première fois avant de faire équipe dans leur propre mensuel... 


Robin, avec l'aide de Nobody, enlève Jonathan Clark dans son école à Hamilton et l'embarque jusqu'à la Bat-cave afin de l'examiner, craignant qu'il ne représente un danger car il ne maîtrise pas bien ses pouvoirs. Lorsque Batman découvre la situation, il n'a pas le temps de la réprouver que Superman surgit, furieux, et exige des explications.


Finalement, les deux héros reprennent leur calme et conviennent d'approfondir les tests médicaux entamés par Damian Wayne : ils découvrent ainsi que les pouvoirs de Jonathan sont à la mesure des émotions qu'il éprouve et, donc, qu'il lui faut apprendre à se contrôler.


Dans cette seconde partie de l'arc narratif In the name of the father, nous allons voir comment Superman et Batman vont s'employer à entraîner Jonathan Kent tout en donnant une leçon à Damian Wayne.


Pour réprimander son fils et évaluer Jon, mais aussi voir s'ils peuvent être partenaires, Batman avec la complicité de Superman a concocté aux deux garçons un parcours du combattant où leurs aptitudes et leur solidarité seront éprouvées.
  

En unissant leurs forces, ils s'en sortent avec succès et les deux garçons admettent eux-mêmes leur complémentarité. Alfred Pennyworth les baptise "Super Sons", ce dont s'enorgueillit Damian en s'attribuant tous les mérites... Jusqu'à ce que, agacé, Jon ne riposte ! C'est pas (encore tout à fait) gagné...

Je suis passé à côté du run du tandem Peter Tomasi-Patrick Gleason sur Superman, trop conquis par la reprise de Batman par Tom King et sa dream team d'artistes. Et je le regrette un peu, même si je ne peux pas tout lire, qu'il faut donc faire des choix, et que j'avais adoré la série Batman and Robin de cette équipe (durant l'ère des "New 52").

Mais récemment, après tourné autour un bon moment, j'ai découvert le spin-off, Super Sons, également écrit par Tomasi, et je suis tombé sous le charme de ce titre plein de pep's... Dont je viens d'apprendre qu'il serait annulé en Mai prochain au 16ème épisode !

Ce dernier est facilement accessible, il n'y a à vrai dire aucun besoin de lire cet arc de Superman pour être accroché et tout saisir. Mais disons que si on l'a lu auparavant, le plaisir en est accru. Il ne s'agit après tout que de deux numéros, divinement rédigés et superbement dessinés : pourquoi s'en priver ?

L'intrigue tient sur un ticket : Robin surveille, avec Nobody, sa partenaire occasionnelle, Jonathan Kent, le fils de Superman et Lois Lane, installés dans la bourgade d'Hamilton, et découvre qu'il a hérité des pouvoirs de son père mais sans bien les maîtriser. Comment toujours avec Damian Wayne, mieux vaut prévenir que guérir et il enlève donc le garçon pour lui infliger une batterie de tests qui déterminera sa dangerosité. Evidemment, rien ne va se passer comme prévu, surtout quand leurs pères respectifs vont s'en mêler...

Mais qu'importe le prétexte et son peu d'épaisseur, car ces deux épisodes sont aussi une manière de démontrer que le statu quo "Rebirth" n'est pas un reboot mais bien un cycle de corrections par rapport à la période des "New 52" qui l'a précédé. Tout n'a pas été effacé et relancé, il s'agit plutôt de rééquilibrer certains éléments, de consolider certaines fondations, de redonner de la profondeur, d'aligner la perspective. Ainsi, le scénario multiplie les allusions à l'ère précédente (Damian évoque sa mort, puis l'entreprise de son père pour le sauver des griffes de Darkseid, sa résurrection ; Nobody renvoie aux huit premiers épisodes de Batman and Robin et à la mini-série -partiellement - écrite et dessinée par Gleason Robin, son of Batman, tout comme Goliath).

Pourtant Damian Wayne n'est pas une création de Tomasi mais de Grant Morrison, introduite lors de son long passage sur la série du Dark Knight. Mais le personnage a su traverser les années sans perdre de son piquant, devenant même le Robin de référence (depuis Dick Grayson, et devant Tim Drake ou Jason Todd) : doté d'un caractère de cochon, et d'un génie du combat quasi-égal à celui de Batman, c'est, il est vrai, un héros en or, capable de corser n'importe quelles histoire ou série.

Que pèse Jonathan Kent face à lui ? Au départ, pas grand-chose : le fils de Superman et Lois Lane est aussi bienveillant et charmant que son illustre daddy, et même s'il aurait envie d'utiliser davantage ses pouvoirs, il obéit aux recommandations de ses parents. Puis l'aventure dans laquelle il est embarqué le révèle comme un garçon plus dégourdi et malicieux qu'il n'y paraît, capable de rabattre son caquet à Damian. Il est plus attachant aussi, s'attirant la sympathie du lecteur par son humilité et son endurance. Enfin, on se réjouit quand il moque Robin en lui rappelant qu'il est plus grand, plus fort, plus puissant que lui... Et la mine affligée de Batman et Superman quand, à la fin, pensant que leurs rejetons vont former un duo aussi prometteur que le leur, vaut son pesant de cacahuètes.

Pour exprimer toutes ces émotions en donnant du souffle à deux épisodes riches en action, Gleason ne faillit pas et livre des planches merveilleuses, que l'encrage (majoritairement produit) par Mick Gray sublime. Familier des jeunes personnages, il les anime à la perfection en sachant les rendre expressifs sans verser dans l'outrance, et lorsqu'il passe aux scènes avec leurs pères, il souligne subtilement ce qui les distingue (la carrure plus massive et majestueuse de Superman, l'attitude professorale et agressive de Batman). Si bien qu'en fait, on jubile de voir en Damian et Jon aussi bien de jeunes super-héros en devenir que des quasi-mini-répliques de leurs paternels.

Cette sensibilité comique plus le brio graphique qui l'illustre fait de ce prologue officieux à Super Sons un amuse-bouche dont il serait bien dommage de se priver.

mardi 27 février 2018

WONDER WHEEL, de Woody Allen


Le distributeur des films de Woody Allen en France nous a privés de son dernier opus, Wonder Wheel, l'an dernier, si bien qu'il a fallu attendre le 31 Janvier dernier pour cet opus soit dans nos salles, et plus tard pour un provincial comme moi (et encore à des séances aux horaires difficiles). Le long métrage, plombé par l'interview de la fille du cinéaste (qui l'accuse de l'avoir violée), a fait son pire score depuis longtemps et les critiques hexagonaux ont tenté de déminer le terrain en séparant l'oeuvre de l'homme tout en relevant de troublants parallèles entre la fiction et la réalité. Impossible de considérer l'oeuvre d'un regard détaché dans ces conditions. Il faut donc analyser Wonder Wheel quasiment comme un témoignage. 

 Ginny Rannell (Kate Winslet)

Coney Island, fin des années 1950. Ginny est une serveuse qui rêvait d'être actrice et qui, après avoir quitté son premier fiancé, un batteur de jazz, a refait sa vie avec Humpty Rannell, propriétaire d'un manège. Ils vivent avec Ritchie, le fils de Ginny, pyromane précoce.

Ginny et Mickey Rubin (Kate Winslet et Justin Timberlake)

Lorsque, après une journée au restaurant de crustacés où elle travaille, Ginny se promène sur la plage désertée par les baigneurs car un orage approche, elle fait la connaissance d'un maître-nageur, Mickey Rubin, séduisant et jeune, qui la séduit. Ils deviennent vite amants et elle retrouve la joie de vivre.

Humpty Rannell et Ginny (Jim Belushi et Kate Winslet)

Mais la situation bascule lorsque Carolina, la fille de Humpty, resurgit après cinq ans d'absence, passés au bras d'un gangster qu'elle vient de quitter et de dénoncer au F.B.I.. Depuis, un contrat a été lancé sur elle et elle demande à son père de l'aide. Il refuse d'abord avant de se raviser à condition qu'elle se range en reprenant des études et en décrochant un job - elle sera embauchée au resto où travaille Ginny, qui la déteste aussitôt car sa présence trouble encore davantage Richie et accapare l'affection de Humpty.

Les hommes de main et Humpty (Steve Schirripa, Tony Sirico et Jim Belushi)

Peu après, deux hommes de main de la pègre débarquent et interrogent Humpty mais celui-ci explique qu'il a renié sa fille et n'a plus de nouvelles d'elle par conséquent, même si, raconte-t-il, elle rêvait de séjourner en Californie.

Mickey, Ginny et Carolina Rannell (Justin Timberlake, Kate Winslet et Juno Temple)

Les doutes de Ginny sur la sincérité des sentiments de Mickey s'aggravent quand il les croise, elle et Carolina, par hasard, et qu'elle remarque leur attirance réciproque immédiate. La fille et sa belle-mère ont des rapports de plus en plus tendus après ça, d'autant que la première n'aide pas la seconde dans les tâches ménagères et s'avère une piètre serveuse au resto. L'attitude de Humpty n'arrange rien puisqu'il finance les cours du soir de Carolina en rechignant à payer les séances chez une psychanalyste pour Richie.
    
Ginny et son fils Richie (Kate Winslet et Jack Gore)

Accablée par tout cela, la fête du quarantième anniversaire de Ginny est un calvaire pour elle avec en guise de coup de grâce l'aveu par Carolina qu'elle et Mickey se fréquentent et seraient sur le point de s'engager dans une liaison sérieuse. Amère, Ginny tente de la décourager de le revoir en le dénigrant, mais lorsqu'elle le revoit, pour le reconquérir, elle lui offre une montre (payée avec de l'argent volé à Humpty) : ce cadeau exorbitant embarrasse Mickey qui provoque le courroux de sa maîtresse et leur séparation.

Carolina et Mickey

Le Vendredi suivant, il invite Carolina dans une pizzeria pour lui déclarer sa flamme mais aussi lui avouer sa romance, désormais close, avec Ginny. Troublée, la jeune femme préfère à la fin de la soirée rentrer chez elle à pied pour réfléchir, sans remarquer qu'une voiture (celle des deux hommes de main de la pègre) la suit. Carolina disparaîtra, sans doute enlevée et tuée, laissant Humpty incrédule et dévasté...

Ginny et Mickey

Mickey, furieux, retrouve Ginny chez elle, en l'absence de son mari, pour l'accuser d'avoir dénoncé Carolina à la pègre. Dans une tentative pathétique de se dédouaner alors qu'elle est ivre et indifférente au sort de sa belle-fille, elle ne peut que mesurer l'échec définitif de son existence. Richie, sur la plage, après une courte période d'abstinence, refait brûler un tas de bois...

Depuis sa rupture retentissante avec Mia Farrow, qui fut son épouse, sa muse et son actrice pendant de longues années, et l'officialisation de son couple avec une de ses filles adoptives, Woody Allen a défrayé la chronique et créé un schisme familial. Sa progéniture, biologique ou non, a pris parti pour ou contre lui, et son ex-femme a mené une intense campagne de dénigrement contre lui, alimentée par le dépit (sa carrière a sombré totalement depuis), la rancune (elle n'a jamais pardonné) et le dégoût (vis-à-vis de l'âge de Soon-yi, la nouvelle compagne du cinéaste). Elle a gagné à sa cause une de ses filles naturelles, Dylan, qui a, une première fois, prétendu avoir été violée à l'âge de sept ans - une enquête fut ouverte et classée sans suite, faute d'éléments probants - puis un de ses fils, Ronan (de son vrai prénom Satchel, il s'est débaptisé symboliquement pour couper les ponts avec Allen, avant que Farrow ne laisse entendre qu'il était le fils de Frank Sinatra, son ex-mari).

Ronan Farrow est devenu depuis l'an dernier un journaliste-vedette puisqu'il a révélé l'affaire Harvey Weinstein à la suite d'une longue et minutieuse enquête, dont tout le monde a salué l'application. Le scandale continue d'ébranler le tout-Hollywood, relayé par les réseaux sociaux à coups de hashtags comme #balancetonporc et #meetoo, où la délation règne et le tribunal populaire a pris la place de la justice. On assiste ni plus ni moins qu'à une nouvelle "chasse aux sorcières" digne du maccarthysme dans les années 1950 (tiens, comme l'époque où se déroule l'histoire de Wonder Wheel) où tout est versé dans le même sac, du dragueur lourdaud au véritable prédateur sexuel, des confessions d'acteurs/trices en mal de reconnaissance aux témoignages poignants d'authentiques victimes. On ne compte plus le nombre de têtes coupées dans cette affaire, sans autre forme de procès qu'une dénonciation que personne ne vérifie plus. La bataille prend même des airs nauséabonds de bataille des sexes où les hommes sincèrement émus par la situation et solidaires des femmes sont repoussés dans les cordes, désignés au mieux comme des oppresseurs en puissance, au pire comme des complices trop longtemps silencieux.

Un docte journaliste du "Washington Post" a ainsi trouvé le temps de consulter les archives que Woody Allen a confiées à la bibliothèque de l'Université de Princeton depuis 57 ans et a conclu, à la lecture de ces notes et de scénarii inachevés, que le cinéaste était maladivement obsédé par les adolescentes... Ce qui ne saute pas aux yeux quand on examine son oeuvre cinématographique. Mais achève d'assombrir son image après une nouvelle séries d'interview de Dylan Farrow sur l'agression présumée de son père (dont elle se souvient à présent parfaitement...).

Tout cela dure donc depuis un quart de siècle, et, dans la grande thérapie collective américaine que s'inflige Hollywood actuellement, on peut déjà compter les faux-jetons qui, autrefois ou récemment, étaient pourtant honorés de tourner avec Allen mais qui, maintenant, se bouchent le nez en l'évoquant et jurent qu'on ne les y reprendra plus, versant leur cachet à des associations d'aide aux victimes de sexisme : on saluera le "courage" de Marion Cotillard, Rebecca Hall, Thimothée Chalamet, Jessica Chastain, par exemple, qui sont en vérité moins dérangés d'oublier la présomption d'innocence du cinéaste que perturbés par la reconnaissance d'avoir été choisis par lui, sans être indisposés à l'époque.

Comme l'a justement écrit Pierre Murat dans "Télérama", soutien raisonné du réalisateur (au même titre que Frédéric Bonnaud, président de la Cinémathèque - qui a courageusement tenu tête à des viragos lors de récentes rétrospectives consacrées à Polanski ou Jean-Claude Brisseau), être critique n'est pas être "flic ni juge. Nous nous contentons de faire un travail critique, avec la conscience pleine et entière que si le talent n'excuse rien, il ne condamne personne. La morale, oui. Le moralisme, non".

A la lumière de tout cela - le scandale, ses répercussions, la position critique - faut-il même parler de Wonder Wheel, le peut-on, sereinement, en distinguant l'homme de l'artiste ?

Je réponds affirmativement. Et ce, même si je pense qu'il ne s'agit pas du meilleur opus de son auteur, passant, il est vrai, après une merveille comme Café Society (et d'autres pépites comme L'Homme irrationnel, Magic in moonlight et Blue Jasmine).    

Mais, comme s'il avait pressenti le vent du boulet, le cinéaste signe une histoire étrangement évocatrice, où comme rarement, il semble parler de sa situation, non pas pour s'en excuser, l'expliquer ou y répondre, mais la soumettre à notre avis. "Voici ma version des faits" pourrait-on presque lire entre les lignes. Et il l'écrit sans ménager personne, ni lui le premier, ni quiconque l'ayant vécu et/ou commenté. Rien que pour ça, on est bluffé.

L'argument même du récit fait mouche : Ginny, la serveuse, est une ancienne actrice ratée qui accuse à un moment son mari d'entretenir des rapports douteux (trop affectueux) avec sa fille. Elle le fait sans preuves, mue par son dépit, l'échec de son existence (de femme, de mère et d'artiste), mais avec une virulence qui trahit son instabilité mentale. Au premier degré, remplacez Ginny par Mia Farrow et vous obtenez un règlement de comptes salé.

Mais creusez un peu plus et vous verrez que personne n'est épargné dans cette histoire - et pas seulement à cause de la vengeance mesquine de Ginny. Les hommes - Mickey, Humpty - y sont dépeints comme des êtres rustres ou mufles, passant d'une femme à une autre. Les femmes n'ont pas droit au traitement délicat des comédies, même les plus cruelles de Allen, en s'agitant comme des créatures impressionnables ou possessives, ne tirant aucune leçon du passé.

Il existe, comme souvent chez l'auteur, des clés plus ou moins discrètes pour interpréter sa fiction. La plus visible est la fameuse grande roue qui donne son titre au film, inspirée par la Dino Wonder Wheel de Coney Island qui était l'attraction vedette de l'endroit à la fin des années 50 : le scénario joue sur le thème de la boucle via les mouvements physiques et sentimentaux des protagonistes (Ginny a quitté un homme qu'elle aimait et qui l'aimait pour devenir la femme d'un homme qui la dégoûte et qui ne lui témoigne aucune affection ; Carolina fuit un mafieux pour le dénoncer au FBI sans penser que sa tête est dès lors mise à prix ; les hommes de main de la pègre vont et reviennent ; Mickey va de Ginny à Carolina en ne pensant qu'au drame qu'elles lui inspirent ; Humpty a renié sa fille puis lui pardonne tout avant de la perdre, impuissant...). Personne n'est plus heureux au début qu'à la fin, réalisant à peine qu'ils sont la cause de leur propre perte.

L'autre entrée, plus subtile, serait Richie, le jeune fils de Ginny, obsédé par les incendies. On ignore ce qui motive sa pyromanie tout en le devinant (il n'a pas connu son père, n'est pas aimé par Humpty, assiste au naufrage affectif et à l'alcoolisme de sa mère : il est littéralement spectateur d'un théâtre de la vie qui prend feu). Le feu symbolise l'élément susceptible de purifier une existence en train de se consumer, le fait de brûler les ponts, de faire table rase du passé (et du présent). C'est aussi le feu de la passion (entre Ginny et Mickey, Mickey et Carolina, Carolina et Humpty), la lumière sur les sentiments qui traversent et agitent les protagonistes, le feu du soleil illuminant la plage et ses environs (avec ce jaune éclatant que la photo, splendide et artificielle au possible, de Vittorio Storaro) au début du jour comme à sa fin. Les flammes emportent tout et laissent espérer un futur meilleur bâti sur les cendres.

Les acteurs jouent cette partition sarcastique, impitoyable, de cette manière, comme au-dessus d'une poudrière prête à exploser : Jim Belushi rugit comme un fauve qui se retient difficilement, Justin Timberlake aspire à devenir un grand dramaturge en réalisant que les femmes qu'ils côtoient vivent des épreuves plus puissantes que n'importe quelle pièce de théâtre, Juno Temple est une fausse ingénue incendiaire semant le trouble sans s'en rendre compte, et Kate Winslet sombre avec application (comme elle ne le faisait pas dans Titanic, semble glisser, moqueur, Allen) dans un mélodrame pathétique. Les quatre interprètes sont excellents, ne cherchant jamais à se rendre sympathiques ni à faire des numéros (même si Winslet, qui avait dû renoncer à jouer dans Match Point, a droit à un vrai morceau de bravoure à la fin, filmé en un épatant plan-séquence, où elle donne la pleine mesure de son immense talent, fardé outrageusement, misérable et grandiose).

Après ça, quoi d'autre ? Depuis, Woody Allen a enchaîné avec un 48ème fim (dont on connaît déjà, surprise, le titre, A Rainy day in New York, avec Elle Fanning et Jude Law entre autres), toujours produit par Amazon Studios. Mais la rumeur court qu'il ne sortira pas en salles, pour être proposé uniquement en streaming (une manière pour la production de le liquider et de se débarrasser du cinéaste ?). Souhaitons quand même que la carrière du cinéaste ne se termine pas aussi tristement, emportée comme Carolina. Souhaitons tout simplement que, non comme dans les années 50, tant de grands artistes, malgré leurs moeurs ou opinions, soient enterrés vivants, avant que la justice, la vraie, n'ait statué sur leur cas.  

lundi 26 février 2018

KICK-ASS #1, de Mark Millar et John Romita Jr.


Après avoir consacré trois volumes à Dave Lizewksi, le premier héros-titre de Kick-Ass, Mark Millar inaugure un nouveau cycle avec un nouveau personnage qui redéfinit et renouvelle le concept de "real-life super-hero". L'entreprise pourrait paraître opportuniste, mais le scénariste, qui retrouve pour l'occasion John Romita Jr., co-créateur et dessinateur de la série, nous entraîne dans une direction qui sans renier la première version propose vraiment autre chose.


Qui est donc cette femme qui a décidé de reprendre le pseudonyme, le masque et la tenue de Kick-Ass à Albuquerque, Nouveau-Mexique ? A priori une amatrice puisqu'elle se fait surprendre par les gardiens d'une boîte de nuit puis conduire devant le patron peu commode de l'établissement autour duquel elle rodait...


... Sauf qu'en vérité Patience Lee servait, quelques semaines auparavant, comme G.I., en Afghanistan. Elle y a terminé son temps en sauvant deux amis soldats aux mains de terroristes en attendant les renforts et une évacuation aérienne.


De retour aux Etats-Unis, elle est accueillie en héroïne par sa famille et ses deux enfants, Grace et Jordy. Mais quand Patience demande où est son mari, Frankie, elle apprend qu'il l'a quittée pour une certaine Raven, direction Las Vegas.


Ses déconvenues ne s'arrêtent pas là : elle ne décroche qu'un minable job de serveuse dans un rade pour subsister, refusant l'offre de Maurice, son beau-frère, de travailler dans un club louche. Et elle découvre ensuite que Frankie l'a laissée avec des dettes exorbitantes.


C'est donc ainsi qu'elle prend l'initiative de devenir la nouvelle Kick-Ass et de dévaliser un night-club de mauvaise réputation. Elle se laisse délibérément capturer par les vigiles pour atteindre le propriétaire, neutraliser sa garde rapprochée et lui soutirer son fric - pas seulement pour elle mais aussi pour tous ceux qui, comme elle, dans son quartier, sont les oubliés de l'administration Trump !

On aurait tort de réduire cette nouvelle incarnation de Kick-Ass au fait qu'il s'agit d'une héroïne afro-américaine et non plus un adolescent blanc, même s'il est évident que ce choix n'a rien d'innocent de la part de Mark Millar. La charge qu'il adresse au gouvernement Trump (mais qui peut s'appliquer aux précédents présidents américains ayant délaisser les soldats de retour du front) n'est pas subtile mais transforme la mission même du personnage-titre.

Dave Lizewski était l'archétype de l'ado mal dans sa peau, victime de brimades au collège, fantasmant sur une camarade, élevée par une mère absente, sans référent paternel, jusqu'à ce qu'il s'engage dans une quête insensée : appliquer la justice dans le rues. Une correction sévère et un accident plus tard, il devenait insensible à la douleur mais pas davantage prêt à mener son combat et sa rencontre avec deux vigilants professionnels (dont la fillette Hit-Girl) le précipitera dans une guerre contre la pègre puis dans dans une société parallèle de justiciers aux méthodes et objectifs divers.

Patience Lee n'est pas du même bois : effectivement, c'est une femme, noire, et adulte, mère de famille et mariée. Mais cette fois, c'est une guerrière aguerrie, militaire de formation, ayant servie sur des théâtres de guerre dangereux. Elle devient Kick-Ass par nécessité, endettée, abandonnée par son époux, oubliée malgré ses brillants états de service par le gouvernement. Sa soif de revanche teinte son désir de justice d'une coloration propre.

A une lettre près, il est facile de confondre, dans le feu d'une discussion animée (comme l'écossais sait en susciter), Millar et (Frank) Miller. Cette nouvelle version de Kick-Ass fournira sûrement quelques confusions supplémentaires tant on pense immédiatement à Martha Washington, l'héroïne de Liberty (dessiné par Dave Gibbons... Le partenaire de Millar sur Kingsman : The Secret Service ! Le monde est petit...), elle aussi femme, noire, issue d'un milieu défavorisé, officier de l'armée, animée par un besoin de reconnaissance (pour elle et sa communauté ethnique et sociale). Mais la comparaison s'arrête là car cette série ne verse pas dans la dystopie, bien ancrée dans la réalité et l'époque.

En revanche il est troublant (même si les deux projets ne peuvent être suspectés de plagiat, mais plutôt de puiser à la même source, celle de Liberty justement) de lire ce numéro 1 juste après le premier épisode de The Silencer (écrit par Dan Abnett, publié chez DC Comics), qui anime une héroïne black experte dans le maniement des armes.

Le rapprochement est d'autant plus piquant que les deux séries sont dessinées par John Romita Jr. ! L'artiste a cependant déjà réalisé les trois premiers épisodes de The Silencer pour lesquels il s'était engagé avant de retrouver Mark Millar, mais on trouve les deux titres en kiosques simultanément.

La différence de qualité graphique entre les deux travaux est éloquente et prouve que Romita Jr. a avec Millar un auteur qui sait bien mieux tailler son script pour lui que Dan Abnett. Le dessinateur, plus "Kirby-esque" que jamais, a besoin d'espace pour s'exprimer et s'épanouir, ce dont il ne dispose pas sur The Silencer, alors que dès les premières pages de Kick-Ass, on mesure son aisance avec ce qu'il illustre (sans doute aussi parce que cet univers lui est plus familier).

Lorsqu'il met en scène le sauvetage opéré par Patience Lee en Afghanistan ou le tabassage en règle, précis et brutal, contre les vigiles du night-club, Romita Jr. est vraiment dans on élément, mais il compose aussi bravement les scène d'exposition, en sachant y glisser une tension constante (dans la relation de Patience avec Maurice par exemple).

L'autre nouveauté en pratique sur ce Kick-Ass, c'est que JR Jr. n'est plus encré par ses fidèles Klaus Janson ou Tom Palmer (ni les différents partenaires qui lui ont été attribué chez DC comme Danny Miki, Richard Friend, Sandra Hope). Place à Peter Steigerwald et un encrage digitale très fin, discret, et sa mise en couleurs quasiment directe (la même méthode employée par Frank Quitely et Dave Stewart) : le résultat fait un bien fou au trait de l'artiste, qui gagne en légèreté, en vivacité, d'autant que la palette utilisée privilégie des teintes presque pastel, loin des couches épaisses d'un Dean White (qui a longtemps, ces dernières années, assisté Romita Jr.).

Avec son héroïne revancharde, aux motivations dignes de Robin des bois, mais capable de botter les culs avec énergie, cette nouvelle ère qui s'ouvre pour Kick-Ass a tout d'une cure de jouvence.      

dimanche 25 février 2018

GIANTS #3, de Miguel et Carlos Valderrama


Et donc, voici le dernier numéro en date de Giants, sorti ce mois-ci, celui par qui j'ai découvert cette série. Il faut dire que le récit s'emballe encore plus et comporte son lot de sensations fortes tout en redéfinissant l'intrigue...


Zedo guide Prez et les Bloodwolves vers une carrière déserte où reposent les ossements de monstres et des roches remplies d'Ambernoir - un vrai trésor de guerre. Mais des Grim Bastards les ont suivis et les attaquent pour s'emparer de ce butin.


Dans la bataille qui suit, Zedo est pris à parti par le chef des Grim Bastards mais il se défend. Un coup de feu part et provoque une énorme explosion en percutant l'Ambernoir, au point que le plafond de la carrière s'effondre, laissant entrevoir la gueule d'un monstre...


A la surface, Gogi s'apprête à filer de chez Uron pour regagner Underground City mais Uron le surprend et l'invite à une expédition à l'extérieur en promettant au garçon qu'il ne la regrettera pas. Ils s'enfoncent peu après dans un tunnel aboutissant au repaire de Wraith, l'ancien chef des monstres avant l'avènement de Sheik.


Après avoir mutilé le géant pour le rendre inoffensif, ils récoltent de l'Ambernoir pure. Uron emmène ensuite Gogi dans son laboratoire conçu avec Kara et Jol. Ils se servent là du carburant comme fertilisant, ce qui sidère leur invité. Gogi accepte alors de prolonger son séjour parmi eux.


Zedo reprend connaissance et découvre à ses côtés le corps sans vie de Prez. Il achève le chef des Grim Bastards, agonisant, et propose aux membres survivants des deux gangs de n'en former qu'un seul. Désignant le plafond crevé de la carrière, Zedo convainc l'assemblée qu'ensemble ils peuvent désormais (re)conquérir le monde de la surface.

Dans ce troisième acte, l'histoire s'équilibre davantage en donnant à chacun des deux jeunes héros de l'espace pour briller de manière spectaculaire, alors que le précédent épisode se focalisait sur Gogi.

Le rythme est également distinct : sous terre, on a droit à peu de scènes mais conduites sur un tempo alerte. L'action domine avec l'affrontement des deux gangs qui ne dure pas longtemps, abrégé par une retentissante explosion qui va tout changer. Zedo a gagné sa place au sein des Bloodwolves et se défend farouchement contre les Grim Bastards, en particulier leur chef. Mais à la fin, il devient le leader d'un mouvement vraiment révolutionnaire pour l'ordre établi en convainquant les survivants des deux groupes de s'unir pour (re)conquérir la surface.

Miguel Valderra donne ainsi plus de caractère à ce garçon qui semblait le plus effacé des deux, même s'il avait déjà tué l'adjoint de Prez dans le numéro 2. Reste à savoir combien son changement de statut va modifier Zedo : va-t-il se laisser griser par sa nouvelle ascendance ? Ou agir en meneur éclairé ? Et surtout comment Gogi, quand il le retrouvera, appréciera-t-il la situation de son ami ?

En parallèle, justement, Gogi fait deux découvertes non moins renversantes en compagnie de Uron : le moment le plus frappant est sans doute l'incursion dans la cachette où s'est retiré Wraith, l'ancien leader des géants. Pour parvenir jusqu'à lui, le courage et la loyauté du garçon sont éprouvés et le lecteur partage complètement ses sentiments - pas évident en effet de progresser fièrement dans l'antre d'un monstre, même défait...

Puis Gogi apprend que l'Ambernoir peut servir à autre chose, de plus sophistiqué et pacifique, que du carburant industriel quand, dans le laboratoire de Jol, Kara et Uron, ce sont des cultures alimentaires qui se dévoilent à lui. La scène traduit parfaitement l'émerveillement du garçon et surprend également le lecteur, qui ne s'attendait pas à pareil endroit dans un environnement aussi hostile. C'est la première fois depuis le début de la série qu'un autre aspect lié à l'Ambernoir est révélé : nul doute que cela va entretenir l'intrigue et en modifier profondément la perspective.

Carlos Valderrama dessine tout cela avec un pep's intact. Ce qui frappe, c'est la solidité et la cohérence de l'univers visuel de la série, fruit évident de recherches préliminaires pour concevoir un monde singulier, étonnant mais vraisemblable par rapport à ces éléments fantastiques.

Le design des décors, le soin apporté aux looks vestimentaires, le choix des couleurs (pour différencier les trames narratives), sont exemplaires. Le découpage est toujours au service de l'histoire, ne cherchant pas à la supplanter mais bien à la dynamiser. Et les personnages font preuve d'une expressivité remarquable où le style semi-réaliste est particulièrement approprié. De fait, l'artiste montre son adresse aussi bien dans les passages mouvementés que dans les moments plus calmes où l'émotion prime.

C'est une réussite totale, très accrocheuse : cochez la date du 14 Mars prochain, c'est celle de la sortie du quatrième épisode de Giants.

samedi 24 février 2018

GIANTS #1-2, de Miguel et Carlos Valderrama


Voici une découverte qui doit tout au hasard : en remarquant le troisième épisode qui vient de sortir (et dont je vous parlerai très vite - je ne le fais pas tout de suite pour ne pas rendre cette entrée trop riche), j'ai voulu me procurer les deux premiers et je ne l'ai pas regretté. Giants est la première série publiée aux Etats-Unis par deux frangins qui ont convaincu Dark Horse Comics (l'éditeur de Hellboy entre autres) sur un simple pitch. Tout le monde est gagnant dans l'affaire car c'est une réussite.


La Terre a été frappée par un corps spatial qui a obligé les hommes à se réfugier sous la surface, laissant l'extérieur être envahi par de gigantesques monstres. Leur roi est surnommé Sheik, qui a détrôné Wraith, et avec ses semblables ils s'affrontent et dévorent les audacieux qui se risquent dehors.


A Underground City, deux gangs rivaux, les Bloodwolves et les Grim Bastards, se disputent l'autorité. Deux adolescents orphelins, Zedo (un blondinet) et Gogi (aux cheveux bruns), aspirent à intégrer la première de ces bandes et, pour cela, acceptent la périlleuse mission de récupérer chez le chef rival de l'Ambernoir, un carburant précieux extrait d'une roche située à la surface.


Après une tentative ratée, Prez, le leader des Bloodwolves, leur accorde une seconde chance en les envoyant à l'extérieur. Mais la sortie va mal se passer pour les deux gamins...


Gogi trouve un énorme rocher avec de l'Ambernoir lorsqu'un monstre s'approche et lâche sur lui et Zedo une nuée d'insectes énormes. Coincé sous un gravat, Zedo est séparé de Gogi qui tombe dans une crevasse.


Gogi échoue, sans connaissance, à la sortie d'un réservoir dans un territoire enneigé...


Zedo redescend finalement seul à Underground pour livrer l'Ambernoir qu'il a réussi à recueillir et qu'il remet à l'adjoint de Prez. Mais ce dernier préfère l'éliminer plutôt que de le voir entrer au sein des Bloodwolves. Zedo se défend et tue son adversaire. Impressionné, Prez arrive et félicite le garçon.


A la surface, Gogi est récupéré par Uron qui vit dans le Monde Blanc avec ses trois protégés, Titia, Jol et Kara. Fièvreux, le garçon ne peut toutefois pas repartir à Underground avant d'avoir récupérer. Bon gré mal gré, il accepte de se reposer, veillé par le quatuor.


Pendant que Gogi se requinque, Uron entend Jol, Kara et Titia débattre du bien fondé de garder le garçon qu'ils ne connaissent pas. Leur protecteur clôt la discussion en décidant qu'il est impensable de le laisser seul et malade dans un environnement aussi hostile.


Quand il se réveille, Gogi, pour se réchauffer, et ses nouveaux amis avec lui, se met en tête de faire un feu grâce à l'Ambernoir qu'il a sur lui mais Jol, furieux, l'éteint aussitôt en lui expliquant que cela va attirer les monstres. Ce qui se produit malgré tout !


Toute la bande doit déguerpir et court, poursuivi par un géant, à travers les rues enneigées de Surface City. Uron et Kara tendent une embuscade au monstre et lui tire dessus avec un bazooka artisanal armé d'Ambernoir comme projectile.


Sains et sauf, les cinq rescapés gagnent la maison d'Uron pour se remettre de leurs émotions et planifier la suite...

Je ne le fais pas exprès, mais il s'agit encore d'une dystopie, située dans un futur post-apocalyptique. A la différence de ce qui se passe dans Captain America ou Old Man Hawkeye cependant, vous ne trouverez pas là de super-héros/vilains, dont l'affrontement a causé une catastrophe expliquant la situation.

Les frères Valderrama ont choisi une option plus rapide et référentielle : un corps venu de l'espace - l'avant-propos du #1 parle d'une comète, mais il doit s'agir d'un astéroïde - a percuté la Terre et a provoqué l'exil des hommes sous la surface en même temps que l'apparition de monstres géants à l'extérieur. D'où viennent ces colosses abominables ? Le scénario ne le dit pas - pas encore... - mais peut-être ce qui a frappé notre planète a facilité leur apparition.

Ils sont en tout cas très impressionnants et leur design est très réussi, digne des super-productions les plus imposantes en la matière. Toutefois, l'histoire veille à raréfier leurs visions, ce qui a pour effet de les rendre vraiment saisissantes. Ces géants sont hallucinants mais pas effroyables, ils n'inspirent pas le dégoût, mais leur taille, leur masse, la crainte qu'ils inspirent est tout aussi remarquables.

L'intrigue se joue sur deux niveaux géographiques : dehors, les monstres, et sous terre, les hommes qui ont rebâti (au moins) une mégalopole, Underground City. Elle reproduit les caractéristiques d'une ville industrielle avec des édifices destinés à alimenter en énergie les foyers mais aussi des quartiers pauvres. Cet endroit est surtout le royaume d'une voyoucratie que se disputent deux gangs, dans l'un desquels les deux jeunes héros veulent entrer.

Il manque un ingrédient pour lier tout cela et c'est l'Ambernoir, un carburant aussi puissant que rare disponible dans un minerai en surface et qui assure le pouvoir à celui qui en possède. Le scénario va s'articuler autour de la quête de cette essence précieuse pour propulser Zedo et Gogi et les lecteurs dans une aventure immédiatement mouvementée.

Car ce qui séduit, irrésistiblement, dans Giants, c'est le rythme : Miguel Valderrama ne perd pas son temps, il installe dans le feu de l'action décors, protagonistes, argument et emballé, c'est pesé ! Le lecteur n'a pas le temps de souffler et se laisse entraîner dans une cascade de rebondissements, de péripéties, une vraie essoreuse pour lui comme pour Gogi et Zedo.

Lorsque le premier épisode se termine, sur un cliffhanger dramatique, on repart de plus belle avec le deuxième chapitre, qui adopte une forme sensiblement différente. En séparant son tandem, le scénariste fait vite comprendre qu'il va privilégier d'abord Gogi avant de revenir à Zedo dans le numéro 3.

Resté à la surface, Gogi rencontre de nouveaux personnages, est pris dans un nouvel enchaînement de mouvements spectaculaires : le point d'orgue est atteint avec la scène où Uron et Kara doivent tirer avec un bazooka sur un des géants à leur poursuite. On retient son souffle. C'est jouissif.

Visuellement, Carlos Valderrama met tout cela en images avec une vivacité comparable à l'énergie du script de son frère, ce qui n'est pas peu dire. Son style est semi-réaliste dans la mesure où si les caractéristiques des personnages correspondent physiquement à la normale, leurs proportions sont variables en fonction de la distinction de l'autorité qu'ils représentent  - les deux héros sont frêles et petits, les adultes sont grands et souvent baraqués. Pour leurs visages, les deux gamins se distinguent par leurs grands yeux, leurs petits nez, une tignasse abondante et hirsute, avec des vêtements dépenaillés, tandis que le look des adultes est plus calculé, pour signifier leur appartenance aux gangs.

L'artiste, on le devine facilement, a été influencé par l'esthétique de Mad Max, et le trait de Katsuhiro Ôtomo, le créateur d'Akira. Pourtant, on ne peut parler de manga, ou alors le dessinateur a su en intégrer des éléments sans y perdre sa personnalité (par exemple, il n'utilise qu'avec parcimonie des traits de vitesse ou des cadres obliques si chers aux japonais). La colorisation joue aussi pour beaucoup dans l'effet produit : Underground City est dominée par le rouge, le jaune, le marron, le gris, le noir, et à la surface, on n'a vu pour l'instant que le Monde Blanc, enneigé, balayé par de forts vents, ce qui contraste fortement.  C'est simple mais efficace.

Publiée depuis Décembre 2017, et pour l'instant prévue pour être une mini-série, Giants a un énorme potentiel : c'est original, dynamique, divertissant, accrocheur. Un vrai coup de coeur.       

BREAKING NEWS : CHRIS SAMNEE



L'hémorragie continue chez Marvel... Quelque jours après l'annonce d'une nouvelle (énième) relance intitulée "Fresh Start" ! Après avoir enregistré fin 2017 le départ surprise mais retentissant de Brian Michael Bendis chez le concurrent DC Comics, c'est au tour d'une autre vedette de "la Maison des Idées" de faire ses valises : Chris Samnee a annoncé sur son compte Twitter qu'il quittait l'éditeur après le 700ème épisode de Captain America, qu'il animait depuis quatre mois avec son scénariste favori, Mark Waid ! 

Samnee n'a certes pas le statut de Bendis mais cela faisait quand même dix ans qu'il oeuvrait chez Marvel, en s'autorisant quelques échappées ponctuelles chez d'autres - la mini-série The Rocketeer : Cargo of Doom chez IDW, une participation à Adventures of Superman chez DC, par exemple. Il a construit sa carrière patiemment et rigoureusement jusqu'à devenir un des artistes en vue de Marvel depuis la série inachevée Thor the mighty avenger (écrite par Roger Langridge) jusqu'à son arrivée au #12 du Daredevil de Mark Waid. Il restera sur le titre jusqu'au #36, puis contribuera à 16 épisodes du volume suivant avec le même partenaire.

Waid l'a souvent répété : Samnee était son collaborateur favori depuis le regretté Mike Wieringo. Ils s'entendaient si bien qu'ils étaient crédités non pas comme "artist" et "writer" mais "storytellers", car Waid laissait Samnee intervenir dans la conception des intrigues et la rédaction des scripts. Cette méthode va même aboutir à un quasi-renversement des rôles puisque c'est Samnee qui convaincra, après leur run sur Daredevil, Waid de l'aider à réaliser une saga en 12 numéros de Black Widow (alors que le scénariste n'était pas spécialement inspiré par le personnage).

Récemment, donc, ils avaient repris ensemble les rênes de Captain America, toujours à l'initiative de Samnee (Waid avait déjà écrit deux fois la série par le passé) avec en ligne de mire le 700ème épisode. Personne ne pouvait se douter que ce serait le dernier mis en images par l'artiste (même si les sollicitations pour Mai 2018 indiquaient que le #701 était illustré par Leonardo Romero).

Contrairement à Bendis, il semble que Marvel n'ait rien fait pour retenir Samnee dont le contrat arrivait à son terme. C'est tout simplement étonnant... Quoique des rumeurs persistantes annoncent que Ta-Nehisi Coates (actuellement aux manettes de la série Black Panther) serait le prochain scénariste de Captain America, avec donc, comme c'est l'usage, un nouvel artiste - on sait maintenant que Marvel compte relancer la série le 4 Juillet prochain (jour de la fête de l'Indépendance américaine, tout un symbole pour le héros).

Et maintenant ?
   


Le plus probable, sinon le plus évident, est que Chris Samnee rejoigne à son tour DC Comics. Il a déjà travaillé pour l'éditeur, brièvement, et il n'a jamais caché, dans les nombreux dessins qu'il poste sur les réseaux sociaux, son affection pour plusieurs personnages de la maison. Ce serait en tout cas une nouvelle belle prise pour la "distinguée concurrence" de Marvel après Bendis.

Parmi les héros DC qu'apprécie Samnee, il y a Batman. Le voir servir les scripts de Tom King serait un régal. Mais il est aussi un fan de Superman, alors pourquoi pas retrouver Bendis sur Action Comics (les deux hommes ont fait équipe sur Ultimate Spider-Man) ? A moins que...


A moins que Samnee n'obtienne de DC d'écrire ET dessiner une série : comme je l'ai dit, il était co-auteur avec Waid sur Daredevil, Black Widow et Captain America. Il est clair qu'il a des idées et la motivation pour signer ses propres scripts. Et DC, contrairement à Marvel, laisse à certains artistes le droit de signer leurs scénarios tout en assurant la partie graphique. 

Geoff Johns a, récemment, déclaré qu'il faudrait une série consacrée à Shazam dans un avenir proche, notamment car un film à sa gloire est actuellement en tournage. Chris Samnee serait un candidat idéal pour animer ce personnage, en cumulant les postes d'auteur et d'artiste.


Mais ce ne sont là que des spéculations personnelles. Tout ce que Chris Samnee s'est contenté d'annoncer, c'est que son projet prochain serait "excitant". Peut-être n'ira-t-il pas chez DC et tentera-t-il l'aventure du creator-owned (chez Image ?)... La seule certitude, c'est que Marvel se sépare d'un dessinateur remarquable et que ce dernier, où qu'il atterrisse, quoi qu'il fasse, je le suivrais avec appétit.

FUTURE QUEST PRESENTS #7 :BIRDMAN, de Phil Hester et Steve Rude


Décidément c'est le mois des fins puisque ce septième épisode de Future Quest presents est aussi le dernier chapitre de l'aventure de Birdman par Phil Hester et Steve Rude. Ce fut court, mais ce fut bon, et même davantage comme le prouve cette conclusion.


Mentok et ses disciples, après avoir tenté de pousser Jen Holder à tuer Birdman, sont interrompus par l'arrivée des agents de l'Inter-Nation. Ils se réfugient sur le toit de l'hôpital où le malfaisant leader aspire l'énergie vitale de ses sujets et des patients mourants afin d'ouvrir un portail dimensionnel pour le Dieu Décharné.


Falcon-7 supplie Birdman d'intervenir bien qu'il soit très perturbé par la révélation que le petit Jacob Holder ne soit pas son fils, après qu'il l'ait sauvé, et que l'Inter-Nation l'a manipulé en profitant de son amnésie partielle. Malgré tout, il s'envole pour affronter Mentok.


Répliquant grâce à la force que lui insuffle le Dieu Décharné, Mentok tourmente Birdman qui résiste grâce à un bouclier d'énergie solaire. Via l'esprit de Jacob, Jen Holder motive le héros pour qu'il riposte avant que l'essence du Dieu Ra ne soit dominé par celle de son adversaire.


Birdman réussit à briser le lien qui unit Mentok à ses sujets. Mais le méchant préfère être aspiré dans les ténèbres du Dieu Décharné que d'être sauvé en étant purifié par son adversaire.


Les agents de l'Inter-Nation prennent en charge les disciples dépossédés de Mentok, parmi lesquels Jen Holder tandis que Falcon-7 promet à Birdman de déclassifier son dossier afin qu'il recouvre la mémoire. Mais le héros fait le choix d'aller de l'avant en se consacrant à ses activités de justicier.

L'épisode débute par un tour de passe-passe narratif dans lequel Phil Hester se prend un peu les pieds : en effet, il s'avère que Mentok et sa clique dans la chambre de Jacob Holder ne sont qu'une illusion voué à désespérer Birdman en lui faisant croire que Jen Holder est prête à le tuer. Pourtant, à la fin du précédent épisode, on voyait le héros se jeter sur les disciples de son ennemi : s'ils n'étaient que des visions, il leur serait passé à travers...

Si on excuse cet embrouillamini, qui, en soi, n'a rien de dommageable pour la suite, alors on embarque dans la fin de cette histoire avec le même plaisir qu'auparavant. Hester conduit son récit avec beaucoup de rythme tout en ayant procédé à un resserrage de son intrigue pour aboutir à son climax.

L'affrontement final entre Birdman et Mentok tient toutes ses promesses, il est spectaculaire, intense, tout en proposant une réflexion (basique mais efficace) sur la foi. En effet, Birdman est en plein doute avant la bataille car il vient de découvrir, en cascade, que Jacob n'est pas son fils, qu'il n'a donc pas eu de liaison avec Jen Holder, mais aussi que l'Inter-Nation s'est servi de lui en profitant de son amnésie partielle, compromettant du même coup ses sentiments pour Falcon-7. Pas l'idéal au moment d'en découdre avec Mentok.

Mais un questionnement identique se pose chez ce dernier qui doit, en puisant dans les forces de ses fidèles et des patients mourants de l'hôpital, invoquer le Dieu Décharné en ouvrant un portail dimensionnel. On remarque que cette action réclame un effort important chez le méchant et lui inspire même de l'appréhension quand la divinité du mal qu'il sert se manifeste, menaçante au point de le faire vaciller. Mentok paraît alors dépassé par ce qu'il sollicite.

Ces troubles sont magnifiquement traduits en images par Steve Rude dont les planches sont une fois encore - ou comme toujours, devrait-on dire - somptueuses. La virtuosité de cet immense dessinateur (pourtant colosse aux pieds d'argile car il a avoué, dans un documentaire récent, souffrir de bipolarité et avoir connu de sévères déboires financiers en se lançant dans l'auto-édition) produit des compositions puissantes et sophistiquées : il faut voir comment donne une pleine page par "The Dude", ça envoie du bois !

Mais quand il découpe une scène en un "gaufrier" de neuf cases ou qu'il se passe de cadres pour exprimer le déferlement d'énergie déployée par les deux adversaires, on est également bluffé par ce mélange d'élégance et d'énergie. Les couleurs de John Kalisz parachèvent cette oeuvre avec une palette vive, tonique, qui convient idéalement à l'ambiance rétro du récit mais aussi au dessin classique, dans le sens le plus noble, de Rude. Quel bonheur !

Ces trois épisodes ont été un régal et Hester comme Rude y ont manifestement pris beaucoup de plaisir. On rêve de voir les deux hommes se réunir très vite pour un nouveau projet. La BD, quand elle est aussi bien servie, c'est du caviar !