jeudi 26 avril 2012

Critique 322 : MOON KNIGHT VOL.1, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev

Moon Knight, vol. 1 rassemble les 7 premiers épisodes de la série écrite par Brian Michael Bendis et dessinée par Alex Maleev, publiée en 2011 par Marvel Comics.
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Tout commence dans le désert égyptien : Marc Spector est laissé pour mort par son pire ennemi, Bushman, et rampe, agonisant, dans le tombeau vide du dieu Khonshu - qui semble lui léguer ses pouvoirs de Moon Knight.
Mais cette scène se révèle être l'image finale de l'épisode d'une série télé produite et inspirée par Marc Spector pour quelques happy few. Le héros s'est en effet installé à Los Angeles pour ce show, mais pas seulement...
En effet, Marc Spector n'a pas renoncé à sa double vie de super-héros, il est même devenu un Vengeur (Secret, officiant lors de missions clandestines avec Steve Rogers et d'aautres équipiers). Il a la confiance de Captain America, Wolverine et Spider-Man et s'est déplacé sur la Côte Ouest avec leur assentiment, pour enquêter sur le crime organisé local. 
C'est ainsi que lors d'une patrouille sur les docks il surprend un deal impliquant Mr Hyde, qui est en possesssion d'un robot Ultron désactivé. La transaction tourne court mais le vilain est pris à parti par le justicier qui récupère la tête de l'androïde avant que Hyde n'essuie la colère de son client (encore non identifié, sinon qu'il est extrèmement puissant).
Que va faire Moon Knight de la tête d'Ultron ? Il y réfléchit avec Captain America, Wolverine et Spider-Man, mais il apparaît rapidement qu'il n'est pas vraiment en contact direct avec eux... Et il va devoir composer avec Snapdragon, la complice du client mécontent de Hyde, à la tête d'un réseau de prostituées-indics, parmi lesquels s'est infiltrée Echo.
La jeune femme et Moon Knight décident d'unir leurs efforts pour résoudre cette affaire et régler le compte de leurs ennemis communs : la mission ne semble pas gagnée d'avance, même en rusant, d'autant que la police locale est sur les dents avec ces justiciers dans les parages et donc les mercenaires lancés à leurs trousses...


Echo téléphone aux Vengeurs pour s'informer
sur Moon Knight et sa santé mentale.

Le personnage de Moon Knight a été exploité dans une multitude de séries, en tant que héros solo ou au sein d'équipes (Defenders, West Coast Avengers, Secret Avengers). Avant que Brian Michael Bendis n'hérite du titre, ses derniers scénaristes ont fait de ce héros borderline, schizophrène et franc-tireur, un justicier de plus en plus violent et isolé, dont la réhabilitation (après Siege et à la faveur de l' "Heroic Age", quand il a intégré les Vengeurs Secrets) a du coup semblé forcé (comment admettre en effet qu'après avoir tué, il ait été amnistié et même recruté par Steve Rogers quand celui-ci a toujours difficilement toléré Wolverine ?).
Cette réserve mise à part (et sur laquelle Marvel ne reviendra plus), cette enième relance du héros par l'équipe créative de Daredevil (autre héros urbain récemment "gracié") possédait un attrait indéniable. Brian Bendis a effectivement choisi une direction inattendue, iconoclaste (comme d'habitude) et retrouve donc pour l'occasion le dessinateur avec lequel il produit certainement ses meilleurs oeuvres, Alex Maleev (le récent Scarlet a une fois encore prouvé l'efficacité de leur partenariat).
L'identité est devenu le thème central de leur série (qui ne durera que 12 épisodes, faute de ventes suffisantes - frustrant vu le résultat, mais au moins Marvel a-t-il permis que l'histoire aille à son terme) : il s'agit pour l'auteur d'explorer aussi bien la psyché de Moon Knight que celle de Marc Spector, et le projet devient alors une réflexion passionnante sur le super-héros comme le prolongement d'une folie assumée et (qui se veut) bienveillante. L'idée est donc d'examiner ce qu'un individu qui se costume pour jouer les justiciers est vraiment et comment il est perçu par son entourage - un partenaire logistique, une alliée sur le terrain, ses adversaires directs. Tous les personnages semblent ici jouer un rôle, à l'image des héros de séries télé comme celle que produit Spector (d'ailleurs Bendis a-t-il pensé à Phil Spector, le producteur excentrique condamné pour meurtre, quasi-homonyme de Marc Spector, super-héros extravagant qui a été amnistié de ses crimes ?), mais les rôles qu'ils jouent sont constamment en opposition avec ce qu'on pense d'eux ou les placent dans des situations qui les dépassent.



Marc Spector désire à la fois fréquenter Echo
sentimentalement et professionnellement...
Mais ses référents (imaginaires) divergent sur la nécessité
de cette association.

Pour appuyer ce jeu des apparences, Bendis a pris soin de poser et de renouveler le "supporting cast" du héros. La première addition (et la plus notable) réside dans la présence d'Echo, une de ses héroïnes favorites, typiques des personnages de second rang qu'il affectionne (et dont on avait perdu la trace depuis la fin de Secret Invasion et la période du "Dark Reign" : elle avait donc simplement changé d'adresse après la défaite des Skrulls et l'arrivée aux responsabilités de Norman Osborn).
Son emploi est doublement important : pour l'intrigue d'abord, elle va aider Moon Knight dans son enquête alors qu'elle était infiltrée dans la bande de prostituées de Snapdragon ; pour la définition du héros ensuite puisque s'instaure entre elle et lui une sorte de romance à la "je t'aime, moi non plus", mais aussi parce que, étant sourde, elle offre un contrepoint astucieux à Spector qui, lui, entend des voix (et le lui cache).
Le duo fonctionne en tout cas très bien (et esthétiquement aussi puisqu'au costume blanc de Moon Knight répond celui, noir, d'Echo), Maya Lopez étant également considérée comme un Vengeur de seconde zone et étant avide de reconnaissance. 


Marc Spector avoue : il entend des voix.
Mais cela doit-il rassurer Buck, son acolyte ?

L'autre second rôle greffé à la série est un ancien agent du SHIELD, Buck, d'abord engagé par Spector comme consultant pour sa série télé avant de devenir un technicien chargé d'examiner la tête d'Ultron et de l'aider à pièger celui qui voulait l'acquérir.
Ce personnage normal permet aussi de souligner le contraste entre le héros costumé et psychologiquement instable et l'histoire criminelle presque classique qui est développé. Buck sert de point d'entrée pour le lecteur, c'est le seul protagoniste auquel on peut s'identifier, on est médusé puis complice comme lui, et grâce à lui, ces épisodes dépassent le cadre convenu du récit strictement super-héroïque. D'une manière analogue mais néanmoins distincte, il remplit la même fonction que Foggy Nelson dans Daredevil : c'est à la fois un témoin et le complice du héros, donc c'est vous, c'est moi, c'est le double du lecteur.
Le récit se déroule sur un rythme rapide, avec de l'action à chaque épisode et des scènes richement dialoguées, dans le plus pur style Bendis. Ceux qui goûtent moins à ce qu'écrit le scénariste sur des séries d'équipe seront certainement plus conquis ici, où le casting est plus réduit et les situations plus concentrées. Sa caractérisationde Marc Spector est différente de tout ce qu'on a vu auparavant (n'hésitant pas à le tourner parfois en ridicule, à montrer que son impulsivité le met - et met les autres - en danger), ce qui le rend à nouveau accessible pour ceux qui ne sont pas familiers du personnage.
Enfin, quand son identité est révèlée, le choix du vilain promet un second acte particulièrement accrocheur tant sa puissance instaure un déséquilibre avec les ressources de Moon Knight et ses partenaires : c'est un adversaire du  niveau de Thor, un malfrat historique qui est crédible comme potentiel caïd de Los Angeles et menace mortelle pour le héros. L'issue de leur affrontement est pour le coup sérieusement imprévisible.
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Maleev rend un hommage sensible
mais personnel à Sienkewicz,
l'artiste emblématique de Moon Knight.

Tout ça nous amène à parler de la contribution d'Alex Maleev, qui semble ici adresser une lettre d'amour à Bill Sienkiewicz en adoptant un style qui évoque celui que ce dernier avait lorsqu'il dessinait Moon Knight à ses débuts.
Encore une fois, le bulgare a subtilement modifié sa technique pour cette série, après les expérimentations photographiques de Scarlet : le résultat est aussi réaliste mais différent dans la mesure où il paraît avoir voulu démontrer ce qui rend absurdes les hommes (et femmes) déguisés en justiciers masqués. Le script de Bendis s'amuse d'ailleurs à plusieurs reprises à démasquer Moon Knight, et Echo ne porte pas vraiment une combinaison ni de masque, pas plus que leur ennemi et sa complice. La loufoquerie de Marc Spector suffit à le distinguer, lui ajouter les apparats du super-héros classique n'est là que pour l'effet graphique, volontairement exagéré (une cape démesurèment grande, l'adoption de costumes/accessoires d'autres héros - Spider-Man, les griffes de Wolverine...). C'est finement joué pour représenter le décalage constant dans lequel se trouve Moon Knight.   
De fait, jamais Maleev ne donne la chance à Marc Spector de paraître cool, de prendre la pose, sa gestuelle est empruntée, son expressivité limitée, il n'a vraiment rien du brave héros majestueux, ce "Chevalier de la Lune", rien de poétique comme le suggère son nom, il est à la limite du bouffon. Mais c'est ce qui permet de le rendre attachant, de frissonner pour lui, et de sourire quand, malgré ses handicaps, il se montre assez rusé pour surprendre son adversaire.
Néanmoins, les personnages de Maleev possèdent un charme certain, en particulier ses femmes (Echo a un look latino crédible, Snapdragon une élégance froide).
Maleev est habilement assisté par Matthew Wilson à la colorisation (et Matthew Holligsworth pour le 7ème épisode), dont la palette est riche de nuances et traduit l'ambiance bien particulière de Los Angeles, complètant à merveille le trait nerveux et en même temps affirmé du dessinateur.
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En résumé, si vous avez apprécié le run de Bendis et Maleev sur Daredevil, leur passage sur Moon Knight a toutes les chances de vous séduire tout en ayant l'adresse de ne pas en répéter les gimmicks, avec un héros plus barré. Bendis réussit à donner envie de connaître la suite (et fin) de l'aventure, tandis que Maleev donne à l'ensemble une allure unique.

dimanche 22 avril 2012

LUMIERE SUR... IVAN REIS

Ivan Reis

Black Cat

Ms Marvel

Namora

Shadowcat et Lockheed

Catwoman

Star Sapphire et Green Lantern

Star Sapphire

Starfire

Wonder Woman

JLA poster

"Drawing the line" promo art

Aquaman, Mera et Aqualad

Mera character design

World's Finest





5 pages d'Aquaman #1


3 pages de Justice League #8

Naissance au Brésil.
Dessinateur.
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Le site de l'artiste :  http://www.ivanreisdc.deviantart.com/

samedi 21 avril 2012

Critique 321 : CAPTAIN AMERICA & BUCKY - THE LIFE STORY OF BUCKY BARNES, d'Ed Brubaker, Marc Andreyko et Chris Samnee



Captain America and Bucky : The Life Story of Bucky Barnes rassemble les épisodes 620 à 624 de la série Captain America, écrits par Ed Brubaker et Marc Andreyko et dessinés par Chris Samnee, publiés en 2011 par Marvel Comics.
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Qui est vraiment James Buchanan Barnes dit "Bucky", devenu le sidekick de Captain America durant la IIème Guerre Mondiale puis le Winter Soldier, agent de la Russie ? C'était d'abord un gamin turbulent, traumatisé par la mort de sa mère, puis séparé de sa soeur cadette après le décès de leur père. Son tempérament bagarreur le fait remarquer par un haut gradé de l'armée américaine qui l'envoie suivre une formation de commando avant de lui présenter Steve Rogers, le super-soldat Captain America, afin qu'il devienne son partenaire sur les champs de combat en Europe.

Il devient un des Invaders puis est déclaré mort après avoir tenté d'arrêter le Baron Zemo... Mais il est récupéré et conditionné par les russes qui vont en faire un tueur, le Soldat de l'Hiver. Il rencontrera alors la Veuve Noire, une espionne, dont il tombe amoureux. Jusqu'à ce que sa route croise à nouveau celle de Captain America et qu'il recouvre la liberté...
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Quand dans le 9ème épisode de Captain America, en 2006, Ed Brubaker confirme le retour de Bucky Barnes, il brise un des plus vieux tabous de la mythologie Marvel car le personnage faisait partie de ces morts qu'on ne ramène pas (ou alors de façon détournée et temporaire), comme Captain Marvel ou Gwen Stacy. Pourtant, aujourd'hui, avec le recul, et plus encore à la lumière de cet album, on mesure à quel point Bucky est le pivot du run de Brubaker.
Non seulement le scénariste a réussi le tour de force de réintégrer le personnage en satisfaisant les fans et les critiques, mais il a considérablement enrichi le passé de Bucky et a créé une sorte de nouvelle icone, peut-être la première depuis Elektra ou le Punisher, ce qui dans un univers aussi figé que les comics super-héroïques, où les nouvelles têtes (ou les anciennes remises à jour) recueillent peu de suffrages.
La série Captain America a vu, dans un premier temps, son héros apprendre que son co-équipier de la 2nde Guerre Mondiale n'était pas mort (seul Nick Fury était au courant) mais aussi qu'il était devenu un agent russe, tueur implacable au cerveau lavé. Au terme de leur premier face-à-face, grâce au cube cosmique, Bucky recouvrait la mémoire mais disparaissait à nouveau, hanté par son passé. Ensuite, il est devenu un second rôle, apparaissant épisodiquement dans tel ou tel arc, et cherchant d'abord à se venger de Crâne Rouge.
La "mort" de Steve Rogers à la fin de Civil War allait précipiter son véritable retour au premier plan en même temps qu'elle allait considérablement altérer les plans de Brubaker. La série Captain America vécut plusieurs mois durant sans son héros, sans voir ses ventes chuter (au contraire même), et simultanèment on voyait Tony Stark chercher un successeur à Rogers et Bucky vouloir récupérer le bouclier du héros disparu. Finalement, il devint, sans pour autant se soumettre, le nouveau Captain America. Mais dès le départ de cette nouvelle ére, il était visible que ce rôle allait être très (trop) lourd à porter.
Lorsque Rogers réapparut (avec la saga Reborn et durant le crossover Siege), celui-ci refusa pourtant de déposséder son partenaire de son nouvel alias. Mais piégé par le Baron Zemo (fils du premier) puis rattrapé par la justice russe, la carrière de Bucky comme Captain America arrivait à échéance. Pour le reste, cela s'est joué dans Fear Itself...
Ces cinq épisodes sont à la fois l'occasion de boucler le volume de Captain America avant son relaunch (consécutif à Fear Itself) et de dévoiler, littéralement et dans le détail, "l'histoire de la vie de Bucky Barnes". Ce qui était résumé dans ce fameux 9ème épisode de 2006 est ici développé afin d'éclaircir plusieurs points et d'opérer la liaison avec les récents évènements.
Ed Brubaker a collaboré avec Marc Andreyko (Manhunter chez DC) selon une méthode sans doute similaire à celle d'Immortal Iron Fist avec Matt Fraction : le premier a posé le synopsis auquel le second a ajouté les dialogues avant d'éventuelles retouches. Depuis, trois autres épisodes ont été ajoutés, co-écrits avec James Asmus et dessinés par Francesco Francavilla, mais ce recueil se suffit à lui-même.
Chaque chapitre est une étape dans le parcours de Bucky, de son adolescence au cours de laquelle il perd ses parents et est séparé de sa soeur à ses activités comme Winter Soldier et sa réhabilitation, en passant par le début de son partenariat avec Captain America, sa participation aux batailles avec les Invaders et sa découverte d'un camp de concentration.


Ce segment est sans doute le plus mémorable. D'aucuns estimeront que situer une aventure de super-héros dans l'endroit qui résume le plus durement la barbarie nazie n'est pas opportun. D'autres (dont je fais partie) pensent que la vocation des comics est aussi d'autoriser de telles scènes, non pour le simple divertissement, mais parce que la popularité du média peut également servir à instruire ses lecteurs. Il n'y a pas à polémiquer là-dessus tant que c'est écrit intelligemment et dignement, et sur ce point Brubaker et Andreyko sont irréprochables : il montre la stupéfaction, l'horreur et la colère qui s'emparent de Bucky quand il découvre les charniers puis les prisonniers et leurs geôliers - ce gamin à qui on appris à tuer et suivre les ordres, venu pour libérer un informateur, reçoit en pleine figure ce qu'il voit et on peut imaginer que son courroux est l'expression de son incompréhension (devant la cruauté des nazis, devant le fait que les alliés n'ont pas empêché la déportation, etc).
Juste avant la séquence à l'intérieur du camp, les scénaristes suggèrent encore plus efficacement ce qui va s'y jouer quand, dans une jeep, Bucky et Toro sont surpris de voir de la neige tomber... Avant de comprendre qu'il s'agit non pas de flocons mais de cendres, celles des détenus condamnés au four crématoire. Images à la fois glaçantes et puissamment évocatrices.
Cet épisode suffit à dire que cette histoire, sous son apparence entraînante, parfois amusante, est étonnamment cruelle et poignante car Bucky, tout du long, traverse de terribles épreuves (deuil, séparation, conditionnement). Le personnage en sort plus attachant et plus incarné que bien d'autres de ses confrères aux destins plus fantaisistes...
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Chris Samnee dessine les cinq épisodes avec sa classe habituelle : son art à quelque chose d'intemporel, à la fois classique et moderne, comme peuvent l'être les travaux de Marcos Martin (héritier de Ditko) ou Steve Rude (héritier de Kirby).
Son trait est expressif, fin, élégant, précis, sans fioritures, mais avec un sens éprouvé du découpage. On pense souvent à l'immense Alex Toth en vérité et, après le délicieux Thor the mighty avenger, il est évident qu'une grande carrière s'ouvre pour ce dessinateur à la fois productif et racé.
La colorisation soignée et intelligente, nuancée à point, de Bettie Breitweiser achèvera de séduire le lecteur.
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Une formidable collection d'épisodes par une équipe créative de premier plan : ne passez pas à côté, même si vous avez l'impression que vous connaissez déjà l'essentiel de cette histoire.

samedi 14 avril 2012

Critique 320 : SECRET AVENGERS - RUN THE MISSION. DON'T GET SEEN. SAVE THE WORLD, de Warren Ellis et Jamie McKelvie, Kev Walker, David Aja, Michael Lark, Alex Maleev et Stuart Immonen

Secret Avengers : Run the mission. Don't get seen. Save the world. rassemble les épisodes 16 à 21 de la série, écrits par Warren Ellis et dessinés par Jamie McKelvie (#16), Kev Walker (#17), David Aja (#18), Michael Lark (#19), Alex Maleev (#20) et Stuart Immonen (#21), publiés en 2011-2012 par Marvel Comics.
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Lors de la refonte de la franchise "Avengers" avec l' "Heroic Age" à l'issue de Siege, Secret Avengers s'annonçait comme un des titres les plus excitants, avec son concept de Vengeurs agissant partout dans le monde en clandestins et une équipe créative de premier plan (Ed Brubaker au scénario, Mike Deodato au dessin). Après 12 épisodes pourtant, le pilote de Captain America jette l'éponge, au terme de trois arcs inégaux.
Marvel parie alors sur Nick Spencer, dont la série chez Image, Morning Glories, en a fait une des sensations de 2010, pour lui succèder. Les fans pensent qu'il va s'installer durablement sur le titre, mais en vérité, avec le dessnateur Scot Eaton, il ne restera que quatre épisodes (dont un ".1"), annexés à la saga Fear Itself, et sans faire d'étincelles.
Warren Ellis, qui a l'habitude d'accepter des piges occasionnels pour mener des projets personnels à côté, s'engage alors pour 6 numéros, à présent rassemblés dans un album. Sa réputation lui permet d'avoir carte blanche et il ne s'en prive pas : il recentre la série sur l'action, l'espionnage et un zeste de fantastique techno, redéfinit le casting en le resserrant sur une formation tournante de 3-4 membres (sauf pour le dernier numéro où tout le monde est réuni), chaque "issue" est un "one-shot" illustré par un artiste différent au style marqué mais n'ayant jamais officié sur le titre auparavant.
L'anglais, qui n'aime guère les super-héros, cède sa place au terme de son bail à Rick Remender associé à Gabriel Hardman et Renato Guedes. Depuis, les ventes sont en chute libre et les Secret Avengers devraient passer à la trappe une fois le crossover Avengers vs X-Men terminé...
Mais revenons sur le court run d'Ellis et ses acolytes.
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- #16 : Subland Empire. Dessiné par Jamie McKelvie. Steve Rogers localise une base de l'Empire Secret, en fait une ville entière bâtie dans les années 70 située sous une ville  ! Le Fauve a repéré ce site grâce à des raditations telles que celles que manipule le Dr Fatalis pour fabriquer une machine temporelle que veut récupérer le Conseil de l'Ombre...

Ce premier chapitre laisse une impression curieuse : Ellis dispose des éléments excitants (la ville souterraine, la machine temporelle) mais en inscrivant dès le départ son run dans une suite de "one-shot" (même s'il refera appel au Shadow Council), il refuse de les développer. D'où le sentiment d'un récit trop expéditif pour un argument au potentiel si riche. Le découpage est d'ailleurs bancal, avec un début très explicatif qui plombe l'épisode.
Néanmoins, la patte de l'anglais est déjà évidente : l'équipe trop fourni de l'ère Brubaker est réduite à un quatuor (Rogers, la Veuve Noire, le Fauve et Moon Knight), chacun étant choisi en fonction de ses compétences (le chef, l'exécutrice, le savant, l'éclaireur), avec à la clé quelques répliques aiguisées. La référence à la fois à Mission : impossible et à Global Frequency (d'Ellis lui-même) est limpide, sans être aussi efficace.

Graphiquement, Jamie McKelvie (Phonogram) s'avère un choix des plus curieux : son style, proche d'une ligne claire réaliste, s'accommode assez mal du registre sinon super-héroïque, du moins du récit d'action spectaculaire. Le design du Fauve est à cet égard particulièrement calamiteux, lui donnant l'aspect d'un ours en peluche ridicule.

Bref, c'est un début en demi-teinte.
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- #17 : Beast Box. Dessiné par Kev Walker. Dans l'ex-Yougoslavie, un camion fou tue tous ceux qu'il croise : l'affaire attire l'attention de Rogers qui se rend sur place avec Sharon Carter, War Machine et Valkyrie. 

C'est l'épisode le plus raté de toute la collection, autant le dire tout de suite : le pitch est d'un minimalisme paresseux, que ne vient pas sauver le parti-pris d'une action à tout-va. Une équipe de Vengeurs contre un camion fou : il suffit de lire cette phrase pour comprendre l'indigence du projet.
Bien entendu, Ellis a recours à quelques-unes de ses marottes, comme lorsqu'il montre le chauffeur du monstre transformé en une espèce de cyborg, débitant des anathèmes contre ces espions américains et leurs gadgets. Mais cette auto-parodie est franchement affligeante de la part d'un scénariste pareil.
Le dénouement est expédié en une page, sans être très clair. Bref, c'est navrant.

Comme si ça ne suffisait pas, il faut supporter avec les dessins de Kev Walker (Thunderbolts), qui, comme à son habitude, se complaît à représenter des personnages méconnaissables et grimaçants dans des pages cadrées à la hussarde et sans décors.

Un échec total.
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- #18 : No Zone. Dessiné par David Aja (avec Raùl Allen). Une base du Conseil de l'Ombre qu'une réplique d'Arnim Zola (le savant nazi, souvent complice de Crâne Rouge) dirige sert de portail expérimental avec la zone négative. Avec Sharon Carter et Shang-Chi, Steve Rogers va tenter d'arrêter ces manoeuvres...

Après deux épisodes très moyens, Warren Ellis se retrousse les manches et livre un chapitre bien meilleur : l'équipe est cette fois carrèment réduite à un trio, mais la véritable attraction de l'histoire est le maître du kung-fu, Shang-Chi (ramené par Brubaker dans son 2ème story-arc, Eyes of the dragon). Le scénariste le meet en scène comme une véritable machine à tuer, mutique et implacable, dans un décor renversant évoquant les jeux vidéos à paliers.
Le récit est basique et très rapide, mais d'une redoutable efficacité, avec quelques répliques bien senties.

L'autre atout de l'épisode est la présence de David Aja (assisté à l'encrage par Raùl Allen) au dessin : l'espagnol fait feu de tout bois sur ce script minimal mais qui lui permet de jouer de manière virtuose sur le découpage, les angles de vue, le flux de lecture. Le résultat est prodigieux, inventif, intelligent, remarquablement dosé, avec un trait épuré à l'extrème et aux effets judicieusement disposés.

Un spectaculaire redressement.
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- #19 : Aniana. Dessiné par Michael Lark (avec Stefano Gaudiano et Brian Thies). Dans la ville d'Aniana en Symkarie (entre la Latvérie et la Roumanie), les Vengeurs Secrets sont sur la piste d'un curieux trafic transformant des mercenaires en surhommes. Steve Rogers, Sharon Carter, la Veuve Noire interviennent pour coincer leur chef, Voydanoi, après que Moon Knight ait infiltré son repaire incognito...


Avec ce nouveau chapitre, Warren Ellis signe sans doute son meilleur travail sur la série. Tous les éléments l'attestent : le danger est rapidement exposé, l'intervention des Secret Avengers rondement menée avec un des leurs attaquant de l'intérieur, le face-face final résolu de manière musclé après une révèlation sur l'origine du sérum des surhommes slaves.
Ellis mixe à la perfection les ingrédients du récit d'espionnage, l'action, tout en glissant in fine une explication fantastique comme il les affectionne et qui donne une perspective insoupçonnée à l'opération. La caractérisation, quoique sommaire comme auparavant et après, est efficace, chacun ayant un rôle à jouer bien défini - Moon Knight étant la vedette du jour.

Au dessin, Michael Lark est parfaitement dans son élément, son style est plus "rushé" qu'à l'accoutumée, s'étant concentré sur le découpage et les personnages et laissant les finitions à son complice Stefano Gaudiano (épaulé par Brian Thies). La colorisation de José Villarubia contribue aussi à l'ambiance étrange de ce segment en choisissant des teintes pastel et contrastées.

Excellent. 
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- #20 : Encircle. Dessiné par Alex Maleev. Une intervention de l'équipe, formée par Steve Rogers, Sharon Carter, War Machine et la Veuve Noire, tourne mal à Evge, en Norvège. La Veuve utilise un appareil lui permettant d'effectuer des sauts dans le passé afin de corriger le tir en neutralisant l'ennemi avant l'assaut fatal. 44 ans, 30 ans, 6 ans, 5 ans, 3 ans, un mois, une semaine ou 30 secondes avant, l'espionne doit à la fois rencontrer divers savants et assembler une machine capable de la sortir, elle et ses compères, de ce mauvais pas... 
 

C'est l'épisode le plus déroutant de la collection : cette fois, Warren Ellis concentre toute notre attention sur la Veuve Noire qui, pour éviter une mort certaine à l'équipe, opère plusieurs courts voyages dans le temps, parfois très loin dans le passé. La narration est totalement éclatée et exige d'être vigilant, tout en étant malgré tout très fluide et menée sur un rythme effrenée, comme une vraie course contre la montre (procédé que le scénariste va reprendre dans l'épisode suivant, mais de manière plus linéaire).
L'aspect purement fantastique du récit est admirablement géré par un auteur qui sait manier comme personne ce genre. On est tenu en haleine jusqu'au bout, avec une héroïne superbement mise en valeur.

Alex Maleev a trouvé le temps, entre deux épisodes de Moon Knight, de produire ce chapitre et il ne l'a pas fait négligeamment, déployant des trésors d'invention pour coller au plus prés des époques traversées et des ambiances évoquées.
Le sommet se situe lorsque durant deux planches et demie, l'artiste découpe l'action en trois strips de trois vignettes chacun, en noir et blanc sur papier sépia, et en imitant le style de Jim Holdaway sur Modesty Blaise (référence de toujours pour la Veuve Noire) : c'est aussi jubilatoire qu'éblouissant.

Une expérience épatante.
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- #21 : Final Level. Dessiné par Stuart Immonen. L'office of National Emergency se situe dans un building en proie à un incendie. Mais les Vengeurs Secrets ne sont pas là pour jouer les pompiers de service : en effet, parmi les cadres de cette agence se cache un traître, ayant connaissance d'un produit inconnu mais dangereux et surtout non localisé...

Warren Ellis clôt son run en reprenant le dispositif du précédent épisode : toute l'histoire est construite sur un compte à rebours, et ce procédé va motiver l'équipe dont la préoccupation n'est plus simplement de remplir la mission ("run the mission") ou de ne pas être vue ("don't get seeen") mais de sauver le monde ("save the world"). Quand ils découvrent la menace dans le sous-sol du building de l'O.N.E., on comprend en effet que ça ne va pas être simple.
Volontiers provocateur, même s'il a été assez mesuré jusque-là, Ellis oblige Steve Rogers à appliquer des méthodes inattendues, comme le recours à la torture (même si, en fait, il laisse cette sale besogne à Moon Knight et la Veuve Noire). Cela peut sembler "out of character" mais présente aussi l'intérêt de montrer que de tels Vengeurs ne sont pas de simples et valeureux héros, plutôt des soldats, des commandos.

Pour l'occasion, Ellis collabore à nouveau avec Stuart Immonen, son partenaire sur Nextwave et Ultimate Fantastic Four, qui venait juste de terminer Fear Itself. Si le canadien semble parfois moins appliqué, ses planches possèdent toujours cette formidable énergie, ses personnages sont expressifs, son découpage ultra-dynamique (même quand il sacrifie à la double-planche rituelle depuis le début du run d'Ellis).

On tourne les pages si vite que le dénouement vous cueille littéralement !
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C'est un peu dommage qu'Ellis n'ait pas prolongé son séjour car plus il progressait, meilleur il était, mais en l'état, et avec le concours de graphistes inspirés (pour les 2/3 au moins), ce run est d'une efficacité exemplaire.