dimanche 31 décembre 2017

MEILLEURS VOEUX POUR 2018 !

Avec un peu d'avance, je vous adresse mes meilleurs voeux
pour l'année à venir.

Et pour bien finir 2017, 
une lecture de choix avec ce récit issu de la collection
Batman Black & White, Blackout 
signé Howard Chaykin au scénario et Jordi Bernet au dessin.
Enjoy !








RED ONE, BOOK 1 : WELCOME TO AMERICA, de Xavier Dorison et Terry Dodson


Comme je l'avais questionné en critiquant Les Captainz de Yoann et Olivier Texier, le traitement des super-héros par les auteurs français suscite toujours une certaine méfiance chez les fans du genre car ils craignent que ce ne soit abordé que sous l'angle parodique. Mais qu'en est-il quand un scénariste français écrit sur ce sujet pour un dessinateur américain rompu à ces personnages, leur univers, leurs codes ? C'est un des intérêts du projet Red One de Xavier Dorison et Terry Dodson, publié aux Etats-Unis chez Image Comics à partir de 2015.


1977. Los Angeles. La "première" d'un film est contrariée par une manifestation conduite par la pasteur Jacky Core, une puritaine qui prétend vouloir sauver l'âme de l'actrice Lyn parce qu'elle interprète à l'écran une lesbienne. Vexée, cette dernière, prête à en venir aux mains, est convaincue de s'éclipser discrètement par son compagnon tandis que la police se charge de ces bondieusards. Malheureusement, peu après, le couple est tué par un tueur en série, le Charpentier.


Russie. Vera Yelnikov s'entraîne dans un camp militaire et impressionne tous les troufions, aussi émus par ses performances athlétiques que par sa sculpturale beauté. Après une visite express à sa famille, son supérieur direct, Georg, la convoque pour une mission sur ordre de Brejnev. 

Elle est envoyée aux Etats-Unis pour y neutraliser le Charpentier et devenir ainsi une super-héroïne aussi populaire que Batman, Superman ou Spider-Man - un pied-de-nez contre l'impérialisme américain qui ne saura pas qu'il adore une bolchévique. Georg confie à Vera un walkman et une cassette audio avec ses instructions avant qu'elle ne s'envole pour le Nouveau-Monde.


Sur place, Vera, sous le faux nom de Jane Alabama, a deux contacts : le premier, Lew Garner, est un réalisateur de cinéma, qui l'héberge et doit lui fournir un travail comme couvertures, et le second est Russlan, réparateur d'électro-ménager dont la boutique servira de base à la jeune femme et où l'attend son costume de super-héroïne...


Sous le pseudonyme de Red One, Vera intervient de manière de plus en plus spectaculaire : d'abord en neutralisant des disciples du Charpentier vandalisant un vidéo-club, puis des garçons harcelant deux jeunes filles dans un collège, et en s'attaquant aux fidèles du pasteur Jacky Core retranchés dans un bâtiment.


Ses coups d'éclats font rapidement la "une" des médias qui s'interrogent sur la véritable identité, l'origine et les motivations de cette justicière. Mais Vera est occupée par ailleurs, découvrant l'abondance des super-marchés américains et servant de bonne à tout faire pour Lew Garner chez qui elle loge.

Invitée une fête par le producteur Joe Jones, elle y entraîne Lew et elle se voit offrir de passer une audition pour leur nouveau projet, un remake pornographique d'un ancien film oublié, La Ferme. Mais la party est interrompue par une horde de fanatiques religieux à la solde de Jacky Core. Alors qu'elle veut s'interposer, Vera est appelée par Russlan qui a localisé le Charpentier.


L'assassin vient de tuer en la brûlant vive Jessie Maryn, une écrivain de Gauche, lesbienne et militante pour la paix, et il s'en prend alors à sa compagne. Red One intervient sans réussir à maîtriser son adversaire tandis que l'autre cible du Charpentier est sur le point d'accoucher !

La première arche narrative de Red One s'intitule simplement Welcome to America et compte quatre épisodes de presque cinquante pages, un format imposé pour sa diffusion européenne et adapté à un recueil de presque cent pages aux USA.

L'épisode inaugural se distingue par son rythme soutenu : Xavier Dorison installe rapidement la situation avec les manifestations des intégristes religieux soutenant la pasteur Jacky Core contre la libération des moeurs dans les Etats-Unis de 1977 et la présence inquiétante d'un serial killer, le Charpentier, qui s'en prend à de jeunes femmes trop affranchies à son goût. Le scénariste ne fait pas mystère du soutien des fanatiques pour l'assassin sans établir une complicité explicite entre les deux, mais en deux scènes spectaculaires, la menace est posée.

Puis, changement de décor : nous voici en Russie, sous la présidence de Léonid Brejnev, et nous faisons connaissance avec l'héroïne, Vera Yelnikov. Initialement, Red One devait s'appeler Red Window mais l'éditeur américain a craint un procès de la part de Marvel, publiant les aventures de Black Widow. Dorison pensait-il à Natasha Romanov en créant sa belle espionne soviétique ? C'est probable, mais on sait à quel point le tempérament procédurier des uns invite à manoeuvrer avec prudence dans ce genre de cas.

L'auteur prend le parti de la légèreté pour rebondir sur le prologue : il n'est pas mentionné que Vera est une surhumaine mais elle affiche pourtant des capacités physiques exceptionnelles, avec une force, une endurance et une agilité supérieures à la moyenne. On apprend qu'elle est intervenue dans des régions dangereuses (comme l'Afghanistan), ce qui résume facilement son expérience, suggère un passé de guerrière aguerrie. Mais élevée dans un environnement stricte et pauvre, dans une Russie représentée comme un régime répressif, sa fantaisie offre un contraste saisissant et réjouissant.

Dorison n'a plus qu'à suivre cette caractérisation pour ironiser sur le décalage du personnage lors de son arrivée en Amérique, où tout la surprend, depuis le climat californien jusqu'à l'abondance des super-marchés en passant par le choc culturel qui tiraille la société, entre puritanisme et hédonisme.

Ces lignes narratives sont soutenues, soulignées par le dessin de Terry Dodson : cet artiste fait partie des adeptes du "good babe art", émule d'Adam Hughes avec Frank Cho, tous héritiers de peintres de pin-ups (comme Varga ou Gil Elgren). Dodson a travaillé pour DC et Marvel sur des titres phares, de Wonder Woman à Spider-Man, et fait équipe avec sa femme, qui réalise ses encrages ; il est donc en terrain connu.  

Et il prend un plaisir communicatif à illustrer cette histoire plus ludique que les récits au premier degré que lui offrent les "Big Two". Il peut à la fois prouver une fois encore son talent pour représenter les très belles filles, girondes, pulpeuses, à l'air faussement ingénu, sans avoir à se retenir sur l'érotisme (coquin, mais pas grivois). Curieusement, on pense aux incendiaires italiennes des années 50-60, de Sophia Loren à Claudia Cardinale, terriblement sensuelles sans être vulgaires, jouant de leur charme ravageur sans avoir l'air d'y toucher : Vera Yelnikov alias Jane Alabama est une pure créature de cartoon à la fois déterminée, maladroite et ensorceleuse. 

Le découpage de Dodson gagne en densité avec le script de Dorison et il se permet un plus grand nombre de plans par page, des détails plus soignés pour les décors, grâce à un temps plus long consacré à la réalisation de l'épisode. Son trait rond et expressif et les couleurs tour à tour nuancées et vives rendent l'ensemble très agréable.

Cette variation moderne de Ninotchka est un plaisir, un peu coupable, de lecture : tout ça n'est pas très subtil, je vous l'accorde, mais c'est indéniablement divertissant, respectueux sans être trop révérencieux, dynamique et aguicheur. Je vous garde au chaud la suite pour l'an prochain... Stay tuned !

vendredi 29 décembre 2017

HAPPY BIRTHDAY, STAN "THE MAN" !

Toujours là, toujours fringant,
Stan Lee a fêté hier ses 95 ans !

Longue vie à Stan "The Man"colosse des comics, ambassadeur de la "Maison des Idées" (qui devrait méditer sur l'esprit originel de celui qui la refonda en ces temps troublés que traverse Marvel). Et merci pour tout ce que vous nous avez proposés !


Portrait de la légende par David Mack.

THE GIRLFRIEND EXPERIENCE (Saison 2) (Starz)


Après une première saison captivante et troublante, les showrunners de The Girlfriend Experience ont voulu changer totalement la formule de la série en développant non pas une mais deux histoires, indépendantes qui plus est. Lodge Kerrigan a écrit et réalisé 7 épisodes sur un couple féminin, Erica & Anna, tandis que Amy Seimetz a rédigé le scénario et assumé la mise en scène consacrés à l'arc narratif de Bria. Un pari risqué... Et qui ne tient pas ses promesses.

*

Erica & Anna, par Lodge Kerrigan.

Erica Myles et Anna Carr (Anna Friel et Louisa Krause)

Erica Myles est la directrice financière d'un sénateur Républicain en campagne pour être réélu. Lorsqu'un des donateurs prévient qu'il veut miser sur un autre candidat, elle cherche par tous les moyens à l'en empêcher et s'informe à son sujet. Ainsi apprend-elle qu'il fréquente des escort-girls et contacte l'une d'elles, Anna Carr. Cette dernière accepte de piéger ledit Mark Novak en produisant une sextape contre une récompense et parce qu'elle ne supporte pas ce client qu'elle considère comme un "porc".

Erica et Anna

Novak sous contrôle, Erica s'occupe de nouveau à lever des fonds auprès de puissants hommes d'affaires qui, en échange de leurs contributions, réclament du sénateur qu'il fasse voter des lois en faveur du libre marché, d'allègements d'impôts sur leurs sociétés et autres commodités. Anna accepte de revoir Erica gracieusement et elles deviennent amantes après que la seconde ait avoué à la première sa rupture récente avec l'avocate Darya Esford.

Anna et Erica

Lorsqu'un certain Peter Koscielny est prêt à donner 25 millions $ à Erica, elle s'interroge sur la provenance d'une telle somme, sachant que celui qui la verse est en affaires avec un industriel canadien - or la loi américaine sur le financement des campagnes électorales nationales interdit tout argent provenant d'un pays étranger. Son assistante, Sandra Fuchs, est abordée par le F.B.I., qui a vent de l'affaire, et découvre que Koscielny est bien l'intermédiaire de Martin Orban, résidant au Canada.

Anna et Erica

La situation amoureuse et professionnelle d'Erica sombre alors : Darya fait mine de revenir vers elle et l'oblige à quitter Anna avant de l'abandonner une nouvelle fois, tandis que le F.B.I. ouvre une enquête contre elle. Licenciée de l'équipe de campagne, rejetée par Anna qui ne lui pardonne pas ce qu'elle lui a infligée, Erica songe au suicide sans s'y résoudre mais en ayant tout perdu.


*
Bria, par Amy Seimetz.

 Bria Jones (Carmen Ejogo)

Sarah Day bénéficie du programme de protection des témoins du F.B.I. en échange de son témoignage contre son mari, Donald Fairchild, un homme d'affaires mêlé au trafic de drogue. Elle et sa belle-fille, Kayla, une adolescente qui n'accepte pas sa décision, sont confiées aux soins du marshall Ian Olsen qui les loge et trouve un travail et une nouvelle identité à Sarah - qui s'appelle à présent Bria Jones.

Paul (Harmony Korine)

Supportant mal son nouveau train de vie, plus modeste, et devant composer avec Kayla, Bria s'inscrit sur un site d'escort-girls dans l'espoir d'attirer l'attention d'un riche client. Elle rencontre ainsi Paul, coach en développement personnel, avec lequel elle entame une relation étrange car il souhaite apprendre à les connaître, elle et sa fille, pour fonder une famille et fait des efforts dans ce sens.

Le marshall Ian Olsen et Bria Jones (Tunde Adebimpe et Carmen Ejogo)

Olsen, méfiant, file Bria et pose des micros chez elle, découvrant ainsi qu'elle monnaie ses charmes avec un autre homme et fréquente Paul. Son courroux trahit l'attirance qu'il éprouve pour elle, même s'il a au départ repoussé ses avances. Bria a la confirmation par sa voisine que Donald Fairchild et ses sbires l'ont localisée et elle demande alors de l'aide à Paul qui la lui refuse, étant en compagnie d'une autre femme qui, effrayée, appelle la police.

Kayla Boden et Bria Jones (Morgana Davies et Carmen Ejogo)

Trahie par Olsen, à qui elle s'est donnée, et par Paul, qui l'a repoussée, mais confiée à nouveau au F.B.I et séparée de Kayla, qui s'était adoucie envers elle, Bria feint un malaise lors de son témoignage au tribunal en présence de Donald et réussit à s'enfuir en trompant la vigilance de ses gardiens. Elle entraîne son client dans le désert voisin contre la promesse d'une prestation sexuelle mais en vérité, elle attend les arrivées d'Olsen puis de Fairchild, blessant le premier et tuant le second. Elle s'éloigne puis s'arrête près d'une rivière pour laver le sang sur son corps et ses habits en réfléchissant à la suite, livrée désormais à elle-même.

Il n'y a guère plus désagréable que, d'une part, constater qu'une nouvelle saison d'une série dont la première avait été une épatante réussite puisse décevoir en égale proportion, et d'autre part, d'avoir le sentiment que les auteurs, si inspirés hier, semblent ne plus savoir ce qu'ils racontent aujourd'hui. Ce sont les impressions qu'on ressent après avoir vu cette deuxième cuvée de The Girlfriend Experience, pourtant pilotée par le duo Lodge Kerrigan-Amy Seimetz.

Peut-être la raison n'est-elle pas à chercher plus loin que dans le fait que les deux scénaristes-réalisateurs ont travaillé chacun de leur côté et non ensemble, développant deux arches narratives distinctes mais aussi inabouties l'une que l'autre.

Pourtant les situations explorées s'annonçaient prometteuses, variant habilement avec celles de la première saison et l'histoire palpitante de Christine Reade. D'un côté, on a droit à la romance tortueuse d'une directrice financière d'un sénateur avec une call-girl sur fond de magouilles électorales. De l'autre, la tentative d'un ancienne escort-girl d'échapper à la fois à son passé et à un mari véreux tout en retombant vite dans ses travers.

Mais, voilà le problème, aucun de ces deux récits ne prend vraiment. Diffusée alternativement par deux épisodes consécutifs chaque semaine (alors que la première saison avait été proposée intégralement, à la manière des séries Netflix), la production Starz déçoit à mesure qu'elle avance - avance plus qu'elle ne progresse car, et c'est l'autre terrible sensation qui s'imprime chez le téléspectateur, malgré un format toujours identique (environ 25' par chapitre), tout semble plus long, plus décompressé, et plus vide.

A l'image, cela se traduit littéralement par, dans l'histoire concernant Erica et Anna, des décors dépouillés à l'extrême, comme si le budget allouée au mobilier n'avait pas été dépensé. On peut comprendre ce parti-pris esthétique, la première saison pariant déjà sur une certaine épure en relation avec la distance (d'aucuns diraient la froideur) de la narration. Mais ici, entre des bureaux désespérément vides et des appartements impersonnels à l'excès, l'austérité est telle qu'on a du mal à croire que les personnages y travaillent ou y vivent.

Par contraste, la passion qui étreint Anna, au point qu'elle refuse qu'Erica la paie pour la revoir, et son amante en montre (beaucoup) plus que dans la saison précédente (les scènes de sexe sont plus déshabillées, les étreintes plus longues, les sentiments captés plus directement). Mais on a souvent le sentiment que ces deux femmes s'aiment dans mausolée si grisâtre que leur relation semble vouée à s'éteindre faute d'un foyer plus chaleureux.

Dans ces conditions, Anna Friel, étonnante en lesbienne pathétique et cruelle, et surtout Louisa Krause, prodigieusement belle et bouleversante en prostituée trahie, ont bien du mérite pour insuffler un peu de vie à ce cadre glacé qui semble conçu pour écoeurer le téléspectateur.

Malgré tout, Erica & Anna fait figure de réussite par rapport aux efforts déployées par Amy Seimetz pour l'histoire dédiée à Bria. Là encore, l'argument initial est intéressant et les premiers épisodes, malgré un rythme languissant et des effets de caméra curieux et pas très heureux (filmé à l'épaule, avec une lumière naturelle et un montage heurté, tout ça pour suggérer le basculement de l'héroïne), sont assez accrocheurs. On s'identifie facilement à cette femme qui doute de son choix, doit supporter une ado en colère contre elle, livrée à des agents fédéraux qui la soumettent à une curieuse machine censée la préparer à témoigner sans faillir contre sa crapule d'ex-mari.

Puis le dispositif patine et cale complètement. Ce n'est l'étrangeté du personnage de Paul (jouée avec une agaçante affectation par Harmony Korine, l'ex-enfant prodige du cinéma indé américain) ou la présence marmoréenne de Tunde Adebimpe en marshall troublé qui dérange tant que l'absence d'empathie qu'on ressent pour cette Bria jouée par Carmen Ejogo.

La comédienne n'est pas mauvaise mais elle est invraisemblable. Avec son visage peu expressif, son attitude de dure-à-cuire, elle a du mal à faire exister de manière probante son personnage dont le passé d'escort-girl est inexploité - elle pourrait tout aussi bien avoir été une desperate housewife mariée à un gangster que le récit n'en serait pas affecté, et c'est quand même un souci pour une série autour des prostituées de luxe. 

Quand à la fin de son aventure, après juste un rapide flash-back pour justifier ce qui va arriver, elle bute son époux et blesse son protecteur du FBI comme une ancienne tueuse professionnelle, on sombre dans le ridicule. Visiblement, Amy Seimetz ne savait pas comment conclure ou a voulu tenter un twist si "hénaurme" qu'il se retourne contre elle et son histoire. Histoire déjà plombée par le manque de caractérisation accablant des seconds rôles (la belle-fille réduite à une caricature, le marshall à l'attitude visible à des km, Paul à la bizarrerie moins troublante qu'horripilante)... L'affaire était pliée et impossible à sauver.

L'avenir de la série est flou : Starz aurait prévu au minimum quatre saisons, mais à cette heure aucune nouvelle confirmant une troisième n'a été communiquée (si ce n'est qu'un nouveau showrunner devrait la mener). Le concept a pourtant encore du potentiel, souhaitons donc que tout le monde se reprenne pour ne pas rester sur cette déconvenue.     

jeudi 28 décembre 2017

BATMAN : CREATURE OF THE NIGHT - BOOK TWO : BOY WONDER, de Kurt Busiek et John Paul Leon


Après un premier chapitre impressionnant, la suite de la mini-série écrite par Kurt Busiek et dessinée par John Paul Leon, Batman : Creature of the Night, vient juste de paraître. Ce superbe projet va-t-il continuer à tenir toutes ses promesses ?
  

Etudiant à Harvard, Bruce Wainwright a conservé intacte sa passion pour les comics, en particulier ceux mettant en scène son héros favori, Batman. Il est désormais aussi en âge de profiter de la fortune de ses défunts parents et dirige, avec l'appui de son oncle "Alfred", la compagnie Wainwright Investments avec brio. Il décide ainsi d'investir dans des modems électroniques mis au point par un ingénieur noir, Martin, rejeté par toute la concurrence à cause de leur racisme.


Mais Bruce continue de voir la créature de la nuit qui s'est manifesté à lui quand il avait neuf ans et qui les protège, lui et la ville contre divers gangs. Le jeune homme aimerait, lui aussi, oeuvrer pour la bonne cause, plus activement, pour changer le monde, à sa mesure. Il convainc, pour cela, son oncle de parrainer un orphelin, pour commencer : il a élu une jeune fille, dont les parents ont été assassinés par la pègre, Robin Helgeland.


Mais cela ne lui suffit bientôt plus. Lorsqu'il apprend que sa protégée risque de ne pas s'intégrer à son programme, Bruce décide de faire toute la lumière sur la mort des siens. Pour cela, il doit accéder au dossier de la police et soudoie l'officier Gordon Hoover, le policier monté en grade qui l'avait pris en charge quand ses propres parents trouvèrent la mort. Mais ses investigations aboutissent à une impasse, aucun élément nouveau ne permettant de rouvrir l'enquête. La créature, elle, se met en chasse, mais Bruce est frustré de ne pouvoir parler de leur relation à personne, convaincu qu'on le prendrait pour un fou.


Côté business, Wainwright Investments profitent de l'infortune d'un concurrent, Pennyworth, pour remporter un nouveau gros contrat dans le domaine des transports maritimes et les modems de Martin sont un succès. La créature remonte la piste des assassins des parents de Robin Helgeland, neutralisant ainsi un vaste réseau criminel que la police n'a plus qu'à placer derrière les barreaux. Cela met évidemment la puce à l'oreille de Gordon Hoover qui suspecte Bruce d'être mêlé à cette affaire sans savoir comment : pour l'apprendre, il sollicite un entretien avec lui dès que possible.


Bruce invoque la créature et lui demande des explications sur la manière dont il a mis hors d'état de nuire tous ces malfrats. En accédant à l'esprit de son allié, le jeune homme découvre qu'il a aussi travaillé à la réussite de son entreprise, notamment en sabotant les convois maritimes de Pennyworth.  

S'estimant trahi, malgré ces bonnes intentions, Bruce repousse la créature et se remémore le conseil avisé de son oncle comme quoi la vie se charge toujours de vous rappeler à l'ordre si on pense que tout vous est dû. Pour se racheter, espère-t-il alors, il doit veiller sur Robin Helgeland qui, comme lui, voudrait à présent aider les nécessiteux.

Le résumé que j'ai tiré de cet épisode ne rend pas vraiment justice à sa densité exceptionnelle, ayant volontairement passé sous silence quelques péripéties précisant l'évolution de la quête de justice de Bruce Wainwright.

On reconnaît en tout cas dans ce riche matériau la griffe de Kurt Busiek qui ne saurait se contenter de livrer une version alternative autour de Batman mais joue avec la mythologie du personnage et les variations qu'elle offre au scénario. L'autre point évident appartenant au scénariste est que l'action est quasi-exclusivement narrée du point de vue d'un protagoniste normal, une sorte de figure témoin à laquelle on peut facilement s'identifier, en l'occurrence Bruce Wainwright.

Il est effectivement aisé de comprendre les motivations qui agitent le jeune homme, son intranquillité comme son assurance, bien équilibrées par le contenu du propos. D'un côté, on le retrouve avec quelques années en plus mais encore jeune (autour de la vingtaine d'années), devenu un étudiant émérite à Harvard mais toujours fan de comics (et s'amusant volontiers lui-même de sa presque homonyme avec Bruce Wayne ou du choix qu'il fait en rachetant une entreprise en fonction du nom de son ancien patron ou encore quand il désigne Robin Helgeland pour devenir son parrain). De l'autre, il demeure hanté par son désir de faire le bien, en aidant comme il le peut cette étrange créature de la nuit, puis en s'engageant en faveur d'une orpheline au point de vouloir débusquer les assassins de ses parents.

Busiek maintient le lecteur en état d'alerte tout en laissant le récit respirer régulièrement en montrant Bruce profiter de sa jeunesse, ses plaisirs (il est, comme il le reconnaît, bien né, séduisant, et il collectionne les aventures sans lendemain avec des filles). Comme un pas de côté, le jeune homme prend aussi la mesure de son entourage, en particulier de son oncle, qui est devenu son bras-droit en affaires, mais dont il a surtout compris que s'il ne l'a pas élevé, c'est parce qu'il était homosexuel, situation délicate à l'époque. En creux le personnage d' "Alfred" voit son attitude ainsi justifiée sur bien des plans : ainsi sa réticence à approuver l'investissement financier dans le projet de Martin ne relève pas du racisme, ayant accablé l'ingénieur noir, mais d'une méfiance confinant au réflexe dans la sphère publique (ne surtout pas attirer l'attention). C'est très finement suggéré.

Visuellement, le travail de John Paul Leon est toujours aussi impressionnant : son trait à la fois charbonneux et détaillé fait des merveilles dans les scènes avec la créature dont le quasi-mutisme renforce l'aspect inquiétant, et dont la brutalité est encore plus souligné. L'artiste parvient à exprimer la majesté inquiétante, la présence et la connaissance presque omniscientes de ce Batman alternatif en le réduisant pourtant à une silhouette opaque dont les yeux rouges renvoient à l'inspiration première de Bob Kane et Bill Finger, le Dracula de Bram Stoker.

Mais l'expressivité du récit ne s'arrête pas à sa dimension fantastique et Leon livre aussi des planches saisissantes avec Bruce dans des cadres plus banals mais superbement traités. Le dessinateur se permet même, comme Immonen le fit avec Superman : Secret Identity, des imitations plus vraies que nature de pages de comics rétro, parfois pour une planche pleine (comme celle qui ouvre l'épisode) ou quelques cases lors d'une scène poignante (l'arrivée de Robin Helgeland au Cornerstone). Les décors les plus ordinaires - un bureau d'entreprise, une salle des archives, une chambre, un salon, le hall d'une réception, les toits et les rues de la ville - sont l'occasion d'admirer le souci de réalisme sans jamais sacrifier l'atmosphère envoûtante créée par John Paul Leon.

Le coup de théâtre final relance totalement l'histoire et promet une nouvelle fois énormément pour la suite de cette aventure qui, entamée en cette fin 2017, se poursuivra en 2018 comme un événement.   

mercredi 27 décembre 2017

DC HOLIDAY SPECIAL 2017


C'est une tradition chez DC Comics : chaque fin d'année, l'éditeur publie un numéro pour célébrer l'esprit de Noël dans un fascicule regroupant leurs héros emblématiques écrits et dessinés par des auteurs et artistes en vue. Je n'ai pas eu toujours l'occasion de les lire mais le cru 2017 est particulièrement accrocheur avec un casting de première classe.


- The Reminder (Part 1) (Jeff Lemire & Guiseppe Camuncoli). Un barman reproche à John Constantine, le chasseur de démons, de voir toujours l'avenir en noir et menace de le mettre à la porte s'il continue de miner le moral de sa clientèle. Puis servant Clark Kent, qui doute aussi du futur, il entreprend de lui raconter quelques histoires susceptibles de lui redonner foi...

On commence par ce prologue malicieux où Jeff Lemire (de retour chez DC après un séjour en demi-teinte chez Marvel) teste les limites du cynisme de John Constantine (héros de la série Hellblazer) et de l'idéalisme de Superman. Une manière habile de présenter le programme qui va suivre, joliment mis en images par Guiseppe Camuncoli, qui a, lui aussi, quitté Marvel (où il oeuvrait sur Amazing Spider-Man) cette année.


 - Batman : Twas the night before Christmas (Denny O'Neil & Steve Epting). Conduit par Alfred Pennyworth, son majordome, Batman va délivrer le couple Brandon séquestré par Fritzy dans leur résidence de Mount Hawley. Le jeune homme agit ainsi parce qu'enfant, lui et sa défunte grand-mère s'étaient vus refuser l'hospitalité par les parents Brandon la veille de Noël et aujourd'hui l'esprit de la défunte réclame vengeance.

Le vétéran Denny O'Neil fait équipe avec un de ses plus grands fans, l'excellent Steve Epting (qui avait signé il y a quelques mois le premier arc de la nouvelle série Batwoman) et les promesses de cette collaboration inédite sont superbement tenues. Un zeste de fantastique, une ambiance tendue, le poids d'un passé douloureux, tout est là : on est comblé. Le scénario est d'une fluidité impeccable, les dessins magnifiques (avec une colorisation parfaite de Dave McCaig).


- Green Arrow & Black Canary : You better think twice (Mairghread Scott & Phil Hester). Green Arrow convainc Black Canary de se déguiser en Père et Mère Noël pour apporter des cadeaux à des orphelins. En route, ils surprennent le braquage d'un fourgon et arrêtent les voleurs mais la bagarre a raison de leurs accoutrements, quoique cela ne fasse aucune importance pour les enfants.

Le couple le plus volcanique de DC Comics nous entraîne, sous les plumes de Mairghread Scott (une découverte) et du toujours fringant Phil Hester, dans une aventure amusante et tonique. Le caractère bien trempé des deux héros dynamise un récit classique à la morale touchante sans être mièvre. Léger mais avec du swing.


- Sgt. Rock : Going down easy ! (Tom King & Francisco Francavilla). Le Sergent Rock se rappelle comment un de ses soldats de la "Easy Company", Hammerman, captura un officier allemand avant qu'un obus n'explose près d'eux. Bien que blessé par un éclat de shrapnel, Hammerman garda huit nuit d'affilée son prisonnier sous la menace de son fusil, attendant des renforts, avec confiance, motivé par la fierté pour un juif comme lui d'avoir eu un nazi.

Quand, il y a quelques semaines, Tom King avait annoncé avoir "pitché" à DC Comics une histoire du Sergent Rock (immortalisé pendant longtemps par le légendaire Joe Kubert), bien des dessinateurs s'étaient portés candidats pour participer au projet. Avant peut-être de voir plus grand, le scénariste de Mister Miracle a produit cette nouvelle avec Francesco Francavilla, une histoire dramatique (la plus noire du lot) mais poignante, où le découpage en "gaufrier" porte la signature de King. La prestation de l'artiste est plus inégale, mais ne boudons pas notre plaisir.


- The Flash : Hope for the holidays (Joshua Williamson & Neil Googe). Flash affronte le Rainbow Raider dans l'aéroport de Central City, mais sa victoire provoque une chute de neige qui empêche tout avion de décoller. Pour s'excuser, il transporte les uns après les autres chacun des passagers à sa destination... Avant de retrouver à San Francisco Wally West pour réveillonner tranquillement avec lui.

L'équipe qui anime la série Flash mensuellement est aussi aux commandes de ce récit très divertissant, qui dégage un vrai charme. Joshua Williamson imagine une situation issue des conséquences d'un affrontement remporté par le héros et en tire un rebondissement savoureux. Neil Googe illustre ça de manière très expressive, avec la vivacité qui sied au speedster en chef de DC.


- Deathstroke : A Wilson christmans family (Christopher Priest & Tom Grummett). Alors qu'il jure au téléphone à sa femme Adeline qu'il est en train de lui acheter son cadeau de Noël, Slade Wilson remplit un contrat en compagnie de Wintergreen. Mais il se replie aussitôt sa mission accomplie pour rejoindre sa famille victime d'un accident de la route sans gravité, pour la plus grande joie de son fils.

Sans discussion, le segment le plus faible et même le plus déplacé de la collection : on ne comprend pas bien ce que fait là un tueur comme Deathstroke (quand bien même le personnage bénéficie de sa propre série mensuelle) et je m'étonnerai toujours du prestige dont jouit Christopher Priest comme scénariste car son histoire ne vaut pas grand-chose. Tom Grummett imite assez bien le style de José-Luis Garcia-Lopez, mais ne sauve pas l'affaire. Un faux pas.


- Superman & Lois Lane : Driver's seat (Max Landis & Francis Manapul). Après avoir arrêté un scientifique licencié de son laboratoire et qui venait de commettre un vol, Superman le remet à la police et Clark Kent rejoint Lois Lane qui vient d'emboutir sa voiture. Tenant à ce véhicule qu'elle possédait depuis l'université, elle tente de se changer les idées en passant les fêtes chez des amis. Superman lui fait un touchant cadeau, plein d'à-propos, pour la consoler.

En revanche, les retrouvailles de Max Landis et Francis Manapul, après leur épisode dans la mini-série Superman : American Alien, est une vraie merveille. Le scénario tient à peu de choses mais possède un charme indéniable et surtout exploite superbement l'image de Superman, éternel bon samaritain, un peu moraliste, très philosophe, et généreux. Les dessins sont somptueux, évoquant parfois Will Eisner par leur force expressive mais sans emphase. Un pur bonheur.


- Atomic Knights : Silent Night (Dan Didio & Matthew Clark). Le Maire de Durvale alerte ses citoyens d'une attaque de trèfles mutants, menée par l'ancien chevalier atomique Javins. Les compagnons de ceux-ci refusent de le croire mais se préparent à l'assaut. En vérité, les plantes veulent sceller un accord de paix en se joignant pour Noël aux habitants de la cité ayant survécu à la guerre nucléaire.

Difficile de dire "non" au patron et donc Dan Didio a glissé son histoire dans les onze fables de ce numéro : le résultat est franchement quelconque, pas honteux ou indigne mais dispensable. Les dessins de Matthew Clark sont soignés. Voilà, voilà.



- Teen Titans : Holiday spirit (Shea Fontana & Otto Schmidt). San Francisco est attaquée par des spectres terrifiants mais les Teen Titans les font fuir. Starfire, qui ne comprend pas pourquoi les humains célèbrent Noël, s'éloigne lorsqu'elle repère un dernier esprit effrayant les civils et intervient pour le chasser avec le renfort de ses amis. Elle saisit alors ce que signifie l'esprit de cette fête.

L'argument est plutôt malin - jouer sur l'incompréhension culturelle de Starfire - mais il est faiblement développé par Shea Fontana, plus intéressée par l'action que par l'esprit de Noël pourtant convoqué dans le titre de son récit, qui se clôt de manière mièvre. Les dessins d'Otto Schmidt ont une fraîcheur certaine mais manque de consistance, à l'image de ce qu'ils doivent illustrer. Bof.


- Swamp Thing : The echo of the abyss (Scott Bryan Wilson & Nic Klein). Depuis six mois en quarantaine dans la station spatiale Archer, l'équipage n'a pas le coeur à fêter Noël comme le voudrait Ciampo car sur Terre la menace d'une guerre gronde. Démoralisé, il songe à se suicider mais la branche de gui qu'il a laissée tomber se transforme en la créature du marais et tente de le rassurer. A son réveil, incapable d'expliquer sa mésaventure, Ciampo a la bonne surprise de voir ses co-équipiers préparer la décoration d'un sapin.

Une surprise positive que ce récit mettant en scène de façon fugace la Swamp Thing dans un cadre inattendu : je n'avais rien lu de Scott Bryan Wilson auparavant mais il s'en sort très bien. Et il profite aussi de la contribution non négligeable d'un excellent dessinateur en la personne de Nic Klein (dont la série Drifter, écrite par Ivan Brandon, vient de s'achever chez Image), dont le style est bien inspiré par celui de Moebius et ses disciples franco-belges, comme Ralph Meyer. Epatant.


- Batman & Wonder Woman : Solstice (Greg Rucka & Bilquis Evely). Batman arrête un voleur à la tire une nuit tandis que Wonder Woman apporte de l'eau potable à des immigrés à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Leurs bonnes actions accomplies, ils se retrouvent pour célébrer le solstice d'hiver devant un feu de bois dont la lumière leur rappelle que celle-ci triomphe toujours.

En quelque sorte, la lettre d'adieu de Greg Rucka à sa chère Wonder Woman (dont il a laissé l'écriture depuis peu à James Robinson) qu'il associe à Batman dans une histoire soulignant, un peu pesamment, les différences symboliques : le protecteur de Gotham agissant la nuit, l'amazone intervenant le jour, tous deux s'accordant sur le fait que Superman contrairement à eux produit sa propre lumière. Pas très subtil mais divinement dessiné par la talentueuse Bilquis Evely, un talent que DC devrait plus exploiter (elle s'est exercée sur WW sans s'attarder).
  

- The Reminder (Part 2). Clark Kent, revigoré par les fables du barman, retrouve John Constantine dehors et pour lui remonter le moral l'invite à dîner chez lui, en famille. Suffisant pour apaiser le cynique détective de l'occulte ?

La chute, qui renoue avec l'introduction mettant en scène le duo Clark Kent-John Constantine, est savoureuse et referme ce consistant fascicule dont le bilan global est plus que satisfaisant. Dommage que Marvel n'imite pas son concurrent avec une publication semblable... A l'année prochaine pour un nouveau numéro !

mardi 26 décembre 2017

THE GIRLFRIEND EXPERIENCE (Saison 1) (Starz)


Avant d'être une série, The Girlfriend Experience a été un film réalisé par Steven Soderbergh (qui officie en tant que producteur exécutif désormais), avec dans le rôle principale l'ex-actrice de porno Sasha Grey, sur les aventures de call-girl à New York. Adapter un tel sujet pour la télé, quand bien même pour une programmation sur une chaîne à péage (Starz, qui a mis en 2016 les treize épisodes de cette première saison en ligne le même jour, à la manière de Netflix), n'avait rien d'évident, sauf, semble-t-il, pour les scénaristes et réalisateurs Lodge Kerrigan et Amy Seimetz (qui interprète par ailleurs la soeur de l'héroïne). Ils ont été bien inspirés car c'est une réussite envoûtante.

 Avery Suhr et Christine Reade (Kate Lynn Sheil et Riley Keough)

Brillante étudiante en première année de Droit à l'université de New York, Christine Reade a obtenu un stage dans le prestigieux cabinet juridique Kirkand & Allen, mais elle a du mal à joindre les deux bouts financièrement. Une amie, qui a abandonné la fac prématurément, lui suggère de s'essayer au métier d'escort-girl comme elle et lui présentent lors d'une soirée privée deux hommes, dont Martin Bailey- ce dernier est avocat d'affaires et remet à Christine une enveloppe d'argent en espérant la revoir plus tard.

Chelsea Rayne et Martin (Riley Keough et Aidan Devine)

Christine revoit Martin avec qui elle a une relation sexuelle tarifée. Mise dans la confidence, Avery présente à son amie Jacqueline, patronne d'une agence d'escorts, qui sélectionne des hommes riches et sûrs contre une commission de 30%. Ainsi Christine sous le pseudo de Chelsea Rayne se constitue-t-elle une clientèle rapidement et déménage dans un appartement dont son entremetteuse lui avance la caution. Avery, qui en revanche a moins de succès, est invitée à devenir sa co-locataire. Une nuit, les deux filles font l'amour ensemble.

Jacqueline et Christine (Alexandra Castillo et Riley Keough)

Interrogeant Jacqueline sur la situation d'Avery, Christine est mise en garde contre cette dernière qui n'est pas réputée fiable et loyale. Elle le vérifie vite puisqu'elle découvre que sa co-locataire est partie en lui volant tout son argent. Cette mésaventure fait réfléchir Christine sur la poursuite de ses activités en les gérant seule et en informe ses clients qui sont prêts à se passer de Jacqueline pour continuer à la voir.

Démasquée...

Cependant, au cabinet juridique, Christine devine que son supérieur direct, David Tellis, contrevient à l'éthique en négociant secrètement avec l'avocat de la partie adverse au sujet d'un litige concernant un brevet. Elle commence à enquêter, discrètement, mais pas suffisamment car, bientôt, elle reçoit des photos d'elle en petite tenue prises lors du shooting organisé par Jacqueline pour son book : un avertissement sans frais pour la décourager.

Christine Reade et Davis Tellis (Riley Keough et Paul Sparks)

Mais Christine refuse de se laisser dicter sa conduite et le prouve à plusieurs reprises ensuite : d'abord lors de la visite de sa soeur aînée, Annabel, juriste à Chicago, qui désapprouve qu'elle se prostitue pour payer ses études (mais promet de garder le secret auprès de leurs parents) ; ensuite en quittant brusquement Jack, un client qui voulait l'épouser mais affligé d'une jalousie maladive et prenant plaisir à l'humilier lors de leurs rapports sexuels ; enfin en réussissant à séduire David Tellis dont elle filme à son insu leurs ébats après avoir enregistré une conversation téléphonique (où il assurait qu'il n'y aurait pas de procès) avec l'avocat de la partie adverse.

Michael Cilic et Chelsea Rayne (Nicholas Campbell et Riley Keough)

Deux problèmes vont pourtant retarder les plans de Christine : un de ses clients, Michael Cilic, décède subitement et elle apprend qu'il lui lègue 500 000 $, mais elle doit pour les toucher prouver qu'elle est bien Chelsea Rayne, autrement dit avouer qu'elle est une escort-girl. Pour négocier un arrangement discret avec la famille du défunt qui s'oppose aux dernières volontés de ce dernier, Christine engage Martin Bailey qui lui obtient un arrangement correct, préservant son secret. Ensuite, elle doit supporter le harcèlement de Jack, qui veut absolument la revoir et se montre de plus en plus virulent lorsqu'elle refuse.

Compromettant...

La vengeance de Jack va accélérer les événements pour Christine dont il pirate la messagerie électronique et envoie à tous, collègues du cabinet, amis, famille, une vidéo de leurs ébats où elle avoue coucher pour de l'argent. Le scandale oblige Kirkland & Allen à réagir vite et David, que la jeune femme a dénoncé à sa collègue Erin Roberts (sans savoir qu'elle était complice dans ce dossier frauduleux avec la partie adverse), recommande de la renvoyer.

Erin Roberts et David Tellis (Mary Lynn Rajskub et Paul Sparks)

Christine a une crise d'angoisse quand elle comprend que les éléments se retournent contre elle et cela lui vaut l'indulgence de la direction du cabinet, qui lui accorde quelques jours de repos avant de faire le point. Elle en profite alors pour confier à Martin tous les enregistrements et vidéos accablant David Tellis afin qu'il soit viré et qu'elle obtienne de Kirkland & Allen des indemnités pour harcèlement sexuel. Puis elle part se ressourcer en famille à Chicago, mais son séjour est gâché par la sextape de Jack qu'ont également reçue ses parents et sa soeur - sa mère refuse de croire à un piège tendu par un amant rejeté et ne lui pardonne pas son mode de vie.
  
Christine/Chelsea

Grâce à l'efficacité de Martin, de retour à New York, Christine obtient du cabinet un million de dollars. David a été remercié et tente de retrouver un job et de gagner le pardon de sa femme et leurs enfants. Christine, bien que n'ayant plus de contact avec Jacqueline mais la soupçonnant d'avoir aidé Jack à la harceler, déménage dans un appartement luxueux, effectue des placements juteux avec sa fortune et n'accepte plus que des clients très aisés, quitte à satisfaire leurs désirs les plus excentriques. Détachée de sa famille, la jeune femme ne semble plus tirer plaisir que de l'argent, fidèle au credo qu'elle avait expliqué à sa soeur comme quoi elle n'appréciait pas de compagnie dans son intimité.

D'abord, il y a dans la première saison de cette série une révélation comme on en croise rarement : il s'agit de son actrice principale, Riley Keough. A 28 ans, la petite-fille d'Elvis Presley s'impose dans ce rôle avec une présence exceptionnelle et une audace étonnante : il fallait posséder ces deux qualités pour incarner pareille personnage que celui de Christine/Chlesea car tous les treize épisodes reposent sur elle et nous la dévoilent (au sens propre et figuré) totalement.

Pourtant, cela étant dit, si la plastique divine de la comédienne est filmée sans fausse pudeur, The Girlfriend Experience n'a absolument rien d'un show racoleur et voyeuriste, invitant perversement le téléspectateur à venir se rincer l'oeil dans une collection de scènes osées ou une représentation aguicheuse de la prostitution. Bien que très différent du récent The Deuce, le projet aspire à toute autre chose.

Je n'ai pas vu le film initial de Soderbergh, qui avait fait le choix d'engager une actrice issue du cinéma "x" pour jouer le premier rôle, un choix qui avait divisé la critique et condamné le long métrage à une exploitation réduite en salles (ce fut d'ailleurs un échec, même si le cinéaste a pris l'habitude d'alterner des productions expérimentales dans le fond et la forme et d'autres plus "grand public" - ces dernières lui autorisant à financer les premières). Je ne sais donc pas si le scénario était plus crue compte tenu de ce casting spécial.

Dans le cadre de la série, évidemment, il ne s'agit pas d'aller trop loin non plus : la nudité intégrale (surtout féminine) y est exposée mais les actes sexuels ne sont pas reproduits, la caméra se tenant toujours à distance raisonnable, la photo (superbe) donnant un cachet élégant à ces moments. Le fait aussi qu'une femme, Amy Seimetz, ait co-écrit l'adaptation et réalisé la moitié des épisodes permet d'affirmer qu'aucun écart, aucun dérapage n'ait été toléré. On peut d'ailleurs noté que tous les clients de Chelsea sont respectueux avec elle (à l'exception notable de Jack, quand il sent qu'elle va lui échapper), ce qui constitue le seul bémol de la série : c'est un peu utopique d'imaginer qu'une escort-girl n'ait jamais affaire à un homme violent (par nature ou par frustration)... Ce que la saison 2 (que je suis actuellement en train de visionner) corrige nettement.

Le récit est d'une densité incroyable, surtout compte tenu du format de chaque épisode (25' en moyenne, avec après le générique de fin de chacun une petite interview des showrunners Lodge Kerrigan, l'autre réalisateur et scénariste, et Amy Seimetz). Loin d'égarer le spectateur avec ses multiples lignes narratives, le scénario prouve d'abord que les vies de Christine/Chelsea la poussent à jongler avec un agenda affolant, entre ses cours à la fac de Droit, son stage au cabinet Kirkland & Allen, et ses rendez-vous avec ses clients. 

Et c'est en cela que le personnage est fascinant, et la composition de Riley Keough est époustouflante : pas plus que les auteurs ne jugent leur héroïne, pas davantage le spectateur n'est en mesure de vraiment comprendre ses réelles motivations. Pourquoi accepte-t-elle de se prostituer (sinon au début pour arrondir ses fins de mois) ? L'affection qu'elle affiche pour certains de ses clients n'est-il qu'une comédie ou est-elle parfois sincère (on pense à Kevin, qui s'endette au point de souscrire des emprunts pour la payer jusqu'à lui demander, désespéré, si elle peut baisser ses tarifs ; ou à Michael Cilic, qui, bien avant d'en faire une des ses héritières, entretient avec elle un rapport qui tient à la fois du père et de l'amant auquel elle répond avec une surprenante tendresse) ? Sa détermination à confondre puis à éliminer professionnellement David Tellis tient-elle à une sorte d'intégrité morale ou n'est-elle que l'expression du mépris que lui inspire ce supérieur infidèle (envers sa femme et le cabinet juridique) ? Repousser Jack est-il un réflexe par refus de s'engager sentimentalement ou la réplique qu'elle adresse à un client jaloux et agressif ?

Tout le mystère de Christine permet au téléspectateur d'imaginer qui elle est, ou peut être, chacun se fera son idée sans être définitif. Sans doute l'explication tient-elle à, comme elle l'explique à sa soeur, qu'elle n'aime pas qu'on lui dicte sa conduite, qu'elle déteste se plier aux règles, aux usages, aux conventions, et surtout qu'elle n'aime pas la compagnie des autres. Aller d'un homme à un autre, en tirer de l'argent (même quand elle n'en a plus besoin, sa fortune faite à la fin), lui suffit : pas d'attaches, pas de contraintes, d'obligations. Mais un soupçon d'insatisfaction quand même, peut-être, comme le suggère la toute dernière scène où elle se masturbe chez elle sans parvenir à jouir.

C'est parce qu'elle nous échappe, qu'elle nous glisse comme du sable entre les doigts, que la série gagne : elle nous frustre et en même temps nous questionne. Le mystère se distingue de l'énigme car une énigme a une solution : The Girlfriend Experience ne nous offre pas ce plaisir mais il nous en procure d'autres, plus profonds, troubles, vertigineux, sensuels et cérébraux à la fois. Envoûtant vraiment.