vendredi 29 avril 2016

Critique 877 : THE LOSERS, de Sylvain White


THE LOSERS est un film réalisé par Sylvain White, sorti en salles en 2010.
Le scénario est écrit par Peter Berg et James Vanderbilt, adapté de la bande dessinée de Andy Diggle et Jock, d'après les personnages créés par Robert Kanigher, publiée par DC Comics. La photographie est signée Scott Kevan. La musique est composée par John Ottman.
Dans les rôles principaux, on trouve : Zoe Saldana (Aïsha), Jeffrey Dean Morgan (Clay), Idris Elba (Roque), Chris Evans (Jensen), Columbus Short (Pooch), Oscar Jaenada (Cougar), Jason Patric (Max).
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Clay dirige un commando de quatre membres, tous experts dans leur domaine : son second est Roque, qui manie les armes blanches ; Jensen est un informaticien ; Pooch est un pilote ; et Cougar un sniper. Envoyés en Bolivie pour y neutraliser un narco-trafiquant, les Losers découvrent que leur cible se sert d'enfants pour ses coupables activités.
La villa du malfrat devant être bombardée durant l'opération, Clay tente de sauver les enfants avant cela. Il croit y être arrivé après les avoir conduits dans l'hélicoptère qui devait évacuer le commando mais l'appareil est pulvérisé par un missile.
Désormais considérés comme morts en mission, l'équipe s'interroge sur la suite à donner aux événements : certains des membres n'aspirent qu'à refaire leur vie tranquillement (comme Roque et Cougar), d'autres aimeraient retrouver leur famille (comme Pooch, dont la femme est enceinte), d'autres veulent connaître l'identité et le mobile de celui qui a voulu leur mort (comme Clay et Jensen).
Clay s'oppose ainsi à Roque lorsqu'il repère une belle jeune femme qui semble les suivre. Une fois seul, il est abordé par celle qui se prénomme Aïsha et qui connaît l'homme qui a ordonné l'exécution des Losers : un certain Max, qu'elle souhaite aussi éliminer.
Clay et Aïsha
(Jeffrey Dean Morgan et Zoe Saldana)

Malgré la méfiance qu'elle inspire à l'équipe, les hommes décident de suivre la jeune femme qui les rapatrie discrètement en Amérique du Nord. Ensemble ils tendent un piège à Max, bien qu'il bénéficie d'un service de protection digne du président des Etats-Unis.
De gauche à droite : Aïsha, Jensen, Clay, Pooch, Roque et Cougar
(Zoe Saldana, Chris Evans, Jeffrey Dean Morgan, Columbus Short
et Oscar Jaenada)

Mais le traquenard aboutit à un résultat inattendu : en fait, le commando met la main non pas sur Max mais sur disque dur contenant d'importantes données sur ses affaires.
De son côté, bien entendu, le malfrat, qui négocie en vérité l'acquisition d'armes de destruction massive qu'il veut revendre au gouvernement, lance son lieutenant aux trousses des Losers.  
à droite : Max
(Jason Patric)

Après avoir réussi à "cracker" le disque dur de Max, Jensen découvre qu'un des contrats de Max impliquait le narco-trafiquant que le commando a affronté en Bolivie et qui était en réalité le père d'Aïsha. Elle s'enfuit avant que les Losers aient pu l'interroger à ce sujet, mais les hommes de Clay sont résolus à s'en prendre à Max en allant à sa rencontre : il doit justement recevoir ses armes sur les docks.
Ce qu'ignore Clay, c'est qu'un de ses partenaires est un traître ayant pactisé avec l'ennemi. Mais Aïsha est aussi au rendez-vous et, pour regagner la confiance des Losers, est prête à leur pardonner d'avoir tué son père...

Cette adaptation de la série limitée écrite par Andy Diggle et dessinée par Jock (dont l'affiche reproduit le style et qui a participé à la conception du générique de fin), publiée dans la collection Vertigo par DC Comics, a été un échec immérité lors de sa sortie en salles en 2003 : le film a en effet pâti de passer après la version cinématographique de la série télé L'Agence tout-risque de Joe Carnahan, dont le sujet était similaire. Pourtant, le long métrage de Sylvain White mérite d'être reconsidéré, je l'ai même trouvé bien meilleur.

A l'origine, The Losers était un comic-book créé par Robert Kanigher dans les années 70, que Diggle a avoué n'avoir jamais lu : le scénariste était séduit par le titre et la possibilité d'en user pour une saga mêlant action à grand spectacle et récit d'espionnage. Il en tirera une série limitée d'une trentaine d'épisodes de 2003 à 2006 (d'abord traduite par Panini Comics et désormais disponible en deux gros volumes chez Urban Comics en vf).

Ci-dessus : la bande dessinée originale créée par Robert Kanigher
dans les années 70.
Ci-dessus : la version de Andy Diggle et Jock
dans les années 2000.

Le scénario de Peter Berg (lui-même acteur et réalisateur) et James Vanderbilt parvient à synthétiser l'oeuvre avec une densité remarquable : le film dure une centaine de minutes, très rythmée, et l'intrigue mixe intelligemment des scènes d'action toniques et un complot bien ficelé, avec des personnages suffisamment complexes. Un des meilleurs rebondissements tient à la révélation de l'identité du traître au sein des Losers, à la fois surprenant et évident lorsqu'on repense aux interventions du personnage avant cela.

Animer un groupe de personnages aussi typés peut être un piège redoutable, mais là encore, le résultat est positif : certes, tous sont de parfaits clichés, réduits à une fonction précise, mais leurs relations sont suffisamment dynamiques, ménageant tension et humour, pour être satisfaisantes. Par ailleurs, l'héroïne est dotée d'une personnalité riche, avec un secret certes classique mais bien amené, et son rôle est vraiment un pivot narratif.

Là où j'ai eu un peu plus de mal, c'est avec la réalisation : Sylvain White a du mal à monter des plans qui durent plus de dix secondes, ce qui en fait un clone déplaisant du déjà insupportable Michael Bay. La photographie, à l'esthétique très publicitaire (avec une lumière souvent surexposée), souligne cette proximité stylistique. Parfois, ça fonctionne sur certaines scènes (le prologue, très efficace, par exemple) ; parfois, ça réduit le film à un produit qui manque de personnalité (là ou Joe Carnahan rattrapait l'aspect convenu de L'agence tout-risque avec une nervosité plus viscérale).

En revanche, la distribution est bluffante, chaque acteur semblant sortir tout droit des pages du comic-book. En première place, Zoe Saldana est époustouflante : sa beauté torride conjuguée à sa crédibilité dans le registre de l'action font de sa Aïsha une héroïne ambiguë à souhait. 
Face à elle, Jeffrey Dean Morgan impose sa virilité avec naturel en la nuançant d'une lassitude bienvenue. Idris Elba est fabuleusement charismatique et Chris Evans excellent en geek dont les techniques de drague sont pathétiques.
On notera que Saldana, Morgan, Elba et Evans sont habitués à incarner des héros de BD puisqu'ils ont respectivement été vus depuis dans Les gardiens de la galaxie, Watchmen, Thor et Captain America : un vrai casting pour fans de super-héros !
Jason Patric campe également un méchant avec une présence épatante.

Ces "Perdants" ont raté leur conquête du box office à la suite d'une programmation malheureuse, mais méritent qu'on leur donne une seconde chance, comme D17 l'a permise en diffusant le film hier soir.

Critique 876 : BRUNO BRAZIL, TOMES 3 & 4 - LES YEUX SANS VISAGE & LA CITE PETRIFIEE, de Greg et William Vance


BRUNO BRAZIL : LES YEUX SANS VISAGE est le troisième tome de la série, écrit par Greg (sous le pseudonyme de Louis Albert dans la première édition) et dessiné par William Vance, publié en 1970 par les Editions du Lombard.
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Encore convalescent (après les blessures subies lors de sa précédente mission - voir tome 2 : Commando Caïman), "Texas" Bronco braque une banque et abat plusieurs personnes.
Placé en détention et sujet à des crises de nerfs, il reçoit la visite de son chef, le commandant Bruno Brazil, tandis que ses autres partenaires s'interrogent sur son geste et ce qui a pu le provoquer.
Cependant, "Whip" Rafale est enlevée et soumise à un lavage de cerveau. Libérée, elle manque de tuer William "Billy" Brazil mais "Big Boy" Lafayette et Bruno réussissent à l'appréhender.
Les hommes de main de l'ennemi du commando enlèvent "Gaucho" Moralés, resté seul à leur QG. Jouant la comédie, il permet à Bruno Brazil, "Whip", "Big Boy" et Billy de le suivre jusqu'au repaire de leur adversaire. Ainsi découvrent-ils qu'il s'agit de Rebelle, l'ex-partenaire de Madison Ottoman (voir tome 2), et son complice, un savant fou...
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BRUNO BRAZIL : LA CITE PETRIFIEE est le quatrième tome de la série, écrit par Greg (sous le pseudonyme de Louis Albert) et dessiné par William Vance, publié en 1971 par les Editions du Lombard.
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Le commando caïman au complet est affecté à une inspection du silo "Pyramide", un complexe militaire de 60 kilomètres de profondeur. Mais durant la manoeuvre, une attaque ultra-sonique manque de terrasser tous les membres de l'équipe.
Remontant à la surface, Bruno Brazil et ses partenaires découvrent un spectacle stupéfiant : militaires et civils dans un large périmètre autour du silo sont k.o..
Les membres du commando gagnent la ville la plus proche, déduisant que les malfaiteurs à l'origine de cette situation vont braquer la banque fédérale. Tandis que Billy, "Big Boy" et "Texas" traversent la ville fantôme d'un côté, Bruno, "Whip" et "Gaucho" infiltrent la troupe des bandits de l'autre.
Ils découvrent ainsi qu'à la tête des voleurs se trouve leur pire ennemie, Rebelle...

Devenu un des titres les plus populaires du journal de "Tintin", Bruno Brazil poursuit donc ses aventures avec ces deux nouveaux épisodes qu'il faut aborder en ayant lu Commando Caïman, le deuxième tome, paru en 1969 : la série feuilletonne en effet en réutilisant à deux reprises, consécutivement, la même méchante.

C'est d'ailleurs une des originalités que d'avoir fait de Rebelle, d'abord simple-valoir de Madison Ottoman, le vilain mégalomane du Matto Grosso, l'ennemi de Bruno Brazil et sa bande : à une époque où les personnages féminins n'étaient guère nombreux dans les parutions destinées à la jeunesse, à cause de la censure, l'adversité incarnée par cette femme fatale détone.

L'intrigue des Yeux sans visage exploite un vieux cliché du récit d'espionnage, le lavage de cerveau, qui transforme les acolytes du héros en pantins dangereux. Toutefois, il est difficile de relire l'histoire de Greg sans sourire : avec son savant fou qui manipule les méninges des agents du commando, l'intrigue peine à tenir la distance et souffre de sévères chutes de rythme. Par ailleurs le suspense autour de l'identité de la méchante fait long feu puisqu'on reconnaît sa silhouette et sa chevelure dorée très vite, sans compter qu'on devinait que Rebelle reviendrait vite après avoir réussi à s'échapper à la fin du tome 2 en jurant de se venger.

Plus invraisemblable encore : Rebelle s'en tire miraculeusement à la fin de cette aventure, plus revancharde que jamais car elle est défigurée (mais sans que cela soit montré : là encore, il ne s'agissait pas de choquer les enfants)... Mais dans le dénouement de La cité pétrifiée, elle se présente avec un visage absolument intact ! Soit elle a trouvé un chirurgien esthétique diablement doué, soit elle n'était pas si mutilée que ça auparavant, mais quelle que soit la réponse à ce rétablissement, Greg ne s'est guère embarrassé de vraisemblance.

Toutefois, ne soyons pas trop sévère et sarcastique car ce tome 4 est très bon : l'originalité de l'attaque menée par les malfrats, leur audacieux braquage, la résistance qu'oppose le commando caïman (quand bien même le scénario sacrifie, comme d'habitude, un membre en route - ici, Billy Brazil) sont captivantes. On pense d'ailleurs à une version à peine déguisé des Pirates du silence (le tome 10 de Spirou et Fantasio par Rosy et Franquin, avec Will, publié en 1958).

Visuellement, les deux albums sont toujours aussi inégaux et moyens : Vance est très brouillon dans le troisième épisode, et la colorisation de Petra ne vaut pas mieux, alors que dans le chapitre suivant, la série apparaît nettement plus soignée, avec des idées de découpage ingénieuse (simulant par exemple des déclinaisons de mouvements dans un seul plan).

La cité pétrifiée offre même des références esthétiques au pop-art, culminant dans la plus belle scène de l'histoire (quand "Whip" Rafale neutralise avec son fouet Rebelle dominant Bruno Brazil sur le toit de la banque fédérale). Néanmoins, Vance a quand même un trait très peu mobile, ses personnages se ressemblent tous et sont peu expressifs, et ses compositions sont souvent maladroites : autant de faiblesses qui plombent le résultat.

Le titre balbutie donc encore, même s'il s'améliore, au moins au niveau narratif, avec des intrigues plus solides. 

jeudi 28 avril 2016

RENE HAUSMAN (1936-2016)

Tristesse : René Hausman,
immense illustrateur, 
s'est éteint ce jeudi à 80 ans.

Sans être familier de son oeuvre, j'admirai cet artiste, notamment pour ses illustrations des Fables de Jean de la Fontaine (voir ci-dessous), et pour ses couvertures, sublimes, du journal de "Spirou".

C'était un vrai poète, un technicien extraordinaire, un homme loué par ses pairs depuis 1958.  


Il venait de publier, avec Cornette au scénario, une magnifique aventure de Chlorophylle, d'après le personnage créé par son maître, Raymond Macherot.  

Quelques images pour le plaisir et se souvenir...
 
 
 
 
 
 

Critique 875 : BIG FISH, de Tim Burton



BIG FISH est un film réalisé par Tim Burton, sorti en salles en 2003.
Le scénario est écrit par John August, adapté du roman du même nom de Daniel Wallace. La photographie est signée Philippe Rousselot. La musique est composée par Danny Elfman.
Dans les rôles principaux, on trouve : Ewan McGregor et Albert Finney (Edward Bloom), Alison Lohman et Jessica Lange (Sandra Bloom), Billy Crudup (Will Bloom), Marion Cotillard (Joséphine Bloom), Steve Buscemi (Norther Winslow), Danny de Vito (Amos Calloway), Helena Bonham Carter (Jenny et la sorcière), Matthew McCrory (Karl le géant).
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Conteur talentueux et inépuisable, Edward Bloom embarrasse son fils William le jour de son mariage avec Joséphine en narrant pour la énième fois comment il a attrapé un énorme poisson avec son alliance comme appât. Pour Will, les histoires de son père l'empêche d'être digne de confiance et d'avoir une relation ordinaire avec lui. Au terme de cette soirée, ils se disputent : leur brouille durera trois ans.
Ed et Sandra Bloom
(Albert Finney et Jessica Lange)

Pourtant quand il apprend que son père est mourant, Will accepte de le revoir comme le lui demande sa mère, Sandra. Joséphine est enceinte de sept mois et l'encourage à se réconcilier avec Ed, qui a toujours prétendu savoir comment et quand il quitterait ce monde depuis sa rencontre avec une sorcière dont l'oeil de verre permettait de voir l'avenir. 
Will Bloom
(Billy Crudup)

Malgré la maladie, Ed n'a pas changé et agrémente toujours le quotidien avec ses récits, tous plus extravagants les uns que les autres, qui irritent Will mais ravissent Joséphine. 
Joséphine Bloom
(Marion Cotillard)

Ainsi évoque-t-il sa croissance précoce, enfant, qui l'obligea à garder le lit pendant trois ans, puis sa carrière brillante de sportif dans diverses disciplines à Ashton où il est né. Ambitieux et curieux, il quittera cette bourgade pour découvrir le monde en compagnie du géant Karl, qui terrifiait les environs. 
Karl le géant et Ed Bloom
(Matthew McGrory et Ewan McGregor)

Empruntant, seul, des détours, Ed découvrit le village paradisiaque de Spectre dans une forêt où il fit la connaissance d'un poète (plus tard reconverti en braqueur de banque et homme d'affaires), Norther Winslow, et de Jenny, encore fillette puis résidant à l'âge adulte la maison de la sorcière. Toujours en quête d'aventures, Karl et Ed sont recrutés dans le cirque dirigé par Amos Calloway (qui se transforme en loup-garou la nuit venue). 
Amos Calloway
(Danny de Vito)

Lors d'une représentation, Edward remarque Sandra Templeton et en tombe instantanément amoureux. 
Sandra Templeton
(Alison Lohman)

Il lui fera une cour assidue pendant trois ans alors qu'elle étudie à l'université d'Auburn et réussira à la séduire, évinçant son fiancé, Don Price, un de ses camarades d'Ashton.
Ed Bloom
(Ewan McGregor)

Ed est appelé sous les drapeaux et, pour rentrer plus vite chez lui, accepte une mission dangereuse au cours de laquelle il sera aidé par deux danseuses siamoises, Ping et Jing, en échange de leur engagement dans le cirque de Calloway. Grâce à Winslow, Ed fait fortune, achète la maison de ses rêves et réhabilite Spectre dévastée par la crise immobilière. Will naît à cette époque. 
Norther Winslow
(Steve Buscemi)

L'état de santé de Ed s'aggrave brusquement et Will reste à son chevet, à l'hôpital, promettant de prévenir sa mère de l'évolution de la situation. Enfin seul à seul, le père fait comprendre à son fils que les histoires, peu importe qu'elles soient vraies ou romancées, survivent au conteur et accompagnent les survivants.  

Big Fish est un film mal-aimé : les fans de Tim Burton ne le citent jamais parmi leurs favoris, ne retrouvant pas dans cette histoire mélancolique et fantastique les motifs plus sombres de l'oeuvre du cinéaste. Pourtant, c'est un long métrage qui ne mérite pas la sévérité avec laquelle beaucoup le juge : c'est un joli récit, que j'aime particulièrement car il traite d'un de mes thèmes préférés - l'influence de la vie sur la fiction et de la fiction sur la vie. 

Le roman de Daniel Wallace (Big Fish : A novel of mythic proportions, 1998) est remarqué par le scénariste John August six mois avant sa parution et le renvoie à la mort de son propre père. Il convainc le studio Columbia d'en acquérir les droits et commence à en rédiger une adaptation. Steven Speilberg est approché pour le filmer et le cinéaste propose le rôle principal à Jack Nicholson, avant de jeter l'éponge (il tournera à la place Arrête-moi si tu peux). Le projet est envisagé pour Stephen Daldry puis Tim Burton, qui l'accepte.

Pour Burton, c'est aussi, comme August, l'occasion d'évoquer ses parents avec lesquels il n'a jamais été proche mais dont la disparition récente (en 2000 pour son père et 2002 pour sa mère) l'ont beaucoup affecté. C'est aussi un sujet plus intimiste qui lui permet de rebondir après le remake critiqué de La planète des singes. Le réalisateur est attiré par l'histoire, un drame émouvant et fantaisiste à la fois, abondant en personnages extraordinaires - ces freaks qu'il affectionne tant.

Au départ, Burton veut lui aussi Nicholson, qu'il a dirigé dans Batman (1989) et Mars attacks ! (1996) pour incarner Ed Bloom âgé mais aussi plus jeune (grâce à une combinaison de maquillage et d'effets spéciaux). Mais il change d'avis pour engager deux acteurs différents : Ewan McGregor joue donc la version rajeunie de Albert Finney (comme il a été Alec McGuiness jeune homme dans la deuxième trilogie Star Wars !) - une idée particulièrement inspirée car les deux comédiens sont formidables : le premier en aventurier charmeur tout droit sorti des films hollywoodiens des années 40-50, le second en conteur mourant et très attachant.  

De la même manière, pour incarner Sandra, Jessica Lange et Alison Lohman sont impeccables : la première y tient son dernier grand rôle à ce jour, la seconde y confirmait son talent après avoir été révélé par Ridley Scott (dans Les associés) - même si, depuis, elle semble avoir disparu des écrans. La compagne d'alors du cinéaste, Helena Bonham Carter, tient elle le double rôle de Jenny et de la sorcière (avec un look insensé). 

Bien que le film s'inscrive dans un registre fantastique et regorge de scènes visuellement spectaculaires, la mise en scène de Burton n'est jamais noyée par les effets spéciaux. Ce qui impressionne davantage réside dans la beauté de la photographie du français Philippe Rousselot, dont les couleurs furent renforcées en post-production : l'histoire, qui est relatée dans de nombreux et longs flash-backs, semble ainsi se passer dans une ambiance éthérée et flamboyante à la fois. La scène où Ed attend Sandra sous la fenêtre de sa chambre à l'université d'Auburn dans un champ de coquelicots apparaît comme une résumé esthétique du projet : c'est too much d'accord, mais splendide. 

On peut, sans les partager, comprendre les réserves de certains critiques contre le film : avec pareil sujet, on est en droit d'attendre plus d'émotion, et Big Fish n'est effectivement pas aussi poignant qu'on pourrait l'attendre. Il me semble aussi que le problème provient aussi du jeu de Billy Crudup, dont le personnage est trop antipathique et l'interprétation sans assez de relief (alors que c'est un comédien subtil, tout à fait capable). Marion Cotillard n'a pas grand-chose à faire non plus alors que Joséphine aurait pu (dû) être plus mise en avant (sa grossesse en parallèle à la mort imminente d'Ed suggère une transmission évidente et elle est bien plus indulgente envers son beau-père que son propre mari). 

En revanche, comme à l'époque de ses Batman, Burton soigne particulièrement la galerie de gentils monstres à sa disposition, profitant, il est vrai, d'interprètes de première classe (mais qu'il n'a plus filmés depuis étrangement) - Danny de Vito et Steve Buscemi en tête.

La musique originale de Danny Elfman est agrémentée d'une bande-son superbe arrangée par Eddie Vedder et Mike McCready  du groupe Pearl Jam et de chansons de Bing Crosby, Elvis Presley, Buddy Holly, Allman brothers band (que du bon donc !).

Tendre fantasmagorie, Big Fish mérite qu'on l'apprécie : c'est un film atypique pour son auteur mais joliment triste, romanesque en diable.

Critique 874 :LE PRESTIGE, de Christopher Priest


LE PRESTIGE (en v.o. : The Prestige) est un roman écrit par Christopher Priest, traduit en français par Michelle Charrier, publié en 1995 par les Editions Denoël (disponible désormais en édition de poche dans la collection "Folio SF")

Envoyé par le journal qui l'emploie dans le Derbyshire, au Nord de l'Angleterre, pour écrire un article sur une secte dont le gourou aurait des dons d'ubiquité, Andrew Westley, cantonné aux affaires étranges, fait la connaissance de Kate Angier, qui l'a attiré jusque chez elle après lui avoir adressé un livre consacré au prestidigitateur Alfred Borden. Kate confirme à Andrew que Borden était son ancêtre, exerçant jusqu'au début du XXème siècle, et qu'elle-même est la descendante du grand rival de ce dernier, Rupert Angier.
Le conflit qui opposa les deux illusionnistes oppose leurs deux familles depuis trois générations : à l'origine, Borden avait mis au point un numéro, le Nouvel Homme Transporté, et s'était acharné à confondre Angier qui exerçait comme spirite - un charlatan. Ce dernier entreprit alors de produire un tour semblable mais plus spectaculaire et raffiné.
Tandis que l'inimitié entre les deux hommes s'est développée au fil des ans, nourrie par la jalousie mais aussi des malentendus et des drames personnels, Angier apprend grâce à son assistante, Olive Wenscombe, qui finira pourtant par rester avec Borden, que son adversaire se serait inspiré des inventions scientifiques de Nikola Tesla.
Il part aux Etats-Unis rencontrer ce savant étudiant l'électricité et obtient qu'il lui construise une machine permettant des téléportations. De retour en Europe, le succès d'Angier éclipse celui de Borden jusqu'à ce que celui-ci, désireux de connaître son secret, sabote son équipement accidentellement - Un geste qui aura des répercussions inattendues et fantastiques...  
Christopher Priest

La prestidigitation m'a toujours passionné, non pas parce que je la pratique mais parce qu'elle a été animé par des personnages authentiquement extraordinaires, aux carrières souvent météoriques, aux hauts faits d'armes, et entourés d'éléments éminemment romanesques. Pourtant, très peu (en tout cas à ma connaissance) de fictions livresques et cinématographiques ont exploité ce domaine et ses acteurs : la littérature comme le 7ème Art préfèrent aborder la magie, avec son extravagance visuelle, que l'illusion.

Je dois dire tout de suite que je n'ai pas vu l'adaptation du Prestige réalisé par Christopher Nolan (sortie en 2006) : je ne goûte guère le cinéma de ce réalisateur, qui y dirige Christian Bale, un de ses acteurs favoris mais que je n'apprécie pas. Mais j'avais appris que le roman de Christopher Priest (à ne pas confondre avec le scénariste de BD du même nom) était d'un autre calibre.

Le danger, quand on entreprend de lire un ouvrage réputé supérieur au film qui en a été tiré, c'est évidemment qu'on attend qu'il prouve sa qualité. Sur ce point, inutile de faire durer le suspense, j'ai été déçu. Ce qui ne signifie pas que le roman soit mauvais...

La rivalité qui oppose Alfred Borden à Rupert Angier s'inspire de celle, authentique, située au XVIIIème siècle, entre Giuseppe Pinetti (qu'on appela "le Professeur", comme le personnage de Borden) et Edmond de Grisy (alias Torrini), inspirateur de Jean-Eugène Robert-Houdin (d'origine noble, comme Angier) - Robert-Houdin relata que le chevalier Pinetti aurait humilié publiquement Edmond de Grisy en révélant à ses débuts ses secrets d'escamoteur.
Jean-Eugéne Robert-Houdin.

On peut aussi penser à la guerre acharnée que livra Harry Houdini contre les spirites dans la démarche menée par Borden contre Angier à l'origine de leur conflit. Au cours de conférences, Houdini démontra les trucages des phénomènes prétendument surnaturels utilisés par des occultistes : ainsi démasqua-t-il le plus célèbre d'entre eux, le Docteur Henry Slade. Il faut bien comprendre que, suivant une tradition musulmane, on distinguait les "magiciens licites" (le muazzimûn, qui obéit à Allah et l'implore, adjure les esprits par les noms divins, renonce à toute vie impure) et "magiciens illicites" (le sâhir, qui asservit les esprits par des offrandes condamnables et de mauvaises actions - crime, inceste... - , pratique la "magie noire" telle que décrite par les démonologues occidentaux.
Ching Ling Foo est mentionné dans le livre.

Il y a donc, d'un côté, les "enchanteurs" (qui agissaient sur la seule imagination des sujets en leur communiquant des idées et des formes transmises à leurs sens et s'objectivent pour eux en perceptions internes qui ne répondent pas à la moindre réalité extérieure) et, de l'autre, les "faiseurs de miracles par des talismans". Les illusionnistes sont les adversaires déclarés de la magie, celle qui prétend user de lois anti ou sur-naturelles : tout ce qu'accomplit le prestidigitateur dépend de lui seul, "il est le seul acteur, le seul artiste qui, secrètement, sans doute, mais de façon essentielle, fasse reposer au maximum l'exercice de son talent sur les découvertes de la science" (Jehaugir Shahpursi Bhownagasey, in L'illusionnisme ou la magie blanche).

Au Moyen-Âge apparaît le Prestigior : Jules de Rovère, en 1815, en tirera le néologisme "prestidigitateur" qui signifie "celui qui a des doigts prodigieux". Dans la Grèce et la Rome antiques, on connaissait déjà les avaleurs de sabre, les ventriloques, les cracheurs de feu (décrits par Théodore, Euclide, Xénophon). En Orient, Apollonius de Tyane observera les lévitations de brahmanes, Marco Polo parlera de celles du moine Odoric, de Sir John Mandeville et de Ibra Battûra au XIVème siècle.

Enfin, tout ce qui a trait aux manifestations surnaturelles concernant la condition des magiciens après leur mort auprès de leur famille évoque le "Pacte de mort des magiciens", un accord (formalisé par Comte et Carl-Compas Hermann en 1850) engageant le survivant à évoquer l'esprit d'un disparu à chaque anniversaire de la mort de l'autre signataire (Beatrice, la veuve d'Houdini, chercha ainsi plusieurs fois avec l'aide de Thurtson à renouer avec son époux, sans succès toutefois). 
Harry et Beatrice Houdini

Le roman de Priest adopte la forme épistolaire : il comprend quatre parties, dont deux sont les transcriptions de notes prises par Alfred Borden (deuxième partie, 116 pages) et Rupert Angier (quatrième partie, 258 pages). Les première, troisième et cinquième parties (comptant respectivement 36, 40 et 15 pages) se déroulent de nos jours et mettent scène la rencontre de Andrew Westley et Kate Angier, appréhendant les conséquences du conflit entre Borden et Angier : Andrew est un enfant adopté, qui a toujours cru avoir un frère jumeau dont il a été séparé, et dont il sent la présence encore plus fortement quand il arrive dans le Derbyshire, comme s'il s'agissait d'un aiguillon le guidant en un endroit qui allait lui révéler le secret de ses origines.
 Le chevalier Guiseppe Pinetti et...
... Edmond De Grisy dit Torrini : leur rivalité
a inspiré à Christopher Priest celle qui oppose 
Alfred Borden à Rupert Angier.

Cette forme narrative produit un aspect décousu au récit qui se traduit non seulement par des allers-retours entre présent et passé, mais aussi au niveau expressif : Borden écrit dans un style particulier (destiné à un ouvrage décrivant sa carrière et ses numéros, sans dévoiler leurs secrets), Angier tient un journal (plutôt régulier, bien que connaissant des béances dues à des événements personnels souvent dramatiques), tandis que les parties intermédiaires entre Andrew et Kate sont verbalisés dans un registre neutre, même si le point de vue adopté est celui d'Andrew. 
 John Henry Anderson : le premier mentor d'Alfred Borden et...
... Nevil Maskelyne : le second mentor d'Alfred Borden.

Dans ces textes, l'auteur écrit donc à la première personne du singulier, se mettant donc dans la peau de Westley, Borden, (Rupert) Angier : c'est le "je' qui parle et rédige, et ce procédé n'est pas innocent car il rappelle l'impossibilité pour un individu de relater des événements de façon totalement objective. Il en est à la fois l'acteur et le rapporteur, le personnage et l'auteur - une entité double, figure déclinée plusieurs fois dans le roman à travers Andrew Westley/Borden, Andrew et Kate, Kate et Rupert Angier, Alfred Borden et Rupert Angier, Rupert Angier et Nikola Tesla, Julia Borden et Olive Newscombe, Andrew et son jumeau Nicky, et même Rupert Angier et son "double" (dont je tairai la nature exacte afin de ne pas gâcher la surprise à ceux qui découvriront le texte)...
Buatier De Kolta est aussi cité dans le roman.

L'autre forme du double est celle qui existe entre entre le romancier et le lecteur, et qui aboutit à l'autre principe majeur du livre, la notion de "pacte". Littérairement parlant, à partir du moment où vous ouvrez un livre, vous admettez que ce qui va y être raconté est vrai dans le cadre du récit écrit par l'auteur : c'est le fameux "on dirait que" ou "il était une fois". Le lecteur accorde sa confiance à l'auteur (pour être diverti mais surtout que ce soit fait de manière intelligente et efficace) : même pour une histoire farfelue, le romancier doit convaincre et le lecteur accepter de se laisser entraîner. Ce "pacte" est aussi le fondement de la relation entre le prestidigitateur et le spectateur : le premier montre au second quelque chose d'extraordinaire pourtant produit à partir d'éléments ordinaires mais mis en scène assez habilement pour l'épater. Le spectateur accorde sa confiance à l'illusionniste pour que ce que qu'il lui montre soit donné comme vrai même cela semble invraisemblable. Appliqué au roman, l'auteur revêt à sa manière l'habit d'un magicien qui manipule le lecteur qui, en retour, accepte d'être dupé.

Dans Le Prestige, ce "pacte" est clairement formulé par Alfred Borden et Christopher Priest explique de manière implicite, à travers les notes de son personnage, sa propre stratégie : écrire un texte revient à accomplir un tour de magie. S'il le réussit, le lecteur sera aussi sidéré qu'un spectateur ayant assisté à un numéro, même s'il a disposé de tous les détails nécessaires à la compréhension du tour.
Nikola Tesla : l'inventeur, "génie du tonnerre",
est un second rôle important de l'histoire.

Mêler des personnages fictifs à d'autres authentiques et célèbres est aussi une idée qui exige un talent remarquable, une maîtrise narrative que ne me semble pas posséder Priest ici : en incluant, de manière notable, Nikola Tesla (évoqué de manière bien plus habile par Paul Auster dans Moon Palace), l'auteur a pris le parti, peu abouti à mon avis, de s'en servir avec fantaisie, prêtant à ses recherches et à la machine qu'il assemble pour Rupert Angier des propriétés trop providentielles narrativement - il ne s'agit pas simplement de téléportation (ce qui est déjà bien assez extravagant mais peut passer dans une telle histoire) mais de télépathie et même d'immortalité (et ce, sans que cela soit ni expliqué ni justifié, juste exploité à des fins de spectacle romanesque). Cela nuit à la cohérence du texte, jusqu'alors, bien référencé et solidement bâti, le faisant basculer dans la veine des oeuvres d'auteurs comme H.G. Wells (La Machine à explorer le temps ; L'Homme invisible), la rigueur en moins.
     
Enfin, le dénouement, que j''estime fort nébuleux, s'inscrit dans une sorte d'épouvante gothique qui tranche tellement avec ce qui a précédé que l'effet jure grossièrement. En comparaison, donc, le meilleur du texte se trouve dans l'exemplaire évocation du métier de prestidigitateur, sa grandeur, ses contraintes, sa philosophie, son éthique, rédigée avec sensibilité et souci d'exactitude. Tout cela, bien considérés, fait du Prestige un divertissement consistant et souvent bien emballé mais qui manque cependant de cohérence pour convaincre pleinement, compte tenu de son volume et de son ambition.
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Le roman a donc été adapté par le réalisateur britannique Christopher Nolan, d'après un scénario co-écrit avec son frère Jonathan Nolan, et interprété par Hugh Jackman (Robert Angier), Christian Bale (Alfred Borden), Scarlett Johansson (Olivia Wenscombe), Rebecca Hall (Sarah Borden), David Bowie (Nikola Tesla).
La couverture de l'édition de poche du livre dans la collection Folio SF reproduit d'ailleurs l'affiche du film.

dimanche 24 avril 2016

Critique 873 : BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR, de Rupert Sanders / JANE EYRE, de Cary Fukunaga


BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR (en v.o. : Snow White and the Hunstman) est un film réalisé par Rupert Sanders, sorti en salles en 2012.
Le scénario est écrit par Hossein Amini, Evan Dougherty, Evan Spiliotopoulos, d'après les contes de Jacob et Wilhelm Grimm. La photographie est signée Greig Fraser. La musique est composée par James Newton Howard.
Dans les rôles principaux, on trouve : Kristen Stewart (Blanche Neige), Chris Hemsworth (Eric, le Chasseur), Charlize Theron (Ravenna, la Reine), Sam Clafin (William, l'ami d'enfance de Blanche Neige), Sam Spruell (Finn, le frère de la Reine Ravenna).
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La Reine Ravenna
(Charlize Theron)

Ravenna, qui partage le lit du Roi depuis la mort de sa femme, s'empare de son trône avec la complicité de son frère, Finn, et de leur armée. Elle tue le Roi et jette dans un cachot la fille de celui-ci, Blanche-Neige, encore enfant.  Le meilleur ami de la fillette, William, réussit à fuir avec le Duc Hammond et quelques soldats et paysans. 
Blanche Neige
(Kristen Stewart)

Les années passent, et les ténèbres se sont abattus sur le royaume à cause des pouvoirs maléfiques de la Reine qui, pour conserver sa jeunesse, aspire par la magie la force vitale des plus jeunes femmes du pays. Pour s'assurer l'immortalité, elle doit désormais sacrifier Blanche Neige, devenue adulte et d'un charme sans égal. Finn va la chercher dans sa cellule mais elle réussit à s'en échapper et à fuir le château.  
Le chasseur
(Chris Hemsworth)

Blanche-Neige s'enfonce dans le forêt sombre, le seul endroit où la magie de la Ravenna est sans effet mais dont les bois sont remplis de pièges et pollués par une atmosphère vicié. La Reine recrute Eric, un chasseur, pour aller récupérer la fugitive, en lui promettant de rendre à la vie sa défunte épouse.
Le chasseur et les sept nains

Quand il comprend, une fois Blanche Neige retrouvée, que Ravenna ne tiendra pas parole car elle est incapable de ressusciter les morts, le chasseur aide la jeune femme à s'éloigner de Finn et ses sbires. Ils vont trouver sur leur route les septs nains (qu'a escroqué Eric), dont l'un d'eux reconnaît en Blanche Neige la future régente qui rendra au royaume sa prospérité et son éclat.
Le Prince William
(Sam Clafin)

William, qui avait infiltré la bande de Finn, raccompagne Blanche Neige, le chasseur et les nains jusqu'au Duc Hammond pour convaincre ses sujets de mener une dernière bataille contre le château de Ravenna. 
Blanche Neige
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JANE EYRE est un film réalisé par Cary Fukunaga, sorti en salles en 2011.
Le scénario est écrit par Moira Buffini, d'après le roman de Charlotte Brontë. La photographie est signée Adriano Goldman. La musique est composée par Dario Marianelli.
Dans les rôles principaux, on trouve : Mia Wasikowska (Jane Eyre), Michael Fassbender (Edward Rochester), Jamie Bell (St. John Rivers), Judi Dench (Mrs Fairfax).
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Jane Eyre
(Mia Wasikowska)

A bout de force dans la lande anglaise, une jeune femme est recueillie par St. John Rivers, un jeune pasteur, et ses deux soeurs. Elle dit s'appeler Jane Eliott, mais son hôte devine qu'elle ment tout en respectant son secret. Il lui trouve, une fois qu'elle est rétablie, un poste d'institutrice, certes mal payé, mais qui lui convient.
Jane Eyre et St. John Rivers
(Mia Wasikowska et Jamie Bell)

De son vrai nom, Jane Eyre a grandi dans l'internat de Lowood où elle a subi des punitions physiques et morales, rejetée par sa tante. Elle s'est liée d'amitié avec une autre fillette que la tuberculose emportera. A 19 ans, elle quitte enfin cette sinistre institution pour devenir la préceptrice de la petite Adèle à Thornfield Hall, dans un château ancien et isolé. 
Edward Rochester
(Michael Fassbender)

Jane remplit sa tâche avec efficacité, s'attirant la sympathie de la gouvernante, Mrs Fairfax. Le tempérament de la jeune femme, sa loyauté, sa discrétion, son intelligence, sa sensibilité, charment Rochester qui, bien que s'étant engagé à épouser la noble Blanche Ingram, avoue à Jane qu'il l'aime et désire qu'elle soit sa femme. Malgré les mises en garde de Mrs Fairfax et leurs différences de classe sociale, elle accepte. Mais le jour des noces, un homme s'oppose à leur union, obligeant Rochester à révéler son secret : il cache dans une cellule de son château sa première épouse, devenue folle.
Edward Rochester et Jane Eyre

Jane s'enfuit donc jusqu'à ce qu'elle soit hébergée par St. John Rivers et ses soeurs. La jeune femme apprend, entretemps, la mort de son père, qu'elle croyait disparu depuis toujours, et dont elle hérite la fortune. Elle partage son argent avec le pasteur et ses soeurs, mais refuse d'épouser Rivers car elle pense toujours à Rochester. Elle part le retrouver...

Evoquer dans une même critique deux héroïnes aussi différentes que Jane Eyre et Blanche Neige peut étonner, mais par un hasard de la programmation télé, deux films les ont mis en lumière et m'ont inspiré ce rapprochement. Mercredi dernier, Arte diffusait l'adaptation du roman de Charlotte Brontë par Cary Fukunaga et le lendemain, W9 proposait Blanche Neige et le chasseur de Rupert Sanders d'après le conte des frères Grimm : deux histoires de jeunes femmes dont l'émancipation allait être précipitée par leurs aventures.

Dans le film de Sanders, Blanche Neige est incarnée par Kristen Stewart : la jeune actrice, une des plus intéressantes du cinéma américain actuel, a connu la gloire avec la saga Twilight tout en s'illustrant dans des films d'auteurs (chez Walter Sallés, Olivier Assayas). Son interprétation, à la fois vibrante et marquée par son charme insolent, modernise le personnage dans des costumes sombres, taillés dans du cuir, jusqu'à la montrer en armure à la fin, telle Jeanne d'Arc. On ne peut être plus loin du cliché de la pauvre princesse tourmentée par la méchante reine et recueillie par les sept nains ainsi que l'immortalisa le dessin animé de Walt Disney en 1937.

Cette esthétique, dont on peut presque sourire tant elle fait ressembler les personnages à des punks à chien, avec les cheveux mouillés, la barbe de trois jours (mais bien taillée !) des garçons, le contraste entre la princesse guerrière et la reine hystérique - celle-ci jouée par une Charlize Theron déchaînée, s'amusant même le temps d'une scène à parodier la pub Dior ("J'adore") dont elle est l'égérie - , aboutit pourtant à un résultat efficace, malgré quelques longueurs (130 minutes quand même) et des éléments dispensables (le prince William, interprété par Sam Clafin, qui semble tour à tour être le grand frère de Blanche Neige et son amoureux). Le personnage du chasseur, auquel Chris Hemsworth donne une présence très physique (même si son look fait trop penser à Thor, qu'il personnifie dans les films Marvel), ou les sept nains, dans une version jubilatoire (avec des acteurs prestigieux comme Ian McShane, Bob Hoskins, Toby Jones, Ray Winstone, miniaturisés grâce à des effets spéciaux bluffants), sont plus convaincants.

En comparaison, la 18ème (!) adapatation de Jane Eyre que livre Cary Fukunaga est d'une facture beaucoup plus classique, mais aussi plus délicate et subtile. Cela tient aussi beaucoup à sa comédienne principale, la frémissante Mia Wasikowska, découverte dans Alice aux pays des merveilles de Tim Burton en 2010. Sa silhouette gracile, son jeu très sobre, tout en retenue, sont magnifiques : quasiment présente dans tous les plans, elle s'impose comme une interprète de première classe.

Sa romance sensible, sublimement filmée dans la campagne automnale d'Angleterre, avec Michael Fassbender, plus magnétique que jamais en Rochester ombrageux, dispense de très beaux moments, malgré là aussi des chutes de rythme dommageables (110 minutes). Le film souffre de seconds rôles moins forts que chez Sanders, avec des comédiens qui, très british, réussissent à cabotiner en n'en faisant pourtant pas assez : pourtant, Jamie Bell, Imogen Poots ou la vénérable doyenne Judi Dench ne sont pas des demi-portions, mais ils sont en vérité trop convenus par rapport au couple vedette, autrement plus intense.

Ce qui distingue Blanche Neige et le chasseur et Jane Eyre tient donc plus à la forme qu'au fond : dans les deux cas, il est question de jeunes femmes embarquées dans un récit initiatique et traversant donc leur lot d'épreuves (physiques et mentales) pour se dépasser et accéder à une nouvelle étape dans leur existence - trouver l'amour pour Jane Eyre, assumer son destin de reine pour Blanche Neige. Leur périple s'accomplit grâce à un homme - Edward Rochester, Eric le chasseur - et au détriment d'une autre femme - Blanche Ingram, Ravenna - et d'un autre homme - St. Johns Rivers, Finn. Le tout dans des tons gothiques assez semblables - avec la présence d'un château emblématique d'un malheur lié au passé.

Toutes ces caractéristiques stylistiques, jusqu'à leur diffusion à la télé très proches, contribuent à rendre ces deux productions, aux récits et aux époques pourtant distincts, pourtant étrangement similaires, comme si, des frères Grimm à Charlotte Brontë, de Kristen Stewart à Mia Wasikowska, de Chris Hemsworth à Michael Fassbender, de Blanche Neige à Jane Eyre, l'histoire des grandes héroïnes romantiques n'en finissaient pas de décliner les mêmes motifs mais subtilement modifiés par la perception que notre époque en a désormais : non plus telles des victimes mais comme des combattantes que rien ni personne ne sauraient priver de leur dû.