mardi 31 janvier 2023

S.O.S. FANTÔMES : L'HERITAGE, de Jason Reitman


Une autre bonne résolution que j'ai prise pour 2023, c'est de moins écrire de critiques de film, puisque la vocation de ce blog est de se consacrer aux comics. Donc, je vais tâcher de m'en tenir aux films adaptés de comics, et quand je ferai exception à cette règle, ce sera pour des films comme S.O.S. Fantômes : L'Héritage, qui ne dépareille pas trop.
 

2021. Callie Spengler hérite de la ferme à l'abandon de son père, Egon, où elle s'installe avec ses deux enfants, Trevor, qui traîne vite avec Lucky, une jolie serveuse dont il s'est amourachée, et Phoebe, sa cadette, fan de sciences, qui devient l'ami de Podcast, un camarade de classe, et Gary Grooberson, son prof, féru de sismologie et intrigué par la fréquence inhabituelle des tremblements de terre dans ce trou perdu de l'Oklahoma.


Lorsque Pheobe découvre que la ferme est hantée et qu'en pistant le fantôme qui l'occupe, elle tombe sur le laboratoire secret de son grand-père, elle en parle à Podcast et Gary. De son côté, Trevor, pour séduire Lucky, répare la voiture de Egon et la conduit jusqu'à la mine désaffectée de Summerville où ils sont témoins d'étranges phénomènes.


Avec Podcast, Phoebe teste l'étrange métériel de Egon lorsqu'elle surprend un ectoplasme dans l'usine abandonnée voisine. S'ensuit une course-poursuite avec Trevor dans les rues de Summerville au terme de laquelle le spectre est capturé mais au prix de gros dégâts métériels. Phoebe profite de pouvoir passer un coup de fil pour appeller Ray Stantz, dont elle trouvé le numéro dans les affaires de Egon. Gary le connaît aussi de réputation et lui explique ensuite qu'il s'agissait d'un membre des Ghosbusters de New York dans les années 1980.


Pendant que Gary tente de rassurer Callie au sujet de ses enfants, ceux-ci avec Podcast et Lucky visitent le mine où une installation de Egon empêche des démons de s'enfuir.. Mais deux de ces créatures trouvent quand même la sortie et possèdent Callie et Gary qui viennent libérer leur maîtresse Gozer, une vieille ennemie des Ghostbusters. Le chaos s'empare de la ville et les apprentis chasseurs de fantômes doivent s'interposer en récupérant le matériel de Egon au commissariat... Avant de recevoir des renforts bienvenus et de faire leurs adieux à Egon.


Je suis assez vieux maintenant pour avoir vu Ghostbusters en salle (c'était en 1984). Il n'empêche, tout ça semble venir d'une autre époque, d'un autre temps, celle d'un cinéma qui mixait comédie et fantastique avec des effets spéciaux rudimentaires, une époque où Ivan Reitman allait pour un temps devenir le roi du pétrole en signant deux blockbusters en compagnie de Harold Ramis, Dan Aykroyd, Bill Murray, Ernie Hudson et Sigourney Weaver (qui, elle, avec Alien et Aliens, était déjà une sorte d'égérie de la s.-f. horrifique).

Pendant des années, Dan Aykroyd et Ivan Reitman voulurent complèter une trilogie, sans y parvenir. Il faudra attendre 2016 pour que ce troisième acte prenne forme, mais sous la houlette de Paul Feig et avec un casting entièrement féminin, qui s'attirèrent les foudres de la critique et des fans - je me garderai de tout jugement, ne l'ayant pas vu.

N'empêche, S.O.S. Fantômes semblait mort et enterré. Jusqu'à ce que le propre fils de Ivan Reitman, pourtant peu connu pour signer des films de ce genre, fasse ce cadeau à ceux qui ne l'attendaient plus. Il faut dire qu'entre-temps, en 2014, Harold Ramis, un des Ghosbusters originaux, disparut et il s'agissait alors presque d'un devoir de mémoire. Et de transmission. Deux thèmes au centre de L'Héritage.

Plutôt que de rappeler les acteurs originaux, autrement que pour le fan-service, Jason Reitman et son co-scénariste Gil Kenan ont eu l'heureuse inspiration de faire d'une bande de gamis leurs héros. Du coup, cet opus en évoque un autre, je veux parler des Goonies (Richard Donner, 1985) avec ces aventuriers en culottes courtes.

Le cinéaste fait souffler un air frais sur cettee histoire de revenants tout en adressant un clin d'oeil appuyé aux deux premiers films (surtout au premier), oubliant le reste. Ce qui s'appelle revenir à la source mais en allant de l'avant - d'ailleurs, une suite est déjà prévue.

L'intrigue est rondement menée et on ne voit pas passer les deux heures du film, qui réserve une place de choix aux deux adultes, la mère dépassée et le prof complice, qui vont tomber amoureux - ce qui est certes convenu mais bien amené. Reitman fils peut s'appuyer sur deux excellents acteurs pour cette partie de l'histoire puisqu'il a sollicité Carrie Coon, comme d'habitude formidable, et Paul Rudd, comme toujours impeccable.

Le casting des jeunes héros est également une réussite. Les fans de Stranger Things (dont je ne suis pas) reconnaîtront Finn Wolfhard dans le rôle de ce benêt de Trevor, mais les autres préféreront retenir le nom de Logan Kim, irrésistible Podcast, et surtout de McKenna Grace, extraordinaire comédienne qui emporte tout sur son passage.

Olivia Wilde campe le rôle de la méchante Gozer, mais, et c'est mon seul bémol, le personnage apparaît un peu tardivement et n'a donc que peu de temps pour s'imposer comme la terrible menace qu'elle est censée incarner. 

Certains ont reproché au film de justement trop jouer la carte fan service, mais ce n'est pas mon avis. J'ai trouvé que c'était sobre et mesuré. Et de toute façon, comme je l'ai déjà dit, j'ai accroché sans effort à la proposition.

Le mauvais sort a voulu que Ivan Reitman parte à son tour, il y a presque un an (en Février 2022), mais le succès commercial du film a dû le combler. Amen.

Vivement la suite donc - en souhaitant que la franchise ne perde plus un seul de ses éléments cette fois (avant ou après).

samedi 28 janvier 2023

BATMAN : ONE BAD DAY - CATWOMAN, de G. Willow Wilson et Jamie McKelvie


Dernière sortie de la semaine et pas des moindres : Batman : One Bad Day - Catwoman. Il s'agit d'un récit complet de 64 pages écrit par G. Willow Wilson et dessiné par Jamie McKelvie, et qui fait partie d'une collection consacrée à la rogue gallery de Batman. Après le Sphinx, Mr. Freeze, Double-Face, Le Pingouin et avant Bane, Gueule d'Argile et Ra's Al Ghul (par Taylor et Reis), c'est donc au tour de la féline fatale d'être honorée. Et c'est une réussite.
 

Enfant, avec sa soeur Maggie, Selina Kyle a vu sa mère être obligée de vendre une broche précieuse à un prêteur sur gages pour payer le loyer. Depuis, elle est obsédée par l'idée de récupérer ce bijou, moins pour sa valeur financière que sentimentale. Et elle vient d'apprendre qu'il sera mis aux enchères.


Elle rencontre dans la salle d'exposition la conservatrice Vivian Page qui connaît la triste histoire de la broche. En remarquand Bruce Wayne parmi les acheteurs, Selina s'éclipse et procède au vol du bijou juste avant sa présentation. Elle appelle Maggie pour la prévenir mais sa soeur ne comprend pas pourquoi elle a pris tant de risques.


Selina décide de revendre la broche après l'avoir faite expertiser. Elle apprend alors que c'est une fausse. Mais comment a-t-elle atterri aux enchères ? Et qui a roulé Catwoman ?


Le principe de la collection Batman : One Bad Day, c'est d'offrir aux auteurs les plus prestigieux l'occasion de consacrer un récit complet d'une soixantaine de pages à un des vilains emblématiques de Batman.Selon la sensibilité de chacun, les récits se situent dans le passé ou le présent et Batman lui-même y tient un rôle plus ou moins important. Encore une initiative qui prouve que DC investit dans des projets qualitatifs, pour des formats atypiques - quand bien même le risque commercial est réduit avec Batman dans le titre.


En tout cas, l'opération a attiré des créateurs de premier plan, et pas seulement chez DC. Gerry Duggan (le scénariste actuel de X-Men) a signé un one-shot sur Mr. Freeze, et le duo Collin Kelly-Jackson Lanzing (les auteurs de Captain America : Sentinel of Liberty) sortira en Février leur histoire sur Geule d'argile. Côté dessinateurs, du beau monde aussi puisque Javier Fernandez a trouvé le temps (entre deux épisodes de King Spawn) de dessiner le numéro sur Double-Face, Matteo Scalera (entre deux projets avec Millar) celui sur Mr. Freeze, et il reste encore à découvrir ce qu'ont fait Xermanico et Ivan Reis avec Gueule d'argile et Ra's Al Ghul. Sans oublier les incontournables Tom King et Mitch Gerads qui on ouvert le bal avec le Sphinx.


On peut s'étonner de voir Catwoman, puisque c'est à son tour d'être au centre du jeu, dans cette rogue gallery, d'autant que le récit écrit par G. Willow Wilson (Ms. Marvel) se déroule au présent et qu'elle n'est plus une vilaine depuis belle lurette. Mais comment oublier Selina Kyle quand on évoque Batman ? Et puis ça change de tout ce casting très testéroné.

Wilson raconte une histoire classique avec tous les ingrédients qu'on attend d'une aventure avec Catwoman : il y a un casse, un bijou précieux (à plus d'un titre), des fourgues, une adversaire inattendue, et un tout petit peu de Batman (ce doit être un des one-shots où il est le moins présent). Alors qu'est-ce qui fait que ça vaut vraiment le coup ?

Déjà, si vous, comme moi, vous êtes un fan de la féline fatale et que vous cherchez quelque chose de bien à lire avec elle, vous serez statisfait. Depuis le début de l'ère Rebirth, Catwoman n'a pas été très gâtée : le run de Joelle Jones n'a franchement pas été bon. Celui de Ram V avec Fernando Blanco s'est achevé précipitamment, parasité par Fear State. Et Tini Howard avec Nico Leon ne m'a pas convaincu (peut-être aurai-je dû persévérer, mais bon...).

En vérité, le dernier scénariste à avoir bien traité Catwoman, de manière originale, reste Tom King dans son run sur Batman. Mais DC n'a semble-t-il jamais voulu enteriner sa volonté de faire de Batman et Catwoman un couple durable comme Lois et Superman, comme si l'éditeur (et les autres auteurs animant ces personnages) voulaient conserver à Selina Kyle son indépendance et la possibilité de la faire retomber du mauvais côté. Dommage, car justement l'ambiguïté du couple, le doute permament autour de Catwoman pimentaient la relation de BatCat.

D'ailleurs, dans les deux scènes où G. Willow Wilson confronte Bat et Cat, la scénariste joue divinement cette partition avec un Batman qui a conscience qu'il ne peut tenir en laisse Catwoman et y prend visiblement du plaisir. Il sait que c'est pour cela, comme cela qu'elle lui plait et qu'il lui plait. Il y a une sorte de malice, de tension sexuelle entre eux deux qu'il est inutile d'exacerber car le lecteur est complice et s'en régale.

Wilson agrémente son intrigue, qui se passe quasiment en temps réel (à l'exception d'un flashback), d'une quête personnelle pour Catwoman puisque la broche qu'elle vole, puis cherche à revendre à une valeur sentimentale - et même historique. Le bijou a en effet été monté par des orfèvres français durant l'Occupation nazie.

Lorsque le récit déraille et que Catwoman comprend qu'elle a été doublée, l'identification et les motivations de l'adversaire rendent le tout plus trouble et roublard, pour aboutir à une scène de combat où on aurait apprécié que Wilson explique la force physique étonnante du Forger. Mais c'est la seule réserve que j'émettrai. Tout ce qui précéde, avec la localisation du bijou, son vol, le passage chez le fourgue, la révélation de la duperie, tout cela est un vrai plaisir à lire. Le rythme est soutenu, la caractérisation de Selina est parfaite (avec ce savant dosage d'espiéglerie et de détermination) : ça, c'est la Catwoman que j'aime.

Alors qu'il s'est fait discret depuis la fin de The Wicked + The Divine (écrit par Kieron Gillen, chez Image Comics), même s'il travaillerait depuis de longs mois sur un creator-owned, Jamie McKelvie fait son grand retour au dessin avec ce one-shot. Et qui de mieux pour croquer Catwoman que cet artiste si élégant ?

Il y a une chose qui me déplait chez McKelvie, c'est son traitement des décors, trop infographiés, trop froids, mais le résultat dans son ensemble fait passer la pilule. L'artiste assume dessin, encrage et colorisation, et on sent qu'il s'est vraiment investi dans le projet, que ce n'est pas un boulot qu'il accepté pour le chèque, entre deux autres jobs.

Il représente Selina comme une femme très belle, ça va de soi, mais surtout avec le souci de la rendre crédible en tant que Catwoman. Pour être une monte-en-l'air pareille, il la dote d'un corps ferme, légèrement sculpté, musclé, on devine qu'elle fait de l'exercice, qu'elle s'entraîne, notamment quand elle apparaît dans une robe du soir échancrée qui laisse voir justement des parties de son anatomie trahissant une pratique sportive.

Ce genre de détails crédibilise tout le reste, quand elle se glisse dans des conduits d'aération où elle rampe, ou quand elle désarme et neutralise deux gardiens sur un toit en accomplissant des cabrioles et en les frappant de manière précise et efficace. Pour autant, Catwoman n'est pas Black Widow, cette ballerine formée comme une machine à tuer, et son affrontement contre le Forger démontre qu'elle est en difficulté contre un adversaire dont elle a ignoré qu'il pouvait être aussi coriace. Elle prend alors des coups et même si Wilson et McKelvie épargnent Catwoman en le l'esquintant pas trop, elle se paie un sacré oeil au beurre noir.

Les décors, donc, sont très infographiés et ne se départissent jamais d'une froideur certaine. McKelvie renonce à les texturer pour singifier des traces d'usures ou à les coloriser de telle sorte qu'ils paraissent moins lisses. Le dessinateur privilégie la lisibilité en toute circonstance, c'est louable, mais un peu dommage car c'est sans doute ce qui manque à ses images.

La chose est d'autant plus remarquable que, quand il s'agit du costume de Catwoman, McKelvie utilise des effets de trame, ce qui donne une apparence proche du cuir qu'on connaît au personnage mais aussi d'une couche supplémentaire, plus résistante, plus conforme à un habit de cambrioleuse, d'acrobate, de super-vilaine.

La qualité des expressions sur les visages, du langage corporelle, et un découpage rigoureux (McKelvie ne déborde jamais du cadre, il y a toujours ce côté propre, sage, classique chez lui) contribuent à une lecture qui se s'éparpille pas, mais rend justice au script, et aboutit à une forme très raffinée, étudiée.

C'étair le vrai seul numéro de la collection qui me tentait et je n'ai pas été déçu. Mieux : cela m'a donné envie de jeter un oeil sur quelques autres (et comme dans les prochaines semaines la quantité de critiques va baisser - notamment en raison de l'absence de titres X, ne suivant ni le crossover X-Men/Captain Marvel, ni l'event Sins of Sinister), je tâcherai de vous proposer des critiques sur d'autres One Bad Day.

vendredi 27 janvier 2023

ACTION COMICS #1051, de Philip Kennedy Johnson et Rafa Sandoval, Dan Jurgens et Lee Weeks, Leah Williams et Marguerite Sauvage


On dirait bien que Dawn of DC, le nouveau statu quo mis en place après l'event Dark Crisis (on Inifnite Earths), va d'abord profiter à Superman. Avant le relaunch de la série qui porte son nom (par Joshua Williamson et Jamal Campbell), Philip Kennedy Johnson, qui s'occupe déjà de la série depuis un moment, inagure avec ce n° 1051 une nouvelle formule. Et le résultat est enthousiasmant.


- ACTION COMICS (Ecrit par Philip Kennedy Johnson et dessiné par Rafa Sandoval). - Superman a rassemblé toute sa famille à Metropolis en pensant au futur de la ville. Un mouvement de protestation anti-alien, Blue Earth, fait pourtant part de son mécontentement à ce propos.


Et pour ne rien arranger, Lex Luthor, depuis sa cellule de prison, fait chanter Metallo pour qu'il commette un attentat contre le siège de SteelWorks...

Depuis Mars 2021 et le n° 1029, Philip Kennedy Johnson écrit Action Comics et le scénariste a tout de suite marqué les esprits en s'engageant dans une très longue saga dans l'espace confrontant Superman à Mongul sur le Warworld, et l'intégration à son récit de ce que Grant Morrison avait écrit dans sa mini Superman and the Authority.

Le mois dernier, alors que s'achevait 2022, Action Comics #1050 établissait un nouveau statu quo en restaurant l'identité secrète de Superman (révélée lors du run de Brian Michael Bendis - on voit que DC fait vraiment tout pour effacer ce que ce dernier a pu apporter...). Pour ceux qui n'ont pas suivi : Lex Luthor a kidnappé le magicien Manchester Black (qui avait aidé Superman sur le Warworld) pour effacer le souvenir de l'identité civile de Superman des esprits, mais pour ceux qui voudraient quand même tenter de percer ce secret, le sortilège peut les tuer. En l'apprenant, Superman affronte une énième fois Luthor et l'envoie derrière les barreaux, même si son adversaire lui a expliqué avoir fait ça pour lui rendre service.

Avant de se faire arrêter, Luthor avait offert une nouveau corps à John Corben alias Metallo en échange de ses services futurs. Superman, lui, réunit toute sa Super-famille à Metropolis pour des initiatives plus pro-actives et faire de la cité la vraie ville de demain (the city of tomorrow pour the man of tomorrow donc). Il est désormais entouré de Jon, son fils, Kon-El, Kenan Kong (le Superman chinois), Kara Zor-El (Supergirl), Natasha Irons et son père John (Steel), mais également deux orphelins adoptés sur le Warworld, Osul-Ra et Otho-Ra. Et bien sûr Lois Lane, son épouse.

L'arc qui s'ouvre s'appuie sur les dessins de Rafa Sandoval, et les couleurs de Matt Herms, ce qui explique qu'ils aient tous deux quitté si vite la mini-série Black Adam de Christopher Priest. Le résultat est superbe, confirmant les progrès de Sandoval, en qui DC place sa confiance car dessiner Superman est une vraie promotion. L'artiste régale le lecteur avec un découpage dynamique, une gestion parfaite d'un casting étoffé, et une aisance aussi bien dans les scènes calmes que mouvementées.

Kennedy Johnson accroche le lecteur avec une entame nerveuse et dense où le danger vient de toutes parts (le mouvement Blue Earth, Luthor, Metallo). C'est très engageant et le fait de mettre en scène toute la super-famille est une idée enthousiasmante, qui transforme la série en un team-book qui ne dit pas son nom. Je n'avais pas lu la saga du Warworld (seulement des résumés et critiques, applaudissant l'ambition sans cacher son inégalité). Mais là j'ai envie de voir ce que ça donne dans cette configuration.


- LOIS & CLARK 2 (Ecrit par Dan Jurgens et dessiné par Lee Weeks). - Dans le passé, après le combat de Superman contre Doombreaker, Lois et Clark repartent d'installer dans la ferme des Kent avec leur fils Jon.


Alors que Batman avertit Superman qu'un éclat de Doombreaker a disparu, il s'avère que c'est Jon qui l'a récupéré pour protéger son père...

D'une certaine manière, il s'agit là encore d'un pied-de-nez adressé au travail de Bendis dont une des décisions narratives les plus controversées a été de vieillir Jon Kent, que tant de lecteurs adoraient comme super-son, partenaire de Robin/Damian Wayne dans la série du même nom et le run de Peter J. Tomasi sur Superman.

Dan Jurgens, qui sait qu'il ne peut revenir sur cet état de fait, désormais exploité par d'autres auteurs (Tom Taylor le premier), situe donc la suite de sa mini-série Lois & Clark dans le passé. Il renoue avec Lee Weeks, qui signait déjà les dessins, et  rien que pour ça, on est heureux de lire ce qui suit.

Pour le trentième anniversaire de La Mort de Superman, DC a publié un one-shot dans lequel il confrontait le man of steel au successeur de Doomsday, le Doombreaker. Je n'ai pas lu ce one-shot, mais j'ai quand même compris cet épisode qui y fait référence à travers un éclat perdu par le monstre et dont Batman craint qu'il tombe entre de mauvaises mains - ignorant que c'est Jon qui l'a récupéré en toute discrétion pour protéger son père.

Toutefois, Jurgens et Weeks introduisent un nouvel élément pour nourrir leur intrigue. Visuellement, soutenues par les couleurs splendides d'Elizabeth Breitweiser, les planches de Weeks sont un enchantement et rappellent que cet artiste n'a pas le crédit qu'il mérite (même si désormais il se consacre aussi à l'enseignement de la narration graphique à la Joe Kubert School).

Quant à Jurgens, s'il est un dessinateur que je n'apprécie pas beaucoup, c'est un auteur bien meilleur et qui dispose d'une marge de liberté avec ce type de récit.
 

- POWER GIRL REBORN (Ecrit par Leah Williams et dessiné par Marguerite Sauvage). - Suite aux événements de Lazarus Planet, Power Girl et Omen sont psychiquement liées et décident de travailler ensemble pour aider des héros.


Leur premier patient est Beast Boy que son combat contre Deathstroke a traumatisé... 

Action Comics #1051 permet aussi à Power Girl de revenir sous le feu des projecteurs - et c'est heureux puisqu'elle ne fait visiblement pas partie de l'histoire imaginée par Geoff Johns pour sa nouvelle version de Justice Society of America. La plantureuse blonde a souvent été considérée comme la cinquième roue du carosse kryptonien et c'est dommage.

Leah Williams, dont j'ai adoré X-Terminators (qui s'est achevé cette semaine), est aux commandes de cette histoire annoncée en trois parties (visiblement Action Comics va alterner les back-up stories). Il y est question de Lazarus Planet, l'event en cours piloté par Mark Waid et Gene Luen Yang, mais là encore, pas besoin de suivre ça pour comprendre ce qui se passe ici. Il suffit juste de savoir, comme on nous l'explique, que Power Girl, affectée par la magie déployée, et Omen, une membre des Titans, ont noué un lien psychique inattendu qui leur inspire une collaboration.

Ensemble, elles deviennent donc des espèces de thérapeutes pour super-héros traumatisés, ce qui rappelle l'idée initiale (mais hélas ! mal exploitée par Tom King) de Heroes in Crisis. Omen trouve le problème, envoie Power Girl dans le plan astral pour le résoudre. C'est ingénieux, et très bien écrit, avec un premier cas touchant.

Marguerite Sauvage met cela en image avec son style exubérant et si beau. Pour l'occasion, elle a redesigné les costumes de Power Girl (très élégamment, même si je regrette la cape et le body-suit)) et Omen (super classe). C'est toujours un plaisir de lire les planches de Marguerite Sauvage, ça ne ressemble qu'à elle, et elle embellit tout ce qu'ele illustre.

Ce n° est king-size (une cinquantaine de pages), ce qui signifie que la pagination sera réduite ensuite. Mais le sommaire avec une série principale et deux back-ups, embrassant toute la super-famille, avec des équipes créatives d'excellent niveau, rend la proposition très attractive.

THE MAGIC ORDER 4 #1, de Mark Millar et Dike Ruan


Et c'est parti pour le Volume 4 de The Magic Order, un mois après la fin du précédent. Mark Millar ne laisse plus ni ses héros ni le lecteur respirer et enchaîne les épisodes de sa saga, qui est par ailleurs sur le point d'être adaptée sur Netflix en live action. Cette fois, le scénariste écossais fait équipe avec le jeune prodige Dike Ruan pour ce qui s'annonce comme une guerre entre magiciens.


Plusieurs attaques éclair frappent des membres de l'Ordre Magique à travers le monde, parfois commises par d'anciens partenaires. A la tête de cette vendetta : Mme Albany, revenue d'entre les morts. La cause de cette guerre : la décision de Cordelia Moonstone de bannir son frère Regan après qu'il a utilisé la magie noire...


Si mes souvenirs sont bons, il me semble que Mark Millar a prévu cinq volumes pour complèter ce qu'il a raconter avec The Magic Order. Il est actuellement en train d'écrire le dernier acte et Netflix, à qui il a vendu les droits d'exploitation de ses creator-owned, en prépare l'adaptation en live action depuis plusieurs mois.


Ce qui explique sans doute que Millar ait accéléré la cadence puisque, après avoir sorti douze épisodes en 2022 (six dessinés par Stuart Immonen, six autres par Gigi Cavenago), il a seulement laissé passer un mois pour débuter la publication de six nouveaux, formant le pénultième volume de sa fresque magique.


Une fresque, le mot est choisi, car Millar a aussi déclaré que ces six nouveaux chapitres ressembleraient, avec le sens de la formule qui claque qui le caractérise, à l'équivalent du Parrain. Bigre !

Je vais tâcher de ne pas spoiler, comme j'en ai pris la résolution cette année, c'est-à-dire à ne pas dévoiler (du moins pas tout de suite, car je crains que le secret ne puisse être gardé longtemps) ce qui est arrivé à la fin du volume 3. Toutefois, comme je l'ai mentionné dans le résumé ci-dessus, impossible de ne pas vous informer du retour de la grande méchante du tome 1 : Mme Albany.

Comment est-elle revenue d'entre les morts ? Ceci en revanche, je ne vous le dirai (pas tout de suite...). Mais dans un monde où la magie, blanche et noire, existent dans des proportions élevées, au point qu'il y a un Ordre Magique (et des factions rivales), ce n'est pas extraordinaire. Et puis, rappelez-vous, dans le volume 1, Cordelia Moonstone utilisait un sort pour ressuciter nombre de ses alliés... Même si cela augurait de sombres lendemains pour elle et ses proches. Ce qui s'est vérifié depuis.

Ce qui est nécessaire d'intégrer, c'est que, à ce stade, on ne peut plus lire The Magic Order en ayant zappé ce qui s'est passé jusqu'à présent. Millar convoque trop d'éléments antérieurs pour qu'un lecteur curieux mais néophyte puisse se plonger dans cet épisode sans être bien instruit. Et plus encore : alors que les volumes 1 et 2 présentaient des histoires assez auto-contenues, depuis le volume 3 Millar développe des subplots qui se prolongent d'un arc au suivant.

Ainsi on retrouve ici Francis King (introduit dans le vol. 2), Mme Albany (vol. 1), Sammy Liu, (vol. 3). Et il faut s'attendre à revoir Salomé (vol. 3), Leonard (vol. 1 et 3), l'oncle Edgar (vol. 1, 2, 3)... Tout devient inextricablement lié. En ce sens, la comparaison, audacieuse, avec Le Parrain n'est pas un simple argument marketing : Millar a composé une sorte d'opéra où magie, justice et banditisme se côtoient intimement, avec un casting fourni, des connections entre les protagonistes très riches, un vaste éventail de situations.

Le scénariste semble pourtant parfois sur le point d'avoir les mains trop pleines, de garder des points en retrait pour continuer à avancer. Ainsi, quand on se rappelle où il a laissé l'oncle Edgar (dans le vol. 3), on peut s'étonner que Cordelia et l'Ordre Magique ne soient pas en train de s'occuper de lui dans les murs du château Moonstone au lieu de se faire piéger aux quatre coins du monde. Mais bon, admettons. De toute façon, le cas de l'oncle Edgar est une vraie bombe qui peut aussi bien sauter au visage de Cordelia que de ses ennemis, donc quand son moment sera venu, nul doute que cela fera un rebondissement explosif.

La mise en images a donc été confiée à Dike Ruan. Ce nom ne vous dira peut-être rien, mais c'est celui d'une future star. Révélé par la mini-série Bleed Them Dry (écrite par Tim Daniel et Eliot Rahal, en vo chez Vault Comics, en vf chez Hi ! Comics), il a été recruté par Marvel pour les dessins de Shang-Chi et alpagué par Millar pour The Magic Order sur lequel il travaille depuis déjà plusieurs mois.

Ruan a un style qu'on compare souvent à celui d'Olivier Coipel, ce qui rend la chose intéressante puisque ce dernier avait dessiné le vol. 1 de la série. Toutefois, ce n'est pas un pâle imitateur. Son trait est vif, ses découpages ont un dynamisme fou, et un peu comme Dan Mora, il y a chez lui un appétit manifeste, une force de travail. Ses pages donnent le sentiment de quelqu'un qui veut en découdre et s'imposer, il s'adapte naturellement à l'écriture de Millar en figurant ses visions les plus baroques et punchy.

La manière dont, par exemple, il montre les manifestations magiques qui éliminent les membres de l'Ordre Magique ont une densité graphique épatante, notamment en ce qui concerne l'assaut de la plateforme pétrolière avec cette mer démontée qui s'élève et la vague dans laquelle on voit un visage. La colorisation de Giovanna Niro souligne sans empiéter ces effets.

Difficile quand même de ne pas être emporté par cette tornade : Millar réussit toujours ses entrées, avec grandiloquence et impétuosité. Et comme toujours il trouve un camarade de jeu à la hauteur de son délire. Impossible en tout cas, pour qui a aimé les précédents volumes, de passer à côté de ce nouvel acte.

jeudi 26 janvier 2023

THE HUMAN TARGET #11, de Tom King et Greg Smallwood


Deux semaines à peine après la sortie du 10ème épisode, voici déjà le pénultième chapitre de The Human Target disponible. Tom King est sur le point de conclure sa mini-série et livre un numéro qui fait écho au chapitre 2. C'est l'heure de vérité pour Christopher Chance et Ice. Et Greg Smallwood contribue splendidement à l'ambiance étrangement paisible de l'avant-dernier jour sur Terre de la Cible Humaine.


A la veille de sa mort programmée, Christopher Chance emmène Ice là où s'est scellée leur romance, sur la plage où, enfant, son père lui apprenait à faire de ricochets. L'occasion pour elle de lui raconter la vérité sur les circonstances qui ont conduit à son empoisonnement accidentel...


D'abord un mot, rapide, sur le calendrier des sorties de la mini-série de Tom King : à l'origine, il semble bien que Dc avait prévu de livrer The Human Target #10 la dernière semaine de Décembre 2022, mais l'éditeur a dû penser que la date ne rendrait pas justice au comic-book alors que les lecteurs avaient la tête aux fêtes. Résultat : l'épisode était disponible le 10 Janvier 2023.


Comme ce même mois était prévu The Human Target #11, DC n'a pas jugé bon de décaler à nouveau et c'est ainsi qu'en ce mois de Janvier on a droit à deux numéros. La mini-série prendra donc fin le mois prochain comme prévu. Mais il va falloir s'habituer à ne plus lire cette histoire qui a déjà tout d'un classique.


Il ne reste plus qu'un jour à vivre à Christopher Chance. Tom King a toujours affirmé qu'il mourrait bel et bien dans le chapitre 12, comme on le voyait dans le tout premier épisode. On vérifiera si le scénariste a dit vrai dans un mois - car, évidemment, il nous a rendus Chance attachant et on n'a pas envie qu'il disparaisse.

Je ne vais pas vous le cacher, c'est très difficile de parler de cet épisode sans spoiler, surtout avec ce qu'on a appris dans le précédent numéro. Vous excuserez donc si, parfois, les lignes qui vont suivre ont l'air de tourner autour du pot, mais j'essaie de tenir mes bonnes résolutions pour 2023 en ne divulgâchant plus le contenu de mes lectures lors de la rédaction de leur critique.

Disons alors que ce #11 renvoie comme en écho, comme par un effet miroir au #2 de la mini-série. Souvenez-vous : c'était la première fois que Chance rencontrait Ice, il passait une journée à la plage et tombaient amoureux sans se l'avouer encore. Chance savait déjà qu'il était condamné et le Doctor Midnight lui avait donné une liste de suspects, des membres de la Justice League International, qui avaient pu se procurer le poison qui le tuait. Et parmi eux, Ice.

Ice qui s'était présentée au bureau de Chance en lui offrant son aide. De quoi immédiatement éveiller les soupçons du héros - et du lecteur. Puis l'histoire s'est déployée et le lecteur a eu de moins en moins envie de croire à la culpabilité de Ice, trop belle, trop gentille pour commettre un meurtre (même contre Lex Luthor qui avait provoqué sa mort des années plus tôt en attirant sur Terre le méchant Overmaster).

Aux côtés de Ice, Chance a interrogé Booster Gold, Blue Beetle, le Limier Martien, Guy Gardner, Fire, Red Rocket, (presque) Batman et G'nort. Il a découvert les rouages complexes d'un complot visant Luthor et l'obtention d'un poison a priori intraçable. I a eu cru avoir tué un homme dans l'affaire et être recherché à cause de cela. Mais le mystère a fini par être résolu.

Jour 11 donc. Et que reste-t-il à faire ? Chance sera mort demain, Ice le sait comme lui. Qu'a envie de faire un homme la veille de sa mort ? Passer la journée avec celle qu'il aime, là où ils se sont aimés pour la première fois. Là aussi où, enfant, son père lui apprenait à faire de ricochets en persévérant. Et écouter une ultime confession. La vérité de Ice. Ses mots à elle sur sa mort à lui. Sur cet effroyable, pathétique concours de circonstances.

Tom King fuit le mélodrame comme d'autres la peste. On pourrait dire, en somme, qu'il a tiré les leçons de Strange Adventures et de ses échanges trop bavards, trop explicatifs, achevant de noyer la déconstruction de Adam Strange transformé en criminel de guerre. Il prend donc la direction opposée. Ce sera un épisode solaire, calme, apaisé, étonnant. Sans cri, sans (beaucoup) de larmes. Mais avec beaucoup de culpabilité (évidemment), de regrets, de remords, de résignation - ou de dignité.

Greg Smallwood signe encore une fois des pages splendides. Ses couleurs, lumineuses, chaleureuses, rendent le moment encore plus tragique et suspendu. Une grande partie de l'épisode se déroule sur une plateforme de glace générée par Ice au beau milieu de la mer, assez loin de la côte, avec seulement Chance et Ice. Les seuls autres personnages apparaissent dans des flashbacks, mais Smallwood ne les représente jamais en entier, ils sont toujours à la limite du hors-champ, du hors-jeu. Ice parle, Chance l'écoute, il est donc logique que les images ne montrent qu'eux en entier.

La subtilité graphique de Smallwood va se remarquer dans la manière dont il nous fait sentir l'écoulement du temps, les heures qui passent. Si Chance et Ice arrivent à la plage et se jettent à l'eau disons en début d'après-midi, ils n'en ressortent qu'à la tombée du jour, au moment où le soleil se couche comme dans un tableau impressionniste aux tons magnifiques. Les flashbacks sont illustrés avec des couleurs volontiers franches, voire criardes, comme des échos là encore à des moments passés et déterminants, critiques, qu'on revit sous une lumière crue, pénible.

De nombreux gros plans saisissent les expressions les plus fines entre les deux amants que lie et sépare un accident terrible puisqu'il va causer la mort de l'un d'eux. Et l'avant-dernière page nous laisse pantois, dans un suspense glaçant, avec cette fois une adresse au premières pages du premier épisode - quand Chance écrivait sur une feuille "I love you too", à l'adresse de Ice. On mesure mieux la portée symbolique et dramatique de ces mots quand Ice, ici, dit "I love you" à Chance dans une situation intense.

Juste avant cet instant, il y aura eu le seul éclat de l'épisode, un coup de sang de Ice, qui renvoie au fait qu'on la trouve toujours si gentille, si douce. Ce qu'elle ne peut plus supporter à cause de ce qu'elle a provoqué. Et ce qu'elle ne peut plus supporter de la part de l'homme qu'elle a assassiné par accident. Tout, dans le script au cordeau de King, est fait de renvois, de références à ce qui s'est passé et ne peut plus être défait. Chance, par exemple, répéte son mantra, avec résignation, comme quoi il est la cible humaine, il se fait tuer à la place des autres et cherche ensuite qui l'a tué - même quand c'est lui qui finalement s'est fait tuer. Mais cette fois, ce mantra sonne creux, c'est une formule, un slogan, une phrase répétée mécaniquement, sans âme et au pire moment car il a été tué et va vraiment mourir, en sachant par qui, comment, pourquoi, mais sans pouvoir l'éviter.

Mis à part cela, l'épisode baigne dans une sorte de quiétude étonnante. King réfléchit au dernier jour d'un condamné, comme Victor Hugo, et à travers Chance, examine ce cas complexe, pathétique, absurde. "Mourir, la belle affaire", chantait Brel, mais vieillir. Au fond, Chance n'accepte-t-il pas son triste sort parce qu'il ne se voyait pas vieillir, parce qu'il était habitué à mourir, même pour de faux. Peut-on raisonnablement vieillir en travaillant comme cible humaine ?

On peut penser ce qu'on veut de Tom King, chercher un lien entre ses histoires, un sens à son oeuvre, des défauts à son style. Mais on ne peut lui nier un talent rare pour troubler le lecteur en plongeant ses personnages dans des situations insensées, insolubles (en tout cas pas solubles facilementt). Il y a de la matière dans ses comics. Et ici, en plus, une beauté bouleversante, poignante, dans les derniers rayons du soleil, sur une plage (comme celle où Batman convenait avec Catwoman qu'ils ss'y étaient rencontrés pour la première fois)...

X-TERMINATORS #5, de Leah Williams et Carlos Gomez


Le moment tant redouté est arrivé : c'est la fin des aventures des X-Terminators, la mini-série mutante la plus drôle et décomplexée produite depuis la refondation des titres X. Un final que Leah Williams et Carlos Gomez ont réussi, avec toujours autant d'humour, de charme et d'action. A moins que... Ce ne soit pas vraiment la fin ?


Dazzler a obtenu du comte Dracula de se venger de Alex avant de le lui livrer. Elle réunit donc toutes les victimes de ce vampire et le surprend dans le bar où il les séduisait - bar que Dazzler a racheté et que ses complices détruisent. Pendant que Wolverine, Boom-Boom et Jubilé occupent le Collectionneur pour qu'il n'aide pas Alex à s'échapper...


Y a pas à dire, ces quatre filles auront fait souffler un air frais sur la franchise mutante avec leur aventure contre un charmeur vampire allié à Collectionneur. On a ri avec elle, il y a eu des explosions, de la baston, des coups tordus, des surprises, tout pour faire de X-Terminators une vraie curiosité.


Je ne crache pas dans la soupe : depuis House of X/Powers of X, j'ai repris plaisir à lire des récits avec les mutants. Je n'ai pas tout aimé (X-Force par exemple), mais Jonathan Hickman a accompli quelque chose d'unique avec "l'âge de Krakoa", entraînant dans son sillage des scénaristes qui ont joué le jeu et des artistes sur la même longueur d'ondes. Tout n'a pas ét parfait, la pandémie a contrarié les plans de grand architecte, mais le bilan est positif.


Il manquait juste une pointe d'humour. Une série distanciée avec le projet d'ensemble. Quelque chose qui, sans ironiser, ni se moquer, offre de la déconne au lecteur, avec des mutants qui vivent des péripéties loufoques, en marge du conseil de Krakoa.

Je n'attendais pas Leah Williams, dont Trial of Magneto m'était tombé des mains, sur ce terrain, et pourtant la scénariste a osé. Elle a surtout convaincu Jordan White, le rédacteur-en-chef de la gamme X, de donner le feu vert à cette mini-série qui se présentait comme le "Grindhouse" des X-Men, en l'occurrence une sorte d'équivalent des films de Russ Meyer (Faster Pussycat Kill Kill !), avec des filles super-sexy, de la bagarre, des machos et une sacrée dose de second degré.

D'habitude, je suis méfiant avec les mini-séries Marvel que je trouve trop courtes, au propos anecdotique. Comme si l'éditeur ne croyait pas à cette forme, refusait d'investir dans un vrai label dédié (comme le DC Black Label), et confiée à des auteurs de second rang. Les mini-séries Marvel donnent l'impression d'être des bouche-trous, publiés pour préparer des choses plus importantes ou occuper les étals des comics-shops.

Mais justement avec X-Terminators, Leah Williams a d'abord voulu conjurer ce signe indien et concevoir une histoire spécialement produite comme une sorte de "sleeper" que personne ne verrait venir et qui balaierait tout sur son passage. Chaque floppy s'ouvrait sur une page de mise en garde soulignant les gros mots, la violence, la sexualité, tout le mature reader content de la chose, pour ensuite mieux en rire. Il y avait quelque chose du produit de contrebande, de la fausse pub, du canular dans X-Terminators.

Les films d'exploitation ne brillaient pas par leur scénario sophistiqué, et de la même manière les cinq épisodes de cette mini-série ne resteront pas dans les annales pour leur intrigue originale. Des vampires, quatre filles sexy et enragées, de la baston, des explosions, des litres de sang. En revanche, lire ça entre X-Men : Red, Immortal X-Men, X-Men, et le reste, ça, c'était vraiment culotté, comme un pied de nez aux machinations diaboliques développées par Al Ewing, Kieron Gillen, Gerry Duggan et compagnie.

Ce dernier épisode ne déroge pas à la règle. Dazzler obtient de Dracula de se venger d'Alex, ce vampire séducteur qui l'a vendue, avec ses copines, au Collectionneur, après avoir tenté de la tuer. Mais Leah Williams déjoue nos attentes : on ne va pas assister à un réglement de comptes banal, ne serait-ce que parce que, après s'être vengée, Dazzler a promis à Dracula de lui livrer Alex. La toute dernière page de l'épisode suggère même que la collaboration entre les quatre filles et le comte ne s'arrête pas là...

Carlos Gomez a été le dessinateur parfait pour emballer tout ça. D'abord, c'est évident, parce qu'il adore dessiner des filles girondes et qu'il le fait bien. Cela le range dans la même catégorie que des Terry Dodson ou Frank Cho ou Adam Hughes. Certains trouveront ça un chouia vulgaire, voire sexiste. Mais il faudra juste rappeler aux grincheux que Gomez illustre le script d'une femme qui a voulu s'amuser avec les clichés du "good babe art" et n'a pas lésiné sur l'empowerment de ses héroïnes, soudées par les épreuves et plus féroces que bien des garçons.

Ensuite Gomez est un excellent narrateur. Il aurait pu partir dans tous les sens en s'alignant sur la loufoquerie de l'intrigue. Au contraire, il a compris qu'il fallait découper ces épisodes de la manière la plus simple et efficace. Du coup les gags, même les plus graveleux, et l'action sont toujours lisibles et X-Terminators est un vrai page-turner. C'est agréable à lire parce que suivre Dazzler, Jubilé, Boom-Boom et Wolverine sont irrésistibles comme jamais, mais surtout parce qu'on sait toujours où on est, c'est fluide et dynamique.

Maintenant que c'est terminé, et c'est le signe de sa réussite, X-Terminators nous manque déjà. Le fait que ça n'ait duré que cinq numéros était fait pour frustrer, et la mission est accomplie. Mais les retours ont été très favorables, beaucoup de lecteurs sur les réseaux sociaux ont exprimé leur jubilation et même réclamé que le titre devienne une ongoing.

Alors, je vais spoiler et vous révéler ce qu'indique la (véritable) toute dernière page (où l'on trouve le calendrier des sorties X du mois) et où est écrit que "X-Terminators will return". Quand ? On ne sait pas, mais pas avant quelques mois si Leah Williams veut continuer avec Carlos Gomez car l'artiste s'est engagé sur une nouvelle mini (Rogue & Gambit) à partir de Mars prochain (également en cinq n°). Mais savoir qu'on aura droit à une suite vaut bien qu'on attende un peu.

mercredi 25 janvier 2023

JUSTICE SOCIETY OF AMERICA #2, de Geoff Johns et Mikel Janin, avec Jerry Ordway et Scott Kolins


A la lecture de ce deuxième épisode de Justice Society of America, on sent bien que l'histoire conconctée par Geoff Johns ne sera pas de tout repos. Entre voyages dans le temps, allusion à des personnages inédits placés rétroactivement dans la continuité DC et récit initiatique, il s'agit d'un puzzle pour lequel il faudra être patient.


Envoyée en Novembre 1940 par la boule à neige de Batman, Huntress, sa fille, reprend connaissance dans le quartier général de la Justice Society of America de l'époque. Elle explique que son équipe est morte et qu'elle a besoin du Doctor Fate. Mais celui-ci est pris d'un violent malaise à proximité de la jeune femme...


Peut-être que la seule vraie question à se poser au sujet de ce retour de Justice Society of America, qui plus est (non pas comme je le pensais  comme série régulière mais) sous la forme d'une mini-série en douze épisodes, est : pourquoi DC ne l'a pas publié au sein de son Black Label ?


Car tout, absolument tout, dans le projet de Geoff Johns fait penser à ce qui se produit dans cette collection. Certes le scénariste a contextualisé son histoire dans le one-shot The New Golden Age en affirmant que les éléments narratifs s'inscrivaient dans une continuité réécrite, mais ce qu'on lit ressemble davantage à quelque chose d'alternatif.


Je ne reviendrai pas sur le fait que l'héroïne est Huntress, alias Helena Wayne, fille de Batman et Catwoman, alors qu'il existe une autre Huntress en activité actuellement (et qui n'est pas la fille de), ni que Johns, pour avoir les coudées plus franches, a situé le début de son récit dans un futur proche, ou encore donc qu'il a pris soin d'introduire des personnages inédits dans le passé pour servir son propos (sans qu'on sache encore précisément à quel point).

Mais surtout quand il y a cette volonté affirmée d'écrire une histoire qui ne veut pas dépendre de ce qui agite actuellement le DCU, alors le Black Label est fait pour ça. Et, comme je l'ai déjà dit, les autres auteurs de l'éditeur ne semblent pas intéressés par les additions de Johns pour leurs propres séries. Bref, Johns tient d'un côté à s'inscrire dans la continuité et, de l'autre, à jouer sans avoir à composer avec ce que font ses collègues.

A défaut de Black Label, le plus simple ne serait-il pas alors de créer une sorte de Johns-verse comme il existe le Murphy-verse de Sean Gordon Murphy (avec ses mini-séries estampillées White Knight), où l'auteur pourrait à loisir s'amuser avec ses personnages, ses lubies (narratives et esthétiques), au fil de one-shots et mini-séries inspirés par mais pas attachés au DCU ?

Si j'insiste là-dessus, c'est parce que, après avoir lu ce deuxième épisode de Justice Society of America, j'ai été perplexe. La lecture est déjà curieuse et ce qu'on en retire l'est encore davantage. L'épisode se déroule en Novembre 1940 après que Hintress y ait atterri, propulsée là par la boule à neige de son père (celle-là qu'on voyait dans Flashpoint Beyond et qui contenait l'univers Flashpoint, sauvé des Time Masters qui voulaient le détruire). Elle y rencontre la JSA originelle, ce club de garçons avec Jay Garrick (le premier Flash), Alan Scott (le premeir Green Lantern), Hourman (Rex Tyler), le Spectre, Atom (Al Pratt), Johnny Thunder et le génie Thunderbolt, Sandman (Wesley Dodds), Hawkman et surtout Doctor Fate (kent Nelson) à qui elle demande son aide.

Puis tout déraille très vite : alors qu'elle s'approche du magicien, celui-ci est pris d'un violent malaise et transporté un an dans le futur, dans le marais de Gotham où il croise successivement Salem le sorcière (un des personnages inédits de Johns), puis Mister Miracle (Thaddeus Brown) et Salomon Grundy, à proximité duquel il est renvoyé en 1940 !

On ne sait absolument pas à quoi rime tout ça, sauf qu'on devine que Huntress en ayant été déplacée dans le temps l'a gravement perturbé (c'est le risque quand on interagit avec des éléments avec lesquels on n'est pas censé proche) et que ce n'est que le début. Selon un principe bien connu de la science-fiction, vouloir modifier le futur en allant dans le passé n'est pas une bonne idée et n'arrange rien, au contraire - même quand on a aux trousses un adversaire dont c'est la spécialité (de voyager dans le temps). C'est l'effet papillon.

La constante, c'est Doctor Fate, ses multiples incarnations, là-dessus Johns insiste beaucoup. Le souci, c'est que si toute la série (ou trop d'épisodes du moins) continuent ce zapping temporel, ça risque de devenir un poil lassant car on survolera des situations sans les creuser. C'est parfois l'écueil des histoires de Johns de secouer le lecteur pendant des épisodes avant de finir en force (et souvent sur une note qui annonce une autre histoire à venir - cf. Blackest Night - Brightest Day, Flashpoint - Flashpoint Beyond, et toutes les variations autour d'Alan Moore avec Three Jokers, Doomsday Clock...).

C'est donc frustrant parce qu'on se réjouit d'abord d'un épisode avec les vétérans de la JSA, mais on les voit peu, et c'est parasité par des scènes dont on a aucune idée de pourquoi elles sont là (Fate dans le Slaughter Swamp) ou de l'utilité de ces personnages inédits (même si Thaddeus Brown a effectivement été Mister Miracle avant Scott Free. Par contre à quoi sert Salem the witch girl ?).

C'est aussi rageant parce que visuellement c'est vraiment chouette. Mikel Janin est très en forme, son trait n'a rien perdu de son élégance et il réussit à remuer le lecteur sans forcer. Jordie Bellaire aux couleurs a eu la riche idée d'utiliser des trames pour imiter les impressions chromatiques des vieux comics, mais sans en abuser.

Lorsque Jerry Ordway se substitue à Janin sur les pages 9 à 12 (pour la scène dans le marais de Gotham), on peut constater que le vétéran est toujours aussi impeccable. Son trait précis, son découpage classique, tout est classe (j'ai toujours aimé Ordway, comme dessinateur et/ou encreur, et je trouve qu'il n'a pas la considération qu'il mérite).

Je serai plus réservé avec Scott Kolins, vieux complice de Johns, mais heureusement il ne signe que les pages 14, 17 et une partie de la double apge 19-20 (à moitié avec Ordway).

En fait la crainte que j'ai, c'est que Justice Society of America s'apprécie mieux en le lisant d'une traite que mensuellement. Si vraiment le mois prochain cela se vérifie avec un nouvel épisode trop elliptique, alors je me garde le droit d'interrompre les critiques sur ce titre pour en rédiger une sur la totalité du récit une fois qu'il sera achevé.

vendredi 20 janvier 2023

KROMA #3, de Lorenzo de Felici


C'est déjà l'avant-dernier épisode de Kroma... Mais il faudra être patient pour lire le dernier, prévu seulement pour Avril prochain ! Lorenzo de Felici nous fait languir mais ça en vaut la peine car son récit est toujours ce mélange détonant de beauté et d'effroi. Dans ce numéro, on suit encore la jeune héroïne en territoire hostile, en proie à mille menaces... Mais peut-être tout près de découvrir la vérité sur ses origines.


Alors que Soristo allait la tuer, Kroma réussit à échapper à ce funeste sort et fuit. Doit-elle, au risque d'être à nouveau captive, rentrer à la Cité Pâle ? Ou s'en éloigner davantage et braver les dangers du monde extérieur ? Par ailleurs, Damog la traque toujours et le fantôme de Zet la hante encore. Un des amis de ce dernier doute d'ailleurs, à se funérailles, des circonstances exates de sa mort...


Alors, oui, ça fait ch... de devoir attendre quatre mois pour lire le dernier épisode de Kroma, qui ne paraîtra donc qu'en Avril prochain. Mais d'un autre côté, je n'aime pas me formaliser pour si peu car il faut reconnaître : 1/ que Lorenzo de Felici propose quelque chose de spécial, qui mérite donc un effort de patience de notre part, et...


... 2/ quand on sait que de Felici assure scénario, dessin, encrage et colorisation, on serait bien ingrat de lui reprocher d'avoir besoin de temps pour livrer des épisodes cinquante pages. Par ailleurs, enfin, on peut rappeler que Kroma est un comic-book en creaor-owned, donc c'est l'auteur qui supporte le premier les désagréments liés à ce retard, il ne perçoit (c'est une moyenne) que 30% du bénéfice total généré par les ventes de son comic-book.(il faut donc que ce soit un gro succès pour que l'opération soit profitable à l'artiste).


Kroma vaut vraiment la peine d'attendre et d'être indulgent. Et ce troisième et pénultième épisode le prouve encore une fois magistralement. On avait laissé l'héroïne en fâcheuse posture, sur le point d'avoir les yeux retirés à vif par Soristo. On apprend pourquoi ce vieil excentrique qui l'avait pourtant préalablement sauvé de Damog veut commettre cet acte.


En effet, Soristo avait expliqué qu'il avait été ministre dans la Cité Pâle avant d'en être banni pur sa conduite. Mais qu'avait-il fait au juste ? On en revient à la légende du Roi des Couleurs évoquée dans le premier épisode et qui amena les habitants de la Cité Pâle à vivre en reclus, sous la coupe de prêtres fanatiques entretenant de vieilles superstitions.

Donc, Soristo avait émis l'idée que le Roi des Couleurs avait eu une fille, Kroma, et qu'au lieu de la sacrifier, elle pourrait servir à l'amadouer ou le piéger. Mais depuis son exil, le vieillard a passablement perdu la tête et développé l'hypothèse que Kroma pourrait incarner une sorte de clé pour comprendre les couleurs et communiquer avec la faune si terrifiante qui vit hors de la Cité Pâle. C'est pourquoi il est désormais prêt à lui retirer les yeux qu'il voit comme la pièce manquante à cette lecture.

Kroma réussit à se sauver, en tuant Soristo. Son geste est désespéré et va l'entraîner dans un désarroi encore plus grand. Et si elle était effectivement aussi mauvaise que voulait le faire croire le prêtre Makavi de la Cité Pâle ? La confusion atteint des sommets chez elle quand au fantôme de Zet s'ajoute celui du prêtre, dans une apparition encore plus grotesque et terrifiante, et que les deux spectres la poussent à agir dans deux directions opposées.

Pourtant, c'est bien le prêtre qui va l'influencer de la manière la plus déterminante en désignant le Trône, une montagne de verre aux parois coupantes, qui serait l'endroit où vit le Roi des Couleurs. La voici partie pour une ascension risquée au terme de laquelle elle va faire une découverte étonnante...

Avant d'y arriver, elle devra encore une fois affronter Damog tout en ébranlant les convictions de cet adversaire fanatisé. Avec en prime de nouveaux crocodiles géants...

Lorenzo de Felici raconte quelque chose de puissant, de merveilleux et d'effrayant, qui a tout d'un conte en vérité, avec ses éléments naïfs et cauchemardesques à la fois. Il n'est pas difficile d'être fasciné, envoûté par ce récit fantastique, narré de manière simple, mais construit de façon complexe.

Kroma peut-il être toutefois lu par des enfants ? Sans doute pas car le dessin et les couleurs n'atténuent en rien les représentations les plus glaçantes de l'histoire. Les fameux crocodiles géants sont réellement impressionnants et chacune de leurs apparitions fait sursauter même un lecteur adulte, qui sait que quelque chose de spectaculaire et sanglant va suivre.

Mais c'est pourtant bien la mécanique du conte qui est à l'oeuvre. On rencontre dans les textes les plus connus des ogres, des monstres, le sort fait à certains personnages est absolument abominables, et pourtant les parents lisent ça à de jeunes enfants, qui sont à la fois épouvantés et captivés. La seule différence, mais elle est notable, est que Kroma est une bande dessinée.

Et le 9ème Art est la combinaison du texte et de l'image intimement liés. Ce qu'on peut imaginer avec les mots lus permet de provoquer des émotions très diverses en intensité chez l'auditeur. La BD, elle, montre ce que les mots suggèrent et peut donc plus directement choquer par la force de l'évocation, la figuration.

Si un enfant peut être sidéré par la beauté des images de de Felici, il sera aussi impressionné par leur puissance picturale et en suivant les pas de la jeune Kroma, menacée par des bestioles féroces, un chasseur fou, un vieux délirant, coupée par les arêtes d'une montagne, il sera apeuré car rien ne lui sera suggéré et tout lui sera montré. Il aura aussi peur de ce qu'il voit que de ce qu'endure l'héroïne.

C'est toute la qualité de l'eouvre de Lorenzo de Felici, qui avance en équilibre sur le fil d'une histoire aux aspects classiques de conte mais avec une maturité violente propre à bien des comics indés qui lésine rarement sur les effets les plus frappants. C'est donc un récit initatique brutal, et qu'on classera facilement comme adulte, même si la jeunesse de sa protagoniste et l'imagerie colorée la rend a priori plus grand public.

Dans cette ambiguïté se lit l'ambition de l'auteur, magistral narrateur et prodigieux artiste, qui raconte tout cela comme quelque chose d'éminement personnel, de longuement mûri, et produit à point. Toutes raisons encore une fois pour qu'on accepte, malgré la contrariété, d'attendre jusqu'à Avril pour savoir comment s'achévera cette aventure.