samedi 26 décembre 2009

Critique 122 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (7/7)

Daredevil : Return of the King ;
(vol.2, #116-119, #500) ;
(Février 2009-Juin 2009) 

Et voici donc l'ultime opus signé Ed Brubaker-Michael Lark : ce tpb rassemble les épisodes 116 à 119 plus le numéro 500 (en fait l'épisode 120, mais comme Thor, ou Captain America et d'autres titres ayant connu plusieurs volumes, la numérotation a été restaurée). Et avouons-le, cette fin de run est magistrale, dont le dénouement est à la fois audacieux et la conduite exemplaire.

Dans la continuité directe du précédent tome (Lady Bullseye), ces nouveaux chapitres développent et concluent l'intrigue concernant la quête d'un remplaçant à la tête de la Main.

Après avoir testé Iron Fist et Daredevil à New York mais court-circuité par Maître Izo, Lady Bullseye et son supérieur, Lord Hirochi, partent, avec White Tiger et Black Tarantula (asservis mentalement), pour l'Espagne, à la rencontre du Caïd, Wilson Fisk !
Il s'agit moins de lui proposer le poste que de l'obliger à revenir en Amérique et à défier DD une nouvelle fois pour savoir lequel des deux sortira vainqueur. Pour cela, la Main ne recule devant rien : mauvais calcul car l'ancien patron du crime organisé de New York, s'il ne va pas entrer en conflit avec cette armée de ninjas, compte bien faire payer celui qui l'a contraint à replonger dans les bas-fonds.
Daredevil et le Caïd s'allient donc contre cet adversaire commun, mais le recrutement du Hibou et les plans de Maître Izo, qui garde un atout dans sa manche, vont compliquer la partie.
Pour le diable rouge comme pour Fisk et Lady Bullseye, cela aboutira à un aller-simple qui va bouleverser leurs positions - Matt Murdock va en particulier choisir une voie imprévisible, qui redistribue complètement les cartes, quitte à se couper du monde et de ses proches...
*
Daredevil: Return of the King est un reflet quasi-parfait du premier story-arc composé par Ed Brubaker et Michael Lark, Daredevil : le diable dans le bloc D/ le diable en cavale.

Dans ce récit inaugural, souvenons-nous, on trouvait Matt Murdock en prison, contraint de s'allier avec certains de ses pires ennemis pour survivre et s'évader. Au terme de cette aventure, il était à nouveau libre mais toujours poursuivi par les autorités.

Entre la fin du Diable dans le bloc D et le début du Diable en cavale, un bref interlude était consacré à la nouvelle vie de Foggy Nelson, placé sous la protection du FBI après une tentative d'assassinat, où était évoqué la manière dont Matt Murdock n'avait jamais pu empêcher son ami et associé d'être entraîné dans les tourments de sa condition d'avocat et de justicier.

Dans Return of the King, la même équipe créative, composée d'Ed Brubaker et du surdoué espagnol David Aja, ouvre l'arc narratif avec un interlude similaire consacré cette fois au Kingpin, tentant lui aussi de refaire sa vie (en Espagne) mais replongé dans le chaos, comme Foggy, à cause de Matt Murdock. Après avoir touché au coeur Wilson Fisk, Lady Bullseye et la Main l'obligent à revenir sur le sentier de la vengeance contre Daredevil.

Le grand final de Brubaker et Lark parle d'alliances inattendues et difficiles, de tentative pour se réconcilier avec le passé et de trouver de nouvelles solutions pour mettre un terme à de vieilles rivalités.

Pour une large part, le run de Brubaker a mise en évidence comment Matt Murdock continue de commettre encore et encore les mêmes erreurs. Il mésestime en permanence la haine que ses ennemis lui vouent, met continuellement en danger la vie de ceux qu'ils aiment et refuse toujours d'admettre que ses problèmes sont de sa seule responsabilité.

En cela, le scénariste a su renouer avec la glorieuse inspiration des histoires écrites par Frank Miller, Ann Nocenti et Brian Michael Bendis. Ces problèmes vont finalement conduire le personnage à prendre des décisions radicales bouleversant profondèment son existence et celles de ses proches car il est arrivé à un point de non-retour, provoqué par les retours successifs à New York des ninjas de la Main et de Wilson Fisk.

La qualité première du script de Brubaker tient d'abord et avant tout à la façon dont il a su imposer avec évidence le dénouement de sa saga, tout en lui insufflant un souffle épique : on termine le 500ème épisode avec la conviction que c'était la seule fin possible et plausible. A la manière des grands écrivains américains qui savent relater la surface des évènements en les concluant d'une façon imparable, comme Robert Silverberg ou Paul Auster, d'une écriture "blanche", factuelle et pourtant sensible, le scénariste a mené son run sans esbrouffe mais avec une intelligence, une cohérence admirables.

Matt Murdock est un personnage fascinant parce qu'il prend des décisions qu'aucun auutre héros ne prendrait. Pour le meilleur mais plus sûrement pour le pire, Murdock agit comme ni Peter Parker, Clark Kent ou même Logan n'oserait pas le faire, comme s'allier à sa némésis, le Caïd, pour se débarrasser de la Main (“grind their bones into dust… all of them,” comme le déclare succinctement Fisk).

Murdock comprend que sa situation actuelle excède son affrontement avec le Caïd : il a pris la mesure de son ennemi, cet homme qui s'est acharné à le détruire dans le passé et ne va pas hésiter à le manipuler à son tour pour pacifier son territoire.

En ce sens, Ed Brubaker est l'auteur parfait pour écrire Daredevil parce qu'il a su faire des choix pour le personnage et la série que les autres n'ont pas fait avant lui, en poussant jusqu'au bout la logique du justicier contre l'homme de loi : Bendis avait conduit Murdock à devenir le caïd à la place du Caïd, Brubaker a emmené DD encore plus loin en montrant le personnage coupant les ponts avec sa vie civile et assumant pleinement son rôle de chef d'une organisation criminelle dans le but d'asseoir définitivement son autorité. A la fin de Return of the king, Daredevil a supplanté Matt Murdock et le nouveau chef de la Main a supplanté Daredevil.

Brubaker est l'homme qui osa ressuciter Bucky et tuer Captain America. D'autres de ses oeuvres marquantes comme Sleeper et Criminal traitent également d'individus faisant de mauvais choix et devant en supporter les conséquences. Durant son run sur Daredevil, Brubaker n'a rien épargné non plus à Murdock et n'a pas cédé à un "happy end" facile : ses récits avec le justicier aveugle n'ont jamais été complaisantes, ne sont jamais tombés dans le piège de la surenchère.

Au contraire, il a toujours animé le personnage en soulignant ses défauts, ses faiblesses, et donc son humanité : Matt Murdock y a gagné un réalisme, une vérité, sous cette plume exigante, sobre, car le super-héros/avocat y a été dévoilé en train de négocier incessament avec ses infidélités et son arrogance, sa vanité même.

S'il y a bien un élément qui devient clair avec ce livre, c'est que Daredevil a besoin du Caïd autant que Matt Murdock a besoin de Foggy Nelson. Ce n'est pas une coïncidence si Foggy et Fisk ont eu droit à leur propre chapitre durant le run de Brubaker : chacun a vu son existence basculer dans l'horreur à cause de leur relation avec Matt Murdock, chacun peut blâmer Murdock mais tous deux sont également redevables à Murdock (Foggy pour être resté en vie, Fisk pour se venger de Lady Bullseye et Lord Hirochi) et tous deux ont contraint Murdock à prendre des décisions claires et nettes (définitives ?) pour lui-même.

Chacun à sa manière, Nelson et Fisk incarnent l'ange et le démon sur les épaules de Murdock, lui chuchotant à l'oreille le bien et le mal qu'il produit. Ils sont les personnages qui précipitent le destin de Murdock : le Caïd en l'entraînant dans sa vendetta contre la Main et Foggy en le renvoyant du cabinet juridique au sein duquel ils collaboraient.

A la fin de Return of the King, Brubaker et Lark ont "recasté" Matt Murdock dans son double rôle d'homme et de héros - si tant est qu'on puisse encore le considérer comme un héros. Plus que jamais auparavant dans son histoire, Brubaker a plongé Matt Murdock dans une situation où il a effectué de vrais choix concernant ses rapports avec ses ennemis, sa manière de traiter ses proches dans sa vie privée, et plus simplement dans sa façon de mener sa propre vie, de décider quelle était la façon la plus efficace d'être le "maître" de ladite situation.

Ce dénouement aura des répercussions inévitables pour la future équipe créative (reste à savoir comment elle les exploitera et les dénouera). Mais pour la première fois, peut-être, Matt Murdock sort de l'aventure réellement différent, plus qu'aucun autre héros mainstream, et le regard du lecteur aussi s'en trouve altéré : nous le quittons dans une position qui est à la fois choquante mais salutairement audacieuse.

Pour répondre au défi de tels bouleversements narratifs, les artistes convoqués ont su se hisser au niveau d'excellence de leur scénariste.

On pourrait rédiger un article à part rien que pour détailler le prologue illustré par David Aja, qui accomplit un travail exceptionnel : il établit une comparaison entre la force des vagues de l'océan s'écrasant sur les falaises espagnoles et la présence massive et le destin tragique du Caïd qui possède une poésie et un souffle uniques.
Cela n'empêche pas le dessinateur ibérique de jouer avec des effets comiques comme lorsque le nouvel amour de Fisk lui prête son parapluie, protection inefficace car trop réduite pour la masse imposante de cet homme surtout maudit et condamnant tous ceux qui prennent le risque de s'attacher à lui.
Rien que cela, cet art si délicat de traduire en images un léger gag avec la pesanteur de la tragédie annoncée, c'est fort et c'est beau.

Puis Michael Lark et Stefano Gaudiano enchaînent avec des épisodes comme toujours de haute volée, alliant scènes intimistes intenses et séquences d'action palpitantes, toutes baignant dans une tension palpable et éclatant lors d'un épilogue explosif.

Pour ce 500ème épisode, Chris Samnee, Paul Azaceta et le mythique Klaus Janson signent deux pages chacun, nous éclairant sur le passé de Maître Izo, Black Tarantula et Daredevil, et les liens qui les unissent. Ces contributions se marient avec une harmonie rare aux pages des titulaires Lark-Gaudiano dont tout le brio culmine en de sublimes pages pleines de rage et de fureur quand, enfin, survient le réglement de comptes final, mix iconoclaste et implacable de western et de kung-fu.

Puis ce sont d'ultimes images, chargées de venin, où Foggy Nelson et Dakota North comprennent le sens de l'absence de Matt Murdock et où Murdock s'enfonce avec une sinistre escorte dans d'étranges profondeurs vers un destin incertain... Mais vers lequel il se dirige avec un sourire glaçant.
Ces pages-là hanteront durablement ceux qui auront choisi de faire ce voyage au bout de la nuit. Une nuit rouge comme le costume du diable de Hell's Kitchen et de sa horde maléfique de ninjas. Rouge comme le sang.

Apothèose baroque, sèche et cinglante, ce "Retour du roi" s'achève donc sur l'avènement d'un souverain inattendu, empruntant une voie des plus équivoques. Au terme de 38 épisodes, l'aventure se termine comme elle avait débutée : sur un coup de maître. Comme dirait l'autre : EXCELSIOR !

lundi 21 décembre 2009

Critique 121 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (6/7)


DAREDEVIL : LADY BULLSEYE ;
(vol.2, #111-115) ;
(Septembre 2008-Janvier 2009).

Avec ce 19 ème tome, c'est la dernière ligne droite du run d'Ed Brubaker et Michael Lark qui se profile : en effet, Lady Bullseye, qui réunit les épisodes 111 à 115, constitue la première partie d'une saga qui se poursuit et s'achève avec le tome 20, Return of the king. Et autant l'annoncer, c'est un final en forme d'apothéose que nous offre le tandem d'auteurs, de ceux qui marquent durablement une série et transforme le destin de son héros.
*

Qui est cette Lady Bullseye ? Elle observe plusieurs proches de Daredevil - et le diable rouge lui-même - et les attaque, avec l'aide des ninjas de la Main, avant de se retirer. Ces combats sont en vérité des tests afin de déterminer lequel d'entre ces justiciers masqués est digne de diriger l'organisation, ébranlée depuis la mort d'Elektra (ou plutôt du skrull qui a pris sa place).
Tour à tour sont mis à l'épreuve Black Tarantula, Iron Fist, White Tiger et DD, sans qu'aucun d'eux ne paraisse trouver grace aux yeux de Lord Hirochi, le commanditaire de Lady Bullseye.
Mais un électron libre vient se greffer à la partie en la personne de Maître Izo, identifié par Danny Rand (grâce au Livre de l'Iron Fist) comme le sensei de Stick... Soit le professeur du mentor de Daredevil et donc un ancien cadre de la Main. A l'évidence, Izo a déjà son idée du futur champion de l'organisation et son choix n'est pas celui d'Hirochi. Mais cela, DD n'en a encore qu'une vague idée...

Ed Brubaker, selon moi le plus talentueux des écrivains actuels de Marvel Comics, débuta son travail sur Daredevil avec un récit explosif (Le Diable dans le bloc D), qui vit le personnage échouer là où il envoya nombre de ses ennemis et au centre d'une controverse sur sa double identité d'avocat et de justicier. C'était la continuation du run de Brian Michael Bendis et l'occasion d'une histoire d'une admirable tension.

A la suite de l'évasion de son héros du pénitencier de Ryker's Island, Brubaker entama un périple aussi dépaysant que passionnant (Le Diable en cavale) où Daredevil devait découvrir en Europe qui (et pourquoi) avait transformé son existence en enfer : Vanessa Fisk obtint de Matt Murdock la libération de son ex-mari, le Caïd, contre la promesse de sa réhabilitation civile.

De retour à New York et débarrassé de Wilson Fisk, exilé, le "roi de Hell's kitchen" devait pourtant affronter un nouvel adversaire dans une lutte dont le terme serait une fois encore dévastateur : A chacun son dû et sa site directe Sans peur formaient un vaste ensemble publié sur une année entière, dont la lecture en recueil était à la fois plus agréable qu'en fascicules mensuels et dévoilait l'ambition feuilletonnesque de Brubaker (le propre d'un expert de la narration décompressée comme lui).

Enfin, avant Lady Bullseye, Brubaker et son partenaire de Gotham Central, Greg Rucka, proposèrent un arc recentré sur Matt Murdock, encore traumatisé par l'internement psychiâtrique de sa femme Milla Donovan, et Dakota North, sa collaboratrice détective privé, aux allures de pause avant cet ultime baroud d'honneur.

Lady Bullseye développe sur cinq chapitres deux intrigues parallèles.

- La première introduit donc ce nouveau personnage qui donne son nom au livre, Lady Bullseye. Cette redoutable tueuse perpétue une tradition vieille comme les comics, celle de l'héritage (du Bien comme du Mal). Brubaker est un maître en matière d'innovation et de revitalisation mêlées : c'est même devenu sa marque de fabrique depuis qu'il a ramené à la vie tout en créant un personnage singulier comme Bucky Barnes alias le Soldat de l'Hiver alias le nouveau Captain America.
Cette fois encore, il réussit son coup avec Lady Bullseye. Le scénariste a construit cette tueuse comme une inversion maléfique du traditionnel concept héroique : après avoir été "sauvée" par Bullseye, elle décide de devenir son double féminin, au point de l'égaler en sadisme et en brutalité.
A travers elle, c'est le thème des difficultés relationnelles récurrentes entre Daredevil et les femmes que Brubaker explore avec une cruauté qu'il est difficile de ne pas trouver jubilatoire tant elle est bien imaginée - cela juste après avoir rendu folle la femme du justicier aveugle à la fin de l'arc Without Fear.
Cet aspect est également exploité, après avoir été abordé dans Cruel and unusual, via les poursuites judiciaires entamées par les parents de Milla contre Matt pour en obtenir la tutelle.
Ces nouveaux tracas vont conduire Murdock dans les bras de Dakota. Brubaker dit bien que leur liaison les prend au dépourvu tout en suggèrant qu'elle était prévisible et même inévitable : au désespoir de Matt répond l'attirance de Dakota, et le fait qu'ils travaillent l'un à côté de l'autre, leurs forts caractères, semblaient sceller cette relation depuis longtemps. A bien des égards, ils étaient faits l'un pour l'autre et en couchant enfin ensemble, c'est comme une évidence malgré la confusion qui les étreint lorsqu'ils s'embrassent.

- La seconde intrigue est donc la quête du meilleur candidat au poste de chef de la Main. De facture plus classique et convenue par rapport aux codes du genre super-héroïque, elle fournit quand même de magnifiques séquences d'action et réserve quelques surprises, avec en particulier ce qui arrive à Black Tarantula et White Tiger.
Cette histoire-là permet aussi de montrer un Daredevil qui n'entend pas redevenir l'élève de qui que ce soit, fusse celui d'Izo qui était donc le professeur de son propre mentor, Stick. Le diable rouge affiche une méfiance permanente vis-à-vis de ce centenaire alcoolique, excentrique, qui lui cache des choses sur les agissements de la Main.
C'est aussi pour cela que DD est un personnage passionnant car vraiment adulte, indépendant, et pourtant faillible, vulnérable.
En incluant Black Tarantula (vu dans Le Diable dans le bloc D) et White Tiger (apparue durant le passage de Bendis), mais également Iron Fist (qu'il a réanimé dans la série Immortal Iron Fist, co-écrite avec Matt Fraction), Brubaker dispose aussi des "héros de la rue" en en faisant une sorte de famille à part dans le Marvelvese, un clan dont chaque membre se connaît et se partage la tâche de protéger sur les bas-quartiers de New York (il faut espérer qu'Andy Diggle, le successeur de Brubaker sur le titre, conservera cette idée et la développera).

La partie visuelle mérite enfin une mention spéciale. Daredevil s'affirme comme la série la plus intelligemment gérée sur ce plan-là, Michael Lark étant régulièrement suppléé le temps d'un épisode par un artiste d'une valeur égale à la sienne (qui est déjà élevée).

Cette fois, c'est à Clay Mann de s'illustrer lors de l'épisode d'ouverture : son trait élégant, son découpage remarquablement fluide, est un pur régal pour les yeux et son nom s'ajoute à la liste de ceux qui auraient fait un remplaçant de choix.

Puis Lark reprend les commandes et nous gratifie de planches somptueuses où éclate sa complicité avec Stefano Gaudiano : l'osmose est telle qu'on se fiche bien de savoir qui fait quoi exactement, c'est simplement la meilleure paire d'artistes en activité actuellement.
Les scènes intimistes sont aussi réussies que les séquences d'action dont la virtuosité est bluffante - et dire que Lark n'apprécie que modérèment de le dessiner, ne s'estimant pas excellent dans ce registre... Qu'est-ce que ça serait s'il aimait ça ?
Dans cette catégorie en tout cas, je n'en vois pas de meilleurs qu'eux deux : leur science de la lumière, leur art dans la manière d'enchaîner les vignettes afin de traduire au mieux les émotions et le rythme, le plaisir simple et pur qu'on ressent à lire ces pages en pouvant à la fois s'attarder sur chaque case et en tournant chaque page avec l'irrépressible envie de connaître la suite et voir comment elle va être illustrée, tout cela relève d'une grande maestria et inspire le respect comme la gratitude.

Avec son énigmatique cliffhanger final, Brubaker nous accroche irrésistiblement. Return of the king ne déçoit pas cette attente et atteste même du brio formidable avec lequel Brubaker va clôturer son run - d'ores et déjà un des meilleures qu'ait proposé l'industrie mainstream de ces dernières années.

dimanche 20 décembre 2009

Critique 120 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (5/7)


DAREDEVIL : CRUEL AND UNUSUAL ;
(vol.2, #106-110) ;
(Mai-Août 2008).

Examinons donc ce que nous réserve ce tpb contenant les épisodes 106 à 110 de Daredevil et formant l'arc intitulé Cruel and Unusual.

Première bonne nouvelle : cette histoire est signée par l'équipe acclamée par la critique depuis Gotham Central et composée d'Ed Brubaker, Greg Rucka et Michael Lark. Paul Azaceta a dessiné (et encré - ce qui est notable quand on se souvient comment Tom Palmer était complètement repassé sur les crayonnés de l'artiste dans l'histoire précédente...) le premier épisode de l'album.

Seconde bonne nouvelle : le trio a tricoté une intrigue qui replace Matt Murdock dans son rôle d'avocat au premier plan. Réduire ses apparitions comme Daredevil est judicieux après le traumatisme qu'il vient de vivre (Milla Donovan étant internée dans une clinique psychiatrique à cause de Mr Fear), tout en préparant un rapprochement entre le héros et la détective Dakota North, qui est mise en avant - c'est d'ailleurs pour traiter plus particulièrement d'elle que Rucka, toujours inspiré par les femmes fortes, a été convié à participer au scénario.
*

L'histoire suit donc Matt et Dakota qui vont s'occuper d'un dossier délicat, celui du nommé "Big" Ben Donovan condamné à mort pour le meurtre de trois enfants. Problèmes : il a avoué le triple homicide et le F.B.I. semble déterminé à ce qu'il soit exécuté. Les investigations de Murdock et North vont révèler un complot entre l'agence fédérale et la pègre contrôlant les docks de New York.

La complicité entre Brubaker et Rucka fait merveille, leurs dialogues claquent, la caractérisation des personnages est exemplaire, les relations entre les protagonistes possèdent un relief et une subtilité rares, et ils savent comment construire une intrigue solide et prenante.

C'est vraiment un boulot de grands professionnels, aguerris : en apparence, cette histoire semble plus modeste que celles auxquelles Brubaker seul nous a habitués depuis le début de son run, mais cela fait quand même du bien après les moments de tension relatés dans l'incarcération puis la fuite de Murdock ou son duel contre Mr Fear. Et mine de rien, on est accroché par ce récit qui dévoile ses mystères progressivement, en dosant ses effets.

Tous les comics super-héroïques n'ont pas cette finesse et tous les auteurs n'ont pas cette souplesse pour articuler ce qu'ils proposent aux lecteurs.

Le plus frappant dans cet arc, mais c'est déjà notable dans les épisodes de Brubaker depuis son arrivée sur Daredevil, est la manière dont il réussit à donner une place de premier rang aux seconds rôles gravitant autour de son héros (parfois en leur ayant consacré un épisode particulier, comme Foggy Nelson, Milla Donovan, et ici Ben Urich et Dakota North). Il leur donne de la chair et de vraies et distinctes personnalités en nous montrant comment ils travaillent tous ensemble, comment fonctionne le cabinet juridique Murdock and Nelson. Ce souci pour le groupe rend tout ce monde plus réel et plus attachant.

Michael Lark, toujours secondé par Stefano Gaudiano (qui, davantage qu'un simple encreur, est de l'aveu même du dessinateur un vrai finisseur-embellisseur), accomplit encore une fois un excellent travail ici.

Une des raisons pour lesquelles j'aime Lark réside dans le fait que son dessin participe au réalisme des livres - ses personnages ressemblent à de vraies personnes, ce n'est pas juste un de ces artistes à l'aise avec des héros en spandex. Même Dakota North, un ancien mannequin, n'est pas juste représentée comme une très belle femme : on devine aussi son caractère dans les attitudes et les expressions que restitue parfaitement Lark.

Et bien entendu, comme toujours (et c'est particulièrement important sur une série telle que Daredevil), les scènes d'action chorégraphiées sont magnifiquement illustrées, avec un découpage extraordinaire de rythme et de fluidité.

Un exemple de ce brio graphique se situe dans le dernier épisode de cet arc où sont représentées en narration parallèle une séquence de combat entre DD et des agents fédéraux sur les docks et une autre montrant des secouristes tentant de sauver la vie de quelqu'un (je ne vous dis pas qui pour vous laisser la surprise).

On suit chacune de ces scènes très aisément et, mieux même, leur montage alterné procure suspense et excitation. Ces pages nous montrent comment une équipe créative rodée et intelligente peut tirer le maximum de deux actions et produire un comic-book de qualité simplement en exploitant au mieux les codes du genre.

Le seul bémol qu'on émettra concerne le dénouement, un peu abrupt. Après l'excellent développement de l'intrigue - le secret de "Big" Ben Donovan, l'opération impliquant les agents fédéraux - , Brubaker et Rucka clôturent leur affaire à la va-vite, sans convaincre : on était en droit d'attendre un vrai "grand final" compte tenu des forces en présence, mais le feu d'artifices n'a pas lieu et finit un peu en feu de paille. Dommage.

Ce n'est pas suffisant pour gâcher le plaisir pris jusqu'alors, mais décevant au regard du talent des deux scénaristes. Greg Rucka a depuis exprimé son sentiment sur cette expérience en déclarant que le personnage de DD ne l'avait finalement guère passionné : peut-être est-ce en partie pour cela qu'on n'est pas comblé comme attendu...

Mais cette réserve exceptée, ce nouveau tome demeure quand même une lecture recommandable et recommandée, ne serait-ce que pour mieux apprécier l'évolution des rapports que va connaître certains des personnages avant la saga ultime concoctée par Ed Brubaker.

mercredi 2 décembre 2009

Critiques 119 : REVUES VF DECEMBRE 2009

DARK REIGN SAGA 1 :

Ronin & Oiseau Moqueur 1-4.
Profitant de la vague "Dark Reign", Panini a décidé de publier un trimestriel acceuillant des récits annexes, et pour commencer a eu la bonne idée de proposer l'histoire en quatre parties intitulée en vo New Avengers : the reunion, dont une preview de 8 pages était lisible dans le n° 1 de la revue Dark Reign.

Cette aventure s'intéresse donc à Clint Barton et surtout à Bobbi Morse, revenue à l'occasion de Secret Invasion où l'on découvrait qu'elle avait été remplacée par un Skrull - alien mort à sa place dans la série West Coast Avengers des années 80. Ce retour faisait en quelque sorte contrepoids à la mort de la Guêpe dans le même crossover et confirmait une nouvelle fois l'affection de Brian Bendis pour les héros oubliés ou négligés (comme Spider-Woman, Luke Cage, etc).

Mais ce n'est pas au scénariste des Nouveaux Vengeurs que l'on doit cette nouvelle production : elle est écrite par un assistant manager aux ventes de Marvel, Jim McCann, qui s'impose comme une révélation en offrant quatre épisodes de très belle facture.

Il nous raconte comment, en enquêtant sur une tentative d'attentat fomentée par les terroristes de l'A.I.M., Mockingbird renoue avec le monde, son rôle de justicière, et son amant, l'ex-Hawkeye.

Les péripéties sont entraînantes et dépaysantes, nous transportant en Espagne, mais surtout le traitement de la relation re-naissante entre les deux Vengeurs est finement conduit : créée par le regretté Mark Gruenwald en 1983 dans une mini-série Oeil-de-faucon (édité en vf dans un Récit Complet Marvel par Lug), le personnage de Bobbi Morse évoque Black Canary, avec laquelle elle partage sa blondeur, son fort caractère, et un compagnon qui est un archer au tempérament bien trempé.
Mais McCann exploite avec habileté les épreuves par lesquelles elle est passée pour en faire une femme désorientée se testant dans le danger d'une mission à haut risque et devant composer avec l'amour d'un homme qui lui tient tête mais veut surtout la reconquérir et la protéger.
C'est un régal pour les fans de Clint Barton de renouer avec lui et avec le tandem qu'il forme avec Bobbi Morse : l'histoire emprunte à la "screwball comedy", à l'espionnage façon James Bond, plus qu'aux codes stricts des super-héros (même si les héros agissent en costume - Mockingbird héritant même d'un nouveau look).
En prime, les titres de chaque chapitre font référence à des classiques du cinéma et le groupe qu'a monté Mockingbird pour l'accompagner en mission porte un nom en forme de clin d'oeil (WCA) : c'est malicieux et bien amené.

David et Alvaro Lopez illustrent ces épisodes d'un trait qui est à la fois épuré, élégant, très dynamique : on ne peut qu'espérer que ces transfuges de DC (où ils oeuvrèrent sur Catwoman) trouvent leur place toujours aussi bien chez Marvel.
Mention également à la belle colo de Daniele Rudoni, qui alterne avec bonheur des teintes chaudes et lumineuses, et d'autres gris-bleues dans une ambiance plus froide. L'équipe artistique affiche une complémentarité très agréable.

C'est une réussite, et une lecture extrèment plaisante : un choix très heureux pour un "pilote".

ULTIMATE SPIDER-MAN 70 :

- Ultimate Spider-Man 132-133 : Ultimatum (4-5).
Ce numéro est spécial à bien des égards, mais en premier lieu parce qu'il est le dernier de la série sous cette forme : en effet, à l'issue du crossover Ultimatum, des titres vont disparaître de la gamme, d'autres vont être relancés, d'autres seront créés. USM va connaître un volume 2, toujours écrit par Brian Michael Bendis mais dessiné par David LaFuente sous le nom d'Ultimate Comics Spider-Man (à paraître en Avril 2010).

J'ai décidé de ne pas poursuivre l'aventure, échaudé par les previews. Mais, pour l'heure, intéressons-nous au final offert par Bendis et Stuart Immonen.

Et quel final ! Nous avions laissé Spidey dans une situation affolante, coursé par un Hulk déchaîné dans New York dévasté par un tsunami provoqué par Magnéto et, pour corser encore plus l'affaire, avec les démons de la dimension des ténébres s'échappant du manoir du Dr Strange.
Pendant ce temps, les amis de Peter Parker - MJ, Gwen Stacy, Kitty Pryde, Kong - sont impuissants devant ce spectacle de désolation. Kitty décide de partir à la recherche de Spidey et va croiser Spider-Woman...

Deux remarques sont à formuler concernant ces deux épisodes :
- 1/ là où Bendis a échoué à bien montrer les dégâts et l'ampleur d'une invasion alien (dans Secret Invasion), il le réussit parfaitement dans USM à la fois en décrivant des images-choc et les réactions de ses personnages devant un cataclysme qui les dépasse. Ce mélange entre l'intime et le spectaculaire est saisissant et alimente des regrets sur la manière dont le scénariste aurait pu mener son crossover dans l'univers Marvel classique s'il avait été plus rigoureux.
- 2/ Cette tension dramatique, qui atteint une dimension tragique dans le second volet, est encore plus remarquablement traduite par le fait que l'épisode 133 est... Muet ! Alors qu'on attaque souvent Bendis pour ses abus de langage, ses dialogues bavards, il s'est imposé ici un redoutable exercice dont il s'acquitte avec un vrai brio.

Pour soutenir un tel défi, il faut pouvoir compter sur un dessinateur d'exception, à même de raconter en images une histoire qui se prive volontairement de parole, capable de restituer avec autant de subtilité que d'efficacité les émotions.
Et encore une fois il faut saluer ce qu'il convient d'appeler la performance de Stuart Immonen, qui relève le gant avec une aisance ressemblant à une leçon. C'est tout à fait bluffant, et à mon tour, les mots me manquent. Même si un s'impose : Respect !

Le mois prochain, un hors-série d'Ultimates nous dévoilera le sort des héros au lendemain des évènements d'Ultimatum, afin de savoir qui s'en est sorti ou non. Mais, en soi, ce numéro fait un épilogue mémorable.
DARK REIGN 3 :

- Les Vengeurs Noirs 3 : Le règne du mal (3).
Après avoir laissé l'équipe des Dark Avengers dans de sales draps le mois dernier, l'épisode nous fait mariner un peu en s'ouvrant sur un flash-back conséquent avec Osborn et Sentry.

Ce héros calamiteux qui n'a jamais vraiment trouvé sa place où que ce soit, dans les divers équipes de Vengeurs, a pourtant choisi de suivre Osborn. Pourquoi ? Comment ? La réponse proposée par Brian Bendis tient au fait que les deux hommes sont tous deux hantés par leurs démons, et si l'ancien Bouffon Vert prétend avoir maîtrisé les siens, alors Bob Reynolds le peut aussi avec Void...
Puis nous retrouvons le groupe aux prises avec la horde de démons invoqués par Morgane la fée déterminée à faire payer sa trahison au Dr Fatalis, rapatrié en Latvérie par Osborn. Ce dernier et ses sbires ne sont clairement pas à leur avantage. Et apparemment, seul Fatalis et sa magie peuvent renverser la tendance...

Le moins que l'on puisse dire est que Bendis ne lésine pas sur l'action et le grand spectacle avec son nouveau titre : l'ennemie qu'il a donnée à ses nouveaux "héros" est, il est vrai, de taille et procure quelques effets garantis sur ces deux plans.
En tout cas, le scénariste s'amuse, c'est visible et contagieux, et le résultat est d'une belle efficacité.

Il est bien aidé dans sa tâche par Mike Deodato, le dessinateur idéal pour ce titre peuplé de créatures sexyssimes et de gros bras vigoureux, mais également fourni en scènes d'ambiance où son art pour les lumières contrastées et violentes, les cadrages azimutés lui permettent de se lâcher comme lors de son passage sur les Thunderbolts d'Ellis.

Pas très nuancé, mais jubilatoire !

- Secret Warriors 2 : Nick Fury seul contre tous (2).
Le super-espions et sa bande de bleus viennent de découvrir que l'Hydra a infiltré le SHIELD depuis belle lurette et prépare la riposte.
Cependant, cet épisode fait plutôt la part belle aux méchants, et en particulier le Baron Von Strucker au courant de la découverte de Fury et à pied d'oeuvre pour une nouvelle opération.

Scénaristiquement, Bendis et Jonathan Hickman se complètent toujours aussi bien, dans un registre plus axé sur l'espionnage et le fantastique que le pur super-héroïsme : cette série est de ce point de vue une agréable surprise, même s'il faudra confirmer ce bon début. Le destin révèlé des "chenilles" par l'un des leurs ajoute du piment à l'affaire et on est curieux de voir comment tout cela va se goupiller.

Graphiquement, le style de Stefano Caselli aboutit à un résultat plus inégal : très à l'aise quand il s'agi de croquer des galeries de trognes aux expressions bien senties, son découpage reste sommaire et la colo est pénible.

- Thunderbolts 128-129 : La chute de la maison Thunderbolts (3 & 4).
Promu par Bush, Norman Osborn doit composer maintenant avec Obama pour garder ses prérogatives : il organise donc un plan afin de duper le nouveau président et se débarrasser d'un autre de ses adversaires, le Dr Samson.

Parallèlement, il recrute de nouveaux Thunderbolts : leur première mission va consister à appréhender un électron libre, fou donc imprévisible...

Comme le mois dernier, ces deux nouveaux volets sont d'une qualité assez bluffante : l'écriture nerveuse d'Andy Diggle et les illustrations de haute volée de Roberto De La Torre contribuent à faire de ce titre une production à laquelle il est impossible de résister.
Entre les manipulations d'Osborn, la composition de la nouvelle équipe et leur efficacité conjuguée, on est vraiment au coeur du "dark reign", cette nouvelle ère où "on ne fait plus de prisonniers".
Diaboliquement bon !

Il manque vraiment une quatrième série à cette revue, c'est son seul défaut, car en trois numéros, elle est déjà redoutablement attrayante.
WOLVERINE 191 :

- Wolverine : L'anniversaire.
En attendant toujours la traduction du dernier chapitre d'Old man Logan (en Mars ?), Panini meuble avec des récits divers et variés comme celui-ci et les deux suivants.

Cet "anniversaire" ne brille pas par son brio, autant être clair : le scénariste William Harms (un sombre inconnu) imagine que Logan est mêlé au détournement d'un avion par des terroristes qui réclament la libération de tous les prisonniers de Guantanamo (rien que ça...) sinon ils font péter l'appareil avec ses passagers. Evidemment, avec la finesse qu'on lui connaît, le mutant griffu va prendre les choses en main...

Parfois, je me demande : qu'avons-nous fait, nous, les fans de comics, pour mériter ça ?
Oh, ce n'est pas nul, mais c'est hautement dispensable. Tout ça tient sur un timbre-poste : Wolvie tue tous les méchants et retrouve même leur boss en entendant au téléphone l'oiseau rare qu'il possède. Trop fort... Et tellement subtil.

Graphiquement, le nommé Jefte Palo livre des planches inégales mais non dénués de style, évoquant un peu Eduardo Risso. Mais, enfin, pas de quoi tomber à la renverse non plus.

Vite lu, vite oublié. Vite oubliable surtout.

- Wolverine 73-74 : L'équipée sauvage (1 & 2).
Ce dyptique relève le niveau sensiblement : il s'agit en fait de deux mini-épisodes, écrits par Daniel Way et, surtout, illustrés par Tommy Lee Edwards (ce qui a motivé mon achat).

Logan retrouve un ami chef d'une bande de bikers dont la relation avec son rejeton lui rappelle la sienne. Une guerre des gangs couve à la suite d'une embrouille sur fond de deal de drogue : ambiance série noire plus que super-héros...

Et on ne va pas s'en plaindre car, sans être un chef-d'oeuvre, c'est tout de même une réussite notable. Way rédige cette histoire sur un bon rythme, avec un sens de l'ellipse bienvenu (notamment lors du dénouement). C'est concis, tendu, sombre, économe : en un mot, efficace.

Mais bien entendu, ce sont les dessins d'Edwards qui transcendent l'entreprise : son trait nerveux, souligné par un encrage au pinceau toujours aussi bluffant, tranche avec la norme du genre. Ces planches ont du caractère, une griffe, une beauté sauvage qui sortent du lot. Ne passez pas à côté !

Conclusion : Viva TLE !
MARVEL ICONS 56 :

- Les Nouveaux Vengeurs 50 : Pris au piège.
Pour cet épisode exceptionnel, Brian Bendis et Marvel ont vu les choses en grand : près de 40 pages et un casting d'artistes prestigieux pour accompagner le scénariste. Mais, cependant, il convient d'être prudent car ce que la couverture de la revue promet n'est pas forcèment ce qu'on trouve à l'intérieur...
Dans le numéro précédent, les Nouveaux Vengeurs découvraient à la télévision la première apparition publique des Vengeurs Noirs, l'équipe formée par Norman Osborn, devenu le nouveau super-flic de l'Amérique après les évènements relatés dans le crossover Secret Invasion. Ulcéré par le détournement de leurs identités secrétes et du rôle même des Vengeurs, Clint Barton/Ronin était résolu à en découdre avec ces imposteurs.
Mais, donc, Bendis a décidé de prendre ses lecteurs à contre-pied et au lieu de leur offrir un affrontement entre New et Dark Avengers, il met en scène la revanche de The Hood - désormais en affaire avec Osborn - et son gang. On est donc un peu frustré de ne pas avoir droit à l'affiche attendu, mais question baston épique, on n'est quand même pas déçu.

Les dialogues ne sont pas avares en bons mots, et cette fois Bendis fait souvent mouche en donnant à Spider-Man quelques répliques savoureuses (comme lorsqu'il avoue que "c'était le bon temps" après que Ms Marvel ait rappelé comment Iron Man avait essayé de pièger les Nouveaux Vengeurs...).
On retrouve l'auteur en verve des Annuals de la série, gorgés d'action, menés sur un rythme soutenu, avec une vraie dynamique dans l'animation de l'équipe (qui compte quand même 9 membres : Luke Cage, Iron Fist, Wolverine, Spidey, Spider-Woman, Ms Marvel, Ronin, Mockingbird et Captain America/Bucky).
Cependant, la véritable "attraction" de cet "issue" réside dans le générique haut-de-gamme des artistes invités pour l'occasion.
Billy Tan signe l'ensemble des planches, avec un bonheur toujours aussi inégal : il abuse du copier-coller mais se montre capable de découper des séquences avec une belle fluidité juste après, il se montre approximatif dans l'anatomie mais avec une telle quantité de personnages on est enclin à l'indulgence.
Les guest-stars ont chacune dessiné une planche où se distingue un des membres du groupe, à l'exception de Bryan Hitch qui s'est fendu d'une double-planche aussi spectaculaire qu'encombrée avec les Vengeurs et la bande de The Hood.
A ce petit jeu, il y a du bon et du moins bon, et selon ses goûts, on appréciera plus ou moins telle ou telle contribution.
Pour ma part, j'ai une préférence pour les pages réalisées par David Aja (avec Iron Fist : un modèle de simplicité et de fluidité), de David et Alvaro Lopez (avec Ronin et Mockingbird : une belle énergie), et de Steve Epting (avec Captain America : élégantissime).
Je suis plus partagé avec celle d'Alex Maleev (où la colo ne gâte pas Spider-Woman), de Leinil Yu (peu inspiré avec Wolverine) et de Steve Epting (avec Spider-Man, sans grande originalité). Et mieux vaut ne pas parler de Greg Horn (pauvre Ms Marvel...) ou Michael Gaydos (hélas pour Luke Cage...).
Le final peut faire sourire (ou pleurer, c'est selon), Bendis clôturant l'épisode avec une intervention peu crédible de Clint Barton à la télé (comment a-t-il même pu accèder au plateau d'un JT sans être arrêté par le H.A.M.M.E.R. d'Osborn ?).
Où cela va-t-il nous mener ? Il serait bienvenu que les interrogations liées aux situations d'Echo (disparue depuis la fin de SI) et surtout du Dr Strange soient élucidées...
- Iron Man 10 : Dans la ligne de mire (3).
C'est un peu lassant d'incendier chaque mois cette production qui a déjà sa place réservée dans les annales des pires comics que j'ai pu lire.
Sans aucune surprise, ce nouvel épisode reste au niveau dramatiquement médiocre de ses prédécesseurs - ce qui en soi révèle la constance assez remarquable de ce titre qui depuis le début est fantastiquement mal écrit, avec des histoires insupportablement inintéressantes, et surtout extraordinairement mal dessiné par celui dont je ne m'abaisserai plus à citer le nom sous peine d'avoir un haut-le-coeur .
Circulez donc, y'a rien à voir - ou alors une vision de cauchemar qui va vous gâcher la nuit !
- Captain America (vol.5) 46 : De vieilles connaissances (1).
"Marvel Icons" donne un sens nouveau à l'expression "terre de contrastes" puisqu'après l'abominable Iron Man, une série comme Captain America redonnerait la vue à un aveugle et la foi en celui qui l'avait perdue.
Bucky est aux trousses du Pr Chin, qui a commandité le vol des restes de l'androïde John Hammond, la première Torche Humaine, afin de le ranimer. Accompagné de Namor, les deux anciens Invaders mettent le cap (jeu de mots : 100 F dans le nourrin !) sur Taïwan tandis que la Veuve Noire découvre le mobile du savant fou pour se venger de Bucky. Vengeance, vengeance !
Ces derniers temps, Namor n'a pas été très gâté chez Marvel : devenu le jouet d'Osborn, dupé par Emma Frost, le souverain retrouve sa superbe grâce à l'inspiration magistrale d'Ed Brubaker. Le scénariste a toujours su traiter dignement les guest-stars de sa série et le prouve encore une fois dans ce récit à l'atmosphère tendue.

Graphiquement, c'est également avec ravissement qu'on assiste au retour aux affaires de Steve Epting, dont le trait toujours élégant nous vaut des planches admirables, d'un classicisme imparable. Le tout sublimé par la colo d'un Frank d'Armata bien plus à son avantage ici que sur Iron Man.
- Jarvis : profession majordome.
En raison de la longueur inhabituelle de l'épisode des NA, Panini boucle la revue avec un de ces médiocres bouche-trous dont il a le secret, issu d'un Giant-size Avengers de Février 2008 (!).
Douglas Noble a voulu écrire quelques pages spirituelles mais qui sont surtout dispensables. Et accompagné d'un certain Nelson aux dessins, cet auteur nous inflige quelques planches d'un piètre niveau.

Bilan des courses : Iron Man reste le boulet de cette revue, qui, heureusement ce mois-ci, bénéficie d'un Cap de très grande facture et de NA en habits de fêtes (c'est de rigueur à quelques jours de Noël).

Critique 118 : PLANETARY - CROSSING WORLDS, de Warren Ellis, Phil Jimenez, Jerry Ordway et John Cassaday


PLANETARY : CROSSING WORLDS rassemble trois épisodes spéciaux écrits par Warren Ellis et publiés en un seul volume en 2004 par DC Comics dans la collection Wildstorm.
Il s'agit de trois crossovers avec les séries The Authority (créée par Ellis), JLA et Batman, parus respectivement en 2001, 2002 et 2003.
Les dessins sont respectivement signés par Phil Jimenez, Jerry Ordway et John Cassaday.
Il est recommandé d'avoir lu le premier tome de Planetary (All over the world and other stories) auparavant.
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- Planetary / The Authority : Ruling The World (dessiné par Phil Jimenez). L'équipe de Planetary (Elijah Snow, Jakita Wagner, the Drummer) doivent contrecarrer une invasion extraterrestre en provenance d'une dimension parallèle. Mais l'équipe de super-héros de the Authority (Jenny Sparks, Jack Hawksmoor, le Docteur, L'ingénieur, Midnighter, Apollo, et Swift) s'y emploie également. Il s'agit alors pour le trio de ne pas se faire remarquer par l'autre groupe.
Elijah Snow a été averti de cette attaque par un écrivain qui a été témoin d'incursions similaires par le passé (une référence à Howard Philips Lovecraft).

En imaginant cette rencontre spectaculaire entre deux formations qu'il a inventées, Warren Ellis a surtout voulu montrer leurs méthodes radicalement opposées : d'un côté, Planetary s'efforce de rester une organisation discrète mais efficace, tandis que de l'autre the Authority n'hésite pas à employer les grands moyens sans se soucier des dégats qu'ils provoquent tant que la menace est éliminée. Que se passera-t-il si les surhommes au service de Jenny Sparks découvraient l'existence de la bande à Elijah Snow ?
Une scène, amusante, révèle que Jenny et Sparks ont couché ensemble et sont tous deux des "century babies", comprenez qu'ils sont tous deux nés en 1900, ce qui expliquerait à la fois leur longévité exceptionnelle (sans en faire des immortels, comme cela se vérifie à la fin du premier volume de the Authority, par Warren Ellis et Bryan Hitch) et leurs pouvoirs spéciaux (la maîtrise de l'électricité pour elle, du froid pour lui) - des pouvoirs qui, comme on l'apprend dans le dernier tome de Planetary (Spacetime Archaeology), font de leurs détenteurs des sortes de gardiens de la terre.
Malgré la belle promesse d'une confrontation entre ces deux groupes, aux objectifs communs mais aux modes opératoires contraires, cet épisode fait long feu et c'est une déception, Warren Ellis ne dépassant jamais des concepts qu'il manie pourtant fort bien (l'argument emprunte à la mythologie des monstres et aux invasions extraterrestres, mais a été bien mieux exploité dans le deuxième arc de the Authority, Albion).

Visuellement, c'est à Phil Jimenez, émule de George Perez, qu'est revenu la mission d'illustrer cette aventure. Son style très détaillé mais aussi assez figé fonctionne bien avec les aspects les plus spectaculaires de l'histoire mais manque donc cruellement de dynamisme.
On ne peut que regretter que Bryan Hitch (qui, à la même époque, était au sommet de son art, et qui anima avec force la série the Authority en compagnie d'Ellis) n'ait pas été sollicité ou disponible. Cela n'aurait pas sauvé l'épisode de sa faiblesse scénaristique mais lui aurait donné une saveur particulière en même temps qu'une mise en image plus flamboyante.


- Planetary / JLA : Terra Occulta (dessiné par Jerry Ordway). La situation est totalement renversée ici puisque le trio de Planetary agit ici de manière hyper-répressive dans un monde parallèle contre toute manifestation paranormale. Trois justiciers se rebellent contre l'organisation : Bruce Wayne, Diana Prince, et Clark Kent.

Faire de Planetary une force maléfique, aux procédés comparables aux Quatre qu'elle combat dans sa série régulière, est un ressort original. L'opposer à la trinité de la ligue de justice augurait d'un affrontement au sommet.
Hélas ! Encore une fois, Warren Ellis ne se montre pas très inspiré pour organiser cette rencontre, même si la situation est bien mieux présentée que dans le crossover précédent avec the Authority. En peu de pages, il parvient à installer une ambiance oppressante, à poser un décor et des personnages en résistance, de façon efficace. Mais l'ensemble pêche par son manque de souffle et sa prévisibilité : comment penser une seconde que trois héros peuvent neutraliser trois adversaires aussi coriaces que des versions corrompues de Planetary ? On se trouve face à une sorte de baroud d'honneur par un commando suicide, dans un format peu adapté.
En soi, l'idée aurait pu fournir un arc entier très accrocheur, mais pour un seul épisode, c'est trop ramassé pour être excitant.

Le vétéran Jerry Ordway, dont la carrière est fortement associé aux productions DC des années 80 (même s'il a aussi oeuvré abondamment pour Marvel), livre des planches soignées mais sans éclat. Le résultat est appliqué mais souffre du même mal que le scénario : un défaut pour donner de l'ampleur à l'intrigue déjà étriquée.
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- Planetary / Batman : Night on Earth (dessiné par John Cassaday). L'équipe de Planetary est sollicité pour maîtriser un individu sujet à de terribles crises qui altèrent le tissu même de la réalité dans la ville de Gotham. Ces désordres s'accélèrent en se concentrant dans la rue de Crime Alley où surgit alors un justicier masqué désireux lui aussi de régler le problème, quitte à écarter Elijah Snow et Jakita Wagner : Batman. 

C'est, et de loin, le meilleur épisode du lot et le fait qu'il soit dessiné par John Cassaday n'y est pas étranger. Il y livre une prestation remarquable, avec toujours un sens graphique très original, alternant des scènes d'affrontement atypiques et énergiques et d'autres moments où les dialogues priment avec une mise en scène plus sage (même si, cette fois, il abuse un peu des effets copier-coller et des "talking heads").
L'artiste a cependant pris un plaisir évident, et communicatif, à représenter une multitude de versions familières de Batman, convoquant aussi bien celle des origines de Bob Kane et Bill Finger que celle plus baroque de Frank Miller en passant par son incarnation télé des années 60 jouée par Adam West ou celle iconique de Neal Adams dans les années 70. Ludique et superbe.

Mais si cet épisode est tellement meilleur, c'est aussi parce qu'on comprend pourquoi Warren Ellis a écrit ces numéros spéciaux tout en parvenant cette fois à faire correspondre ses intentions et son propos.

Il s'agit de continuer à rendre hommage aux sources de la mythologie super-héroïque et à sa descendance tout en la confrontant au principe incarné par Planetary, qui est une série proposant un commentaire précis et critique sur cette forme de bande dessinée.
Dans cette rencontre avec Batman (ou plutôt plusieurs Batmen), on saisit parfaitement le sens de la leçon : celle d'un fan érudit du personnage qui a réfléchi à la raison pour laquelle un personnage comme celui-ci a survécu aux modes en se réinventant progressivement grâce à des auteurs inspirés.
Cette approche ressemble aux travaux fictionnels menés par des scénaristes dotés de la même ambition qu'Ellis, tels qu'Alan Moore, Neil Gaiman, Grant Morrison ou Kurt Busiek (tous de véritables encyclopédies vivantes des comics en même temps que des écrivains ayant un point de vue très personnel sur leur évolution, à laquelle ils ont d'ailleurs activement participé soit par le biais de productions mainstream, soit avec des récits indépendants).

Ce recueil n'apporte pas d'éléments décisifs sur les secrets d'Elijah Snow et de son entreprise, mais constituent un appendice qui pour inégal demeure divertissant à la série Planetary.

Critique 117 : PLANETARY, VOLUME 3 - LEAVING THE 20TH CENTURY, de Warren Ellis et John Cassaday


PLANETARY : LEAVING THE 20TH CENTURY rassemble les épisodes 13 à 18 de la série créée et écrite par Warren Ellis et dessinée par John Cassaday, publiés entre 2001, 2003 et 2004 par DC Comics dans la collection Wildstorm.
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En 1919, en Allemagne, Elijah Snow a visité le château en ruines du Dr Frankenstein pour y récupérer la carte secrète du monde afin de la confier aux archives de l'organisation Planetary qu'il a fondée et financée. Il se déplace ensuite à Londres pour y faire la connaissance de Sherlock Holmes en compagnie de Dracula, afin d'y parfaire sa formation de détective.
En 1995, Elijah Snow est sur la piste d'une canne magique qui permettrait d'accéder à un marteau dans une cache d'armes inter-dimensionnel appartenant à ses rivaux, les Quatre.
De nos jours, Elijah Snow et Jakita Wagner se rendent chez la veuve de leur défunt ami Ambrose Chase avant d'assister à une impressionnante scène d'esprits primordiaux en Australie. Puis toute l'équipe défie la bande des Quatre en infiltrant une de leurs bases, mais c'est un échec cuisant qui aboutira à la capture de Snow et son lavage de cerveau.
Plus tard, ayant recouvré tous ses moyens, engagé dans une riposte plus musclée contre les Quatre, Elijah Snow veut sceller une alliance avec la descendante des Hark au Japon. 
En 1933, Elijah Snow découvre la citée cachée d'Opak-Ré où il a une liaison avec une indigène, la mère de Jakita Wagner qu'il recueillera ensuite.
Enfin, à nouveau de nos jours, le trio de Planetary (Elijah Snow, Jakita Wagner et The Drummer) récupèrent une capsule spatiale échouée après son lancement en 1851, l'occasion aussi de capturer un des Quatre.

Avec ce troisième et avant-dernier volume (si l'on met de côté le hors-série Crossing Worlds), la série atteint de nouveaux sommets narratifs et visuels et ses auteurs, Warren Ellis et John Cassaday, aussi dans l'expression de leurs talents respectifs mais si bien conjugués. Certes, c'est au prix d'épisodes livrés en de plus en plus de retards (à cause de problèmes de santé du scénariste et d'engagements pris ailleurs par le dessinateur, qui ne tient de toute façon plus la cadence mensuelle), mais quel résultat !

Chaque chapitre ici est construit sur une narration écrite et visuelle comme peu de comics en sont capables : on y trouve de nombreuses pages d'action sans texte, et des séquences en bandes dessinées traditionnelles.

Mais l'originalité est telle que ça ne ressemble à rien de connu, chaque nouvelle étape est différente de celle qui la précède et de celle qui la suit, on ne peut pas être plus dépaysé. Derrière cette liberté, on reconnaît quand même un ouvrage savamment agencé, d'une solidité imparable : Warren Ellis peut ainsi se permettre d'évoquer encore des figures connus appartenant au folklore super-héroïque ou littéraire tout en les interprétant à sa manière, en toute cohérence.

Ainsi passe-t-on d'une rencontre avec Sherlock Holmes et Dracula à un avatar de Tarzan et à une citation de Mjolnir, le marteau du dieu Thor. Il y a aussi un hommage au films d'action asiatique (Tigre et dragon de Zhang Yimou) lors d'un combat d'une exceptionnelle et intense beauté, une lecture des mythes de la création dans la culture aborigène (là encore, on est subjugué) et un clin d'oeil au Gun Club créé par Jules Verne dans le diptyque De la terre à la lune-Autour de la lune.

Ce bouillon de culture et de divertissement est un régal pour l'esprit et les yeux, mais Warren Ellis ne néglige pas la progression de son intrigue principale en entretenant une tension croissante à mesure que les affrontements entre Planetary et les Quatre se précisent et se précipitent. Cette partie mixe avec une efficacité redoutable l'action spectaculaire et l'aspect conspirationniste alimenté depuis le début, qui apparaît désormais à la surface du récit. L'attitude nettement plus pro-active de Elijah Snow en est la manifestation la plus frappante (même si on devine qu'en parlant à nouveau du cas Ambrose Chase, le dénouement du conflit avec les Quatre ne sera pas la seule finalité de la série).

Les illustrations comportent deux volets distincts :

- D'une part, John Cassaday consacre des pages, souvent pleines et sublimes (avec le renfort d'une colorisation renversante de Laura Martin), aux scènes d'action et c'est un enchantement.

- De l'autre, l'artiste dessine les scènes intermédiaires, dialoguées, de façon beaucoup plus sage, classique, en se concentrant sur des visages en gros plans dans des vignettes pouvant occuper toute la largeur d'une bande et des décors minimalistes. Ce parti-pris est déroutant mais judicieux par l'effet de contraste saisissant qu'il produit - et Cassaday a l'intelligence de ne pas en abuser.

Bâtie avec une maîtrise et une originalité toujours constante, et soutenue par un graphisme d'une qualité esthétique exceptionnelle, Planetary emmène le lecteur vers des cîmes comme les comics en offrent peu, avec son lot de révélations à la fois attendues et imprévisibles et de morceaux de bravoure visuelle. Le dénouement approche, et il est impossible de ne pas l'attendre avec fébrilité.

Critique 116 : PLANETARY, VOLUME 2 - THE FOURTH MAN,de Warren Ellis et John Cassaday


PLANETARY : THE FOURTH MAN rassemble les épisodes 7 à 12 de la série créée et écrite par Warren Ellis et dessinée par John Cassaday, publiés en 2000-2001 par DC Comics dans la collection Wildstorm.
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L'équipe de l'organisation Planetary vient en aide à un détective spécialisé dans le paranormal (comme John Constantine, le héros de Hellblazer) qui a dû simuler sa mort pour les besoins d'une enquête. Puis Elijah Snow, Jakita Wagner et The Drummer répondent à l'appel d'Allison, une femme morte et dont le fantôme hante une base scientifique désaffectée dans le Nevada, où ont été effectuées des expériences sur des cobayes humains.
Par le passé, un autre membre de l'équipe a trouvé la mort en mission : c'était le prédécesseur d'Elijah Snow, un certain Ambrose Chase. 
Snow retrouve dans un laboratoire une paire de bracelets ayant appartenu à des amazones (référence à Wonder Woman), puis une arme en forme de lanterne (comme celle de Green Lantern) et une cape au tissu indestructible (évocation de celle de Superman)
Toutes ces investigations finissent par révéler à Snow qui il est vraiment en lui permettant de recouvrir la mémoire : il découvre alors qui est le fameux "quatrième homme" autour de qui plane bien des mystères en relation avec Planetary.

Warren Ellis continue d'explorer l'histoire des comics en jouant sur deux plans narratifs : d'abord grâce à une suite d'enquêtes étranges et palpitantes, puis avec un commentaire subtil et immersif sur la bande dessinée et la pop-culture américaines. 

De prime abord, les aventures de l'équipe de Planetary se suivent mais sans se ressembler, exotiques, étonnantes, sans lien apparent, avec un protagoniste (Elijah Snow) souvent à la ramasse, comme dépassé par ce à quoi il est confronté (tout comme le lecteur). 
Mais à partir du cinquième épisode de ce recueil (le 12ème de la série), un retournement de situation s'opère et altère profondément la lecture des événements lorsque Snow reprend le dessus sur ses acolytes, Jakita Wagner et The Drummer, en découvrant ce qui soude tous les éléments de leurs enquêtes depuis le début. 
Warren Ellis réussit ce twist magistralement et entraîne alors toute la série dans une nouvelle direction, sur fond de conspirationnisme et de fantastique.

Au second plan, le scénariste manipule des références précises pour mieux les détourner et en livrer sa version, ce qui donne à sa saga une perspective inédite. Warren Ellis montre comment les auteurs anglais qui ont investi les comics dans les années 80 les ont profondément et durablement métamorphosés, accélérant leur passage à l'âge adulte et affectant aussi la manière dont les fans ont appréhendé cette littérature. 
L'interprétation qu'il donne d'icônes populaires telles que Superman, Wonder Woman et Green Lantern permet d'apprécier à quel point il s'agit de créations fantaisistes tout en expliquant ce qui en fait des productions nobles et populaires, après avoir adressé un hommage appuyé aux épisodes de Hellblazer par Jamie Delano et Swamp Thing par Alan Moore.

Pour mettre en images ce mix de comic-book premier degré et méta-textuel, John Cassaday a choisi de privilégier de splendides illustrations à l'art séquentiel classique. C'est une option cohérente avec celle de son scénariste en cela qu'elle invite à donner également toute la place nécessaire pour de nouvelles versions, esthétiques, atmosphériques, de figures reconnaissables.

Par ailleurs, Cassaday réussit à donner corps aux concepts les plus délirants de l'histoire et le soin qu'il apporte à chaque plan, chaque planche, avec une magnifique colorisation (signée par Laura Depuy Martin et David Baron) force le respect et suscite l'émerveillement, que ce soit pour représenter un pentagramme enflammé, des insectes mutants géants, des races extraterrestres, des planètes lointaines, des vaisseaux mythiques et des personnages célèbres. 
Cassaday assume pleinement l'influence de Jim Steranko et de ses épisodes de Nick Fury, agent of SHIELD.

Après avoir terminé le volume un, le lecteur avait l'impression claire et nette qu'une oeuvre conséquente était en développement avec cette série. Ce nouveau tome confirme ce sentiment : chacune des six histoires fonctionne toujours aussi bien individuellement, mais en fin de compte elles forment une vaste tapisserie qui relate l'Histoire secrète du monde, creusent encore plus le passé de ses protagonistes (en premier lieu, celui d'Elijah Snow au sujet duquel on va découvrir des informations déterminantes), exploitent le filon conspirationniste qui donne une partie de sa saveur si particulière au projet. Bref, c'est déjà assurèment une oeuvre majeure qui se construit.

Au-delà même de la superbe qualité littéraire de ces histoires - surpassant en inventivité celles du précédent recueil - c'est précisèment cette idée que la série ne va cesser de surprendre et de dévoiler progressivement ses merveilles et ses étrangetés qui maintient l'intérêt du lecteur - et le fait même croître.

Critique 115 : PLANETARY, VOLUME 1 - ALL OVER THE WORLD AND OTHER STORIES, de Warren Ellis et John Cassaday


PLANETARY : ALL OVER THE WORLD AND OTHER STORIES rassemble les 6 premiers épisodes et le prologue de la série, créée et écrite par Warren Ellis et dessinée par John Cassaday, publiés en 1998-1999 par DC Comics dans la collection Wildstorm.
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Commençons par planter le décor et présenter les acteurs.
Qui en sont les héros ?

- Jakita Wagner est l'archétype de la "femme forte", aussi bien par le caractère que par les capacités physiques. C'est la meneuse affichée de l'équipe, comme en témoigne sa langue bien pendue (elle évoque en cela Jenny Sparks, la chef d'Authority).
- The Drummer (Le Batteur) est un mélange de geek, de hippie et de fan de rock, dont le pouvoir lui permet de communiquer avec les machines (on notera que physiquement John Cassaday, le dessinateur de la série, lui a donné son visage).
- Elijah Snow est recruté au début de la série. Comme son nom le suggère, il a un pouvoir thermique. Toujours vêtu de blanc, il est comme Jenny Sparks d'Authority né le 1er janvier 1900. Personnage mystérieux et ambigu, il prendra une importance croissante dans l'orientation de Planetary (Cassaday a révélé s'être inspiré d'Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese, pour son apparence).
- Ambrose Chase, capable de manipuler des champs de force, a été tué en mission - ce qui explique l'engagement de Snow.
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Au coeur d'un désert, Jakita Wagner rencontre le seul client d'une roulotte métallique faisant office de bistrot, Elijah Snow, pour qu'il rejoigne une mystérieuse organisation appelée Planetary, moyennant un salaire annuel d'un million de dollars. 
Après avoir accepté cette offre, Snow fait la connaissance du Drummer, acolyte de Jakita, capable de communiquer avec les machines. Ils se rendent tous les trois sur différents théâtres de phénomènes extraordinaires. 
C'est ainsi qu'ils retrouvent le Dr Axel Brass (avatar de Doc Savage), explorent une île où gisent les cadavres de monstres, croisent la route du fantôme d'un policier honk-kongais, découvrent l'épave d'un vaisseau inter-dimensionnel, et enquêtent sur quatre astronautes disparus et mais apparemment toujours actifs depuis un accident cosmique (référence explicite aux Fantastic Four) qui se posent depuis comme les concurrents de Planetary pour la possession des secrets du monde.

L'idée centrale de la série créée par Warren Ellis était de constituer son propre univers mais basé sur des archétypes de super-héros, de justiciers de pulp-fiction et de science-fiction, et de personnages issus de toutes les formes possibles de la culture de masse, évoluant dans un monde où l'équipe de Planetary enquête sur eux et tous sont en définitive liés. La proposition initiale du scénariste tenait en ces mots : "A quoi ressemblerait l'aboutissement d'un siècle d'histoire de super-héros dans le monde contemporain du Wildstorm Universe? Et si on pouvait rénover tout cela ?"

Les quatre citations aux Eisner Award pour Planetary consacrent la réussite de sa collaboration avec l'artiste John Cassaday, crédité comme véritable co-créateur de la série.

Ce premier recueil, justement intitulé en v.f. Tout autour du monde et autres histoires, car on y voyage beaucoup dans l'espace, le temps et qu'on y découvre une grande variété de récits, comporte six chapitres tout à fait représentatifs de cette production mais, plus important encore, fournit un aperçu consistant des merveilleux mondes conçus par Ellis et Cassaday.

Dans ces six premiers épisodes, nous avons en effet droit à un retour sur la conquête spatiale entre russes et américains en passant par une relecture des films de monstres façon Godzilla (avec le deuxième volet), de fantômes de flics vengeurs (troisième volet), de justiciers du golden age (premier et cinquième volets, où le personnage du Dr Axel Brass est une citation de Doc Savage, qui va hanter durablement la série) et d'un clin d'oeil à Hulk (dans le prologue Printemps Nucléaire...) et Captain Marvel (la mésaventure de Jim Wilder dans Havres étranges)... 

Ces récits fonctionnent parfaitement individuellement mais, au bout du compte, forment la trame subtile d'une mythologie débutante et palpitante. C'est cela qui est le plus excitant avec Planetary. Chaque histoire est pleine d'imagination et jubilatoire, mais elles servent toutes à la composition d'un ensorcelant puzzle. Pièce après pièce, nous devinons qu'une entreprise plus vaste est en marche. 

John Cassaday illustre chacun des six épisodes ainsi que le prélude de 8 pages. Ses personnages possèdent tous une forte présence visuelle, avec des attitudes, des expressions naturelles. Cette sobriété facilite l'immersion du lecteur dans un récit complexe et fantaisiste. 

L'artiste parvient à donner une esthétique immédiatement mémorable à tous les concepts de l'histoire, même les plus extravagants (comme ce flocon de neige figurant un espace multi-dimensionnel). La conception graphique de la série contribue à lui conférer une grande puissance et même une authentique poésie. Cela compense l'impression que les planches paraissent parfois un peu statiques, même si certaines séquences (comme les fusillades dans un Hong Kong aux rues désertes) sont formidablement dynamiques.

Auteur fécond mais parfois expéditif et frustrant, Warren Ellis s'est, pour Planetary, donner le temps de développer ses idées : il s'agit à l'évidence d'un projet longuement mûri et méticuleusement écrit dès le premier épisode. Les trois héros vont de découvertes en découvertes, toutes plus surprenantes et magiques les unes que les autres. Lorsqu'ils agissent, ils se servent de leurs capacités merveilleuses avec mesure mais efficacité, aucun de leurs combats ne prend beaucoup de place mais est traité avec le maximum d'intensité, la narration va à l'essentiel.

Le plaisir de la lecture est augmenté par une intrigue complexe et jubilatoire, invitant à un voyage au long cours durant lequel Warren Ellis s'amuse visiblement à donner sa version de grands mythes fondateurs des comics de super-héros et de la pop-culture en général, avec des protagonistes aux caractères bien trempés comme il sait si bien les écrire. La démarche évoque celle d'Alan Moore avec The League of Extraordinary Gentlemen où il s'agit d'assimiler dans un univers original des personnages inspirés ou directement issus de diverses sources littéraires, la différence étant que Moore puise dans les textes du XVIIIème-XIXème siècle alors qu'Ellis est un contemporain et un futuriste.

Cette saga est exigeante, réclamant de la patience mais promettant en contrepartie un trip exaltant comme en attestent des indices parcimonieusement semés dans ces premiers chapitres. Soutenue par une imagerie exceptionnellement belle et inventive, cette aventure d'archéologues très spéciaux produit un émerveillement puissant et durable, qui rend ses lecteurs impatients de découvrir, comme les héros, la suite.  

lundi 16 novembre 2009

Critique 114 : CLANDESTINE CLASSIC, d'Alan Davis


The ClanDestine (aussi intitulé ClanDestine) est une série ayant pour héros les Destines, une famille très ancienne et secrète de super-humains. Publiée par Marvel Comics, elle a été créée, écrite et dessinée par Alan Davis, et est apparue pour la première fois dans le n° 158 de "Marvel Comics presents" en Juillet 1994.

Alan Davis aime le genre super-héroïque en général, et les séries mettant en scène des groupes de héros en particulier. La création de The Clandestine fut motivée par l'opportunité d'animer un groupe de personnages originaux, dégagé des problèmes inhérents à une continuité longue et complexe, même s'il s'inscrit dans l'univers Marvel - ce qui lui permit d'utiliser comme figurants le Surfeur d'argent ou MODOK.
Mais conscient que le nombre de pouvoirs et de concepts originaux étaient rares, Davis observa que la meilleure opportunité d'inventer des personnages et des situations intéressantes était de se concentrer sur la caractérisation de ses héros et leurs relations.
Davis choisit donc de faire de son équipe de héros une famille car cette configuration imposait des attitudes à ses membres et offrait un large éventail de possibilités dramatiques.
Davis était aussi intéressé par le fait que les super-humains pouvaient utiliser leurs capacités pour améliorer leur propre existence et pas uniquement pour accomplir des actes héroïques ou maléfiques.
Même si les Destines forment une grande famille, l'essentiel du groupe compte Rory, Pandora, Samantha, Walter, Kay et Dominic. Prenons un instant pour les présenter plus précisèment :

- Adam est le père. Né en 1168, il parait n'avoir que 35 ans, il est invulnérable, et a disparu de la circulation depuis 15 ans au début du récit.
- Rory a 12 ans, et possède des dons télékinésiques.
- Pandora est la soeur jumelle de Rory, et peut lancer des rafales d'énergie pure.
- Samantha peut générer du métal pour se créer une armure ou des objets (offensifs - comme des épées - ou autres - comme des ailes).
- Dominic a des sens super-développés.
- Albert est un moine bouddhiste paraissant 80 ans et peut soigner les blessures (même mortelles).
- Kay est l'ainée. Surnommée "Kuckoo"("Coucou"), elle peut transférer son esprit dans d'autres corps et détient des capacités télépathiques.
- Newton a une intelligence supérieure et réside sur une autre planète.
- Walter se transforme en un monstre bleu à la force surhumaine.
- William allie force, agilité et endurance à un niveau exceptionnel.
- Gracie est née en 1503, mais ne semble être âgée que de 60 ans, et est à la fois télépathe et télékinésiste.
Dans le premier épisode, deux membres de la famille, Florence et Maurice, trouvent la mort. Et lors d'une ballade avec Rory et Pandora, Adam leur montre, dans la propriété familiale, les tombes de Sherlock, Garth, Vance et Vincent.
*
Chronologiquement, l'histoire débute avec Adam de Ravenscroft, né dans le village du même nom au coeur de l'Angleterre, lors de l'été 1168, quand le pays était sous le joug des conquérants Normands (descendants des Vikings).
La jeunesse d'Adam se déroule dans le milieu paysan et il grandit sans nourrir d'ambitions particulières. Mais à 16 ans, il s'empale accidentellement sur une faux. Il se rétablit pourtant miraculeusement, après avoir fait un rêve étrange où il rencontrait une créature féminine inhumaine. Il est alors rebaptisé Adam Destine par les habitants du coin qui lui prédisent un avenir glorieux.
En 1189, Adam rejoint les rangs de la troisième croisade. Durant les batailles auxquelles il est mêlé, il n'est jamais blessé et croit qu'il est protégé par l' "ange" qu'il a rencontré dans son rêve.
En 1191, il est devenu un vétéran des campagnes d'Acre, Arsuf et Jaffa. Il devient alors trop confiant, risque-tout, jusqu'à ce qu'il soit capturé par le seigneur de guerre Al Kadhdhaab. Ce dernier a besoin de l'aide d'Adam pour vaincre le mage Sujanaa Min Raghbah, qui possède une gemme géante aux pouvoirs magiques. En songe, Sujanaa a vu qu'Adam serait son assassin et Kadhdhaab en est également convaincu. Adam se rend jusqu'au palais de Sujanaa mais celui-ci le capture. Le mage prétend que sa gemme ne permettra pas qu'il fasse du mal à Adam et celui-ci en profite : il persuade Sujanaa qu'il a été piégé par son propre désir de pouvoir. Pris d'un doute, le mage relâche son emprise sur Adam qui le tue.
Adam sent alors que quelque chose de vivant se trouve dans la gemme et tente de le libérer mais Kadhdhaab le frappe par derrière et tente de s'accaparer le pouvoir du cocon pour lui seul. Adam, comprenant qu'il a été trahi, emploie ses dernières forces à l'en empêcher. Elalyth apparaît alors, c'est la créature qu'avait rencontrée en rêve Adam , un Djinn, et détruit Kadhdhaab. Puis elle rend la vie à Adam, mieux elle en fait un immortel, invulnérable, puis ils s'étreignent langoureusement comme deux amants.
Au fil des siècles, Adam et Elalyth donnent naissance à plusieurs enfants qui, chacun, héritent de pouvoirs surhumains et d'une longévité supérieure à la normale.
A mesure que la civilisation progresse et que la technologie s'améliore, il devient plus compliqué pour les membres de la famille de disparaître ou de passer poour leurs propres descendants, un des fils d'Adam, Newton, met au point le "Relative Stranger Protocol", qui permet de créer de nouvelles identités pour chacun d'entre eux et leur permet de garder le secret sur leur nature intact.
Au XXième siècle, après que son fils Vincent ait détruit le manoir familial, Adam le tue, pressentant qu'il deviendra le "mal". Mais ce drame provoque l'éclatement du clan.
Dominic, qui considère le geste d'Adam impardonnable, devient un ermite et s'isole sur une petite île, loin de tout.
Elalyth retourne dans son foyer mystique d'Yden, et Adam, qui voit dans son infanticide la trahison envers son amour, quitte la Terre pour voyager dans l'espace grâce à un véhicule conçu par Newton.
Les derniers nés de la lignée, les jumeaux Rory et Pandora, sont confiés à Walter, qui leur fait croire qu'il est leur oncle, et à Florence, qui se fait passer pour leur grand-mère.
Les pouvoirs de Rory et Pandora se manifestent plus tôt que ceux de leurs frères et soeurs parce qu'ils sont jumeaux, et lorsqu'ils s'éloignent l'un de l'autre ils faiblissent. Les deux enfants, croyant qu'ils sont des mutants, décident alors de devenir des super-héros et combattent le crime sous les noms et costumes du Crimson Crusader et Imp.
Un soir, ils rencontrent ainsi deux groupes, d'un côté une créature nommée Lenz et ses "enfants", et de l'autre le Dr. Hywel Griffin et ses Omegans, se disputant pour mettre la main sur un certain Gryphon. Ne sachant quel parti prendre, Rory et Pandora s'emparent du Gryphon et prennent la fuite avec le projet de restituer ce qu'ils ont pris à son propriétaire véritable.
Le Gryphon est en fait un dispositif, signifiant "Genetic Realignment Yield Polarity Harmonizing Orientation Net", et permettant de remodeler génétiquement un organisme développé, quel que soit son âge ou sa composition génétique. Lenz, qui est un scientifique humain transformé en monstre par l'organisation
A.I.M., espère utiliser le Gryphon pour stabiliser ses "enfants" qui meurent habituellement quelques jours après leur naissance. Griffin est un albinos qui compte se guérir avec ce même dispositif. Les deux adversaires vont traquer les jumeaux Destine pour récupérer le Gryphon.
Lorsqu'elle s'est enfuie avec Rory, Pandora a perdu la cape de son costume qui avait été fabriqué et signé par sa soeur, Kay Cera. Lenz envoie ses enfants tuer Kay et trouve ainsi l'histoire du Clan Destine dans son carnet de notes.
Kay survit en transférant son esprit dans un chat tandis que les créatures de Lenz agressent les autres membres de la famille Destine, supprimant Florence et Maurice.
Les autres membres du Clan s'unissent et vont chercher à venger les leurs en faisant payer Griffin, qu'ils jugent responsables des morts de Flo et Maurice. Lenz apparait alors et kidnappe Rory, mais ils sont tous sauvés grâce à Adam, qui a senti la mort de ses enfants et a regagné la Terre (avec l'aide du Surfeur d'Argent). Une fois qu'il a vaincu Lenz, Adam le laisse quand même partir car il ne le considère pas comme vraiment malfaisant mais juste comme quelqu'un essayant de sauver ceux de son espèce.
Lorsque les Destines reviennent chez eux, Adam accepte de laisser les jumeaux aux bons soins de Walter, estimant qu'il a failli à son rôle de père en quittant la Terre onze ans auparavant.
Walter veut que les deux enfants retournent à l'école et mènent une existence normale, menaçant, s'ils persistent dans leur carrière de justiciers, de les séparer.
Rory et Pandora fuguent alors et atterrissent, après une traversée de l'Atlantique mouvementée, à New York pour y devenir super-héros à plein temps, comme leurs idôles (les Vengeurs ou les X-Men). Mais ils croisent la route de Spider-Man qui les convainc de rentrer chez eux, après leur avoir démontré qu'ils échoueraient dans leur projet.
Après le retour des jumeaux, Dominic et Adam persuadent Walter de laisser Rory et Pandora poursuivre leurs "patrouilles contre le crime" en les chaperonnant.
*
Ces huit premiers épisodes (plus une brêve preview) sont un pur régal et suggèrent qu'Alan Davis avait conçu sa série comme un projet à long terme, que la débâcle de Marvel UK a mis à mal. C'est vraiment dommage, même si depuis l'auteur a ranimé ses héros pour une deuxième "saison" (Blood relative) - hélas ! sanctionnée par un échec public sans appel.
Ce qui frappe sans doute le plus à la lecture de ces chapitres est l'espèce d'émerveillement communicatif qui caractérise cette BD, son scénariste-dessinateur et ses lecteurs : Davis est totalement à l'opposé du "grim'n'gritty", du réalisme. Clandestine est porté par un vrai souffle, une légèreté, un dynamisme qui sont irrésistibles. On est pris dans un véritable tourbillon, à la fois fantaisite et dramatique, coloré et palpitant, dont l'artiste semble avoir le secret.
Pas un temps mort et une formidable inventivité : en convoquant des éléments historiques, mythologiques, féériques, c'est un pur récit d'aventures qui nous fait (presque) oublier ses atours super-héroïques. Les héros de Davis sont des monstres aimables dont l'apparence atypique ne les rend pourtant pas inquiétant, et dont les rapports sont à la fois énergiques (ils passent en vérité leur temps à se disputer, pour des motifs tantôt futiles, tantôt tragiques) et d'une grande richesse (la manière dont est suggéré le drame sur la mort de Vincent, le fils maudit ; le fait d'avoir camouflé aux jumeaux la réalité de la fraternité Destine ; le détachement d'Adam dû à son immortalité ; le peu de scrupules de Kay ; la vigilance excessive de Walter, etc.).
Tout cela produit un effet de relief qui nous rend ces super-héros malgré eux très attachants : le fait même qu'il n'y ait que 8 épisodes confère une densité rare au récit où l'aspect relationnel est enchaîné au flux de l'action, ne laissant aucun répit au lecteur tout en lui donnant de quoi "manger". Malgré le côté diablement entraînant de l'aventure, chacun des personnages possède une ambiguïté, une humanité, qui nous fait autant vibrer que les dangers qu'ils affrontent.
Tant et si bien que lorsque les jumeaux atterrissent à New York (ou, plus brièvement auparavant, lorsqu'Adam croise le Surfeur d'Argent ou que Modok apparaît), ce rattachement à l'univers Marvel classique est presque plus déroutant que la présentation et la réunion des Destine : l'arrivée de figures familières comme Spider-Man dans l'histoire donne davantage l'impression que Marvel s'invite dans le "Davisverse" que le contraire - un comble !... Mais aussi le signe que l'univers de l'auteur a une sensibilité, une identité suffisamment forte pour tenir le choc avec celui de son éditeur !
Brillamment écrit, c'est aussi une succession d'épisodes formidablement dessinés, dans ce style à la fois puissant, souple et élégant qui distingue Davis : ses découpages explosifs, l'expressivité de ses personnages, l'imagination constante dont il fait preuve est à la fois un régal de lecture et une leçon de storytelling.
Il se dégage de ces pages quelque chose de galvanisant, de joyeux, d'aérien, que l'encrage de Mark Farmer souligne avec une maestria bluffante : c'est le partenaire idéal de Davis, celui dont la contribution est la plus appropriée à son travail, qui respecte le mieux son trait tout en l'embellissant parfaitement.
Le seul bémol que j'émettrai concerne la colorisation de Patricia Mulvihill qui est à la fois assez fade et parfois franchement approximative (ainsi le personnage de Kay a la peau alternativement blanche puis plus mate, alors qu'il semble qu'elle soit plutôt d'origine africaine). On est loin des palettes plus nuancées dont peuvent aujourd'hui bénéficier les artistes, et que mériterait de telles planches - il suffit pour s'en convaincre de comparer avec la manière dont Paul Mounts a mis en couleurs la couverture de ce volume.
Mais ce détail mis à part, il n'y a rien à reprocher à cette production rafraîchissante et confectionnée par un virtuose, à son meilleur puisqu'il anime les créatures de son invention, en toute liberté.
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L'ouvrage sera déjà conséquent mais ce hardcover propose encore un complèment substantiel au programme avec un crossover de deux fois 48 pages, mettant en scène le Clan et les X-Men.
X-Men and The ClanDestine est une mini-série en deux épisodes, publiée en 1996.

On y assiste à la première apparition d'une autre membre de la famille, Gracie, qui, plusieurs années auparavant avec Kay, ont banni de la Terre le démon Synraith avec l'aide du jeune et inexpérimenté Charles Xavier, fondateur des X-Men.
Dans ce récit, Synraith resurgit et tente d'éliminer les trois humains à l'origine de son bannissement. Les X-Men et les Destines s'allient pour stopper une nouvelle fois le démon et sauver les membres de leur famille : Xavier, Colossus, Adam, Kay et Gracie sont prisonniers de l'endroit où Synraith se trouve tandis que les autres mutants, dont certains sont sous l'emprise du démon, affrontent les autres éléments du Clan, également perturbés par cet ennemi.
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Comme je le disais plus haut, l'univers de ClanDestine est tellement fort et vivant qu'il se suffit à lui-même. En y greffant des personnages du Marvelverse classique se produit un étrange décalage, comme si ces derniers n'y avaient pas vraiment leur place.
C'est, pour résumer, le problème principal de ce crossover où les mutants (à l'époque dans une formation qui est loin d'être aussi bonne que celle de la grande époque de Claremont-Cockrum-Byrne-Smith) et les Destine doivent lutter contre le même adversaire.
Or, cet adversaire appartient nettement plus à la veine de la série créée par Davis qu'à celle de Stan Lee puisqu'il s'agit d'un démon, une créature mystique comme celle à l'origine du Clan. Même si les X-men ont également eu des ennemis provenant du registre fantastico-magique, ça n'est pas aussi évident.
Du coup, l'originalité de Davis semble se diluer et ce dyptique, composé qui plus est de volets comptant le double de pages d'épisodes traditionnels, peine à passionner. La sauce ne prend pas, ou en tout cas pas suffisamment : alors que dans les huit premiers chapitres de ClanDestine, Rory et Pandora s'interrogeaient sur la possibilité qu'ils étaient des mutants, cette "parenté", dementie au cours de leurs premières aventures, n'est pas vraiment exploitée - tout juste suggérée lorsqu'on devine que Wolverine et Adam se sont déjà croisés par le passé. De même, en se retrouvant, Xavier, Kay et Gracie n'ont pas le temps de considérer cette situation - et Davis d'exploiter les trajectoires du télépathe et des deux soeurs - car ils sont immédiatement re-confrontés à Synraith dans un combat dont seul le dénouement a l'éclat des grandes batailles menées par le Clan ou les X-Men.
Néanmoins, malgré cette déception, le récit se lit sans ennui, ce qui prouve l'habileté de Davis qui, bien que peu inspiré, mène son affaire sans traîner. Mais bon, c'est clair qu'il nous a habitués à mieux...
En revanche, graphiquement, l'artiste continue à nous en mettre plein la vue : il "tient" bien tous ces personnages, le découpage est alerte, l'image vous saute littéralement à la figure avec cette énergie qui est la marque de ce grand dessinateur. On sent une jubilation manifeste dans les transformations de plus en plus terrifiantes de Walter, véritable attraction de cette histoire et "chouchou" évident d'Alan Davis depuis le début : il est vrai que le personnage est spectaculaire, aussi bien physiquement que psychologiquement.
L'encrage de Mark Farmer est toujours impeccable et les couleurs de Joe Rosas sont bien supérieures à celles de Mulvihill.
Même si ce croisement, prometteur, ne satisfait pas complètement, il confirme le talent de conteur et, surtout, d'imagier baroque qu'est Davis.
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Ne soyez donc pas hésitant devant ce volumineux pavé de plus de 300 pages : il se dévore avec gourmandise et offre deux divertissements par un maître du genre. Un investissement impossible à regretter (d'ailleurs on peut se le procurer pour un prix très raisonnable), dôté de quelques jolis bonus (sketches, couvertures originales, illustrations promotionnelles, et une postface rédigée avec une honorable humilité).