lundi 16 novembre 2009

Critique 114 : CLANDESTINE CLASSIC, d'Alan Davis


The ClanDestine (aussi intitulé ClanDestine) est une série ayant pour héros les Destines, une famille très ancienne et secrète de super-humains. Publiée par Marvel Comics, elle a été créée, écrite et dessinée par Alan Davis, et est apparue pour la première fois dans le n° 158 de "Marvel Comics presents" en Juillet 1994.

Alan Davis aime le genre super-héroïque en général, et les séries mettant en scène des groupes de héros en particulier. La création de The Clandestine fut motivée par l'opportunité d'animer un groupe de personnages originaux, dégagé des problèmes inhérents à une continuité longue et complexe, même s'il s'inscrit dans l'univers Marvel - ce qui lui permit d'utiliser comme figurants le Surfeur d'argent ou MODOK.
Mais conscient que le nombre de pouvoirs et de concepts originaux étaient rares, Davis observa que la meilleure opportunité d'inventer des personnages et des situations intéressantes était de se concentrer sur la caractérisation de ses héros et leurs relations.
Davis choisit donc de faire de son équipe de héros une famille car cette configuration imposait des attitudes à ses membres et offrait un large éventail de possibilités dramatiques.
Davis était aussi intéressé par le fait que les super-humains pouvaient utiliser leurs capacités pour améliorer leur propre existence et pas uniquement pour accomplir des actes héroïques ou maléfiques.
Même si les Destines forment une grande famille, l'essentiel du groupe compte Rory, Pandora, Samantha, Walter, Kay et Dominic. Prenons un instant pour les présenter plus précisèment :

- Adam est le père. Né en 1168, il parait n'avoir que 35 ans, il est invulnérable, et a disparu de la circulation depuis 15 ans au début du récit.
- Rory a 12 ans, et possède des dons télékinésiques.
- Pandora est la soeur jumelle de Rory, et peut lancer des rafales d'énergie pure.
- Samantha peut générer du métal pour se créer une armure ou des objets (offensifs - comme des épées - ou autres - comme des ailes).
- Dominic a des sens super-développés.
- Albert est un moine bouddhiste paraissant 80 ans et peut soigner les blessures (même mortelles).
- Kay est l'ainée. Surnommée "Kuckoo"("Coucou"), elle peut transférer son esprit dans d'autres corps et détient des capacités télépathiques.
- Newton a une intelligence supérieure et réside sur une autre planète.
- Walter se transforme en un monstre bleu à la force surhumaine.
- William allie force, agilité et endurance à un niveau exceptionnel.
- Gracie est née en 1503, mais ne semble être âgée que de 60 ans, et est à la fois télépathe et télékinésiste.
Dans le premier épisode, deux membres de la famille, Florence et Maurice, trouvent la mort. Et lors d'une ballade avec Rory et Pandora, Adam leur montre, dans la propriété familiale, les tombes de Sherlock, Garth, Vance et Vincent.
*
Chronologiquement, l'histoire débute avec Adam de Ravenscroft, né dans le village du même nom au coeur de l'Angleterre, lors de l'été 1168, quand le pays était sous le joug des conquérants Normands (descendants des Vikings).
La jeunesse d'Adam se déroule dans le milieu paysan et il grandit sans nourrir d'ambitions particulières. Mais à 16 ans, il s'empale accidentellement sur une faux. Il se rétablit pourtant miraculeusement, après avoir fait un rêve étrange où il rencontrait une créature féminine inhumaine. Il est alors rebaptisé Adam Destine par les habitants du coin qui lui prédisent un avenir glorieux.
En 1189, Adam rejoint les rangs de la troisième croisade. Durant les batailles auxquelles il est mêlé, il n'est jamais blessé et croit qu'il est protégé par l' "ange" qu'il a rencontré dans son rêve.
En 1191, il est devenu un vétéran des campagnes d'Acre, Arsuf et Jaffa. Il devient alors trop confiant, risque-tout, jusqu'à ce qu'il soit capturé par le seigneur de guerre Al Kadhdhaab. Ce dernier a besoin de l'aide d'Adam pour vaincre le mage Sujanaa Min Raghbah, qui possède une gemme géante aux pouvoirs magiques. En songe, Sujanaa a vu qu'Adam serait son assassin et Kadhdhaab en est également convaincu. Adam se rend jusqu'au palais de Sujanaa mais celui-ci le capture. Le mage prétend que sa gemme ne permettra pas qu'il fasse du mal à Adam et celui-ci en profite : il persuade Sujanaa qu'il a été piégé par son propre désir de pouvoir. Pris d'un doute, le mage relâche son emprise sur Adam qui le tue.
Adam sent alors que quelque chose de vivant se trouve dans la gemme et tente de le libérer mais Kadhdhaab le frappe par derrière et tente de s'accaparer le pouvoir du cocon pour lui seul. Adam, comprenant qu'il a été trahi, emploie ses dernières forces à l'en empêcher. Elalyth apparaît alors, c'est la créature qu'avait rencontrée en rêve Adam , un Djinn, et détruit Kadhdhaab. Puis elle rend la vie à Adam, mieux elle en fait un immortel, invulnérable, puis ils s'étreignent langoureusement comme deux amants.
Au fil des siècles, Adam et Elalyth donnent naissance à plusieurs enfants qui, chacun, héritent de pouvoirs surhumains et d'une longévité supérieure à la normale.
A mesure que la civilisation progresse et que la technologie s'améliore, il devient plus compliqué pour les membres de la famille de disparaître ou de passer poour leurs propres descendants, un des fils d'Adam, Newton, met au point le "Relative Stranger Protocol", qui permet de créer de nouvelles identités pour chacun d'entre eux et leur permet de garder le secret sur leur nature intact.
Au XXième siècle, après que son fils Vincent ait détruit le manoir familial, Adam le tue, pressentant qu'il deviendra le "mal". Mais ce drame provoque l'éclatement du clan.
Dominic, qui considère le geste d'Adam impardonnable, devient un ermite et s'isole sur une petite île, loin de tout.
Elalyth retourne dans son foyer mystique d'Yden, et Adam, qui voit dans son infanticide la trahison envers son amour, quitte la Terre pour voyager dans l'espace grâce à un véhicule conçu par Newton.
Les derniers nés de la lignée, les jumeaux Rory et Pandora, sont confiés à Walter, qui leur fait croire qu'il est leur oncle, et à Florence, qui se fait passer pour leur grand-mère.
Les pouvoirs de Rory et Pandora se manifestent plus tôt que ceux de leurs frères et soeurs parce qu'ils sont jumeaux, et lorsqu'ils s'éloignent l'un de l'autre ils faiblissent. Les deux enfants, croyant qu'ils sont des mutants, décident alors de devenir des super-héros et combattent le crime sous les noms et costumes du Crimson Crusader et Imp.
Un soir, ils rencontrent ainsi deux groupes, d'un côté une créature nommée Lenz et ses "enfants", et de l'autre le Dr. Hywel Griffin et ses Omegans, se disputant pour mettre la main sur un certain Gryphon. Ne sachant quel parti prendre, Rory et Pandora s'emparent du Gryphon et prennent la fuite avec le projet de restituer ce qu'ils ont pris à son propriétaire véritable.
Le Gryphon est en fait un dispositif, signifiant "Genetic Realignment Yield Polarity Harmonizing Orientation Net", et permettant de remodeler génétiquement un organisme développé, quel que soit son âge ou sa composition génétique. Lenz, qui est un scientifique humain transformé en monstre par l'organisation
A.I.M., espère utiliser le Gryphon pour stabiliser ses "enfants" qui meurent habituellement quelques jours après leur naissance. Griffin est un albinos qui compte se guérir avec ce même dispositif. Les deux adversaires vont traquer les jumeaux Destine pour récupérer le Gryphon.
Lorsqu'elle s'est enfuie avec Rory, Pandora a perdu la cape de son costume qui avait été fabriqué et signé par sa soeur, Kay Cera. Lenz envoie ses enfants tuer Kay et trouve ainsi l'histoire du Clan Destine dans son carnet de notes.
Kay survit en transférant son esprit dans un chat tandis que les créatures de Lenz agressent les autres membres de la famille Destine, supprimant Florence et Maurice.
Les autres membres du Clan s'unissent et vont chercher à venger les leurs en faisant payer Griffin, qu'ils jugent responsables des morts de Flo et Maurice. Lenz apparait alors et kidnappe Rory, mais ils sont tous sauvés grâce à Adam, qui a senti la mort de ses enfants et a regagné la Terre (avec l'aide du Surfeur d'Argent). Une fois qu'il a vaincu Lenz, Adam le laisse quand même partir car il ne le considère pas comme vraiment malfaisant mais juste comme quelqu'un essayant de sauver ceux de son espèce.
Lorsque les Destines reviennent chez eux, Adam accepte de laisser les jumeaux aux bons soins de Walter, estimant qu'il a failli à son rôle de père en quittant la Terre onze ans auparavant.
Walter veut que les deux enfants retournent à l'école et mènent une existence normale, menaçant, s'ils persistent dans leur carrière de justiciers, de les séparer.
Rory et Pandora fuguent alors et atterrissent, après une traversée de l'Atlantique mouvementée, à New York pour y devenir super-héros à plein temps, comme leurs idôles (les Vengeurs ou les X-Men). Mais ils croisent la route de Spider-Man qui les convainc de rentrer chez eux, après leur avoir démontré qu'ils échoueraient dans leur projet.
Après le retour des jumeaux, Dominic et Adam persuadent Walter de laisser Rory et Pandora poursuivre leurs "patrouilles contre le crime" en les chaperonnant.
*
Ces huit premiers épisodes (plus une brêve preview) sont un pur régal et suggèrent qu'Alan Davis avait conçu sa série comme un projet à long terme, que la débâcle de Marvel UK a mis à mal. C'est vraiment dommage, même si depuis l'auteur a ranimé ses héros pour une deuxième "saison" (Blood relative) - hélas ! sanctionnée par un échec public sans appel.
Ce qui frappe sans doute le plus à la lecture de ces chapitres est l'espèce d'émerveillement communicatif qui caractérise cette BD, son scénariste-dessinateur et ses lecteurs : Davis est totalement à l'opposé du "grim'n'gritty", du réalisme. Clandestine est porté par un vrai souffle, une légèreté, un dynamisme qui sont irrésistibles. On est pris dans un véritable tourbillon, à la fois fantaisite et dramatique, coloré et palpitant, dont l'artiste semble avoir le secret.
Pas un temps mort et une formidable inventivité : en convoquant des éléments historiques, mythologiques, féériques, c'est un pur récit d'aventures qui nous fait (presque) oublier ses atours super-héroïques. Les héros de Davis sont des monstres aimables dont l'apparence atypique ne les rend pourtant pas inquiétant, et dont les rapports sont à la fois énergiques (ils passent en vérité leur temps à se disputer, pour des motifs tantôt futiles, tantôt tragiques) et d'une grande richesse (la manière dont est suggéré le drame sur la mort de Vincent, le fils maudit ; le fait d'avoir camouflé aux jumeaux la réalité de la fraternité Destine ; le détachement d'Adam dû à son immortalité ; le peu de scrupules de Kay ; la vigilance excessive de Walter, etc.).
Tout cela produit un effet de relief qui nous rend ces super-héros malgré eux très attachants : le fait même qu'il n'y ait que 8 épisodes confère une densité rare au récit où l'aspect relationnel est enchaîné au flux de l'action, ne laissant aucun répit au lecteur tout en lui donnant de quoi "manger". Malgré le côté diablement entraînant de l'aventure, chacun des personnages possède une ambiguïté, une humanité, qui nous fait autant vibrer que les dangers qu'ils affrontent.
Tant et si bien que lorsque les jumeaux atterrissent à New York (ou, plus brièvement auparavant, lorsqu'Adam croise le Surfeur d'Argent ou que Modok apparaît), ce rattachement à l'univers Marvel classique est presque plus déroutant que la présentation et la réunion des Destine : l'arrivée de figures familières comme Spider-Man dans l'histoire donne davantage l'impression que Marvel s'invite dans le "Davisverse" que le contraire - un comble !... Mais aussi le signe que l'univers de l'auteur a une sensibilité, une identité suffisamment forte pour tenir le choc avec celui de son éditeur !
Brillamment écrit, c'est aussi une succession d'épisodes formidablement dessinés, dans ce style à la fois puissant, souple et élégant qui distingue Davis : ses découpages explosifs, l'expressivité de ses personnages, l'imagination constante dont il fait preuve est à la fois un régal de lecture et une leçon de storytelling.
Il se dégage de ces pages quelque chose de galvanisant, de joyeux, d'aérien, que l'encrage de Mark Farmer souligne avec une maestria bluffante : c'est le partenaire idéal de Davis, celui dont la contribution est la plus appropriée à son travail, qui respecte le mieux son trait tout en l'embellissant parfaitement.
Le seul bémol que j'émettrai concerne la colorisation de Patricia Mulvihill qui est à la fois assez fade et parfois franchement approximative (ainsi le personnage de Kay a la peau alternativement blanche puis plus mate, alors qu'il semble qu'elle soit plutôt d'origine africaine). On est loin des palettes plus nuancées dont peuvent aujourd'hui bénéficier les artistes, et que mériterait de telles planches - il suffit pour s'en convaincre de comparer avec la manière dont Paul Mounts a mis en couleurs la couverture de ce volume.
Mais ce détail mis à part, il n'y a rien à reprocher à cette production rafraîchissante et confectionnée par un virtuose, à son meilleur puisqu'il anime les créatures de son invention, en toute liberté.
*
L'ouvrage sera déjà conséquent mais ce hardcover propose encore un complèment substantiel au programme avec un crossover de deux fois 48 pages, mettant en scène le Clan et les X-Men.
X-Men and The ClanDestine est une mini-série en deux épisodes, publiée en 1996.

On y assiste à la première apparition d'une autre membre de la famille, Gracie, qui, plusieurs années auparavant avec Kay, ont banni de la Terre le démon Synraith avec l'aide du jeune et inexpérimenté Charles Xavier, fondateur des X-Men.
Dans ce récit, Synraith resurgit et tente d'éliminer les trois humains à l'origine de son bannissement. Les X-Men et les Destines s'allient pour stopper une nouvelle fois le démon et sauver les membres de leur famille : Xavier, Colossus, Adam, Kay et Gracie sont prisonniers de l'endroit où Synraith se trouve tandis que les autres mutants, dont certains sont sous l'emprise du démon, affrontent les autres éléments du Clan, également perturbés par cet ennemi.
*
Comme je le disais plus haut, l'univers de ClanDestine est tellement fort et vivant qu'il se suffit à lui-même. En y greffant des personnages du Marvelverse classique se produit un étrange décalage, comme si ces derniers n'y avaient pas vraiment leur place.
C'est, pour résumer, le problème principal de ce crossover où les mutants (à l'époque dans une formation qui est loin d'être aussi bonne que celle de la grande époque de Claremont-Cockrum-Byrne-Smith) et les Destine doivent lutter contre le même adversaire.
Or, cet adversaire appartient nettement plus à la veine de la série créée par Davis qu'à celle de Stan Lee puisqu'il s'agit d'un démon, une créature mystique comme celle à l'origine du Clan. Même si les X-men ont également eu des ennemis provenant du registre fantastico-magique, ça n'est pas aussi évident.
Du coup, l'originalité de Davis semble se diluer et ce dyptique, composé qui plus est de volets comptant le double de pages d'épisodes traditionnels, peine à passionner. La sauce ne prend pas, ou en tout cas pas suffisamment : alors que dans les huit premiers chapitres de ClanDestine, Rory et Pandora s'interrogeaient sur la possibilité qu'ils étaient des mutants, cette "parenté", dementie au cours de leurs premières aventures, n'est pas vraiment exploitée - tout juste suggérée lorsqu'on devine que Wolverine et Adam se sont déjà croisés par le passé. De même, en se retrouvant, Xavier, Kay et Gracie n'ont pas le temps de considérer cette situation - et Davis d'exploiter les trajectoires du télépathe et des deux soeurs - car ils sont immédiatement re-confrontés à Synraith dans un combat dont seul le dénouement a l'éclat des grandes batailles menées par le Clan ou les X-Men.
Néanmoins, malgré cette déception, le récit se lit sans ennui, ce qui prouve l'habileté de Davis qui, bien que peu inspiré, mène son affaire sans traîner. Mais bon, c'est clair qu'il nous a habitués à mieux...
En revanche, graphiquement, l'artiste continue à nous en mettre plein la vue : il "tient" bien tous ces personnages, le découpage est alerte, l'image vous saute littéralement à la figure avec cette énergie qui est la marque de ce grand dessinateur. On sent une jubilation manifeste dans les transformations de plus en plus terrifiantes de Walter, véritable attraction de cette histoire et "chouchou" évident d'Alan Davis depuis le début : il est vrai que le personnage est spectaculaire, aussi bien physiquement que psychologiquement.
L'encrage de Mark Farmer est toujours impeccable et les couleurs de Joe Rosas sont bien supérieures à celles de Mulvihill.
Même si ce croisement, prometteur, ne satisfait pas complètement, il confirme le talent de conteur et, surtout, d'imagier baroque qu'est Davis.
*
Ne soyez donc pas hésitant devant ce volumineux pavé de plus de 300 pages : il se dévore avec gourmandise et offre deux divertissements par un maître du genre. Un investissement impossible à regretter (d'ailleurs on peut se le procurer pour un prix très raisonnable), dôté de quelques jolis bonus (sketches, couvertures originales, illustrations promotionnelles, et une postface rédigée avec une honorable humilité).

Aucun commentaire: