lundi 31 mai 2021

STRANGE ADVENTURES #10, de Tom King, Mitch Gerads et Evan Shaner

 


"The end is nigh" ("la fin est proche") : les fans de Watchmen connaissent cette phrase (inscrite sur le panneau que porte Walter Kovacs/Rorschach), qui s'applique parfaitement à cet épisode, l'antépénultième, de Strange Adventures. Tom King s'apprête à boucler son intrigue et livre un chapitre qui semble révèler la vérité sur Adam Strange. Après, plus rien ne sera pareil... Evan Shaner et, surtout, Mitch Gerads illustrent ce numéro avec maestria.



Alanna Strange a reçu une lettre de Michael Holt/ Mister Terrific. Après avoir mûrement réfléchi à ce qu'il appris sur Adam Strange, il pense être en mesure d'en tirer des conclusions. Mais il doute qu'Alanna sache vraiment qui est son mari, même si elle s'exprime publiquement en son nom.


Premièrement, Mr. Terrific a relevé que les Pykkt n'ont jamais perdu une guerre. Comment alors expliquer qu'ils aient perdu la bataille de Rann ? Adam Strange a, semble-t-il, trouvé une parade. Pourtant l'ennemi l'a épargné après l'avoir capturé puis libéré. et rendu aux siens.


Deuxièmement, alors que les Pykkt ont donc été défaits sur Rann, ils sont arrivés à dominer les héros de la Terre, qui comptent parmi eux le meilleur stratège en la personne de Batman. C'est une prouesse qui interroge. A moins de la rattacher à la captivité et la libération d'Adam lors de la guerre de Rann.


Enfin, subsiste le mystère autour de la mort d'Aleea Strange, à laquelle Mr. Terrific n'a jamais cru. Si on la lie à la victoire des ranniens et la défaite des terriens, alors cela signifie que Adam a négocié avec les Pykkt qui, pour s'assurer sa collaboration, ont gardé sa fille...

Cet épisode, disons-le tout net, va diviser. Les fans de Adam Strange en voudront à Tom King d'accabler ainsi le personnage (même si son crédit était déjà bien entamé depuis qu'il avait avoué à Alanna être l'assassin de l'homme qui l'avait pris à parti lors d'une séance de dédicaces de son autobiographie). Les autres s'interrogeront sur ce qui restera à raconter pour le scénariste dans les deux derniers épisodes encore à paraître (le prochain n° sera prévisiblement consacré à une scène de ménage terrible entre les époux Strange, avant sans doute l'issue de la guerre entre les Pykkt et les terriens).

Quoiqu'il en soit, il convient de rappeler que les séries éditées sous le Black Label de DC Comics ne sont pas censées faire partie de la continuité. Donc cette histoire ne va pas entâcher tant que ça Adam Strange. Pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir que dans le run de Brian Michael Bendis sur Superman, Adam Strange apparaissait comme un héros intact, à qui le kryptonien ne reprochait rien en rapport avec les événements de Strange Adventures (sans parler du fait que le héros de Rann apparaissait dans un autre costume, celui qu'il portait déjà dans Justice League United durant les New 52).

Tout ça pour dire qu'il faut donc relativiser avant de crier au scandale. Mais il est certain désormais (sauf si les hypothèses et les conclusions de Mr. Terrific sont erronées) que Adam Strange dans cette mini-série n'a plus rien d'un héros, d'un brave. Et ça en dit long sur l'intention de Tom King qui, s'il n'a vraisemblablement rien spécialement rien contre son héros, paraît avoir voulu aborder un sujet qui dépasse de loin la fiction.

Avec Rorschach et Batman/Catwoman, Strange Adventures fait partie d'une "trilogie de la colère", comme l'a désignée Tom King. Ancien militaire et agent de la CIA au Proche-Orient, le scénariste est hanté par la guerre et ses conséquences. Dans Mister Miracle, il évoquait le stress post-traumatique. Dans Sheriff of Babylon, il brodait une intrigue sur les dommages collatéraux du conflit en Irak. Dans Rorschach, il parle des survivalistes dont certains sont des vétérans de l'armée et des conspirationnistes qui voient des ennemis partout. Dans Strange Adventures, il traite des crimes de guerre et de la notion même d'héroïsme, compatible ou pas avec le fait de guerroyer - autrement dit : peut-on faire la guerre noblement ?

La réponse apportée, via les déductions opérées par Mr. Terrific, est négative. Tom King use d'une narration très fournie, voire verbeuse (un peu plus de concision, moins de citations, n'auraient pas affaibli le récit, mais c'est une remarque qui vaut pour toute cette série, un peu trop longue globalement). A l'exception de quelques rares pages, l'épisode est essentiellement illustratif, avec un texte en voix-off (le texte de la lettre de Mr. Terrific) et des images pour l'accompagner; pas, ou quasiment pas de dialogues. On sent bien que parfois King s'écoute un peu sinon parler, du moins écrire, il est un peu enivré par sa prose, brillante, cultivée, mais aussi bavarde. Ce n'est pas forcément désagréable, mais mieux vaut être prévenu.

Ensuite, il y a la démonstration elle-même : le raisonnement de Mr. Terrific est brillant, implacable, terrible. Comme lui, nous doutions que Aleea Strange soit morte, et la théorié avancée ici est crédible, mais aussi glaçante. De même, l'analyse de la défaite rannienne des Pykkt puis de la victoire des mêmes Pykkt contre les terriens (même si le conflit n'est pas encore terminé, mais on sent que la situation est critique) est pertinente et abominable à la fois.

D'un point de vue graphique donc, l'épisode doit beaucoup à Mitch Gerads qui a la charge des passages avec Alanna. L'artiste domine son affaire et supplante la prestation de son collègue, Evan Shaner, qui doit dessiner des scènes de guerre désormais redondantes et sur lesquelles plane désormais le mensonge. Shaner s'acquitte de sa tâche avec élégance, comme toujours, mais il hérite de moments ingrats, sans vraiment avoir de quoi briller particulièrement, c'est une collection de vignettes qui ralentit l'ensemble, ne montre rien de nouveau, tout à fait dispensable. C'est cruel mais aussi évident. Cet épisode est trop long, et les pages de Shaner auraient pu sauter sans que cela ne porte préjudice au récit.

En revanche, donc, Gerads a le loisir de briller et ne s'en prive pas. Nous suivons Alanna dans des scènes banales contredites par le texte : la rannienne prend une douche, s'habille, se maquille, endosse son jetpack vole jusqu'à la Maison-Blanche, rencontre le Président des Etats-Unis, puis se déplace jusqu'à une base militaire, s'entretient avec un officier sur l'armement perfectionné par la technologie de son monde, pose avec des troufions, rentre à son hôtel, se démaquille, accueille Adam qui découvre la lettre de Mr. Terrific.

Toutes les pages de Gerads représentent une femme résolue, apparemment imperméable aux conclusions de Mr. Terrific, ayant ses entrées dans les plus hautes sphères de l'Etat américain et de l'armée, jouant de son charme naturel avec des soldats ravis. Puis finalement, le vernis craque, le miroir se brise (littéralement) et la dernière page laisse deviner un échange très orageux. Gerads impressionne par sa manière de pointer des détails savoureux, comme quand Alanna, jetpack au dos, s'envole en tenant ses talons aiguilles pour ne pas les perdre en route. Ou alors en saisissant son regard noir quand elle se démaquille au même moment où nous lisons la fin de la lettre de Mr. Terrific, en comprenant que Alanna admet la crédibilité de son raisonnement.

C'est brillant donc, visuellement (à double titre car Gerads use - et abuse même un peu - des effets de brillance, avec une dorure quasi-permanente, comme si un filtre était appliqué à l'image). King démolit méthodiquement, froidement, Adam Strange pour exprimer toute sa rage contre les sales guerres, gagnées sans dignité. 

vendredi 28 mai 2021

NEW MUTANTS #18, de Vita Ayala et Rod Reis


Pour ce dix-huitième épisode de New Mutants, on pouvait s'attendre à ce que la scénariste Vita Ayala boucle ses intrigues en cours puisque le mois prochain, la série sera impactée par le gala du Club des Damnés. Mais il n'en est rien et on continue donc à suivre deux histoires parallèles (l'une avec Karma, son frère et Mirage ; l'autre avec Scout, Felina et le Roi d'Ombre). Le résultat est toujours aussi fluide et captivant, réhaussé par les dessins de Rod Reis, qui quitte le titre à cette occasion.
 

Après avoir communiqué, grâce à Mirage, avec l'esprit de Tran, son frère décédé, Karma lui explique comment elle compte le faire revenir parmi les vivants. Mirage et Karma s'affrontent donc dans l'arène au cours de l'Epreuve.


Scout (Gabby Kinney) suit Anole, Rain Boy, Cosmar et No-Girl dans la forêt voisine et les interpèle au sujet des expériences d'échanges de corps qu'ils accomplissent avec le Roi d'Ombre. Mais en voulant les mettre en garde contre les intentions de ce dernier, elle subit leur courroux.


Felina l'entend et intervient. Elle entraîne Scout à l'écart en lui expliquant qu'elle s'y prend maladroitement. Mais surtout, si elle a des doutes au sujet du Roi d'Ombre, il faudrait commencer par en parler avec lui. Seule avec l'intéressé, Scout ne se démonte pas pour lui dire sa méfiance.
 

Pendant ce temps, Mirage blesse mortellement Karma dans l'arène. Au cours du combat, celle-ci a réfléchi aux conséquences du retour de son frère et n'est plus aussi sûre de vouloir le faire revenir. Elle le fait comprendre à Mirage avant de perdre connaissance.

Comme hier, dans ma critique de X-Men #20, commençons par le sujet qui fâche : le départ de Rod Reis. L'artiste signe en effet son dernier épisode, abrégeant sa prestation pourtant remarquable. J'ignore à l'heure qu'il est sur quelle série on va le retrouver mais j'espère en tout cas lire ses planches dans un avenir proche sur un projet intéressant. Les pistes ne manquent pas (peut-être retrouvera-t-il Hickman sur sa nouvelle série top secrète ?).

N'empêche, ça fait deux fois que Reis quitte New Mutants et c'est très frustrant car je trouve que son style, si particulier, influencé par Bill Sienkiewicz (artiste qui a tant apporté à la première époque du titre), convient merveilleusement à ces personnages et leurs aventures. Sa complicité avec Vita Ayala était épatante.

Cette fois encore, il réalise de pages superbes, où le traitement des couleurs contribue à poser une ambiance intense et unique. Qu'il s'agisse d'animer l'affrontement entre Karma et Mirage ou les interventions maladroites de Gabby Kinney avec les disciples du Roi d'Ombre, on a droit à des scènes frappantes, dont le découpage innove toujours. Reis croque parfaitement de jeunes héros aux prises avec des dilemmes très lourds pour leur âge sans sombrer dans le pathos. C'est vraiment dommage qu'il abandonne les fans et la série alors que j'espérai cette fois qu'il s'installerait durablement.

Ce qui est sûr, c'est que son successeur, Alex Lins, aura fort à faire pour le remplacer. Je me suis un peu renseigné sur ce dernier pour voir à quoi ressemblait son travail et ça ne me paraît pas manquer de qualité, sans toutefois préjuger du résultat sur New Mutants. Comme je lisais la série en grande partie pour sa partie graphique (même si le scénarios de Vita Ayala sont excellents), je me réserve le droit d'en rester là après le n°19 du mois prochain si je ne suis pas convaincu par la copie rendue par Lins.

Passons à l'histoire proprement dîte. De retour de leur périple dans l'Outremonde, Karma a découvert que les troubles qu'elle subissait provenaient de l'âme de son frère défunt, Tran. Elle a convaincu Mirage de participer à l'Epreuve (le "Crucible") pour le ramener à la vie. Mais l'opération s'annonce délicate car elle requiert en plus des Cinq et du Professeur X le concours de Magik et son épée car le lien qui unissait Karma à Tran est très spécial et ténu.

L'épisode est donc divisé en deux parties distinctes : d'une part, le combat dans l'arène entre Karma et Mirage (l'Epreuve obligeant le mutant qui veut ressuciter à mourir les armes à la main en se battant, afin d'être digne d'être ramené à la vie avec ce qui lui manquait auparavant) ; et d'autre part, la suite de l'intrigue impliquant le Roi d'Ombre et de jeunes mutants sur lesquels il mène des expériences d'échanges de corps et de transferts de pouvoirs.

La partie avec Karma et Mirage permet à Ayala et Reis de prouver leurs capacités à mettre en scène un séquence dynamique, avec beaucoup d'action. Le challenge repose surtout sur le fait que Karma n'a jamais été montrée comme une combattante redoutable (même ses pouvoirs mutants, télépathiques, sont limités) alors que Mirage est, elle, une guerrière émérite, qui a même fait partie un temps de Vakyries asgardiennes. L'affrontement se présente donc comme très déséquilibré et malgré ça, il faut pour les auteurs le doter d'un suspense intense.

C'est réussi car Karma se jette dans la bataille avec volonté. Elle ne se bat (que) pour elle (l'issue de l'Epreuve n'est pas sa résurrection et le retour de ses pouvoirs, puisqu'elle ne les a pas perdus, mais de ramener son frère). Mirage ne lui épargne rien, mais cela n'empêche pas leur échange d'être poignant, comme en témoigne la fin, où l'amitié (voire plus...) entre les deux filles est vibrante.

Surtout, durant leur affrontement, Karma réfléchit au bénéfice-risque de ramener Tran. En effet, par le passé, les relations entre elle et son frère ont été difficiles : il l'a possédée mentalement, l'a poussée à commettre de mauvaises actions, et cela signifie qu'il pourrait recommencer et représenter un danger non seulement pour Karma mais aussi pour Krakoa. D'un autre côté, il s'agit quand même de son frère, et ce ne serait pas rien de renoncer définitivement à le retrouver. Le dilemme qui se pose est également déchirant et il est très bien traduit dans le texte et le dessin.

En parallèle, donc, on poursuit l'histoire du Roi d'Ombre et du groupe de jeunes mutants qu'il corrompt. La situation préoccupe Gabby Kinney/Scout, qui ne fait pas confiance à Amahl Farouk (elle a raison car cet ogre télépathe surpuissant a quand même un casier bien rempli). Après avoir évoqué à demi-mots l'affaire avec Warpath, un de ses professeurs, elle décide de prendre les choses en main et d'expliquer à Anole, Rain Boy, Cosmar et No-Girl les dangers qu'ils encourent.

Comme l'explique très bien Vita Ayala dans ses dialogues, le fait d'être manipulé et d'être instrumentalisé physiquement est un problème que connaît bien Scout, puisque, rappelons-le, elle est certes une mutante mais aussi (surtout ?) un clone (celui de Laura Kinney/X-23/Wolverine), créé pour être une machine à tuer. Avec ses expériences de body-swaping, le Roi d'Ombre ne fait rien d'autre en manipulant Anole, Rain Boy, No-Girl et Cosmar.

La tentative de Scout pour prévenir ses camarades de cesser de suivre le Roi d'Ombre se solde par un échec prévisible, parce que, d'une part, ils sont déjà bien trop endoctrinés, et ensuite parce qu'ils ne tolèrent plus qu'une gamine, clonée qui plus est, interfère dans leurs affaires. Pour Cosmar et No-Girl, les préventions de Scout sont encore plus insupportables car elles sont deux mutantes aux physiques ingrats, qui n'ont pas demandé à être ce qu'elles sont, et qui voient donc une opportunité miraculeuse dans la possibilité de changer de corps.

Sur ces entrefaites, Ayala glisse Felina dans le débat. C'est là que ça devient redoutablement malin puisque Rhane Sinclair a été dernièrement consolée par le Roi d'Ombre qui l'a gagnée à sa cause. Felina écarte Scout pour la raisonner et lui indiquer un meilleure moyen de se faire entendre, mais le piège se referme quand en vérité elle la mène au Roi d'Ombre sous le prétexte qu'elle doit d'abord parler avec lui de ce qui la dérange avant de faire des reproches à Anole, Rain Boy, No-Girl et Cosmar. Seule avec Farouk, Gabby ne se démonte pas pourtant - à moins qu'elle joue la comédie pour ne pas qu'il croit la dominer facilement. Quoi qu'il en soit, ce cliffhanger est d'autant plus efficace qu'il ne conclut pas l'épisode et laisse le lecteur inquiet pour Scout.

La maîtrise avec laquelle Ayala conduit deux lignes narratives parallèles est vraiment remarquable, cela donne un récit dense et fluide à la fois. C'est aussi pour cela, par ricochet, qu'il est si dommage que cette scénariste voit son dessinateur la quitter car rien ne garantit que son nouveau partenaire servira aussi bien sa partition. 

jeudi 27 mai 2021

X-MEN #20, de Jonathan Hickman et Francesco Mobili


Ce vingtième épisode de X-Men est spécial à plus d'un titre : il s'agit du pénultième chapitre de la série écrit par Jonathan Hickman, mais aussi de la suite du #6, et l'histoire qui nous est rapporté va probablement être lourde de conséquences dans les prochains mois (les dernières pages insistent là-dessus et "teasent" même un futur event). Dommage que les dessins de Francesco Mobili ne soient pas au niveau du rendez-vous.


Mystique obtient de Forge une arme très puissante. Elle s'est portée volontaire pour une mission périlleuse qui, si elle l'accomplit avec succès, lui permettra de retrouver sa femme, Destinée, promis par le Pr. X et Magneto. L'objectif : détruire la station Orchis et la première version de Nimrod.


Dans la station Orchis, le Dr. Alia Gregor a réussi à préserver l'âme de son défunt mari, Erasmus, dans un cristal. Elle le place dans le corps de Nimrod et lui permet ainsi de revenir à la vie. Le miracle est observé par Mystique, infiltrée dans le personnel de la station. Et vite repérée par Nimrod.


Elle prend la fuite après avoir lâché la bombe conçue par Forge. Nimrod se dédouble pour faire exploser la bombe hors de la station, en sachant qu'il sacrifie son âme. Alia Gregor perd une seconde fois son mari. L'autre Nimrod rattrape Mystique et la renvoie, via le portail krakoan, sur l'île.


Mystique meurt lors du transfert. Ressucitée, elle avooue avoir failli et comprend que Xavier et Magneto ne feront donc pas revenir Destinée. Dans la station Orchis, Karima Shapendar et le Dr. Devo savourent la naissance de Nimrod tandis que Xavier et Magneto font leur rapport à Moira McTaggert.

Fevrier 2020 : parution de X-Men #6, dans lequel on découvre la mission parallèle et secrète confiée à Mystique par le Pr. X et Magneto pendant que les autres membres d'une équipe de mutants doivent détruire la Sentinelle-Mère de la station Orchis. La métamorphe croit encore que cela lui permettra de retrouver Destinée, sa femme. Un superbe numéro, dessiné par Matteo Buffagni, qui montrait déjà la duplicité cruelle des deux dirigeants mutants, interdits par Moira McTaggert de ressuciter des précogs (susceptibles de deviner ses plans) comme Destinée.

Mai 2021 : sortie de X-Men #20. Jonathan Hickman s'apprête à boucler son run sur le titre (avant de le confier à Gerry Duggan et d'écrire une nouvelle série top secrète). Le scénariste-chef d'orchestre de la franchise mutante tient visiblement à partir en bouclant quelques dossiers et, comme précédemment avec l'intrigue autour des Enfants de la Voûte, il va clore l'histoire de Mystique (du moins pour l'instant). A nouveau, la métamorphe est désignée pour une mission risquée qui, si elle l'accomplit, lui permettra de retrouver sa femme, Destinée. Mais rien ne va se passer comme prévu...

Commençons tout de suite par ce qui ne va pas. Matteo Buffagni, que j'aurai aimé retrouver pour cet épisode, ce qui aurait été une belle manière de boucler la boucle, est parti ailleurs voir si l'herbe était plus verte (il va signer une série avec Mark Millar). Pour le remplacer, Marvel a appelé Francesco Mobili.

J'ai découvert Mobili lorsqu'il a suppléé Marco Checchetto sur les deux derniers épisodes de Old Man Hawkeye et il m'avait fait, à l'époque, bonne impression. Passer après Checchetto n'était pas facile et il s'en était acquitté avec sérieux. Depuis, j'avoue l'avoir perdu de vue, même si je sais qu'il a illustré un épisode de The Scumbag, la série déjantée de Rick Remender chez Image Comics.

Mais Mobili n'est pas Buffagni. Ce dernier est un modèle d'élégance, avec son dessin influencé par l'école Toth. Mobili, lui, affiche ici des lacunes criantes, en particulier en ce qui concerne l'encrage, abominable, mais aussi dans l'expressivité des personnages, leurs proportions, la composition des plans. C'est beaucoup, c'est trop. Cet épisode est le plus raté, graphiquement, du run d'Hickman, avec celui de Brett Booth (pas facile de faire pire, remarquez). C'est dommage, c'est déplorable, mais le mal est fait.

Mais de même que de superbes dessins ne sauveront jamais une piètre histoire, de mauvais dessins ne peuvent ruiner un script de qualité. Et heureusement, Hickman est inspiré.

Tout vient à point à qui sait attendre : des lecteurs de X-Men reprochent parfois au scénariste de lancer des intrigues sans les résoudre le mois suivant, préférant se lancer dans une nouvelle histoire. Hickman procède ainsi souvent, semant pour récolter au moment que, lui, a choisi. Il est le maître des horloges, et d'ailleurs depuis House of X - Powers of X, il a beaucoup refaçonné la temporalité des mutants, joué avec, pour bâtir son projet sur une base nouvelle, non sans provocation.

Dans les deux précédents numéros de la série, il est ainsi revenu sur l'affaire des Enfants de la Voûte, entamée au début de sa prestation sur X-Men. Il a écrit une sorte de conclusion, ouverte, se laissant la possibilité de développer ce qu'il a entrepris. Mais il n'a pas laissé les choses en plan. Il a fait attendre son monde, mais pas oublié ce qu'il avait débuté. C'est pareil ici  après un an et demi, il boucle la boucle, sans vraiment avoir tout dit, "teasant" même ce qui ressemble fort à un futur event pour cet Automne.

Bien que l'ère Dawn of X se soit achevée depuis la fin de X of Swords, Reign of X n'a rien d'une promenade de santé, et le règne des mutants révèle surtout ses failles (avant un acte III sur le déclin et la chute ?). En revenant au personnage de Mystique, Hickman ne fait que confirmer cet état de fait. La métamorphe a été incluse au conseil de Krakoa contre toute attente et cela suscitait la méfiance de Moira McTaggert dans Powers of X #6, car cela était évidemment conditionné à la résurrection de Destinée, la femme de Raven Darkholme, capable de prédire l'avenir - et donc de localiser Moira McTaggert que toute la Nation X croit morte.

D'ailleurs aucun mutant précog n'a été ressucité (Diablo s'est recueilli sur la tombe de Blindfold dans Way of X #1) pour la même raison. Pour gagner du temps, Charles Xavier et Magneto ont expliqué à Mystique qu'elle devrait faire ses preuves pour obtenir que Destinée ne revienne à la vie. Elle a accepté à ses risques et périles de planter une fleur de Krakoa dans la station Orchis quand une équipe de mutants y a été envoyée pour détruire la Sentinelle-Mère. Pas suffisant. Alors elle accepte ici une nouvelle mission périlleuse contre la garantie de revoir son amour perdu.

Lost Love est d'ailleurs le titre de l'épisode et il ne se cantonne pas au cas de Mystique puisque l'autre personnage concerné est le Dr. Alia Gregor, qui a, elle aussi, trouvé un moyen de faire revenir à la vie les morts, en particulier son mari, Erasmus, chef de la sécurité de la station Orchis, qui s'était sacrifié pour freiner les mutants à l'abordage de la base. Le procédé est moins abouti que celui rendu possible par les Cinq sur Krakoa mais il n'empêche, l'opération fonctionne et à plus d'un titre puisque Erasmus revit dans la corps de Nimrod, la terrible robot chasseur de mutants qui, dans toutes les vies endurées par Moira McTaggert, signe la fin des mutants.

Hickman dresse un parallèle poignant entre les deux femmes que sont Mystique et Alia Gregor, toutes deux désirant retrouver l'être aimé, à tout prix. Pourtant elles sont adversaires, Mystique s'infiltrant à nouveau dans la station Orchis pour la détruire (et donc détruire Nimrod) ; Gregor oeuvrant à l'extermination des mutants via Nimrod.  Le temps de cet épisode, elles vont éprouver le deuil d'une manière cruelle puisque Erasmus/Nimrod se sacrifie une nouvelle fois et que l'échec de la mission de Mystique signifie que Xavier et Magneto ne feront pas revenir Destinée. En même temps, ces deux échecs vont probablement pousser et Gregor et Mystique dans un extrémisme dangereux car elles savent qu'elles n'ont désormais plus rien à perdre, littéralement : Gregor a définitivement perdu Erasmus, Mystique a perdu toute confiance en Xavier et Magneto. Les membres Orchis sait que les mutants ont des raisons d'avoir peur d'eux désormais (avec la création effective de Nimrod). Mystique a fait la promesse à Destinée de brûler Krakoa si son retour était refusé.

Deux éléments importants font leur (ré)apparition au terme de cet épisod intense et terrible : d'abord, et c'est un événement, pour la première fois depuis Powers of X #6, on revoit Moira McTaggert quand Xavier et Magneto viennent lui rapporter l'échec de la destruction de la station Orchis et de Nimrod. Alors que la rumeur veut que Jonathan Hickman va lancer une série Moira X à la rentrée, le retour à l'image de la maîtresse d'oeuvre de la Nation X surprend quand même car on croyait presque que le scénariste l'avait oubliée. En la ramenant sur le devant de la scène (même si Xavier et Magneto restent els seuls à la fréquenter, et qu'ils ont dû le faire en secret depuis Powers of X #6), Hickman nous dit évidemment que Moira va tenir à nouveau un rôle actif dans les prochains mois (quitte à s'afficher de nouveau aux côtés du reste des mutants ?). De toute manière, la situation est devenue soudain très critique, entre la menace des Enfants de la Voûte et la naissance de Nimrod : ni Xavier ni Magneto ne peuvent plus la gérer seuls.

Ensuite, enfin, comme je l'ai écrit à plusieurs reprises depuis le début de cet article, on trouve à la fin de l'épisode la mention, laconique, de ce qui semble être un futur event, programmé pour cet Automne et dont le titre renvoie à une saga bien connue : Inferno. Peu de chances toutefois qu'on assiste au retour d'une menace magique du démon Nas'rith avec Madelyne Prior/Goblin Queen, et la multitude de tie-in du crossover de 1989. Cela semble plutôt suggérer une relation à l'enfer que déclencheraient à la fois Mystique (avec Krakoa en feu) et Orchis (avec Nimrod lâché sur Terre et l'île des mutants). Il faut aussi noter que, dans les récentes solicitations Marvel pour Août prochain, ne figurent ni New Mutants, ni SWORD, ni Excalibur (et Children of Atom semble se terminer aussi ce mois-ci). Cela ne signifie pas que tous ces titres sont annulés, mais il va certainement y avoir des changements (notamment d'équipes artistiques).

Bref, même si Hickman passe la main sur X-Men le mois prochain, la Head of X n'a pas fini de refaçonner l'univers mutant.

dimanche 23 mai 2021

NIGHTWING #80, de Tom Taylor et Bruno Redondo


Nightwing est la série qui met tout le monde d'accord. C'est un miracle. Mais il a une explication simple : ses auteurs actuels aiment leur personnage et ça se sent. Ce plaisir à animer le héros est communicatif pour le lecteur qui a plaisir à lire ses aventures. Tom Taylor et Bruno Redondo le prouveent une fois encore avec ce 80ème épisode, parfait, et qui se suffit à lui-même au point de ne même pas avoir besoin de fêter spécialement ce numéro.


Dick Grayson est réveillé par deux policiers de Blüdhaven qui l'accusent du meurtre de Martin Holt, l'homme à qui il avait offert (avec le reste du voisinage) à manger la veille au soir. Le fils de la victime est introuvable. Heureusement, Barbara Gordon fournit un alibi à Dick.
 

Pour résoudre ce mystère, Nightwing fait appel à Tim Drake/Red Robin. Il lui confie la mission d'infiltrer le campement sauvage qu'il a découvert et qui sert de refuge à plusieurs orphelins, qui, partagent le fait d'avoir perdu leurs parents à cause d'un mystérieux tueur en série.


Tim retrouve Eliot Holt, le fils de Martin mais deux hommes de main de Blockbuster viennent rançonner les enfants. Nightwing intervient avec Red Robin pour neutraliser ces fripuilles mais un incendie se déclare dans le campement.


Red Robin évacue les enfants tandis que Nightwing cherche à localiser le point de départ du feu. Lorsqu'il le fait, il tombe nez à nez avec le pyromane qui se trouve être le tueur en série, Heartless...

Et si le secret pour réussir une série et gagner le coeur de ses lecteurs résidaient dans le simple fait pour ses auteurs d'aimer leur sujet et leur héros ? C'est en tout cas l'explication la plus évidente quand on lit Nightwing depuis que Tom Taylor et Bruno Redondo l'ont pris en charge. La série revenait de loi, après des débuts pourtant divertissants au début de l'ère Rebirth sous l'égide de Tim Seeley, suivis par une prestation moyenne de Benjamin Percy et enfin un run à oublier commis par Scott Lobdell. Mais cette fois, c'est la bonne, les planètes sont alignées et tout le monde aime Nightwing.

Par hasard, cette semaine, le site spécialisé Newsarama a dévoilé un projet de reprise du titre en 2011 par James Tynion IV et Mikel Janin : à cette époque, à l'issue de l'event Forever Evil (de Geoff Johns et David Finch), Dick Grayson est censé avoir été tué par Owlman, membre de la Ligue d'Injustice. Tynion imagine une série où l'ancien sidekick de Batman adopte une nouvelle identité pour intégrer la police mais aussi poursuivre son activité de justicier pourchassant Owlman avant de découvrir l'existence d'un nouveau Nightwing. Mais le pitch est rejeté au profit de celui de Tim Seeley et Tom King pour Grayson, réinventant Dick Grayson en super-espion (Mikel Janin en assurera les dessins), une des grandes réussites de l'ère New 52.

Quand DC inaugure l'ère Rebirth, Tim Seeley poursuit son travail et organise le retour de Nightwing. Mais le scénariste semble à bout de souffle, en tout cas il ne renoue pas avec l'énergie de Grayson (on mesure alors certainement l'apport de Tom King). A la suite de Seeley, donc, rien de bien excitant.

Tom Taylor est lui devenu, entretemps, un auteur en plein boum chez DC, notamment grâce à l'adaptation du jeu vidéo Injustice, où il collabore déjà avec Bruno Redondo, puis avec son Elseworlds DCeased (et ses suites et spin-off). Marvel l'emploie aussi et il contribuera de manière essentielle à faire de Laura Kinney/X-23 une nouvelle version de Wolverine, au point qu'elle fera partie de l'équipe des X-Men dans la série à paraître en Juillet prochain.

Rien ne laissait deviner que Taylor s'intéressait à Nightwing, surtout après un run abrégé mais marquant sur Suicide Squad (toujours avec Redondo). Pourtant DC a eu le nez creux en lui confiant le personnage (alors que la rumeur courait que Scott Snyder le convoîtait). Car Taylor a eu à coeur, semble-t-il, de restaurer la réputation d'un personnage malmené : presque tout le monde avait oublié que Dick Grayson était là depuis 1940, ce qui en fait un des héros les plus anciens de DC.

Et c'est sans doute là le miracle : animer Nightwing comme s'il était un personnage tout neuf, totalement accessible, doté d'un passé mais jamais écrasé par lui. Tout dans les épisodes de Taylor possède une fraîcheur jubilatoire. D'ailleurs, ce n'est pas sans doute pas un hasard si l'intrigue tourne autour d'enfants perdus, privés de leurs parents à cause d'un tueur en série. Nightwing a trouvé une nouvelle jeunesse, qui le rend irrésistible. Pour moi, la série renoue avec l'esprit qui traversait le run de Mark Waid et Chris Samnee sur Daredevil, quelque chose de bondissant, d'aérien, mais aussi de palpitant, un parfum de Silver Age mais sans nostalgie.

Taylor invite ce mois-ci Tim Drake alias (Red) Robin pour prêter main forte à Dick Grayson : ce n'est pas juste une guest-star ou du fan-service, le successeur de Grayson auprès de Batman joue un rôle pertinent. Barbara Gordon est encore là et là aussi, Taylor le justifie, il aime le personnage mais l'utilise intelligemment, en lui donnant des scène savoureuses. L'action est dense, dynamique, avec des moments jouissifs. Comment ne pas tomber sous le charme ?

Et puis donc il y a Bruno Redondo. L'avantage, c'est qu'il connaît bien Taylor, leur duo est rodé, c'est évident. Le scénariste connaît les forces du dessinateur et ce dernier sait mettre en valeur le script de son partenaire. De ce point de vue, l'osmose est absolue : on a ce sentiment grisant d'assister à une sorte de ping-pong entre deux collaborateurs qui s'entendent parfaitement et cette complicité aboutit à des pages implacables.

Il n'y a pas une scène où Redondo ne touche pas juste. Sa maîtrise du découpage et de la composition lui autorise toutes les audaces, il prend son pied et nous aussi. Qu'il s'agisse du dialogue entre Babs, Dick et les flics (avec un "gaufrier" malin), de la traversée de Blüdhaven avec Red Robin, ou de l'affrontement contre les sbires de Blockbuster (une page suffit, mais quelle page), vous lisez ça avec un sourire permanent. C'est vrai du comic-book comme on l'aime, à son meilleur. Croyez-moi, dans ces moments-là, vous oubliez les guéguerres grotesques sur le fait d'être fan de Marvel ou DC et vous dégustez, vous savourez. C'est de la Haute Couture, de la grande cuisine.

J'adorerai que Marvel publie une série qui donne autant de fun, de joie, ça équilibrerait les choses, mais en ce moment je ne vois pas d'équivalent à Nightwing chez la "Maison des Idées". En prime, en se déroulant à Blüdhaven, Nightwing est préservé car elle ne se situe pas dans l'entourage des Bat-titles (donc elle ne sera pas impliquée dans le futur crossover Fear State). Tom Taylor et Bruno Redondo peuvent bosser tranquilles et continuer à nous régaler.

samedi 22 mai 2021

CATWOMAN #31, de Ram V et Fernando Blanco


Catwoman #31 marque une étape importante pour la série mais aussi le futur des Bat-titles, car DC a annoncé cette semaine un crossover à paraître cet Automne : Fear State. Si jusqu'à présent, Catwoman semblait évoluer à la marge des autres parutions en lien avec Batman, cette fois Ram V s'inscrit dans un plan d'ensemble mis en place par James Tynion IV. Toutefois, cela n'impacte pas la singularité du titre ni l'efficacité de son intrigue. Et Fernando Blanco livre comme toujours de magnifiques planches (avant de souffler un peu).
 

Après s'être fait inviter à la soirée donnée par le collectionneur Siddhart Roy, Selina Kyle profite de la confusion générée par le vol d'un tableau d'Edgar Degas, pour accéder à la pièce où est retenue Poison Ivy. Elle la libère et organise son exfiltration avec ses complices.


L'opération, menée sans discrétion à partir de là, s'achève par un face-à-face entre Roy et Catwoman, sur le point de fuir à son tour. La perte de Poison Ivy, alors qu'il avait promis à Simon Saint de s'en débarrasser, pousse Roy au suicide.


Simon Saint apprend la mort de Roy et réagit rapidement. Il charge Rhea, sa tueuse, d'éliminer Catwoman et Poison Ivy sans délai. Pendant ce temps, il va s'employer à presser la mairie pour instaurer le programme du Magistrat, dont la première mission sera de purger le quartier d'Alleytown.


Selina Kyle retrouve le mystérieux informateur qui lui avait indiqué où trouver Poison Ivy et qui lui fournit une planque pour cette dernière, dans une église désaffectéee. Lorsque Selina demande à Shoes, qui veille sur Ivy où est Leo, elle l'ignore. Le malheureux est prisonnier du Père Vallée...

La couverture nous met déjà la puce à l'oreille : quelque chose va changer. En effet, Joelle Jones a cédé sa place de cover-artist à Robson Rocha (Jones sort cette semaine le premier épisode de sa mini-série Wonder Girl, Rocha n'a plus aucune série à dessiner). Voilà pour la façade.

Depuis qu'il a repris en main la série Catwoman, Ram V a profité à fond du rebattage des cartes voulu par James Tynion IV, qui a décidé de séparer la féline fatale de Batman pendant un an, une pause pour que les deux amants réfléchissent à leur couple (et certainement pour annuler, à terme, le statu quo établi par Tom King et donc rendre la mini Batman/Catwoman hors continuité). Catwoman évoluait donc à la marge des Bat-titles, sans être impactée par les événements relatés dans Batman ou Detective Comics, mais encore à proximité du dark knight.

Pourtant, lorsqu'on lit ou même survole les séries Batman, Detective Comics, Harley Quinn, on constate que la figure de Simon Saint est récurrente. Ce milliardaire à l'origine du programme du Magistrat, dont on a vu l'aboutissement durant l'event Future State, manoeuvre patiemment pour purger Gotham de ses vigilants, tout en s'employant à convaincre le maire Nakano, et avec l'aide de l'Epouvantail (qui travaille à créer un climat d'insécurité dans la ville de Gotham, pour que ses habitants adhérent au projet de Saint).

Mais ce mois-ci, Catwoman est rattrapée par cette conspiration. Ram V en a fait la protectrice d'Alleytown, en écartant divers caïds et en rassemblant des enfants errants. Puis dernièrement elle a secouru le Sphinx et a été mise sur la piste de Poison ivy, dont les pouvoirs végétaux ont permis la fabrication d'une nouvelle drogue. Guidée par un indicateur mystérieux, elle a localisé Ivy chez un collectionneur, Siddhart Roy à la réception duquel elle s'est invitée sous un faux nom.

La moitié de l'épisode est narrée de manière déconstruite et on apprend comment Selina/Catwoman a dérobé un tableau de Degas chez Roy pour crééer une diversion à la faveur de laquelle elle a libérée et exfiltrée Poison Ivy. En relatant ses manigances à Siddhart Roy, Catwoman, sur le point de fuir, prouve à quel point elle est une cambrioleuse de génie. Mais son récit s'achève sur une note dramatique quand Roy préfére se suicider plutôt que de subir le courroux de Simon Saint, son partenaire en affaires, à qui il avait promis de se débarrasser d'Ivy.

Simon Saint fait donc son entrée dans la série et la vie de Catwoman, même si elle ne sait rien de lui. Ram V consacre les pages suivantes à cet homme qui envoie alors sa tueuse, Rhea (celle-ci qui avait failli éliminer le Sphinx), supprimer Catwoman et Ivy. La chasse est ouverte et Saint n'entend pas en rester là : Alleytown sera le premier quartier de Gotham qu'il nettoiera avec son programme du Magistrat. C'est ce qui a été raconté dans Future State : Catwoman.

Mine de rien, c'est bien fichu. Tout cela a été amené de manière quand même subtile, même s'il était prévisible que Catwoman serait impliquée à un moment ou à un autre tant James Tynion (dans Batman), Mariko Tamaki (dans Detective Comics) et Stephanie Phillips (dans Harley Quinn) tiraient tous dans la même direction. DC a officialisé le crossover intitulé Fear State pour cet Automne, auquel participera aussi John Ridley (avec The Next Batman, pour lier futur et présent dans cette intrigue). Je reste néanmoins prudent car je n'aime guère les crossovers (je préférerai que les séries existent sans devoir être réunies pour des sagas), mais le projet est cohérent et séduisant.

Visuellement, Fernando Blanco s'apprête à faire un court break (il sera remplacé par Evan Cagle, dont j'ai vu quelques planches prometteuses en avant-première). Il livre des planches encore une fois superbes, où sa complicité avec Jordie Bellaire aux colueurs est éblouissante. Le découpage de la première partie de l'épisode est magistral car le lecteur n'est jamais perdu dans la narration à rebours. Tout est mené sur un rythme soutenu mais avec un souci de lisibilité remarquable.

La seconde partie de l'épisode ne déçoit pas non plus. Blanco soigne les décors, qu'il s'agisse du bureau nid d'aigle de Simon Saint avec l'hologramme du quartier d'Alleytown. Il donne à Rhea une présence inquiétante à souhait, qui rappelle celles des répliquants dans Blade Runner. Puis la scène dans l'église abandonnée avec Ivy (qui ne semble plus avoir toute sa tête) possède elle aussi un magnifique écrin, avec des compositions de plans impeccables. Blanco fournit une prestation discrète mais très aboutie, c'est un plaisir pour les yeux, et un parfait complément au scénario de Ram V.

Les prochains mois s'annoncent mouvementés pour Catwoman et riches sur le plan éditorial (ave entre autres un Annual, qui dévoilera les origines du Père Vallée). Mais la série est entre de bonnes mains, de quoi poursuivre l'aventure en confiance.

vendredi 21 mai 2021

JUSTICE LEAGUE #61, de Brian Michael Bendis et David Marquez / JUSTICE LEAGUE DARK, de Ram V et Xermanico


Le mensuel Justice League s'est imposé à moi comme le seul dont le double programme est le plus intéressant de la nouvelle proposition éditoriale de DC; Les deux séries, Justice League et Justice League Dark, sont de qualité (presque) égale, au point que je serai prêt à payer plus pour avoir le même nombre de pages pour chaque épisode. Les intrigues de Brian Michael Bendis et Ram V et les dessins de David Marquez et Xermanico garantissent un plaisir de lecture indéniable.


En débarquant sur la terre natale de Naomi, la Ligue de Justice est dispersée. Black Canary est prise à parti par des indigènes menaçants contre lesquels elle déploie son cri. Et elle s'aperçoit alors que celui a gagné en puissance dans cet environnement.


Mais tout le mondee n'a pas cette chance. Naomi la première, qui se rend compte que ses pouvoirs sont sévèrement déréglés et qui s'en remet à Batman pour la rassurer. Toutefois, ce dernier est vite inquiété par un appel de détresse de Superman.


Brutus attaque Superman et lui inflige une raclée à laquelle assistent, médusés, ses acolytes de la Ligue. Black. Pendant ce temps, Aquaman n'est pas non plus au mieux et il perd connaissance avant d'être récupéré par des alliès de Brutus.


Batman sonne le rappel des troupes et, rejoint par Hawkgirl, Green Arrow, Black Canary et Naomi, se lance au secours de Superman. Mais ils sont devancés par Black Adam qui somme Brutus de se rendre sans délai...

Au sujet de Brian Michael Bendis, il est souvent dit qu'il ne sait pas, n'a jamais su écrire de team-books, et même, tenez-vous bien, qu'il massacre ceux auxquels il touche (rien que ça...). Pourtant, son transfert chez DC semblait avoir adouci beaucoup de ses détracteurs, qui ont apprécié ses runs sur Superman et Action Comics. De quoi être indulgent avec sa reprise de Justice League ?

Ne rêvons pas. Tout n'est cependant pas à jeter dans les remarques émises ici ou là. Brutus est un méchant bas de gamme, et cet élément plombe l'intrigue pourtant efficace. C'est dommage parce que, par ailleurs, assister au déréglement des pouvoirs de quelques membres de la Ligue sur le monde de Naomi introduit une dose d'inconnu assez accrocheuse. Et voir Superman se faire rétamer ajoute du suspense (quand l'homme d'acier est mis k.o., c'est que le reste de l'équipe peut se faire du souci).

En fait, la limite de Bendis sur ce début de run (mais qui risque fortement quand même de décourager de continuer au-delà de ce premier arc), c'est qu'il ne force pas son talent. Il produit un comic-book popcorn, comme on parle de popcorn movies pour désigner des longs métrages divertissants mais guère mémorables. Ce qui faisait la force, sinon l'intérêt de Bendis avec ses séries d'équipe chez Marvel, c'était, selon moi, leur dimension familiale, au sens d'une famille choisie, une famille de coeur, et cela absent dans la Justice League qui est et reste avant tout un groupe d'individus se rassemblant, selon la formule consacrée, pour affronter des menaces qu'un seul de ses membres ne pourrait vaincre seul. A par le coupe Green Arrow-Black Canary (qui n'a pour l'instant pas eu l'occasion de briller), il n'existe par au sein de la Justice League de fraternité, et sous la plume de Bendis (comme d'autres auteurs avant lui), les héros apparaissent davantage comme des collègues ou des camarades que comme des amis ou une famille. Je le regrette, ça me manque, ça ne rend pas la série très attrachante.

David Marquez a pris un parti risqué pour dessiner la série. Son découpage et ses compositions sont hyper dynamiques, de sorte que la puissance de certains héros (ou la faillite d'autres) est parfaitement traduite. Mais il le fait au détriment des décors, ce qui est regrettable. Certes, représenter un monde désolé par une guerre entre surhommes est un challenge car il est aisé de tomber dans les clchés et sans doute Marquez s'efforce-t-il de trouver une solution, mais on sent qu'il n'est pas très à l'aise (alors que dans un environnement urbain, c'est un artiste qui utilise l'infographie de manière très intelligente).

La colorisation de Tamra Bonvillain continue aussi de m'interpeler. Elle s'occupe également de celle de Wonder Woman et on retrouve les mêmes soucis de colorimétrie, avec parfois des teintes criardes assez embarrassantes. Problème s'impression ? Ou choix de palette peu heureux ? La répétition aurait tendance à me faire pencher en faveur de la seconde option puisque Bonvillain (ab)use du rose par exemple sur ces deux titres, une couleur qui passe de toute façon mal. Mais pas que : les cheveux blonds de Black Canary sont trop jaunes aussi, ça manque trop de nuances en général.

Espérons que ces défauts visuels seront vite corrigés. Parce que, pour le reste, n'en déplaise aux grincheux, c'est très rythmé, et cette nouvelle ère pour la Justice League tranche avec bonheur avec la précédente menée par Scott Snyder (et son interminable feuilleton avec Lex Luthor, le Batman-qui-rit et Perpétua).   

*



Zatanna, John Constantine, Bobo et Etrigan viennent en renfort à Ragman dans la librairie où il affrotne les monstres invoqués par Merlin dans les livres de José-Luis Borgès. La situation réglée, Bobo déduit que le magicien doit chercher un grimoire plus puissant pour une prochaine attaque plus virulente.


Tandis que la Justice League Dark investit la Bibliothèque de Babel à la recherche de l'ouvrage, Ser Elnara Roshtu d'Anatolie, le treizième chevalier de la table ronde trahi par Merlin, se remet de ses blessures et part pour Gotham en vue d'arrêter le magicien...

Comme je l'écrivais en introduction de cette entrée, je serai volontiers prêt à payer 6 $ pour une revue de quarante pages et donc un épisode complet de Justice League et un autre de Justice League Dark car ce second titre mérite vraiment plus d'espace. Ou alors que DC lui accorde son propre mensuel, comme avant l'intermède Future State.

En l'état, c'est très frustrant à lire car on voit bien que Ram V développe une intrigue solide et captivante qui doit découper à contrecoeur au bout de dix planches. Le scénariste est heureusement brillant et mène son affaire avec une adresse formidable, qui lui permet de raconter beaucoup avec peu de place. Mais c'est du gâchis.

Par contre, contrairement à Bendis, Ram V réussit à fédérer un groupe de héros hétéroclite mais soudé par un esprit de corps. Réduite à cinq membres, la JLD est tendue vers un objectif unique et précis, qui dépasse leurs différends, leurs doutes. C'est d'autant plus méritoire donc que le scénariste parvient à créer cet esprit d'équipe en peu de pages mais sans forcer le trait, en soulignant l'urgence de la situation et la complémentarité des membres (à cet égard, quand Constantine pousse Zatanna à utiliser sa magie alors qu'elle en redoute les conséquences, c'est parfait. De même pour Bobo le chimpanzé qui n'est pas réduit ici à un personnage pittoresque mais s'impose comme un fin limier convaincant ses acolytes de la justesse de ses déductions par leurs résultats.).

Xermanico signe son dernier chapitre (avant de se consacrer pleinement à la mini-série Infinite Frontier). Il part sur une excellente note et on ne peut que louer son professionnalisme. Une double page comme celle montrant la Bibliothèque de Babel (voir ci-dessus) est époustouflante. Son successeur (Sumit Kumar, avec lequel Ram V a signé la mini-série These Savage Shores) aura fort à faire pour être à la hauteur (mais c'est un excellent artiste, qui va certainement se révèler à beaucoup de lecteurs qui ne le connaissent pas).

jeudi 20 mai 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #3, de Laura Samnee et Chris Samnee


Jusqu'à présent, le potentiel de Jonna and the Unpossible Monsters pouvait susciter des doutes et d'ailleurs la série divise les lecteurs. Mais avec ce troisième épisode, Laura et Chris Samnee ont, semble-t-il, voulu donner un coup d'accélérateur à leur histoire. Si tout reste simple, l'apparition de nouveaux personnages et plus de détails sur la situation qu'ils partagent donnent au titre une nouvelle profondeur.


Rainbow a suvi Jonna, qui a une attitude distante avec sa demi-soeur après une longue période sans l'avoir vue, jusqu'à une plaine aride. Jonna repère un cour d'eau où elle et Rainbow s'abreuvent. Jusqu'à ce qu'un monstre passe devant elle à toute allure en asséchant la rivière.


Jonna reprend sa course, Rainbow a du mal à suivre son rythme effrénée mais elle a beau demander à sa soeur de ralentir, rien n'y fait. Elles atteignent une cabane construite dans un arbre et qui semble à l'abandon. Elles y passent la nuit.


Mais au matin, quand Rainbow se réveille, elle voit Jonna en compagnie de la propriétaire, Nomi. Celle-ci entraîne les deux jeunes filles dans une grotte gardée par son mari, Gor, et où se sont réfugiées plusieurs autres persones, contraintes à l'exil après avoir tout perdu à cause des monstres.


Interrogée, Rainbow explique qu'elle vient de retrouver Jonna et compte à présent faire de même pour son père. Mais Gor prévient : les monstres sont partout, redoutables, comme il en a fait l'expérience. C'est alors que le plafond de la grotte s'effondre...

Depuis deux mois, j'ai défendu Jonna and the Unpossible Monsters en expliquant que cette série se destinait à un jeune public (de l'aveur même de ses auteurs, qui l'ont imaginée en s'inspirant de deux de leurs trois filles) mais qu'elle présentait une certaine forme de radicalité par son inspiration directe avec les contes, des récits a priori inoffensifs et divertissants mais dissimulant une grande noirceur.

Par ailleurs, Laura et Chris Samnee ont pris le parti d'une narration très dépouillée, sans voix-off explicatif, en projettant le lecteur comme ses héroïnes dans un monde dont ils ne livrent aucun code. Le genre s'apparente à celui d'un récit initiatique, mais emprunte au fantastique, à la fantasy, voire au post-apocalyptique. Et la naïveté du dessin brouille encore les pistes, laissant croire à un projet conçu pour que Chris Samnee se fasse plaisir.

J'entends les réserves qu'on peut avoir devant un tel objet. C'est un vrai pari. Surtout que je constate souvent, en me baladant sur des forums (mais sans plus y intervenir - je crois désormais fermement que ces endroits sont tout le contraire de ce qu'ils prétendent être, donc non pas des lieux d'échange entre fans, mais plutôt un mélange de bureau des plaintes permanent et de discours peu aimables envers le média qui rassemble leurs participants), que l'époque n'est plus à la patience, à la découverte. On veut tout, tout de suite, et même quand c'est le cas, alors d'aucuns trouvent encore à redire en pointant, avec une mauvaise foi terrible, que le scénariste va trop vite !

Dans ces conditions, et en ayant présenté Jonna and the Unpossible Monsters le plus lucidement possible, il est évident que cette série apparaît comme une curiosité sur laquelle on n'a pas le temps de s'étendre. Et c'est dommage.

Dommage parce que, finalement, il n'aura fallu que patienter deux épisodes pour découvrir que cette histoire révèle une profondeur réelle. Mais qui veut bien attendre deux mois aujourd'hui ? Apparemment, c'est au-delà des forces de beaucoup.

Il est certain en tout cas, pour moi, que Jonna... est une oeuvre plus intéressante que Fire Power pour laquelle Chris Samnee dépense son talent sans compter. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu'à l'inverse de la série écrite par Robert Kirkman, on ne sait absolument pas ce qui va s'y produire. Ici, tout est inattendu, tout est imprévisible, à la fois beau, étrange et inquiétant, mais aussi drôle, farfelu. Comme Rainbow, on court après l'insaisissable Jonna dans un monde peuplée de créatures bizarres, grotesques et dangereuses, sans savoir si on va leur survivre, et de tout cela découle une histoire pleine d'humanité finalement.

Dans le premier tiers de l'épisode, on reste dans ce que la série a proposé jusque-là, une sorte de déambulation amusante et colorée (encore une fois Matt Wilson fait des prodiges), en compagnie des deux soeurs qui viennent de se retrouver. Cette diablesse de Jonna est un vrai Zébulon, sans peur dans cet environnement hostile, et Rainbow, c'est nous, qui évoluons dans ce cadre majestueux et improbable, à la poursuite de cet enfant sauvage.

Puis dans les deux derniers tiers de l'épisode, le scénario de Laura Samnee introduit d'un coup d'un seul plusieurs nouveaux personnages, cassant la routine qui était en train de s'installer. Nous pénétrons dans une grotte où ont trouvé refuge plusieurs personnes, dont la vie a été détruite par les monstres. De ces fameux monstres, on apprend qu'ils sont apparus progressivement, se répandant comme une mauvaise vigne, et détruisant tout sur leur passage. Des villages (des villes ?) entières ont été rayés de la carte, des milliers (millions ?) de victimes en ont fait les frais. Sous terre semble être devenu le seul endroit où s'en prémunir, mais c'est un pis-aller plus qu'une consolation, car les survivants sont impuissants face au fléau et pleurent encore leurs proches.

Dans ces circonstances, deux éléments apparaissent : d'abord le fait que certains résistent, se battent, apprennent à affronter les montres, comme Gor, le mari de Nomi (également visiblement une guerrière), qui porte les stigmates de ces batailles (une impressionnante cicatrice lui barre le visage) ; et ensuite la question de savoir ce que faisaient Rainbow et Jonna dehors et comment elles ont pu subsister. Jonna fanfaronne en affirmant pouvoir tuer des monstres mais personne ne prend au sérieux cette gamine. Pourtant, le lecteur s'interroge toujours sur la scène inaugurale de la série quand elle s'est jetée dans la gueule d'une de ces créatures pour la frapper et qu'une lumière aveuglante et un bruit assourdissant ont fait perdre connaissance à Rainbow. Jonna dirait-elle la vérité ? Serait-elle une sorte de combattante exceptionnelle, capable de terrasser les monstres, et donc de sauver les réfugiés ?

A ce titre, il sera intéressant de découvrir comment la série va rebondir après le cliffhanger de cet épisode, mais il paraît évident que les Samnee ont orienté le lecteur sur une piste concernant Jonna et qui expliquerait le titre. Tout comme il semble clair désormais que cette histoire se déroule dans un futur post-apocalyptique, dans lequel la découverte de nouveaux décors au cours d'un périple va structurer le scénario. Le potentiel dont je parlais plus haut, le voici. Et il est séduisant.

Les planches sont une nouvelle fois époustouflantes, Chris Samnee utilisant à plusieurs reprises des doubles pages à montrer dans les écoles pour la manière dont il déploie l'action à l'intérieur d'une seule image, en décomposant les mouvements, en exploitant la perspective, en nivelant l'image sur la largeur et la hauteur. Ce procédé que j'appelle la "continuité séquentielle" est inspiré par les retables moyenâgeux mais, à part Will Eisner qui en avait adapté le principe à l'art séquentiel, peu d'artistes s'en emparent encore, et c'est regrettable car cela donne une fluidité folle à la narration graphique. Moi qui ne suis pas toujours tendre avec les dessinateurs qui (ab)usent de splash et doubles pages, voilà un moyen de les alimenter qui est très efficace et inventif.

Je me doute bien que Jonna and the Unpossible Monsters aura perdu beaucoup des curieux qui avaient acheté les deux premiers épisodes, mais c'est pourtant une expérience que je recommande car les auteurs ne se moquent pas du monde et la lecture réserve de très jolies surprises.

mardi 18 mai 2021

SORRY FOR YOUR LOSS (saison 1) (Facebook Watch)


Saviez-vous que Facebook produisait et diffusait des séries ? Moi non plus. C'est par hasard que j'ai découvert sur le réseau social la première saison de cette fiction en dix épisodes, Sorry for your Loss. J'en avais entendu parler lorsque j'avais suivi WandaVision sur Disney + puisqu'on retrouve en tête d'affiche Elizabeth Olsen. L'actrice y est une fois de plus admirable dans un rôle délicat, servi par une écriture et une réalisation au diapason. 


Chroniqueuse bien-être pour le site web de son ami Drew, Leigh Shaw perd son mari, Matt Greer. Elle aide ensuite sa mère, Amy, en devenant un coach dans le club de fitness que tient cette dernière, avec son autre fille (adoptée), Jules. Mais le deuil s'annonce compliqué pour la jeune femme, dévastée par le chagrin.


Leigh intègre un groupe de paroles avec d'autres veuves qui viennent s'épancher sur leurs vies conjugales. Bien qu'elle se tienne en retrait lors des séances, en famille elle consent à ranger les affaires de Matt avec l'aide de Jules, en espérant que cela l'aidera à remonter à la surface.


Dans le groupe de paroles, Leigh remarque Becca Urwin, une jeune veuve comme elle, qui se confie sur le bonheur parfait qu'elle vivait avec son mari et qui cherche à devenir son ami. Mais Leigh la rejette d'abord avant de lui donner une seconde chance quand Becca avoue qu'elle était sur le point de divorcer. Cela pousse Leigh à se demander si elle connaissait si bien Matt qu'elle le pense.


Leigh trouve, lors d'un jogging, un chien errant qu'elle recueille. Mais Jules la convainc de diffuser un avis de recherche sur les réseaux sociaux pour attirer l'attention de son propriétaire. Se séparer de l'animal auquel elle s'est attachée rappelle à Leigh le propre chien de Matt, mort prématurément lui aussi.


Alors qu'elle tente, en vain, de débloquer le téléphone portable de Matt, Leigh y parvient enfin grâce à une suggestion du frère de celui-ci, Danny. Elle découvre alors plusieurs messages vocaux grâce auxquels elle remonte le fil des derniers mois de son mari, rongé par la dépression, pour laquelle il était pourtant suivi et médicalisé.
 

Résolue à reprendre les choses en main, et contre toute attente, Leigh, à la veille de son anniversaire, décide d'organiser une grande fête en conviant tous ses contacts Facebook. Mais la réception provoque plusieurs malaises car Leigh ne supporte pas la pitié dans le regard de ses invités. Elle finit même par demander à Danny s'il croit possible que Matt se soit suicidé en vérité.


Obsédée par cette idée, Leigh a vu se fermer Danny. Elle rend donc visite, pour la première fois depuis le décès de Matt, à la mère de ce dernier, Bobby, pour la questionner que l'enfance et le mal de vivre de son fils. Danny arrive sur ces entrefaîtes et finit par lâcher que leur père négligeait sa famille et avait même une fois blessé physiquement, par accident, Matt.


L'ancien patron de Leigh, Drew, se marie et l'invite aux noces. Elle accepte, à contrecoeur car craignant de craquer, d'y aller, accompagnée par Jules et Danny. Alors qu'elle s'apprête à s'éclipser avant la cérémonie, Leigh est rattrapée par Danny et tous les deux ne peuvent réprimer, pendant un court instant, leur attirance réciproque.


Troublée par tout ce qu'elle a traversée récemment, Leigh s'accorde un week-end de repos à Palm Springs, dans l'hôtel où elle et Matt auraient dû passer leur lune de miel. Elle y fait la connaissance de Tripp qui la séduit et avec lequel elle couche. Mais, quand au matin, il exprime son envie de la revoir, elle préfère décliner en lui expliquant qu'elle est mariée.


Leigh apprend, en récupérant son courrier, que le comic-book sur lequel travaillait, sur son temps libre, Matt, a été accepté par un éditeur. Danny doute que que son frère souhaitait le voir publié puisque l'histoire est inachevée. Il déclare ne plus vouloir voir sa belle-soeur ensuite. Alors que Leigh se rend à l'endroit où Matt a trouvé la mort, elle écoute sur sa boîte vocale un message de Danny lui avouant ses sentiments.

Parler du deuil n'a rien de bien sexy et la perspective de suivre le parcours d'une jeune veuve durant dix épisodes de trente minutes peut donc en rebuter plus d'un. Pourtant Sorry for your Loss réussit le pari d'émouvoir sans tomber dans le pathos et de sonder cette épreuve sans en faire un spectacle ni racoleur ni plombant grâce à une écriture narrative et visuelle d'une sobriété remarquable.

Cela ne doit rien au hasard puisque, derrière la caméra pour la plupart des épisodes de cette saison 1, on trouve James Ponsoldt, un cinéaste dont j'avais beaucoup aimé deux longs métrages (Smashed, avec Mary Elizabeth Winstead et Aaron Paul, et The Spectacular Now, avec Shailene Woodley et Miles Teller), qui prouvaient déjà sa maîtrise pour traiter d'un sujet dramatique (l'alcoolisme).

Le script est l'oeuvre de Kit Steinkellner, une auteur de comics, dont c'est la première série télé, et dont le talent est assez bluffant. Avec Ponsoldt, elle évite tous les écueils et aborde le thème avec énergie et sensibilité. Au final, c'est un superbe portrait de femme(s), et le pluriel est de rigueur car Leigh, l'héroïne, est entourée de sa mère, de sa soeur, dont les arcs narratifs rencontrent un écho dans sa propre situation.

Leigh était mariée avec Matt, un afro-américain, enseignant et auteur de comics amateur. Un jour qu'il est parti faire une randonnée, seul, il ne rentre pas. La police viendra annoncer à Leigh qu'il a été retrouvé mort sur un sentier, après une chute mortelle d'origine accidentelle. Commence alors pour la jeune femme le long processus du deuil. Elle renonce à son job (ironiquement elle écrivait sur un site web une chronique sur le bien-être) puis accepte l'offre de sa mère de loger chez elle, avec sa demi-soeur, Jules, et de travailler avec elles dans leur club de fitness. Parallèlement, Leigh intègre un groupe de paroles pour veuves.

Elle peut aussi compter sur le soutien de son beau-frère, Danny. Mais c'est par le biais d'une rencontre avec une autre jeune veuve, Becca Urwin, incapable d'assumer en public que son couple était un échec, que Leigh va se remettre en question et questionner sa propre vie conjugale. La déouverte de plusieurs messages vocaus sur le téléphone portable de Matt, d'un comic-book inachevé sur lequel il travaillait accepté par un éditeur, le souvenir d'une cicatrice dans le dos de son mari, le mariage d'un ami, les retrouvailles avec une amie d'enfance, un nuit d'amour avec un inconnu, formeront autant d'étapes vers une espèce de renaissance pour la jeune femme.

Pour ne pas faire de leur récit une intrigue trop centrée et pesante, les auteurs ont eu la bonne idée de développer les seconds rôles. L'entourage proche de Leigh se compose de sa mère, Amy ; de sa demi-soeur, Jules ; et de son beau-frère, Danny. Chacun d'entre eux va contribuer à la remontée à la surface de Leigh. Amy est divorcée de Richard (le père de Leigh), qui a refait sa vie sans être heureux, avec une ancienne alcoolique. Or Jules sort d'une cure de désintoxication à cause de la même addiction et trouve auprès d'elle une "marraine" au sein des Alcooliques Anonymes. Cette situation rapproche Amy et Richard, sur le point alors de retomber dans les bras l'un de l'autre (même si Amy préfère le nier). Le point commun de toutes ces femmes, c'est le vertige qu'elles éprouvent, cette sensation d'être au bord du gouffre et l'incertitude de résister à la tentation (de tout abandonner). 

Et puis il y a le cas de Danny. Cadet de Matt, il est comme Leigh rongé par le doute au sujet de sa mort mais refuse pendant longtemps d'admettre que son aîné allait si mal qu'il ait pu vouloir mettre fin à ses jours. On va, grâce à la relation qu'il entretient avec Leigh, découvrir progressivement deux choses : d'abord que Matt traînait une dépression sévère depuis l'adolescence, en rapport avec leur père (un homme plus dévoué aux autres qu'aux siens et occasionnellement violent) ; et ensuite que Danny (comme Leigh, certainement) est en train de tomber amoureux de sa belle-soeur.

Avec un format de trente minutes (environ) par épisodes, pas le temps pour les auteurs de traîner en route. Du coup, le récit possède une densité remarquable, sans pour autant que cela soit étouffant car trop rempli. Le script de Steinkellner et la réalisation de Ponsoldt ménagent des pauses bienvenues, osent même quelques moments plus légers, et surtout conservent un sens de la nuance admirable. On s'attache à ces personnages, on est ému, mais ce n'est absolument jamais larmoyant, putassier. Un véritable exploit.

Pour exprimer une palette pareille, il faut un casting impeccable, irréprochable et sur ce point-là aussi, Sorry for your Loss est un sans-faute. Janet McTeer, la mère, Kelly Marie Tran, la soeur, et Jovan Adepo, le beau-frère, livrent des interprétations exemplaires. Chacun a plusieurs fois lors des dix épisodes de profiter de grands moments où leurs personnages sont bien développés et campés. La participation de Luke Kirby, dans le rôle de Tripp (épisode 9), est épatante, échappant aux clichés du séducteur profitant d'une jeune veuve : c'est certainement dans ce chapitre que la série achèvera de séduire tous ceux qui la suivent parce qu'il fonctionne comme une sorte de one-shot, déconnecté du reste, avant que la réalité ne rattrape Leigh. Lisa Gay Hamilton est aussi exceptionnelle dans le rôle de la mère de Matt et Danny (épisode 7), refusant d'admettre la responsabilité de son mari dans la dépression de leur fils. Et dans la peau du disparu, Mamoudou Athié est tout simplement impressionnant, à fleur de peau.

Mais c'est surtout Elizabeth Olsen qui va vous éblouir. Déjà impressionnante dans WandaVision cette année, et irréprochable dans plusieurs longs métrages où je l'ai vue par ailleurs (le remake de Old Boy, Martha Marcy May Marlene, Wind River), la comédienne porte la série sur ses épaules et est absolument bouleversante de bout en bout. Olsen possède ce je-ne-sais-quoi indéfinissable propre aux grandes actrices, cette manière de jouer qui vous emporte, de capter votre attention. Elle a une présence incroyable mais sans chichi. Elle réussit à traduire à la perfection tous les états de son personnage en y ajoutant un charme irrésistible. Surtout, il me semble qu'elle a un côté physique, terrien, que n'ont pas beaucoup de ses camarades, et qui confère à son personnage un réalisme troublant.

Sorry for your Loss saison 1 date de 2018-2019 et a déjà été renouvelée depuis. De quoi assurer à Elizabeth Olsen, avec sa prestation dans WandaVision, une nomination aux prochains Emmy awards (sinon je ne comprends plus rien). Et, j'espère, de quoi vous donner envie de vous pencher sur cette série, formidable en tous points.