vendredi 31 décembre 2010

Critiques 196 : SPIROU ET FANTASIO, TOMES 15 & 16 - Z COMME ZORGLUB-L'OMBRE DU Z, de Franquin, Greg et Jidéhem

Double dose de rigueur puisqu'il s'agit du célébrissime dyptique du "Z" :


Les Aventures de Spirou et Fantasio : Z comme Zorglug est le 15ème album de la série, écrit par Greg et Franquin et dessiné par Franquin et Jidéhem (pour les décors) sorti en 1961. Il s'agit de la première partie d'un récit dont la suite est le tome 16, L'Ombre du Z.
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Tout commence par le cadeau inattendu d'une admiratrice que Fantasio reçoit dans un colis : un sèche-cheveux ! Spirou arrive au moment où il l'essaie et est apparemment victime d'une électrocution. Pourtant, peu après, Fantasio revient à lui et sort de chez lui, tel un zombie, pour monter dans une voiture sans chauffeur - mais télécommandée depuis un autre véhicule.
La balade se termine dans la vitrine d'une boutique et Fantasio est hospitalisé. Spirou en raccompagnant son ami chez lui est à son tour victime du même sort et conduit dans une maison abandonnée où il écoute un message sous hypnose.
Lorsqu'il réapparaît chez Fantasio, ses souvenirs sont confus, il ne se rappelle que d'avoir écouté le mystérieux "Z" s'adressant à travers lui au comte de Champignac - lequel est mis au courant par téléphone et a deviné qui se cachait derrière tout ça.
En effet, le savant reçoit dans la soirée la visite de Zorglub, un ancien camarade de promotion, mégalomane grotesque qui lui propose d'être son partenaire dans son projet de conquête du monde. Mais le comte le congédie vigoureusement. Zorglub repart, non sans avoir assujetti et embarqué le gendarme Jérôme, qui lui a manqué de respect.
Spirou et Fantasio rejoignent le comte à Champignac et, après avoir appris la disparition du policier, voient revenir Zorglub, à bord d'un vaisseau futuriste, le Zorgléoptère. Il renouvelle son offre au comte qui la refuse encore et menace alors de prouver sa puissance le lendemain.
Via les ondes radios, il pousse la population de Champignac à s'attaquer au château du comte, mais Spirou les neutralise avec l'aide du Marsupilami et de quelques mixtures de son ami savant. Fantasio se moque alors de Zorglub qui le kidnappe en en faisant un de ses zorglhommes décérébré (à moins qu'un gadget mis au point dans la nuit par le comte ne l'ait immunisé contre la zorglonde...).
Grâce à la zorglumobile de Jérôme, Spirou, Spip, le Marsupilami et le comte remontent la piste du repaire de Zorglub. Drogué par son rival après avoir été malmené par Fantasio (qui jouait donc la comédie du pantin), le pathétique "Z" s'avoue vaincu et promet de détruire ses bases dans le monde (construites en extorquant de l'argent) mais obtient de réaliser son rêve : inscrire sur la Lune une publicité visible depuis la Terre. Mais l'expérience échoue, le slogan étant écrit en zorglangue, donc à l'envers !
Humilié, Zorglub s'éclipse, la tête basse, tandis que nos héros libèrent ses anciens sujets...


Les Aventures de Spirou et Fantasio : L'ombre du Z est le 16ème album de la série, écrit par Greg et Franquin, et dessiné par Franquin et Jidéhem (pour les décors), sorti en 1962. Il s'agit de la suite directe du tome 15, Z comme Zorglub.
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Zorglub vaincu mais laissé libre car accablé par son échec, Spirou, Fantasio, le comte de Champignac, Spip et le Marsupilami rentrent au château, mais, en survolant le village, découvrent que ses habitants ont été zorglhommisés par Jérôme, le gendarme laissé k.o. mais pas guéri sur place.
Nos héros s'emploient donc à "ranimer" les malheureux d'un côté tout en essayant d'arrêter Jérôme de l'autre, ce qui les occupe pour la journée.
Mais, quelque temps après, Zorglub resurgit, sans être reconnu grâce à un nouveau procédé - sauf par le Marsupilami. Cependant, à Champignac, de nouveaux zorglhommes sont présents et confirment que le malfrat n'a pas tenu sa promesse de se tenir tranquille. Démasqué, il prend la fuite avec ses troupes, mais Fantasio, qui a averti l'armée, sait où ils se réfugient : en Palombie !
C'est donc l'occasion de retourner dans le pays du Marsupilami, toujours agité par de nouveaux désordres : cette fois, les habitants sont pris de fièvres consuméristes subites, derrière lesquels le comte devine vite la main de Zorglub pour financer ses recherches.
Lorsque des zorglhommes commettent directement un hold-up, Spirou et ses amis les suivent dans la jungle et localisent le nouveau repaire de Zorglub... Avant de découvrir qu'il est en affaires avec le sinistre Zantafio !
Zorglub reconnaît avoir influencé la population dans ses achats mais le maître d'oeuvre des braquages est Zantafio, remis à la police avant que le comte, grâce à un champignon particulièrement puissant, ne détruise la base.

Le dyptique de Zorglub est un classique de la série, tenu par beaucoup de fans comme le chef-d'oeuvre du run de Franquin. Il faut noter que l'auteur comptait produire un troisième volet consécutif, mais Charles Dupuis, craignant de lasser les lecteurs (et il était le premier d'entre eux), refusa. On peut le remercier car cela aurait effectivement été abusif et qu'en l'état le résultat est impeccable.
Ce ne sont cependant pas mes tomes favoris, et j'oserai même dire que l'âge d'or de la période Franquin vient de s'achever. A cette époque, l'auteur est surchargé de travail : il anime Spirou et Fantasio depuis plus de dix ans, a lancé Gaston, et, à cause d'une brouille passagère (pour des affaires financières) avec Dupuis, il est même passé chez le concurrent, Tintin, où il a créé Modeste et Pompon (ce qui fait que Franquin a, brièvement, produit pour le Journal de Spirou et le Journal de Tintin simultanément). Comme il le racontera à Numa Sadoul dans leur livre d'entretiens (Et Franquin créa Lagaffe), il commençait par ailleurs à lentement mais sûrement se lasser du groom.
La génèse des deux albums précédents (Le Voyageur du Mésozoïque et Le Prisonnier de Bouddha) fut déjà difficile. On a envie de dire "comme toujours" tant Franquin était peu sûr de lui, improvisait souvent ses histoires à partir d'une vague trame et de dialogues, mais, donc, le calendrier dément qui était le sien rendit les choses encore plus compliquées. Pour Modeste et Pompon, il reçut l'aide de Goscinny et Greg, et ce dernier devint son co-scénariste (et souffre-douleur) sur Spirou.
Greg a témoigné de la difficulté de travailler avec Franquin, une tâche à la fois très stimulante grâce à l'exigence du maître mais aussi ingrâte car il s'ennuyait vite, discutait tout, intervenait constamment. De fait, les albums co-écrits avec Greg sont moins fluides et légers : c'est la rencontre de deux imaginaires, l'un du verbe, de la structure (Greg), l'autre du mouvement, de l'imprévu (Franquin), et cela se sent à chaque page. Ce que les Spirou de Franquin gagneront en rigueur, ils le perdront en fantaisie.
Par exemple, il n'est plus question de pages entières décalées, déconnectées, où le Marsupilami peut aérer le récit en libérant des gorilles sur un paquebot ou en affrontant un lion dans la savane. D'ailleurs, le dyptique de Zorglub, même s'il nous ramène en Palombie au second acte, clôt une sorte de "cycle des aventures exotiques" (avant cela, seul Le Prisonnier de Bouddha refera voyager les héros, mais la Chine y est moins bien exploitée que l'Afrique ou l'Amérique Latine). Parfois, on sent Franquin à l'étroit dans cette histoire trop bien calibrée, où la bd Spirou est devenue un vrai team-book (avec le comte, Spip, le Marsupilami, Fantasio, le retour de Zantafio - il ne manque que Seccotine à l'appel).
Mais attention ! Pas de méprise, cela reste très bon et ces quelques 120 pages répartis sur deux albums constituent un projet ambitieux et abouti dans le run de Franquin. Le talent de narrateur de Greg (aussi à l'aise dans les registres comiques que réalistes) est exemplaire et la lecture est formidablement rythmée, avec un enchaînement de rebondissements merveilleux. Franquin continue de peupler le Spirouverse en inventant Zorglub qui, tout en étant un adversaire d'envergure, épaississant le passé du comte (même si on peut pinailler en constatant l'évidente différence d'âge entre ces deux camarades de promotion...), est un pathétique et drôlatique loser. Contrairement à Zantafio, avec lequel Greg l'associe tardivement (et de manière maladroite car on voit qu'il s'agit d'un prétexte pour permettre aux héros de localiser la nouvelle base de Zorglub), il n'est pas méchant, mais inconséquent, donc juste assez dangereux pour ne pas être négligé. Il deviendra en tout cas un personnage récurrent de la série après le départ de Franquin et la source d'inspiration de nombreux auteurs, y compris dans les hors-série Une histoire de Spirou par...(cf. Les Marais du Temps, de Le Gall).
Le dyptique de Zorglub témoigne de l'esprit gentiment anarchiste de Franquin, qui se radicalisera dans Gaston : les critiques du conditionnement des individus, de l'hyper-consommation, des dérives totalitaires (déjà abordées dans Le Dictateur et le champignon) et scientifiques, de la publicité (le message inscrit sur la lune est d'ailleurs inspiré d'un projet du savant allemand Werner Von Braun, leader du programme spatial de la Nasa), tout cela démonté par l'absurde et l'énergie d'aventuriers justiciers, c'est du pur Franquin, et du meilleur, ordonné par Greg.

Les deux opus bénéficient d'illustrations au style de plus en plus nerveux, moins élégant mais plus tonique, où l'apport de Jidéhem pour les décors est décisive : grâce à son lieutenant, Franquin a pu donner à cette aventure au long cours une tenue irréprochable, jamais bâclée.

Sans être donc mes préférés, ces deux tomes sont indispensables : la série par Franquin entame sa dernière ligne droite et, sous le signe du "Z", brille d'un feu qu'elle ne retrouvera pas avant longtemps.

mardi 28 décembre 2010

Critique 195 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 12 - LE NID DES MARSUPILAMIS, de Franquin

Les Aventures de Spirou et Fantasio : Le Nid des Marsupilamis est le 12ème album de la série écrit et dessiné par Franquin, sorti en 1960. Il contient deux histoires, Le Nid des Marsupilamis (42 pages), et La Foire aux Gangsters (19 pages), cette dernière illustrée avec Jidéhem (pour les décors).
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- Le Nid des Marsupilamis : Après leur aventure en Afrique (Le Gorille a bonne mine, tome 11), Spirou et Fantasio reçoivent une proposition pour présenter une conférence sur les grands singes. D'abord réticent, Fantasio se laisse convaincre par Spirou mais au même moment on leur annonce que le programme a changé et qu'un autre documentaire sera présenté. Ils s'y rendent et découvrent que Seccotine a filmé un autre Marsupilami, puis une femelle et leurs enfants, dans la jungle de Palombie.
La vie de ces animaux y est décrite avec précision, de leur relation de couple à la chasse aux piranhas en passant par leur affrontement régulier avec un jaguar ou des singes et la construction de leur habitat.
Mais de retour chez eux, Spirou et Fantasio assurent à leur Marsupilami qu'il restera leur favori.

- La Foire aux gangsters : Le mystérieux Soto Kiki sollicite l'aide de Spirou et Fantasio pour qu'ils assurent la protection du milliardaire John P. Nut menacé par le gangster Lucky Caspiano. Pour cela, il leur enseigne lee judo et leur confie un émetteur-récepteur grâce auquel ils resteront en contact.
Fantasio las d'attendre des nouvelles de Kiki s'éclipse. Spirou reçoit alors un appel de ce dernier le priant de se rendre à la baraque des boxeurs de la foire qui se tient en ville, où serait retenu en otage le fils de Nut.
Spirou a la confirmation que le bébé est aux mains des boxeurs mais l'un d'eux, Bertrand, s'est pris d'affection pour lui et l'aide contre ses complices.
Chez lui, Spirou retrouve Fantasio et comprend alors sa méprise : le bambin est en vérité l'héritier de Honeysuckle, au centre d'une rivalité entre Kiki et Caspiano. Les bandits sont dénoncés à la police et incarcérés. (N.B. : L'épisode connaissait lors de sa publication originale une fin plus complète: Soto Kiki, sorti de l'hôpital, dépose une bombe dans la voiture du bandit Lucky Caspiano qui meurt dans l'explosion, avant d'être arrêté par la police. Cette fin, jugée trop violente, a été coupée pour la sortie en album.)

A nouveau, cet album contient deux épisodes, dont le premier est plus long et le deuxième est une curiosité.

Le Nid... est une histoire singulière (mais devenue recommandée par le Ministère de la Culture pour les enfants) car Spirou et Fantasio sont spectateurs, littéralement, du documentaire réalisé par Seccotine sur les Marsupilamis. Franquin présente les animaux dans leur décor naturel et en profite pour signer un récit détaillé sur leur existence, leurs amours, leur descendance, leurs relations avec les autres bêtes.
La jungle est fantastiquement représentée et offre à l'artiste l'occasion d'illustrer des séquences mémorables : le génie de Franquin pour le running-gag éclate avec les déconvenues du jaguar dont la queue est progressivement dévoré par les piranhas, ces mêmes piranhas qui sont décimés par le Marsupilami déployant ruse et force pour séduire une femelle et protéger leur progéniture.

Un autre gag récurrent est exploité en dehors du film de Seccotine, avec la voisine de Fantasio dans la salle de conférence qui n'arrête pas de manger des bonbons dans des sachets crépitants et de crier d'horreur à chaque séquence où les bébés Marsupilamis sont en danger.

La narration où domine la voix-off de Seccotine et les onomatopées constituant le langage des Marsupilamis est aussi un vrai défi brillamment relevés.

Franquin a pourtant (comme souvent) beaucoup douté durant la réalisation de cet album : la faute à son mentor Jijé qui, en découvrant l'histoire prépubliée dans le Journal de Spirou, lui avait demandé qui il espérait intéresser avec son idée de faux-reportage... Rapidement, et pour longtemps, cet album devint pourtant "culte" auprès des fans de Spirou comme des lecteurs de bd en général. Il est abordable par tous, enfants comme adultes, d'une efficacité imparable, à la fois amusant et tendre : Jijé s'était bien trompé.

Le second épisode est en revanche une étonnante déception dans le run de Franquin. La construction de l'histoire est bancale, souffrant d'une introduction trop longue (avec Kiki, l'initiation au judo, la facilité avec laquelle Spirou et Fantasio acceptent la mission...) et d'un dénouement expédié, bâclé (qui dût d'ailleurs être modifié pour la parution en album).
La présence de Gaston dans un petit rôle paraît forcée, en tout cas elle n'apporte pas grand'chose. Seul Fantasio est bien inspiré en disparaissant rapidement de cette intrigue où seul Spip s'en sort avec les honneurs.
Franquin n'était pas fier de ce chapitre et le jugeait avec sévèrité comme un ratage : c'est lucide.

Inégal mais comprenant une histoire des plus originales, c'est probablement l'opus le plus atypique de la période Franquin.

mardi 21 décembre 2010

Critique 194 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 10 - LES PIRATES DU SILENCE & LA QUICK SUPER, de Franquin, Rosy et Will

Deux Aventures de Spirou et Fantasio : Les Pirates du Silence & La Quick Super est le 10ème album de la série, sorti en 1958. Il comporte donc deux histoires, la première étant écrite par Rosy, et dessinée par Franquin avec l'aide de Will pour les décors, comptant 46 pages ; et la seconde en comptant une quinzaine.
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- Les Pirates du silence : Le Marsupilami arrive, épuisé, chez Spirou et Fantasio. Comprenant qu'il vient de chez le comte de Champignac, les deux héros téléphonent à ce dernier, sans succès. Fantasio convainc Spirou, malgré cela, de l'accompagner pour Incognito City, ville où se réfugient vedettes et milliardaires, où il compte faire un reportage - bien qu'y soient interdits les appareils photos.
En route, ils font la connaissance de Juan Corto dos Orejas y Rabo, qui ose les défier en voiture, avant de les inviter chez lui, à Incognito City justement, pour s'excuser. Puis, en s'arrêtant à une station service, ils interrompent une dispute musclée entre le garagiste et deux brutes.
Arrivés à destination, Spirou et Fantasio, après avoir été refoulés d'un palace refusant les animaux, sont hébergés par Alphonse Minet qui s'est entiché de Spip et du Marsupilami. Lors d'une conversation, l'animal révèle à ses maîtres qu'il est doué de parole - comme un perroquet il est capable de répéter certains mots !
Les deux amis décident ensuite de rendre visite à Juan Corto pour lui rendre une mystérieuse fiole qu'il a perdu lors de leur première rencontre. Chez le milliardaire, ils aperçoivent les deux brutes de la station service, en habits de chauffeur et de valet.
Spirou tente à nouveau de téléphoner au comte de Champignac dont le silence commence à l'inquiéter. De retour chez Minet, il trouve le pauvre homme ligoté et qui lui apprend que Fantasio a été enlevé. Le Marsupilami part à sa recherche et sème Spirou en allant jusque chez Corto.
L'animal revient chez Minet et nomme Juan Corto. Spirou comprend que Fantasio se trouve là-bas et découvre, une fois sur place, que le comte est également otage de cet homme qui prépare un hold-up d'envergure en ville grâce à un gaz soporifique créé par Champignac. Celui-ci a heureusement un antidote qu'il injecte à ses amis mais aussi à Spip et au Marsupilami. Ensemble, ils s'emploient alors à stopper les voleurs en leur arrachant leurs masques à gaz jusqu'à l'arrivée de la police, prévenue par Minet et Champignac.
Fantasio , qui a pris des photos grâce à des appareils cachés dans sa pipe et sa montre, croit tenir un reportage sensationnel. Mais c'est sans compter sur le Marsupilami qui le répéte alors à voix haute !

- La Quick Super : M.Content, propriétaire d'un garage, furieux de s'être voler plusieurs voitures et d'être suspecté, accepte quand même que Fantasio (accompagné de Spirou et Spip) essaie son dernier modèle, la Quick Super.
Les deux héros rencontrent peu après le détective de la compagnie d'assurance qui partage ses informations - Content a travaillé dans le passé pour le cirque Zabaglione, qui avait enlevé le Marsupilami (dans le tome 5 : Les Voleurs du Marsupilami) - en échange de leur aide pour coincer les voleurs.
Après une nuit passée à dormir dans la voiture, Spirou et Fantasio poursuivent leurs tests quand le groom aperçoit dans une foire le géant Goliath. Il comprend alors que c'est son acolyte, le nabot directeur du personnel, qui vole les voitures en se cachant dans leur coffre, et qu'ainsi Content escroque les assurances.

Comme le tome suivant, Le Gorille a bonne mine, Les Pirates du Silence est un album mal-aimé de certains fans et de Franquin, qui le jugeait inabouti. C'est pourtant comme le n°11, un opus à réhabiliter car très agrèable à lire.
Quels reproches adressent les détracteurs à ce livre ? De proposer deux histoires moins ambitieuses que de grands classiques antérieurs et ultérieurs, mais ces histoires sont-elles pour autant mauvaises ?
En vérité, Les Pirates du Silence présente la faiblesse inverse du Gorille a bonne mine, dont le récit aurait pu être plus développé : ici, l'argument est peut-être au contraire trop mince pour tenir 46 planches, mais cela ne signifie pas qu'on s'ennuie en le lisant.

Par exemple, l'idée d'endormir une ville entière pour un braquage est ingénieuse et offre un affrontement final spectaculaire (même si Franquin aurait pu facilement en tirer plusieurs planches pleines de cascades comiques). La ville hyper-sécurisée, refuge de riches propriétaires, est déjà une excellente idée en soi et les ruses de Fantasio pour y faire un reportage à sensations, finalement ruinées par la faute du Marsupilami, sont savoureuses. Il aurait été amusant d'inclure Seccotine dans ce récit, effectuant un sujet similaire et concurrent, propice à énerver Fantasio.

Mais, comme il l'a confié à Numa Sadoul (dans le livre d'entretiens Et Franquin créa Lagaffe), Franquin s'est lancé dans cet album en étant vite à court d'idées. Rosy a été appelé à la rescousse et a construit l'histoire, comme le fera par la suite Greg (même si Franquin sera beaucoup plus interventionniste avec ce dernier). Démotivé, un peu honteux, l'artiste a avoué avoir dessiné ce scénario sans conviction.

C'est pourtant un résultat loin d'être déshonorant : les planches sont très élégantes, dynamiques, jamais on ne sent que Franquin s'est forcé pour les réaliser. Le décor est peut-être insuffisamment exploité, mais l'animation des personnages, l'exposition de l'action est parfaitement lisible et efficace.
Créateur exigeant, d'abord avec lui-même, l'artiste n'a pas à rougir de cette aventure.

La seconde partie du programme, La Quick Super, présente également une intrigue plutôt bien ficelée, qui ne mérite pas la sévèrité de son auteur et de certains fans.
Franquin fait référence à un précédent album (le tome 5 : Les Voleurs du Marsupilami) avec habileté pour dénouer cette histoire de vols de voitures. Les véhicules permettent à l'artiste de se (et nous) faire plaisir et la séquence finale où Spirou comprend la magouille de Content et où la Quick Super finit dans le décor est remarquablement découpé, témoignant de la virtuosité avec laquelle Franquin parvenait déjà, bien avant les meilleurs gags de Gaston, à simuler le mouvement dans une suite de vignettes que le lecteur n'aurait pas eu l'idée de zapper pour arriver plus vite en bas de page.

Un album à reconsidérer : ce n'est effectivement pas un sommet du run, mais loin d'être un ratage.

dimanche 19 décembre 2010

Critique 193 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 9 - LE REPAIRE DE LA MURENE, de Franquin

Les Aventures de Spirou et Fantasio : Le Repaire de la Murène est le 9ème album de la série écrit et dessiné par Franquin, sorti en 1957.
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Le comte de Champignac a inventé un nouveau produit révolutionnaire à base de champignons, le X4, qui permet de décupler les capacités cérébrales. Pour le tester, il accepte de relever le défi que lui proposent Spirou et Fantasio et lancé par voie de presse par Xénophon Hamadryas : concevoir un engin permettant de descendre dans le grands fonds marins tout en laissant sa liberté de mouvement au plongeur. L'appareil mis au point, reste à le fabriquer et le comte commande les matériaux pour cela. Mais des attentats ruinent les efforts de Champignac, Spirou et Fantasio : d'abord, le camion de livraison est victime d'un accident, puis une explosion endommage le château.
Le trio part dans le Sud et s'installe dans la maison d'un ami du comte, près de la mer, pour y achever leurs travaux. Il rencontre Hamadryas qui leur explique pourquoi il a organisé son concours : il s'agit de retrouver l'épave du "Discret", un de ses anciens cargos commandé par le capitaine John Héléna, et qui aurait coulé.
Spirou descend dans les abysses et découvre l'épave transformé en un repaire alimenté par des générateurs d'oxygène depuis lequel Héléna dirige de juteux mais malhonnêtes trafics. Mais c'eest sans compter sur le Marsupilami, dont la faculté amphibienne lui a permis de suivre Spirou et qui l'aide à neutraliser le malfrat.
Hamadryas rend visite à son ancien capitaine en prison et lui révèle qu'il avait caché une réserve d'or dans une cellule du "Discret", magot qu'il compte récupérer grâce à l'appareil de Champignac. Héléna doit taire le passé mafieux de Hamadryas contre la promesse de ce dernier de le libérer. Mais la police a placé des micros dans la cellule et arrête l'affairiste lorsqu'il tente ensuite de s'emparer du bien du comte par la force. Quant au Marsupilami, il règle son compte à la murène du Cap Rose comme Spirou et Fantasio ont réglé celui d'Héléna et Hamadryas...

Chef-d'oeuvre ! Le Repaire de la Murène est, à mes yeux, le meilleur album de Franquin (seul aux commandes - ses opus écrits par Greg, comme le "dyptique Zorglub", seront d'autres sommets) et il reste mon préféré de tout son run : c'est une histoire que j'ai souvent relue sans jamais m'en lasser.

Tout est parfaitement dosé dans cette aventure, à commencer par le mélange d'action et d'humour : l'intrigue est magnifiquement construite, avec l'idée du concours, l'usage du X4, la découverte de l'épave et des agissements d'Héléna, et enfin la révèlation des mobiles d'Hamadryas. Franquin ménage ses effets avec génie, ponctuant le récit de séquences spectaculaires superbement mis en scène - les sabotages, le recours au Métomol et au Fantacoptère, les tests de plongée. L'auteur convoque ses inventions les plus mémorables pour résoudre et faire progresser l'histoire.

C'est aussi l'occasion de donner au Marsupilami une nouvelle faculté : il est amphibie et ce don sera décisif pour Spirou dans le repaire d'Héléna. Franquin regrettera d'avoir dôté son animal de capacités supplémentaires pratiquement à chaque nouvel album : c'était une sorte de défi potache entre lui et son ami Yvan Delporte (mythique rédacteur en chef du "Journal de Spirou"). Mais la bonne bouille de la bestiole excuse tout : le vrai talent merveilleux du Marsupilami est de donner la banane au lecteur dès qu'il apparaît. Qu'importe alors qu'il soit amphibie, de parler comme un perroquet (comme ce sera le cas dans l'album suivant : Les Pirates du Silence), cette créature est euphorisante et témoigne de la poétique fantaisie dont se sentait curieusement coupable Franquin.

Il ne manque guère que Seccotine à cette aventure pour que tout le "Spirou-gang" soit au complet. Mais la dynamique des personnages fonctionne à plein régime et Spirou lui-même vole la vedette à Fantasio en étant au coeur des séquences-clés, faisant le coup de poing avec les saboteurs, s'enfonçant dans les abysses, défiant Héléna... Preuve, là encore, que le groom n'est pas qu'un simple héros boy-scout dans l'ombre de son bouillonnant complice ou du comte lunaire.

Les dessins atteignent également des sommets d'élégance et d'énergie : le découpage est d'une fluidité imparable, les dimensions des vignettes alternent pour servir au mieux l'action, et l'atmosphère angoissante des profondeurs permet à Franquin de prouver qu'il sait représenter un milieu pour lequel il éprouvait une authentique phobie (car s'il admirait Cousteau, l'artiste détestait l'eau !).

Quel régal ! Voilà vraiment une bd extraordinaire arrivée à son zénith !

vendredi 17 décembre 2010

Critique 192 : DOCTOR 13 - ARCHITECTURE & MORTALITY, de Brian Azzarello et Cliff Chiang

Doctor 13 : Architecture and Mortality est un roman graphique écrit par Brian Azzarello et dessiné par Cliff Chiang, publié par DC Comics sous le label Vertigo, en 2006-2007. Il s'agit à l'origine d'une mini-série en 8 épisodes, éditée comme "back-up story" pour Tales of the unexpected.
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Le Docteur Terrence Thirteen a été créé en 1951 : c'est un sceptique qui ne croit pas dans le surnaturel, ce qui en fait une curiosité dans le monde des super-héros DC. En 1969, le Dr Thirteen devient un second rôle notable dans les aventures du Phantom Stranger, figure mystique, puissante et mystérieuse, archétype de tout ce à quoi il n'adhère pas.
Puis il vit quelques histoires en solo où son statut de rationaliste forcené lui donne surtout l'aspect d'un aveugle un peu stupide puisqu'il rejette l'évidence, c'est-à-dire l'omniprésence du paranormal dans un univers fondé là-dessus - et admis comme tel par les lecteurs.
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Le récit présent pousse le concept du personnage au maximum de l'absurde puisque, comme l'indique le sous-titre, le DCverse (et par extension l'univers des super-héros) est articulé par les notions d'architecture et de mortalité. Autrement dit, quel avenir pour un personnage de seconde zone qui en plus ne croit pas au monde extravagant qui l'entoure ?

Enquêtant sur un crash dans les Alpes françaises en compagnie de sa fille Traci, le Dr 13 veut élucider les raisons de l'accident mais aussi celle de la disparition de plusieurs passagers. Il rencontre alors I, Vampire (dont, évidemment il nie la nature) puis est entraîné dans une succession de rebondissements de plus en plus inexplicables lorsque sa fille est enlevée.
C'est ainsi qu'il doit faire équipe avec le vampire puis un pirate fantôme, le Captain Fear, et un néanderthalien sauvé des glaces, Anthro, pour attaquer un fort perdu dans la jungle et tenu par des gorilles nazis, the Primate Patrol. Il rencontre alors un gamin omniscient, Genius Jones, et une héroïne du XXXIème siècle, Infectious Lass.
La sagesse scentifique du Docteur est ébranlée par ces créatures au point qu'il admet que rien de tout ce qui lui arrive n'est un hasard, ce que lui confirme Genius Jones en évoquant les énigmatiques Architectes (déjà mentionnés par Anthro) dont l'objectif serait de les éliminer pour réécrire l'Histoire.
Le Dr 13, accompagné du Vampire et du gorille nazi, d'un côté, et le reste de la bande mené par Traci, de l'autre, séparés accidentellement après leur premier affrontement direct contre les Architectes, se retrouvent pour les défier sur leur terrain, dans les bureaux d'un building célèbre. Condamnés à être supprimer, ils vont devoir les convaincre que ce sont les lecteurs qui décident ou non de l'existence des héros. Mais cette issue n'est-elle pas déjà prévue par l'adversaire ?
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L'évocation d'Architectes et de personnages de fiction appelés à être écartés, le tout dans les replis du DCverse : l'allusion aux grands bouleversements survenant lors de sagas évènementiels pilotées par des scénaristes-vedettes de la firme est évidente. Mais Brian Azzarello et Cliff Chiang ont préféré abordé cette aventure sur le ton de la comédie méta-textuelle que sur celui de la diatribe aigrie.
Publiée au même moment que la maxi-série hebdomadaire Infinite Crisis : 52, l'histoire répond directement à ses concepteurs, le quatuor Mark Waid-Geoff Johns-Greg Rucka-Grant Morrison, qui ont refaçonné l'univers DC à cette occasion. Mettant en vedette des héros déjà secondaires, 52 posait indirectement la question de l'existence de personnages encore moins connus, voire oubliés, inutilisés, voués à une mort certaine. De fait, le Dr 13 trouvera la mort dans 7 Soldiers of Victory : Zatanna #1, écrit par Morrison, et on n'a plus revu depuis I, Vampire, Anthro, Genius Jones, Primaul, Captain Fear ou Traci 13.
Néanmoins, la "morale" de cette fable est que seuls les lecteurs en continuant d'acheter les comics décident de la vie ou de la mort des personnages, plus encore que les scénaristes (et les éditeurs). A défaut de la sauver, la "Team 13" réunie par Azzarello et Chiang peut au moins être (re)découverte ici et, ma foi, c'est une belle sortie, un beau baroud d'honneur, plein de fantaisie, très drôle, inventif, rythmé et léger.
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Cette histoire exubérante aurait pu sombrer dans la pochade délirante gratuite sans Cliff Chiang dont les dessins sont une nouvelle fois merveilleux.
L'artiste apporte une finesse et une élégance au récit, et son trait "ligne claire", à la croisée de Curt Swan et Edgar Jacobs, est un pur régal. Il respecte le côté savoureux, ironique de l'histoire tout en lui ajoutant une classe et une beauté jamais prises en défaut. Et encore une fois il excelle particulièrement dans la représentation des personnages féminins, ajoutant même une note sulfureuse (comme dans cette scène étonnante où le Dr 13 rêve de sa fille en déshabillé sexy).
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Doctor 13: Architecture and Mortality est un divertissement, mais sensible et intelligent : l'hommage de deux auteurs à des héros méconnus, ringards, mais touchants, et une réflexion subtile sur la manière dont on fait et défait les comics, le rapport des lecteurs avec les oeuvres et l'nfluence du public par rapport aux scénaristes.

lundi 13 décembre 2010

Critique 191 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 5 - LES VOLEURS DU MARSUPILAMI, de Franquin


Une Aventure de Spirou et Fantasio : Les Voleurs du Marsupilami est le 5ème album de la série écrit (d'après une idée de Jo Almo) et dessiné par Franquin, sorti en 1954.
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Au terme de Spirou et les Héritiers, Spirou et Fantasio regrettaient d'avoir privé le Marsupilami de sa liberté en le confiant au jardin zoologique : de fait, l'animal se morfond dans sa cage. Pire, bientôt ils apprennent que la bête est subitement morte !
Mais le corps disparaît et nos deux héros avec le gardien de nuit du zoo, convaincus que le voleur est encore sur place, attendent la fin du jour et des visites pour le coincer. Après une course-poursuite effrénée (à laquelle vient se mêler un varan du Nil désirant s'évader), Spip déchire le paquet du voleur et Spirou arrache la poche de son pantalon d'où s'échappe en outre un papier. Tout cela permet quelques déductions : d'abord, le Marsupilami est encore vivant (le papier du paquet est troué pour permettre à l'animal de respirer), ensuite ils localisent l'adresse et donc l'identité du voleur (Valentin Mollet).
La femme de ce dernier fait promettre de ne pas livrer son mari à la police en échange de quoi elle les informe qu'il est en partance pour Magnana (quelque part dans le Sud - la Côte d'Azur ou l'Espagne). Malgré leurs efforts, Spirou et Fantasio ne réussissent pas à rattraper Mollet qui s'éloigne en avion.
Ils gagnent donc Magnana et l'y cherchent durant un mois. En croisant par hasard la femme de Mollet, ils la suivent jusqu'à un stade et découvrent que Mollet joue dans une équipe de foot. L'interceptant à la sortie du vestiaire, ils le font parler et il avoue avoir volé le Marsupilami pour le compte de Zabaglione dont le cirque se produit en ville et pour lequel il travailla enfant.
Empêchés par le directeur du personnel et son aide, le géant Goliath, d'inspecter la ménagerie, Spirou et Fantasio ne doivent leur salut qu'au Comte de Champignac, en vacances à Magnana, et qui leur offre des pilules grâce auxquelles ils mettent au point un numéro de magie.
Engagés par Zabaglione, ils en profitent alors pour repérer le Marsupilami, mais au moment de le libérer ils sont découverts. Ils se débarrassent, avec l'aide de Mollet (venu au spectacle avec femme et enfants), au prix d'un belle bagarre, de leurs adversaires et peuvent enfin ramener le Marsupilami qu'ils hébergent chez Fantasio.

Le dénouement du tome 4 rendait évident une suite directe, nos deux héros regrettant d'avoir arraché le Marsupilami à sa jungle palombienne. Oubliant leurs scrupules, les héros étaient résolus à voler l'animal au jardin zoologique... Ainsi, alors qu'ils s'apprêtaient à succomber à la malhonnêteté, ils conservent leur satut de justiciers-aventuriers.
Il aura, curieusement, fallu 2 ans pour que ce récit soit publié, alors que Franquin (comme on peut le voir à ses signatures sur certaines vignettes) a réalisé les planches en 52. La conception de l'histoire n'a pas été évidente non plus : l'auteur savait sur quelle idée il allait la bâtir mais, n'écrivant qu'un vague synopsis, Franquin s'est appuyé sur une idée de Jo Almo pour finaliser son projet. Cette manière de faire continue de surprendre car les aventures de Spirou et Fantasio ne ressemblent aucunement à des récits improvisés - sinon par ce goût récurrent pour des séquences humoristiques en roue libre où il laissait libre cours au développement de gags (en particulier les poursuites, comme celle dans le zoo).
En tout cas, comme à son habitude, et peu importe ses méthodes, Franquin propose un scénario au rythme soutenu, ponctué par des gags savoureux, très visuels, et à l'intrigue faussement simple sans être méandreuse. C'est cela qui est épatant : cette maîtrise derrière la légèreté du processus.

Riche en action, ramenant le Marsupilami au coeur du Spirouverse, c'est un album enthousiasmant qui se dévore.

Graphiquement, Franquin a encore fait mûrir son style : Jijé est totalement oublié et le trait, l'expressivité, la gestuelle, le découpage sont remarquables d'élégance, de souplesse, d'énergie. Presque soixante après, cela n'a pas pris un ride : je me répéte à ce sujet, mais c'est aussi une qualité de ces albums que leur éternelle jeunesse.

Une suite royale pour un des tomes les plus aboutis de la série.
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Deux petits bonus :
Deux pages teaser pour l'histoire.

Radio Circus,
 4 pages réalisées en complément du récit
pour "Le Journal de Spirou".
 
 
 

dimanche 12 décembre 2010

Critique 190 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 4 - SPIROU ET LES HERITIERS, de Franquin

Spirou et Fantasio : Spirou et Les Héritiers est le 4ème album de la série écrit et dessiné par Franquin, sorti en 1952.
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Le vieil oncle de Fantasio vient de mourir et a fait de lui et de son cousin Zantafio ses principaux héritiers (ne laissant que son perroquet à sa belle-soeur Esther et à sa nièce Séraphine). Mais pour recevoir le legs, ils doivent réussir au moins trois épreuves.
La première consiste à inventer une machine d'utilité publique : Fantasio présente, après plusieurs essais farfelus, le Fantacoptère, un jet-pack dorsal révolutionnaire. Zantafio, fieffé filou, l'a espionné et fait construire de son côté le Zantajet, plus puissant, polyvalent mais plus dangereux : il met le feu à une maison et Spirou sauve un enfant pris dans les flammes, donnant la victoire à Fantasio.
Ensuite, les deux cousins doivent participer à une course automobile sur le circuit de Cocochamp (inspiré de Spa-Francorchamp) et se font engager par l'écurie Turbot. Zantafio fait encore des siennes, redoublant de fourberie en organisant le rapt des deux coureurs Martin et Roulebille (qu'on retrouvera dans le tome 6 : La Corne de rhinocéros) puis en essayant d'accidenter Fantasio avec la complicité d'un autre pilote. Spirou prend le volant du bolide de Zantafio, évite le drame et arrive troisième - mais il donne ainsi la victoire au vilain cousin.
Enfin, il leur faut retrouver et capturer un animal, le Marsupilami, qui vit dans la jungle de Palombie, en Amérique latine. Mais la bestiole est facétieuse et l'endroit occupé par les redoutables indiens Chahuta's. Spirou et Fantasio attrapent le Marsupilami et, contre toute attente, échappent aux indigènes grâce à Zantafio, qui a choisi de rester en Palombie (on verra pourquoi dans le tome 7, Le Dictateur et le Champignon).
De retour auprès du notaire Mordicus, après avoir remis le Marsupilami au jardin zoologique de la ville, Fantasio découvre la nature de son héritage : l'expérience gagnée durant ces aventures.

Si on peut considérer le vrai début de la série avec le tome 2 (Il y a un sorcier à Champignac), alors Spirou et les Héritiers constitue l'album fondateur du run de Franquin.
L'histoire est clairement découpé en trois actes correspondants aux trois épreuves que disputent Fantasio et Zantafio : ce chapitrage ôte de la fluiditié au récit, mais pas son dynamisme.
Le goût de Franquin pour les mécaniques est déjà manifeste avec la course automobile dont il fait un vrai épisode plein de suspense, riche en rebondissements, plein de tension, révèlant toute la vilaine de Zantafio. On y fait également la connaissance de Martin et Roulebille, qui seront de retour dans le tome 6, La Corne de rhinocéros.
Mais avant cela, le bédéphile aura découvert l'apparition de cet engin formidable qu'est le Fantacoptère : ce véhicule n'est pas seulement ingénieux mais révolutionnaire car, comme le raconta Franquin (dans ses entretiens passionnants avec Numa Sadoul dans Et Franquin créa Lagaffe), il aurait fonctionné dans la réalité. Pour le fan de comics, et d'Alan Moore en particulier, le Fantacoptère est également l'inspirateur du jet-pack de Tom Strong (visible dès le premier épisode de la série dessinée par Chris Sprouse). Si Franquin n'a pas lu cet hommage, il est indéniable que l'auteur de Watchmen connaissait Spirou et Fantasio.

Enfin, l'élément qui achève de classer ce tome parmi les classiques de la série (et de la bande dessinée en général), c'est l'apparition du plus formidable animal du 9ème Art : le Marsupilami. De toutes les créations de Franquin, il reste (avec le Gaffophone) la plus mémorable et l'artiste conservera toujours une affection spéciale pour lui (en conservant la propriété et l'usage après avoir quitté la série). Par la suite (même s'il le regrettera un peu), il dôtera la bestiole de facultés de plus en plus irrésistibles, comme un jeu avec ses héros et leurs lecteurs. Quoi qu'il en soit, Franquin ne tardera pas à remettre le Marsupilami en vedette puisqu'il réalisera le tome suivant (Les Voleurs du Marsupilami) dans la foulée et en fera la vraie mascotte de la série.

Graphiquement, Franquin s'est déjà notablement affranchi de l'influence de Jijé en donnant leurs formes quasi-définitives aux personnages. Son trait n'a pas encore la souplesse qui fera sa légende, et le découpage est très académique (avec le fameux gaufrier, rigoureusement employé), mais la lecture est d'une clarté déjà exemplaire.
Une oeuvre et un style sont véritablement en train de naître sous nos yeux durant la soixantaine de pages du récit.

L'album incontournable par excellence : la légende est en marche.

vendredi 10 décembre 2010

Critique 189 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 8 - LA MAUVAISE TÊTE, de Franquin

Les Aventures de Spirou et Fantasio : La Mauvaise tête est le 8ème album de la série, écrit et dessiné par Franquin, publié en 1956. Il contient également une courte histoire : Touchez pas aux rouges-gorges.
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Les choses vont mal pour Fantasio : licencié du "Moustique", il vient d'être victime d'un cambriolage où on lui a volé des photos d'identité. Spirou, de passage, essaie de la réconforter mais se brouille avec lui après une brêve partie de Jokari (le jeu que Franquin a préféré illustrer).
Alors qu'il traverse la ville, Spirou voit Fantasio conversant avec son voisin (qu'il lui avait pourtant juré ne pas connaître) et s'éloigner sans le remarquer. Le groom, agacé par l'attitude de son ami, entre dans une bijouterie dont le propriétaire criait "au secours" après avoir été attaqué. Fantasio surgit et est accusé par le commerçant d'être son voleur. Le commissaire Chevelu procède à des vérifications d'identité et laisse partir nos héros.
En voiture, Spirou se fâche à nouveau avec Fantasio qui prétend n'avoir pas rencontrer plus tôt son voisin. Ils se séparent jusqu'à ce que, devant la vitrine d'un magasin de télévisions, Spirou assiste à la retransmission en direct à la présentation du masque d'or de Néfersisit... Volé devant tout le monde par Fantasio !
Résolu à demander des explications à son ami, Spirou se rend chez lui le lendemain matin et le trouve très irrité, racontant qu'il a passé la nuit à faire un voyage à Paris pour un rendez-vous bidon. Le commissaire et ses deux adjoints arrivent et trouvent alors des pièces accablant le journaliste à propos du vol de la bijouterie. Fantasio n'a d'autre choix que la fuite.
Tandis que la police se lance aux trousses de son ami, Spirou examine les photos dans le journal et pense que Fantasio est manipulé, peut-être hypnotisé. Il va chez le voisin de ce dernier et y trouve des indices compromettants - un moulage de la tête de Fantasio, de la matière pour créer un masque - puis surprend une bagarre entre ledît voisin et ses complices. Hélas ! Il ne peut les empêcher de s'échapper, les uns filant en voiture, l'autre l'assommant plutôt que de l'accompagner au poste. Toutefois, le voisin laisse un mot sur la destination de ses acolytes.
Spirou part pour Montauris quand il trouve Fantasio caché dans le coffre de leur Turbotraction. Puis Fantasio, pour semer Chevelu, embarque en train de son côté.
Le commissaire et ses adjoints épinglent le reporter mais Spirou réussit à gagner le domicile présumé des malfrats, tel qu'indiqué par le voisin. C'est ainsi qu'il découvre le cerveau de l'affaire, celui qui a commis ces méfaits sous un masque avec les traits de Fantasio : Zantafio (qui avait juré de se venger dans le tome précédent : Le Dictateur et le Champignon).
Après une course-poursuite, Spirou piège Zantafio dans une cabane où les rejoint le complice du maléfique cousin. Laissant les brigands s'expliquer, Spirou doit encore récupérer le masque de plastique et celui en or de Néfersisit. Il y parviendra, mais au prix d'une cascade apparemment fatale...
Trois mois s'écoulent, le procès de Fantasio est sur le point de se conclure et sa condamnation semble acquise. Il ignore que Spirou est vivant mais amnésique et en possession des pièces qui l'innocenteraient. Mais, par chance, à la faveur d'un concours de circonstances, le groom recouvre ses esprits et surgit au tribunal juste à temps pour sauver son acolyte.

Dôté d'une couverture qui désolait Franquin (il est vrai qu'elle n'est pas très réussie) et d'un titre discuté par son éditeur (l'adjectif "Mauvaise" risquait de nuire commercialement à l'album - le problème se posera à nouveau au tome 11 : Le Gorille a bonne mine qui devait en fait avoir "mauvaise mine"), ce 8ème opus est quand même une nouvelle réussite.
Si Fantasio est le déclencheur de l'histoire, dans la configuration "hitchcockienne" du faux coupable que tout accable, c'est pourtant une histoire dominée par Spirou qui de la planche 37 à 51 s'emploie seul, après l'arrestation de son compère, à démasquer (littéralement) son adversaire et à récupérer les preuves de son innocence. Après un premier morceau de bravoure (la course cycliste remportée malgré lui par Fantasio - planches 30 à 35) à la fois spectaculaire et burlesque, qui rapproche encore une fois Franquin de Chaplin dans la mécanique gaguesque, c'est l'autre occasion pour l'auteur de nous entraîner dans une longue séquence débridée au rythme époustouflant comme il en a le secret.
La dynamique du "couple" Spirou-Fantasio est mise à l'épreuve dans cet album où on les voit se brouiller et se réconcilier jusqu'à ce que groom soit seul aux commandes : on comprend alors que la quête de la vérité (sur la manipulation de Fantasio) est aussi importante pour Spirou que son amitié pour le reporter. Franquin déplorait que son héros n'ait pas plus de caractère : il prouve pourtant le contraire. Si Spirou est comme beaucoup d'autres aventuriers fondamentalement gentil, loyal, honnête, bon, il est aussi brave, jusqu'à l'intrépidité, déterminé jusqu'à l'entêtement. Mais là où Fantasio est un personnage expansif, tempêtueux, pressé, parfois injuste en étant expéditif, Spirou est plus posé, raisonnable : il n'agit que quand il est certain de son coup et alors rien ne saurait l'arrêter.

Sans être une suite directe du Dictateur et le Champignon - le décor a changé, des éléments en sont absents (comme le Marsupilami, Seccotine) - , le retour de Zantafio relie évidemment les deux albums et a le mérité de ne pas retarder la vengeance qu'il avait promise aux deux héros dans le tome 7. Franquin ménage toutefois le suspense en révèlant l'identité du malfaisant tardivement (page 39), mais le machiavèlisme et l'énergie déployés par Zantafion soulignent à quel point c'est un vrai méchant après Spirou et Les Héritiers et Le Dictateur... : prêt à tout pour nuire. La vraie némésis de Spirou et Fantasio, c'est bien lui et sa présence même donne une perversité certaine au récit, dépassant la simple aventure distrayante.

Franquin a, sur cette trame policière plus rigoureuse, cependant pu donner libre cours à toute sa virtuosité graphique, notamment dans la seconde partie à Montauris avec la course cycliste mentionnée plus haut puis les efforts de Spirou pour neutraliser Zantafio et récupérer les preuves de sa machination et son butin.

Sans le Marsupilami, et avec la présence discrète de Spip, mais également sans des seconds rôles comme Champignac ou Seccotine, le dessinateur ne dévie pas (ou peu) de l'histoire, mais prouve que même moins fantaisiste, il sait captiver sans faillir.

Le trait est follement élégant et le découpage admirablement fluide : c'est magnifique et imparable. Une autre leçon de narration.

Les deux planches de Touchez pas aux rouges-gorges qui complètent l'album mettent en scène le Marsupilami protégeant une couvée d'oisillons d'un chat. Réalisées pour le magazine de Spirou, elles n'ont pas d'autre intérêt que de nous faire retrouver l'animal palombien, ce qui reste un plaisir.

Un polar "spiroutiste" implacable, quasiment la version "franquinienne" de La Mort aux Trousses. Indispensable donc.

jeudi 9 décembre 2010

Critique 188 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 7 - LE DICTATEUR ET LE CHAMPIGNON, de Franquin

Les Aventures de Spirou et Fantasio : Le Dictateur et le Champignon est le 7ème album de la série, écrit (avec Rosy) et dessiné par Franquin, publié en 1956.
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Le Comte de Champignac a concocté à l'aide d'un champignon un gaz baptisé le "Métomol", dont la propriété est de ramollir le métal. Après avoir fait une démonstration à Spirou et Fantasio venus rendre visite au Marsupilami, le Comte se fait dérober le produit par l'animal qui va alors faire des dégâts en ville.
Ces catastrophes font comprendre aux héros que la bestiole doit regagner la jungle de Palombie (d'où ils l'ont ramené dans le tome 4 : Spirou et les Héritiers), son domaine naturel, puisque lee jardin zoologique a dû fermer après avoir fait faillite.
Le voyage en paquebot puis en avion est ponctué par de nouvelles gaffes du Marsupilami et finalement Spirou, Fantasio et Spip sont parachutés en rase campagne. Ils gagnent la capitale Chiquito et découvrent alors que le pays est à la botte de l'armée et du mystérieux général Zantas, qui les convoque à son palais après une bagarre dans un bar.
Nos héros retrouvent alors dans ses habits de dictateur le cousin de Fantasio, Zantafio (lui aussi rencontré dans le tome 4), qui leur propose de devenir ses colonels car ils préparent l'invasion du Guaracha. Ils refusent avant de se raviser dans le but de saboter ce plan.
Par chance, Seccotine, en reportage, les croise et leur permet de communiquer en secret avec l'extérieur, commandant à Champignac du Métomol grâce auquel ils pourront neutraliser l'armée palombienne.
Le projet de Zantafio échoue et il disparaît en jurant de se venger. Il ne reste plus qu'à ramener le Marsupilami dans sa jungle, mais l'animal, attaché à ses maîtres, les suit à leur insu...

Bien que Franquin ait toujours jugé sévèrement son oeuvre, ne ménageant ni ses scénarios (souvent improvisés !) et son dessin de l'époque, on ne peut qu'être étonné et épaté par la maestria de son run sur Spirou, où après des débuts hésitants sous influence Jijé, il a su finalement très vite se trouver et imprimer sa marque sur la série. A cet égard, Le Dictateur et le Champignon est assurèment un des sommets de son oeuvre "spiroutiste" (comme il la qualifiait), le tome de la maturité.
Le récit est ambitieux et ne déçoit jamais, aussi riche en gags (fournis par un Marsupilami en grande forme, "métamolant" tout Champignac, semant la panique à bord d'un paquebot en libérant un gorille mais aussi à bord d'un avion de ligne - qui effectue un looping ! - , et déclenchant dès l'arrivée à Chiquito une bagarre dans un bar) qu'en action (la description d'une dictature sud-américaine et comment la faire chuter, en "bazookant" des chars ou en détournant un jet). On a là 62 pages d'un haut niveau, menées à un rythme d'enfer, avec du suspense, de l'humour, et même de politique.
Car ce qui distingue ce volume 7 des aventures précédentes, c'est bien - même si Franquin se défendait de réaliser autre chose que de simples bandes dessinées pour la jeunesse - qu'il préfigure un pan entier de la bibliographie de son auteur en dénonçant les dérives idéologiques au nom de la politique. Dans ses Gaston, Franquin s'engagera plus franchement pour la défense de l'écologie et contre le militarisme, parfois avec naïveté, parfois avec subversion. Mais l'origine, la source de cela, c'est sans doute Le Dictateur et le Champignon.
La couverture (un exercice que l'artiste n'appréciait pas et où il ne se trouvait pas bon) est déjà surprenante puisqu'on y voit les héros en uniforme de colonels de l'armée palombienne dirigée par Zantafio : Spirou et Fantasio passent d'ailleurs la majorité de l'histoire dans ces habits et cela a valeur de symbole. Ils ne sont plus seulement des aventuriers reporters, mais bien des anarchistes déguisés en hommes d'un pouvoir injuste, répressif, résolus à saboter un régime et un projet d'invasion de l'intérieur.
Le retour au premier plan de Zantafio, après son apparition dans Spirou et les Héritiers, est un double évènement : d'abord, c'est la première fois qu'un adversaire du tandem resurgit, et ensuite, il s'agit d'un vrai méchant, d'un sale type. Bien plus que Zorglub, dont la maladresse le rend cocasse donc sympathique, le cousin de Fantasio est un authentique malfaisant, dont les motivations et les méthodes (paranoïa, espionnage, mégalomanie) n'ont rien de comiques. Franquin était troublé de lui avoir donné les traits de son ami (et futur co-scénariste) Greg, alors qu'il ne le connaissait pas encore et qu'il se refusait à caricaturer ses collaborateurs. Mais au-delà de cette anecdote, on retiendra plutôt une séquence formidable comme celle du discours de Zantafio devant une foule qui, comme il l'apprendra ensuite, n'a rien entendu à ce qu'il disait car les micros ne fonctionnaient pas : après les cascades de Fantasio dans le Grand Bazar de La Corne de rhinocéros, évoquant les Temps Modernes, c'est au Dictateur du même Chaplin qu'on pense cette fois. Les grands esprits se rencontrent...
Seccotine revient également dans cette histoire, de manière tardive et discrète mais décisive puisqu'elle permet aux héros de mener leur révolution à bien : moins peste mais toujours aussi mignonne, la reporter du "Moustique" reste un personnage féminin d'un modernisme exemplaire dans la bd des 50's.
Enfin, le Marsupilami se taille la part du lion avec des morceaux de bravoure mémorables, écrasant l'écureuil Spip : l'épilogue dans la jungle est tout un symbole, résumant l'affection des héros pour l'animal et réciproquement mais aussi celle de Franquin pour sa créature (la seule dont il tint à garder la propriété exclusive une fois son run sur Spirou achevé).

Graphiquement, l'album est éblouissant de bout en bout : conservant un découpage classique (avec l'emploi du gaufrier), Franquin tire le maximum de son dispositif narratif. La fluidité du flux de lecture est redoutable et donne un tempo échevelé au livre qui se dévore plus qu'il ne se lit.
On voit avec quelle maîtrise le dessinateur valorise les premiers plans quand l'action prime et sait soigner les décors quand il faut situer cette même action : sa Palombie est une synthèse magnifique de l'Amérique du Sud, avec sa sierra, sa capitale à la fois modeste dans son centre et bourgeoise dans ses quartiers résidentielles. La manière dont Franquin arrive à nous faire comprendre où et quand on est est une vraie leçon, c'est toujours limpide et efficace.
Bien entendu, sa gestion des personnages, avec le soin apporté à la gestuelle, l'expressivité, les déplacements, est toujours aussi saisissantes : rien que pour ça, il faut lire et relire ces albums qui sont comme des cours de bandes dessinées, d'art séquentiel avant l'heure ! Tout y est tellement facile, élégant, tout est tellement juste : c'est impressionnant, 54 ans après ça n'a pas pris une ride.

Un chef-d'oeuvre ! Pas moins !

jeudi 2 décembre 2010

Critiques 187 : REVUES VF DECEMBRE 2010

MARVEL SAGA 8 :

Il y a un début à tout (ce qui ne signife pas qu'il y aura une suite...) puisque c'est le premier numéro de cette revue trimestrielle que j'achète. C'est l'occasion de se pencher sur le sort du Punisher (un héros que je n'ai jamais apprécié particulièrement) après son trucidage en règle dans Dark Reign Saga : La Liste où Daken lui règlait son compte...
- Frankencastle 1-6 : Résurrection - Un vent de révolte - L'union fait la force - Itinèraire d'un tueur - A l'assaut ! - La rage de vaincre.
Cette histoire complète d'un volume égal à un tpb (6 épisodes) mais pour le prix d'un hs diisponible en kiosque fait suite au segment paru dans la collection Dark Reign : The List - The Punisher, déjà écrit par Rick Remender et dessiné par John Romita Jr.
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Ce qu'il faut savoir pour comprendre le début de cette histoire : le Punisher a été un des opposants les plus virulents au régime ultra-sécuritaire mis en place par Norman Osborn après Secret Invasion. Il a dû affronter Sentry, le plus puissant et dangereux des Vengeurs Noirs, puis The Hood - ce dernier a d'abord réanimé magiquement 17 des adversaires (tués par Scourge) du vigilant puis a fait croire à la résurrection de la femme et les enfants de Frank Castle. Bouleversé, il a alors dû faire face à Daken qui l'a littéralement découpé en morceaux au terme d'un combat d'une rare sauvagerie.
Après un tel dépeçage, on pouvait se demander comment Remender allait ramener le Punisher et la façon dont il s'y est pris a, comme nous l'apprend la postface de la revue, suscité des réactions très partagées chez les fans américains (et d'ailleurs, n'en doutons pas).
Rassemblé (c'est le cas de le dire) par la légion des monstres habitant dans les sous-sols de New-York, Castle devient une version du monstre de Frankenstein, recousu, riveté, remonté de manière iconoclaste. Pourquoi a-t-il été sauvé ? Parce que ses hôtes sont pourchassés par Hellsgaard, un chasseur de monstres dont la famille a été massacrée en 1898 par des loups-garous en Allemagne et qui dirige maintenant une armée de samouraïs japonais.
Refusant d'abord de les aider, déboussolé par son nouvel état, le Punisher change d'avis quand il venge une des créatures avec laquelle il s'est lié d'amitié. L'affrontement entre Hellsgaard et Frankenscastle s'annonce dantesque...
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Ce résumé donne un aperçu du délire dans lequel nous entraîne Remender, qui justifie sa direction en expliquant que le Punisher peut bien renaître sous cette forme baroque puisqu'après tout il vit dans un monde déjà peuplé d'aberrations (les super-héros aux pouvoirs les plus extravagants).
Ce choix en vaut bien un autre et a le mérite de proposer un récit très amusant, totalement déjanté et d'une brutalité jouissive car complètement décalée. La galerie de monstres (Morbius, l'Homme-Chose, le Loup-Garou, Manphibian...) présentée ici embarque l'aventure dans le surréalisme le plus drôle, compensant la violence des combats (car, comme pour son Dark Reign : La liste, Remender ne lésine pas sur l'hémoglobine).
Néanmoins le scénario n'est pas si régressif que ça et son auteur établit des parallèles habiles entre les protagonistes : ainsi Hellsgaard et Castle sont tous deux devenus des tueurs pour la même raison (l'assassinat de leurs familles) et le Punisher reprend les armes quand un enfant meurt dans ses bras, inscrivant sa réaction dans un cycle.
Mais c'est surtout pour son humour que ces six épisodes sont appréciables : Remender trousse des dialogues enlevés et anime des personnages aux caractères bien trempés, comme le Loup-Garou qui ne cesse de râler, la Momie fataliste, Morbius en proie au doute face à la pierre de sang qu'il détient et qui étanche sa soif de sang (pratique pour un vampire), ou Hellsgaard qui, bien qu'il chasse les monstres, en est devenu un moralement et physiquement.
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Graphiquement, c'est également un festival et Tony Moore, qui dessine les 2 tiers de la saga, se taille la part du lion. Ce n'est pas toujours joli, mais c'est très dynamique, expressif, inventif.
Il est suppléé le temps d'un chapitre par Roland Boschi, également très en forme (même s'il n'est pas au sommet de son art, ce qui laisse deviner une belle marge), et Dan Brereton qui peint les flashbacks du #14 dans un style très bariolé mais approprié (plus que dans un exercice identique de l'annual d'Immortal Iron Fist).
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Bilan : un ovni, mais conçu avec une liberté de ton rafraîchissante et aux images explosives. Une expérience.
X-MEN 167 :
- X-Men 522 : Intangible.
Parlons peu, parlons bien - ce sera l'accroche de la critique des 3/4 de cette revue, autant vous prévenir ! - : c'est une grosse merde, et je suis grossier parce que ce qu'on nous fait lire l'est également.
J'ai déjà eu l'occasion d'écrire tout le mal que je pense de Matt Fraction, un des pires scénaristes actuels (même s'il est, paraît-il, bien meilleur sur sa série Casanova avec Gabriel Bã, mais je ne la lis pas), et il saccage les X-Men avec la même application qu'Iron Man.
Tout ses défauts sont encore plus visibles dans l'exercice délicat du "team-book" : les personnages sont à peine caractérisés (quand ils le sont, ils le sont à la truelle, avec des dialogues affligeants et des comportements ineptes), le rythme est totalement absent (à un point que c'en est ahurissant de s'ennuyer autant durant 22 pages), et quand il doit faire surgir une émotion, c'est pathétique de voir à quel point il en est incapable.
Ce mois-ci, nous assistons au retour d'un personnage emblématique, dont la disparition survenue dans les Astonishing X-Men de Whedon et Cassaday reste un grand moment de la décennie mutante. Hé bien, Fraction est absolument incapable de rendre ce retour palpitant et poignant : ses scènes sont vides, mal exposées, mal dialoguées... Hallucinant que l'éditeur publie ça !
Après les prestations déjà peu enthousiasmantes de Terry Dodson et de Greg Land (sauf si vous adorez les excès de photoshop), voilà que l'épisode est "illustré" par Whilce Portacio, un de ces fameux zigotos des années 90, dans la veine des McFarlane et Leifeld, pour qui les mots "cours de dessin" doivent appartenir à une langue morte.
Tout y est : erreurs anatomiques, compositions nullissimes, découpage navrant, expressivité accablante... Un vrai concentré ! Ce serait presque drôle s'il n'y avait pas encore des fans de ce genre d'énergumènes !
Quel désastre !
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- X-Men Legacy 232 : Sur deux fronts (2).
Dans l'océan de médiocrité qu'est ce numéro, la qualité de cet épisode, qui fait partie de la trilogie connectée au mini-crossover Necrosha, est à la fois surprenante (oui, il y a une chose de bien dans le sommaire) et inquiètante (oui, il n'y a que ça à sauver).
L'équipe de mutants envoyée par Cyclope sur l'île de Muir pour enquêter sur les résurrections commandées par Séléné doit faire face à Proteus, ce spécimen surpuissant capable de modeler la réalité (au coeur d'un des arcs les plus haletants de la période Claremont-Byrne). Il peut même désormais posséder plusieurs hôtes et l'issue du combat mené par Malicia et Magneto s'annonce incertaine...
Mike Carey poursuit sur la lancée du précéden chapitre en réussissant à nous captiver avec une atmosphère tendue et un affrontement à l'issue vraiment improbable tant l'adversaire est puissant et ses opposants désarmés.
C'est redoutablement efficace, le tempo est soutenu, les personnages bien campés : un régal !
Et c'est superbement dessiné par Clay Mann dont l'élégance du trait, l'inventivité des cadrages, la fluidité du découpage, sont un enchantement. La séduction sans vulgarité de ses femmes mais également la manière dont il sait restituer la puissance malmenée de Magneto sont impeccables.
Que ça fait du bien (... Mais ça ne va pas durer...)
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Les Nouveaux Mutants 8 : Necrosha - Langage universel.
Hé non, ça ne va pas durer puisqu'avec cette épisode, on retombe quasiment au niveau des X-Men de Fraction et Portacio.
Ce que ça raconte ? C'est très confus et on ne s'en soucie plus très vite : des méchants mutants courent après des gentils mutants, à la fin les méchants meurent (ou meurent à nouveau vu qu'ils étaient ressucités)... Enfin, bref, c'est d'un inintérêt total.
Zeb Wells est aux abonnés absents. Et Diogenes Neves + Kevin Sharpe ? Aussi mauvais l'un que l'autre : la liste des défauts graphiques de ces planches est au moins aussi fournie que celles de Portacio. C'est tout bonnement horrible.
Pitié !
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- X-Men Noirs 5 : Voyage au centre du Bouffon (5).
Voyage au centre de l'épouvante plutôt tant c'est mal fait, scénario comme dessins : le lecteur bouge encore, voici le coup de grâce !
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Bilan : ah, on n'est pas gâté ! Le mois prochain, fin du passage de Mann sur Legacy et fin de l'achat pour moi jusqu'à nouvel ordre : 4 E, ce n'est pas trop cher, mais ça fait quand même trop pour si peu.

SIEGE 3 :

- Siege (3).

Pénultième épisode de l'event Marvel... Et on s'aperçoit de la brièveté de cette histoire, qui tranche donc avec les précédents crossovers en 7 ou 8 volets ! Au moins, malgré les critiques, il est un reproche qu'on ne pourra adresser à Siege, c'est d'avoir trop duré.

Les Vengeurs (rassemblant Nouveaux Vengeurs, Secret Warriors, Jeunes Vengeurs) sous le commandement de Steve Rogers débarquent à Asgard, résolus à neutraliser Osborn, ses Vengeurs Noirs et le Hammer. Le conflit atteint son point culminant, mais la menace la plus dangereuse demeure Sentry, qui, après sauvagement tué Arès, est désormais totalement submergé par sa moitié noire, Void. Thor défie la créature qui a le pouvoir de détruire le royaume des dieux nordiques et que seul, peut-être, Osborn pouvait encore maîtriser...

Brian Michael Bendis livre un chapitre qui laisse un sentiment étrange : d'une part, on assiste à un tournant du conflit avec l'arrivée sur le champ de bataille des Vengeurs, mais d'autre part, il est vite évident que cela prépare surtout au grand final avec le duel attendu entre Thor et Sentry.

Plus que jamais donc, l'action prime et c'est avant tout la confusion du combat, mettant en scène quantité d'adversaires (quand bien même, et on peut s'interroger à ce sujet, des héros notables sont absents comme les FF, voire les X-Men), qui est restituée durant des pages épiques. Le spectacle est total, sans doute aussi un peu creux, mais c'est le lot des sagas de ce genre : il y a une part d'absurdité dans ces réglements de compte à grande échelle, et Bendis s'amuse à nous balader en sachant que l'essentiel est à côté, avec le rétablissement attendu de Tony Stark mais aussi le face-à-face de Thor et Sentry.

L'épisode a donc un aspect "passage obligé" avec sa mêlée d'assaillants, sa série de catastrophes, et son cliffhanger apocalyptique. Mais le rythme est enlevé et on ne s'ennuie pas. Le dénouement, même prévisible, est prometteur.

Les dessins d'Olivier Coipel sont à l'avenant. J'avais lu que leur niveau baissait au fur et à mesure, mais je ne suis pas d'accord avec ça : certes, il sacrifie un peu les décors, mais rien ne peut être pire que de surcharger des illustrations où l'action est aussi dominante avec des arrière-plans trop fouillés (c'est ce que nous enseigne Franquin). Son découpage rend bien compte de l'ampleur du siège d'Asgard, de la foule des belligérants, de la fureur de leur opposition. Quand il dessine la chute du royaume des dieux, c'est vraiment impressionnant et la double-page qu'il y consacre est saisissante. Et la métamorphose de Sentry est vraiment glaçante, tout comme le démasquage d'Osborn est l'occasion d'une image étonnante (depuis Deodato dans les Thunderbolts d'Ellis, jamais la folie du personnage n'avait été si bien rendue).

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- Siege : Journal de guerre (3).

Brian Reed et Chris Samnee continuent le récit parallèle du siège d'Asgard du point de vue de Ben Urich. Le reporter du "Frontline" échappe provisoirement aux forces du HAMMER... En embarquant à bord d'un de leurs héliporteurs. La situation dégénère rapidement quand Venom emboutit le vaisseau et se met à bouffer les occupants, puis que l'engin s'écrase. Le propagandiste Ted Keller prend alors les commandes et, refusant toute remise en question, continue à travestir les faits à l'avantage d'Osborn. Mais survient la chute d'Asgard...

L'histoire baisse en qualité dans ce troisième volet où Reed balade son héros dans des situations assez grotesques comme s'il devait remplir son scénario jusqu'au final. L'utilisation de Venom (personnage par ailleurs déjà caricatural et peu intéressant) est une grosse ficelle scénaristique, dont le cannibalisme vient surcharger un tableau déjà bien touffu dramatiquement. Dommage, mais espérons que le dernier volet sera de meilleure facture.

Samnee livre de belles planches, efficacement découpées, mais dont la colorisation de Matthew Wilson n'est pas très heureuse. C'est un peu du gâchis.

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Bilan : la fin s'annonce dantesque - Bendis et compagnie vont-ils assurer ? Réponse dans un mois, avec le dénouement à la fois de la saga et du "Dark Reign".


MARVEL ICONS 68 :

- Les Nouveaux Vengeurs 63 : Un Mauvais Rêve.

Annexée à Siege, la série a, depuis le début de l'event, su malicieusement tourner autour, au lieu de se contenter de raconter la même histoire sous un angle différent. Cette fois, Brian Bendis est obligé d'entremêler la relation de la guerre à Asgard et le sort de ses Nouveaux Vengeurs qu'on a vu rejoindre le champ de bataille.

Néanmoins, le scénariste s'y prend avec habileté en découpant son épisode sur deux temps, d'une manière musicale. Le premier temps fait office de refrain en détaillant les faits d'armes de quelques Nouveaux Vengeurs, comme Luke Cage, Ronin et Oiseau-Moqueur. Le deuxième temps montre ces mêmes personnages la veille du combat, en plein questionnement : Cage discute avec Jessica Jones de l'avenir de leur couple et de leur fille (il est convaincu à la fois qu'il faut en finir avec Osborn et croire en la victoire, elle doute de cette issue et se demande si elle doit redevenir une super-héroïne costumée) ; Barton tente de percer à jour Bobbi Morse visiblement nerveuse et perplexe au sujet de leur duo.

Bendis jongle avec ces narrations parallèles avec une belle adresse : comme dans les deux précédents épisodes qui se penchaient également sur deux binômes (Steve Rogers et Bucky, Spider-Man et Spider-Woman), il en profite pour sonder les caractères de chacun (et sans doute semer des indices sur ce qu'il va faire avec eux, dans les prochaines séries Avengers et New Avengers). Il fait très bien ressentir le trouble qui s'empare de ses personnages et les liaisons entre ces scènes de dialogues et sur le champ de bataille sont d'une élégante fluidité.

Stuart Immonen a laissé la place (pourquoi ? Mystère, à moins que Marvel ait voulu ménager l'artiste pour le volume 2 de la série) à Mike McKone. Dessinateur nomade (il a fait de fréquents allers et retours entre DC et la Maison des Idées, et dans les deux cas a oeuvré sur les titres les plus divers, comme récemment sur Spider-Man) mais raffiné, il ne déçoit pas. Ses planches sont superbes, même si je le trouve supérieur dans les séquences calmes. On peut toutefois déplorer que la colorisation de Dave McCaig soit faiblarde et affadisse l'ensemble.

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- Les Quatre Fantastiques 573 : Incursion dans le Nu-Monde.

Depuis son arrivée sur le titre, le travail de Jonathan Hickman me laisse dubitatif : je devine chez lui une vraie imagination et une volonté d'inscrire son run dans un plan ambitieux, en redonnant du corps à une série qui a vécu au gré des inspirations inégales de ses auteurs récents (JMS, McDuffie, Millar : des montagnes russes en termes de style !). Mais je suis aussi irrité par son dédain manifeste pour ce qui l'a récemment précédé et la manière dont il traite (ou pas) ses personnages (le premier arc, tout entier voué à Mr Fantastic, négligeait le reste de l'équipe et s'achevait de façon expéditive et convenue).

Ce n'est pas avec cette épisode que je vais changer d'avis, et même que je vais être séduit puisqu'Hickman saccage sans gêne une des idées du run de Millar (la terre parallèle du Nu-Monde où la Chose, la Torche, Valeria et Franklin Richards atterrissent au milieu d'une lutte politique entre les Nouveaux Défenseurs Lightwave et Ultron) avec un semblant d'histoire très mal narré, dont une fois de plus la chute est épouvantablement gnan-gnan.

Après avoir à peine traité Jane Richards pour en refaire une épouse soumise, Hickman ne fait pas davantage d'efforts pour écrire Ben Grimm, réduit au castagneur de service, et Johnny Storm, cantonné à jouer les figurants. Quant aux deux gamins, d'ordinaire déjà agaçants, ils sont à peine développés. Quand je lis que ce scénariste marche dans les pas de Byrne, je me pose des questions sur la lucidité de ceux qui osent la comparaison...

L'autre mauvaise nouvelle est que Dale Eaglesham a laissé la place au médiocre Neil Edwards au dessin. Cette espèce de clone misérable de Bryan Hitch fait à peu près illusion dans les plans d'ensemble, mais dès qu'il doit découper et illustrer des scènes dialogués avec des plans serrés, le résultat est vraiment cruel.

Tout ça commence à devenir inquiètant...

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- Iron Man 22 : Dislocation (3).

Pas besoin de s'esquinter les yeux avec ça, ni même à perdre son temps avec ce que ça raconte : il suffit de feuilleter les planches pour 1/constater que c'est toujours aussi laid, et 2/qu'il ne se passe toujours rien (pas la moindre scène d'action : le néant total ! Fraction sait-il même qu'un comic super-héroïque est sensé divertir ? J'en doute !).

Zappons. Ce n'est plus inquiètant, c'est désespérant (et ça fait 22 mois que ça dure)!

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- Captain America 604 : Deux Amériques (3).

Cet arc de Captain America, dont l'histoire se déroule chronologiquement avant Siege (bien qu'ayant été publiée en vo pendant et après...), s'avère décevant, comme si la série se cherchait un second souffle.

Bucky est prisonnier du Captain fou des 50's, mais le récit suit surtout le Faucon qui, après d'être débarrassé de ses geôliers, découvre une partie des plans de l'ennemi (un train piègé servant à faire diversion pour un autre attentat plus important).

Ce n'est pas déplaisant de voir ce bon vieux Sam Wilson en vedette : sa bagarre est bien mise en scène et permet au duo Luke Ross-Butch Guice de livrer des planches bien troussées. Mais bon, ce n'est pas palpitant non plus et Ed Brubaker a été plus inspiré dans le passé. En vérité, on lit ça sans se sentir très concerné, de façon détaché, un peu négligé, en attendant de passer à quelque chose de plus musclé et original.

Je ne veux pas être trop sévère, mais il est clair que ces Deux Amériques ne resteront pas dans les mémoires.

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Bilan : un petit numéro, où seuls les NA surnagent vraiment. Les FF déçoivent durement, Captain America ne passionne guère et Iron Man reste illisible. C'est maigre...


DARK REIGN SAGA 5 :

- X-Men/Agents d'Atlas : Vol autorisé ? (1 & 2/2)

Dans ce premier récit en deux parties, les Agents d'Atlas, pour localiser leur acolyte Vénus, enlevée par les gardiens du temple d'Aphrodite qui lui reproche d'être une ursupatrice de la déesse dont elle a le nom romain, entreprennent d' "emprunter" Cérébra, l'ordinateur détecteur de mutants des X-Men. Ces derniers, qui sont en train de s'installer sur l'île Utopia, transfèrent leurs équipements depuis Graymalkin Industries, leur ancien QG, dans la région de San Francisco - la ville où se trouve également, dans les catacombes, le repaire des Agents d'Atlas - , et surprennent vite les intrus.

Agents of Atlas, l'excellente série de Jeff Parker, toujours aux commandes de ce mini-crossover, n'a jamais rencontré le succès : comme les Runaways de Brian K. Vaughan, c'était un titre parmi les plus rafraichissants et les plus toniques de ces dernières années, mais dans l'univers Marvel dominé par Spider-Man, les Vengeurs et les X-Men, les nouveautés n'ont apparemment pas de chance de s'imposer. La dernière tentative de relancer le titre, sous le nom d'Atlas, n'aura tenu que cinq numéros et qui sait où et quand (et surtout si) on reverra la bande de Jimmy Woo...

Cette rencontre avec les X-Men bâtie sur un argument très léger a fait partie des tentatives de l'éditeur pour favoriser l'exposition des personnages fêtiches de Parker. Hélas ! cela n'a pas été suivi d'effet, et par ailleurs le scénariste ne s'est pas montré très inspiré par l'exercice.

On s'amusera cependant de voir Parker pasticher les tics d'écriture de Matt Fraction (avec les cartons de présentation débiles des X-Men, la pléthore de personnages présents nuisant à l'efficacité de toute histoire, la platitude des dialogues et l'absence de dynamique de groupe des mutants est criante par rapport à la verve et à l'énergie des Agents d'Atlas). La démonstration de Parker est presqu'humiliante pour Fraction : avec ces six Agents et un pitch qui tient sur un post-it, il réussit à être plus divertissant que n'importe quel épisode récent des X-Men.

La partie graphique est satisfaisante : ça fait plaisir de revoir le trop rare Carlo Pagulayan, qui mériterait d'être plus souvent employé. Le second volet accueille Chris Samnee, le temps de quelques pages décalées savoureuses, dans lequel son style épuré fait merveille. En revanche, c'est assez curieux que l'épilogue soit illustré par Carlos Rodriguez : certes, ce ne sont que trois planches, mais pourquoi diable Pagulayan n'a-t-il pas terminé ce qu'il avait commencé ?

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- Vengeurs/Agents d'Atlas : Les plus grands héros de la Terre (1-4/4).

Le vrai plat de résistance de la revue est ce récit en quatre parties où New puis "Classic" Avengers (l'équipe originelle des 60's, de Lee et Kirby !) rencontrent les Agents d'Atlas.

L'histoire s'articule de manière alambiquée mais plaisante autour d'une entité créant des distorsions temporelles. C'est ainsi que le gang de Jimmy Woo en intervenant dans un combat des Nouveaux Vengeurs (Spider-Man, Luke Cage, Cap/Bucky, Wolverine, Ms Marvel) est confronté à leurs prédécesseurs (Cap/Rogers, Thor, Iron Man, la Guêpe, Giant-Man puis Hulk).

Le récit est très référentielle puisqu'il convoque des épisodes des années 60, avec l'apparition de Kang le conquérant, tout en faisant allusion à des évènements récents, comme la mort de la Guêpe dans Secret Invasion ou la disparition d'autres héros dans Avengers Disassembled. Le lecteur néophyte appréciera-t-il sans avoir connaissance de tout ça ? Je n'en jurerai pas, mais Parker ne fait pas appel sans raison à cette continuité puisque dans la première série des AoA (dessiné par Leonard Lirk), il rappelait que son équipe était en fait la première formation des Vengeurs, les Secret Avengers (avant qu'Ed Brubaker ne s'empare du nom pour sa nouvelle parution), dans les années 50, quand Marvel s'appelait... Atlas Comics !

Ces quatre épisodes sont en tout cas menés tambour-battant, les bagarres succèdant aux bastons, toutes plus homériques les unes que les autres (après les crystaloïdes, les hommes de lave, Super-Body, Hulk est de la fête, plus déchaîné que jamais). En même temps, le véritable adversaire donne vraiment du fil à retordre aux deux équipes (et la résolution de l'énigme est un joyeux n'importe quoi pseudo-scientifique, comme en pondait Stan Lee dans les 60's).

Parker se fait plaisir en mettant en scène ses personnages avec les Vengeurs classiques et prouve son savoir-faire pour les faire interagir, parsemant les pages de réparties drôlatiques (impayable Gorilla-Man).

Gabriel Hardman illustre ça avec talent : ses combats sont toujours lisibles et explosifs, son trait est à la fois élégant et nerveux (dans la lignée d'un Michael Lark), excellant à animer des personnages vintage. Cela donne un aperçu prometteur de ce qu'il va produire sur Hulk, toujours avec Parker. Et les couleurs d'Elizabeth Breitweiser sont de toute beauté.

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Bilan : très satisfaisant rapport qualité/prix (le volume d'un tpb pour le prix d'un hs kiosque), et l'occasion pour les fans de suivre pour deux de leurs dernières aventures des héros atypiques et injustement condamnés.