samedi 31 décembre 2011

Critique 299 : SPIROU - LE JOURNAL D'UN INGENU, d'Emile Bravo


Spirou, Journal d'un Ingénu est un récit complet écrit et dessiné par Emile Bravo, publié en 2008 par Dupuis dans la collection alternative "Une aventure de Spirou et Fantasio par...".
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En 1939, à Bruxelles, le jeune Spirou est encore un adolescent. Pupille de l'Etat, il travaille comme groom au Moustic Hotel, où il subit les brimades du chef portier Entresol, et survit dans une chambre de bonne minable. Sur son temps libre, il arbitre les matchs de foot des gamins de son quartier. 
Mais lorsqu'une jeune et jolie soubrette, aux convictions communistes prononcées, entre en scène, alors que dans une suite de l'hôtel un représentant allemand négocie avec les polonais leur reddition, et qu'un journaliste à sensations nommé Fantasio rôde, notre héros ne va plus savoir où donner de la tête.
La 2ème guerre mondiale va éclater et entraîner Spirou vers son destin, avec un chagrin d'amour et un nouvel ami au passage - sans compter son écureuil, Spip, dont on découvrira in fine le rôle déterminant...
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Lorsqu'en 2008, Dupuis publie ce album, l'heure est aux festivités pour Spirou qui, mine de rien, célèbre son 70ème anniversaire. Une pièce de la Monnaie de Paris est même frappée à son effigie pour l'occasion !
Pourtant, à bien y regarder, la couverture de ce Journal d'un Ingénu nous indique d'entrée de jeu qu'on a entre les mains un récit complet singulier avec son héros, tenant dans ses bras son fidèle écureuil Spip (et rappelons que Spirou en wallon signifie justement écureuil), un oeil au beurre noir, encadré par des croix gammées et des marteaux croisant des faucilles...
Emile Bravo s'est montré très ambitieux en voulant resituer précisèment les origines du plus fameux groom de la bande dessinée franco-belge, n'hésitant pas à livrer un récit politisé, ironique et stylisé, même si l'album a été édité dans une collection alternative (donc se démarquant de la continuité).
L'auteur sait qu'il pénètre en territoire miné : Spirou est un héros qui a été marqué au fer rouge par Franquin, qui, s'il n'en a pas été le créateur, a animé et peuplé sa mythologie plus que n'importe qui. Le personnage de Rob-Vell a connu des versions inégales, de Jijé à Tome et Janry en passant par Nic et Cauvin, Fournier, jusqu'à Munuera et Morvan et aujourd'hui Velhmann et Yoann (qui en ont hérité après justement un passage par la case "Une aventure de Spirou et Fantasio par..."). Pourtant, malgré cette riche carrière, des béances dans sa chronologie attendaient qu'un artiste inspiré les comble et les transforme en une bande dessinée de qualité. 

Emile Bravo nous raconte donc le Spirou d'avant Spirou et Fantasio en révèlant comment les deux amis se sont rencontrés, pourquoi le groom aventurier est resté fidèle à son costume et célibataire, méfiant avec la politique et farouchement attaché à la démocratie plus qu'à aucune autre idéologie... Sans savoir que son écureuil a bouleversé son destin.
Dans cette histoire, cependant, ce sont d'abord des tracas quotidiens que Spirou s'emploie à gérer : comment gagner l'amour de cette soubrette dont il apprendra trop tard qu'elle appartient au Komintern ? Comment se débarrasser de l'encombrant Fantasio qui traque un couple mondain et adultère au Moustic Hôtel ? Comment éviter le brutalité du portier Entresol ? Et, accessoirement, comment arbitrer des matchs de foot entre garnements ou raisonner un nazi voulant faire plier la Pologne ?

Le scénario accumule les scènes rapides et brêves et fait ainsi davantage penser à la chronique mélancolique d'un adolescent pris entre les feux de la grande et tragique Histoire qu'à un récit d'aventures comme il en vivra ensuite. Cette singularité rend l'ensemble très attachant, parfois mordant, souvent drôle (les clins d'oeil à Tintin sont savoureux), et pourtant cette originalité, loin de se contenter de faire de l'oeil à un lectorat plus élitiste, réconcilie les puristes et les amateurs.
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Emile Bravo ne s'est pas seulement échiné à produire un script d'excellence, il a aussi soigné la forme. Son dessin ne cherche pas à imiter celui des autres, grands ou pas, qui ont animé le personnage avant lui. Il prend le parti d'un graphisme clair, simple, sobre, au découpage serré et au rythme soutenu.
Il utilise le pinceau pour épurer ses compositions et produire des effets subtils qui donne une fausse patine à son récit, comme s'il était vraiment d'époque, avec une colorisation magnifique de nuances de Delphine Chedru.
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Plein de verve, illustré avec soin et personnalité, ce Journal d'un Ingénu s'achève avec un twist particulièrement jubilatoire. Une grande réussite, et assurèment un des meilleurs hommages à Spirou si bien conçu qu'il mériterait de figurer dans la collection régulière de la série.
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Trois petits bonus : La loi du plus fort,
5 pages formant un "antépisode" au Journal d'un ingénu,
et deux dessins inédits.
 
 
 
 
 Spirou & friends :
 Sur le toit du "Moustic Hotel" :

Critique 298 : 5 RONIN, de Peter Milligan et Tomm Coker, Talibor Dalajic, Laurence Campbell, Goran Parlov, Leandro Fernandez

La couverture du recueil
(illustration de John Cassaday et Laura Martin
Les 5 Ronins - de gauche à droite : Deadpool, Wolverine,
Hulk, le Punisher, Psylocke (illustrations de David Aja).

5 Ronin est une mini-série de cinq épisodes publiée en 2011 par Marvel Comics. Le scénario est écrit par Peter Milligan et les dessins sont signés par Tomm Coker (Wolverine), Dalibor Talajic (Hulk), Laurence Campbell (Punisher), Goran Parlkov (Psylocke) et Leandro Fernandez (Deadpool).
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5 Ronin est un projet atypique, un recueil d'histoires curieux et original. L'idée a été lancée par l'éditeur Sebastian Girner, passionné par le Japon, et mise en forme par le scénariste Peter Milligan, lui-même fan du cinéaste Akira Kurosawa et de son chef-d'oeuvre, Les 7 Samouraï.
Imaginer des versions de cinq personnages iconiques transposés dans le Japon féodal du XVIIème siècle permet de les revisiter, détachés du terreau fantastique propre aux comics super-héroïques tout en conservant ce qui fait l'essence de chaque héros : Wolverine le tueur, Hulk le monstre, le Punisher le vengeur, Psylocke la métisse, et Deadpool le fou.
En 1600, le Japon est également à la croisée des chemins : une ére est sur le point de se conclure (l'époque féodale), une autre va débuter : dans ce contexte incertain, lié par une cause commune, cinq personnages vont eux-mêmes être obligés de faire des choix existentiels déterminants.

Peter Milligan n'a pas choisi cette date par hasard, comme il l'a précisé en interview : en 1600 eût lieu une bataille sanglante et décisive à Sekigahara, entre clans de l'Ouest et de l'Est du Japon. Au terme de cet affrontement, la répartition des provinces fut établie. C'est donc un carrefour historique, une époque violente, qui sert au scénariste de métaphore pour parler de notre propre époque, également troublée par des guerres de civilisations, de cultures, de philosophie, de suprémacies.

Le choix des cinq personnages ne doit rien non plus au hasard : il s'agit évidemment de héros-phares dans l'univers Marvel, mais qui ont en commun un aspect "borderline", et dont l'auteur a respecté l'esprit tout en les privant de leurs caractéristiques paranormales habituelles.
Chaque épisode se concentre sur l'un des protagonistes, mais leurs histoires sont interconnectées : à chaque chapitre, le lecteur découvre des éléments supplémentaires sur l'origine de l'intrigue et la situation des 5 ronins. Ils ont tous des problèmes particuliers à résoudre mais ces problèmes puisent à la même source : Daimyo, un chef de guerre, a ruiné leurs vies, en les privant de leur maître, de leur humanité, de leur famille, de leur dignité, de leur raison, au cours de la bataille de Sekigahara.
Une planche de Wolverine par Tomm Coker.

Le premier épisode ouvre de manière percutante la série avec Wolverine, qui a perdu son maître dans la bataille. Milligan trouve une astuce très habile pour évoquer les pouvoirs du mutant griffu : ses griffes sont remplacées par des lames attachées à un bracelet, et son invulnérabilité par le fait qu'il a plusieurs frères jumeaux, laissant supposer à celui qui en croise un qu'il s'agit du même guerrier.
Wolverine retrouve l'un de ses frères ayant pris le parti du chef Daimyo au point de tuer un de ses jumeaux. L'atmosphère étrange et troublante du récit, soutenu (comme les autres épisodes) par une voix-off suggestive et sobre, est une réussite, les scènes d'action sont fulgurantes et sans complaisance. Milligan nous accroche immédiatement.
Les dessins de Tomm Coker contribuent remarquablement à l'intensité du récit dans un style photo-réaliste. L'effort apporté aussi bien aux designs des costumes qu'à la reproduction des décors est exemplaire.

Une planche de Hulk par Dalibor Talajic.

Le deuxième épisode est encore plus original, peut-être le plus déroutant de la série : en effet, la version que Milligan donne de Hulk est certainement la plus inattendue. Il en a fait un moine, retiré du monde sur une montagne, après avoir activement participé au massacre de la bataille de Sekigahara : la cruauté et la brutalité dont il fit preuve ce jour-là l'a horrifié au point qu'il se consacre désormais à une vie de méditation. Lorsque le village voisin sollicite ses services de guerrier pour repousser une nouvelle attaque des troupes de Daimyo, il hésite à accepter par crainte de réveiller la bête au fond de lui.
David Aja, qui a participé aux designs des personnages, avait, comme on peut le voir dans les bonus de l'album, d'abord imaginé donner à ce Hulk l'aspect d'un lutteur sumo (peut-être en souvenir de Fat Cobra, une des Armes Immortelles des 7 Capitales Célestes, qu'il avait dessiné durant son run sur Immortal Iron Fist). Finalement, Dalibor Talajic a imposé une silhouette d'ascète au personnage, totalement méconnaissable par rapport au Hulk classique ou même à son alter ego Bruce Banner.
Mais l'idée est séduisante et efficace, tout comme la traduction du dilemme moral qui se pose au personnage est très bien rédigée.
En outre, on voit à nouveau apparaître Deadpool, après le segment consacré à Wolverine, devenant le fil rouge de la saga tout en conservant son mystére.
Une planche du Punisher par Laurence Campbell.

Le Punisher devait faire partie de l'aventure 5 Ronin... Mais à la vérité, l'évidence de sa présence rend aussi son emploi trop conventionnel et il faut bien avouer que c'est le chapitre le moins intéressant de l'histoire. Milligan n'a rien à changer aux origines classiques du personnage pour l'intégrer dans le projet : ici comme ailleurs, le Punisher va régler ses comptes après que sa famille ait été massacré par, non plus des mafieux, mais des soldats de Daimyo.
Sa vengeance est implacable, son déroulement sans surprise.
Laurence Campbell opte pour un découpage à la fois radical et paresseux, uniquement composé de vignettes horizontales, cinq bandes par page en moyenne. Ce qui pourrait aboutir à un séquençage nerveux ne produit souvent que des plans trop sombres, sans décor, où les couleurs de Lee Loughridge (qui occupe ce poste sur tous les épisodes, sauf le premier où il est remplacé par Daniel Freedman), elles-même majoritairement sommaires, soulignent les défauts de ces partis-pris.
C'est la seule fausse note de l'entreprise - sans doute qu'un personnage moins prévisible aurait été préférable, ou alors avec un traitement plus étonnant.
Une planche de Psylocke par Goran Parlov.

Heureusement, avec l'épisode consacré à Psylocke, Milligan et son nouveau partenaire, Goran Parlov, rattrapent le coup. La cousine du Captain Britain classique est devenue une jeune femme prostituée après la mort de son père, tué par Daimyo, et s'emploie à devenir la fille de joie la plus convoîtée de Yoshiwara afin que son ennemi l'appelle chez lui. Ce projet de vengeance est pervers et déplace subtilement le récit en y introduisant de la sensualité.
C'est aussi le chapitre où deux personnages ont une relation plus rapprochée et consistante puisque Psylocke et Wolverine s'y rencontrent longuement - cette rencontre va d'ailleurs considérablement altérer la conviction de la jeune femme.
Parlov, disciple de l'école italienne des fumetti, donne à ses pages un dynamisme qui tranche avec les autres artistes, délaissant la stylisation au profit d'illustrations plus classiques. Mais sa Psylocke est dôtée d'une beauté à la hauteur de la magnifique couverture d'Aja. 
Une planche de Deadpool par Leandro Fernandez.

Le dernier chapitre met en scène Deadpool, le mercenaire fou : il est apparu dans les segments précédents, tantôt simple figurant, tantôt acteur décisif, mais ici, on découvre qu'il a fait partie de l'armée de Daimyo. Abandonné et laissé pour mort par son maître sur le champ de bataille, il a perdu la raison - au point d'aller défier son ancien chef dans son domaine.
Au duel attendu proprement dit, Milligan n'accorde pas une importance démesurée : il le met en scène d'une façon expéditive, suggestive, en le dialoguant magistralement. Une fois ce face-à-face liquidé, comme il l'a déjà fait précédemment, le scénariste a recours à un flash-back pour resituer le personnage et son cheminement. Il traite avec subtilité la folie de son héros, et lui fait croiser Wolverine, tandis qu'auparavant Psylocke est apparue et que Hulk tente (en vain) de raisonner le Punisher. Si les 5 ronin ne se rencontrent pas tous, leur présence simultanée dans le même périmètre à la fin de l'aventure est amenée avec naturel, et la conclusion du récit est très bien rédigée.
Leandro Fernandez (l'autre designer le plus actif du projet, avec Aja) livre des planches à la fois épurées et soignées.
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Recueillie dans un bel album hardcover, regorgeant de bonus (sketches, couvertures - somptueuses - de David Aja, variant covers...), cette mini-série est un de ces projets insolites que Marvel serait bien inspiré de produire plus souvent. A quand un "5 Cowboys", "5 Knights", ou "5 Soldiers" ?

mardi 27 décembre 2011

Critique 297 : DOCTOR STRANGE - THE OATH, de Brian K. Vaughan et Marcos Martin

Doctor Strange : The Oath rassemble les cinq épisodes du récit complet écrit par Brian K. Vaughan et dessiné par Marcos Martin, publié par Marvel en 2006-2007.
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Apprenant que son fidèle serviteur Wong est atteint d'une tumeur au cerveau incurable, le Docteur Strange entreprend de se rendre dans une dimension parallèle pour subtiliser à un démon un remède. Avant de l'administrer à son ami, le sorcier suprême envoie à un de ses anciens collègues médecins l'antidote pour une analyse qui révèle qu'il s'agit en vérité d'un moyen pour guérir toutes les maladies. La nouvelle parvient jusqu'à Nicodemus West qui engage le Brigand pour récupérer le médicament. Le Docteur Strange s'interpose et est gravement blessé. Le maître et son valet, bien mal en point, emploient leurs dernières forces pour démasquer leur ennemi, connaître ses mobiles et soigner l'humanité. Heureusement, ils peuvent compter sur l'Infirmière de Nuit pour les aider...
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Alors qu'en 2012, Brian K. Vaughan et Marcos Martin vont se retrouver pour un projet en creator-owned chez Image Comics, revenons sur le fruit de leur première collaboration.
Le Dr Strange a connu une carrière secondaire parmi la flopée de héros Marvel, où la magie n'a pas toujours eu les faveurs des scénaristes. Longtemps membre des Defenders (qu'il réintègre dans la nouvelle série lancée par Matt Fraction et Terry Dodson à la suite de Fear Itself et qui sera traduite en France en 2012), le sorcier suprême peut remercier Brian Michael Bendis qui en a fait un des New Avengers emblématiques.
J. Michael Straczynski et Brandon Peterson avaient tenté de rafraîchir le personnage dans une première mini-série, mais l'accueil fut désastreux. Brian K. Vaughan gagna le droit de s'y coller et rédigea l'intrigue du Serment pour un résultat bien meilleur.
Le scénariste des Runaways et Y The Last Man adresse d'entrée de jeu une dédicace à Stan Lee et Steve Ditko, et effectivement on retrouve la simplicité et le sens du rythme du créateur du personnage dans cette histoire riche en rebondissements, ne manquant pas d'humour (l'échange entre Araña et Iron Fist dans la salle d'attente au début, les dialogues dignes des "screwballcomedies" entre Strange et l'Infirmière de Nuit, les références à Timely - premier nom de Marvel...) et dont l'apparente légèreté dissimule une fable avec des questions morales étonnament profondes (le choix final de Strange concernant l'emploi de la panacée).
Lorsque Vaughan s'appuie sur le passé du héros, il sait le faire de manière immédiatement accessible et pertinente : comme tous les grandes figures du Marvelverse, Strange est devenu un justicier après avoir connu une épreuve personnelle et s'être réinventé tout en continuant à être hanté par ses fautes et ses faiblesses. L'exploitation de la magie est complètement fantaisiste mais ne s'égare jamais dans des invocations ridicules ou une représentation trop baroque : en vérité, rarement un comic-book avec un sorcier aura gardé cette fraîcheur, et il fallait bien un auteur comme BKV pour réussir à accomplir ce petit miracle.
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Marcos Martin était également le candidat idéal pour illustrer ce récit hanté par le mythique Steve Ditko : l'espagnol est en effet un des meilleurs disciples du maître et son trait souple, expressif, élégant fait merveille avec ce personnage.
Le découpage a l'intelligence de ne pas abuser d'effets spectaculaires pour épater la galerie. Les seules folies que s'autorise Martin sont des splash-pages et quelques cadres en diagonales, comme des ponctuations pour souligner les états d'âme du Docteur ou les cliffhangers entre chaque chapitre (le suivant offrant un résumé de l'action du point de vue d'un protagoniste différent à chaque fois).

La colorisation à la fois sobre et délicatement nuancée de Javier Rodriguez ajoute à la finesse esthétique du projet. Notons aussi qu'Alvaro Lopez a participé à l'encrage du premier épisode pour être complet.
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Familier ou pas avec le personnage et son univers, voici une mini-série exemplaire, parfaitement écrite et superbement illustrée. Vivement les retrouvailles de ce duo magique !

samedi 24 décembre 2011

Critique 296 : NICK RAIDER - SECTION CRIMINELLE, de Claudio Nizzi et Corrado Manstantuono

Nick Raider, Section Criminelle rassemble les épisodes 74, 121 et Spécial n°8 de la série, écrits par Claudio Nizzi (sauf pour le #121, écrit par Giancarlo Manfredi) et dessinés par Corrado Mastantuono, publiés en 1995 par Strip  Art Features/Bonelli en Italie et en 2009 par Clair De Lune en France.
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- #74 : Un Homme dans la ligne de mire. Eddie Caruso sort de prison et il est aussitôt traqué par d'anciens complices d'un hold-up, persuadés qu'il a caché les bijoux volés autrefois. Le problème est qu'il ne les a pas, que l'affaire implique les policiers qui l'avaient arrêté et que sa mère et l'assistante sociale avec laquelle il entame une liaison sont également en danger à présent. Eddie se confie à Nick Raider qui va s'employer à protéger les innocents, neutraliser les gangsters et confondre les coupables.

- Spécial #8 (1) : Eaux troubles. Le cadavre d'une prostituée est découvert dans un terrain vague, coupée en deux. Le cas rappelle immédiatement aux enquêteurs, dont Nick Raider, celui du célèbre "dahlia noir", la starlette Elizabeth Short, morte dans les années 50. Bientôt sont suspectés les membres de la famille Van Horn, dont Linda, la fille qui devient la maîtresse de Nick, et qui s'avèrent mêlés aux deux homicides.

- #121 : La Rose jaune du Texas. Rose Baker s'illustre dans des foires foraines avec un numéro de tir au pistolet qui lui vaut aussi bien l'admiration que la jalousie des spectateurs. En s'installant quelques années plus tard en ville, elle est obligée de repartir de zéro et son agent tente de la violer. Elle le tue et, en essayant de se débarrasser du corps, se trouve au beau milieu d'une opération de la section criminelle pour appréhender des trafiquants au cours de laquelle Nick Raider manque d'être abattu. Condamnée et incarcérée, la jeune femme trouble Nick qui enquête pour connaître son passé et lui éviter une peine trop sévère.

- Spécial #8 (2). Alfie et l'affaire de la blonde platine. Alfie est un indicateur collaborant fréquemment avec la sectiobn criminelle. Mais avant d'embrasser cette carrière ingrate, il était l'assistant du détective privé Jeff Kane, spécialisé dans les affaires d'adultère. Lorsqu'un mari suspecte sa superbe épouse de le tromper, Alfie en apporte les preuves à Kane qui abuse alors de la situation et de l'infidèle. C'est l'occasion pour Alfie de se venger de son employeur qui s'est toujours moqué de lui.
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La maison d'édition française Clair de Lune traduit plusieurs fumetti (les comics italiens) dans des albums softcovers petit format et d'autres, cartonnés : des titres très populaires comme Diabolik, Dampyr, Tex, Martin Mystère y côtoient d'autres séries comme Nick Raider, Heroes for Hire, Loomix. Avec cet ouvrage volumineux (de 360 pages), c'est l'occasion idéale de découvrir un immense artiste, Corrado Mastantuono, qui en dessine les 4 épisodes.
Mais d'abord, présentons le héros : Nick Raider est un personnage crée en 1988 par le scénariste Claudio Nizzi et le dessinateur Giampiero Casertano, dont les aventures ont été publiées jusqu'en 2000. Cet officier de police travaille à New York sous les ordres du lieutenant Ryan et a pour partenaires Marvin Brown et Jimmy Garrett. Le nain Alfie lui sert d'informateur.
Ce receuil propose 4 histoires, deux de 96 pages (les épisodes 74 et 121), une de 130 pages (la première partie du Spécial n°8) et la dernière de 32 pages (la seconde partie du Spécial n°8), toutes écrites (à l'exception du #121 par Giancarlo Manfredi) par Claudio Nizzi.
Le scénariste utilise tous les clichés de la série noire, revisitant même l'affaire du "dahlia noir" qui inspira un fameux roman à James Ellroy (et son adaptation cinématographique par Brian de Palma) : les grandes figures du genre sont convoquées comme le voyou en quête de rédemption poursuivi par d'anciens complices, les flics ripoux, une riche famille de notables meurtriers, une tireuse d'élite au mauvais endroit au mauvais moment et l'indic'. Mais si les situations et les personnages peuvent être conventionnels, les scripts sont d'une redoutable efficacité, alliant un propos dense, avec des enquêtes fournies en rebondissements, et un rythme soutenu, alternant habilement les séquences d'action et les investigations méticuleusement conduites. Ajoutez-y un zeste de mélodrame, des héroïnes fatales et superbes, des seconds rôles mémorables, et des dialogues toniques (mais hélas ! approximativement traduits) : Nizzi s'impose comme un "page-turner" imparable et on dévore ces histoires dès qu'on y plonge.
La rose jaune du Texas, sans doute le meilleur segment de l'ensemble, mixe même des éléments du western et de la pulp-fiction avec une totale réussite, tandis que le chapitre avec Alfie est d'une savoureuse ironie à la concision impeccable.
Il n'y a vraiment rien à jeter dans cette collection.
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Mais, comme l'indique le sous-titre sur la couverture, la véritable attraction de ce pavé tient au dessin de Corrado Mastantuno, un immense artiste à la production abondante et variée (il a dessiné aussi bien du Disney que du polar ou du fantastique) qui signe les 360 planches de l'album.
Mastantuono est un virtuose du noir et blanc : ses pages sont d'une lisibilité irréprochable, avec un découpage de quatre à cinq cases maximum, ce qui confère aux récits une rapidité de lecture diabolique. Il maîtrise grâce à une technique époustouflante tous les registres : ses personnages sont variés, expressifs (avec une mention particulière à ces superbes héroïnes, des femmes fatales et pulpeuses dans la grande tradition), ses décors sont toujours évocateurs et soignés, ses jeux de lumières et en particulier ses à-plats noirs donnent des ambiances extraordinaires à la moindre scène, quel que soit l'angle de vue ou la valeur des plans.
On pense volontiers à un mélange de Jordi Bernet (le dessinateur mythique de Torpedo), John Buscema (la légende de Marvel et de Conan) et Alex Toth (le génie qui illustra les plus beaux épisodes de Zorro), ce qui constitue une somme impressionnante. Rien que pour cette rencontre, ne passez pas à côté de cet album : vous y découvrirez un artiste imposant !
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Un album passionnant et somptueusement mis en images qui comblera les amateurs comme les connaisseurs de polar bien noir tout en invitant à découvrir les fumetti.

vendredi 16 décembre 2011

LUMIERE SUR... FIONA STAPLES


Fiona Staples
Tales From The Harbor
(commission art)

Couverture pour le magazine Swerve

Space Teen Super Team

The Goon vs Criminal Macabre
(Commission art)

Design pour Zatanna





5 planches de Mystery Society #1

Poster promotionnel pour Saga
Couverture de Saga #1

Naissance au Canada.
Dessinatrice, encreuse, coloriste, cover-artist. 
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Le blog de l'artiste : http://www.fstaples.blogspot.com/ 

jeudi 15 décembre 2011

Critique 295 : DROPSIE AVENUE, de Will Eisner

Dropsie Avenue est un roman graphique écrit et dessiné par Will Eisner, publié par l'auteur en 1995.
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La chronique sur un siècle du quartier de Dropsie avenue : des quelques fermiers hollandais qui y vivaient en 1870 jusqu'à l'implantation des communautés hispanique et noire dans les années 60, et entretemps les périodes dominées par le voisinage des Anglais, des Irlandais et des Italiens durant la première moitié du XXème siècle et après la seconde guerre mondiale, sans oublier l'installation durable des Juifs.
Dans cette artère du Bronx, un des quartiers originels de la ville de New York,on assiste à la cohabitation des puissants et des misérables, les uns perdant leur empire, les autres devenant les maîtres de ce territoire.
Dans une succession effrenée de saynétes de la vie quotidienne, au fil des grands évènements durant une centaine d'années, nous faisons connaissance avec une multitude de personnages haut en couleurs, aux trajectoires à la fois comiques et tragiques.
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Oeuvre tardive dans la carrière exceptionnelle de son auteur (mort en 2006), Dropsie Avenue est un de ses romans graphiques les plus accomplis, un livre de 170 pages, foisonnant, drôle, poignant, édifiant, virtuose, véritable concentré du l'art séquentiel théorisé magistralement par Will Eisner lui-même.
Les bandes dessinées de cet auteur essentiel, dont la modernité de l'expression en fait l'égal des grands maîtres des comics américains (comme Winsor McCay, Jack Kirby, Alex Toth, Alex Raymond, Charles M. Schulz..) mais surtout un artiste unique, atypique, sont pourtant de véritables pièges à critiquer. En effet, il est impossible d'y trouver matière à reproche mais il est aussi délicat de les comparer à quoi que ce soit dans le 9ème Art alors même que la production d'Eisner a inspiré quantité de ses pairs, que ce soit dans la forme (avec une inventivité incroyable dans le découpage par exemple) ou dans le fond (la diversité des sujets et de leur relation). 
Histoire de compliquer la tâche de celui qui veut en parler, Will Eisner a longtemps été d'abord (re)connu comme un auteur iconoclaste d'une bande dessinée plus classique, le mythique Spirit, croisement entre le super-héros, la pulp-fiction et la métatextualité de ces deux genres. Puis, esprit à la fois insatiable et expérimentateur, il s'est réinventé en un chroniqueur social en composant des "graphic novels" aux sujets variés.
Cependant, le thème de prédilection d'Eisner reste le récit urbain et la description des quartiers de New York. Peut-être a-t-il inspiré un romancier comme Paul Auster, qui signa sa propre Trilogie new-yorkaise (Cité de verre - adapté en bande dessinée par Paul Karasik et David Mazzucchelli, le plus brillant héritier d'Eisner et Toth réunis - , La chambre dérobée, Revenants)...
Dans la bibliographie de son auteur, Dropsie Avenue appartient à un tryptique comprenant également Un pacte avec Dieu (A contract with God) et Jacob le cafard (Life Force). Dropsie avenue (Dropsie avenue : The Neightborood) constitue une impressionnante une étude sociologique d'un quartier en perpétuelle métamorphose s'appuyant sur une galerie de personnages mémorables, traversant parfois le récit de manière fulgurante, d'autres fois de façon plus durable.
La grande force d'Eisner est de ne jamais juger ses héros ou de prendre parti pour telle ou telle communauté : il dépeint chacune sans complaisance mais souvent avec chaleur, malice et toujours avec lucidité. Nul mieux que lui n'occupe ce poste d'observateur avisé et omniscient mais jamais condescendant ou partisan. Et à travers cette plongée dans un territoire qui nait, grandit, vieillit et meurt, avant de renaître, comme un organisme vivant, Will Eisner parle des Etats-Unis dans ses heures les plus sombres ou les plus joyeuses, en insistant pertinemment sur le fait qu'il s'agit d'un pays peuplée d'étrangers, cohabitant bon gré mal gré.

D'un point de vue graphique, Eisner est en 1995 depuis longtemps au sommet de son art, qu'il a su théoriser avec passion et pédagogie (inspirant d'autres "artistes-professeurs" comme Scott McCloud). Son travail respire la liberté et est d'une fabuleuse audace.
Tel un acrobate, il accomplit des figures sans filet et s'affranchit de toutes les limites : la planche devient un espace où tout est possible, où les vignettes explosent pour devenir des séquences d'une fluidité époustouflante.
Ci-dessus, il transforme ainsi la page en une façade d'immeuble où les cases sont remplacées par le cadre d'une fenêtre ou l'entrée du bâtiment, théâtre d'une véritable nouvelle dramatique (une femme battue finit par tuer son époux avant d'être embarquée par des policiers). Une leçon de mise en page !  
Eisner passe ainsi de "splash-pages" à des gaufriers ou se livre à des illustrations débordantes les unes sur les autres. Il croque des trognes inoubliables et irrésistibles, donne à ses personnages une gestuelle outrageusement expressive, emballe sa narration ou prend son temps, avec une économie de traits redoutable, à la fois superbe et fruste.
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Un grand album, d'une densité et d'une souplesse exemplaires. L'oeuvre d'un maître en même temps qu'une histoire épique et toujours divertissante.

mercredi 14 décembre 2011

Critique 294 : LA VIE EST BELLE MALGRE TOUT, de Seth

La Vie est belle malgré tout rassemble les épisodes 4 à 9 de la série Palooka-Ville, écrits et dessinés par Seth, publiés en 1998 par les Humanoïdes Associés.
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Seth raconte comment, en collectionnant des bandes dessinées publiées dans la presse quotidienne et les magazines spécialisés, il découvre l'existence et l'oeuvre d'un artiste surnommé Kalo. Son oeuvre est brêve et fulgurante, et il semble avoir disparu au sommet de sa gloire, du jour au lendemain.
En parallèle à l'enquête qu'il mène sur Kalo, le narrateur flâne, passant chez sa mère et son frère Stephen, discutant avec son ami Chet, et rencontrant Ruthie avec laquelle il a une brêve liaison.
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J'avais lu La vie est belle malgré tout il y a déjà quelques années et j'en avais gardé un bon souvenir, celui d'une bande dessinée à la mélancolie élégante. Je l'ai relu pour, entre autres choses, vérifier ce sentiment et me remémorer des passages que j'avais oublié, comme je le constatai en feuilletant l'album.
Je dois dire que j'ai à présent un jugement plus nuancé sur cette oeuvre et son auteur, qui ont les défauts de leurs qualités.
Seth produit une petite musique qui ne manque pas de charme et de raffinement, mais qui s'avère horripilante. Sa manière de juger la production bédestique moderne est particulièrement antipathique, partiale et injuste - grosso modo, tout ce qui est fait depuis les années 60 ne vaut rien. Cette attitude est d'un snobisme exécrable, que ne pardonne pas la nostalgie d'un âge d'or. La bande dessinée, quand on l'aime vraiment, doit être abordée avec un esprit ouvert et non avec ce passéisme qui idéalise les auteurs et leurs oeuvres comme les pièces d'un musée. C'est d'autant plus dommage que cela contredit de façon flagrante le discours d'un artiste qui prétend adorer le média dont il collectionne les éléments et dans lequel il s'exprime.
La meilleure partie du livre réside dans l'enquête, à la fois passionnante et dérisoire, sur le mystérieux et météorique Kalo : à la fin de l'album, on peut d'ailleurs découvrir les onze dessins qu'a pu dénicher Seth. La qualité du travail de cet artiste n'a franchement rien d'exceptionnel, c'est même pour tout dire très anecdotique, suranné, mais il y a quelques pépites spirituelles. En même temps, cela témoigne parfaitement de l'attachement irrationnel que n'importe quel fan de comics peut éprouver pour un auteur, de l'aspect obsessionnel des complétistes, et de la tradition bien particulière des dessinateurs collaborant pour la presse quotidienne et les magazines (dont Sempé pourrait être l'archétype absolu).
Dans cette quête, on peut deviner aussi que Seth cherche un double fantasmé, dont la rareté nimbe d'un halo irrésistible la production. L'époque où Kalo s'est fait connaître agit comme une plus-value puisque les années 50 représente encore aujourd'hui une période propice à un sommet du raffinement. Cela répond au manièrisme affiché par Seth, qui est toujours vêtu comme un dandy de l'après-guerre, écoute du vieux jazz et rejette absolument la modernité, qu'il considère comme une déchéance. Ce côté désabusé est à la fois amusant et agaçant, mais tant qu'il parle de bande dessinée, cela reste sympathique.

Là où ça devient fatiguant et énervant, c'est quand, sous le couvert de la nostalgie, Seth se répand complaisamment sur ses échecs amoureux pathétiques, son point de vue condescendant à l'extrème sur sa famille et les gens en général (son frère est décrit comme un abruti, les personnes qu'il observe comme des créatures dégénèrées, la femme avec qui il entame une relation indigne d'intérêt - d'ailleurs, l'évocation de leur rupture souligne le mépris avec lequel il la considère).
Se dépeindre comme un dépressif chronique, au comportement minable, se vautrant dans l'auto-dénigrement permanent, ne fait pas de soi un individu plus honnête ou lucide, cela a plutôt l'effet pour le lecteur de suivre les pérégrinations d'un geignard qui cherche à se rendre sympathique en se présentant sous un mauvais jour et qu'on devrait plaindre en lui souhaitant de tirer les leçons de ses coupables négligences (à titre de comparaison, Mazzuchelli ne faisait pas d'Asterios Polyp un homme plus avenant mais il finissait par en payer le prix et surtout par changer vraiment, là où Seth reconnaît ses défauts tout en en trouvant encore plus chez les autres).
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Le dessin est à l'image du propos : les influences de l'artiste sont manifestes, et il se représente d'ailleurs à plusieurs reprises en train (d'essayer) de recopier des illustrations d'autres graphistes. C'est un adepte de la ligne claire, et ses images dégagent une poésie certaine parfois (des planches muettes avec des décors urbains ou hors de la ville, souvent sans personnages).
Mais Seth n'a pas la sensibilité de Dupuy et Berberian, son trait manque de texture, ses personnages ont une expressivité très limitée. Son récit dont le fond comme la forme ressemble à celui d'un journal manque cruellement de vie, et la simplicité de son style joue contre le sentiment d'intimité que devrait produire son propos.
Là où Kalo réussissait en une image à traduire une idée pleine de malice de manière économique, Seth souffre d'un côté élève appliqué dont le dessin manque d'âme : c'est clairement la limite de cette "école" d'auteurs modernes nourris au lait d'Hergé mais dont très peu ont su tirer autre chose qu'une copie froide.
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La vie est belle malgré tout est au diapason de son glossaire final : une plongée atypique dans une certaine forme de bande dessinée par un auteur curieux, mais aussi horripilant par son côté pontifiant et sectaire.

samedi 10 décembre 2011

Critique 293 : CAPTAIN AMERICA 10 - THE TRIAL OF CAPTAIN AMERICA, d'Ed Brubaker, Daniel Acuña et Butch Guice

Captain America, book 11 : The Trial of Captain America rassemble les épisodes 611 à 615 de la série, écrits par Ed Brubaker et dessinés par Daniel Acuña (#611) et Butch Guice (#612-615), publiés en 2010-2011 par Marvel Comics.
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Depuis que Bucky Barnes a endossé le costume et le nom de Captain America, il a pu mesurer la difficulté d'une telle responsabilité en devant gagner le respect de l'opinion publique, des Vengeurs, et en affrontant les ennemis de Steve Rogers. Sa dernière bataille en date l'a opposé au fils du Baron Zémo, qui l'a habilement piégé en dévoilant publiquement son passé de tueur à la solde de services secrets russes sous le pseudonyme du Soldat de l'Hiver.
Cette révèlation séme rapidement le trouble au sein des Vengeurs (seuls Rogers, Tony Stark, le Faucon et la Veuve Noire étaient au courant), dans les médias et la population. Le président des Etats-Unis est obligé de plier et exige de Rogers que Barnes comparaisse devant un tribunal pour décider s'il a agi pour le KGB en étant conscient de ses actes ou en étant manipulé mentalement. Bucky accepte d'être jugé par souci d'apaisement et pour faire face à son passé.
Mais l'affaire se corse lorsque le nouveau Master Man aide Sin, la fille de Crâne Rouge, à s'évader de l'asile psychiatrique où elle est internée, pour attirer Bucky dans un traquenard qui achèvera de brouiller sa réputation...
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Cette histoire se déroule avant la saga Fear Itself, durant laquelle le sort de Bucky Barnes connaît un tournant encore plus décisif. Mais ces épisodes, parmi les derniers avant le relaunch de la série (il reste encore un arc), indiquent déjà la direction qu'Ed Brubaker souhaitait imprimer à son héros et ses aventures.
On peut même affirmer que ce qui se joue dans Fear Itself pour Bucky a été inéluctable car Brubaker n'a jamais ménagé son personnage depuis qu'il l'a ressucité au tout début de son run sur la série.
Le tour de force du scénariste aura certes été d'oser ramener, avec succès (aussi bien critique que commercial et en gagnant les fans à son idée), le sidekick de Steve Rogers, mais si l'on y réfléchit bien, ce retour a été jalonné d'obstacles : d'abord amnésique, Bucky a dû ensuite naviguer en eaux troubles (avec la complicité de Nick Fury, lui-même dans le maquis) pour se venger de ceux qui l'avaient manipulé, puis il a perdu son mentor (après Civil War) et s'est employé à récupérer son symbole. Cela l'a conduit à négocier avec Tony Stark, à l'époque devenu le super-flic des Etats-Unis, et a hériter du rôle de Captain America. Puis, comme tous les héros, il a agi dans la clandestinité durant le "Dark Reign" avant de retrouver Rogers durant le Siege d'Asgard. Confirmé à son poste, il a alors dû empêcher un fou furieux surgi du passé de salir le symbole de Captain America, et finalement c'est le fils du Baron Zémo (façon cruelle de boucler la boucle dans un parcours d'héritier) qui a précipité sa chute.
Ed Brubaker a donc insisté, particulièrement depuis que Bucky est devenu Captain America, sur le doute : doute du personnage à être digne de ce rôle, doute de ses partenaires et de son mentor à remplir sa tâche, doute de l'opinion devant ce remplaçant, et maintenant doute concernant son passé. Bucky n'est en quelque sorte revenu que pour mieux tomber et le fait qu'il soit jugé, en bonne et dûe forme, était donc inévitable (même si son calvaire n'est pas terminé).
Bien sûr, on peut juger que cette déchéance était programmée pour préparer le retour de Rogers au premier plan et que le plan de Brubaker a suivi celui d'une logique plus commerciale que purement artistique. Mais Brubaker a été le premier surpris, comme il l'a avoué en interview, du succès du retour de Bucky et de sa promotion, Rogers ne devant pas être "mort" si longtemps. Il est, de fait, parvenu avec Bucky à (re)créer un personnage de premier plan, apprécié du public et de la critique, alors que Marvel (comme DC) n'a guère créé de nouvelles icones depuis longtemps (chez Marvel, il faut remonter à Deadpool, et avant Elektra, le Punisher ou Wolverine).
Dans cet arc, Bucky est donc traduit en justice et son cas divise : qu'il ait été manipulé dans le passé ne fait pas de doute, mais il a commis des actes répréhensibles indéniables, qui le rendent indigne de porter le nom et l'emblême du pays qu'il représente désormais. Au procés proprement dit, Brubaker accorde une place honorable, sans plus, en insistant surtout sur les témoignages à charge - c'est un peu dommage et étrange, car on pouvait attendre un défilé d'amis de l'accusé. En parallèle, les manigances de Sin et de Master Man sont presque plus conséquentes, mais, curieusement, le dénouement manque d'intensité. Le vrai final a lieu à la toute dernière page avec un rebondissement à la fois sombre et accrocheur.
Il est évident que Brubaker a déjà son plan pour après Fear Itself (et l'annonce d'une série Winter Soldier en 2012 l'a depuis confirmée), mais il a eu à coeur de boucler proprement le dossier avant le relaunch (avec le retour de Rogers au premier plan et renumérotation à la clé - dans le droit fil de l'adaptation cinéma de 2011). Du coup, tout ça manque un peu de nerf et de surprise, sans être désagrèable à lire, mais confirme quand même que la période Bucky/Cap n'aura pas été si forte que prévue.
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La partie graphique de la série semble également témoigner du flottement ambiant. En gros, depuis l'époque Epting-Perkins (le début du run de Brubaker donc), tout en conservant une qualité enviable, le titre manque de stabilité esthétique.
Récemment, l'arrivée de Butch Guice lui a redonné du souffle et de l'allure : l'artiste signe ici quatre des cinq épisodes de cet arc et son style enlevé, dynamique et racé, fait merveille. Dommage cependant qu'il n'ait pas à sa disposition un encreur régulier : si Stefano Gaudiano l'épaule efficacement, Mark Moralés (un "ligneur" plus classique et rigide) lui convient moins, et les concours parsemés d'autres partenaires (comme Tom Palmer, Rick Magyar) produisent des effets parfois maladroits.
L'espagnol Daniel Acuña réalise le premier épisode, dans son registre habituel, très coloré, et surprenant pour une série qui a toujours cultivé les ambiances sombres, entre série noire et spy-stories. Appliqué à une histoire particulière, cela n'aurait pas été si troublant, mais là, c'est un peu déplacé.
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Un arc irrégulier, à l'image de la série, en quête d'un deuxième souffle.

jeudi 8 décembre 2011

Critique 292 : LES SENTIERS DE LA PERDITION, de Max Allan Collins et Richard Piers Rayner

Les Sentiers de la Perdition (Road to Perdition en vo) est un récit complet écrit par Max Allan Collins et dessiné par Richard Piers Rayner, publié en 1998 par Paradox Press, un label de DC Comics, et traduit en 2002 par Delcourt.
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Dans les années 30, Michael O'Sullivan est le plus efficace et fidèle tueur du caïd John Looney. Marié et père de deux fils, celui que l'on surnomme "l'ange de la mort" fait le plus souvent équipe avec Connor, le fils unique de Looney, un désaxé, maniaque de la gachette.
Une nuit, ils vont "raisonner" un des associés de Looney père mais la situation dégénère et s'achève dans un bain de sang dont est témoin un des fils de O'Sullivan, Michael Jr. "L'ange" obtient de Connor qu'il lui laisse la vie sauve, se portant garant qu'il ne parlera à personne de ce qui s'est passé.
Pourtant, John Looney trahit son tueur en l'envoyant régler une affaire, profitant de son éloignement pour faire tuer par Connor la femme et l'autre fils de "l'ange". Seul Michael Jr survit et va dès lors accompagner son père dans une terrible vendetta. Dans un premier temps, la mafia, Al Capone le premier, décide de protéger les Looney pour préserver leur business, mais O'Sullivan est déterminé et implacable. Il négocie même avec le FBI et Elliott Ness pour faire tomber son ancien patron, concentrant ensuite ses efforts pour localiser Connor et le supprimer...
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J'avais lu une première fois ce roman graphique il y a quelques années et le résultat m'avait impressionné. Puis j'ai ensuite découvert l'adaptation cinématrographique dont il a fait l'objet en 2002, réalisée par Sam Mendes (American Beauty), avec Tom Hanks, Paul Newman et Jude Law (transposition décevante, disons-le).
La relecture de cet ouvrage volumineux (plus de 280 pages) était l'occasion de vérifier mon sentiment initial, et je n'ai pas été déçu, appréciant sans doute mieux certains éléments, après avoir "digéré" de nombreux romans policiers et beaucoup d'autres bandes dessinées depuis.
Le scénariste Max Allan Collins est un auteur aguerri à la série noire : né en 1948, il a signé quantité de romans, "novellisations" et scripts pour le 9ème art, mais Road to Perdition (titre plus pertinent et riche que sa traduction française puisque Perdition évoque aussi bien le destin du héros que le village où habitent ses beaux-parents, lieu qui verra la conclusion du récit) reste sans doute son ouvrage le plus connu. Il a d'ailleurs ajouté deux spin-off à ce tome, avec la collaboration au dessin de José Garcia-Lopez et Steve Lieber.
La narration est un modèle de nervosité et d'âpreté : découpé en trois chapitres (de presque cent pages chacun), le récit est d'abord un long réglement de comptes, abondant en gunfights spectaculaires. La trame est donc simple et ne se perd pas dans une intrigue complexe, son laconisme la rapproche en fait d'une autre adaptation récente de romans noirs, celle de Parker de Richard Stark par Darwyn Cooke (où l'on retrouve la même structure d'un loner contre une organisation entière).
Néanmoins, cette épure ne fait pas l'économie d'une ambiance très soignée et intense, souvent nocturne, sous la pluie ou dans des paysages enneigés, se partageant entre des séquences urbaines ou dans la campagne proche du western de l'Amérique des années 30. D'ailleurs, Road to Perdition pourrait très bien être un western ou récit médiéval à cause de son aspect brut de décoffrage, quasiment intemporel.
L'atmosphère se fait presque fantastique quand on songe à la manière dont O'Sullivan réussit à se sortir de toutes les fusillades qu'il provoque : il n'est pas tant invulnérable (comme le dit son fils, le narrateur, ce n'est ni un saint ni un boucher, mais un homme rongé par le doute, profondèment religieux) que transcendé par sa mission. Ce type de personnage ne peut qu'évoquer les silhouettes spectrales et impitoyables campées au cinéma par Clint Eastwood, dans des classiques comme L'Homme des Hautes Plaines ou Pale Rider.
Par ailleurs, enfin, Collins s'est sérieusement documenté sur l'époque : il décrit parfaitement la Prohibition comme une période de corruption absolue, avec des caïds plus proches de bureaucrates solidaires que de criminels primaires, et la présence de figures historiques authentiques comme Al Capone et Elliott Ness contribue encore à donner du relief à cette tragédie pétaradante et aux dialogues claquant comme des détonations.
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Une grande bande dessinée est remarquable par son écriture acérée mais aussi par un graphisme réellement exceptionnel, et Richard Piers Rayner est un artiste peu commun.
Le noir et blanc n'exige pas seulement d'un dessinateur une technique sans faille, où l'image doit exister sans des couleurs bien appliquées, elle nécessite des parti-pris souvent radicaux qui viendront à la fois souligner les points forts de la narration tout en portant l'oeuvre entière vers des cîmes visuelles.
Rayner emploie des contrastes intenses, avec des noirs profonds, mai surtout en jouant sur le blanc de la page pour créer des éclairages violents. Son trait est fondé sur un usage de croisements de lignes, de hâchures à la fois strictes pour les décors et plus nerveuses pour les personnages. Le résultat est franchement saisissant.
On notera au passage que, pour des plans rapprochés, Rayner donne à O'Sullivan le visage de Montgomery Clift, un choix à la fois troublant et judicieux puisque le comédien était spécialisé dans les compositions de personnages tourmentés.
Le découpage est élémentaire : une majorité de planches en trois ou plus souvent quatre cases d'égale valeur et des splash-pages surgissant comme de spectaculaires ponctuations. Cette économie de plans confère à l'histoire un rythme soutenu, haletant, et on dévore les 280 pages du livre.
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Un comic-book percutant, à ne pas manquer !

mardi 6 décembre 2011

Critique 291 : MOUSE GUARD - FALL 1152, de David Petersen

Mouse Guard : Fall 1152 est un récit complet en six épisodes écrit et dessiné par David Petersen, publié par Archaia Studio Press en 2007.
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Les Légendes de la Garde (en vf) se déroulent au Moyen-Âge et une cartographie détaillée de la région imaginaire où se passe l'histoire de cet Automne 1152 nous montre les villes fortifiées et ses différents corps de métier. La Garde elle-même forme l'élite des chevaliers du peuple de souris, et nous suivons la mission de trois des ses meilleurs membres : Saxon, Kenzie et Lieam.
Les souris vivent en autarcie et dans le secret pour se protéger des nombreux prédateurs de la nature environnante. Le récit débute après la victoire des souris en hiver contre le tyran Furet, il y a trois ans. Les trois héros sont lancés à la recherche d'un marchand disparu dont ils vont découvrir qu'il a trahi leur peuple en transmettant des informations stratégiques sur leur organisation : c'est ainsi que va être mise à jour une conspiration visant à détrôner Gwendolyn, le chef de la Garde...
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Mouse Guard est une oeuvre atypique comme la bande dessinée américaine en regorge quand on s'aventure hors des sentiers battus des comics super-héroïques. A première vue, mais les apparences sont trompeuses, il s'agit d'un livre pour enfants, avec ces charmantes petites souris. En vérité, c'est une transposition dans le monde animal des récits chevaleresques, avec une intrigue politique, non dénuée de cruauté. 
En France, l'oeuvre de David Petersen a eu les honneurs d'une traduction publiée par la vénérable maison Gallimard et l'album a un format à l'italienne qui confirme sa singularité. Ce format indique un découpage particulier avec des planches qui ne comportent guèrent plus de 3 ou 4 cases et régulièrement  des splash-pages, donnant un rythme soutenu à la lecture. L'alternance de vignettes horizontales et verticales, de plans généraux et des gros plans impactent aussi le tempo du récit de manière à la fois radicale et efficace : les 160 pages de l'album passent comme une lettre à la poste. 

Le scénario est au diapason de la mise en images : la douceur supposée du projet cache une trame dont ne sont pas exemptes des scènes violentes et mémorables (comme des combats contre un serpent ou des crabes), et les personnages n'en sortent pas tous indemnes.
L'ambiance est aussi soigneusement traduite et la cruauté se teinte d'une mélancolie tenace, confirmée par l'épilogue qui résume les conséquences des évènements sur ses protagonistes.
Petersen a eu visiblement à coeur de bien planter son univers en agrémentant son histoire d'appendices comme une carte des territoires habités par les souris, des documents sur la ville de Blarkstone, de ses artisans (maçon, charpentier, potier, meunier, boulanger..., ou encore un petit cahier digne des eluminures d'époque résumant le destin de la Hâche Noire, le plus valeureux des membres de la Garde.
Chaque chapitre s'ouvre par texte recontextualisant les évènements et quelques vers bien tournés ("La mort est une arme puissante / Comme elle est une fuite facile / Les héros deviennent des légendes / Les légendes deviennent les mythes / Les mythes créent de nouveaux héros" - Dernières paroles connues de la Hache Noire, héros légendaire de la Garde).
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Un album étonnant, très efficace et original, une expérience singulière.

vendredi 2 décembre 2011

Critique 290 : JSA BOOK 7 - PRINCES OF DARKNESS, de Geoff Johns, Leonard Kirk, Sal Velluto et Don Kramer

JSA Booke 7 : Princes of Darkness rassemble les épisodes 46 à 55 de la série, écrits par Geoff Johns et David Goyer (jusqu'au #51) et dessinés par Sal Velluto (#46), Leonard Kirk (#47-51, 55) et Don Kramer (#52-54), publiés en 2003 et 2004 par DC Comics.
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- Princes of Darkness (JSA #46-51) : l'histoire démarre sur les chapeaux de roue avec l'attaque de Mordru, qui a pris possession de l'enveloppe physique du Dr Fate, contre la JSA. Il neutralise facilement les plus puissants membres de l'équipe (Sentinel, Thunderbolt, Shazam) en étant aidé par Eclipso et Obsidian, le fils d'Alan Scott/Sentinel, à nouveau en proie à une crise de démence.
La JSA bat le rappel des troupes : avec le concours d'autres héros (comme les Freedom Fighters), elle tente de contenir des émeutes provoquées par l'organisation terroriste Kobra tandis que, dans les ténèbres et la dimension magique de l'amulette du Dr Fate, Hector Hall, guidé par son mentor Nabu, prépare la contre-attaque.
Le conflit prend une tournure dramatique lorsqu'Alan Scott, réchappant in extremis à la mort, doit maîtriser Obsidian...

Brand New Day - Blinded (JSA # 52-53) : ce dyptique dénoue le subplot (datant de JSA Book 5 : Stealing Thunder) impliquant la nouvelle incarnation du Crimson Avenger. Cette jeune femme, en possession de deux pistolets magiques avec lesquels elle abat les coupables de crime toujours en liberté, en a après Wildcat. Mais qu'arrivera-t-il si, pour une fois, la culpabilité de sa cible n'est pas évidente ? Ted Grant va devoir compter sur les neuf vies d'un chat dont il a héritées - et beaucoup de persuasion - pour se se sortir de ce mauvais pas...

- Virtue, Vice and Pumpkin Pie (JSA #54) est un épisode spécial pour célèbrer Thanksgiving, l'occasion pour la JLA et la JSA de se réunir. Hawkman et Green Arrow se châmaillent pour une cuisse de dinde, et Batman se méfie de la tranquillité de cette soirée...

- Be Good for Goodness Sake (JSA #55) est un autre numéro spécial, cette fois-ci pour fêter Noël. Les vétérans de la JSA (Sentinel, Flash, Wildcat et Hawkman) vont solliciter les services d'une vieille amie, Ma Huncle...
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Il y a vraiment quelque chose d'unique dans ces épisodes de JSA (comme plus tard, lors du relaunch de la série, retitrée Justice Society of America) dans la mesure où son scénariste principal, Geoff Johns, s'y montrait sous son meilleur jour, pas encore dévoré par toutes les facilités dont son écriture souffre depuis. Son partenariat avec David Goyer (qui faisait, lors de cet arc, ses adieux à la série, après avoir co-rédigé plus de 50 "issues") devait y être pour quelque chose, ce dernier jugulant sans doute la fougue de Johns (chez qui on voit poindre quelques défauts devenus récurrents, comme une violence gratuite et inutile ou la platitude des dialogues).
Par ailleurs, dans la série JSA, Geoff Johns semblait s'exercer à la discipline du crossover, tout en faisant preuve de plus de maîtrise que sur les sagas évènementielles qu'il a depuis pilotées (comme Infinite Crisis ou Blackest Night). En effet, il y a là un foisonnement de péripéties, de rebondissements, de séquences spectaculaires, dignes d'un event mais beaucoup mieux répartis.
En vérité, ce qui distingue le Johns de JSA de celui de Green Lantern et des crossovers récents, c'est l'affection qu'il porte pour les personnages et la force du thème fondateur de la série (l'héritage et ses affres). A bien des égards, cette équipe géante de super-héros ressemble à une armée mexicaine, un mélange improbable d'éléments très anciens et plus récents de la continuité DC, mais le script exploite avec habileté la dynamique du groupe, en rapprochant certains membres (comme Stargirl et Billy Batson/Shazam) ou en opposant d'autres (comme Alan Scott et Obsidian - même si la récurrence de la menace représenté par ce dernier était un peu abusive).
Paradoxalement, alors qu'il est devenu un auteur renommé, jusqu'à être un des (sinon LE) pilotes de l'écurie DC, en présidant à la destinée de titres avec un seul héros (comme Green Lantern et Flash), Johns me paraît meilleur quand il est à la manoeuvre avec une série d'équipe, sans lésiner sur un casting pléthorique, avec une formule d'event permanent en quelque sorte (et la JSA sauvant quasiment le monde à chaque aventure se prêtait parfaitement à cela).
Après l'arc Princes of Darkness, épique à souhait (à la limite de la rupture), la suite du programme de ce recueil est plus ordinaire mais sans être dénué d'intérêt : un subplot lancé de longue date (avec Crimson Avenger) y trouve son dénouement avec une histoire très efficace ; la fête de Thanksgiving offre un clin d'oeil malicieux au grand classique JLA-JSA : Vice and Vertue (par Goyer-Johns-Pacheco), et le numéro de Noël est assez touchant.
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Graphiquement, la série bénéficiait alors de son meilleur artiste avec Leonard Kirk, qui signe cinq des six épisodes de l'histoire principale plus le n° spécial Noël. Encré par Wade Von Grawbadger (le partenaire d'Immonen) et Keith Champagne, son trait vif et élégant donne une belle allure à cette collection, après l'arc Stealing Thunder.
Il est bien dommage que Kirk n'ait pas été le dessinateur régulier de la série.

Don Kramer s'occupe des trois épisodes avec Crimson Avenger et Thanksgiving. Le résulat est assez plat et souffre de la comparaison avec Kirk.

Sal Velluto, encré par Bob Almond, ouvre le bal, dans un style chargé, assez pénible (d'autant que la colorisation n'est pas réussie -mais c'est le point noir de tout l'album, tout comme la pauvre qualité du papier de ces recueils softcovers...).
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Un des meilleurs volumes de la série, qui a aussi valeur de document pour ceux qui regrettent que Geoff Johns ait à la fois abandonné ce titre et ait sombré dans des productions moins attachantes.