vendredi 31 janvier 2020

JUSTICE LEAGUE DARK #19, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


C'est donc avec ce dix-neuvième épisode que s'achève (comme je le supposais) le run de James Tynion IV sur Justice League Dark. Je reviens plus bas sur cette fin pour le scénariste lui-même, mais c'est un départ en beauté. Pourtant, cette réussite restera aussi, surtout celle du dessinateur Alvaro Martinez (et de son encreur et de son coloriste) qui donnent tout, à la fois comme pour remercier Tynion et boucler cette histoire.


Circé et sa bande ont investi la salle des reliques du Hall de Justice. Man-Bat et Bobo neutralisés, la sorcière s'en prend à Kent Nelson pour savoir où est caché le diamant d'Eclipso. C'est alors que resurgit Wonder Woman, en trois exemplaires grâce à l'Homme Inversé avec qui elle a scellé un pacte.


Le retour de l'amazone suffit à faire fuir Klarion. Papa Mid-Nite se cache comme Woodrue. Elle se débarrasse du dragon Drakul Karfang. Mais Circé n'a pas dit son dernier mot et attire le diamant d'Eclipso pour qu'il possède Wonder Woman.


La situation semble à nouveau perdue aux yeux de Zatanna et John Constantine. Mais Khalid Nassour a coiffé le heaume du Dr. Fate, malgré le risque et il renverse la partie en terrassant Circé et en libérant Wonder Woman de l'emprise d'Eclipso.


L'amazone profite de ce sursaut pour rétablir ce qui a été abîmé par Circé : elle restaure l'âme de Bobo, guérit Man-Bat du sort jeté par Klarion, et surtout enferme Circé dans un miroir magique avec l'orbe contenant le pouvoir de Hécate, comptant sur elle pour l'aider le moment venu contre l'Homme Inversé.


Contre toute attente, la Justice League Dark a eu raison de ses adversaires. Papa Mid-Nite et Woodrue sont arrêtés. L'équipe peut profiter d'un répit. mais déjà Wonder Woman pense à leur prochaine mission : sauver Swamp Thing, s'il n'est pas trop tard...

Avant de rédiger la critique de cet épisode, il faut revenir sur le sort de son scénariste. C'est donc le dernier numéro écrit par James Tynion IV, mais ce n'était pas le plan prévu par ce dernier qui s'est exprimé sur le sujet (relayé par le site Bleeding Cool).

Tynion a en effet été désigné pour succéder à Tom King sur Batman, avec la garantie que le titre redeviendrait mensuel (comme DC a décidé de publier toutes ses séries désormais). Mais l'éditeur a changé d'avis sur la périodicité et le scénariste (qui, par ailleurs, écrit des creator-owned chez Image Comics) a estimé qu'il ne pourrait pas diriger Justice League Dark et Batman. Il a donc choisi d'abréger son run sur la JLD pour se consacrer à deux épisodes par mois de la chauve-souris.

Il est évident, pourtant, que Tynion s'en va en laissant en suspens bien des intrigues (la première concernant le sort de Swamp Thing, qui alimentera le prochain arc). Son remplaçant, Ram V, a d'ailleurs la charge de s'en occuper (nul ne sait s'il restera longtemps sur la série, suffisamment en tout cas pour développer ses propres idées dans de futures histoires inédites et personnelles). Je ne connais pas assez bien le travail de cet auteur pour préjuger du résultat, mais il faut espérer que la série survive à Tynion (alors que lors de sa précédente version, durant les "New 52", elle avait sombré après le départ de Jeff Lemire).

Pour en revenir au contenu de cet épisode, il ne souffre cependant pas d'une conclusion hâtive, bâclée. Au contraire, la maîtrise affichée par Tynion est indéniable, il a terminé sa "Witching War" comme il l'entendait, avec un numéro dense, riche en action et en grand spectacle, avec des rebondissements très efficaces. On ne peut pas être déçu.

Les péripéties s'enchaînent à un rythme échevelé, montrant Circé tour à tour triomphante, Eclipso dans toute sa dangerosité (même si, finalement, son influence est fugace), le retour en majesté du Dr. Fate (avec un hôte dont on ignore encore s'il sera définitif - faudra-t-il attendre une nouvelle série JSA, tant espérée mais pas encore annoncée, pour le savoir ?). On en prend plein la vue, on est captivé. C'est exemplaire, surtout que Tynion prouve que les premiers éléments qu'il avait (laborieusement) développés dans la série reviennent à point nommé pour ce climax (voir la triple incarnation de Wonder Woman, dont l'une a l'aspect qu'elle avait sous l'influence de Hécate et une autre sous celle de Mordru - la troisième représentant plus simplement Diana telle qu'on la connaît).

En signalant que l'épisode est visuellement extraordinaire, vous aurez compris tout seul que la prestation d'Alvaro Martinez est une fois encore tonitruante. Jamais l'espagnol n'a déçu sur ce titre mais il réussit à épater, toujours, à impressionner. Il faut associer ses deux partenaires pour cet exploit car l'encrage de Raul Fernandez et les couleurs de Brad Anderson sont bluffants : le premier y fait preuve d'une précision et d'une méticulosité qui sidèrent pour une production mensuelle, tandis que le second exploite une palette aux nuances remarquables, qui font de JLD sans doute la plus belle série actuelle de DC.

Martinez mettra tout le monde d'accord car il apparaît en apesanteur, cet état que seuls les très grands atteignent à force de travail, de discipline et d'inspiration. Ses planches sont un modèle de régularité et de beauté. Il se permet des doubles pages grandioses et découpées magistralement, des compositions intelligentes et très esthétiques, des ambiances ouvragées comme on en voit rarement.

Il anime les personnages en leur donnant une envergure, une puissance, une intensité époustouflantes. Wonder Woman a droit à de grands moments, mais l'apparition de Dr. Fate est aussi une scène jouissive, et l'ultime explication entre Diana et Circé est somptueuse. Pas besoin de se forcer pour tresser des louanges à cet artiste et ses partenaires.

Je reste confiant pour l'avenir proche de la série, d'abord parce que Martinez va rester (au moins pour l'arc suivant. Après ? Je ne sais pas, mais si DC rappelait Javier Fernandez, ce serait une bonne idée pour que la qualité esthétique soit maintenue). Ram V passe après un auteur qui aura accompli un excellent passage, c'est un gros défi qui l'attend mais il dispose d'un matériau généreux pour faire ses preuves.

DIAL H FOR HERO #11, de Sam Humphries et Joe Quinones


Le pénultième numéro de cette maxi-série fait feu de tout bois, confirmant le redressement opéré par son scénariste. Sam Humphries nous entraîne, avec ses héros, à Apokolips et convoque Superman, la figure récurrente, le modèle, de manière très ludique, pour une réflexion sur l'héroïsme. Joe Quinones, lui aussi, est en grande forme et produit parmi ses planches les plus inventives. De quoi être confiant pour le grand final.


Les SuperMiguels déboulent à Apoklips pour y dérober le K-Dial, le dernier des quatre cadrans magiques, grâce auxquels Mr. Thunderbolt va pouvoir reconfigurer tout le Multivers en dotant ses habitants de super-pouvoirs.


Mais Summer Pickens est là aussi et fait face à Granny Godness. Elle lui cède volontiers le K-Dial en lui expliquant que cet appareil est maudit et consume l'âme de son utilisateur. Summer peut rejoindre l'Opérateur et élaborer avec lui un plan pour accueillir les SuperMiguels et Mr. Thunderbolt.


Les quatre SuperMiguels ne tardent pas à apparaître dans la Hérovers et Summer utilise le C-Dial pour se transformer en Lolo KickYou afin de les affronter. Mais la bataille est inégale et la jeune fille est vite dépassée par ses adversaires.


Mr. Thunderbolt surgit et peut s'emparer du K-Dial. Il expédie Miguel, qui a voulu reprendre sa forme humaine, et Summer dans le néant, et il gagne Metropolis où ses fidèles l'attendent dans son quartier général situé au sous-sol du "Daily Planet".


Ensemble ils composent sur le quatre cadrans le numéro 52 (F-I-F-T-Y-T-W-0). Le Multivers tremble sur ses bases, toutes les dimensions sont affectées. Mr. Thunderbolt, ivre de puissance, peut remodeler à sa guise le continuum espace-temps.

Comme aux plus belles heures de la maxi-série, débutée il y a presque un an maintenant, cet épisode prouve l'imagination de ses auteurs. Sam Humphries et Joe Quinones (avec l'aide, pour ce dernier, du coloriste génial qu'est Jordan Gibson) n'ont pas seulement revitalisé un vieux concept de DC mais produit une saga ambitieuse. Le résultat n'aura pas toujours été égal en qualité, parce que le projet initial a été modifié à mi-parcours et que cela a affecté la construction du récit, mais on peut dire que l'équipe artistique n'a pas manqué de panache pour être à la hauteur de la conclusion.

Car, sauf un impair terrible, la fin de Dial H for Hero saison 2019-2020 promet d'être grandiose. Certes, ce onzième épisode ne s'attarde pas assez sur le passage à Apokolips, pourtant longtemps attendu et abondamment "teasé" par le scénariste comme l'étape la plus spectaculaire, mais quand le fond faillit, la forme le rattrape et assure au lecteur un divertissement jubilatoire.

Bien entendu, lorsqu'on s'arrête dans le coin le plus terrible du Quatrième Monde créé par Jack Kirby, impensable de ne pas signer le chapitre par une référence appuyé au "King of comics". Et Quinones s'amuse énormément à pasticher le style visuel de son illustre aîné, toujours avec la même virtuosité.

Mais le dessinateur ne s'en contente pas : il consacre une pleine page au plan de fabrication d'un K-Dial à la manière d'une fiche de jeu dans un magazine (à vous de choisir si vous découperez une page de votre revue...). Puis, plus loin, pour représenter le retour de Lolo KickYou, le double super-héroïque de Summer Pickens, il renoue avec le trait manga propre au personnage et un découpage ultra énergique (avec un "gaufrier" explosif).

Cette folie graphique reste l'atout maître de la maxi-série, ce par quoi le projet a vraiment été transcendé, au risque parfois de flirter avec l'exercice de style. Mais Quinones est un artiste hors du commun, visiblement porté par le récit et inspiré par le scénario de Humphries.

Ce dernier a profité pleinement de l'histoire pour visiter divers pans du DCU, mais la figure centrale de son histoire reste Superman, et il le convoque à nouveau via les SuperMiguels. On reconnaît des versions parodiques du Superman cyborg, de Connor Kent... Mais c'est surtout un prétexte pour réfléchir à la notion de héros incarné par le kryptonien et ses avatars. Que se passerait-il si cela était dévoyé ?

En se laissant corrompre par Mr. Thunderbolt, en cédant à la tentation du pouvoir, Miguel fait l'apprentissage de la duperie. Son nouveau mentor le double sans scrupules au moment où il récupère les quatre cadrans magiques avec lesquels il peut reformater le Multivers selon son délire (en conférant à tous des super-pouvoirs). Comme Miguel, Thunderbolt veut faire le Bien, corriger ce qu'il a vécu comme une injustice dramatique (la perte d'un être proche et aimé), mais son comportement trahit à la fin de cet épisode une mégalomanie qui dépasse toute noblesse.

C'est le complexe du Messie, qui risque de perdre tout super-héros et envahit tout super-vilain. L'Opérateur ne ressort pas non plus grandi de l'affaire car son laxisme, sa propre faiblesse (Mr. Thunderbolt n'est que l'autre partie de lui-même), a précipité la situation et il s'en est remis à deux enfants pour la corriger.

Tout cela confirme que, sous ses airs légers, Dial H for Hero est plus profond et trouble qu'il n'en a l'air. Il ne reste plus qu'à boucler la boucle en beauté, ce que cet avant-dernier chapitre prépare avec brio.

jeudi 30 janvier 2020

MARAUDERS #6, de Gerry Duggan, Matteo Lolli et Mario del Pennino


J'avais annoncé, dans ma critique du cinquième épisode de Marauders, que, sauf improbable miracle, j'en resterai là avec la série au numéro six, qui marque la fin du premier arc narratif de Gerry Duggan. Le miracle n'a pas lieu : c'est un ratage complet. Mais pouvait-il en être autrement quand on choisit pour titre le nom d'une des plus sinistres équipes anti-mutants pour espérer en rire ?


Je vais m'en tenir à un résumé succinct car cela ne vaut pas le coup d'aller plus loin : abordés par Hate-Monger l'X-Cutioner, le "Marauder" de Kitty Pryde est en fâcheuse posture. Iceberg est K.O., Pyro est vite blessé - et cela permet à Yellowjacket de pénétrer dans son corps.


Les gamins d'Homines Verendi, aux commandes de cette opération, savourent leur quasi-victoire, car Kitty résiste vaillamment en attendant les renforts. Tornade et Bishop quittent le port de Madripoor avec Shinobi Shaw au même moment, avertis de sa situation.


Kitty découvre que Chen Zhao et Daniel Pierce sont les distributeurs des armures inhibitrices de pouvoirs dont sont équipés les russes. Grâce à Tornade et Bishop, elle vient à bout de ses adversaires et leur matériel est transporté pour y être examiné par Forge sur Krakoa.


C'est alors qu'elle est seule avec Lockheed sur le "Marauder" que Kitty est piégée par Sebastian Shaw qui a noué une alliance avec Christian Frost et Daniel Pierce pour l'écarter du conseil d'administration de la Hellfire Trading Company...


... Et c'est donc sur l'image de Kitty en train de se noyer, impuissante à passer à travers un branchage de Krakoa avec lequel Shaw l'a piégée, que s'achève l'épisode et ce premier arc.

Entendons-nous bien : tout n'est pas à jeter dans ce numéro où Gerry Duggan fait ce qu'il sait le mieux faire, soit orchestrer une action permanente, avec des adversaires coriaces, qui mobilise toute l'énergie et la solidarité des héros pour vaincre, avant un cliffhanger accrocheur. 

C'est d'autant plus frustrant que, à partir du prochain épisode, la série va (enfin !) disposer d'un vrai bon dessinateur régulier avec Stefano Caselli, et on peut légitimement espérer que la qualité, au moins visuelle, sera au rendez-vous après un arc très inégal sur cet aspect. 

Mais un excellent artiste ne peut à lui seul prétendre redresser une série si mal conduite. Depuis le début, même si c'était d'abord charmant, Duggan a pris le parti de se distinguer dans la collection de titres d'une franchise renaissante (et que, on ne se refait pas, Marvel a entrepris de faire grossir les parutions jusqu'à l'indigestion, avec des projets plus ou moins fumeux). Alors que Hickman et Percy ne rigolent pas avec leurs histoires, lui a ambitionné de partir à l'aventure, avec des mutants pirates.

Pourtant, nommer cela Marauders a surpris, voire choqué, car cela renvoie à une équipe de tueurs de mutants, une référence maladroite, incongrue pour le moins. Ensuite, il y a la construction de la série, où Duggan n'a jamais voulu choisir entre raconter les exploits de l'équipage de la capitaine Kate Pryde et la lutte de pouvoir au sein de la Hellfire Trading Company. On pouvait croire que l'impossibilité surprenante de Kitty Pryde à passer les portails de Krakoa fournirait un sujet suffisant pour (au moins) une première intrigue. Mais six épisodes plus tard, le mystère reste total, et on peut même douter que Duggan nous fournisse une réponse un jour.

Comme un aveu, il nous montre Sebastian Shaw piégeant Kitty avec la végétation de l'île : c'est bien pratique, il a trouvé une sorte de plante à travers laquelle la jeune mutante ne peut pas phaser. Et, malgré la stupidité de son plan (il la tue en la noyant... Sans se soucier que cette disparition sera suspecte et qu'il sera vite soupçonné puisqu'il est en conflit ouvert avec Kitty et Emma Frost), il pense avoir gagné, après avoir dûment expliqué à sa victime comment, grâce à une alliance passée avec Christian Frost et Daniel Pierce, il allait avec son fils mettre la main sur la HTC.

Que Duggan souligne qu'il y a des serpents au paradis supposé des mutants, on s'en doutait (quand à la table du Conseil siègent des fripouilles comme Mr. Sinister, Exodus, Mystique, Apocalypse et Shaw, il est évident que ça ne va pas aller sans mal pour Charles Xavier, Magneto, Tornade, Jean Grey, Emma Frost, et Diablo). Mais qu'il le fasse avec un peu plus de subtilité.

Plus la série avançait, plus le malaise grandissait sur la ligne adoptée par Duggan, tellement en décalage que ça devenait absurde, grotesque. La caractérisation des personnages est calamiteuse, quand elle existe (Tornade est inconsistante, Pyro est insupportable). La promesse d'une équipe de pirates, d'un récit d'aventures a fait long feu. Les ennemis sont tout juste passables (fallait-il ramener sur le devant de la scène Chen Zhao et surtout les gamins d'Homines Verendi ?).

Enfin, visuellement, en six épisodes, Marauders n'a jamais offert que de l'à peu près. Matteo Lolli revient ici un peu plus concrètement, mais son dessin est d'une faiblesse telle qu'on ne saurait lui trouver une quelconque plus-valu : tout paraît fait à la va-vite, dans la précipitation, sans aucune vision, ni force. On sent un artiste peu investi, mais aussi pressé par les délais, en tout cas incapable de soutenir le récit.

Une fois de plus, il lui faut de l'aide et, après Lukas Werneck, c'est au tout de Mario del Pennino de s'y coller. Sans davantage de réussite. Le niveau est indigne, sans relief, sans saveur, les quelques planches qu'il signe sont quelconques. On en revient au même regret : Marvel ne manque pas de dessinateurs, mais donne sa chance à des types qui ne le méritent pas quand d'autres végètent en attendant qu'on leur confie un épisode ici ou là (ou partent tenter leur chance ailleurs).

Je n'abandonne pas Marauders sans un pincement au coeur, car je croyais en cette série, parce que la fin de cet épisode donne encore un peu envie (ne serait-ce que pour le sort réservé à Kitty, même si je ne pense pas qu'elle sera sacrifiée), et aussi parce que Caselli arrive. Mais il y a mieux ailleurs, chez les mutants. 

X-MEN #5, de Jonathan Hickman et R. B. Silva


Ce cinquième épisode de X-Men voit le retour au dessin de R. B. Silva, après avoir illustré les cinq numéros de Powers of X, et c'est un vrai plaisir car son travail redynamise une série que Leinil Yu a bien du mal à animer. Ensuite, ce chapitre marque un tournant dans la narration de Jonathan Hickman car sa fin est ouverte et dramatique. 


Echappée de la station Orchis après l'attaque des X-Men, Serafina, une Enfant de la Voûte, est repérée en Equateur où Wolverine la traque. Mais elle réussit à lui échapper en se réfugiant dans la Voûte, à l'intérieur d'une Sentinelle désactivée.


Avec Wolverine, Tornade et le Pr. X, Cyclope confie à Synch, X-23 et Darwin la périlleuse mission d'entrer dans la Voûte. Mais le temps s'y écoule différemment et les Enfants de la Voûte sont différents des mutants, sans doute les seules créatures qui leur sont supérieures.


Serafina active le protocole pour ramener ses compagnons et veiller sur leurs secrets. A l'extérieur, les X-Men se déploient pour créer une diversion qui déroutera la système de sécurité de la Voûte et permettra ainsi à Synch, Darwin et X-23 d'y entrer.


La manoeuvre réussit grâce au renfort d'Armure, même si Tornade est blessée dans l'affaire. Synch réussit à forcer l'ouverture de la Voûte et s'y introduit avec Darwin et X-23. Ils y découvrent alors une cité cachée.


Sur Krakoa, le Pr. X est rejoint par Cyclope, venu aux nouvelles. Voilà trois mois et cinq jours que Synch, Darwin et X-23 ont pénétré dans la Voûte. Ce qui équivaut, pour eux, à cinq cent trente sept ans...

La notion de temps était au coeur du diptyque House of X-Powers of X, avec ses histoires entre passé, présent et futur, ses vies multiples, les altérations orchestrées par Moira McTaggert, Charles Xavier et Magneto. Il était donc attendu que Jonathan Hickman renoue avec ces thèmes un moment ou un autre dans X-Men, après quatre premiers épisodes surtout passés à voyager géographiquement.

En réutilisant les Enfants de la Voûte (créés par Mike Carey durant son run), il fait appel à des personnages un peu méconnus et oubliés mais terriblement accrocheurs car considérés comme les seules créatures pouvant rivaliser (et même dominer) les mutants. En effet, ils ne sont pas le produit de mutations dues à l'évolution naturelle, mais le produit d'adaptations à la technologie. Des sortes de "post-mutants" en quelque sorte.

Serafina en fait partie et son pouvoir est l'expression directe de sa catégorie puisqu'elle communie avec les machines, mais une machinerie très avancée, très sophistiquée, dans un environnement complexe. La clé du problème pour les X-Men, qui veulent infiltrer la Voûte, c'est le temps qui s'y écoule différemment : à la fin de l'épisode, on apprend que Synch, Darwin, et X-23 ont pénétré dans l'endroit depuis un peu plus de trois mois, mais que leur séjour dans la Voûte équivaut à cinq cent trente sept ans !

Et Cyclope, le stratège en chef des X-Men, qui a eu l'idée de se servir d'eux comme espions, de mesurer le sort qu'il leur a infligé. Certes, choisir Synch (dont le pouvoir consiste à imiter ceux des autres), Darwin (dont la capacité d'adaptation est supposément infinie) et X-23 (clone de Wolverine) relève du bon sens. Mais ce sont trois jeunes X-Men, dont l'un (Synch), parmi les premiers avoir été ressuscités via la protocole des Cinq, présente, d'après le Dr. Cecilia Reyes, de sérieux troubles psychologiques (il est en plein déni par rapport au décalage induit par son retour à la vie).

Hickman pose la question du sacrifice potentiel de ces trois mutants dans une mission quasi-suicide. Habilement, il ne montre guère les Enfants de la Voûte, y compris Serafina, pour mieux suggérer leur supériorité - d'abord parce qu'ils "jouent à domicile" en somme. Le choix d'installer la Voûte à l'intérieur d'une Sentinelle désactivée relève du même "truc" scénaristique : rien de bon ne saurait se passer qui se situe dans un des robots tueurs de mutants.

Et puis il y a cette fin terrible donc. La révélation du temps déjà passé par les trois espions dans la Voûte glace le sang et interroge sur leur état quand (si) ils en sortiront, reléguant presque au second plan la réussite de leur mission. Depuis quatre épisodes, Hickman sème des graines, comme autant de menaces à venir (la découverte éventuelle par les scientifiques de la station Orchis d'un autre protocole de résurrection, l'enfant de Guerre qui a provoqué la fusion de Krakoa et Arrako, les grands-mères écolo-terroristes, l'échange musclé au forum de Davos). Mais jusqu'à présent, tout cela semblait sous contrôle. Là, pour la première fois, il y a des pertes et l'incertitude, l'inquiétude - de récupérer Synch, Darwyn, X-23, mais aussi d'affronter les Enfants de la Voûte.

On sent que les X-Men sont assis sur une poudrière. A force de se mettre tout le monde à dos (Orchis, les écolo-terroristes, des nations étrangères, sans oublier l'organisation ennemie à l'oeuvre dans X-Force), et malgré la supériorité que leur confèrent leurs pouvoirs et leur statut récent, ils restent fragiles, précaires. Et il reste encore le problème Mystique à gérer (elle attend la résurrection de Destinée, mais cela dévoilerait l'existence de Moira McTaggert), les manigances d'Apocalypse, les coups fourrés de Sebastian Shaw, sans oublier la situation des Nouveaux Mutans dans l'espace...

Après quatre épisodes décevants, Leinil Yu cède (provisoirement) la place à R.B. Silva et c'est un sursaut graphique épatant pour la série. L'artiste brésilien se réapproprie des personnages qu'il adore (c'est visible avec Wolverine) et maîtrise sans peine des têtes peu ou pas utilisées jusqu'à présent (le revenant Synch, Darwin - une création d'Ed Brubaker - et X-23). Je regrette un peu qu'Armure n'ait pas plus de scènes, mais j'espère qu'elle reviendra (ce serait un bel hommage à Joss Whedon).

Surtout Silva se distingue par la clarté et la fluidité de son découpage : dès la première scène avec Wolverine qui file Serafina dans la forêt équatoriale, une tension s'installe qui ne quittera plus l'épisode. Tranquillement, sans forcer, le dessinateur dresse le cadre au moyen d'images percutantes (la Sentinelle à l'intérieur de laquelle Serafina se cache, sa connexion avec le réseau de la Voûte -mention spéciale au passage aux couleurs de Marte Gracia - la diversion orchestrée par Cyclope et Tornade). C'est spectaculaire et superbe.

Le design même des Enfants de la Voûte rappelle le génie en la matière de Chris Bachalo (qui les a co-créés) avec ce mélange parfait d'influences à la mode de la couture et d'éléments dérangeants (les câbles sortant du corps de Serafina).  Tout cela aussi, Silva l'exploite de manière efficace, raccord avec les obsessions futuristes de Hickman.

Décidément, c'est, comme le dit la formule chère à certains critiques, une bonne période pour être fan des X-Men - quand bien même Hickman en a fait quelque chose de tout à fait différent de ce à quoi on nous avait habitués.

vendredi 24 janvier 2020

FOLKLORDS #3, de Matt Kindt et Matt Smith


La série de Matt Kindt et Matt Smith est devenue un rendez-vous que j'attends avec gourmandise. Folklords s'est imposée sans forcer, par la seule force de son histoire et de son graphisme efficace et sobre. Mais aussi parce qu'elle suggère, de manière subtile, une autre dimension, un subplot encore cryptique mais très accrocheur sur la notion même de conte.


Ansel revient à lui dans la cabane où il a suivi la piste de son ami, l'elfe Archer, et de l'orpheline Greta. Mais mauvaise surprise : c'est cette dernière qui l'a piégé et s'apprête à le torturer comme d'autres enfants avant lui.


Par le passé, Greta et son frère Hanz ont échoué ici, après avoir fugué du village. Nourris de friandises, ils n'ont pu s'échapper, Hanz devenant même un monstre assassin pendant l'absence de leur hôte, Tines, un des bibliothécaires.


Pour garder un souvenir de leurs victimes, Greta les dessine avant leur trépas. Hanz saisit ses instruments de torture et s'apprête à les utiliser sur le malheureux Ansel. Mais on frappe à la porte de la cabane et Greta va voir qui est-ce, interdisant à son frère de commencer sans elle.


Lorsque des bruits de lutte parviennent jusqu'à Hanz, Ansel l'encourage à aller aider sa soeur. Puis il en profite pour se libérer. Il découvre ensuite que c'est la vilaine femme, précédemment croisée dans la forêt, qui se bat avec ses geôliers et lui ordonne de fuir.


Après les avoir tués, elle met le feu à la cabane et invite Ansel chez elle pour le soigner. Elle lui révèle que Archer l'a trahi. Puis il évoque sa quête, proposant à la vilaine femme de l'accompagner...

Tout dans Folklords a un air de déjà-vu : le décor, qui emprunte aux contes ; la construction du récit, avec chaque épisode consacré à une étape initiatique pour le jeune héros de la série ; les personnages, familiers...

... Mais c'est une impression trompeuse car Matt Kindt apprécie visiblement de tordre le cou aux clichés. Et ce troisième numéro illustre parfaitement cette tendance. On avait quitté Ansel en fâcheuse posture, prisonnier dans une cabane, ligoté à une planche où il allait être probablement torturé. Par qui ?

Et, surprise, ce n'est pas un ogre (ou une créature inquiétante équivalente), mais la jeune Greta, rencontrée dans la forêt, qui joue le rôle du bourreau. Elle déroule l'origine de son séjour ici - comme Ansel, elle a fugué, mais elle a été piégée avec son frère par un bibliothécaire ermite à coups de confiseries empoisonnées. Ce dernier disparu, elle a transformé sa cabane en cabinet des horreurs, attirant des innocents pour les supprimer tout en les dessinant avant leur décès pour conserver un souvenir.

En voyant cette jeune fille à qui on donnerait littéralement le Bon Dieu sans confessions, avec ses nattes blondes et son tablier bleu, son visage angélique, personne ne pouvait se douter du monstre qu'elle était. Contrairement à son frère, défiguré à force de se gaver de bonbons et devenu demeuré.

Kindt s'y entend pour faire monter la tension et on s'inquiète franchement pour le malheureux Ansel à qui on promet un très mauvais moment. D'où viendra son salut ? En voix off, le narrateur insiste, en ouverture et en clôture de l'épisode, sur la notion d'omniscience : cela renvoie au scénariste lui-même mais aussi au lecteur de l'histoire, les deux seuls (peut-être) à savoir ce qui peut se passer. A moins que tout ça ne les dépasse et que ce soit en vérité le récit qui le agisse plus qu'il n'influence le cours des événements.

C'est donc un sauveur aussi inattendu que le vrai monstre dont viendra le salut d'Ansel. Avant d'ultimes pages, mystérieuses, envoûtantes, qui nous entraînent vers une bibliothèque étrange, ajoutant à l'intrigue souterraine de Folklords, celle où se situent les rêves d'Ansel et d'autres indices sur la nature véritable de la série.

Confier les illustrations à Matt Smith est l'autre riche idée de la série (car si, comme c'était prévu initialement, c'était Kindt qui s'en était chargé, l'objet aurait été bien différent, assurément moins accessible, moins séduisant). Son style est simple, son trait sobre, dépouillé, son découpage lisible, classique.

Mais le diable est dans les détails, et il ne faut pas juger cette histoire à son apparence. Smith est un appât efficace et indéniable pour alpaguer le lecteur : on pénètre dans ce récit facilement, Ansel est un héros sympathique, le cadre a quelque chose d'immédiat, d'évident. Et pourtant, tout cela nous emmène ailleurs par petites touches : les costumes par exemple sont éloquents (Ansel avec son costume de collégien "normal" tandis que tous les autres sont vêtus comme des personnages de fables), les attitudes et les expressions ensuite (l'angoisse légitime d'Ansel face au calme déterminé de Greta ou le côté rustre de la vilaine femme).

Le découpage est d'une fluidité remarquable comme en témoigne la scène d'ouverture, avec des dessins d'enfants inquiétants, qui conduisent à la position périlleuse d'Ansel et au programme sinistre que lui réserve Greta. Ou, plus tard, quand la vilaine femme soigne Ansel, au coin d'un feu de cheminée, alors qu'elle lui révèle la trahison d'Archer ou qu'il lui parle de sa quête (le contraste entre l'ambiance apaisante et la tension électrique des dialogues fonctionne à fond).

D'une bande dessinée qui traite de la narration, de l'art de conter, on entend qu'elle soit à la hauteur de ses ambitions sans sacrifier à la nuance. Matt Kindt et Matt Smith font mieux que ça en distillant en experts les indices comme on sème de petits cailloux, ferrant le lecteur en lui donnant des frissons délectables et un mystère fascinant. 

SUPERMAN #19, de Brian Michael Bendis et Ivan Reis


La série est clairement entrée dans son deuxième acte avec la révélation publique par Superman de sa double identité. Brian Michael Bendis doit composer avec ce nouveau statu quo et il le fait en exposant les réactions de l'entourage du héros, sans écarter aucune question (et Dieu sait que les fans sont pointilleux sur le sujet...). Il peut compter sur Ivan Reis, en grande forme, pour le soutenir dans cette direction.


Perry White a convoqué Clark Kent et Lois Lane dans son bureau du "Daily Planet", en compagnie de Jimmy Olsen qui immortalise la scène. Mais les assurances ont exigé le renvoi du journaliste, craignant que Superman ne mette en danger le quotidien.


Pourtant, Perry réengage aussitôt Kent parce qu'il a saisi, comme le propriétaire du journal, l'avantage publicitaire d'avoir Superman dans son personnel. Clark conserve donc son poste, à certaines conditions : ne plus se cacher derrière son double comme source de ses infos. Et livrer ses articles avant tout le monde.


Il faut ensuite observer les réactions de la rédaction. Trish Q, la commère du "Daily Planet", présente ainsi ses excuses à Clark et Lois pour avoir entretenu la rumeur d'une liaison entre cette dernière et Superman. Les autres journalistes soutiennent le couple.


Superman a l'occasion de mesurer à quel point les citoyens de Metropolis ont la même attitude que ses collègues quand il survole les rues de la ville sous les vivats. Puis il se rend au Hall de Justice où ses pairs super-héros se sont réunis pour débattre de la situation.


Loin de là, une délégation des Planètes Unies présente un monde inhabité à des apatrides. Mais la visite est interrompue par Mongul qui refuse l'autorité de cette nouvelle organisation. Superman intervient mais reçoit une correction. Personne ne bouge et Mongul de pointer l'hypocrisie générale...

Les deux tiers de l'épisode sont donc consacrés à l'analyse des conséquences de ce qui s'est joué dans le précédent numéro. Superman a avoué au monde entier qu'il était le journaliste Clark Kent car il en avait assez de jouer cette comédie et qu'il était convaincu que cela simplifierait sa vie mais aussi ses rapports aux autres.

En abattant cette carte, Brian Michael Bendis, comme souvent dans sa carrière, a divisé le lectorat. D'abord parce qu'il a déjà fait le coup, avec Daredevil (même si Matt Murdock n'a officialisé son outing que lors du run de Mark Waid, donc bien après). Même si le scénariste s'en est tiré très favorablement (y compris selon ses détracteurs) à l'époque, l'impact est tout de même différent avec un personnage de l'envergure de Superman.

Il faut aussi compter avec le fait que la double identité de Superman a été précédemment dévoilé (par Lois Lane durant l'ère "New 52" par exemple), mais DC a enterré cela par la suite. Bendis a eu, lui, carte blanche pour mettre en scène ce scoop, de manière à ce qu'il ne soit pas atténué ou effacé : il est acquis que la situation va durer.

Il n'empêche que, pour beaucoup, tout cela est une nouvelle preuve que "Bendis veut détruire Superman" (allez donc sur YouTube, vous verrez que c'est en ces termes que d'aucuns résument l'entreprise du scénariste sur la série). Il a déjà modifié considérablement Jon Kent (en le faisant vieillir précocement puis en l'envoyant au XXXIème siècle) - peut-être pas son idée la plus inspirée (surtout vu l'intérêt relatif pour l'instant de Legion of Super Heroes), il est vrai.

En tout cas, en opérant de la sorte, Bendis doit affronter désormais une foule de questions car Superman sorti du placard, ce sont des principes déontologiques de son métier de journaliste et un positionnement comme super héros au sein de la Justice League qui doivent être examinés. Ce mois-ci, Bendis revient donc sur la place de Kent au sein du "Daily Planet" et il s'en sort très habilement. Pour ce qui est de la Ligue de Justice, cela sera détaillé dans un numéro spécial (un autre sera consacré aux réactions de ses ennemis).

Pour cette partie, Ivan Reis doit faire face à deux défis graphiques : d'abord, il met en scène le quatuor Kent-Lane-White-Olsen dans l'intimité (relative) du bureau du rédacteur en chef du "Planet". L'artiste brésilien prouve une nouvelle fois qu'il est excellent dans ce genre de scènes, en représentant merveilleusement les expressions des personnages. C'est un aspect qu'on sous-estime chez Reis, mais il est vraiment à son aise quand il doit se concentrer sur les émotions : l'enthousiasme de White, les doutes de Clark, l'assurance tranquille de Lois, les interventions décalées de Jimmy Olsen, tout est parfaitement dessiné.

Puis Reis passe à des pages très fournies, trois doubles pages en fait, d'affilée, où son génie du détail est toujours impressionnant : la salle de rédaction du "Planet", les rues de Metropolis, la salle de réunion du Hall de Justice. Sur cette dernière (voir plus haut), il montre une assemblée ahurissante de super-héros qu'on peut facilement identifier et qui réserve quelques surprises (Harley Quinn en bonne place, mais aussi le Doctor Fate).

Enfin, dans le dernier tiers de l'épisode, Reis donne l'impression de lâcher les chevaux car Bendis utilise son graphisme dans toute sa puissance. L'affrontement entre Superman et Mongul rappelle la (longue) bagarre entre le kryptonien et Rogol Zaar (Mongul est aussi un malabar qui ne fait pas dans la dentelle et l'issue de ce premier combat se solde par la défaite de Superman), à la différence que Mongul a une apparence plus aboutie que Zaar (dont le design, signé Jim Lee, était médiocre).

La réaction des spectateurs de l'affrontement permet à Bendis et Reis d'indiquer que "la Vérité" ("Truth", le titre de cet arc) va être sondée à plusieurs niveaux, notamment concernant l'organisation des Planètes Unies, rassemblée derrière Superman, mais inerte, pétrifiée, effrayée quand il est rétamé par Mongul (qui ne manque évidemment pas d'en souligner l'hypocrisie).

Comme je le disais, on entre dans le deuxième acte du run de Bendis et l'histoire qu'il entame est très prometteuse (alors que, dans le même temps, j'ai totalement lâché Action Comics, qui a sombré dans du grand spectacle bourrin, affreusement dessiné par Romita Jr).

jeudi 16 janvier 2020

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #2, de Jeff Lemire et Tonci Zonjic


Le premier épisode de Skulldigger + Skeleton Boy avait été un de mes gros de coeur du mois dernier et on peut compter sur Jeff Lemire pour tenir bon le cap encore sur ce numéro. C'est toujours un modèle du genre, à la fois simple, fluide et dense, avec des personnages et des situations fortes. Qui plus superbement mis en images par Tonci Zonjic, qui se lâche vraiment et transcende le script.


Skulldigger a emmené l'orphelin dans son repaire mais il lui réserve un accueil peu commode puisqu'il l'enferme dans une pièce trois jours durant. Le garçon réclame sa liberté et l'obtient en défiant son protecteur. Qui s'empresse de le tester au combat.


Après une rapide visite à l'hôpital psychiatrique qui vient juste de signaler la disparition de l'enfant, la détective Amanda Reyes suggère au capitaine Howard que Skulldigger a enlevé le garçon. Elle se fait rappeler à l'ordre et comprend que l'action du justicier arrange les affaires de la police.


L'orphelin suit un entraînement très dur de la part de Skulldigger. Mais il ne baisse pas les bras et finit par gagner le respect de son hôte. Lors d'un dîner, il découvre même son visage et ses manières vieux-jeu. Mais il n'est pas encore question de l'accompagner en mission.

Amanda Reyes doit encore s'absenter et sa compagne, Theresa, le lui reproche, ayant remarqué que même lorsqu'elles sont ensemble, la détective reste préoccupée par son métier. Reyes est prête à la séparation plutôt que de sacrifier sa vocation.


 Reyes dans la salle, Skulldigger et le garçon devant la télé, ils assistent au discours de Tex Reed lors de sa campagne électorale. Il promet l'arrestation de Skulldigger mais c'est GrimJim qui s'invite au meeting et annonce sa candidature comme maire de Spiral City.

Jeff Lemire est un homme pressé mais qui ne confond pas vitesse et précipitation. Comme les précédents spin-off de Black Hammer, Skulldigger + Skeleton Boy est une mini-série (en six épisodes), ce qui ne laisse pas le loisir à son auteur de traîner pour en exposer le cadre et les protagonistes ou l'argument. Mais de cette contrainte, Lemire fait son miel.

En s'imposant une limite d'épisodes, le scénariste s'oblige à une certaine urgence. Ce qui ne l'empêche pas d'y mettre les formes car rien ne souffre ici l'approximation, ni la dimension d'hommage du projet, ni le développement de l'intrigue.

Par exemple, par rapport au précédent chapitre, celui-ci accorde une place plus déterminante au détective Reyes : elle a droit aux scènes les plus frappantes, les plus éloquentes aussi, de son passage à l'HP à son dialogue avec son supérieur et à l'explication sèche avec sa compagne. Lemire brosse le portrait d'une femme flic intègre, intransigeante, mais aussi dépassée par des considérations politiques sur lesquelles elle n'a aucune prise. Il est ainsi clair que la police s'arrange fort bien d'avoir un vigilante dans les rues de Spiral City, prêt à tuer des voyous, car c'est moins de boulot pour les forces de l'ordre et plus de tranquillité pour les honnêtes citoyens. Tant pis si ce justicier violent kidnappe un gamin et applique sa propre conception du bien et du mal, en jouant le juge et le bourreau sans contrôle.

Mais Reyes n'est peut-être pas si seule que ça. A la fin de cet épisode, elle assiste au discours électoral de Tex Reed, l'ancien justicier Crimson Fist (qui a combattu aux côtés des héros de Black Hammer), et qui dresse un constat sans concessions sur la société. Il condamne sans appel Skulldigger, promet son arrestation s'il est élu.

Devant un écran de contrôle dans son repaire, avec son protégé, l'intéressé ne bronche pas. Est-ce parce qu'il est, comme c'est suggéré, l'ancien sidekick de Crimson Fist ? Ou alors parce qu'il se fiche d'un néo-politicien dont il doute qu'il changera une ville s'accommodant fort bien des brutalités de Skulldigger ?

Ce héros (ou anti-héros) reste une énigme pour le lecteur. Lemire ne nous donne pas son vrai nom (pas plus que celui de l'orphelin qu'il a pris sous son aile), et finalement même quand on découvre son visage sans son sinistre masque, tout est fait pour qu'on ne soit pas plus avancé. Mais Lemire joue habilement sur ce mélange de frustration et d'excitation pour prouver que la question "qui est Skulldigger ?" peut attendre sa réponse. Elle viendra sans doute en même temps que celle concernant son éventuel passé en tant que Alley Rat (le second de Crimson Fist). Pour l'instant, c'est davantage la dimension symbolique du personnage qui importe. Le Skulldigger est l'avatar de son époque au même titre que le méchant de l'histoire, GrimJim, autre représentant du "gim'n'gritty" des comics des années 80.

Au centre de tout cela, il y a surtout l'orphelin anonyme (comme pour mieux synthétiser tous les orphelins des comics devenus justiciers). En étant prêt à tuer son mentor pour lui prouver son mérite d'être son assistant, il le convainc de l'entraîner. Pour le convaincre de sa volonté, il encaisse les coups. Mais ça reste une gamin, impatient, et qui se demande ce que Tex Reed comprend de la vie à Spiral City quand il promet un avenir radieux. Ce garçon, c'est l'innocence perdue de la ville.

Pour traduire cela en images, il fallait un artiste inspiré. Et Tonci Zonjic l'est. Mieux encore : il sublime le script dont il dispose. Plus que dans le premier épisode où il illustrait, certes très élégamment, le propos, cette fois il se lâche vraiment.

Le découpage se fait audacieux, le temps d'une somptueuse double page (voir plus haut) qui résume l'entraînement de Skulldigger. Zonjic s'est fait les crayons sur les productions Mignola, en particulier Lobster Johnson, ce n'est pas un débutant, mais un narrateur accompli, avec une palette très large. On voit qu'il pense ses compositions en considérant tous les aspects, y compris la colorisation.

Ainsi n'hésite-t-il pas à imposer à plusieurs reprises des cases en noir et blanc pour souligner une action-clé, un tournant dans la formation de l'orphelin. C'est souvent fugace, mais le procédé est si efficacement utilisé qu'on reconnait son importance.

Parce qu'il a un style sobre, dépouillé, en émule d'Alex Toth, Zonjic sait qu'il doit dessiner chaque case comme une vignette sans fioritures, un plan-une idée. Et parce qu'il maîtrise son art, il n'a pas besoin d'en rajouter dans les détails. Ainsi chaque trait est-il une inflexion capitale, chaque angle de vue est soigneusement sélectionné, chaque ombre cache une partie de l'image pour mettre en valeur ce qui reste.

Voilà ce qu'est la narration graphique quand un dessinateur dispose d'un script solide et d'une pratique accomplie de sa discipline. Zonjic fait beaucoup avec peu, littéralement. On aurait tort de ne pas s'attarder sur son dessin parce qu'il est simple parce que c'est justement sa justesse qui l'autorise à être simple.

Décidément Skulldiger + Skeleton Boy a tout d'un futur classique. Ne passez pas à côté, que vous choisissiez de le lire mensuellement ou d'attendre sa publication en recueil.
La couverture variant de James Harren.

vendredi 10 janvier 2020

X-FORCE #5, de Benjamin Percy et Joshua Cassara


S'il y a bien une série Marvel qu'on attend avec impatience et qui ne nous fait pas attendre, c'est bien X-Force. La machine de guerre de Benjamin Percy est devenue terriblement addictive bien qu'il s'agisse d'un "dirty book" (dixit l'auteur). Après le cliffhanger atroce du #4, ce numéro rebondit avec une efficacité redoutable, que Joshua Cassara illustre avec toujours le même mordant.


Wolverine et Kid Oméga ont été littéralement coupés en deux par l'explosion du portail de Krakoa qui devait les transporter dans le laboratoire de Greenspace, attaqué par un commando. Coincée sur l'île, Domino promet à Wolverine de venir le secourir.


Les mercenaires pillent des échantillons krakoans tout en étant, pour certains d'entre eux, pressés de repartir. Ils ont raison car, même mutilé, Wolverine a survécu et commence à se venger de manière sanglante. Il reçoit une riposte encore plus brutale.


Mais, cependant, Domino a été rejointe par Forge et son arsenal bio-technologique. Grâce au renfort du téléporteur aborigène Gateway, ils débarquent dans les locaux de Greenspace à temps avant que le commando n'en reparte.


Forge récupère Wolverine pendant que Gateway s'occupe du pilote de l'hélico qui devait évacuer les mercenaires. Très remontée, Domino fait un carnage mais le Fauve réussit à la raisonner in extremis pour qu'elle épargne au moins un des ennemis afin qu'il soit interrogé sur Krakoa.


Kid Oméga est confié aux soins du Guérisseur tandis que Wolverine et Domino partagent une bière. Dans une salle d'interrogatoire sur l'île, le Fauve et Marvel Girl sondent leur prisonnier. Ils en tirent peu d'informations sur son commanditaire sinon un vague portrait robot.

Fascinante série que cette version de X-Force, d'autant plus que, à la faveur du calendrier des sorties, ce numéro s'apprécie encore mieux après avoir lu X-Men #4 (paru la semaine dernière). En effet, le Pr. X y avertissait, lors du forum économique de Davos, qu'en cas de nouvelles agressions contre la Nation X, celle-ci s'autorisait désormais à riposter sans retenir ses coups.

On le sait, la X-Force est le bras armé des mutants, mais pas seulement puisque l'équipe est formée de deux parties, l'une pour la partie renseignements-enquêtes, l'autre pour la partie offensive. Des six personnages qu'il a à sa disposition, Benjamin Percy fait une unité à la fois crédible, efficace et face à des menaces réelles.

Un des challenges des scénaristes de la franchise "X" est en effet de composer avec le fait que les mutants ont vaincu la mort. Percy a parfaitement intégré ce paramètre et en joue si bien qu'il réussit à nous faire vibrer malgré tout, quand ses héros sont en piteux état. Littéralement coupés en deux, Wolverine et Kid Oméga peuvent très bien être retapés, mais il n'empêche la violence qu'ils subissent saisit.

L'autre défi, c'est de ne pas adoucir le propos. Percy doit montrer une équipe tiraillée par des motivations contraires : le Fauve, Marvel Girl et Sage sont des mutants qui veulent minimiser le sang versé, non seulement par respect des lois primordiales du Conseil de Krakoa (ne pas tuer d'humains), mais aussi parce qu'ils se posent en individus éclairés, civilisés. Au contraire, Wolverine, Domino et Kid Oméga sont prêts à tout pour riposter contre leurs ennemis (Wolverine par nature, Domino par rancune, Kid Oméga par complexe de supériorité). Tout cela, Percy le traite vite mais bien.

Avec la fermeté affichée par le Pr. X, on comprend surtout que la loi selon laquelle les mutants ne tueront plus d'humains a du plomb dans l'aile. Mais Percy le prend en compte avec bien plus d'intelligence que Gerry Duggan dans Marauders (où Tornade éborgne et Pyro carbonise sans scrupules). En vérité, le scénariste prouve qu'il est impossible quand on forme une X-Force de ne pas tuer d'humains. Quand le Fauve tente de calmer Domino, lui-même s'y emploie plus pour qu'elle ramène un prisonnier à interroger que par pitié pour l'humain.

Par ailleurs, le scénariste place dans la bouche du prisonnier un constat qui nuance considérablement la situation. En affirmant être la race supérieure, les mutants se sont positionnés comme des ennemis pour un tas de personnes, ils sont devenus des cibles. Ils l'ont toujours été, mais sans le chercher. Cette fois, c'est totalement différent : ils ont déclaré la guerre autant qu'on la leur a déclarés. Xavier l'a intégré et a répondu qu'il réagirait en conséquence. X-Force est cette réponse.

En définitive, si certains lecteurs se demandent encore si les X-Men ne sont pas devenus des quasi-vilains, en tout cas des personnages antipathiques, X-Men#4 et X-Force répondent à cette interrogation. Quelque part, Hickman et maintenant Percy ont osé ce que Marvel n'a pas voulu avec Inhumans : faire de personnages populaires et sympathiques des individus ostensiblement désagréables, affichant un visage moins avenant. C'est finalement la confirmation du slogan de l'époque Grant Morrison : "Magneto is right." ("Magneto a raison."). Pour sortir de l'ornière dans laquelle ils se trouvaient, de l'impasse scénaristique, il fallait assumer cela.

Pour illustrer ce virage philosophique, le dessin de Joshua Cassara, organique et brut, convient parfaitement parce qu'il n'est objectivement pas joli, pas beau. Il montre la saleté, le sang, les tripes, la colère qui animent la X-Force. Chaque page est irriguée par une tension, une colère terribles.

Mais le dessinateur s'autorise, grâce au script survolté, à une sorte d'humour très noir et, je trouve, réjouissant. Quand Wolverine réduit à l'état de cul-de-jatte charcute les mercenaires, on ne peut réprimer un éclat de rire, même si la page suivante, il reçoit une giclée de plombs horrible. De la même manière, lorsque Forge arrive en renfort de Domino, sa jubilation à utiliser son armement techno-organique a quelque chose d'enfantin et d'amusant par rapport à son rôle de savant. Et enfin, le mutisme de Gateway devient sarcastique quand, d'abord embarqué dans un raid vengeur, il ne fait pas de quartier pour éliminer un pilote d'hélicoptère (à noter que si l'emploi de Gateway est original, on se demande quand même bien pourquoi ni Percy ni Hickman ne font appel à Diablo pour ce genre d'action alors qu'il est également un téléporteur).

Si Cassara est rapide et percutant, il semble bien toutefois que la place qu'il laisse à la colorisation requiert une intervention gourmande puisque cette fois encore Dean White doit être aidé par Rachelle Rosenberg. Le résultat est superbe, avec des effets de textures impressionnants, et on doit féliciter les deux coloristes de si bien se compléter. Mais cela suscite aussi une légère appréhension quand Cassara sera remplacé car rien ne garantit que celui qui le suppléera aura un style aussi puissant et que la colorisation sera aussi soutenue.

Mais pour l'instant, apprécions surtout la réussite implacable de cette série, qui avec X-Men et New Mutants, est la grande réussite de "Dawn of X".

jeudi 9 janvier 2020

NEW MUTANTS #5, de Jonathan Hickman et Rod Reis


Depuis la fin Novembre 2019 et le numéro 2 de la série, je n'avais plus rédigé de critique de New Mutants, mais c'est parce que les épisodes 3 et 4 étaient écrits par Ed Brisson et n'avaient aucun rapport avec l'intrigue développée par Jonathan Hickman. Celle-ci reprend ses droits et on retrouve avec plaisir les héros dans leur aventure spatiale, au coeur d'un complot politique. Rod Reis est aussi présent. De quoi renouer avec plaisir avec ce titre qui est le succès surprise de la franchise.


Chandilar, monde-trône de l'empire Shi'ar. Gladiator a confié aux Nouveaux Mutants le soin de protéger Xandra, l'héritière de la reine Lilandra, et de sa tutrice, Deathbird. Mais il ignore qu'un membre de la garde impériale, Oracle, conspire pour les tuer.


Loin de là, les Nouveaux Mutants et Smasher, de la garde impériale, conduisent Xandra à l'abri. Sunspot drague Deathbird malgré les mises en garde de Cannonball. La situation se tend lorsqu'un croiseur Shi'ar demande à inspecter leur vaisseau.


L'équipe des Nouveau Mutants se réunit et Cypher décrypte ce message du croiseur pour révéler à Smasher qu'il s'agit d'un commando venu tuer Xandra. Magik, en tant que capitaine du Conseil de Krakoa, missionne ses camarades pour intervenir contre ces assassins.


Sunspot, lui, reste près de Deathbird, bien qu'elle n'ait pas besoin de chaperon. Cannonball et Smasher rejoignent Xandra. Karma, Wolfsbane et Mirage s'occupent d'une partie du commando tandis que Magik règle son compte à l'autre.


A bord du croiseur, on constate rapidement que l'abordage est en train de capoter. Une mesure radicale est prise : le vaisseau de l'héritière est détruit. Les corps des Nouveaux Mutants et des autres passagers flottent dans le vide sidéral.

Ainsi donc, New Mutants est une série bicéphale. A Ed Brisson reviennent les épisodes se passant sur Terre avec de jeunes mutants dans leurs activités quotidiennes, sur et en dehors de Krakoa : pour les avoir lus, j'ai décidé de ne pas les critiquer car ils sont vraiment très quelconques, et sans rapport avec le titre même de la série. On peut louer le fait qu'une place soit accordée à tous les jeunes ressortissants de la Nation X, mais sans doute qu'une back-up story aurait suffi.

Quand on publie une série New Mutants, au casting déjà bien rempli, il me semble qu'il se suffit à lui-même. D'autant que Jonathan Hickman est à la baguette et y montre une autre facette, plus inattendue, de son talent de conteur.

En effet, pour la majorité des lecteurs, qu'on soit ou non client du style du scénariste, Hickman passe pour un type très sérieux, adepte des constructions narratives complexes, avec un ton assez distant, plus intéressé par le récit que par les personnages. En interview aussi, il a ce ton volontiers professoral, sûr de son fait, exposant ses plans à long terme.

Aussi quand on lit cette série, on ne peut qu'être (positivement) surpris de découvrir que Hickman est capable de légèreté et manifeste une vraie empathie pour ses jeunes héros. Son choix de prendre Roberto da Costa/Sunspot comme narrateur en voix off est exemplaire : celui-ci affiche un sentiment de supériorité hilarant parce que battu en brèche par des échecs récurrents et l'indifférence de ses pairs vis-à-vis de la position qu'il revendique.

Ainsi, grâce à cette dérision, Hickman nous entraîne dans une aventure où la jeunesse de ses héros est confrontée à la rouerie machiavélique d'adversaires qui se dévoilent et de leurs plans criminels. Commencée sur le ton de la comédie pure, avec une virée catastrophe dans l'espace pour retrouver Cannonball, l'histoire s'enrichit à présent d'un background politique où la succession au trône de l'empire Shi'ar est compromise par des personnages aux intérêts divergents.

L'épisode est à la fois intense et amusant. Sunspot drague Deathbird, Chamber et mondo sirotent un verre sans se soucier des autres. Mais d'autre part Oracle organise l'assassinat de Xandra et Deathbird avec un commando de la mort, Magik s'impose comme la chef des Nouveaux Mutants et une guerrière (ce qui est raccord avec son statut de Capitaine du Conseil de Krakoa) et l'issue du combat aboutit à une image saisissante. Tout cela est bigrement efficace.

Avec Rod Reis, la série profite d'un artiste régulier et parfait pour son contenu et ses protagonistes. L'artiste, qui assume dessin, encrage et colorisation (en travaillant numériquement), dose ses effets et s'approprie idéalement les jeunes héros et le décor cosmique du récit.

Reis est à la croisée des styles d'un Phil Noto et d'un Bill Sienkiewicz : il sait être sobre et rapide comme le premier tout en s'autorisant des audaces comme le second. Le fan de New Mutants a le sentiment de renouer avec une esthétique familière, comme la série des années 80, tout n'ayant pas l'impression que Reis cherche à se mesurer avec la folie graphique de Sienkiewicz. Le traitement des couleurs en tout cas souligne ce sentiment.

Mais Reis, c'est aussi justement cette efficacité digne d'un Noto : son découpage suit à l'évidence le script de près, il y a un souci constant de lisibilité. Ici, pas d'angles de vue alambiqués, pas d'enchaînement de plans compliqué. On est au plus près des personnages (dont on peut apprécier avec quelle justesse Reis respecte l'âge : ce sont des ados, post-ados, qui ne font ni plus jeunes ni plus vieux que cela), de l'action (quand l'équipe affronte le commando, l'absence de décors se justifie pour clarifier les mouvements de chacun). Une seule fois, le dessinateur se permet une scène plus sophistiquée (comme lorsque Magik fait face à trois assassins et leur demande si aucun d'eux n'est humain - pour être en conformité de la loi de Krakoa spécifiant que les mutants ne tuent pas d'humains - , la partie supérieure de la page voit alignées six cases de formats identiques avant que la seconde bande ne rompe cette chaîne pour un plan où Magik dégaine la soul sword).

Sachant que, récemment interrogé sur une série qu'il aurait aimé écrire pour DC, Hickman a évoqué Teen Titans, on déduira facilement qu'il a transposé cela dans New Mutants. La fraîcheur du résultat explique peut-être pourquoi ce titre se révèle le succès-surprise de la franchise "X" depuis sa relance. Et c'est mérité (même si on peut préférer, comme moi, X-Men ou X-Force).