jeudi 31 octobre 2019

DCEASED #6, de Tom Taylor et Trevor Hairsine avec Neil Edwards


C'est la fin de la saga folle et apocalyptique de Tom Taylor et cet ultime épisode de DCeased ne déçoit pas. En quarante pages, la fin du monde est vraiment épique et laisse encore des héros sur le carreau, sans sacrifier une certaine émotion. Trevor Hairsine reçoit le soutien de Neil Edwards pour boucler la série, avec des scènes spectaculaires et généreuses. 


Superman, infecté par le techno-virus, revient sur Terre pour y semer le chaos. Grâce à un morceau de kryptonite que Batman conservait, Wonder Woman repart sur Themyscira forger une épée qui permettra, grâce à cet échantillon, de tuer son ancien partenaire.


Pendant ce temps, les héros commencent à évacuer les civils à bord des arches conçues par Luthor, mais seulement quelques millions de passagers peuvent embarquer. Themyscira est attaquée par les atlantes infectés par Aquaman et les mazones se sacrifient pour les éliminer.


Avec le renfort de Black Canary et Cyborg, Wonder Woman tente de se débarrasser de Superman, enragé. Elle le mutile mais il la blesse gravement. Black Canary récupère l'épée de Diana et poursuit Superman qui prend en chasse les arches quittant la Terre.


Pour le repousser, Superboy se dévoue et va au clash contre son père dans l'espace. Son effort est infructueux et Black Canary est le dernier rempart entre les rescapés et Superman... Jusqu'à le Green Lantern Corps arrive, tel la cavalerie.


Superman fonce dans le soleil pour en absorber l'énergie, nécessaire pour contrer le GLC, mais l'astre semble le consumer. Sur Terre, Cyborg apprend par Wonder Woman, qu'il a pris avec son lasso de vérité, qu'il existe un remède contre le virus, mais elle le tue avant de le lui révéler. Les rescapés, eux, arrivent sur leur nouveau monde et Lois Lane espère que le pire est derrière eux.

Le format de ce dernier chapitre, long comme un double épisode, montre bien que Tom Taylor aurait facilement pu encore développer sa saga. Mais, en fin de compte, il s'est tenu à son plan et ces quarante pages forment un aboutissement généreux.

C'est ce qui aura séduit tout au long de la parution de DCeased : il s'agit d'une histoire décomplexée, rendue possible car détachée de la continuité, fonctionnant comme une intrigue située dans un univers parallèle, où, donc, tout est permis. Le scénariste ne s'est vraiment pas privé pour raconter ce qu'il avait en tête.

L'autre avantage de ce genre de projet, c'est que, sur la base d'un pitch a priori rebattu (des zombies, la fin du monde), le lecteur n'espérait rien de fameux de DCeased. La surprise de lire un récit complet nerveux, délirant, rondement mené, riche en temps forts, n'en est que plus grande et agréable. En s'affranchissant des codes de l'event, Taylor l'a tonifié, revivifié : plus la peine de soucier des conséquences et donc tout le loisir de choquer, sans limites, de lâcher les chevaux.

L'auteur le fait avec ce qu'il faut d'ironie cependant, sans quoi l'exercice aurait été un peu creux et complaisant. Voir Green Arrow se vexer que Batman ne l'ait jamais considéré comme un danger susceptible de nuire à l'humanité puis le mettre en scène tuant Aquaman, enragé, est savoureux. Ces petits moments permettent de souffler sans que le soufflet ne retombe.

Car le rythme, infernal, est l'autre atout de la saga. Tout va vite, tout est énorme, ça ne s'arrête jamais, des scènes qui, chez la majorité des scénaristes dans des circonstances similaires, auraient nécessité une pause émouvante sont quasi zappées ici (l'évacuation des survivants, la tentative héroïque de Jon Kent de stopper son père). Et finalement c'est, naturellement, que la cavalerie, incarnée logiquement  par le Green Lantern Corps, surgit et convoie les arches vers un nouveau monde. Le récit d'horreur prend alors des airs de western épatant et épique.

Pour mettre en images tout cela, Trevor Hairsine ne ménage pas sa peine. J'ai été dur la dernière fois en qualifiant son dessin de "Hitch moche", il est plus juste de dire que l'artiste (comme Michael Walsh avec Black Hammer / Justice League : Hammer of Justice !) n'est pas un esthète, un partisan de la belle image, du beau dessin. Ce qui ne signifie pas qu'il n'est pas un bon dessinateur, compétent.

Au contraire puisque, à la vérité, ce côté brut, rustre même, du trait colle parfaitement à une telle histoire, sanguinolente, violente, brutale, avec sa part d'exagération assumée, de radicalité même. L'énergie d'un tel dessin convient idéalement à DCeased.

J'étais plus méfiant à la perspective de voir Neil Edwards en renfort car lui est un authentique clone de Hitch, sans en avoir le talent (il lui a souvent servi de doublure). Mais, grâce à l'encrage de Stefano Gaudiano (l'autre grand artiste du projet, qui a si bien servi Hairsine, et que la colorisation de Rain Breredo a respecté), c'est une réussite. On ne voit quasiment pas la différence quand on passe de l'un à l'autre, même si Hairsine est plus sauvage et Edwards plus académique (Hairsine a signé les pages 1 à 7, 10 à 14, 18 à 23, 28 à 36 ; Edwards les pages 8- 9, 11-12, 15, 17, 26-27).

Malgré son propos peu souriant, DCeased s'est imposé comme un event pêchu et jubilatoire. De quoi alimenter la réflexion des éditeurs dont les sagas événementielles classiques sont bien moins convaincantes et savoureuses ?  

samedi 26 octobre 2019

DIAL H FOR HERO #8, de Sam Humphries, Paulina Galucheau et Joe Quinones


Ce huitième épisode de Dial H for Hero confirme, malheureusement, une baisse notable de régime, comme si avoir prolongé la série au-delà des six numéros initiaux en avait diminué le charme et les qualités. Joe Quinones ne dessine qu'une page, laissant le reste à Paulina Galucheau, qui est loin d'avoir le niveau. Sam Humphries s'amuse beaucoup avec la narration, mais sans faire progresser une intrigue au point mort depuis le #6.


Comment Robby Reed est-il devenu l'Opérateur du Heroverse ? Et d'où vient son adversaire, Mr. Thunderbolt ? La vérité va apparaître en rêve à Miguel qui va découvrir également qu'il existe plusieurs téléphones magiques.



Des cadrans au nombre de quatre, rouge, bleu, jaune et noir. En découvrant le premier, Robby a acquis ses super-pouvoirs et appliqué la justice en affrontant Mister Thunderbolt et son gang de braqueurs de gang - sans rapport avec son futur rival dimensionnel.


Mais tout cela n'a pu lui permettre de sauver son grand-père de la maladie qui devait l'emporter. Robby entreprit de corriger cette injustice en remontant le temps mais traversa les dimensions à la place pour aboutir dans le Heroverse.


Là, il déterra le Y-Dial, le cadran jaune, fondation du Multivers, composé d'une partie lumineuse et d'une autre sombre. Robby ignorait alors qu'en faisant cela il allait se dédoubler pour créer son opposé, Mr. Thunderbolt, dont l'ambition était de donner des pouvoirs à tous et de conquérir le Multivers.


A présent, dans notre dimension, au coeur du "Daily Planet", à Metropolis, Mr. Thunderbolt est en possession des cadrans rouge, bleu et jaune. Miguel, lui, sait où se trouve le noir : dans l'endroit le plus dangereux de l'univers, sur Apokolips !

Après l'épisode du mois dernier qui ressemblait fort à une sorte d'intermède ludique pour permettre aux auteurs de souffler, en montrant quelques citoyens de Metropolis dotés de super-pouvoirs par Mr. Thunderbolt durant une heure (avant que Super Miguel n'y remette de l'ordre), on était en droit d'attendre que l'histoire reprenne son cours.

Il n'en est rien, autant le dire d'emblée. Il devient évident que la décision de DC de transformer une mini-série de six épisodes en une maxi de douze ne faisait pas partie des plans de Sam Humphries, qui a dû remanier sa copie et rallonger la sauce pour ce nouveau format.

Ce nouveau chapitre n'est pas inintéressant, mais, comme le précédent, parfaitement superflu, dans la mesure où il ne raconte rien qu'on n'ait déjà déduit tout seul. La révélation principale - Mr. Thunderbolt est le double de l'Opérateur, donc de Robby Reed, engendré au contact du Y-Dial - fait long feu et, en vérité, n'avait guère besoin d'être explicitée, surtout sur toute la durée d'un épisode.

Cela fait surtout deux numéros qu'on attend que Miguel et Summer affrontent Mr. Thunderbolt, réfugié dans une pièce du "Daily Planet", avec trois des quatre cadrans magiques qui lui permettront de conquérir le Multivers. Un peu long... Même si le cliffhanger promet un détour par Apokolips qui est à même de tonifier une intrigue en panne.

Humphries joue donc sur la narration pour tenter de rendre l'exercice plaisant et son idée est amusante puisqu'on suit les origines de Robby Reed, l'Opérateur, de A à Z, tandis qu'une page sur deux, on lit celles de Mr. Thunderbolt de Z à A (en commençant par la page 20 pour atteindre la page 1 où se déroule la séparation des "jumeaux" du Multivers). C'est ingénieux, mais aussi très artificiel.

Et cette impression est soulignée par la faiblesse du dessin, confié à Paulina Galucheau, puisque Joe Quinones se contente de signer la dernière page. Cette artiste pallie de la comparaison avec le titulaire du poste, son trait est moins assuré, ses personnages moins définis, ses décors plus sommaires. Tout est moins bon, plus amateur. Il est certes dur de trouver un fill-in capable de faire oublier Quinones, mais là, c'est vraiment raté.

Je ne vais pas davantage accabler cet épisode et ceux qui l'ont produit, mais il est évident que Dial H for Hero aurait gagné à sinon rester en six épisodes, en tout cas à ne pas être étendu à douze (une dizaine de numéros aurait plus sage, avec pour Quinones, une pause d'un mois entre le sixième et le septième chapitre).

vendredi 25 octobre 2019

MARAUDERS #1, de Gerry Duggan et Matteo Lolli


Deuxième série régulière issue de "Dawn of X", la refonte de la franchise mutante, Marauders s'est tout de suite distingué par sa couverture (signée Russell Dauterman) et son titre (les Maraudeurs furent une bande de vilains mémorables lors du long run de Claremont). Ecrit par l'inégal Gerry Duggan et dessiné par son ami Matteo Lolli, c'est une réussite jubilatoire, qui devrait conquérir une base de fans solide, en même temps qu'une extension très originale du nouveau statu quo établi par Jonathan Hickman.


Central Park. Diablo et Tornade font passer de jeunes mutants par un portail menant à Krakoa. Parmi eux, Kitty Pryde. Mais, pour une raison inconnue, elle se voit refuser l'entrée. Elle est donc condamnée à rester à l'extérieur du refuge des mutants !


Qu'à cela ne tienne ! Elle vole un petit bateau dans un club où elle passait ses vacances enfant et convoie des marchandises introuvables sur l'île pour ses amis X-Men, comme Wolverine. Cette situation n'échappe pas à Emma Frost qui contacte Kitty pour lui soumettre une offre d'emploi...


La présidente de la Compagnie Hellfire doit livrer les remèdes miracles produits par Krakoa aux humains dont les pays n'ont pas reconnu la souveraineté de l'île. Et Kitty, avec un équipage de son choix, est la capitaine idéale pour organiser ce commerce.
  

Elle recrute Tornade, Iceberg et Pyro, avec lesquels elle ne se contente pas de faire des livraisons de médicaments mais aussi de libérer des mutants détenus dans des Etats répressifs. Cependant, Bishop enquête sur la disparition d'un humain à Taipei, qui aurait été happé par un portail de Krakoa.


Une mission oblige Kitty et son équipe à intervenir de façon musclée en Russie contre les geôliers d'un goulag pour mutants. La capitaine Pryde prend les choses en main et trouve du même coup sa nouvelle vocation en acceptant l'offre d'Emma Frost.

Comme X-Men #1 la semaine dernière, ce premier numéro de Marauders offre une quarantaine de pages à lire et ce format est non seulement très généreux pour les 5 $ qu'il coûte mais surtout permet aux auteurs de signer une introduction consistante que n'aurait pas permis un épisode traditionnel.

Gerry Duggan est un scénariste que j'ai toujours trouvé inégal, capable du pire (son court run de All-new Guardians of Galaxy, où seuls les épisodes done-in-one surnageaient) comme du meilleur (sa reprise tonique de Uncanny Avengers). En apprenant qu'il allait écrire un titre "X", j'étais donc méfiant.

Toutes mes réserves sont dissipées après ce premier épisode (même si, évidemment, il faudra désormais confirmer). Le scénariste maîtrise son affaire à laquelle il imprime un rythme soutenu et un esprit très frais, alternant en comédie et action, sans sacrifier la caractérisation ni le propos. Car, mine de rien, sous ses airs de divertissement (des X-Men pirates), il s'agit pour lui d'exploiter une direction bien particulière du nouveau statu quo mutant mis en place par Hickman.

Et Hickman s'impose comme le véritable showrunner de la franchise car, sans que Duggan l'imite, il respecte les codes qu'il a instaurés, comme l'usage de "data pages" (toujours conçues par le designer Tom Muller), qui synthétisent merveilleusement une bonne partie du hors-champ de la série. Duggan tire ses segments vers la comédie avec talent, comme quand il retranscrit des entrées du journal de bord de Kitty Pryde ou la liste de courses de Wolverine.

Mais surtout Duggan a su imprimer une vraie personnalité à son titre. Et cela doit tout au choix de Kitty Pryde dans le premier rôle. Pour la première fois depuis des lustres, elle n'est plus la tutrice de jeunes mutants, ni la co-équipière de mutants célèbres, ni la leader éphémère d'un groupe puisque, d'entrée, elle se voit refuser l'accès à Krakoa (un subplot intrigant puisqu'on se demande pourquoi). De fait, elle est donc contrainte à vivre parmi les humains au moment où toute la communauté des mutants s'isole dans leur pays propre. Accessoirement, on apprend aussi pourquoi elle porte un pansement sur le nez et a un oeil au beurre noir (détails qui ont beaucoup fait parler).

Depuis son apparition à la fin de la "Dark Phoenix saga" il y a (déjà !) quarante ans, Kitty est devenue, pour beaucoup de fans, plus que la mascotte des X-Men, un personnage auquel on s'identifie, un témoin des soubresauts de l'histoire des mutants, un membre fondateur d'Excalibur - tout pour être notre favorite (en tout cas, la mienne). Son caractère attachant, sa résilience hors du commun, sa jeunesse intacte mais nuancée par la maturité, ses relations privilégiées avec les X-Men les plus fameux, la sympathie immédiate qu'elle suscite, tout concourt à faire d'elle la X-woman préférée des lecteurs.

En l'écartant des siens de façon aussi abrupte qu'inexplicable, Duggan imprime une évolution significative à Kitty, qui doit repenser son projet de vie. En quelques scènes rapides et entraînantes, on la voit soudain boire au goulot d'une bouteille de whisky puis parlementer télépathiquement avec Emma Frost. Cela a de quoi surprendre (quand on connaît le passif entre ces deux-là) mais Duggan conduit cela de manière logique puisque leurs rapports sont professionnels et opportuns : en effet, Emma est devenue celle par qui le commerce mutant passe désormais et Kitty, privée de Krakoa, devient celle qui pourrait livrer ceux qui voudraient profiter des produits pharmaceutiques miraculeux de l'île, surtout si leurs Etats n'ont pas reconnu sa souveraineté.

Cela ouvre à la série un champ des possibles très engageant puisqu'on devine le potentiel d'une telle idée, avec les complications qui l'accompagnent. Elles ne tardent d'ailleurs pas et aboutissent à une séquence jubilatoire en Russie qui, justement grâce à la pagination inhabituelle de l'épisode, autorisent Duggan et Matteo Lolli à consacrer pas moins de six pages à un affrontement entre Kitty et des soldats russes. Il est d'ailleurs à noter que le pouvoir de Kitty est parfaitement mis en scène, et ses réactions correspondent à son état d'esprit (un mélange explosif de frustration et d'efficacité).

Lolli est un collaborateur habitué à Duggan, pour qui il a dessiné des épisodes de Deadpool. Cet artiste italien travaille sur tablette et son trait est énergique, parfois manquant de finitions. Mais il compense cela par une belle expressivité des personnages et une découpage redoutablement fluide. Il y a là une expression directe, sans fioritures, qui colle parfaitement à l'esprit du script. Avec un peu plus d'application encore, Lolli pourrait évoquer la maestria d'un Samnee.

Bien entendu, on se prend à rêver de ce que ce dernier aurait fait d'un tel matériau, comme on peut regretter d'ailleurs que Dauterman ne signe que la couverture. Mais attention, Lolli ne démérite pas. J'ai aimé sa production ici, c'est plein de potentiel, agréable au regard, avec une superbe colorisation de Federico Blee. En fait, cela semble surtout confirmer une impression générale pour cette relance de la franchise : l'editor Jordan White a visiblement misé sur des artistes au prestige limité mais au talent solide, régulier (Yu, Lolli, Marcus To la semaine prochaine sur Excalibur). Pas de vedettes donc, mais plutôt des dessinateurs capables d'enchaîner les épisodes (même si Lolli souffre depuis d'une tendinite qui l'obligera à être suppléer bientôt) et complices avec les scénaristes. Pas un si mauvais calcul.

La série est aussi alimentée par un second subplot, pour l'instant beaucoup plus discret que le mystère de l'inaccessibilité de Kitty à Krakoa, avec une enquête de Bishop sur la disparition d'un humain. Comment cette intrigue va croiser celle des pirates ? A voir (tout comme il faudra vérifier l'importance effective d'Emma Frost - simple guest-star ou membre à part entière). Et il me semble que Duggan gagnerait des points à introduire Diablo à l'équipe de Kitty (car Kurt Wagner est le X-man idéal pour une histoire de pirates).

C'est en tout cas très prometteur. Décidément, les X-Men reprennent de belles couleurs.    

ACTION COMICS #1016, de Brian Michael Bendis et Szymon Kudranski


Tristement prévisible : voilà comment résumer ce nouveau piteux numéro d'Action Comics. La bonne nouvelle, c'est qu'il marque la fin de cet arc et que le titre, comme Superman, s'apprête à connaître une onde de choc dès le mois prochain. Szymon Kudranski tire aussi sa révérence (John Romita Jr le remplace). Ouf !


Trish Q., la "commère" du "Daily Planet, enregistre les témoignage des civils qui ont assisté au combat titanesque entre Superman et Red Cloud - dont les pouvoirs ont été sérieusement augmentés par Lex Luthor.


L'affrontement a vu Superman en difficulté, mais surtout frustré et en colère car il retenait visiblement ses coups pour épargner les passants. Il n'empêche que Red Cloud l'a mis en difficulté, provoquant l'inquiétude des habitants de Metropolis.


Pendant ce temps, au Hall de Justice, l'examen de Naomi McDuffie touchait à sa fin lorsqu'une retransmission télé en direct montrait Superman contre Red Cloud. Batman appelle des membres de la Ligue de Justice, sans succès. Naomi se propose de l'accompagner.


Malgré le refus de Batman, l'adolescente passe outre et corrige Red Cloud, permettant à Superman de se ressaisir. Red Cloud riposte mais, en difficulté à son tour, préfère battre en retraite. Les civils apprécient ce retournement de situation.


Superman et Batman, avec une équipe de scientifiques de S.T.A.R. Labs, escortent Naomi chez elle où elle retrouve ses parents. A Metropolis, Red Cloud hors de leur contrôle, Mr. Strong et Mme Leone conviennent d'un changement de stratégie dans la conduite de leurs affaires...

Comme je l'avais anticipé le mois dernier, le contenu de ce 1016ème épisode d'Action Comics s'avère très décevant parce que sans surprise. Brian Michael Bendis fait preuve d'une paresse rare pour boucler cet arc, qui aura été une vraie purge.

Passons tout de suite sur la médiocrité graphique de Szymon Kudranski : il tire sa révérence pour aller illustrer Fallen Angels chez Marvel (une série "X"). Je ne le regretterai sûrement pas, ni se planches noircies et retouchées d'après des fichiers photos. La lisibilité de ses épisodes a été épouvantable. C'est John Romita Jr. qui le remplace et même s'il est très inégal, ce sera tout de même plus solide (d'autant qu'il sera encré par Klaus Janson), avec la promesse d'une histoire spectaculaire (son registre de prédilection).

Mais, de toute manière, le mal était plus profond que la qualité esthétique. J'ignore où a voulu en venir Bendis avec ces derniers épisodes, mais le résultat est affligeant. Le procédé ressemble beaucoup à ce qui s'est déroulé dans les numéros récents de Superman, avec l'introduction de la Légion des Super Héros. Sauf qu'ici l'intégration au récit de Naomi est nettement moins fluide, naturel, et le dénouement trop convenu, trop prévisible.

A la décharge de Bendis, on peut tout de même dire qu'il doit composer, comme d'autres de ses collègues sur d'autres séries, avec Year of the Villain, initiée par Scott Snyder, où on suit les manoeuvres corruptrices de Lex Luthor, devenu le sbire de Perpetua, la mère du Dark Multiverse. Des méchants voient leurs capacités de nuisance dopées pour l'avènement d'un règne du mal, et dans Action Comics, c'est donc Red Cloud qui en profite.

D'une certaine manière, Snyder a imposé à tous son agenda et contraint des séries à modifier leur course en tenant compte des vilains augmentés par Luthor. Red Cloud n'a plus à rendre de compte à Mme Leone et sa mafia invisible, et obligée de sortir du bois, celle-ci perd en route une bonne part de son originalité (car c'était bien trouvé, ces criminels ayant ingénieusement réussi à se cacher de Superman depuis des années, avec des moyens de fortune). On verra comment Bendis va développer cela, en espérant que ce sera inspiré.

Mine de rien, Action Comics a piqué du nez, après un démarrage canon sous la houlette de Bendis. Dommage. Même si rien n'est perdu.


mercredi 23 octobre 2019

JUSTICE LEAGUE DARK #16, de James Tynion IV, Alvaro Martinez et Fernando Blanco


La (superbe et glaçante) couverture (signée Yanick Paquette) résume bien le contenu de ce seizième épisode de Justice League Dark, dans lequel James Tynion IV met implacablement en scène la défaite de ses héros face à un ennemi mieux organisé, plus puissant. Ce chapitre, excellent une fois encore, atteint des sommets visuels grâce à Alvaro Martinez épaulé pour l'occasion par Fernando Blanco.


Dans la salle des artefacts du Hall de Justice, Zatanna et Kent Nelson contiennent tant bien que mal Eclipso grâce auquel ils ont pu envoyer Wonder Woman sur la Lune. Leur ennemi use de tout son pouvoir pour éprouver les magiciens afin de recouvrer la liberté.


La situation est critique pour Wonder Woman dans l'inconscient collectif où l'attendait Circé, dont les pouvoirs, augmentés par Lex Luthor, attendent d'être encore accrus par le vol de l'énergie magique de l'amazone, afin de réussir là où Hécate avait échoué.


Ailleurs dans le Hall de Justice, Khalid Nassour et Bobo doivent neutraliser Man-Bat, qui, possédé par un sort de Klarion, s'est métamorphosé en monstre. Bobo l'attire dans le Bar Oblivion où il l'emprisonne dans une cage de feu. John Constantine resurgit sur ces entrefaites.


Dans l'inconscient collectif, Circé prend définitivement l'avantage sur Wonder Woman et l'étrangle. Rapatriée dans la salle des artefacts, l'amazone, dont le corps est désormais possédé par la magicienne, a accès au rubis d'Eclipso.
  

Coincée sur la Lune, Diana assiste, comme les acolytes de Circé, aux conséquences immédiates de la déroute de la JLD : Circé incarne désormais la magie, et remodèle la réalité à sa guise sur notre Terre et notre dimension.

Une victoire héroïque doit être précédée d'une défaite apparemment sans partage ; la qualité du méchant d'une histoire indiquant (selon l'adage de Hitchcock) celle de l'histoire, alors faut-il que ce vilain prouve sa puissance de manière indiscutable. Ensuite la revanche des héros n'en a que plus de saveur.

Tout cela est magistralement mis en pratique par James Tynion IV depuis le début de cet arc épique et en particulier dans ce nouveau chapitre de la guerre des sorcières. On avait pu suivre jusque-là les manoeuvres discrètes mais précises du "gang" de Circé et se préparer au revers de la Justice League Dark, mais rien ne laissait soupçonner qu'il serait aussi sévère et rapide.

En une vingtaine de pages, qui dès le début de l'épisode laisse entrevoir le pire à la faveur d'une scène glaçante avec Eclipso difficilement contenu par Zatanna et Kent Nelson, le scénariste entraîne le lecteur dans une cascade de défaites dont on saisit l'inéluctabilité. Circé, Klarion, Papa Minuit, Woodrue, Salomon Grundy sont trop bien préparés, avancés, , face à une équipe qui ne se doute pas de l'habileté et de l'efficacité de leurs manoeuvres.

Par ailleurs, on a déjà assisté à la décomposition (littérale) de Swamp Thing le mois dernier, ce qui indiquait le niveau de la menace en mouvement. La bataille entre Circé et Wonder Woman dans l'inconscient collectif, celle de Bobo et Khaled contre un monstrueux Man-Bat, celle de Zatanna et Kent Nelson contre Eclipso, toutes sont des tentatives vaines pour contenir des adversaires supérieurs. Seule et maigre lueur d'espoir : Abigail Arcane, réclamée par ce qui reste de Swamp Thing auprès de Bobo et Constantine - si le chimpanzé détective ignore qui elle est, le chasseur de démons lui comprend à l'évocation de ce nom que tout est lié dans ce qui frappe la JLD.

Ce qui emballe aussi, c'est le rythme qu'imprime Tynion à son récit : les scènes sont courtes, et tout l'épisode progresse en un crescendo intense au gré de péripéties spectaculaires, qu'il s'agisse de l'évocation des origines de Hécate par Circé, des dégâts provoqués par Man-Bat dans le Hall de Justice et le Bar Oblivion, etc. Impressionnant (surtout quand on se rappelle des débuts laborieux de la série qui confondait densité et lourdeur).

Ce numéro est illustré par un Alvaro Martinez toujours aussi bluffant : l'espagnol aligne les planches d'un haut niveau avec une régularité insolente, sublimant le script, convertissant les mots en images terrifiantes (Man-Bat métamorphosé est vraiment ahurissant, et Eclipso terrifiant). Sa narration, généreuse et précise, aboutit à des compositions très fouillées, d'un luxe de détails vraiment époustouflant. Il faut savoir s'y attarder pour apprécier la précision de l'encrage, la beauté de la colorisation, la finesse du trait.

Mais l'artiste a visiblement un peu besoin de souffler - c'est légitime, car produire de telles pages à une cadence mensuelle est rare. Il reçoit donc l'aide de Fernando Blanco, que DC sous-emploie trop depuis la fin de son excellent run sur Batwoman (un titre dont je déplore encore l'annulation). Il n'est là que pour dépanner sur trois planches, mais il s'est fait fort d'être au niveau de son collègue car il n'y a aucune baisse de régime. Les origines de Hécate sont superbes sous son crayon, et, ma foi, DC peut refaire appel à lui en fill-in de Martinez, la série n'en pâtira pas.

J'ai été dur avec Justice League Dark, dont j'estime l'entame maladroite, voire ratée (comme si Tynion avait trop voulu en dire et trop vite). Mais je reconnais que son auteur a su faire germer les graines qu'il a plantées tôt pour arriver aujourd'hui à de vrais pics. Pour Tynion IV, l'avenir s'annonce radieux (d'autant qu'il succédera à Tom King sur Batman, au moins pour quinze épisodes, ce qui lui permettra certainement d'accéder à davantage de popularité encore). 

vendredi 18 octobre 2019

CAPTAIN MARVEL #11, de Kelly Thompson et Carmen Carnero


Il n'y aura rien eu à sauver de cet arc narratif de Captain Marvel qui s'avère un pitoyable ratage jusqu'au bout. Kelly Thompson livre son pire travail et surtout ne donne vraiment pas le sentiment qu'elle apporte quelque chose au personnage. Carmen Carnero s'en sort un peu mieux, mais quitte le titre sur un triste bilan.


Résumer cet épisode est une vraie purge, aussi me contenterai-je du strict minimum : Captain Marvel, comprenant que Star tire désormais ses forces des civils grâce à un virus kree conçu par Minerva, décide de replacer dans sa poitrine le siphon qui la prive de ses pouvoirs au bénéfice de son ennemie.


Ce geste fou, espère-t-elle, incitera Star à se ressaisir. Mais ce n'est pas le cas : traumatisée par son expérience avec Nuclear Man (voir les épisodes #1-5), elle veut se venger de Captain Marvel qu'elle juge responsable de l'avoir entraînée dans ses mésaventures. 
  

Tabassant l'héroïne, son agressivité se retourne doublement contre Star : d'abord en lui valant le rejet du public et ensuite en permettant à Captain Marvel de l'atteindre et de la neutraliser dans une manoeuvre périlleuse. Elle est incarcérée au Raft tandis que Carol Danvers, à nouveau plébiscitée par le public, se demande jusqu'à quand durera ce regain de popularité...


Rien, absolument rien ne fonctionne dans cet épisode, comme dans les précédents de cette histoire. Et le pire, c'est que Captain Marvel commente, à un moment, la nullité des événements en tentant de raisonner Star, lui expliquant que son attitude est irrationnelle (en gros, elle est traumatisée par son séjour dans la dimension de Nuclear Man, elle justifie son comportement maléfique actuel par cela en reprochant à Carol Danvers de l'avoir entraînée dans ses galères).

Un tel ratage est difficile à cerner, surtout de la part d'une scénariste comme Kelly Thompson qui écrit d'habitude bien mieux. Mais son intrigue est tellement tirée par les cheveux, les péripéties sont tellement grotesques, le dénouement tellement laborieux, qu'on ne peut être indulgent.

Plus généralement, ce qui frappe, c'est qu'en presque une année sur le titre (onze épisodes, dont deux dévolus à coller à l'event War of the Realms), Thompson n'a jamais semblé en mesure d'apporter quelque chose de consistant et d'original à la série et son héroïne. La fantaisie dont elle a su faire preuve, avec une inspiration certes inégale, sur Hawkeye et West Coast Avengers est tristement absente. Captain Marvel manque cruellement d'humour, jouant la carte d'un pathos ennuyeux, avec une protagoniste qui n'existe que par rapport à ses amis (le supporting cast devient envahissant sans être très constructif, comme en témoigne la présence de Hazmat, que Carol doit former - ce qu'elle n'a visiblement ni le temps ni l'envie de faire).

La série partait déjà avec un sérieux handicap puisque devant suivre la retcon écrite par Margaret Stohl dans la mini The Life of Captain Marvel, où on apprenait que Carol Danvers devait ses pouvoirs non pas à Mar-Vell mais à sa mère d'origine kree. Thompson s'en est servi de manière plutôt habile, mais en vérité surtout comme un prétexte au début de cet arc pour appuyer la disgrâce de son héroïne.

L'identité du titre demeure nébuleuse. Captain Marvel semble comme à l'étroit dans sa propre série, devant rester sur Terre pour être mieux identifié par les civils et disponible pour les Avengers, mais du coup cantonnée à des adversaires vraiment pas charismatiques (Nuclear Man, Star - à laquelle pourtant Marvel semble croire puisqu'elle aura droit à sa mini-série en 2020 !), et constamment suivie par une bande de filles (soulignant de façon lourdingue le féminisme promis du titre). Thompson, du coup, donne le sentiment d'écrire une suite officieuse de A-Force ou de spin-off d'Avengers. Gênant pour un personnage censée exister de façon aussi affirmée que Captain America, Iron Man, Black Panther, Thor, etc.

Comment la fille qui rédige des épisodes enchanteurs de Sabrina the teenage witch peut-elle être aussi gauche avec Captain Marvel ? A cause de la pression éditoriale (car, avec le succès du film, Marvel veut absolument imposer l'héroïne comme une vedette de comics) ? D'une panne d'inspiration ? D'une perte de motivation (suite aux échecs successifs de Hawkeye et WCA) ? 

Carmen Carnero quitte le navire en tout cas - elle va dessiner la mini X-Corp, qui reviendra sur les vies antérieures de Moira McTaggert, en 2020. Elle me laissera une impression mitigée : c'est une artiste solide, douée, mais à qui il manque ce petit plus pour marquer les esprits, faire la différence (et peut-être un encreur, qui embellirait son trait). Son remplacement par Lee Garbett sera l'occasion d'apprécier la différence entre un dessinateur mûr et sûr de lui et elle qui se cherche encore (à mon humble avis).

Grâce à Garbett justement, je vais sûrement tenter le prochain arc, qui promet de bouger les lignes (Captain Marvel passe du côté obscur). Mais attention quand même car il faudra que Thompson convainque rapidement pour que je ne lâche pas l'affaire !  

BLACK HAMMER / JUSTICE LEAGUE : HAMMER OF JUSTICE ! #4, de Jeff Lemire et Michael Walsh


Le crossover entre Black Hammer et Justice League touche à sa fin et Jeff Lemire mène son affaire avec son habituelle maestria, suivant plusieurs lignes narratives parallèles puis dévoilant enfin leur point commun. Très divertissante, l'histoire est aussi captivante et Michael Walsh la sert avec efficacité visuellement.


Mme Dragonfly, Barbalien et Abraham Slam s'évadent à leur tour du Hall de Justice et retrouvent Gail que Zatanna a rendue à son âge adulte. Mais ce faisant, la magicienne a provoqué l'ire du Spectre pour avoir perturbé l'ordre interdimensionnel.


Pendant ce temps, à la Ferme de Rockwood, Cyborg s'emploie à redémarrer Talky Walky que lui et Batman ont trouvé dans la grange. Le robot leur parle de ses amis et Bruce Wayne comprend qu'ils ont échangé leur situation. Dans la remise, ils trouvent leurs costumes et, grâce au lasso de Wonder Woman, la mémoire.


Perdus hors de la Para-Zone, Green Lantern, Flash et le Colonel Weird tentent de se repérer et découvrent l'antre de l'individu qui a déplacé leurs deux équipes. Il s'agit de Mr. Mxyzptlk qui s'est amusé à créer ce chaos pour tester les héros.


Batman, Superman, Wonder Woman, Cyborg et Talky Walky inspectent les environs de la Ferme de Rockwood. Ils trouvent sur la tombe de Flash le marteau de Black Hammer puis remarquent la cabane des horreurs de Mme Dragonfly. En l'ouvrant, ils sont attaqués par les monstres qu'elles abritent.



Mr. Mxyzptlk explique alors à Green Lantern, Flash et surtout Weird la condition à laquelle il acceptera de renvoyer chacun dans sa dimension : pour cela, tous devront être d'accord - y compris Gail, qui pourtant a, grâce à Zatanna, obtenu ce qu'elle désirait le plus...

En compagnie de Tom King et Jonathan Hickman, Jeff Lemire est certainement le scénariste qui me séduit le plus actuellement. Son inventivité et sa maîtrise sont impressionnante, il traverse un réel état de grâce. Il ne s'agit pas de prétendre que tout ce qu'il fait est réussi (il a échoué à donner à Sentry, chez Marvel, un second souffle), mais indéniablement, il se détache du lot.

L'exercice du crossover tel qu'il le pratique ici avec sa création, Black Hammer, et Justice League prouve une fois encore que, si on lui laisse carte blanche, Lemire transforme le plomb en or. Pourquoi donc les "Big Two" ne confient-ils pas à cet auteur si brillant une franchise avec la liberté de raconter ce qu'il souhaite ? On se souvient qu'il avait eu la charge des Extraordinary X-Men, personnages taillés pour lui, mais le projet avait été ruiné par des editors trop interventionnistes : qui sait ce qu'il serait advenu des mutants sans cela ?

Hammer of Justice ! montre bien que Lemire, sans entraves, rend une copie très plaisante et palpitante à partir d'éléments connus. Cette mini-série profite à fond de l'aspect ludique provoqué par la rencontre entre des personnages célèbres et d'autres dont ils s'inspirent car la bande de Black Hammer est un dérivé de celle de Justice League. Il est réjouissant de lire des dialogue où Barbalien soupire en niant que Martian Manhunter soit un authentique martien, tout comme il est jubilatoire d'assister à l'apparition du Spectre (absent de "DC Rebirth") ou du rôle endossé par Mr. Mxyzptlk (finalement assez évident).

Michael Walsh est un choix intelligent pour dessiner ce récit car ce n'est pas un artiste qui risque de tirer la couverture à lui : il a l'humilité de servir le script et c'est très bien ainsi. Bien entendu, un dessinateur plus technique, plus audacieux aurait imprimé au projet une plus-valu esthétique, aurait produit des planches plus belles et spectaculaires (même si cet épisode n'est pas avare de pleines pages efficaces). Mais Hammer of Justice ! en avait-il besoin ? Non, parce que la narration de Lemire et Walsh suffit.

Je ne veux pas donner l'impression que Walsh est juste passable. Simplement, il fait bien ce qu'il a à faire, et c'est très appréciable qu'un artiste sache rester à sa place. Il devient alors en quelque sorte le garant de la tenue du projet. Imaginez ce crossover illustré par une vedette, il aurait bénéficié de plus d'exposition sans doute, mais peut-être pas de plus de cohérence (et de régularité). En fait, pas sûr qu'une pointure de DC ou Dark Horse aurait été un atout. Walsh sait que Lemire est la vedette du spectacle et que l'histoire n'a pas besoin de fantaisie supplémentaire, au risque d'être trop chargée, trop appuyée (et donc d'étouffer le charme).

Le cliffhanger présente le tour de force d'être à la fois prévisible dans son issue (tout le monde va rentrer chez lui) mais sans l'être trop (comment convaincre Gail d'abandonner son état pour retourner à la Ferme dans son corps d'enfant ?). De quoi assurer un cinquième et dernier numéro à la hauteur. 

jeudi 17 octobre 2019

EVENT LEVIATHAN #5, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


Pour son pénultième chapitre, Event Leviathan fait pâle figure. En effet, on finit cet épisode avec une double impression : comme si du temps avait été gâché mais en même temps que la conclusion pouvait tout rattraper. Brian Michael Bendis a le chic pour se mettre la pression tout seul et le lecteur reste dans l'expectative. Heureusement Alex Maleev conserve au projet une sacrée allure.


Lois Lane est avec la seconde équipe de détectives qu'elle a mise sur l'affaire Leviathan. Zatanna et ses partenaires ont éliminé beaucoup de suspects envisagés par le groupe de Batman et accusent Sam Lane d'être l'ennemi.


Lois refuse d'y croire, étant donné que son père a failli périr durant une attaque de Leviathan. Batman, qui écoute la conversation (grâce à la voiture que lui a empruntée Lois) est d'accord sur ce point. 


Lois appelle Superman mais celui-ci est, avec Plastic Man, devant Leviathan dans une poche dimensionnelle. Ce dernier tente de convaincre le héros d'adhérer à son projet tout en sachant que cela ne va pas de soi.


Zatanna ouvre un portail magique grâce auquel elle, Lois et les détectives accèdent à la chambre de Sam Lane. Il est attaqué par des sbires de Leviathan qui, blessés, le téléportent avec sa fille. Il s'éteint dans les bras de Lois. Batman décide avec sa bande de rejoindre Zatanna.


En route, Robin interroge Manhunter sur l'origine de son arme et ceux qui ont pu y avoir accès - comme ça peut être le cas de Leviathan. Celui-ci se démasque devant Superman au même moment où Talia Al Ghul stoppe le véhicule de Batman à qui il demande de lui livrer Manhunter.

Je n'aime guère critiquer un comic-book en le comparant à un autre, qui plus est publié chez un autre éditeur et au sujet différent. Mais il est indiscutable que ma lecture a été impactée par celle des récentes productions de Jonathan Hickman - lequel se trouve avoir percé dans le milieu grâce à Brian Michael Bendis.

Or c'est en quelque sorte comme si, à l'aune de leurs livraisons actuelles, "l'élève" avait dépassé "le maître" (même si les relations entre les deux auteurs n'est pas de cet ordre). Hickman m'a impressionné récemment par la rigueur de ses récits, la manière dont il a (re)construit une franchise en sachant développer une histoire très solide et ambitieuse à la fois.

Event Leviathan accuse, avec ce cinquième et avant-dernier chapitre, un défaut structurel que n'affichait pas l'histoire de Hickman. La révélation, le mois dernier, qu'une autre équipe de détectives avait été sollicitée par Lois Lane pour démasquer Leviathan était un coup de théâtre intéressant mais tardif. Trop tardif en fait car cela ne laissait guère de place pour développer les membres de ce groupe, détailler leurs investigations et justifier la "mauvaise nouvelle" qu'il promettait à Lois.

Surtout cela posait un double problème : d'abord fallait-il que Lois ait bien de foi en Batman (le détective par excellence du DCU) pour penser qu'elle avait besoin d'autres enquêteurs en parallèle, et ensuite fallait-il que ces autres enquêteurs soient peu scrupuleux pour accepter de travailler dans le dos de Batman. Et ça, c'est tout de même gênant quand on sait que Zatanna, Renee Montoya, Harvey Bullock, Ralph Dibny, John Constantine et même Deathstroke (sans doute l'élément le plus incongru) sont tous des proches de Batman. 

Pire : comment imaginer que Batman, dont on sait la nature parano, n'ait pas envisagé que Lois ait pu le doubler ? Et quid de Superman, qui, lui non plus, n'a pas deviné la manoeuvre secrète de sa femme ? Non, ça ne fonctionne pas.

Mais bon, nous voilà à un épisode de la fin de cette mini-série et si Zatanna et ses acolytes ont éliminé des suspects, ça ne ne les a pas empêchés de se tromper de coupable (non, Sam Lane n'est pas Leviathan). Le comble pour des limiers pareils. On est au point mort, même si on se demande bien pourquoi Talia veut absolument que Batman lui livre Manhunter. Et que Superman a l'air vraiment étonné en découvrant qui porte le masque de Leviathan...

Sur ce point, cependant, Bendis gagne. Car forcément si Superman est comme deux ronds de flan, alors nous aussi, sûrement le mois prochain. C'est un vrai coup de poker pour le scénariste : s'il abat une carte vraiment sidérante dans le dernier épisode, la structure maladroite de sa saga sera excusée. En revanche, s'il se rate, ce sera un échec d'autant plus embarrassant que le récit a été mal fichu.

Il faut qu'Alex Maleev soit en forme pour illustrer tout ça. Le dessinateur a du métier et l'habitude de travailler avec Bendis, donc ça lui permet de soutenir un projet pareil sans faiblir, sans douter. Et c'est vrai, ses pages sont superbes. Pourtant il joue une partition minimaliste (un peu comme Mitch Gerads sur Mister Miracle) : l'essentiel de sa production ici se résume à des scènes dialoguées, des "talking heads", une ambiance feutrée. Tout demeure nébuleux, brumeux, et pourtant électrique, envoûtant.

En effectuant la colorisation  Maleev est seul maître à bord et imprime à ce récit une identité unique, qui détone par rapport à ce qu'on peut attendre d'un event. Pas de grand spectacle, de grandes explosions. L'image la plus saisissante ici est une double-page montrant Leviathan et son armée face à Superman, mais tout baigne dans le bleu, le brouillard, quelque chose d'onirique, d'irréel, de fantomatique. C'est tout à fait déroutant.

Pour tout cela, positif comme négatif, Event Leviathan s'achemine vers un final en forme de quitte ou double : Bendis a fait un choix assez expérimental, casse-gueule, à la fois frustrant et culotté. C'est très beau, visuellement, mais narrativement hasardeux. 

X-MEN #1, de Jonathan Hickman et Leinil Yu


Une semaine après la fin de House of X-Powers of X, Jonathan Hickman entame donc son run avec la série-phare de la franchise qu'il vient de réparer. X-Men est tellement conçu comme un nouveau départ que sa double numérotation identique apparaît comme un manifeste : pas de "Legacy issue", ce #1 est l'acte de naissance d'une nouvelle ère. Et, avec plus de quarante pages, dessinées par Leinil Yu, il en impose.


Cyclope, Tornade, Magneto et Polaris attaquent le Centre, une base où sont pratiqués par le Dr. Mars et son équipe des expériences sur des post-humains. Après avoir neutralisé la sécurité, les X-Men découvrent parmi les cobayes une jeune fille capable de se déplacer dans le temps et qui leur échappe.


Les autres captifs sont évacués sur Krakoa où ils sont immédiatement pris en charge par le Dr. Cecilia Reyes, sous la supervision de Tornade. Les enfants fêtent Magneto en héros. Cyclope invite Polaris à dîner en famille car son frère, Havok sera là, mais elle décline l'offre.


Cyclope retrouve sa famille dans la Summer House, située sur la face bleue de la Lune. Nathan Summers discute armes avec Raza, Jean Grey prépare des boissons avec C'hod, Hepzibah converse avec Rachel Summers, Wolverine veille sur la cuisine avec Vulcain.


Alex Summers (Havok) offre à Christopher, son père, une fleur de Krakoa, qui permettra à Corsaire et ses Starjammers de revenir facilement sur place via un portail dimensionnel. Scott rassure son père sur sa nouvelle vie, confiant dans les plans de Charles Xavier pour les mutants.


Sur la Station Orchis, le Dr. Devo incinère les victimes de l'attaque des X-Men (lire House of X #3) puis rejoint le Dr. McGregor, qui n'a pas assisté à la cérémonie. Elle est très affairée car elle prétend avoir trouvé un moyen de ramener les morts de la station à la vie.

C'est parti. House of X et Powers of X viennent juste de se terminer et il faut désormais exploiter le nouveau statu quo des mutants en séries régulières. Elles seront six à tenter de faire vivre les espoirs suscités par la révolution opérée par Jonathan Hickman, qui devient une sorte de showrunner de l'univers mutant pour Marvel, dans la mesure où s'il n'écrira évidemment pas tout, il a collaboré avec les scénaristes pour établir un ensemble cohérent. On sait même qu'un titre Wolverine va être lancé, et en 2020 ce sera au tour de X-Corp. Espérons que Marvel ne va pas trop presser le citron et fragiliser ce bel édifice.

X-Men #1 affiche lui un copieux programme puisque l'épisode compte quarante-deux pages, bien denses et prometteuses. Néanmoins, malgré une ouverture riche en action, le résultat prolonge ce qu'on lisait dans HoX-PoX, à savoir un récit qui s'appuie sur les personnages, et le cadre très riche dans lequel ils évoluent. Le scénariste a indiqué que ses arcs narratifs seraient brefs, parfois des done-in-one issues, même s'il est déjà évident qu'un subplot sera développé avec un retour à la Forge de la Station Orchis.

L'autre information utile, c'est que X-Men n'est pas, comme la couverture de ce premier numéro le suggère, une série sur la famille Summers, Jean Grey et Wolverine - même si ce "pilote" les met effectivement en avant. La série a vocation à employer les X-Men en général, selon les missions, les histoires, avec des figures emblématiques comme d'autres plus jeunes (Armor, créée dans les Astonishing X-Men de Whedon et Cassaday, sera de la partie bientôt par exemple). Derrière la sobriété de l'intitulé se cache donc la famille au sens large des mutants.

Comme on l'a appris au terme de HoX-PoX, Krakoa est gouverné par un Conseil de douze membres et protégé par cinq capitaines, dont Cyclope est le chef. C'est donc tout naturellement qu'il tient le premier rôle de cet épisode, à la tête d'une unité restreinte portant secours à des cobayes post-humains. Il suit les ordres de Magneto, mais mène l'assaut aux côtés de Tornade et Polaris. Leur action est ciblée, efficacement conduite, rapide, précise. C'est commando qui effectue un raid et, quand Magneto souhaite en modifier la course, Cyclope lui rappelle l'objectif et diffère ce changement.

On pourra trouver que la partie la plus mouvementée de l'épisode tienne finalement peu de place, mais en même temps elle a le mérite de montrer que les X-Men sont une formation entraînée, disciplinée, sous l'autorité d'un vrai capitaine, avec un contrat à remplir. La mise en images par Leinil Yu souffre du défaut chronique chez cet artiste, que Marvel a quelque peu laminé en lui confiant les dessins de plusieurs events ou en le baladant de séries en séries comme s'il était un couteau suisse : le découpage est sage et les compositions peu dynamiques, mais cependant compensé par des décors représentés avec suffisamment de détails et avec un souci de lisibilité.

Il n'en reste pas moins que Yu est plus à son avantage dans les scènes dialoguées, même si son dessin manque aussi d'expressivité (on est loin, en ce sens, de ce que peuvent produire Schiti ou Immonen, dont on se prend à rêver de ce qu'ils auraient apporté à un tel script). Il ne faut pas accabler l'artiste (il en est de bien plus médiocres pour lesquels des fans ont une indulgence coupable) et reconnaître qu'il donne à Magneto une majesté indéniable ou à Corsaire une sorte de gravité épatante. Quant aux personnages féminins, Yu ne les hypersexualise pas mais sait leur injecter une prestance naturelle (Polaris est vraiment bien servie, et Tornade ne ressemble plus à cette femme arrogante comme elle a trop souvent été dépeinte ces dernières années).

Le coeur de l'épisode met donc en scène le clan Summers au complet - même Vulcain est de retour, animé des meilleures intentions (n'ayant plus trop suivi son parcours depuis qu'il était devenu le régent des Shi'ar et avait affronté Flèche Noire, des Inhumains, je ne sais donc pas s'il a subi un traitement spécial pour que sa colère vengeresse et criminelle ait été purgée). On se sent d'ailleurs compte que, entre Scott (Cyclope), Alex (Havok), Nathan ("Kid" Cable), Gabriel (Vulcain), Rachel (Prestige), et Jean Grey, la Summer House rassemble une tribu sacrément puissante.

On notera aussi, à la faveur du plan de cette maison, que Wolverine habite donc avec tout ce beau monde. Et que la chambre de Jean se situe entre celle de Logan et celle de Scott... Voilà qui va alimenter les fantasmes de nombreux lecteurs, convaincus depuis la fin de HoX que les deux hommes partagent la même femme (ou que la femme s'offre deux amants). Déjà que les mutants vivent à la manière d'une quasi-secte désormais, isolés sur une île, ce parfum de triolisme (et d'amour libre en général, puisque Kurt Wagner a encouragé les mutants à se reproduire en masse) est étonnamment épicé pour un comic-book mainstream.

L'émotion suscité par ce cas de figure et aussi par le dialogue entre Cyclope et Corsaire sur les dangers et les espoirs de cette nouvelle vie est contrebalancée très efficacement par les ponctuations sur la Station Orchis. Ceux qui n'auront pas lu HoX-PoX seront largués par les références à l'attaque des X-Men dans cette base, mais les autres apprécieront le fait que Hickman maintient intacte la menace que représente cette communauté de savants et de soldats, issus du SHIELD, de l'Hydra, de l'AIM, qui collaborent pour empêcher l'ascension mutante non pas comme un danger abstrait, générique mais bien comme un adversaire politique et civilisationnel. L'étrangeté inquiétante du look du Dr Devo, produit par Yu, en fait une créature purement "Hickmanienne", mais qui s'avère presque moindre par rapport au Dr McGregor, dont la découverte interpelle (ce sera certainement le subplot que j'évoquai plus haut).

La périodicité de la série est un peu mystérieuse puisqu'il semble qu'on se dirige vers une moyenne de deux épisodes par mois, ce qui est soutenu, ou bien dix-huit épisodes par an (comme actuellement pour les Avengers d'Aaron). Cela induit forcément un roulement de dessinateurs (RB Silva va revenir, Matteo Buffagni est annoncé aussi, et je ne serai pas surpris qu'on revoit Pepe Larraz). Ce qui est sûr en revanche, c'est que Hickman a une histoire ambitieuse et au long cours en tête - et le succès de HoX-PoX dément toutes les rumeurs (stupides) des grognons qui parient sur un bide rapide et un relaunch.

Moi, je mise sur X-Men car j'ai foi dans le projet de Hickman comme les mutants dans celui de Xavier. Il y a vraiment, là, en germes, une vraie renaissance de ce titre.