vendredi 30 septembre 2022

THE MAGIC ORDER 3 #3, de Mark Millar et Gigi Cavenago


La lecture de ce troisième épisode du troisième volume de The Magic Order m'a laissé perplexe. Mark Millar entraîne ses personnages et le lecteur dans des directions inattendues certes mais bien curieuses si on se souvient des débuts de l'histoire. Gigi Cavenago livre des planches une nouvelle fois somptueuses et c'est bien le seul point sur lequel il n'y a rien à redire.


Leonard Moonstone et sa femme Salomé se préparent à partir chasser le Puzzle, ce démon qui a tué le père de Salomé.


Regan retrouve Sacha qui a pris en charge sa nièce Rosie et ses deux amis, Darius et Becky à Baltimore. Il envoie les trois gamins traquer les trois frères Mendoza, mais l'un d'eux leur échappe.
 

Qu'à cela ne tienne pour Rosie qui continue à pister Paco Mendoza avec son amie Becky. Mais lorsqu'il les surprend, elles sont vite dépassées par le danger.


Sacha intervient alors pour les sauver puis il renvoie Becky chez elle. Avant d'offrir à Rosie de lui enseigner sa magie, de manière plus efficace et suivie que son oncle Regan...

La volume 3 de The Magic Order est vraiment bizarrement construit. Pas un épisode ne ressemble au précédent et on en vient à se demander ce que Mark Millar veut raconter exactement. Pour rappel, dans le premier numéro, on faisait connaissance avec Sammy Liu, un membre de l'Ordre, et hommes d'affaires soupçonné d'avoir utilisé sa magie pour faire fortune.

Puis le mois dernier, changement complet de direction : nous retrouvions Leonard Moonstone, invisible depuis la fin du volume 1, et nous faision connaissance avec sa femme, Salomé, à qui il venait apprendre la mort de leur fils Gabriel (survenue dans le volume 1). Mais on découvrait aussi qu'il avait eu un premier fils, Perditus, qu'il avait échangé contre une prise de guerre. Et Salomé s'apprêtait à traquer le Puzzle, un démon, qui avait tué son père.

Ce nouvel épisode ne développe aucune de ces deux précédentes pistes, même si l'épisode s'ouvre avec une très belle scène où Leonard et Salomé sont sur le départ. Mais ensuite, ni Sammy Liu, ni Ordre Magique. Mark Millar s'intéresse à Rosie, la fille de feu Gabriel, devenue la fille adoptive de Regan, son oncle.

Ce dernier ne s'en occupe guère, entre la gestion de son strip-club et ses coucheries avec des hommes de passage. Pourtant il veut l'initier à la magie car il compris que sa nièce avait un potentiel énorme (comme son père avant elle). Mais il lui assigne des devoirs bien dangereux pour une fillette en l'envoyant capturer les frères Mendoza, des dealers de magie capables de posséder des êtres humains. La gamine, malgré tout, est téméraire et ne se défile pas.

Un autre personnage, entrevu dans les deux précédents épisodes, veille : il s'agit de Sacha, un chasseur très puissant de l'Ordre Magique, qui désapprouve les méthodes de Regan mais qui a, lui aussi, évalué le potentiel de Rosie. Il va d'ailleurs la sortir d'un mauvais pas et lui offrir ses services. 

On comprend que Sacha poursuit son propre agenda, mais sans savoir ce qu'il a en tête. Ce serait pourtant bienvenu car on atteint la moitié de ce troisième volume. Et surtout parce que ça commence à faire beaucoup de lignes narratives à suivre, entre la chasse au Puzzle par Leonard et Salomé, les tensions entre l'Ordre et Sammy Liu, et désormais l'éducation de Rosie. Est-ce que tout ça va converger ? Et si oui, comment et à quand ? Ou bien Millar écrit-il ces intrigues parallèles pour les traiter de manière autonome, voire en en résolvant certaines pour le volume 4 (qui paraîtra l'an prochain) ? Impossible à dire, mais subsiste cette impression d'un arc dispersé, avec beaucoup de pistes à suivre.

Millar retombe souvent sur ses pattes, même si parfois ses histoires souffrent d'être un peu répétitives dans leur construction et leur dénouement (avec un dernier épisode explosif et expéditif). D'un côté, j'ai envie, comme souvent, de faire confiance à son expérience. De l'autre, je garde le souvenir mitigé du volume 2 de The Magic Order dont lui-même a reconnu qu'il était trop déséquilibré. J'espère quand même que le prochain numéro va débrouiller un peu tout ça.

Toutefois, tout n'est pas à discuter et on peut dire que cet épisode s'ajoute à la liste des plaisirs graphiques de la semaine. Après avoir profité des planches d'artistes aussi excellents que Alvaro Martinez, Greg Smallwood, Joshua Cassara et Tom Reilly, finir avec Gigi Cavenago, c'est quand même un régal.

L'italien produit encore des planches fantastiques, dans tous les sens du terme. Ses compositions sont toujours aussi dynamiques et spectaculaires et la manière qu'il a de réprésenter les forces occultes a quelque chose de réellement supérieur (par rapport à ce que proposèrent Coipel et Immonen). 

Un peu comme Goran Parlov, Cavenago ne s'embarrasse pas d'un découpage compliqué et sa complicité avec Millar est éclatante : ses cases sont de dimensions généreuses, elles occupent souvent toute la largeur de la page et même la moitié de la planche. Quand il ponctue le récit avec une pleine page, l'effet est saisissant. Quoiqu'il en soit, il y a une énergie folle dans cette narration, une puissance dûe à la facilité technique de l'artiste. Cavenago fait partie de cette catégorie de dessinateurs à qui rien ne fait peur, qui savent tout dessiner, et le lecteur se sent littéralement transporté.

Bref, cet épisode est déroutant, à l'image du volume. Maintenant, il reste trois épisodes pour en faire quelque chose de grandiose ou de raté. Car The Magic Order n'est pas un comic-book pour les tièdes par des tièdes : c'est tout l'un ou tout l'autre.

ANT-MAN #3, de Al Ewing et Tom Reilly


Avec ce troisième numéro (sur quatre) de la mini-série Ant-Man, Al Ewing et Tom Reilly animent la version la plus populaire et récente de l'Homme-Fourmi, Scott Lang, qui est aussi celle incarnée au cinéma par Paul Rudd. Il faut aussi noter que c'est ce héros qui a vécu le plus grand nombre d'épisodes au sein d'une série régulière à son nom. L'intrigue générale se resserrre mais le cliffahnger a un goût de réchauffé. 


Le L.M.D. de Eric O'Grady sous le pseudo de Black Ant et a pour objectif de dérober le sarcophage de vibranium protégé par des runes asgardiennes dans lequel est enfermé Ultron-Pym.


Iron Man et Thor appelés par Captain Marvel, c'est à Ant-Man (Scott Lang) et Stinger (Cassie Lang) de veiller sur le sarcophage. Et Lang refuse de le larguer, comme prévu, dans le microverse.


Au lieu de ça, il le transporte jusqu'au labo de Hank Pym que la Guêpe met à sa disposition. Mais où Black Ant les attend. Il fait disparaître le sarcophage avant d'être maîtrisé par Ant-Man et Stinger.


Mais c'est alors que le Ant-Man de 2549 téléporte Scott Lang dans le futur où Hank Pym affronte Ultron, déplacé là par Black Ant, et pourvu d'une puissance inédite...

Scott Lang est la troisième incarnation de Ant-Man et c'est la plus populaire. Comme Eric O'Grady, c'est au départ un personnage malhonnête, un voleur, mais avec un bon fond, ce qui le motivera à devenir un super-héros. Même ceux qui n'ont pas lu les multiples séries comics avec Scott Lang (notamment l'excellent run de Nick Spencer et Ramon Rosanas) savent qui il est puisque c'est ce Ant-Man qu'a popularisé le MCU dans deux films (et bientôt un troisième).

Pourtant Al Ewing, c'est assee flagrant, est de moins en moins inspiré. Il faisait encore à peu près illusion le mois dernier avec ce gredin de Eric O'Grady, mais Scott Lang ne semble pas le motiver des masses. D'ailleurs, la mini-série, qui avait si bien commencé, pique de plus en plus du nez pour aboutir, à la fin de cet épisode, à un cliffhanger qui sent fort le réchauffé.

En effet, Ewing choisit d'intégrer dans son récit l'infâme version Ultron-Pym créée par Rick Remender dans Rage of Ultron  puis revue dans Uncanny Avengers de Gerry Duggan puis dans Tont Stark : Iron Man de Dan Slott. Une des pires idées qui soit pour enfoncer encore un peu plus (si possible !) Hank Pym, dont quelqu'un chez Marvel a dû juger qu'il n'avait pas un passif assez lourd (depuis qu'il avait brutalisé Janet Van Dyne).

Le récit est bancal et souffre d'un rythme chaotique, comme si Ewing voulait trop en dire pour le peu de pages à sa disposition. S'il dépeint Scott Lang avec un sévère complexe d'infériorité que met en évidence sa fille Cassie (Stinger, ex-Stature - là encore une décision malencontreuse pour recréer un tandem similaire à celui de Ant-Man et la Guêpe mais avec un rapport père-fille au lieu de mari-femme), le scénariste paraît surtout ne pas savoir quoi faire de ce héros.

Pour preuve, il ne maîtrise même pas Black Ant (le second alias, maléfique, d'Eric O'Grady) et se trouve entraîné par le Ant-Man du futur dans un combat déjà mal engagé et où on a le plus grand mal à deviner ce qu'il pourra apporter pour le résoudre.

La maladresse grossière de cette histoire aura été, au fond, d'intégrer Ultron (ou plutôt donc la version Ultron-Pym à l'origine d'une version quasi-divine d'Ultron). Il y a des personnages liés à des vilains emblématiques mais les scénaristes semblent parfois incapables de voir au-delà, de leur créer de nouveaux adversaires, de clore un chapitre. Batman reste associé au Joker, Daredevil paraît toujours ramené au Caïd, Spider-Man au Bouffon Vert, etc. Et Ant-Man semble menotté à Ultron, sa créature, son boulet. J'attendais mieux de Ewing parce que je sais qu'il peut faire mieux.

J'attendais aussi mieux de Tom Reilly mais il est visiblement encore un peu trop tendre : ce dessinateur a un énorme potentiel et je ne doute pas que, comme Carlos Gomez, une grande carrière l'attend. Mais avec un style comme le sien, qui évoque tellement celui de Chris Samnee, la comparaison est cruelle et cet épisode vient afficher ses limites.

Pourtant Reilly avait signé un formidable premeir épisode, avec le concours de la coloriste Jordie Bellaire, où, ensemble ils imitaient à la perfection le design des comics des années 60, avec sa narration maladroite, ses couleurs passées. Au n° suivant, Reilly convoquait Phil Hester par moments avec un certain brio, même si ce n'était pas aussi abouti et poussé. Mais là, ses planches sont sans originalité et souffrent même parfois de plans aux compositions maladroites et de finitions approximatives (peut-être aussi par manque de temps pour les dessiner).

Reilly n'est pas plus inspiré par Scott Lang que Ewing. Les caméos de Iron Man et Thor sont purement décoratifs et Black Ant n'est qu'un prétexte. Tout cela, jamais Tom Reilly n'est en mesure de le rattraper graphiquement. C'est plat, sans vie. Il est vrai qu'imiter Ramon Rosanas  n'aurait certainement pas parlé à grand-monde et stylistiquement, c'est moins évocateur que Don Heck ou Phil Hester. Mais l'épisode manque de tout, aussi bien visuellement que narrativement.

On n'aura pas à patienter longtemps pour connaître le dénouement de cette histoire puisque le prochain numéro sera disponible la semaine prochaine. Est-ce que Al Ewing réussira à se resssaisir et surtout à réhabiliter, comme il le voulait, Hank Pym ? Est-ce qu'on en saura plus sur le Ant-Man de 2549 ? A suivre.

jeudi 29 septembre 2022

THE HUMAN TARGET #7, de Tom King et Greg Smallwood


Le même jour où est sorti le premier recueil en vo (et en hardcover) rassemblant les six premiers épisodes de la mini-série, The Human Target #7 est disponible. Après six mois de pause, Tom KIng et Greg Smallwood font leur retour pour raconter les six derniers jours à vivre pour Christopher Chance. Et ce dernier est certain d'avoir trouvé le responsable de son empoisonnement...


Christopher Chance et Beatriz da Costa alias Fire passent la soirée dans un club de jazz, dansant au son de l'orchestre. Une bande de braqueurs surgit, vite maîtrisée par Fire.


Chance emmène Beatriz à la Grande Roue. Arrivée au sommet, celle-ci se coince. Chance se jette dans le vide pour forcer Beatriz à avouer qu'elle a voulu empoisonner Lex Luthor.


Chance est rattrapé par Beatriz. Il la pousse dans ses retranchements, soulignant qu'elle avait un mobile et l'accès au poison. Elle le gifle.


Le lendemain, Beatriz convie Chance et Ice chez elle. Elle reconnaît les arguments de Chance. Mais nie toujours être l'empoisonneuse car elle avait livré l'arme du crime à un autre...

Si, hier, j'avais reproché à The Nice House on the Lake sa parution trop heurtée, en revanche je salue DC et les auteurs de The Human Target d'avoir préféré interrompre la publication de la mini-série pendant six (longs) mois afin de laisser à l'artiste le temps de complèter les six derniers chapitres.

Première réflexion : on renoue avec cette intrigue très facilement, sans avoir oublié l'essentiel.

Deuxième réflexion : ce septième épisode reprend sur les mêmes bases très élevées où le sixième numéro nous avait laissés.

Il faut ajouter qu'on croit toucher au but ici car Christopher Chance va "cuisiner" Beatriz da Costa/Fre, sa principale suspecte. Tout le récit est donc axé sur un dialogue, avec très peu d'action mais beaucoup de tension. Hormis au début avec un braquage vite expédié, il ne faut donc pas s'attendre à un chapitre spectaculaire. Plus que jamais, la mini-série se distingue par son ambiance chargée, sa caractérisation au cordeau et son mix de macabre et de ludique.

Tom King comme son héros en sursis ne tournent pas autour du pot : d'entrée, Chance dit à Beatriz qu'il la croit coupable d'avoir voulu empoisonner Lex Luthor et donc, par conséquent, de l'avoir tué, lui à la place du milliardaire maléfique. De là va découler tout le reste.

Fire est la coupable idéale : elle est la meilleure amie de Ice, elle a voulu la venger, mais elle était aussi la maîtresse de J'onn J'onzz/le Limier Martien, qui avait obtenu de l'argent de Ted Kord/Blue Beetle, et elle était proche de Michael Carter/Booster Gold pour lui acheter le poison. Chance, en deux occasions, la pousse dans ses retranchements pour la forcer à avouer.

La première fois, ils sont tous les deux au sommet d'une Grande Roue et Chance se jette dans le vide. Fire le rattrape au vol. Ce geste suicidaire est résumé par Chance comme sa manière de gagner en mourant, ce qui est le job de la Cible Humaine. Mais Fire s'emporte en jugeant qu'il s'agit d'une manière de lui arracher des aveux par la force.

Chance réplique qu'en le sauvant, même si elle l'a empoisonné, c'est une manière d'avouer en se rachetant. Le raisonnement est retors, tordu, mais il est magistralement illustré par l'action. C'est alors la deuxième occasion que saisit le héros pour renvoyer Fire dans les cordes : elle avait un mobile, elle avait le poison, elle est la coupable évidente.

Excédée, Fire gifle à plusieurs reprises Chance jusqu'à ce qu'il la stoppe. Elle le défie alors du regard avec un air aguicheur car elle ne porte plus sur elle que la veste de son interlocuteur (ses habits ayant brûlé lorsqu'elle a pris feu pour voler à son secours en haut de la Grande Roue). Comme l'archétype de la femme fatale qu'elle représente, Fire suggère qu'à ce moment-là il a envie de l'embrasser.

Cette suggestion renvoie au dialogue qu'ils ont eu un peu avant en haut de la Grande Roue quand Beatriz est revenue sur son passé. Très tôt, les hommes l'ont considérée pour son charme, sa beauté, elle était la fille qu'ils avaient envie d'embrasser. Cela a continué quand elle est devenue mannequin, période de sa vie où elle gagnait de quoi vivre en jouant cette fois ouvertement de ses charmes. Puis cela s'est poursuivi quand elle devenue espionne (pour l'organisation Checkmate), un métier dans lequel il faut savoir encore une fois séduire pour tromper ceux qu'on veut piéger. Et c'est toujours le cas maintenant qu'elle est une super-héroïne car son genre fait croire à ses ennemis qu'elle est plus fragile qu'un homme alors qu'elle est souvent plus puissante.

Comme Chance en fait, Fire est une comédienne, une tricheuse. Toute son existence en dépend, et elle en a conscience, ce qui en fait une actrice de talent, une héroïne romanesque et efficace. Si Chance cherche à la faire tomber dans ses filets, elle sait aussi éviter les chausse-trappes car elle a appris à le faire. Ce n'est pas qu'une jolie fille ni même une belle femme, c'est une manipulatrice et une joueuse aguerrie. La partie ne peut donc qu'être disputée et remportée par des coups bas, en flirtant avec les limites.

D'ailleurs, comme on le comprend dans les dernières pages, la soirée entre Chance eet Fire n'a été qu'une comédie écrite et mise en scène par Fire. Un test. Et, le lendemain, quand Chance se réveille auprès de Ice, celle-ci répond au coup de téléphone de Fire qui les invite chez elle et fait passer le message à Chance qu'il a réussi le test.

Au passage, ce qui s'est passé dans le n°6 n'est pas oublié : ua détour d'un bref échange entre Chance et Ice, Tom King revient sur ce qui est arrivé à Guy Gardner (et que je ne veux toujours pas spoiler, même si je serai forcé à moment d'en parler, dans les prochains épisodes). Ce qui conduit à deux observations :

la première, c'est que, autant que démasquer l'empoisonneur/se, il faut désormais compter avec ce qui est arrivé à Guy Gardner et qui va inévitablement rattraper Chance et Ice - ne serait-ce que parce que, forcément, Batman sera au coeur de l'épisode 9 ;

et la deuxième, c'est que la question se pose désormais de savoir ce que fera Chance une fois qu'il saura qui a voulu empoisonner Luthor et l'a condamné, lui. Que veut Chance au fond ? Livrer le coupable à la justice en sachant qu'il ne vivra pas assez longtemps pour assister à son procès (et son éventuelle châtiment) ? Ou bien tuer l'homme/la femme qui l'a tué par mégarde pour se venger ? Ou bien simplement résoudre une affaire, sa dernière ?

L'épisode se conclut sur un twist renversant. Qui relie en quelque sorte les deux observations ci-dessus. C'est diabolique, mais ça prouve que Tom King ne mentait pas quand il affirmait que la seconde partie de la mini-série serait encore plus imprévisible et retorse que la première.

Le scénariste a aussi promis qu'elle serait encore plus belle. Et là non plus il ne mentait pas car cet épisode est aussi magnifique que les six précédents. Greg Smallwood a récemment, sur Twitter, insisté, dans un sujet brillamment développé et illustré, sur la notion à la base de ce chapitre : le contraste.

Citant plusieurs références (le dessin animé Les 101 Dalmatiens de Clyde Geronimi, Wolfgang Reitherman et Hamilton Ruske, l'illustrateur Austin Briggs), Smallwood expliquait par le menu son choix de couleurs pour la série et cet épisode en particulier.

The Human Target a un look rétro et même pop, avec des couleurs vives, des contrastes forts, mais surtout une approche non naturaliste. La manière dont la lumière est travaillée n'est pas classique, elle découpe l'image de manière radicale, avec des filtres, des gammes chromatiques très prononcés. Par exemple, dans la scène du jazz club au début, tout baigne dans du mauve. Puis lorsque Chance et Fire sortent de cet endroit, dans les rues en ville, le bleu domine, ce qui créé une ambiance plus froide. Au sommet de la Grande Roue, le jaune de cette grande installation tranche avec le ciel nocturne et tout devient plus chaud, culminant avec la chute de Chance et l'embrasement de Fire lorsqu'elle s'envole pour le sauver.

Le lendemain matin, dans la chambre que partagent Chance et Ice, c'est à nouveau un bleu pâle, et le blanc, qui s'installent, reflétant la tension entre les deux amants, la froideur des pouvoirs de Ice mais aussi les propos de Chance. Enfin, le rendez-vous chez Fire sur une terrasse sous le soleil fait place à dss tons chauds, sensuels.

On pourrait facilement dire que la mise en scène repose sur la couleur, la manière dont elle est appliquée à chaque scène, comment elle se porte sur les personnages, les décors, les objets. C'est une manière très élégante qu'a Smallwood pour établir l'action, l'ambiance, mais aussi pour guider le lecteur, influer sur ses émotions, le manipuler. L'artiste est au diapason des protagonsites : il s'amuse avec nous en usant d'une palette à la fois précise et sobre.

On pourrauit encore dire que Smallwood dessine chaque geste, chaque expression avec un soin incroyable, sans sombrer dans le photo-réalisme. C'est la grande différence entre lui et Alex Ross, qui sort ces jours-ci un graphic novel (Fantastic Four : Full Circle). Mais quand Ross cherche à s'émanciper du style qui a fait sa légende pour oser des teintes pop, au carrefour de Kirby et Steranko, et n'aboutit qu'à une esthétique chargée, criarde, Smallwood signe un véritable festival, raffiné, délicat, intelligent.

Tom King a de la chance d'avoir un tel artiste pour magnifier son script. En un sens, Smallwood est l'opposé de Mitch Gerads tout en utilisant un matérial similaire (l'infographie). Là où Gerads dissimule de plus en plus mal certaines faiblesses académiques en les noyant sous des effets fatigants (filtres, numérisation outrancière, etc), s'éloignant malheureusement de la rigueur de Mister Miracle, Smallwood nous fait croire à un dessin pur bien qu'il soit réalisé avec des outils informatiques mais parce qu'il s'appuie sur des références moins techniques que stylistiques et sur un talent qui sait s'affranchir des facilités qu'offre l'ordinateur.

The Human Target n'a pas cessé d'impressionner. Rendez-vous le mois prochain pour la confrontation entre la Cible Humaine et Red Rocket.

X-MEN #15, de Gerry Duggan et Joshua Cassara


Gerry Duggan reprend le contrôle de X-Men avec ce quinzième épisode, qui peut se lire comme le vrai début de la "saison" 2 de son run. Il est désormais associé à Joshua Cassara au dessin (Pepe Larraz étant occupé sur un projet avec Mark Millar). L'histoire qui débute ici est accrocheuse et renoue avec une intrigue lancée par Jonathan Hickman. Mais elle spoile aussi du coup la fin de A.X.E. : Judgment Day...


Forge emmène Cyclope au coeur de la jungle sud-américaine, là où se trouve la Sentinelle dans laquelle résident les Enfants de la Voûte. Devant l'entrée, il a disposé un énorme canon.


Mais l'arme ne suffit pas à effrayer les Enfants de la Voûte quand ils se montrent. C'est le début d'un carnage : Krakoa, puis les Avengers, puis les magiciens, et même Asgard tombent...


Retour en arrière. Forge emmène Cyclope au coeur de la jungle sud-américiane et lui montre le dôme qu'il a érigé pour contenir les Enfants de la Voûte. Qui ignorent qu'ils sont ainsi piégés.


Les X-Men rejoignent Cyclope et Forge, qui va pénétrer le dôme avec la mission de récupérer Darwin, toujours détenu par les Enfants de la Voûte depuis son expédition aux côtés de Synch et Wolverine...

Le seul vrai reproche qu'on peut faire à cet épisode, donc autant l'évacuer tout de suite, c'est de paraître un peu tôt. S'ilé tait sorti dans une quinzaine de jours, au lendemain de la fin de l'event A.X.E. : Judgment Day, il n'aurait pas spoilé, bêtement, le sort des mutants en nous révélant qu'ils vont donc survivre au verdict rendu par l'Ancêtre. C'est ballot.

Ceci étant dit, ça n'entame en rien la qualité de ce que propose ici Gerry Duggan. X-Men #15 peut être considéré comme le premier vrai épisode de la "saison" 2 de son run, puisque le Hellfire Gala 2022 a intronisé une nouvelle formation de l'équipe. Wolverine (Laura Kinney), Malicia, Sunfire, et Polaris sont partis, remplacés par Magik, Havok, Firestar, Iceberg et donc Forge. Mais Synch est absent de ce chapitre.

Cette composition a déjà un peu montré de quoi elle était capable dans les n°13 et 14, mais ce n°15 va mettre en lumière Forge. Dans un flashback situé au centre du récit, on le voit converser avec Charles Xavier à propos d'un projet "Boîte Noire" (Black Box), déjà mentionné lors du Hellfire Gala, dont on découvre l'objet : les Enfants de la Voûte.

Gerry Duggan n'est pas un scénariste révolutionnaire, mais, comme dit la chanson, c'est un bon camarade, qui accepte de reprendre des intrigues initiées par Jonathan Hickman. Il ne fait pas par obligation mais bien parce qu'on devine qu'il a des idées pour les développer. 

Pour rappel, dans X-Men #18-19, on découvrait la mission d'investigation menée par Synch, Wolverine (Laura Linney) et Darwin au coeur de la Voûte. Une mission qui allait durer plusieurs centaines d'années, car le temps s'écoule différemment dans la Voûte que dans notre dimension, et au cours de laquelle les trois mutants allaient traverser des épreuves terribles. Mais au terme de laquelle ils rentrèrent sans Darwin, fait prisonnier et dont les pouvoirs servirent à améliorer ceux des Enfants de la Voûte.

Sachant que le pouvoir de Darwin consiste à s'adapter à tout, on imaginait sans peine comment il allait renforcer les Enfants de la Voûte, ces post-humains déjà très puissants. Et Duggan s'en sert avec braucoup d'adresse pour nous montrer les conséquences : on assiste à la sortie des Enfants de la Voûte et au massacre qu'ils commettent en un temps record, dévastant Krakoa, exterminant les Avengers, éliminant les magiciens, et allant même jusqu'à conquérir Asgard...

... Sauf que, et c'est un twist très efficace, tout ce qu'on vient de lire n'est qu'une projection opérée par Forge. D'où le "projet Boîte Noire". Et si, au lieu de se préparer à la sortie des Enfants de la Voûte et au combat qui s'ensuit, on les contenait, on les enfermait dans une boîte, sans qu'ils aient l'impression d'être reclus ?

L'idée de Forge va évidemment plus loin et a un objectif plus précis : retrouver Darwin dans la Voûte et le ramener, pendant que els X-Men font diversion. Duggan écrit formidablement Forge, une recrue pourtant assez improbable dans l'équipe, en en faisant un futuriste, comme l'est Iron Man chez les Avengers (ou Batman au sein de la Justice League), le bonhomme qui pense déjà au coup suivant, qui ainticipe tout, mais qui travaille aussi dans son coin, sans rien dire à personne (sinon à Charles Xavier) - ce qui pourra peut-être créer des tensions à l'avenir avec Cyclope ou les autres X-Men (car, comme pour Iron et Batman, on sait que ces cachottiers finissent souvent mal).

L'autre inconnue, évoquée ici, c'est quel Darwin va sauver Forge : car en étant resté tout ce temps dans la Voûte, en se croyant abandonné, laissé derrière, par Synch et Wolverine, il est fort possible qu'il soit en colère, écoeuré, peu coopératif. On peut imaginer aussi qu'il soit devenu l'allié des Enfants de la Voûte, librement ou pas. Je pense que Duggan peut jouer là-dessus pour pimenter la suite de son histoire (même si l'arc devrait être court, pas plus de deux épisodes, peut-être trois).

Passionnant donc, l'épisode est aussi l'occasion de voir à l'oeuvre Joshua Cassara sur le titre vedette de la franchise. C'est une vraie promotion pour l'artiste qui s'est fait remarquer sur X-Force de Benjamin Percy.

D'entrée de jeu, il tape fort avec des planches qui lui permettent de montrer qu'il n'est pas là pour faire de la figuration, ni comme le simple successeur de Pepe Larraz. La première partie de l'épisode, sur un rythme d'enfer, lui fournit de la matière pour des planches spectaculaires, avec une splash-page en plongée sur la sentinelle qui sert de repaire aux Enfants de la Voûte dans une clairière de la jungle, puis avec la sortie des Enfants, et le carnage ahurissant qu'ils commettent en un temps record.

Le flashback au centre de l'épisode offre un répit au lecteur et au dessinateur. Les couleurs de Guru-FX donnent à la scène un côté chaleureux entre ces deux comploteurs professionnels que sont Forge et Xavier (ces deux-là aiment ces conversations à l'abri des regards depuis Powers of X, quand le Professeur demanda au savant d'améliorer son casque Cerebro).

Le "reboot" de la seconde partie de l'épisode s'ouvre sur une nouvelle splash fascinante avec le dôme. Cassara est dans son élément car il a déjà prouvé dans X-Force qu'il adorait dessiner la végétation de Krakoa comme un corps bien vivant et parfois franchement bizarre, inquiétant. L'artiste apporte une touche plus organique à la série, et même les personnages sont touchés, avec moins de réalisme et de dynamisme que chez Larraz.

Parfois, Cassara fait penser à Jerome Opena, surtout à ses débuts (quand il dessinait Fear Agent), avec une pointe de Humberto Ramos, des exagérations morphologiques, des attitudes, des expressions. Son découpage est simple, direct, et colle à merveille à l'écriture, elle-même simple et directe, de Duggan. Ce sera intéressant de voir comment la série va évoluer avec ce style (même si Duggan a déjà annoncé que C.F. Villa produirait aussi des épisodes quand Cassara soufflera - mais ça ne me dérange pas car Villa m'a fait bonne impression quand il était sollicité, comme récemment sur les #13 et 14).

Cette "saison" 2 débute donc très bien : je sui content de retrouver les Enfants de la Voûte, positivement surpris par Forge, intrigué par le retour de Darwin. Duggan a su m'embarquer et Cassara me convaincre.

mercredi 28 septembre 2022

THE NICE HOUSE ON THE LAKE #10, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


Après quatre mois d'absence, The Nice House on the Lake revient enfin, et, espérons-le, cette fois sans nouvelle interruption. Carr, pour se plonger dans ce dixième épisode, soit vous devez avoir une excellente mémoire, soit il vous faut relire les derniers chapitres pour savoir où en est l'histoire de James Tynion IV et Alvaro Martinez. Le résultat est excellent, mais pâtit de cette publication, disons, compliquée.


En ayant mis la main sur des armes à feu dans la maison, les invités de Walter ne résistent pas à tester leur capacité à guérir de leurs blessures, voir à défier la mort.


Au même moment, Walter fait visiter à Norah la salle des commandes de la deuxième maison. Il peut ainis contrôler le facteur guérissant des invités et trafiquer leurs mémoires. Sauf pour un d'entre eux...


Walter et Norah discutent du moyen de contrôler l'élément qui résiste à son contrôle mais aussi de la nécessité pour lui à tout révéler. Norah se trouble soudain. Et Walter le remarque et s'emporte.


Car Ryan, qui les a épiés, a pénétré à son tour dans la salle des commandes et s'en sert. Dans la première maison, Naya Radia se prête au jeu morbide de ses camarades. Et c'est le drame...

Cette dernière phrase fait penser à un commentaire dans un mauvais doc de M6/W9, sauf qu'il se passe effectivement quelque chose d'affreux à la fin de cet épisode, un événement qui risque bien de faire basculer la série alors que celle-ci approche de la fin. L'effet est d'autant plus vertigineux que la scène se passe hors-champ. Mais je m'arrête là sinon je vais spoiler.

Quatre mois se sont écoulés depuis la parution du précédent épisode de The Nice House on the Lake. Et si on va plus loin, on se rend compte que la série a démarré il y a... Quatorze mois ! Vous allez me dire (et je me le dis moi-même sans ça) que ça fait un chouia long, mais si le résultat est et reste bon, pourquoi s'en plaindre ? En vérité, le problème est ailleurs et il pèse sur la série, qu'on le veuille ou non.

Le DC Black Label est un espace de liberté pour les auteurs les plus en vue de l'éditeur, qui peuvent y produire des histoires souvent détachées de la continuité, et même du registre super-héroïque - comme c'est le cas avec The Nice House.... On peut féliciter DC et ses editors pour cela, et pour laisser le temps aux auteurs de faire leur boulot sans avoir l'obligation de respecter la cadence mensuelle - même si, à l'occasion, certains titres ont quand même eu des fill-in (comme sur Batman-Catwoman de Tom King et Clay Mann, ce dernier ayant été suppléé - à contrecoeur - par Liam Sharpe sur quelques numéros).

Mais dans la grande majorité des cas, c'est ainsi. On peut interpréter cela comme une volonté de DC de faire de son Black Label ce qu'était autrefois Vertigo, sans toutefois égaler cette colection, qui proposait des projets bien plus fous et qui révélait des talents au lieu d'être réservé aux stars déjà confirmées.

Pour en revenir à The Nice House... et à sa publication, il est bon de rappeler qu'à l'origine James Tynion IV n'avait pas spécialement prévu de le faire publier par DC. Le succès de son creator-owned Something is killing the children (chez Boom ! Studios) l'incitait déjà à abandonner le work-for-hire. Mais comme le scénariste avait conçu cette mini-série avec le dessinateur Alvaro Martinez (son partenaire sur Justice League Dark) et que celui-ci était encore sous contrat avec DC, un arrangement fut trouvé pour héberger The Nice House....

On peut donc affirmer que Tynion IV a été copieusement chouchouté par DC qui ne voulait pas laisser filer un potentiel best-seller au parfum de production indé. Et encore aujourd'hui on remarque à quel point The Nice House... déparaille dans les mini-séries du Black Label car on n'y trouve aucun personnage du DCU, ce n'est pas une histoire de super-héros.

Le Black Label étant devenu ce qu'il est (c''est-à-dire un label avec de plus en plus de titres), DC s'est adapté à sa production, laissant des mini-séries prendre du retard pour conserver un niveau de qualité élévé et attirer de nouveaux auteurs (ou en convaincre certains de renouveler l'expérience). Ainsi, des titres comme Rogues (par Joshua Williamson/Lemoacs), Catwoman : Lonely City (par Cliff Chiang) récemment ont vu leur planning bouleversé. 

Dans certains cas, il a été convenu avec certaines équipes créatives des pauses dans la parution, souvent à mi-chemin de l'histoire, pour donner le temps aux artistes de livrer les épisodes qu'il leur restait à dessiner. C'est ce qui s'est passé avec Dark Knights of Steel (par Tom Taylor et Yasmine Putri) ou The Human Target (par Tom King et Greg Smallwood), quand certains titres n'ont pas été tout simplement reportés afin de trouver une fenêtre de sortie appropriée (comme avec Danger Street de Tom King et Jorge Fornés).

Et c'est là qu'on en revient à The Nice House... : si DC avait, simplement, interrompu la publication au sixième épisode pendant six mois (comme pour The Human Target), alors Alvaro Martinez aurait eu le temps de produire ses épisodes tranquillement et le lecteurt aurait repris le cours de la série avec l'assurance d'avoir la seconde moitié du récit d'une traite. Au lieu de quoi, on eu six épisodes, puis deux, puis plus rien pendant quatre mois. Et on croise désormais les doigts pour la suite... Mais le n°11 ne sortira qu'en Novembre et le 12, normalement, en Décembre.

Ces retards ne sont pas dûs qu'à Martinez : on devine évidemment, en voyant ses planches une nouvelle fois extraordinaires, qu'il a tout donné. C'est envoûtant, effrayant, le découpage est admirable, et les couleurs de Jordie Bellaire sont exceptionnelles. Non vraiment, The Nice House... est une série visuellement hors du commun, avec une ambiance intense, un look sidérant. C'est une expérience esthétique, audacieuse, mais jamais gratuite, jamais m'as-tu-vu, toujours en phase avec le récit, son atmosphère, sa narration.

Seulement, Martinez a aussi profité des interuptions pour faire quelques conventions, signer des autographes, dessiner pour des fans, sortir un artbook. C'est une partie du métier d'aller à la rencontre des lecteurs, c'est de la promo, et ça fait plaisir aux artistes de voir les fans. Je n'ai aucun problème avec ça, et si DC laisse faire, c'est qu'ils savent l'impact que ça aura sur la périodicité du titre.

En revanche, en tant que lecteur, c'est un peu plus embêtant, car The Nice House... n'est pas un comic-book très facile à suivre, avec son casting très riche, son intrigue très tordue, sa narration spéciale. A chaque arrêt de plusieurs mois, il faut faire l'effort de se replonger dans cette histoire noire, cauchemardesque, exigeante. Il faut avoir en tête les rebondissements, reconnaître les personnages - ce qui n'est pas du tout évident avec le traitement graphique et la façon d'écrire de Tynion IV (qui, comme beaucoup de ses confrères, n'offre aucun résumé des épisodes précédents ni trombinoscope pour rappeler qui est qui - c'est aussi la responsabilité des editors de la série, Marquis Draper, Chris Rosa et Marie Javins !).

Prenons un exemple simple et qui, je pense, parlera à tous ceux qui suivent The Nice House... en floppies : je ne me souvenais plus du tout que Ryan épiait Walter et Norah depuis le précédent épisode - et pour cause, en quatre mois, j'ai lu beaucoup d'autres choses et il est impossible (sauf si vous êtes hypermnésique) de se rappeler de ça. J'ai dû donc de replonger dans mes singles et mes propres critiques avec leur résumé, car j'étais à la rue, paumé. Je défie quiconque de ne pas être dans la même situation.

C'est bien dommage, parce que, une fois, qu'on est au point, l'épisode est captivant. La découverte de cette salle des commandes, la suggestion que Walter dépend d'individus qui seraient très contrariés en apprenant qu'il ne maîtrise pas tout, le jeu macabre des invités qui s'amusent à se tirer dessus et à ressuciter, l'intrusion de Ryan dans la salle des commandes et tout ce qui s'ensuit jusqu'à la fin, conséquences directes de cette intrusion... Tout ça est absolument terrifiant, électrique. Et donc le cliffhanger est glaçant, irréversible.

Ce sont ces sentiments extrêmes qui perturbent le plus : d'un côté, la frustration de ne pas pouvoir suivre cette série dans des conditions sinon normales, du moins plus confortables ; et de l'autre, la forte impression produite par chaque épisode, la sensation qu'une fois finie, en relisant tout ça à tête reposée, ce sera la confirmation que The Nice House on the Lake est une grande BD. Mais mal éditée.

dimanche 25 septembre 2022

MES PREMIERES FOIS (Saison 3) (Netflix)


Alors que Netflix annonce ce week-end plusieurs de ses programmes à venir dans les prochains mois, les fans de Never Have I Ever ont pu découvrir un amusant trailer pour la saison 4 de la série, qui sera aussi la dernière. En attendant de découvrir les dix ultimes épisodes de Mes Premières Fois, j'ai déjà terminé la saison 3. Peut-être la plus mouvementée, assurément celle où les personnages connaissent leur évolution la plus radicale.
 

Désormais officiellement en couple avec Paxton, Devi mesure à quel point elle est jalousée quand elle surprend dans les toilettes du lycée Shira et Zoe prétendre que Paxton a eu pitié d'elle. Le Dr. Ryan conseille à Devi de les ignorer. Conseil dont Devi va bien entendu ignorer pour affronter ces comères et s'apercevoir qu'elles médisent sur tout le monde. Kamala, elle, rompt avec Prashant en lui expliquant ne pas être prête à se marier et avoir des enfants. Quant à Fabiiola, elle apprend que Eve doit quitter le lycée pour partir en Asie.


Devi reçoit un message anonyme sur son téléphone qui la met en garde contre Paxton. Avec l'aide de Fabiola et Eleanor, elle mène l'enquête et identifie l'auteur du message : ils 'agit d'Haley, flûtiste dans l'orchestre du lycée, qui lui raconte qu'après avoir couché avec Paxton, celui-ci l'a ensuite ignorée et quittée.  Paxton rassure Devi et pour prouver qu'il a changé s'excuse auprès de Haley et des autres filles qu'il a pu blesser. Fabiola, épuisée par les conversations téléphoniques longue distance et le décalage horaire, se résigne à rompre avec Eve. Aneesa, elle aussi, quitte Ben qui la traite, comme tout le monde, avec trop de condescendance. Fabiola et Aneesa échangent un baiser dans les toilettes sans comprendre ce qui leur a pris.
 

Pour la Saint-Valentin, un test de compatibilité informatique détermine quelle est l'âme soeur de chaque élève et Haley est celle qui correspond le mieux à Paxton, ce qui provoque évidemment la jalousie de Devi. Paxton explique à Devi que sa jalousie est fondée sur son manque de confiance en elle et qu'il souhaite faire un break. Nalini fait la connaissance de Rhyah avec laquelle elle sympathise lors d'une consultation à son cabinet et Kamala tente de convaincre Nirmala que Manish est l'homme qu'elle aime.


Sept mois d'écoulent. Paxton a une nouvelle copine, Phoebe, et Trent, son meilleur ami, le charge avec Elenaor de lui préparer sa fête d'anniversaire. Devi ne peut y participer car elle doit assister à une soirée organisée par Nirmala au cours de laquelle Manish fait des efforts pour convaincre la grand-mère de Kamala qu'il est digne d'elle. Rhyah parle de son fils, Nerdish "Des", à Nalini et celle-ci demande à Devi de l'inviter à la fête de Trent. D'abord réticente, la jeune fille se ravise en découvrant qu'il s'agit d'un jeune homme très séduisant.


Quelque semaines après, Devi est sans nouvelles de Des alors qu'il avait promis de la rappeler. Elle accepte alors d'aider au service d'une soirée clandestine des élèves du cours d'art dramatique de Elenaor et jette son dévolu sur Alejnadro, un guitariste. Aneesa en repartent ensemble, officialisant ainsi leur union. Kamala, lassée des jérémiades de Nirmala, décide, elle, de déménager de chez Nalini.
 

Espérant depuis toujours être admis dans la prestigieuse université de Columbia, comme son père avant lui, Ben se met une pression folle, au point de tomber malade. Conduit à l'hôpital par Paxton, après avoir fait un malaise dans un couloir du lycée, il en profite pour mieux connaître son ex-rival auprès de Devi. Il aide ainsi Paxton à rédiger une lettre de recommandation pour la fac qu'il veut intégrer et Ben promet de se détendre en abandonnant quelques activités au lycée. Son père lui jure qu'il sera fier de lui, quoiqu'il arrive.


L'équipe des débatteurs de Sherman Oaks doit affronter celle du lycée de Des. Enviant les moyens de l'établissement privé de son petit ami, Devi décide de tricher pour s'assurer la victoire en finale face à Des. Mais Manish, qui arbitre les échanges, s'en rend compte et le révèle à Nalini, mais le tait à la principale du lycée pour ne pas accabler Devi. Ce geste plait à Nirmala qui, enfin, considère avec respect l'élu du coeur de Kamala. De son côté, Paxton met fin à sa relation avec Phoebe après avoir observé la complicité amoureuse de Trent et Elenaor.


Pour profiter d'une soirée avec Des, Devi distribue des billets pour une comédie musicale que lui a offerte une de ses profs. Mais Des arrive avec deux amis, dont l'un, Parker, souffre du divorce actuel de ses parents et manque de casser une raquette de McEnroe que Mohan avait acquise. Bouleversée, Devi est réconfortée par Paxton, venu apporter de l'alcool, ce qui provoque la jalousie de Des. Ben s'inscrit à un cours de dessin où la prof lui impose une tutrice, Margot.


A la surprise de Devi et Des, leurs mères approuvent leur relation. Pourtant, après un concert de l'orchestre du lycée, le premier auquel participe Devi depuis la mort de son père, Rhyah ordonne à son fils de rompre avec elle car elle l'a trouvée dans les toilettes en pleine crise de panique, jurant avoir vu Mohan dans le public. Ben, responsable du vestiaire ce soir-là, a tout entendu et le répéte à Devi qui refuse de le croire. Mais, dans le doute, elle décide d'en parler avec Des qui confirme. Nalini défend Devi et coupe les ponts avec Rhyah aussitôt. Paxton apprend qu'il est admis à l'université d'Arizona tandis que Fabiola revoit Addison, l'amie de Des, après que Aneesa ait compris que leur couple ne fonctionnait pas.


Devi reçoit une brochure de Shrubland, une école préparatoire réservée aux meilleurs élèves de lycée. Elle visite l'endroit, dans le Colorado, avec sa mère et tombe sous le charme des enseignements dispensés, même si cela signifie qu'elle doit déménager et être loin de ses amies pendant un an. Ben se montre dédaigneux comme d'habitude quand elle lui en parle. Mais Paxton, désigné pour prononcer le discours lors de la remise des diplômes, remercie, sans la nommer, Devi pour l'avoir aidé quand ses notes étaient au plus bas. Elenaor et Trent d'un côté, Fabiola et Addison de l'autre perdent leur virginité la même nuit. Ben s'excuse auprès de Devi en lui expliquant qu'il souhaiterait qu'elle reste en Terminale avec lui à Sherman Oaks l'an prochain. Devi annonce à sa mère qu'elle renonce à Shrubland pour profiter d'elle un an de plus. Puis, le soir venu, elle va frapper à la porte du garçon qu'elle a choisi pour, à son tour, perdre sa virginité...

Et non, je ne vous spoilerai pas sur l'identité de l'élu de Devi ! Peut-être cela suffira-t-il à vous donner l'envie de regarder la série jusqu'au terme de cette saison 3 en attendant la mise en ligne de la quatrième et dernière en 2023 (bon, je ne me fais guère d'illusions vu que ma critique de la saison 2 a fait très peu de vues, alors que pour la saison 1 j'avais fait un bon score).

Revenons à Devi, sa vie, son oeuvre, ses amours, sa famille. Même si je suis sûr que cette adolescente irésistible me manquera dans les prochains mois et encore plus quand j'aurai englouti les dix derniers épisodes de la série, je salue quand même le fait que les créateurs, Mandy Kaling et Lang Fisher, ne tirent pas trop sur la corde et ne gâchent le show.

Car, peut-être ne l'ai-je pas précédemment assez souligné, si Mes Premières Fois me charme autant, c'est d'abord pour son subtil dosage entre comédie et émotion. Comme beaucoup de teen séries, elle n'est pas exempte de clichés, de facilités, de traits un peu grossiers, mais comme Sex Education, l'ensemble est quand même miraculeusement bien équilibré.

Le format même de la série est bien pensé : des épisodes d'une demi-heure, dix par saisons, un casting bien tenu, des acteurs bien choisis. Ce n'est jamais trop. On n'a pas le temps de s'ennuyer ou de repérer des ficelles un peu trop visibles, les effets de répétition ne sont pas dérangeants, et c'est un petit exploit.

Car, sans ça, reconnaissons-le, les amours de cette jeune fille, ses gaffes, pouraient lasser un brin. Cela fait trente épisodes qu'elle hésite entre le beau gosse Paxton et l'intello arrogant Ben, qu'elle subit la sévérité de sa mère, la présence d'une cousine plus âgée, et d'une grand-mère traditionnaliste, tout en devant composer avec le deuil de son père. L'abbattage de la formidablle Maitreyi Ramakrishnan fait énormément pour la série, mais elle n'est pas seule, cela ne suffirait pas.

Par exemple, alors que jusqu'à présent, chaque saison semblait se dérouler sans interruption temporelle, cette fois, en deux occasions, on trouve des ellipses pour souligner que les événements ne se succédent pas d'un trait. Le quatrième épisode se situe sept mois après le troisième et juste après la rupture entre Paxton et Devi. Les deux anciens tourtereaux ont refait leur petite vie amoureuse, Paxton avec Phoebe, une jolie blonde écervelée, et à la fin de ce chapitre, Devi va rencontrer Des.

Cet indien séduisant va bousculer la mécanique bien réglée de la série, sans pour autant la révolutionner. Mais disons que l'héroîne ne considère plus ni Paxton ni Ben comme ses cibles romantiques. Cependant, le spectateur voit débarquer Des avec une pointe de méfiance, sans doute parce qu'au fond on aimerait quand même que Devi lui préfère encore Paxton ou Ben, mais aussi, surtout, parce qu'il semble trop beau pour être honnête, il tombe à point trop nommé et donc on se doute que ça ne va pas tout résoudre.

Parallèlement, Nalini, la mère de Devi, devient l'ami de la mère de Des, Rhyah. La série offre à Poorna Jagannathan l'opportunité d'interpréter son personnage de manière plus nuancée qu'auparavant. Nalini n'était pas très sympathique dans sa situation de mère célibataire et veuve, sans cesse obligée de réprimander sa fille. Avec Rhyah, elle se détend et les scénaristes ne vont plus revenir en arrière, c'est un vrai tournant, qui nous rend Nalini plus sympathique, plus maternelle, mieux attentionnée.

L'autre bénéficiaire du nouveau statu quo dans la vie sentimentale de Devi est sa cousine, Kamala. Ayant rompu avec son prétendant pour fréquenter Manish, un des profs de Devi, elle doit affronter Nirmala, la grand-mère qui ne voit pas cette relation d'un bon oeil. Manish n'est même pas né en Inde, il se fiche des traditions, ce n'est qu'un modeste enseignant d'une école publique : pas le profil du gendre idéal. Mais pour le public, c'est un homme aimable, drôle, charmant, et donc on n'a aucun mal à soutenir le choix de Kamala. Lorsque, enfin, Nirmala baisse la garde, les planètes s'alignent et la grand-mère bénéficie de la clémence des spectateurs qui, comme avec Nalini, désespérait de lui trouver des qualités.

Ce qui convainc sans doute moins, ce sont des abandons de la saison 2 (où est passé le Dr. Chris Jackson que voyait Nalini ?) ou des valses-hésitations manifestes de la part des auteurs (la romance tordue entre Aneesa et Fabiola qui ne mène à rien). On préfère encore rire de bon coeur avec le couple improbable formé par Trent, ce nigaud attachant, et Elenaor, toujours aussi délurée, car leur amour est en fait sincère et solide.

Cependant, c'est en osant une séquence plus cruelle que la série grandit vraiment et prend des risques pour faire mûrir son héroïne et son entourage. Je veux bien sûr parler de l'épisode 9 dans lequel Rhyah surprend Devi en pleine crise d'angoisse et que, ensuite, apeurée, elle ordonne à Des de rompre avec elle. La réaction de Nalini envers Devi est émouvante, mais surtout, comme lors de la soirée au cours de laquelle le copain de Des, Parker, manque de casser la raquette fêtiche de Mohan, Devi mesure à quel point ni son attitude excentrique ni son obstination à ne pas se fier à sa famille ne l'empêchent de souffrir et de remonter la pente.

Tout ça trouve un aboutissement dans le dernier épisode dont il faut moins retenir la visite à Shrubland ou même le choix du garçon avec lequel Devi va coucher, mais bien la scène où, en rentrant chez elle après le discours de Paxton et le bref dialogue avec Ben, elle fond en larmes en apercevant sa mère sur le perron de leur maison. A cet instant, elle comprend à quel point leur relation a changé, profondément, et surtout à quel point la vie est fragile, trop fragile pour ne pas profiter un an de plus des gens qu'on aime plutôt que d'aller dans une école réputée avant l'université. Difficile, à mon avis, de ne pas regarder cette scène sans avoir la gorge serrée.

Rien que pour cet épilogue, la troisième saison de Mes Premières Fois est une réussite. On rit de bon coeur à de multiples occasions, le casting est parfait (mentions à  Ranjita Chakravarty alias Nirmala, Ramona Young alias Elenaor, Benjamin Norris alias Trent et Utkarsh Ambudkar alias Manish). Mais voilà qu'on est authentiquement ému. Et ça, on ne s'y attendait pas/plus.

De quoi attendre avec intérêt la saison 4. Avant de dire adieu à cette troupe. Le coeur gros, mais avec des rires en souvenirs.

FABLES #155, de Bill Willingham et Mark Buckingham


Cette cinquième partie de l'arc The Black Forest de Fables est un nouvel exemple que des scénaristes expérimentés comme Bill Willingham savent prendre le lecteur par la main tout en ne le laissant voir que ce que lui désire. Les multiples intrigues progressent à pas de loup mais suscitent notre curiosité. Et, comme d'habitude, Mark Buckingham nous ravit avec ses superbes planches.


Washington. Cendrillon s'invite pour proposer ses services à une réunion au Pentagone où militaires et politiques discutent de la menace potentielle que représentent les Fables.


La Forêt Noire. Connor Wolf continue son périple aux côtés du chevalier errant, Kit Helconer. Mais il s'aperçoit vite que ce dernier applique une justice très expéditive contre tous ceux qu'il croise.


New York. GreenJack/Gwen et Mme Ours recherchent celui ou celle qui menace la Forêt Noire. En ville, Peter Pan et Clochette réfléchissent au moyen de récupérer les territoires de Gepetto.


La Forêt Noire. Blossom a libéré des coffres enchaînés le père de Herne, le dieu cerf. Mais le jeune homme, reconnaissant, jure de servir la jeune fille à présent.

Je ne veux pas avoir l'air de jouer les vieux cons mais actuellement je trouve que ceux qu'on appelle les vétérans parmi les scénaristes de comics donnent souvent une leçon de storytelling aux plus jeunes. A l'exception de Christopher Priest (61 ans) qui me désarçonne un peu trop avec Black Adam, les scripts de Mark Waid (60 ans) pour World's Finest et donc de Bill Willingham (65 ans)  pour Fables sont quand même sacrément bons.

En examinant ma pile de lectures, j'ai pu constaté que, ces derniers mois, mes préférences allaient à des auteurs expérimentés qui savaient où ils allaient et qui, sous un certain classicisme, livraient des histoires solides. Et, en vérité, je préfére ça, j'aime qu'on me prenne la main et qu'on réussisse à me surprendre sans faire le malin, sans prétendre réinventer la roue.

Un exemple parmi d'autres de cette solidité dans l'écriture se vérifie avec la pratique de la narration parallèle, un procédé vieux comme les comics mais qui révèle si le scénariste sait construire un script. Pour cela, il suffit d'une ou deux pistes narratives simultanées minimum que l'auteur arrive à exploiter à parts égales tout en entetenant le suspense jusqu'au climax, à la convergences de ces lignes narratives. Si ça ne fonctionne pas, ça se voit très vite et l'histoire se déroule alors laborieusement, la lecture est hachée.

Priest s'est pris les pieds dans le tapis sur Black Adam avec cette narration, à cause d'un manque de ryhtme et de consistance. Mais Waid fait des étincelles avec sur World's Finest. Et Willingham s'en sert comme d'un virtuose puisque Fables a souvent (pour ne pas dire tout le temps) jonglé avec une multitude de personnages et donc de lignes narratives.

C'est encore le cas ce mois-ci avec cette cinquième partie de l'arc de la Forêt Noire, correspondant au n°155 de Fables. On suit en parallèle Cendrillon, Connot Wolf, Blossom Wolf, GreenJack. Quatre personnages, autant d'hstoires parallèles. Et  toutes sont accrocheuses, maîtrisées, intrigantes. C'est presque une leçon que donne Willingham dans sa gestion narrative.

Souvent, pourtant, l'auteur ne progresse qu'à pas comptés : Cendrillon, par exemple, fait juste son entrée dans une salle de réunion du Pentagone, et c'est tout. Mais cela suffit à amorcer quelque chose qui sera développé ultérieurement et qui surtout se préoccupe d'un aspect important (comment les humains envisagent la cohabitation avec les Fables ? Sont-elles des menaces ?). Dans le cas de Greenjack aussi, c'est un tout petit pas en avant puisque, perdue dans les rues de New York où elle cherche celui/celle qui menacerait la Forêt Noire, elle croise sans le voir Peter Pan et Clochette qui planifient la reconquête des territoires perdus par Gepetto. N'empêche : Willingham suggère que Greenjack et Peter Pan vont sûrement se revoir et sans doute s'affronter.

Plus consistant, ce qui implique Connor Wolf et Kit Helconer : ce dernier s'avère un personnage inquiétant, qui n'hésite pas à dégainer son épée pour occire tous ceux qu'il juge suspect de mauvaises actions (des bandits) ou contre nature (des créatures de la Forêt Noire). Pour Connor qui voulait, comme se frères et soeurs, vivre une grande aventure, c'est inquiétant. Pour Blossom Wolf, qui a libéré le dieu cerf du coffre dans lequel il était enfermé, c'est plus mitigé : elle craint d'avoir commis une terrible bourde mais fait la connaissance de Herne, le fils du dieu cerf, qui, pour la remercier de lui avoir rendu sa liberté, devient son servant.

Tout coule de source, rien ne vient heurter la lecture. Et en matière de subplots, ce que si peu de scénaristes maîtrisent, c'est carrément magistral. Cet arc de Fables est tellement riche qu'on peut même se demander si tout va être résolu dans les sept épisodes restants, ce qui signifie qu'on ne risque pas de s'ennuyer, qu'il y aura de quoi lire, vibrer. Combien de comics sont aussi riches, denses, et excitants ?

Et combien ont une dessinateur si parfaitement en phase avec le scénariste ? Dans un milieu où les artistes ont non seulement du mal à enchaîner les épisodes mais sont en plus fréquemment déplacés d'une série à une autre par des editors voulant privilégier les titres les plus exposés avec les dessinateurs les plus populaires, que c'est agréable de savoir qu'on va lire tout une histoire de douze épisodes avec le même dessinateur.

Mark Buckingham n'est pas, lui non plus, un perdreau de l'année : à 56 ans, il en a vu passer, mais son expérience en tant qu'encreur puis de dessinateur, et sa complicité éprouvée avec Willingham est quelque chose qui ne doit rien à des caprices éditoriaux, à la côte de popularité, encore moins à une difficulté à enchaîner les épisodes.

Buckingham est entouré par le même encreur depuis des lustres (Steve Leialoha), du même coloriste (Lee Loughridge) : à eux trois, ils forment une équipe soudée, qui se connaît parfaitement. Buckingham n'est pas une star, c'est un artisan consciencieux, qui aodre cet univers, qui a établi esthétiquement la majorité des personnages même s'il n'a pas été le premier choix pour dessiner la série. N'empêche, son nom est désormais indissociable du titre.

Il découpe quasi invariablement ses planches en "gaufrier" de quatre cases, avec comme influence assumée la simplicité d'un Jack Kirby. Peu de plans donc mais à chaque fois bien composés, avec des décors détaillés. C'est aussi cela qui rend la lecture si fluide, si facile, on n'est jamais perdu malgré la multiplicité des lieux et des acteurs de l'histoire. C'est tout con, mais si un peu plus d'artistes appliquaient cette sobriété, non seulement ils se fatigueraient moins et donc ils enchaîneraient plus facilement, avec pour le lecteur un confort de lecture supplémentaire. 

Je ne dis pas que tous les comics devraient ressembler à Fables, mais il y a avec Fables matière à réflexion, au niveau de l'écriture et des dessins. Quelque chose qui ressemblerait à de l'humilité, et qui renvoie à l'essence des comics, ce que certains jugent avec mépris comme de la sous-littérature, et que d'autres estiment comme un divertissement populaire, mais qui, quand c'est bien fait, se reconnait immédiatement, quel que soit le nom qu'on lui donne.  

La variant cover de Mark Buckingham.