jeudi 30 juin 2022

X-MEN : RED #4, de Al Ewing, Michael Santa Maria, Andres Genolet et Juann Cabal


A peine quinze jours après son précédent numéro, X-Men : Red est déjà de retour. Mai c'est un épisode spécial dans sa forme et dans le fond que propose Al Ewing et trois dessinateurs invités. Une sorte de collection de saynètes avec un thème commun : la mort. Pas très gai, me direz-vous, mais ce n'est pas un problème car à travers trois personnages dans trois lieux différents, il s'agit plutôt d'un examen sur cette notion transcendée par Jonathan Hickman.


Le Grand Cercle d'Arakko. Magneto pour légitimer sa présence autour de la table du gouvernement arakki consent à un sacrifice important, comme Tornade avant lui...


Krakoa. Sunspot est ressucité. Il retrouve Santo Vaccaro lui-même revenu d'entre les morts mais changé à jamais et qui ne se sent plus à sa place sur l'île...


Le Proscenium. Oracle, convoque Nova, Orbis Stellaris, Black Panther, Hulkling, Nova et Tornade pour leur apprendre l'assassinat de l'impératrice Shi'ar Xandra et les suites à donner à cette situation...

Après trois premiers épisodes denses et intenses, Al Ewing marque une sorte de pause dans le cours de la série X-Men : Red. C'est opportun après ce qui s'est passé dans le précédent numéro, récemment paru. Il propose pour ce quatrième chapitre une sorte de revue, avec trois parties centrées chacune sur un personnage et un endroit, et un thème commun : la mort.

Le premeir segment se déroule dans le Grand Cercle d'Arakko, l'équivalent du Conseil de Krakoa. Magneto a gagné le droit d'y sièger après avoir tué Tarn l'Indifférent en combat singulier. Il s'asseoit sur le Siège de la Perte mais doit prouver qu'il est légitime à ce poste.

Contrairement aux mutants krakoans, les arakki refusent la résurrection. Ils acceptent de mourir, en souhaitant que cela intervienne au combat. Il s'agit donc pour tout nouvel entrant dans le Grand Cercle d'être dans les mêmes dispositions. Magneto est mis au défi par Isca l'Imbattable, qui a été grugée par Sunspot lors du duel ayant opposé Magneto à Tarn l'Indifférent, de renoncer à son immortalité.

Al Ewing confronte de manière magistrale le maître du magnétisme à ce challenge en revenant à la source du personnage. Rescapé des camps de la mort nazis, plusieurs fois donné pour mort, puis ayant assisté au miracle rendu possible par les Cinq de Krakoa, il n'a pas, lui non plus, peur de la mort pour l'avoir si souvent côtoyée. Désormais, on apprend aussi que ceux qui, comme lui, ne vivent plus sur Krakoa, transportent une réplique miniature de Cerebro, conservant leur dernière mise à jour pour, lorsqu'ils sont ressucités, disposer de l'esprit le plus récent. Magneto détruit le sien, comme Tornade avant lui, et renonce donc à ce privilège. Il prouve ainsi aux arakki qu'il est digne de sièger dans leur gouvernement.

Ce passage est remarquablement écrit et atteste une nouvelle fois que Ewing comprend non seulement les personnages qu'il écrit mais surtout qu'il les écrit mieux que quinconque depuis belle lurette. On revient grâce à lui au Magneto original, et ce n'est donc pas un hasard si, depuis son arrivée sur Arakko, il revêt à nouveau son costume mauve et rouge, son look initial. Magneto a tourné le dos à Krakoa depuis Inferno de Hickman, n'entendant pas/plus collaborer avec des adversaires comme Emma Frost, des bouffons comme Mr. Sinistre ou composer avec des concurrents comme Destinée.

Comme Arakko, qui se définit comme un monde brisé, cassé, il réside sur l'ex-Mars colonisée par les mutants en ayant d'abord voulu se tenir à l'écart de la politique. Puis, pressé par Tornade et Sunspot, il a replongé, conscient du danger que représente Abigail Brand et le SWORD, mais aussi la nature belliqueuse des arakki. Il se pose en homme d'expérience, en sage, mais aussi en guerrier, revenu de tout. Finalement, son geste peut être interprété surtout comme son testament, son chant du cygne, son baroud d'honneur : en se condamnant lui-même à être à nouveau mortel, il se prive d'un avantage précieux. Mais c'est aussi un acte flamboyant, plein de panache car en renonçant à l'immortalité, il suggère qu'il ne retiendra plus ses coups et qu'il est prêt à mourit pour ses idées - exactement comme était le Magneto des débuts, la rage extrémiste en moins.

Hélas ! Ce segment est le moins bien dessiné du lot. Je ne connaissais par le travail de Michael Santa Maria, mais j'ai trouvé ses dessins maladroits, mal composés. Il faut qu'il soit cadré dans des gaufiers pour être acceptables. Sinon, l'expressivité des personnages, leur disposition dans l'espace laissent à désirer; Dommage, ça méritait mieux.

Le deuxième segment nous ramène sur Krakoa où on assiste à  la résurrection de Sunspot. Al Ewing ne s'attarde pas sur le processus, désormais familier au lecteur, même si on remarque que c'est Jean Grey et non le Pr. X qui restaure l'esprit du jeune héros. Mais cela sera justifié plus tard dans l'épisode.... En revanche, un élément trouble aussi bien Sunspot que le lecteur : c'est le présence lors de la cérémonie  de Rockslide.

Ce passage va permettre de renouer avec la première victime de X of Swords via un dialogue magnifique avec Roberto da Costa. Santo Vaccaro a été ressucité mais ayant été tué dans l'Outremonde, il n'est plus le même mais une créature composite, recréé à partir des Rockslide du Multivers. Les efnants sur l'île le surnomment d'ailleurs Wrongslide pour signifier cruellement qu'il n'est plus le même, qu'il n'est pas Rockslide. Il s'en est fait une raison même s'il en souffre.

Face à cela, Roberto constate que la mort, en n'étant plus un obstacle pour les mutants, n'est pas non plus totalement résolu puisque, lorsqu'on décéde dans l'Outremonde, on ne peut être ramené à l'état qui était le sien avant. Devant cette équation insoluble, quelle alternative existe-t-il ? Peut-être fuir. Ou en tout cas aller voir ailleurs. C'est quelque chose que Sunspot connait bien, lui qui va où les bonnes affaires se présentent et où ses amis se trouvent (comme sur Arakko ou auprès de son meilleur ami Cannonball, sur Chandilor, capitale de l'Empire Shi'ar). Il invite donc Wrongslide sur Arakko.

Une leçon de caractérisation, voilà ce qu'accomplit Al Ewing ici. En se penchant sur les cas de Roberto da Costa et Santo Vaccaro, il s'attache à deux personnages comme peu d'auteurs l'ont fait avant lui. Souvent présenté comme un fanfaron, séducteur et affairiste, Sunspot gagne en gravité durant cette conversation avec Santo Vaccaro. Il faut dire que le cas de ce dernier incite à l'instropection et à la mesure puisque sa situation est particulièrement poignante. Certains fans reprochent encore à Hickman de l'avoir sacrifié cruellement durant X of Swords - même si'il ne faut pas exagérer : Rockslide n'a jamais été un persnnage aussi iconique que, par exemple, Thunderbird.

Encore une fois, le scénariste réfélchit à la mort, à la mortalité, à la résurrection, à l'immortalité. Ce pourrait être pesant, c'est délicat, subtil et universel. C'est sans doute là la différence entre un scénariste doué mais pas extraordinaire et un scénariste exceptionnel : ce dernier s'empare d'un sujet et de personnages et les élève jusqu'à un point inédit jusque-là. Ewing réalise une vraie performance en aboutissant à une conclusion positive alors que la conversation entre les deux mutants est bouleversante.

C'est Andres Genolet (Runaways) qui s'acquitte de la partie graphique, et c'est très convaincant. Tout est simple et sobre dans ces planches, et c'est ce qu'il fallait pour un tel passage. Malgré les propos emprunts de gravité, il y a quelque chose de solaire, apaisé, dans l'ambiance. Pas de mélodrame : juste deux amis qui se parlent, se confient. Même si, à la fin, on ignore si Wrongslide accepte l'offre de Sunspot, on peut imaginer qu'on va le retrouver sur Arakko et que Ewing a des plans pour lui, complétant un casting déjà bien fourni, mais avec une perspective supplémentaire (celle d'un revenant mais déréglé, cassé). Prometteur.

Enfin le derneir segment se joue au Proscenium. Les représentants de l'alliance intergalactique sont convoqués en secret pour apprendre que Xandra, l'impératrice Shi'ar, a été assassinée. Cela ouvre une période de turbulence, dans un contexte déjà agité. Mais un point doit être débattu car Xandra est à moitié mutante par son père, Charles Xavier, et donc éligible à la résurrection. Mais doit-on la ressuciter ?

Les arguments défendus par Black Panther, Nova, Orbis Stellaris, Hulking et Tornade, sous l'égide de Oracle, fournissent la matière à un débat passionnant. En effet, en ressucitant Xandra, c'est la porte ouverte à une gouvernance éternelle par cette impératrice, ce qui pose des problèmes éthiques et politiques. Orbis Stellaris est évidemmetn le plus ambigü à ce sujet car le lecteur sait, contrairement aux autres invités de cette réunion, qu'il est un agent double, collaborant avec Abigail Brand et donc Orchis. Mais le raisonnement de Nova est aussi pertinent quand on sait que lui aussi est revenu d'entre les morts après la Guerre d'Annihilation. Toutefois, Tornade réserve une surprise à l'assemblée en révélant que ces discussions sont inutiles, le cas de Xandra étant déjà réglé par Krakoa - ce n'est pas un spoiler : comment imaginer que Charles Xavier allait tolérer la mort de sa fille ?

Dessiné par Juann Cabal, qui renoue ici avec son scénariste de Guardians of the Galaxy, ces pages sont d'un excellent niveau même si l'artiste ne nous gratifie pas de ses découpages si inventifs. Parfois, le décor désincarné du Proscenium donne plutôt le sentiment de plans un peu vides, avec juste des personnages qui échangent. Mais Cabal suit le script brillant de Ewing et traduit parfaitement cette ambiance tendue avant le twist final qui rend tout cela dérisoire et terrifiant à la fois. 

Toutefois, Ewing glisse Nova dans sa partition et on est assuré de le revoir bientôt sur Arakko, non comme adversaire mais comme une sorte d'observateur avisé, car il sait comme Tornade que la guerre est aux portes de l'univers (d'ailleurs le prochain épisode s'intitule War). Et donc, de la mort de Xandra à celles prévisibles du conflit qui s'annonce, on reste sur une ligne claire.

Cette collection de saynètes, qui se déploie dans une narration éclatée, est impressionnante, loin d'un épisode de transition, d'un épisode-gadget. Au contraire, Al Ewing, en compagnie de ses trois dessinateurs invités pour l'occasion, aura avancé ses pions et aguiché le lecteur avec des développements ambitieux. X-Men : Red s'impose vraiment comme LA série mutante, celle qui, s'il n'en fallait qu'une, s'impose naturellement par l'intelligence de son écriture et sa qualité éditoriale.

lundi 27 juin 2022

WANTED LUCKY LUKE, de Matthieu Bonhomme


Un peu plus d'un an après sa sortie, je me décide enfin à rédiger une critique de Wanted Lucky Luke (que j'ai relu pour l'occasion). Cela faisait longtemps que je n'avais pas consacré une entrée à une bande dessinée franco-belge mais l'occasion fait le larron puisque, le Lundi, désormais, je vous parle d'autre chose que les comics des Big Two. Et surtout parce que j'ai adoré cet album.


Dans la ligne de mire d'un tireur, Lucky Luke réussit malgré tout à la blesser. Contournant la colline où est juché son adversaire, Luke découvre que celui-ci a mis les bouts en laissant derrière lui une affiche...


Sur celle-ci, Luke découvre que sa tête est mise à prix 50 000 $ ! Mais l'écho d'une fusillade le sort de sa stupeur et avec Jolly Jumper, sa monture, il se précipite dans la vallée où des apaches encerclent un convoi...


Ouvrant le feu sur les indiens, Luke réussit à les faire filer. Il fait alors la connaissance de trois ravissantes demoiselles, des soeurs, qui souhaitent vendre leur troupeau de bovins dans la ville voisine de Liberty...


Pourtant la situation va se compliquer pour le cowboy lorsque Angie brandit à son tour l'avis de recherche le concernant. Luke nie avoir commis une mauvaise action et Cherry et Bonnie les croient. Il propose de les escorter en territoire apache avec leur troupeau...


Une fois arrivés, Bonnie et Cherry décident de livrer Luke aux autorités pour se renflouer, malgré les protestations de Angie. Mais en ville, une surprise attend les filles : le gang de Joss Jamon est là et Liberty est une ville fantôme. Sans compter que le tireur du début rôde encore...

J'avais d'abord prévu d'écrire une critique sur le tome 2 de Money Shot, mais sa lecture m'a trop déçu pour que je reste motivé. Comme je souhaitai consacrer cette entrée à une bande dessinée qui ne soit pas publiée par Marvel ou DC, j'ai cherché une solution de secours. Et en inspectant ma bibliothèque, je me suis rappelé de Wanted Lucky Luke.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas écrit sur du franco-belge et, curieusement, je n'avais pas dédié d'article au deuxième one-shot de Matthieu Bonhomme sur le célèbre cowboy créé par Morris au moment où je l'avais acheté, en 2021. Il fallait que je répare cela.

J'ai toujours été un fan de western, notamment parce que j'ai aimé très tôt lire les aventures de Lucky Luke par Morris (et Goscinny). Mais le genre, quel que soit son support, est une vieille passion. J'ai grandi avec Blueberry, Comanche jusqu'à Texas Cowboys grâce à qui j'ai découvert le talent de Matthieu Bonhomme. Depuis, je suis avec attention les oeuvres de cet artiste, qui est aussi parfois son propre scénaristte, à travers des titres comme Esteban, L'Esprit Perdu (Messire Guillaume), Charlotte Impératrice...

En revanche, je dois bien dire que les reprises des grands classiques de la BD franco-belge me laissent froid ou du moins dubitatif. Le plus souvent, j'ai ce centiment que les ayant-droits ou les éditeurs regardent par-dessus l'épaule des scénaristes et dessinateurs à qui sont confiés ces relances, avec la consigne de copier au maximum les auteurs originaux - c'est d'ailleurs parfois la condition pour avoir le job (cf. Astérix par Ferri et Conrad, de qui on a exigé de rester dans les clous).

C'est en vérité assez triste parce que cela fossilise ces BD, condamnés à rester ce qu'elles sont, pour ne pas risquer de déranger des fans un brin intégristes. C'est aussi dommgeable dans la mesure où une série comme Spirou et Fantasio a survécu en laissant à Franquin, Fournier, Tome & Janry, etc. la possibilité de l'écrire et la dessiner sans imiter bêtement Rob-Vel. Sans compter les récits hors-série par Emile Bravo, Franck Le Gall...

Depuis la mort de Goscinny, Lucky Luke a continué tant bien que mal sous l'impulsion de son créateur Morris. Après sa mort, le titre a été mis entre les mains d'auteurs plus ou moins inspirés (plutôt moins que plus, dois-je dire). Jusqu'à ce que Lucky Comics autorisent L'Homme qui tua Lucky Luke, le premier album de Matthieu Bonhomme.

Ce dernier put concevoir un récit autonome, et couronné de succès (critique et commercial), à la fois respectueux et libre. Cinq ans après, Bonhomme remet son titre en jeu avec Wanted Lucky Luke, et même si cette fois les lecteurs ont été moins tendres, j'ai pour ma part autant, sinon plus, apprécié sa démarche, sa volonté d'affiner son point de vue sur le personnage.

Dans L'homme qui tua..., Bonhomme jouait avec l'idée de la mortalité de Lucky Luke, en multpliant les complications sur ce qui le rendait invincible (la perte de son arme, le manque de tabac, la nervosité qui en découlait). Cette fois, il va encore plus loin en explorant le rapport de Lucky Luke aux femmes. Car le cowboy éternel célibataire (même s'il a été éphémérement fiancé dans un des tomes de sa série régulière) est lonesome (solitaire) par définition.

Confronté à trois jolies frangines, il apparaît souvent encore plus désarmé que lorsqu'il fut privé de son six-coups dans sa précédente aventure par Bonhomme. Maladroit, un peu arrogant aussi, mais aussi face à des personnalités bien trempées (dont celle de la brune Angie), Luke est à la fois un objet de convoîtise et de curiosité car jamais il ne semble vraiment intéressé par la potentielle bagatelle qui se présente à lui, en particulier avec la blonde Cherry, ouvertemetn éprise de lui dès leur rencontre (même si les circonstances aident à ce rapprochement : on peut comprendre l'émoi de la demoiselle qui vient d'être sauvée d'un sort funeste contre des apaches).

Je laisse aux psychologues de comptoir le soin de réfléchir sur une éventuelle homosexualité de Lucky Luke ou d'une totale indifférence pour la gente féminine, c'est une vieille antienne concernant les héros célibataires, de Tintin à Batman (à qui certains ont prêté en fait une attirance pour ses Robins). La vérité se situe sans doute autre part, plus simple : la censure qui pesait sur les BD et les comics empêchaient toute relation amoureuse, encore plus sexuelle, entre un héros et les femmes qu'il croisait, donc ils restaient célibataires, vaguement ou franchement indifférents aux filles pour continuer à être publiés et accessibles aux jeunes lecteurs.

L'autre réussite de cet album réside dans son casting de méchants. Si Bonhomme a toujours averti qu'il ne réaliserait jamais une aventure avec les Dalton (qu'il juge impossible à adapter à son style graphique), cette fois il a convoqué des figures familières avec notamment le gang de Joss Jamon et aussi Brad Defer, le fils de Phil Defer. Au sujet de ce dernier, c'est ma seule réserve, j'aurai préféré qu'il soit introduit comme le frère et non le fils car il me semble trop âgé pour être la progéniture de Phil.

On retrouve aussi le chef apache inspiré de Geronimo, Patronimo. Et l'exploit scénaristique de Bonhomme, c'est d'avoir trouvé une place pour tout ce monde, sans qu'aucun ne se marche sur les pieds. Le titre l'indique : Lucky Luke est recherché, sa tête mise à prix. Mais il ignore pourquoi et quand on découvrira le pot-aux-roses, c'est très habile (même si des petits malins assurent qu'ils avaient deviné tout avant tout le monde). On assiste même à l'arrivée (forcément en retard) de la cavalerie ! Et Bonhomme compose alors une image irrésistible pour résumer à quel point la situation du héros est devenu intenable, littéralement écartelé entre les trois soeurs, le gang de Joss Jamon, les apaches : chacun veut le cowboy - ce qui peut être aussi interprété comme une métaphore de sa popularité comme personnage de fiction.

Visuellement, cette histoire correspond à ce qu'on attend d'un artiste aussi exceptionnellement doué que Matthieu Bonhomme, qui assure le dessin, l'encrage et la couleur. Chaque page est composée avec une maîtrise absolue : la disposition des éléments dans le décors, le jeu avec les grands espaces, la dimension des cases, leur enchaînement, tout donne l'impression d'une fluidité parfaite, d'une facilité insolente.

Devant gérer un casting fourni, Bonhomme a su modeler les physionomies originelles de chacun pour les adapter à son style. On reconnait tout le monde tout en voyant ce que l'artiste à révisé pour que cela ne jure pas avec ce que, lui, a apporté. Ainsi, les trois soeurs rivalisent de charme mais elles ne sont pas absurdement hypersexualisées. Habillées comme des cowgirls, leur coquetterie ne s'exprime que par des détails (une queue de cheval pour Angie par exemple) et lorsqu'elles sont apprêtées de façoj plus franchement féminine, la séquence n'invite guère à l'érotisation des corps puisqu'elles sont aux mains de bandits émêchés et agressifs.

Lucky Luke est représenté avec une dégaine nonchalante, presque orientale (les yeux en amande), mais capable de se tendre en une fraction de seconde, toujours sur le qui-vive. Bonhomme réduit volontairement les occasions où il peut briller par sa dextérité de tireur, comme si ce qui l'intéressait, c'était de mettre en scène le personnage au-delà ce qui le définit dans sa mythologie (le pistolero hyper rapide). Le Lucky Luke de Bonhomme n'est pas déconstruit mais humanisé, il est sondé dans ses sentiments, sa vulnérabilité, à cause d'éléments qu'il ne maîtrise pas ou dont il n'a pas l'habitude (les femmes, la coalition d'ennemis, jusqu'à la remarque moqueuse d'un colonel à propos du brin d'herbe qu'il machouille désormais).

De même Jolly Jumper ne parle pas dans les histoires de Bonhomme car il a jugé que cela ferait basculer son récit dans une forme d'humour absurde. Mais ça ne signifie pas que le cheval est dénué de tempérament, et il faut toute la subtilité du trait expressif de l'artiste pour remarquer l'attitude éloquente de la monture dans des situations précises. S'il ne ne communique pas oralement, Jolly Jumper comprend mieux son cavalier que quiconque (comme lorsqu'il lui demande de contourner une colline pour prendre à revers le tireur au début). Et quand Jolly Jumper est éloigné de son compagnon, il réagit comme son meilleur renfort (lorsqu'il assomme Joe l'Indien en l'attirant dans une ruelle de Liberty).

Matthieu Bonhomme s'est offert une récréation superbe entre deux tomes de Charlotte Impératrice. mais c'est quand il veut pour un troisième opus sur le poor lonesome cowboy !

samedi 25 juin 2022

NEW MUTANTS #26, de Vita Ayala et Rod Reis avec Jan Duursema


La lecture de ce 26ème épisode de New Mutants, qui est aussi le deuxième chapitre du nouvel arc entamé par Vita Ayala, est spécialement intéressant à analyser après Knights of X #3. On y trouve des motifs communs, en plus du fait que les deux séries sont écrites par des femmes. Visuellement, Rod Reis enchaîne les planches de toute beauté, avec la participation sur la toute fin de Jan Duursema.
 

Les Limbes. Magik a réussi à téléporter Mirage, Felina et Madelyne Pryor loin de S'ym. Mais les quatre femmes ont abouti dans un paysage hostile et Ilyana Rasputin a perdu sa Soulsword.


Felina guide la bande jusqu'à une forteresse assaillie par des Technarques semblables à Warlock. La place est vaillamment défendue par une Ilyana plus âgée qui accueillent les filles.


Magik élabore un plan efficace mais risquée pour se défaire des ses ennemis. Ilyana défie donc en duel singulier S'ym, corrompu par les Technarques et réussit à le vaincre, écartant les démons.


Echouant toujours à matérialiser la Soulsword, Magik se voit offrir par son double âgé l'épée Warlock... Par le passé, prisonnière de Belasco, la petite Ilyana tente de délivrer Cat de l'emprise de leur geôlier...

On peut appeler le zeitgest. Ou alors un plan concerté - ce qui est plus probable quand on sait que les auteurs d'une franchise se réunissent fréquemment, en présentiel ou en distanciel, pour des réunions au sommet au cours desquels ils accordent leurs violons et établissent des intrigues pour les moins à venir.

Jonathan Hickman, quand il était la "Head of X", avait coordonné les scénaristes de cette manière avec l'editor Jordan White afin que chacun soit au courant de la manière dont il souhaitait développer l'univers mutant. On pouvait craindre qu'avec son départ tout cela parte à vau-l'eau, et d'ailleurs Hickman n'a pas été remplacé à ce poste de superviseur artistique. Certains comme Al Ewing et Gerry Duggan ont pris une autre dimension, d'autres sont arrivés comme Kieron Gillen, et les autres poursuivent leurs productions comme Benjamin Percy, Tini Howard et Vita Ayala.

Il est donc très probable que ces deux dernières, Howard et Ayala, aient compris la similarité de leurs deux projets, avec Knights of X et New Mutants. En quoi consiste-t-elle ? Les deux séries ont en commun de se dérouler hors de Krakoa et d'être menées par des héroïnes. C'est sûrement une manière simple mais habile de ne pas dépendre de ce qui se passe sur l'île mais aussi d'explorer des zones voisines (l'Outremonde, les Limbes), déjà visitées par le passé.

L'autre élément commun, c'est la notion de quête. Les Knights of X traquent le Siège Périlleux qui leur permettraient de revenir dans notre dimension mais aussi de renverser Merlin. Les New Mutants cherchent à réformer l'Enfer en plaçant sur sur son trône une nouvelle maîtresse. Mais dans les deux cas, très vite, la tâche s'avère très compliquée.

Au terme d'une bagarre aussi rapide que brutale, Magik a vu son ennemi S'ym, le bras armé de Belasco, briser la Soulsword. Elle eu le temps de téléporter ses amis ailleurs, mais pas où elle le souhaitait puisqu'elles échouent  dans une contrée hostile, au climat rigoureux et surtout Magik ne réussit pas à rematérialiser son épée. Mais ce n'est que le début des surprises pour elle, Mirage, Feline et Madelyne Pryor.

Vita Ayala a construit cet arc comme un conte, flirtant avec l'épouvante psychologique. Magik veut confier les Limbes à Medelyne car elle veut s'éloigner de cet endroit qui a à la fois fait d'elle la formidable mutante qu'elle est devenue mais aussi où elle a vécu mille tourments. Pour ne pas laisser cet endroit en de mauvaises mains, elle a désigné Madelyne Pryor pour lui succéder, malgré les réticences de Dani Moonstar et Rahne Sinclair.

Les Limbes sont l'équivalent de la forêt dans laquelle la jeune fille se perd et dont elle cherche à sortir, en traversant mille périples. De façon symbolique, elle perd vite l'instrument de pouvoir qu'elle avait (ici la Soulsword) et redevient la petite fille apeurée qu'elle fut et dont la détermination est mise à rude épreuve. L'ogre est joué par S'ym, aux trousses d'Ilyana pour le compte d'un puissant sorcier, Belasco, qui retint jadis la jeune fille dans cet enfer. Pour l'accompagner dans ce chemin de croix, elle peut compter sur des alliées (Mirage, Felina, et dans une certaine mesure Madelyne Pryor), mais va aussi faire des rencontres révélatrices, comme ici une version plus âgée d'elle-même.

Comme à son habitude, Vita Ayala écrit de façon très dense. Chaque page revêt une exceptionnelle intensité, le sort des personnages est vraiment compromis, il y a un suspense très tendu et des coups de théâtre fracassants dont l'impact ne se limitera certainement pas à ce seul épisode. C'était déjà le cas dans la saga du Roi d'Ombre, son précédent arc (même si je pense que cette nouvelle histoire sera plus courte). En tout cas, il y a une volonté affichée d'emmener Ilyana Rasputin vers un autre point de son existence et on peut parier qu'elle ralliera Krakoa vraiment changée (et que ce changement ne sera pas contenue à elle seule). De même, il y a encore la figure d'un personnage surpuissant, dominateur, manipulateur (le Roi d'Ombre hier, Belasco aujourd'hui) et la prédominace des héroïnes (mais sans jamais que cela paraisse forcé).

L'intensité susmentionnée est servie par les dessins de Rod Reis qui investit le cadre avec une puissance évocatrice épatante. Grâce à son usage des techniques mixtes (bien que dominées par l'infographie), l'artiste parvient à produire des environnements hostiles et esthétiques, ici un paysage balayé par les vents et enneigé, une forteresse perdue au milieu de nulle part et assaillie par des technarques. 

A contrario, quand il s'agit de mettre en scène l'action, Reis privilégie des fonds neutres afin que les personnages deviennent les seuls éléments retenant notre attention. Le découpage devient très épuré, avec un nombre de cases limité pour appuyer chaque mouvement et optimiser chaque coup. Le duel entre la vieille Ilyana et S'ym devient fulgurant et brutal, avec comme issue un réglement de la situation conforme à l'idée de Magik (couper la tête de l'ennemi pour provoquer la fuite de son armée).

Comme lors du n° précédent, l'épisode de clot sur un flashback quand Ilyana était captive de Belasco et apprenait les rudiments de sa magie, notamment pour gagner le soutien d'autres prisonnières du démon. Jan Duursema signe deux planches, d'un trait beaucoup plus classique que Reis, mais l'effet, sobre, éprouvé, fonctionne par contraste avec les pages plus flamboyantes qui ont précédé.

L'important reste qu'on est incapable de deviner où la suite va nous mener et c'est délectable. New Mutants conserve son excellence intacte, pour notre plus grand plaisir.

vendredi 24 juin 2022

FABLES #152, de Bill Willingham et Mark Buckingham


Cela fait quand même un drôle d'effet de nos jours de s'atteler à la critique du n°152 d'une série. Surtout après que ladîte série s'est interrompue pendant dix ans. Mais ça prouve que l'oeuvre de Bill Willingham occupe une place à part dans les comics. Le scénariste ne va pas vite, il en est encore à exposer son retour, mais ça ne signifie pas qu'il ne se passe rien. Et puis on se régale avec les superbes planches de Mark Buckingham.


Morgue de New York. Cendrillon revient à elle devant les yeux médusés du médecin-légiste. Il extrait de sa cuisse l'artefact qui lui a permis de revenir d'entre les morts. Et doit lui trouver des vêtements...


La nouvelle Jack in the Green s'installe, sans se gêner, chez son prédécesseur. Il commence à la former et lui confie son arme la plus puissante, la flèche de Thanatos.


Fabletown. Gepetto pense déjà à reconquérir les royaumes à la faveur du chaos qui règne. mais Peter Pan le neutralise avec Clochette et part à la recherche d'un territoire encore viable.
 

La Ferme des animaux. Stinky (alias Brock Blueheart) s'installe avec quelques amis dans l'ancienne maison tenue par Rose Red. Bigby Wolf et Blanche Neige achèvent la construction de leur nouveau foyer...

Ce résumé prouve bien que Bill Willingham n'est pas pressé. Et en même temps qu'il expédie quelques éléments de manière express et étonnante. On peut interpréter cela comme une volonté d'endormir le lecteur puis de le piquer au vif au moment où il pourrait piquer du nez.

De façon classique, éprouvée même, le scénariste divise l'épisode de ce mois-ci (comme du mois dernier) en séquences, correspondant chacune à un endroit et à un personnage. On saute d'un site à un autre, d'une situation à une autre, d'un protagoniste à un autre. Cela est distrayant, et donne au lecteur à picorer, sans le brusquer.

Pour l'instant, donc, impossible d'anticiper sur l'éventualité que ces personnages, aux quatre vents, se croiseront, dans quelles circonstances. Rien ne les relie, sinon leur appartenance à l'imaginaire collectif, au monde des Fables. Il apparaît cependant certain que si Willingham les a choisis, porte notre attention sur eux, c'est bien pour, au final, qu'ils se rencontrent, sans doute s'affrontent. Pour quel gain ? Mystère.

Nous avons donc Cendrillon qui s'est réveillée à la morgue de New York et qui est revenue à la vie grâce à un artefact implanté dans une de ses cuisses. Mais il lui faut s'en débarrasser vite car ce qui l'a sauvée est toxique et peut la tueur définitivement désormais.

Willingham joue malicieusement de la situation, avec une dose d'érotisme inattendue car progressivement, dans cette séquence, Cendrillon reprend forme humaine et elle est nue comme un crime. L'effroi du médécein-légiste nuance le trouble du lecteur. Que va-t-elle faire une fois dehors ? 

Puis c'est au tour de Jack in the Green. Cette jeune femme, Gwen, a un aplomb séduisant, presque suffisant. Elle s'établit sans demander son avis à son prédécesseur chez lui, arguant qu'il y a de place pour deux - elle n'a pas tort, objectivement, vu la taille de la cabane dans l'arbre qu'il occupe.

Puis il commence à l'entraîner, mis devant le fait accompli. Gwen étant armée d'un arc, il lui donne une flèche redoutable, celle de Thanatos, la plus puissante de toutes, mais à ne tirer qu'en dernier ressort. Willingham a encore su créer (ou revisiter) une figure avec beaucoup d'esprit, et le ton des échanges entre le maître soumis et l'élève insolente est savoureux.

Là où l'épisode offre ce qu'il a de meilleur tient dans la séquence avec Gepetto et Peter Pan. Gepetto parle de profiter du chaos consécutif à la révélation de Fabletown pour repartir en conquête. Mais Peter resurgit aussitôt pour l'en empêcher. Il neutralise le tailleur de bois avec l'aide de la fée Clochette de façon radicale et rapide avant de l'abandonner dans les gravats.

Bien entendu, il faudrait être naïf pour croire que le cas de Gepetto en restera là. Je n'imagine pas une seconde que Willingham s'en soit débarrassé ainsi - et peut-être que Cendrillon va repasser par les ruines de Fabletown en tombant sur le cocon dans lequel est enfermé, miniaturisé, Gepetto...

Les deux scènes en miroir de Stinky et de la famille Wolf sont plus anecdotiques. Mais là aussi, elles sont toutes sauf innocentes : si Willingham nous montre ces personnages, c'est bien pour indiquer qu'ils vont servir. Pour Bigby, Blanche Neige et leurs marmaille, c'était prévisible, étant donné qu'ils sont les vedettes de la série depuis son origine. Pour Stinky et les animaux dans la Ferme, c'est plus nébuleux, mais Stinky a joué dans des arcs importants de la série, portant le deuil de Boy Blue, devenant un membre de la Super Team contre Mr. Dark...

Cette collection de scènes éparses peut décontenancer, et même décevoir, mais nous n'en sommes qu'au deuxième chapitre d'une histoire qui en comptera douze, donc on peut estimer que le scénariste veuille ménager sa monture. Prises individuellement, elles sont toutes assez accrocheuses, avec de la personnalité, et entre personnages connus et nouveaux visages le castng est déjà riche, fournissant autant de pistes narratives.

En outre, si on peut trouver que tout ça ne bouge pas assez vite, il ya les dessins de Mark Buckingham pour se sustanter. Chaque planche est merveilleusement ouvragée, avec un luxe de détails dans les décors exceptionnel. Le trait du dessinateur est précis et vif à la fois, il maîtrise cet univers, ses codes avec une qualité indéniable, sachant rendre attractif des héros familiers comme récemment introduits.

Plutôt que déception, je parlerai donc d'expectative. C'est le cas typique d'un épisode de transition. On ne sait pas où ça va, mais c'est beau à lire et intrigant à suivre. En attendant plus de mouvements et de croisements... Mais après 150 épisodes, le vrai fan de Fables sait se montrer patient.

La variant cover de Mark Buckingham.

KNIGHTS OF X #3, de Tini Howard et Bob Quinn


On discutera stratégie éditoriale plus loin dans cette entrée, mais Knights of X #3 sort la même semaine que X-Men #12, New Mutants #26 et Immortal X-Men #3. Ce qui fait beaucoup à absorber. Dans cette configuration, chaque scénariste doit se distinguer de la livraison des collègues. Tini Howard a pour elle un cadre, l'Outremonde, qui lui permet cela facilement. Son intrigue est très mouvementée et dramatique, mise en scène avec tonicité par Bob Quinn.


Fourbe-foire. L'équipe de Rachel Summers est pourchassée par les Furies, mais Gambit refuse de quitter ce royaume sans avoir sauvé Mad Jim Jaspers.


Sevalith. L'équipe de Betsy Braddock cherche dans le royaume vampire Mort, assigné à résidence ici par Saturnyne. Rictor lui soumet le grimoire de Apocalypse pour trouver le Siège Périlleux.
 

Il apparaît que Apocalypse a fait affaire avec Mr. M. alias Absolon Mercator, un mutant oméga. Appelée à l'aide à Fourbe-foire, l'équipe de Betsy vient en renfort à celle de Rachel.


Mais alors que Gambit et Meggan délivrent Mad Jim Jaspers, Merlin en personne intervient. Gambit décide de le défier en jouant sa meilleur carte... Quitte à se sacrifier ?

Revenons donc un instant sur le calendrier des sorties mutantes. Marvel a curieusement choisi de distribuer la même semaine pas moins de quatre séries de la franchise X. Le fan peut être comblé mais aussi un peu assommé à l'idée de suivre les intrigues de X-Men (#12), New Mutants (#26), Immortal X-Men (#3) et donc Knights of X #3, d'autant qu'il s'agit de quatre titres bien consistants.

Cette stratégie éditoriale questionne car elle revient à mettre tous ses oeufs dans un même panier. Que reste-il pour finir le mois ? La semaine prochaine, on aura droit à X-Men : Red #4, quinze jours après la parution du #3, par exemple. Peut-être que ce mouvement précipité s'explique par l'imminence du démarrage de l'event Judgment Day, avant lequel certains auteurs et séries doivent s'aligner. Mais entre ce qui se passe dans les pages de New Mutants (dont les protagonistes sont coincés dans les Limbes) et Knights of X (à l'oeuvre dans l'Outremonde), on a là une quasi-quinzaine de mutants qui ne seront pas impactés par Judgment Day qui se joue sur Terre, dans notre dimension. Ces mêmes personnages dont je suis curieux de voir comment leur présence sera justifié lors de X-Men : Hellfire Gala 2022 (en particulier Magik et Gambit, quand on sait ce qui lui arrive dans cet épisode de Knights of X)...

Bon, nous verrons tout cela. Pour l'heure, Tini Howard ne se laisse pas distraire et mène sa barque sur un rythle toujours aussi soutenu. Après avoir séparé ses dix chevaliers en deux groupes, elle les réunit ici pour un cliffhanger très efficace - même si donc un peu éventé par le Hellfire Gala à venir.

Avant de tous se retouver, les chevaliers évoluent dans deux secteurs de l'Outremonde bien distincts. Mais ils sont observés par Saturnyne et Roma Regina qui veulent instruire le dragon Shogo sur l'inéluctabilité d'un sacrifice dans les rangs de ses amis. La scénariste avait prévenu que de cette saga tous ne reviendraient pas. En soi, rien de choquant maintenant que les mutants peuvent ressuciter à volonté. Sauf qu'on doit toujours garder à l'esprit que ressuciter un mutant mort dans l'Outremonde présente des risques car il peut renaître très changé (cf. Rockslide, qui n'y a pas résisté).

Ce qui est amusant, c'est que Tini Howard a du mal à dissimuler sa préférence pour le groupe de Rachel Summers à qui elle offre des scènes d'action spectaculaires, une dynamique plus tendue, notamment avec l'insistance de Gambit à sauver Mad Jim Jaspers - ce qui est logique puisque ce dernier est un mutant, donc une cible pour Merlin et Arthur. Rachel, elle, préférerait mettre ses troupes à l'abri.

Howard gratifie aussi Meggan Braddock de son grand moment. Il paraît bien loin le temps où celle-ci était une métamorphe négligée par Brian Braddock dans la première série Excalibur (de Claremont & Davis) car la voici pourvu de pouvoirs élémentaux, capables d'envoyer bouler une Furie gigantesque. Les deux membres les moins dotés demeurent Kylun et Bei Lune Rouge, mais la scénariste leur réserve sûrement mieux pour la suite.

De l'autre côté, le groupe de Betsy apparaît plus compact et moins exposé. La menace représentée par les vampires de Sevalith n'est pas assez marquée, il faut dire, et on peut sétonner de la facilité avec laquelle les chevaliers de cette unité traversent les obstacles pour arriver jusqu'à Mort. Toutefois, le fils d'Apocalypse révèle un nouvel indice séduisant dans la quête du Siège Périlleux qui confirme que Tini Howard a l'intention d'utiliser des mutants laissés de côté - en l'occurrence le puissant Mr. M/Absolon Mercator, qui a hérité du royaume de ce nom grâce à Apocalypse. Il ne fait donc guère de doute que c'est à la scénariste que reviendra l'honneur de ramener sous le feu des projecteurs En Sabah Nur, ce qui est légitime puisqu'elle l'a écrit abondamment dans son run sur Excalibur.

Bob Quinn a beaucoup à faire mais il se montre astucieux et aidé par sa scénariste. En effet, s'il n'a pas le loisir de se ménager dans les scènes à Fourbe-foire, avec de la grosse baston, et un découpage privilégiant les cases de dimensions importantes pour souligner l'ampleur de l'adversité (les Furies géantes), en revanche, je dirais qu'il a la tâche plus aisée dans la partie concernant Sevalith.

Antre de vampires habitant moins des bâtiments que des structures froides et très sombres, ce cadre dispense généreusement Quinn d'avoir à dessiner des décors exigeants car détaillés. La plupart du temps, les personnages évoluent dans des corridors ténébreux aux parois lisses. Les vampires eux-mêmes sont vêtus de noir et leur apparence n'est guère peaufinée avec leur teint blafard, leurs dents pointus, leurs petits yeux rouge sang.

Ce qui est un peu plus regrettable, c'est que l'arrivée d'Arthur avec ses hommes n'est pas valorisée et le lecteur n'a pas le sentiment donc que ça va bouleverser l'équipe de Betsy, qui file rejoindre celle de Rachel via un portail créé par Shatterstar. Idem pour la scène avec Absolon Mercator qui est fugace et dans un cadre désertique.

La dernière page renvoie aux premières dans le royaume flottant de Roma Regina avec le rappel au sacrifice d'un héros. Toutefois, donc, on a du mal à croire à ce funeste sort puisqu'il concerne un mutant qui sera présent pour le Hellfire Gala. Knights of X #3 se situe donc en deçà du niveau des deux premiers épisodes de la série mais vaut le détour pour son action trépidante. Divertissant mais peut mieux faire (et fera mieux, j'en suis convaincu).

jeudi 23 juin 2022

BATMAN - SUPERMAN : WORLD'S FINEST #4, de Mark Waid et Dan Mora


Pour ce pénultième épisode du premier arc de Batman - Superman : World's Finest, on peut dire que Mark Waid et Dan Mora nous en mettent plein la vue... Jusqu'à nous laisser, pantelants, avec un cliffhanger de fou ! Cette série réunit tout ce qu'un fan de comics peut attendre et aimer : du grand spectacle, de la caractérisation parfaite, de l'action, de l'émotion. Une vraie leçon !


Attaqués par Green Lantern, Superman et Batman doivent composer avec Nezha qui manipule mentalement leur ami - et prend possession de l'esprit des humains pour reconquérir le monde.


Dans le passé, les Guerriers de Ji révèlent à Supergirl et Robin quels efforts ils ont consenti pour contenir Nezah. Retournant à notre époque, les deux héros sont séparés par une tempête temporelle.


Unissant leurs volontés, Batman et Superman réussissent à détacher l'anneau de puissance de la main de Green Lantern. Le résultat est aussi inattendu que spectaculaire.


Entraînant Nezha jusqu'à sa prison, retrouvée par la Doom Patrol, Batman et Superman reçoivent le renfort de Supergirl qui leur explique le prix à payer pour enfermer à nouveau leur ennemi...

Hier, en rédigeant la critique du dernier épisode de Nightwing, je me suis énervé sur la désinvolture de Tom Taylor et par extension sur la prétention d'auteurs actuels prétendant accomplir un travail de qualité. Sans vouloir transformer ce coup de sang en assaut dirigé contre une génération de scénaristes, j'aimerai aujourd'hui revenir sur ce qui fait, selon moi, qu'un comic-book brille pour de bonnes raisons.

Du travail. Car c'est bien de ça dont il s'agit et où on en revient toujours. Je n'ai jamais été du côté de ceux qui disaient "c'était mieux avant". Déjà, il faudrait situer cet "avant", ce qui n'est pas une mince affaire, et je doute qu'on parvienne à un consensus sur une date. Mais si je dois m'en tenir à ma modeste expérience de lecteur, alors voici ce que j'écrirai à ce sujet.

Il arrive depuis toujours que, pour qu'un auteur s'aguerrisse, ses éditeurs lui confient à ses débuts des boulots ingrats, sur des titres improbables. Il ne s'agit pas de bizutage, même si ça en a l'air, mais bien de tester les ressources d'un auteur, de voir ce qu'il peut faire avec un matériel qui n'a rien d'un produit au succès garanti.

C'est une forme de "méritocratie".  Je ne connais pas de bons auteurs qui ne soient pas passés par là avant de transformer l'essai. Je crois même qu'on reconnait un bon auteur à sa faculté à convertir le plomb en or, de faire d'une "petite" série ou d'une série qui n'a rien d'un blockbuster en "grande" série ou en série à succès, plutôt qu'à prendre en main une série avec déjà beaucoup de fans acquis et à la maintenir en haut des ventes.

Maintenant, examinons le cas Mark Waid. Ce n'est vraiment pas un scénariste sorti de l'oeuf et devenu grand d'un coup. Même après avoir signé des tubes, il a enchaîné avec des projets invraisemblables. Mais sa capacité à rebondir, à s'emparer de séries pour en faire des hits a participé à sa légende et force le respect. Il a à chaque fois accompli cela avec humilité mais en ayant une vision claire de ce qu'il voulait faire. Que cela ait un hit ou miss, il a toujours écrit avec sincérité et modestie, mettant en avant les personnages comme ses partenaires avant lui-même.

Désormais, on pourrait dire que Waid n'a plus rien à prouver, c'est un vétéran, multi-récompensé, avec des runs d'anthologie derrière lui, qui vient de revenir chez DC comme on boucle une boucle, et anime Batman - Superman : World's Finest, une série qui se déroule dans le passé (histoire de ne pas être pollué par les autres séries actuelles), et qui, en plus, a décroché une nouvelle fois le meilleur dessinateur sur le marché. Une retraite dorée ?

Mais comment ne pas s'incliner devant la science de cet auteur ? La lecture de World's Finest #4 est une nouvelle preuve que pour emballer le lecteur, il n'y a pas besoin de réinventer les comics, il "suffit" de raconter une bonne histoire, en manipulant les bons ingrédients : de l'action, du rythme, de la caractérisation, des coups de théâtre, de l'émotion... Il y a tout ça dans cet épisode - et dans chaque épisode avant celui-ci. Waid n'en profite pas : on pourrait le penser - avec Batman et Superman, tout à l'air facile, comment se planter ? - mais ce serait faux. Plus on anime des personnages iconiques, plus il est aisé de se planter, car il faut encore surprendre, toujours surprendre.

A cet égard, les efforts déployés par les deux héros pour désarmer Green Lantern, neutraliser leurs amis, maîtriser Nezha, jusqu'à ce qu'ils apprennent le prix à payer pour que ce dernier ne soit plus une menace, tout cela donc montre bien à quel point, quand le récit est bien dosé, on peut encore vibrer avec ces champions. Non pas en cherchant à les déconstruire, mais au contraire en jouant sur ce qui les définit, sur ce qui nous est familier. Soit le courage, l'abnégation, la générosité, la complicité, l'efficacité. Waid a souvent agi ainsi : il ne réécrit pas ses personnages mais il les oppose à des menaces inédites, inattendues, et c'est ce ressort qui fait "tilt".

Cette leçon, c'est celle qu'applique aussi, à sa manière, Dan Mora. Son style peut évoquer ses prédécesseurs - par exemple, Jim Lee avec ses traits aiguisés, pointus, anguleux. Mais comme tout bon artiste, il a su faire évoluer ce qui l'avait nourri pour produire un dessin qui n'appartient qu'à lui et surtout qui est meilleur que ce qui l'a inspiré.

Je ne suis pas fan de Jim Lee, mais pourtant j'adore Mora parce qu'il a ce que n'a pas Lee à mes yeux, un dynamisme, une souplesse. Il pourrait comme Lee composer des planches avec des personnages imposants comme des statues, aussi raides aussi que des sculptures, avec des hachures pour texturer et ajouter du volume. Mais Mora est plus malin que ça.

Car Mora emprunte aussi à une école plus vive, plus narrative, plresque cartoon, qui va jusqu'à Immonen ou Samnee. IL dégage les hachures, refuse la statuaire, et privilégie le mouvement, la narration, les enchaînements. Ce qui le préoccupe, ce n'est pas de flatter les héros ni de racoler le lecteur, c'est de raconter l'histoire en images. Pour cela, il multiplie les angles de vue, les valeurs de plans, toujours pour plus de punch.

Ce n'est pas gratuit : si les héros sont bousculés, le lecteur doit l'être aussi, de telle sorte qu'il doute (même si c'est un doute raisonnable, vu la détermination et la puissance des héros). La représentation du déchaînement des pouvoirs joue un rôle décisif dans ce processus. Il ne faut pas avoir peur d'y aller et Mora le sait. Nezha est un méchant qui, bien qu'inédit, est crédible dans l'effroi qu'il suscite. Green Lantern, sous son emprise, est en capacité de terrasser Superman. On vibre en lisant ces pages alors que, normalement, on devrait être blasé vu notre familiarité avec Superman et Batman. C'est ça, le talent.

Et il ne faut pas oublier que Mora réussit cela en dessinant 40 pages par mois (cette série et Once & Future chez Boom ! Studios, écrite apr Kieron Gillen), + des couvertures (variantes et régulières). C'est une force de travail impressionnante. Et là aussi, quand on juge un artiste, c'est à prendre en compte. Ceux qui dessinent beaucoup, dessinent facilement (ou du moins, nuance, donnent l'impression de facilité), en tout cas ils maîtrisent leur art. C'est la physicalité chère à Moebius qui comparaît le dessin au sport, à la répétition des efforts pour forger le corps, fluidifier le geste, améliorer le résultat, augmenter la production. On ne peut aps attendre l'inspiration, qu'on écrive ou qu'on dessine : il faut la chasseer et l'attraper entière. C'est aussi une école d'humilité et de discipline. Après, vous pouvez dessiner ou écrire vite ou lentement, mais jamais à moitié. Mora ne dessine pas à moitié.

Et voilà ce qui fait un épisode haletant, plein comme un oeuf - pas vingt pages à nettoyer une statue dans un parc ou à foutre la honte à des flics ripous et bêtes. Voilà pourquoi il faut lire World's Finest..

X-MEN #12, de Gerry Duggan et Pepe Larraz


Comme je le pressentais, ce douzième épisode de X-Men marque bien la fin de la première "saison" écrite par Gerry Duggan. Les intrigues trouvent un dénouement efficace et d'autres sont amorcées, mais ce qui domine, c'est une impression de bilan. Pepe Larraz conclut avec énergie ce chapitre riche en action, pour ce qui est (peut-être) sa dernière contribution au titre.
 

Cyclope affronte Dr. Stasis qui s'avère être Nathaniel Essex, le tout premier Mr. Sinistre. Synch les rejojnt mais Essex réussit à fuir en déclenchant des explosifs dans son laboratoire.


Au même moment, Cordyceps Jones se rend compte, mais trop tard, qu'il a été joué par les mutantes dans son casino. Il est neutralisé et enfermé, et les joueurs sous son emprise libérés.


Ben Urich, après un échange avec Cyclope et Synch, publie un article révélant que les mutants ont vaincu la mort. Qu'est-ce que cela va inspirer au reste de l'humanité ?


Intervenant contre l'Homme-Taupe à Madrid, chacun des X-Men s'interroge sur son avenir dans l'équipe. Sur Phobos, Essex rejoint Feilong avec qui il compte bien gâcher le prochain Hellfire Gala...

Ce douzième épisode de X-Men vient rappeler que cela fait donc un an que Gerry Duggan est aux commandes de la série. Et le scénariste nous invite explicitement à dresser un bilan de sa prestation tout comme ses héros s'interrogent sur leur place dans l'équipe. C'est sinon la fin d'une ère, en tout cas la fin d'un premier cycle.

Du coup, l'ambiance est étrangement mélancolique. Si Hickman a quitté le titre et la franchise sans cérémonie (préférant conclure son run avec Inferno), Duggan, lui, semble estimer qu'il faut considérer ses douze premiers épisodes comme un tout. C'est donc bien une "saison" comme on l'entend pour une série télé qui s'achève et la dernière page annonce la couleur : le prochain Hellfire Gala (qui sera contenu dans un seul n° spécial cette année) va redessiner la configuration des X-Men, avec des membres sur le départ, d'autres qui les remplaceront, mais aussi une menace pour la grande fête donnée par Emma Frost.

Avant cela, Cyclope et Synch essuient un échec en essayant d'arrêter Dr. Stasis. On découvrait à la toute dernière page du numéro précédant qu'il s'agissait de Mr. Sinistre. Mais on en apprend davantage ici : Stasis serait (le conditionnel est de mise pour quelqu'un qui s'est fait une spcécialité de se cloner) Nathaniel Essex, l'original, le premier de la lignée. C'est un twist intéressant pour deux raisons.

La première, c'est que, évidemment, le Mr. Sinistre qui siège au Conseil de Krakoa n'est donc pas l'original, mais un clone. Il faut s'attendre à des explications à ce sujet, même si on peut raisonnablement penser qu'elles se dérouleront dans la série Immortal X-Men plutôt que dans les prochains épisodes de X-Men (jusqu'en Septembre, au moins, la série complètera l'event Judgment Day).

La seconde, c'est que ça fait sens, et c'est le plus important. Car le Nathaniel Essex que Cyclope affronte ici renoue avec le Mr. Sinistre machiavélique et génocidaire des années 80, un vrai méchant, mais également, et c'est aussi essentiel, avec ce que racontaient les data pages de Powers of X, avec le Mr. Sinistre évoqué par Hickman dans le futur, allié d'Orchis, puis sacrifié par Nimrod lorsqu'il a découvert qu'il concevait les Chimères (ce à quoi s'amuse aussi le Sinistre de Krakoa - logique, car on peut imaginer que les clones d'Essex fonctonnent comme un esprit collectif, de ruche, ayant des idées similaires et simultanées).

En parallèle, on assiste à la fin de la confrontation entre les X-girls de l'équipe et Cordyceps Jones sur le Gameworld. Duggan est inspiré sur cet épisode, sans doute sont plus abouti, en osant, avec succès, employer une astuce basée sur la manipulation mentale. Jean Grey a montré à Jones ce qu'il voulait voir, soit la déroute des mutantes face à son emprise par les spores qu'il diffuse. Du coup, une fois la ruse éventée, il est trop tard pour le monstre et il est contenu par Malicia, Wolverine, Polaris et Jean Grey. Par un effet domino, tous les joueurs de l'établissement, possédés par Jones, retrouvent leur autonomie et Duggan glisse dans un dialogue entre Jean et Malicia une référence aux crimes du Phénix, que Marvel Girl vient d'effacer de son passif en sauvant des trillions d'individus menacés par les jeux de Jones.

Sur cette partie de l'épisode, Pepe Larraz est déchainé et enchaîne les scènes d'action en majesté. Son trait vif et élégant donne une intensité jubilatoire à ces combats. Il est dans son élément et gratifie le lecteur de planches somptueuses, en particulier sur le Gameworld, avec des couleurs magnifiques de Marte Gracia.

Le découpage est nerveux mais précis, et on peut sentir le plaisir du dessinateur à animer les quatre filles en montrant leur complémentarité mais aussi leur charme singulier. Jean Grey spécialement a droit à des plans amoureusement composés où elle s'impose comme la reine. Tout comme Al Ewing a su reprendre en main Tornade comme peu y étaient parvenu depuis trente ans, Duggan et Larraz sont arrivés à produire une version vraiment parfaite de Marvel Girl, désormais pourvu d'un costume original qui a vraiment une classe folle (merci Russell Dauterman).

Mais X-Men #12 a encore des munitions à tirer et elles ne sont pas négligeables. D'abord, Cyclope et Synch se livrent à Ben Urich et le laissent publier un article sur l'immortalité conquise par les mutants. C'est une bombe et on devine que Duggan va en exploiter l'impact dans la seconde "saison" de son run (du moins je l'espère).

La transition pour la séquence suivante est organique : en mission à Madrid contre une attaque de l'Homme-Taupe, chaque X-Men se questionne à voix haute sur son avenir dans l'équipe. Le premier à le faire est bien sûr Cyclope qui sait qu'en parlant du secret de Krakoa à Urich il risque d'être sanctionné par le conseil et lors de la prochaine élection pour la composition de l'équipe. J'avoue que si Cyclope a un côté incontournable, qu'il est le leader historique des X-Men et qu'il mériterait de le rester, j'aimerai que Duggan (et Marvel) ose(nt) l'écarter, s'en passer. Jean Grey serait sa remplaçante naturelle, logique - surtout quand on note l'affection manifeste de Duggan pour elle.

Le scénariste paraît d'ailleurs pressé d'être au prochain Hellfire Gala puisqu'il laisse ouvertement entendre qui va quitter les X-Men. Sunfire, ce n'est pas un surprise : il a été peu utilisé, comme si Duggan ne savait pas quoi en faire. Polaris pourrait aussi partir, ce qui est déjà plus étonnant, vu la popularité qu'elle a gagné en un an (et le fait qu'elle ait élue par les fans l'an dernier). Malicia aussi va aller ailleurs - où ? Mystère. Mais Duggan veut réunir Anne-Marie avec Destinée et Mystique, et surtout les pouvoirs de la mutante font trop doublon avec ceux de Synch (qui, lui, semble indétrônable). Wolverine, c'est moins sûr, et ce, même si, comme pour Cyclope, il est difficile d'imaginer des X-Men sans un(e) Wolverine, mais Duggan l'a peu exploitée et il ne semble pas inspiré par la romance en suspens avec Synch.

Cette scène curieuse entre baston et interrogations existentielles est merveilleusement dessinée par Larraz, qui a encore l'occasion de prouver que l'action est son domaine de prédilection. Si ce devait être son dernier épisode, il sort en beauté.

Si ce premier Acte a connu des hauts et des bas, surtout dans sa première partie, il s'est montré captivant et abouti ces six derniers mois. Duggan a roulé au diesel mais il semble bien lancé maintenant. Avant de renouer avec le dur, la prochaine escale sera pour le mois prochain avec le nouveau Hellfire Gala, et à l'Automne, une fois les tie-in à Judgment Day achevés.

mercredi 22 juin 2022

NIGHTWING #93, de Tom Taylor et Bruno Redondo


(Soupir)... Ce 93ème épisode de Nightwing m'a affligé. Non mais de qui Tom Taylor se moque-t-il ? Y a-t-il même un scénariste avec une histoire digne de ce nom à raconter aux commandes ? J'ai rarement eu cette impression de vacuité et de roublardise mêlées. Bruno Redondo emballe ça joliment mais sans pouvoir sauver quoi que ce soit.


Heartless se présente devant Blockbuster pour lui proposer une alliance. Mais Roland Desmond n'est pas intéressé et congédie brutalement son visiteur en le défenestrant.


Cependant, après avoir échappé à la police alors qu'il nettoyait la statue d'Alfred vandalisée, Nightwing rentre à Gotham où Oracle a réussi à identifier ceux qui s'en sont pris à ladite sculpture.


Dick Grayson est rappelé à Blüdhaven par sa demi-soeur car la police tente de déloger les jeunes qu'il a le projet de reloger. Les médias sont invités pour cette opération. Mais Dick a un atout dans sa manche.


Il rend public, grâce à Oracle, l'identité des vandales, tous des policiers de Blüdhaven. Le commissaire humilié doit se retirer. Heartless, lui, a survécu à sa chute, mais il est mal en point...

Franchement, ça ne me procure aucun plaisir de devoir cartonner une série comme Nightwing, et d'ailleurs, pour être parfaitement clair, ce n'est pas tant la série que je cible que la manière dont Tom Taylor l'écrit depuis maintenant plusieurs mois et qui me convainc de moins en moins, m'agace de plus en plus.

Nightwing est une série qui séduti critique et public depuis sa reprise en main par Tom Taylor et son premier arc incitait à penser qu'effectivement, DC avait eu raison de s'en remettre à lui, qui revendiquait son amour pour le personnage, sa volonté d'en faire un héros de premier plan, et d'écrire des histoires valables. 

Soutenu par un artiste lui-même attrayant, Bruno Redondo, Taylor avait de belles cartes en main. Jusqu'à ce qu'il doive composer avec le Fear State de James Tynion IV et quelques n° tie-in. Mais c'était provisoire et la reprise promettait. Sauf que... Npn. En tout cas pas pour moi.

Je ne veux pas parler pour les fans actuels de la série mais j'en quand même le sentiment que Tom Taylor et Bruno Redondo ont réussi un joli tour de passe-passe, même s'il ne résiste pas à ceux qui ont lu, surtout, Daredevil par Waid & Samnee, dont le run actuel s'inspire ouvertement. D'ailleurs, si on se met à compter les références à Daredevil en général, Nightwing ressemble désormais à un ersatz grossier.

Blockbuster ? Le Caïd. Heartless ? Au choix : Bullseye ou The Spot. Dick Grayson ? Matt Murdock. Il ne manque qu'un avatar de Ben Urich pour que le tableau soit complet. Mais en l'état, c'est tellement flagrant que ça devient embarrassant car si l'hommage est plaisant, il faut que la série en sorte pour trouver son identité. Là, au contraire, elle s'enfonce dans les citations, les qualités de l'original en moins. On pourrait aussi mentionner des emprunts à Hawkeye (période Fraction & Aja) avec Le toutou, Barbara Gordon/Kate Bishop, les Titans/les Avengers, etc.

Si j'ai envoie de relire ce genre de série, c'est simple, j'ouvre un recueil de Hawkeye ou DD, mais je n'ai pas besoin que Tom Taylor plagie Mark Waid ou Matt Fraction, surtout si c'est pour faire moins bien. Sa bataille pour le coeur de Blüdhaven manque par ailleurs cruellement d'intensité, tout ça se déroule sur un rythme bien trop pépère, avec des péripéties qui sentent le remplissage, une narration décompressée à mort, un lecteur moins impliqué. En tout cas, moi, je ne vibre pas autant.

Cet épisode est vraiment un résumé de toutes les tares de Taylor : normalement, il n'y a pas de quoi remplir vingt pages, ce qui se passe est dérisoire, ou du moins mené sans tension. Passée la scène d'ouverture où Blockbuster défenestre Heartless (dont on sait bien qu'il survivra, même si c'est complètement invraisemblable), le reste ressemble à du grand WTF scénaristique avec Nightwing en costume qui nettoie la statue d'Alfred (comme si avec tout le fric qu'il a, il ne pouvait pas payer quelqu'un pour faire ça ! Non, c'est bien plus logique qu'un bonhomme en tenue de super-héros astique un sculpture avec son seau et son éponge le matin...). Puis les flics débarquent et ouvrent le feu sans sommation !

Course-poursuite avec cascades portnawak à l'arrivée (Nightwing pète sa moto : bonjour l'acrobate). Il rentre à Gotham (c'est pratique, y a une ellipse, on ne voit pas comment il a filé depuis Blüdhaven). Miracle : Oracle a identifié tous les vandales et ce sont des flics, forcément corrompus (sinon y aurait plus d'épisode). Melinda Zucco appelle son demi-frangin pour l'avertir que le commisaire MacLean est en train de commettre une saloperie (elle a que ça à faire, la nouvelle maire de Blüdhaven ? Et Blockbuster ne la fait donc pas surveiller ?).

Le clou du spectacle a lieu au cours d'un concours de bites entre MacLean et Grayson devant les caméras de télé. Dick humilie le flic (ce qui n'est pas très malin, mais bon, on n'est plus à ça près). Et rideau (ou presque, le temps de montrer Heartless en piteux état mais pris en main par son Alfred à lui, quelle originalité !).

C'est un festival. Vingt pages pour ça ? Sérieux ! De qui se moque-t-on ? Taylor nous a promis une bataille au sommet pour le coeur de Blüdhaven et on a droit à de la chicailla pour des graffitis sur une statue par des flics corrompus (qui, eux aussi, ont vraiment que ça à foutre, d'aller tagger une statue !). Hé ben, si c'est ça, la bataille de Blüdhaven...

J'ai, à vrai dire, de la peine pour Bruno Redondo qui doit illustrer un script pareil en faisant comme si c'était génial. Je doute fort que les lecteurs seraient aussi indulgents sans lui. L'artiste découpe les scènes d'action avec son adresse coûtumière et glisse quelques expressions savoureuses à ses personnages dans un gag de sitcom de bas étage (oh, Dick a dit à Babs qu'il l'aimait !). Mais c'est triste, c'est toujours triste de voir un bon dessinateur dessiner de la merde (un peu comme Samnee avec Kirkman...).

Je voulais tenir jusqu'au #100, mais si j'arrive jusqu'au 95, j'aurai pris sur moi. Nightwing n'est pas Daredevil (il n'en a ni le charisme, ni la galerie de méchants), Taylor n'est pas Waid (encore moins Nocenti, Miller, Bendis, Brubaker). Cet arc, ce run pique du nez et va se crasher, c'est évident. Mais, c'est le privilège du lecteur sur le fan : il a un parachute pour quitter l'appareil à tout moment.