mardi 30 décembre 2014

Critique 548 : AMAZING X-MEN, VOLUME 1 - THE QUEST FOR NIGHTCRAWLER, de Jason Aaron, Ed McGuinness et Cameron Stewart


AMAZING X-MEN, VOLUME 1 : THE QUEST FOR NIGHTCRAWLER rassemble les 6 premiers épisodes de la série, écrits par Jason Aaron et dessinés par Ed McGuinness (#1-5) et Cameron Stewart (#6), publiés en 2014 par Marvel Comics.
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(Extrait de AMAZING X-MEN #1.
Textes de Jason Aaron, dessins de Ed McGuinness.)

- THE QUEST FOR NIGHTCRAWLER (#1-5. Ecrit par Jason Aaron et dessiné par Ed McGuinness). Mort en se sacrifiant pour sauver la jeune mutante Hope, Kurt Wagner alias Nightcrawler (aka Diablo en vf)  se languit désormais au ciel, regrettant sa vie de héros. Lorsque des démons déguisés en pirates attaquent l'endroit où il se trouve, il riposte et trouve rapidement face à lui son père Azazel, qui a entrepris de conquérir l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis.
Pendant ce temps, sur Terre, à l'école Jean Grey, une nouvelle enseignante arrive : il s'agit d'Angelica Jones alias Firestar. C'est l'effervescence habituelle dans l'établissement, en particulier pour le Dr Hank Mcoy alias le Fauve qui est déterminé à se débarrasser des Bamfs, ces petites créatures bleues ressemblant à feu Kurt Wagner. En les traquant, il découvre qu'ils ont construit un portail inter-dimensionnel. 
(Extrait de AMAZING X-MEN #4.)

Wolverine, Storm (Tornade en vf), Iceman (Iceberg en vf), Vega et Firestar sont aspirés dans ce passage et dispersés dans les divers quartiers de l'au-delà. Confrontés à Azazel et ses acolytes, Captain Jack et Captain Kid, avec leurs hordes de damnés, les X-Men résistent tant bien que mal jusqu'à ce qu'ils retrouvent Nightcrawler, qui a imaginé un plan aux conséquences terribles pour lui pour vaincre son père...  
(Extrait de AMAZING X-MEN #6.
Texte de Jason Aaron, Dessin de Cameron Stewart.)

- MANY HAPPY RETURNS (#6. Ecrit par Jason Aaron et dessiné par Cameron Stewart). Les X-Men et amis de Kurt Wagner fêtent son retour parmi les vivants dans un bar. Mais deux événements viennent troubler la soirée : l'arrivée de l'équipe dirigée par Cyclope et surtout la présence de Mystique, la mère de Nightcrawler qui souhaite savoir où se trouve Azazel pour le tuer.

Le personnage de Nightcrawler/Diablo avait été tué sans grands égards dans le crossover Second Coming en 2010, après avoir été longtemps maltraité par des scénaristes sans respect pour la création du dessinateur Dave Cockrum (qui le considérait comme son double de papier). La question qui se posait alors était moins de savoir si on reverrait Kurt Wagner un jour que quand et comment. Il a donc fallu attendre quatre ans et qu'un auteur réellement attaché à l'elfe bleu pour que les fans le retrouvent.

Jason Aaron, qui achevait son séjour sur la série Wolverine and the X-Men, voulait prolonger son expérience avec les mutants avec un titre qui continuerait dans la veine fun et cool mais en se concentrant sur un groupe de héros plus restreint. Le dessinateur  Ed McGuinness et le scénariste ont, à l'annonce du lancement début 2014 d'Amazing X-Men, multiplié les déclarations d'amour envers Nightcrawler, laissant espérer aux lecteurs un run au long cours. Hélas ! Cette équipe créative ne sera resté ensemble que le temps de 5 épisodes, et Jason Aaron a quitté le projet au n° 6 car son emploi du temps surchargé ne lui permettait pas de poursuivre (il aurait quand même pu prévoir son affaire avant...).
Depuis, d'autres auteurs (Kathryn Immonen puis Chris Yost et Craig Kyle) ont pris la relève et la série a été reconduite, même si les lecteurs lui réservent un accueil plus réservé.

Et c'est le premier enseignement à tirer de la lecture de ce recueil, contenant l'entièreté du passage de Jason Aaron sur le titre : il se suffit à lui-même et forme une mini-série quasi-parfaite. Après avoir ramené Nightcrawler, le plus judicieux aurait sans doute été d'intégrer le personnage à une série régulière déjà existante, au lieu de prolonger Amazing X-Men et même de lui donner son propre mensuel (dont l'annulation est déjà annoncée).

Ceci étant dit, que penser justement de cet ensemble de six épisodes ? J'avais découvert la série dans le mensuel "X-Men" publié par Panini Comics avant d'en arrêter l'achat, et j'ai eu le plaisir qu'on m'offre cet album pour Noël (merci Bruno !), l'occasion rêvée pour découvrir la suite et fin de ce premier arc et la conclusion du bref run de Aaron.

Comme je l'écris plus haut, ce recueil permet d'apprécier son contenu comme une mini-série, et donc on peut en rester là. Le récit est un vrai régal : Jason Aaron nous rend le personnage avec brio et effectivement son affection pour Diablo transpire dans chacune des scènes qu'il lui a écrit, renouant avec la description qu'en fit Dave Cockrum (un mutant dont l'aspect évoque celui d'un démon à la peau bleue et qui est à la fois un acrobate exceptionnel, un bretteur spectaculaire, et doté du pouvoir de téléportation). C'est bien simple, on n'avait pas été aussi gâté avec Kurt Wagner depuis... Sa présence dans la formidable série Excalibur de Chris Claremont et Alan Davis (y compris quand ce dernier en devint le scénariste et dessinateur) : Aaron n'oublie d'ailleurs pas d'adresser un clin d'oeil à cette période bénie dans son dernier épisode en convoquant pour le pot de retour Captain Britain, Meggan, et Kitty Pryde, en plus de Rachel Grey (déjà là dans les chapitres précédents), soit toute l'équipe originale (voilà des héros qui manquent chez Marvel actuellement, et qu'on aimerait bien voir repris par Davis et Claremont justement).

L'astuce qu'a trouvé le scénariste pour permettre à Diablo de revenir sur Terre (en sacrifiant à nouveau une partie de lui-même) est inspirée et simple, même si justement elle l'est presque trop et qu'on peut donc douter que d'autres auteurs l'exploitent.

En revanche, il est clair que l'envie de ressusciter Nightcrawler l'a emporté chez Aaron sur le soin avec lequel il a construit son arc narratif. Les coutures sont un peu trop voyantes pour ne pas qu'on repère les défauts de la confection, comme lorsqu'il sépare son groupe de X-Men dès leur arrivée dans l'au-delà afin de décompresser un récit qui, plus rigoureusement traité, aurait tenu en moitié moins de place. Le scénariste nous frustre aussi singulièrement en écartant son personnage principal durant un épisode entier (le 2ème), se contentant de le faire commenter l'action et de présenter ses amis. Le casting est aussi parfois trop fourni, ce qui atténue l'emploi prometteur de certains protagonistes (comme Vega en mode Peter Pan).

Mais on est enclin à une grande indulgence quand les maladresses sont compensées par un bon sens du rythme (on ne s'ennuie jamais) et de la répartie (les dialogues sont savoureux et touchants, qu'il s'agisse des frayeurs d'Iceman que la chaleur de l'Enfer fait fondre, des échanges entre le Fauve et Azazel sur la foi durant un combat plein de punch, ou des retrouvailles entre Storm et Nightcrawler ou avec Wolverine). 

Dans le dernier épisode, on a encore droit à de bons moments, alternant habilement action et émotion, pour une réunion entre amis et famille de Kurt Wagner plutôt animée (quoique évidemment ce qui arrive à Azazel soit couru d'avance et certainement écrit par Aaron pour préparer le terrain à ses successeurs).

Visuellement, je dois dire que j'ai pendant longtemps été peu réceptif au talent de Ed McGuinness (d'autant plus qu'il collaborait avec un auteur comme Jeph Loeb dont la production me touchait également peu). Mon regard a changé quand il a signé quelques épisodes du relaunch de Nova (à l'occasion de l'opération "Marvel Now !"), lui découvrant une finesse dans la représentation des personnages ressemblant à une remise en question salvatrice.

Comme Jason Aaron, l'artiste a exprimé son affection pour Nightcrawler et cela est évident quand on voit comment il l'anime, en s'inspirant de manière troublante de Dave Cockrum : la première séquence de l'arc a de quoi combler tous les fans du personnage, et par la suite le niveau ne baisse jamais.

Mais c'est valable pour toute la distribution que McGuinness met en images avec un soin équivalent, réservant à chacun (ou presque) une pleine page spectaculaire. Même si  sur les épisodes 4 et 5, l'artiste semble avoir été plus pressé comme en témoigne un traitement des décors plus expéditif, il a aussi composé des environnements suffisamment impressionnants pour que le récit soit fortement situé.

Ce récit qui rend hommage aux films de pirates nécessitait un effort pour les costumes et bateaux typiques de ce genre, et sur ces points encore, McGuinness n'a pas ménagé sa peine.

En revanche, la prestation de Cameron Stewart sur le 6ème épisode laisse perplexe : ce dessinateur très talentueux livre une copie bien en deçà de ce dont il est capable - ou en tout cas de ce qu'on pouvait espérer. Il était pourtant taillé pour ce fill-in (de luxe), avec un personnage fait pour lui, mais le résultat paraît, non pas bâclé (ce serait sévère), mais précipité, comme s'il avait soit manqué de temps, soit voulu expérimenter un dessin plus lâché. Curieusement, on pense à du David Lafuente des mauvais jours (là où McGuinness atteint parfois, auparavant, la finesse d'un Mike Wieringo). Dommage.

Chacun décidera de suivre Amazing X-Men après ces six premiers épisodes, mais ce tpb constitue un album tout à fait suffisant, non pas parce qu'il ne donne pas envie de continuer mais bien parce que tout y est bien dit. En vérité, il faut surtout souhaiter que Diablo soit désormais toujours aussi bien traité, en profitant d'une série suffisamment exposée pour que lui-même reste visible. Ce serait là un vrai gâchis d'avoir ramener ce personnage si attachant pour ne pas l'exploiter correctement.          

lundi 29 décembre 2014

Critique 547 : SAGA - VOLUME 2, de Brian K. Vaughan et Fiona Staples


SAGA : VOLUME 2 contient les épisodes 7 à 12 de la série écrite par Brian K. Vaughan et dessinée par Fiona Staples. Après le premier tome qui avait été une des plus brillantes réussites récentes, l'équipe allait-elle transformer l'essai ?

Plutôt que de vous servir une critique en bonne et due forme, j'ai choisi un angle différent en me penchant sur une séquence particulière : il s'agit de l'ouverture du chapitre 10, un moment charnière dans le récit. Ces cinq pages nous apprennent plein de choses - sur les personnages, leur histoire, l'histoire de la série, tout en diffusant de l'émotion. Après elle, plus rien n'est, vraiment, pareil.

Et comme rien n'est produit par le hasard quand une bande dessinée est bien écrite et dessinée, elle émet de manière directe une adresse irrésistible au lecteur - ici, en l'occurrence, Marko invite Alana à continuer à lui lire (un roman à l'eau de rose) mais c'est comme s'il nous parlait à nous, en nous demandant de continuer à lire Saga.

La suite, après les cinq pages ci-dessous :





Il s'agit donc d'un flash-back : à cette époque, Alana, membre de l'armée de Landfall, surveille Marko, qui a déserté l'armée de Wraith. Ils sont donc ennemis, et, dans la chapitre 8, on a pu voir que la jeune femme ne ménageait pas son prisonnier quand il était en cellule (elle lui assénait un coup de crosse de son fusil pour le faire taire, ne comprenant pas ce qu'il disait).
En train désormais de casser des cailloux dans une carrière, Marko a appris à parler la langue d'Alana, en l'entendant lui lire A Nightime Smoke d'Oswald Heist (un personnage qu'on découvrira dans le chapitre 12). 

En se comprenant, les deux jeunes gens ont appris à s'apprécier, à se tolérer. Et c'est donc la lecture qui a permis cette apaisement, ce qui est tout un symbole.

Alana considère ce livre comme la meilleure histoire qu'elle ait jamais lue - ce qui n'est pas le cas de son auteur, qui l'a écrite uniquement pour de l'argent... Du moins, est-ce ce qu'il prétend car l'ouvrage contient à l'évidence un message pacifiste comme le pense Marko. Le jeune homme soumet à sa geôlière que le conflit qui oppose leurs deux mondes ne peut qu'aboutir à une surenchère de brutalité, un règne de barbarie.

Comme un écho à son raisonnement, Marko révèle à Alana qu'il va être transféré dans un autre prison, Blacksite, dont la jeune femme sait qu'on n'en revient jamais vivant. Marko a accepté cette punition avec fatalisme : il a déserté son armée, s'est rendu à l'ennemi, a été condamné - il pense en fait n'avoir que ce qu'il mérite, et surtout sa mort prochaine lui semble une délivrance, il n'assistera pas à l'épilogue tragique du conflit.

Mais Alana est, elle, bouleversée par ce qu'elle apprend et va alors commettre un acte lourd de conséquences, un geste qui scelle non seulement son destin comme belligérante mais aussi comme femme. Elle brise la chaîne attachée à la cheville de Marko et lui conseille de fuir, en profitant des quelques minutes qu'il a avant que d'autres gardes s'aperçoivent de son évasion. Elle est prête, quant à elle, à affronter les sanctions que lui vaudra son choix.

Toutefois il est hors de question pour Marko d'abandonner sa libératrice qu'il sait condamnée comme lui si elle le laisse partir, et va la convaincre de le suivre. Il n'a pas besoin de mots pour cela, comme le montre la dernière image de la page 5 : des regards troublés témoignent de l'attirance entre les deux jeunes ennemis, puis un baiser irrépressible scelle leur alliance. 

L'histoire de Marko et Alana commence en vérité à cet instant : ils deviennent des fugitifs (comme les Runaways que créa et écrivit Vaughan pour Marvel, comme Yorick dans Y the last man paru chez DC/Vertigo, comme les trois lions dans Pride of Baghdad aussi chez Vertigo). Ils ne veulent plus participer au massacre de leurs deux peuples et s'éloignent du théâtre des opérations, tout en ayant conscience qu'ils vont désormais être traqués.

Plus tard, on assistera à une de leurs premières nuits d'amour, et on sait depuis le tout début du premier épisode qu'ils sont ainsi devenus les parents d'une petite fille, Hazel. Leurs têtes sont mises à prix et le Prince Robot IV, les mercenaires the Will et the Stalk les poursuivent. En ayant conçu un enfant , les deux fuyards ne sont pas seulement devenus des déserteurs, dont chaque camp veut la peau, ils sont aussi devenus un symbole et leur enfant incarne la possibilité d'une réconciliation entre deux peuples dont le plus puissant, celui de Landfall (grâce à sa technologie, alors que ceux de Wraith croient en la magie), veut une victoire totale par la destruction de son adversaire ou l'asservissement de ceux qui survivront.

L'histoire de Marko et Alana permet aussi à Brian K. Vaughan d'établir des parallèles avec d'autres couples dans son histoire. Il y a celui formé par the Will et the Stalk, à la fois concurrents sur le plan professionnel et amants. The Stalk semble avoir péri dans les épisodes précédents et the Will porte son deuil, au point qu'il a cessé sa traque contre Marko et Alana, retiré avec son Lying Cat.

The Will est tiré de sa retraite par Gwendolyn, originaire de Wraith. Mais les apparences sont trompeuses : elle n'est pas là pour tenter de sauver Marko. Elle est en vérité celle à qui il a été fiancé et qu'il a donc abandonné pour Alana. Gwendolyn veut donc se venger de son ancien amant et de sa compagne, sentiment de vengeance accru le fait qu'elle sait qu'ils ont eu un enfant ensemble. 

The Will "forme" aussi un étrange couple avec une fillette (sensible aux traces magiques des indigènes de Wraith, ce qui aura son importance) qu'il a découverte sur une planète-lupanar où elle était prostituée par une maquerelle. Il a récemment réussi à la tirer de cet enfer grâce à l'aide de Gwendolyn, et en échange il a donc accepté de retourner chasser Marko et Alana.

Il y a aussi le couple formé par les parents de Marko, apparu à la fin du chapitre 6. A la fois soulagés de retrouver leur fils en vie et choqué de l'avoir vu refaire sa vie avec une ennemie de leur peuple et être devenu père, les relations entre eux sont encore plus tendues après que la mère de Marko ait apparemment désintégré Izabel, une jeune fille ectoplasme qui était la baby-sitter d'Hazel. Tandis que le fils et sa mère vont partir à sa recherche (Izabel a été en vérité téléportée sur une planète voisine), Alana reste seule avec sa fille et son beau-père dans un vaisseau atypique (un arbre géant et magique), qui sera le théâtre d'une révélation bouleversante.

Enfin, la dernière partie de ce volume 2 offre un autre "couple", du moins la rencontre entre deux personnages périphériques, mais qui impactent tout le récit : d'un côté le fameux Prince Robot IV (un individu humanoïde métamorphe avec un poste de télé à la place de la tête) et de l'autre l'écrivain D. Oswald Heist, l'auteur de "A Night time Smoke", le roman préféré d'Alana, susceptible d'avoir reçu la visite de sa fan et donc d'aider le militaire à la retrouver, elle et son amant. 
Il faut alors préciser que l'ouvrage raconte justement la romance improbable entre l'héritière d'une carrière (tiens, comme celle où Marko et Alana s'embrassent) et une créature de pierre - c'est la figure du livre dans le livre, une mise en abyme donnant des perspectives multiples au récit (Heist raconte par exemple que son fils a d'abord péri dans une bataille puis avoue ensuite qu'il s'est suicidé car il était traumatisé par la guerre, lui aussi a fui à sa manière l'horreur. 
On devine également, même si je ne veux pas en dire trop que Heist a bel et bien dissimulé, comme l'avait dit Marko et comme le pense le Prince Robot IV, un sous-texte pacifiste dans son roman.).

Revenons à la "chute" de la page 5 : Marko et Alana s'embrassent. Ce baiser officialise à la fois leur union amoureuse et leur décision de fuir la guerre. C'est donc la première étape concrète de leur relation qui conduira à la mise au monde de leur fille Hazel - qui est depuis le début de la série la narratrice de l'histoire.

Ainsi elle commente la scène par cette phrase : "Ouais, mon père a toujours su y faire avec les filles" ("Yeah, Dad always had a way with the ladies"). C'est une manière habile et drôle de désamorcer la tension érotique et dramatique de cet instant (et ce qui a suivi). Mais quand on tourne la page et qu'on découvre donc ce qui se passe au présent, l'ironie de cette pensée est encore plus remarquable puisque Marko est réprimandé par sa mère (tandis qu'ils continuent à chercher Izabel) puis qu'on retrouve un peu plus loin Gwendolyn (avec the Will) plus déterminée que jamais à se venger de Marko. Ce dernier a effectivement toujours su y faire avec les filles, pour le meilleur comme pour le pire...

Il faut aussi bien entendu évoquer l'aspect visuel de Saga. Fiona Staples y a imprimé sa marque de façon aussi singulière et percutante que Vaughan avec son scénario depuis le début. L'auteur a laissé de plus en plus de liberté à l'artiste quand il a découvert les trouvailles graphiques dont elle était capable. De fait, la série est un fascinant livre d'images, avec une galerie d'extra-terrestres insensée, souvent répugnants (mais qui, justement, de ce point de vue, teste notre tolérance aux autres par rapport à leur apparence physique), parfois d'une étrange beauté.

The Will est ainsi celui qui ressemble le plus à un humain traditionnel comme la fillette, et Marko, ses parents, Alana ou Gwendolyn ne présentent pas de bizarreries vraiment choquantes (Marko, ses parents, et Gwen ont des cornes sur le front ou les tempes, Alana des ailes semblables à celles des chauves-souris sur les omoplates).

Mais the Lying Cat est une espèce de grand félin ressemblant à un chat pelé égyptien, the Stalk a un corps arachnoïde et quatre paire d'yeux, Oswald Heist est un cyclope, le Prince Robot IV a une télé à la place de la tête (qui diffuse, lorsqu'il est blessé sur un champ de bataille dans une scène onirique en flashback, des images pornographiques - qui ont valu à l'épisode d'être censuré par les diffuseurs numériques de comics !). Sans parler du géant immonde que rencontrent Marko et sa mère en cherchant Izabel (dont l'aspect de spectre rose estropié est également déstabilisant), ou de la planéte-foetus... 

Cette inventivité débridée s'exprime aussi dans la représentation des décors et véhicules : j'ai déjà mentionné le vaisseau de Marko et Alana, qui est en fait un arbre gigantesque et ensorcelé. Dans Saga, vous ne trouverez pas de transports spatiaux classiques inspirés comme souvent par Star Wars, avec une abondance de détails technologiques : Staples détourne tout cela pour aborder ces éléments de manière inattendue, poétique, troublante.

Les décors sont aussi traités avec une approche très originale : l'artiste dessine Saga entièrement avec une palette graphique et assure donc son encrage et sa colorisation elle-même. Parfois, le plus souvent même, elle ne fait que suggérer l'environnement dans lequel évoluent les personnages avec des formes simples, voire sommaires, mais une palette de couleurs variée qui contribue aussi bien à donner un minimum de repères géographiques au lecteur qu'à définir une ambiance. 
Malgré tout, et c'est cela qui est tout de même très fort, on sait toujours où on est, et quand, et comment, et l'atmosphère générée par la colorisation digitale n'est jamais, comme ça peut être le cas avec cette technique, froide, abstraite, désincarnée. Au contraire, les environnements sont très organiques et produits par des textures très sensibles, choisies avec soin.

C'est une sensation étonnante de lire un comic-book avec une telle économie de lignes mais une telle profusion de teintes.

Il est à la fois facile de saisir ce qui rend Saga si agréable à lire (fluidité du récit, caractérisation très crédible des personnages, diversités des actions, couches multiples de la narration) et délicat de rapporter tout ce qui en compose la richesse (c'est une bd en définitive impressionniste, qui se joue du genre abordé - le soap opera cosmique - et des références - Roméo et Juliette, Guerre et Paix, Star Wars).

Mais tout comme ceux qui courent après les deux héros, le plaisir du lecteur n'est-il pas, ici plus qu'ailleurs, de chercher à définir ce qui le charme tant dans cette odyssée si parfaitement rédigée et somptueusement mise en images ?  

mercredi 24 décembre 2014

JOYEUX NOËL !

Amis lecteurs, je vous souhaite un
JOYEUX NOËL !

J'espère que vous serez tous gâtés, et que vous passerez ces fêtes
en bonne compagnie.

mardi 23 décembre 2014

Critique 546 : SEULS, TOME 1 - LA DISPARITION, de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti


SEULS : LA DISPARITION est le premier tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Bruno Gazzotti, publié en 2005 par Dupuis.
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Du jour au lendemain, tous les adultes et adolescents disparaissent de la cité de Fortville, et sans doute du monde entier. 5 enfants, d'âges, d'origines et de conditions différentes, se rencontrent : Dodji, un orphelin noir qui cache ses fêlures sous un air de dur à cuire ; Leïla, une jeune maghrébine douée pour les sciences et la technologie ; Terry, le plus jeune du groupe et fils d'un couple divorcé ; Camille, une blondinette première de la classe mais peu sûre d'elle ; et Yvan, un geek timide.
Ensemble, ils essaient à la fois de survivre face à cette situation extraordinaire  et de comprendre ce qui s'est passé... 
Les héros de SEULS : (de gauche à droite)
Terry, Yvan, Dodji, Camille et Leïla.

Depuis sa création, la série imaginée par Fabien Vehlmann est devenue un petit phénomène d'édition : le scénariste l'a lancé à une période charnière de sa carrière, après diverses difficultés rencontrées sur d'autres projets antérieurs (qui, malgré des qualités évidentes, ne rencontraient pas toujours le succès espéré).

L'argument est à la fois simple, doté d'un fort potentiel et efficacement développé. Les références à une série télé comme Lost sont évidentes et assumées, la situation de départ évoque spontanément celles des rescapés sur leur île déserte mais incapables de comprendre ce qui leur arrive et obligés de s'organiser pour faire face à mille épreuves (de la plus élémentaire - subsister - à la plus complexe - savoir ce qui s'est passé).

Mais Vehlmann ne s'est pas contenté de livrer une sorte de version jeunesse de Lost : son histoire possède une identité forte, une intrigue et des rebondissements accrocheurs, des personnages attachants. Ces derniers évitent les clichés souvent liés à l'enfance telle que représentée dans la bande dessinée, avec des héros naturellement manichéens : ici, nous avons cinq protagonistes aux tempéraments bien campés et très divers, issus de milieux très variés, et réagissant à ce qu'ils rencontrent avec ce qu'il faut de naturel et de ressource.

Il semble que le souci de Vehlmann ait d'abord consisté à écrire d'abord de bons personnages puis ensuite à les confronter à un problème devant lequel ils sont aussi décontenancés que le lecteur : en progressant dans le récit au même rythme que les héros, notre attention est captée et retenue sans problème, au gré de péripéties tour à tour spectaculaires (les animaux échappés du cirque) et ordinaires (conduire une voiture, préparer un repas). Tous ces éléments sont très bien gérés, par un scénariste qui donne le meilleur de lui-même, à l'évidence plus à l'aise dans le cadre de cette histoire qu'il a lui-même bâtie que dans celui de travaux de commande (comme sur la série Spirou et Fantasio, où ses prestations sont plus inégales, comme s'il ne parvenait pas à s'approprier tout à fait ces icônes de la bd belge) : rien de que très normal, même si on peut attendre plus de facilité de la part d'un narrateur aussi expérimenté (malgré son jeune âge, Vehlmann est un auteur très productif, évoluant dans plusieurs registres).

On pourrait presque reprocher le côté "united colors" de ce groupe de jeunes héros si on ne sait pas que Vehlmann et son dessinateur n'avaient pas initialement décidé, par exemple, de faire de Dodji un noir, ce qui donne un relief particulier non seulement au personnage mais aussi à la série (plus que rares sont en effet les bd franco-belges - et même d'ailleurs - avec un premier rôle échappant au gentil petit blanc de type occidental). C'est l'autre force de Seuls que d'imposer ce casting sans que cela paraisse artificiel.

La seconde qualité tient à l'aspect surnaturel, qui n'est jamais surjoué : ce premier épisode tient parfaitement son rôle en étonnant le lecteur face à cette situation mais sans le noyer sous des effets fantastiques spectaculaires. La disparition de tous les adultes suffit amplement à nous accrocher. L'exploitation de ce qui suit est au diapason et Vehlmann sait parfaitement doser les moments d'émotions que traversent ses héros (la détresse, l'incompréhension, la curiosité, la nécessité d'être unis) en ménageant quelques traits d'humour subtils (amenés par le jeune Terry ou par une scène comme celle où Camille et Yvan font cuire du riz).

Bruno Gazzotti est l'autre gagnant de l'entreprise : pour dessiner Seuls, il a choisi d'abandonner une production dont le succès lui assurait un plus grand confort (Soda, écrit par Tome, d'abord mis en images par Warrant, désormais par Dan). Et il a été inspiré de prendre ce risque car il est impeccable.

Non seulement il soigne ses décors (dès les premières pages, la vue d'ensemble sur Fortville est impressionnante, très crédible), aussi bien en ce qui concerne les extérieurs (les rues de la ville, le quartier pavillonnaire, la fontaine, le cirque installé dans le parc, la maison des parents d'Yvan) que les intérieurs (abondants de détails inspirés, comme en témoigne là encore le mobilier de chez Yvan). Il sait aussi représenter les véhicules avec talent (le cabriolet de la mère d'Yvan).

Mais c'est surtout sa manière de visualiser les enfants qui fait mouche : chacun a un physique propre, mémorable et crédible, un habillement réaliste, des attitudes et expressions qui sont justes. Gazzotti sait capter aussi bien la joie qui s'empare du groupe quand il s'amuse dans la fontaine que le découragement qui saisit l'un ou plusieurs de ses membres. 

Le découpage est classique, mais cela n'empêche pas l'artiste de bonifier le script grâce à des vignettes intelligemment disposées et dans lesquelles se glisse une trouvaille plus efficace qu'un dialogue (ainsi lorsqu'on découvre que Dodji a allumé les lampes de certains bureaux dans l'immeuble où travaille le père d'Yvan pour qu'on puisse lire dans la nuit les lettres S-O-S sur la façade).

Voilà une autre série, qui comme le Esteban de Matthieu Bonhomme, est devenu, et c'est mérité, un des fleurons du journal de Spirou : la qualité de son écriture, la maîtrise de ses dessins, l'originalité de son sujet et l'efficacité de son traitement fonctionnent aussi bien sur la cible visée (un lectorat jeune) que pour des amateurs de bonne bande dessinée, quelle que soit leur génération.   

lundi 22 décembre 2014

LUMIERE SUR... LES VARIANT COVERS DE DC COMICS POUR MARS 2015

En Mars prochain, DC Comics proposera des variant covers 
inspirées par des films.
Pour l'occasion, des artistes reconnus et d'autres moins fameux
se sont bien amusés :

 Batgirl façon Purple Rain, par Cliff Chiang.
 Justice League United façon Mars Attacks ! par 
Marco d'Alphonso.
 Supergirl façon Wizard of Oz, par Marco d'Alphonso.
 Batman & Robin façon Harry Potter par
Tommy Lee Edwards.
 Teen Titans façon The Lost Boys par
Alex Garner.
 Superman-Wonder Woman façon Gone with the wind
par Gene Ha.
 Green Lantern façon 2001 : a space odyssey
par Tony Harris.
 Green Lantern Corps façon Forbidden Planet
par Tony Harris.
 Batman-Superman façon The Fugitive
par Tony Harris.
 Aquaman façon Free Willy par
Richard Horie.
 Batman façon The Mask par Dave Johnson.
 Catwoman façon Bullitt par Dave Johnson.
 Harley Quinn façon Jailhouse Rock par Dave Johnson.
 Sinestro façon Westworld par Dave Johnson.
 Superman façon Superfly par Dave Johnson.
 Justice League façon Magic Mike par
Emanuela Lupacchino.
 Justice League Dark façon Beetlejuice par
Joe Quinones.
 Action Comics façon Bill & Ted's Excellent Adventures
par Joe Quinones
 Grayson façon Enter The Dragon par
Bill Sienkiewicz.
 The Flash façon North by northwest par
Bill Sienkiewicz.
 Wonder Woman façon 300 par
Bill Sienkiwicz.
Detective Comics façon Matrix par
Brian Stelfreeze.

Vous, je ne sais pas, mais, pour ma part, les images de 
Joe Quinones, Bill Sienkiewicz et surtout Dave Johnson m'ont bluffé.

Critique 545 : ESTEBAN, TOME 1 - LE BALEINIER, de Matthieu Bonhomme


ESTEBAN : LE BALEINIER est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Matthieu Bonhomme, d'abord publié aux Editions Milan en 2004 (sous le titre Le Voyage d'Esteban) puis repris par Dupuis
(Lors de sa reprise par Dupuis, qui édite la série depuis le tome 3, ce premier tome a été enrichi de six pages fournissant un prologue, qui permet d'éclaircir la situation initiale du héros.)

Esteban est un jeune indien de 12 ans qui veut se faire engager comme harponneur sur le Leviathan, baleinier voguant au large du Cap Horn. Sa détermination force le respect du capitaine de ce vaisseau, qui connaissait également sa mère, Suzanna, de la tribu de Tehuelches, morte douze jours auparavant. 
Une fois à bord, il est assigné aux corvées et rudoyé par quelques membres de l'équipage jusqu'à ce que le capitaine l'autorise à les accompagner lors d'une sortie quand un cétacé apparaît. Il s'en sort bien et gagne l'estime du bord.
Bientôt il découvre que le capitaine fait de la chasse un véritable affrontement mystique et quand une nouvelle baleine se présente, ce face-à-face avec ce colosse de mers est tout prés de tourner au drame...

Quand Matthieu Bonhomme se lance dans la réalisation du Voyage d'Esteban, il l'entreprend d'abord comme un one-shot, un récit complet, sans doute parce qu'il est encore engagé pour dessiner la série Le Marquis d'Anaon (écrite par Fabien Vehlmann). La genèse de l'oeuvre sera d'ailleurs compliquée par sa publication aux Editions Milan d'abord, ce premier épisode sort en comptant seulement 40 pages. Il faudra attendre le tome 3 pour que Dupuis accueille la série, et à cette occasion, l'auteur ajoutera au premier opus six planches pour un prologue permettant de préciser la situation de son héros avant qu'il ne postule comme harponneur sur le Léviathan (on y découvre dans quelles circonstances sa mère trouve la mort douze jours plus tôt).

Depuis, Le Voyage d'Esteban est devenu Esteban tout court et a conquis un lectorat fidèle, faisant du titre une des séries les plus appréciées de "Spirou", et de Matthieu Bonhomme un scénariste et dessinateur jouissant d'une belle côte (grâce à sa collaboration avec Vehlmann sur Le Marquis d'Anaon - série terminée - , Gwen de Bonneval - les trois tomes de Messire Guillaume réunis dans une superbe Intégrale, L'Esprit Perdu, dont j'ai parlé ici - ou avec Lewis Trondheim - pour le jubilatoire Texas Cowboys, deux tomes parus à ce jour, également chroniqués ici).

Il n'est pas étonnant que Bonhomme ait finalement développé son histoire (qui compte désormais un cycle entier de 5 tomes, réunis dernièrement dans une Intégrale somptueuse en noir et blanc avec le sous-titre Aventures Polaires) car l'intrigue possédait un fort potentiel et ce premier épisode se concluait de manière très ouverte.

On y découvre à travers les yeux de ce jeune adolescent indien un environnement rude, un métier original mais difficile, les conditions de vie à bord d'un baleinier. Le dépaysement est garanti et correspond aux classiques du récit d'aventures. 

Bonhomme soigne les détails et caractérise avec force chacun de ses personnages, des premiers rôles (Esteban et le capitaine) et des seconds couteaux (des marins aux motivations diverses et aux relations variées avec le héros). On échappe aux clichés pour découvrir des hommes soudés autour de leur chef, exerçant leur boulot avec un respect profond des traditions (comme en témoigne leur hostilité quand ils voient s'approcher un bateau à vapeur, symbole d'une pêche plus industrielle).

Le scénario laisse aussi planer le doute sur le passé de chacun et en joue avec malice (le capitaine est-il le père d'Esteban ? Un ancien amant de sa mère ? Des membres de l'équipage sont-ils d'ex-criminels ?), ce qui entretient une tension captivante.

Visuellement, c'est une très belle bande dessinée, qui prouve que Bonhomme est artiste de tout premier rang. Son encrage est magnifique, laissant la plupart du temps la trace des crayonnés au lieu de le nettoyer, ce qui donne une texture unique aux images.

La finesse du trait permet d'apprécier la diversité des physiques, qu'il s'agisse de marins aux visages marqués (comme le capitaine et son oeil droit barré d'une cicatrice) ou de la figure juvénile d'Esteban (dont les origines indiennes sont représentées avec une nuance remarquable).

Comme toujours avec Bonhomme, les décors sont également fabuleusement représentés, qu'il s'agisse de montrer la mer démontée, le pont du Léviathan ou les intérieurs du bateau avec son dortoir, sa salle à manger, sa cuisine. On s'y croirait.

Les ambiances sont soulignées par la colorisation sobre mais toujours juste de Delphine Chedru, qui en utilisant une palette réduite en tire le meilleur parti (des gammes de gris, bleus, marrons en majorité). On a l'impression d'avoir affaire à des gravures anciennes alternant avec des séquences d'action qui échappent à une surcharge d'effets chromatiques. 

Une fois arrivé au terme de cette première aventure, on en veut encore : quelle meilleur exemple pour prouver la qualité d'un projet ?

dimanche 21 décembre 2014

Critique 544 : SPIROU N° 4001-4002 (17 Décembre 2014)

 

C'est encore une fois un numéro double cette semaine pour fêter Noël : l'occasion de revenir sur le "bug" du n° 4000, de nouvelles réjouissances et de reprendre le cours normal de certaines séries.

Avant d'explorer le contenu de ce numéro, faisons le point sur les deux titres à suivre :

- Une aventure de Spirou et Fantasio : La grosse tête (4/9). Après l'échec de son livre, Fantasio retrouve le moral grâce au succès de son adaptation cinématographique. Avec Spirou, il part se mettre au vert chez le comte de Champignac. Mais un dîner mitonné avec quelques champignons spéciaux va révéler des tensions entre les amis...
Makyo et Toldac soulignent dans ce nouvel épisode les conséquences de l'entreprise de Fantasio : il y a de la jalousie dans l'air entre le reporter et son ami groom, et le comte de Champignac n'est pas épargné. Le récit rebondit de manière jubilatoire (la rivalité possible entre les héros n'ayant été que rarement exploitée, aussi bien dans la série régulière que les hors séries). Jusqu'à présent, en tout cas, cette histoire est un vrai plaisir à lire.
Les dessins de Téhem conservent, eux, cette capacité à renouveler l'aspect des personnages tout en insufflant un dynamisme à la narration.

- Benoît Brisefer : Le gorille blanc (1/9). Monsieur Dussiflard, le chauffeur de taxi, a gagné un voyage au Mulundi et offre à Benoît de l'accompagner. Lors du trajet en avion, ils croisent tonton Placide qui se rend également dans ce pays pour y assurer la sécurité du président en visite d'Etat. Mais une fois sur place, les choses se gâtent pour nos deux touristes...
La revue nous propose la relecture du tome 14 de Benoît Brisefer, une des créations emblématiques du génial Peyo (mais qu'il avait rapidement abandonné pour se consacrer à Johan et Pirlouit puis Les Schtroumpfs). C'est le fils de Peyo, Thierry Culliford, avec Luc Parthoens qui sont aux commandes du scénario avec un premier épisode qui est déjà très entraînant.
Les dessins de Pascal Garray s'inscrivent dans la ligne de ceux de Peyo puis de Wasterlain : à défaut d'être très personnel donc, le résultat est tout de même très abouti, élégant et rétro.

Pour le reste du programme, j'ai aimé :

- Le royaume.  Benoît Féroumont poursuit son gag hilarant sur la famille royale de Belgique en revenant à l'époque de sa série : 2 planches très efficaces, dans lesquelles on savoure le style si expressif de cet excellent auteur.

- Dans les coulisses du n° 4000. Munuera nous apprend dans quelles circonstances sa fille a terminé le gag du n° précédent.
- Les Campbell : Révélations et mensonges. Le même Munuera nous propose aussi un nouvel épisode inédit de sa série de pirates, où il revient sur la révélation de la véritable identité du terrible Morgan : ceux qui apprécient le trait si délié et énergique de l'artiste seront conquis.

- Le Choc. Guillaume Bouzard nous explique, lui aussi, comment il a pu écrire et dessiner Les tuniques bleues dans le n° 4000 : c'est marrant, au point qu'on souhaiterait vraiment qu'il remplace Cauvin et Lambil au moins une autre fois, sur la durée d'une histoire complète.

- Marzi. Marzena Sowa et Sylvain Savoia avait osé détourner leur héroïne avec audace dans le précédent n°. Ils nous la ramènent, telle qu'en elle-même, très attachante, pour évoquer Noël. Cette bd a un charme fou.

- Choc. Si vous aviez cru que Colman et Maltaite avaient vraiment démasqué le célèbre adversaire de Tif et Tondu la semaine dernière, c'était bien mal les connaître : une page réjouissante et superbement dessinée.

- Minions. Didier Ah-Koon et Renaud Collin avaient, eux, envoyé un de leurs minions dans la préhistoire : il est temps de le rendre au présent avec cette page savoureuse, merveille d'humour décalé (et sans parole).

- Animal lecteur. Le titre de Salma et Libon a droit à 2 pages et comme toujours livre une réflexion douce-amère sur le métier de libraire : mine de rien, ces récits, qui peuvent passer facilement inaperçus à cause de leur situation (une colonne à côté du sommaire chaque semaine), sont très bien vus.

- Les poissards. Deux nigauds nordiques sont obligés de se carapater après avoir accidentellement blessé leur chef : le trop rare mais formidable Thierry Martin nous offre 4 pages excellentes, très drôles, dont l'action sautillante et le dénouement sont un vrai bijou.

- Opération Noël. la revue a toujours été attachée aux contes de Noël (on en trouve un, rare, par Franquin, dans le Méga Spirou qui vient de sortir ces jours-ci), et cette année, ce sont Maïa Mazaurette et l'illustrateur Florent Sacré qui s'y collent : très beau, touchant. Mission réussie.

- Dans la hotte des ménagères. Isa ironise, avec beaucoup d'à-propos et de mordant, sur le sexisme des cadeaux de Noël : son récit de 3 pages est délectable (avec un clin d'oeil aux prix Nobel récemment décernés).

- La magie de Noël. Sti et Denis Goulet se penchent sur le sort de deux lutins qui ont agressé Oui-Oui et braqué une banque ! 4 planches très marrantes, avec une morale implacable.

- Rob. Le robot incite Clutch à dégoter un job, même pour les fêtes. Une fois la chose faite, il va cependant le regretter. James et Boris Mirroir sont toujours aussi inspirés avec leur série qui est devenue une de mes préférées de la revue.

- Viu. Ruben Del Rincon (lui aussi trop rare) nous gratifie d'une superbe histoire, en 5 pages, visiblement autobiographique : je défie quiconque de ne pas être à la fois ému et le sourire aux lèvres à la fin.

- Billy Brouillard. Guillaume Bianco, en pause de Zizi chauve-souris, en profite pour ramener son propre héros, un gamin qui rêve d'un cadeau bien spécial. Décidément, j'aime beaucoup ce que fait cet auteur, qui sait traiter des enfants en évitant toute mièvrerie.

- L'Atelier Mastodonte. Obion continue de draguer Mathilde Domecq, qui en profite avec une réjouissante malice. Alfred, lui, continue de se chercher et sombre bel et bien dans la crise existentielle. Encore un sans-faute pour ce titre unique en son genre.

- Tash et Trash. Dino, toujours en forme, nous sert un strip jubilatoire. / Capitaine Anchois. Floris n'est pas en reste avec sa bande de pirates crétins.

- Dad. Et comme d'habitude, Nob ferme le ban avec un nouveau magnifique gag de son héros. Il nous gâte au-delà du possible, signant aussi la somptueuse couverture du n° (voir ci-dessous la version complète et non lettrée). 

En direct de la rédak revient sur les "égarements" de quelques auteurs dans le précédent numéro, et Jérôme Jouvray (un des membres de L'atelier Mastodonte) explique la règle des 180° (mais tous ses collègues ne sont pas d'accord...).
Les aventures d'un journal revient, pour sa part, sur les efforts de Franquin quand il s'agissait d'honorer Noël pour la revue (certains découvriront là une planche rare du Nid des Marsupilamis), alors même que les fêtes religieuses étaient loin de le passionner.

Un bien beau numéro. 

mardi 16 décembre 2014

Critique 543 : MON DERNIER AU VIÊTNAM (MEMOIRES), de Will Eisner


MON DERNIER JOUR AU VIÊTNAM (MEMOIRES) est un recueil de 6 histoires courtes écrites et dessinées par Will Eisner, publié à l'origine en 2000 par Dark Horse Comics et traduit en France par Delcourt en 2001.
*
"Regardez-moi ce paysage ? C'est joli, hein ?
Même si on est en train de la saccager !"
(Extrait de l'histoire Mon Dernier jour 
au Viêtnam.)

- 1/ Mon Dernier Jour au Viêtnam (27 pages). Un major de l'armée américaine au Viêtnam escorte pendant une journée un reporter sur le terrain, à bord d'un hélicoptère. Ils survolent la jungle puis atterrissent dans un camp militaire qui est bientôt attaqué par les Viêt-congs. Le major voit alors sa fin proche mais le journaliste l'entraîne à bord de l'hélico avec lequel ils repartent contre les ordres.

- 2/ La Périphérie (4 pages). A Saïgon, un jeune viêtnamien ironise en commentant les discussions des journalistes de guerre à la terrasse ensoleillée d'un café.

- 3/ Le Blessé (6 pages). Un soldat se remémore en buvant un verre comment il a perdu sa main gauche après avoir couché avec une prostituée viêtnamienne qui a, avant de partir, glissé une grenade dégoupillée sous leur lit.

- 4/ Jour d'ennui en Corée (6 pages). Un soldat est frustré par le manque d'action et se souvient des parties de chasse avec son père, qui ne l'estimait pourtant pas. Il repère alors dans un champ voisin une vieille coréenne qu'il décide de tuer.

- 5/ La Corvée (4 pages). Un fusilier est affecté, à son grand dam, à la maintenance. Malgré sa colère et son envie de se battre, il rend visite chaque soir à des orphelins coréens.

- 6/ Un Coeur Violet pour George (10 pages). Chaque soir, George se soûle et tape sur la machine à écrire du chef sa demande d'affectation pour aller en zone de combat. Deux de ses amis, qui tiennent à lui et ne veulent pas qu'il se fasse tuer, déchirent chaque matin la lettre avant l'arrivée de leur supérieur. Quand ils confient cette mission à Hal, celui-ci l'oublie à cause de son départ en permission. Ils apprennent ensuite que George est mort au front.

C'est une nouvelle fois à une oeuvre tardive de Will Eisner que je me suis attachée avec la lecture de Mon dernier jour au Viêtnam, réalisée en 2000 alors qu'il avait 83 ans (!). Si la valeur n'attend pas le nombre des années, elle ne dissipe pas non plus avec le grand âge comme le prouve ce recueil de nouvelles inspirées par les propres souvenirs ou la relation d'anecdotes glanées par l'auteur.

Comparé à des romans graphiques comme Dropsie Avenue ou La Valse des alliances, cet album est plus modeste par son sombre de pages ("à peine" plus de 70 quand même), mais le génie narratif d'Eisner y est encore éclatant. 

Dans la préface qu'il signe, l'auteur nous explique avoir effectué son service militaire en 1942 à Aberdeen, dans le Maryland. Comme tous ses camarades appelés sous les drapeaux à cette époque, il n'aspirait qu'à rester en Amérique et en vie. Il a eu cette chance car il a travaillé au journal du camp puis à la maintenance préventive (en dessinant des pages sur les problèmes matériels et leur résolution). En 1950 débute la guerre de Corée et Eisner anime à nouveau le journal pour lequel il oeuvrait huit ans auparavant, "Army Motors" sous contrat civil, puis il crée "PS Magazine", dont il s'occupera jusqu'en 1972. En 54, il visite Séoul pour "PS Magazine" : un an avant, l'armistice a été signée entre la Corée du Sud et les Nations Unies, et l'armée américaine enseigne la maintenance préventive aux sud-coréens. Puis en 1967, Eisner se déplace jusqu'au Viêtnam en se posant à Saïgon : un an plus tard, l'attaque du Têt annoncera le début de la fin pour l'armée américaine.

Ces faits résument parfaitement ce qui va inspirer à Eisner les 6 histoires de cet album : certaines ont été imaginées à partir de témoignages de soldats, la dernière a été vécue directement par l'auteur lui-même (il a choisi de la raconter car elle l'a hantée comme tous les autres protagonistes du drame).

Ce qui frappe ici, c'est finalement l'extrême simplicité avec laquelle Eisner s'empare du thème de la guerre et de ses conséquences sur les hommes qui la font, il ne parle pas des généraux ou des politiques qui décident des stratégies de combat, mais bien de tous ceux qui sont sur le terrain, parfois en première ligne, parfois dans des bases plus reculées, chacun traversant cette période étrange où on souhaite gagner la guerre tout en n'y perdant pas la vie (même si quelques-uns en reviendront moralement brisés ou physiquement mutilés).

Eisner s'attache à un personnage à chaque fois, dans une situation précise : le major dont c'est le dernier jour sur place et qui fanfaronne avant de s'effondrer parce qu'il croit son heure venue, un gamin qui observe les échanges des correspondants de guerre dont l'un a subi une terrible perte, un soldat piégé par les belles asiatiques et incapable d'en retenir la leçon, un autre qui n'aspire qu'à faire un carton contre une innocente paysanne parce qu'il s'ennuie, celui-là encore qui ronge son frein tout en s'étant attaché à des orphelins, ou ce dernier qui sera victime d'une effroyable malchance et de son alcoolisme. 
L'auteur nous parle d'eux à hauteur d'hommes, sans les juger, mais en montrant lucidement que ses personnages subissent tous la guerre d'une manière ou d'une autre, les uns en souhaitant s'en éloigner, les autres en voulant y participer sans mesurer le danger ou pour libérer leur instinct meurtrier ou revanchard. Cette approche donne aux récits une perspective troublante mais surtout procure une émotion souvent poignante (en particulier dans La périphérie et Un Coeur violet pour George).

Au sujet de la dernière histoire du recueil, elle possède une force particulière, qui la distingue des autres en cela qu'Eisner en a été un des acteurs : on ressent l'impérieuse nécessité qu'il a eu de la raconter, comme un témoignage, et le dénouement vous serre le coeur par sa cruauté et son absurdité.

Visuellement, comme toujours chez Eisner, l'image est si intimement liée au propos qu'il est impossible de la considérer comme une partie distincte, c'est un prolongement qui bonifie le script, qui continue la narration. Et cet album offre quelques exemples de l'extraordinaire qualité du dessinateur dans l'expresssion de l'art séquentiel.

Will Eisner se passe de cases et compose des planches constituées de plans sur les personnages, sans jamais se servir de la plongée ou de la contre-plongée dans les angles de vue, en privilégiant aussi les plans en pied (avec le personnage représenté entièrement) ou les plans moyens (avec le personnage en buste ou jusqu'à la taille). L'absence de cadres et la distance avec le protagoniste procurent un rapport juste avec ce qui lui arrive, ce à quoi il pense, ce qu'il dit, et dans ce dernier cas de figure, la règle du "4ème mur" est allègrement brisée, quand l' "acteur" s'adresse directement au spectateur/lecteur, face à l'image. Ce procédé de métafiction en dit long sur la liberté et la maîtrise d'Eisner avec son média (comme en témoigne la première histoire, avec le major).

Tout aussi bluffant est le 3ème récit (Le blessé), sans parole, mais tellement éloquent : l'artiste fait tout passer, en à peine 6 planches, sans avoir besoin de mots. On saisit la fatigue, la douleur, la colère, le ressentiment, le dépit, le pardon, le retour à la vie de ce soldat trahi par une prostituée. C'est une métaphore brillante sur le conflit mené par l'Amérique en Asie, une Amérique trop sûre d'elle et qui se cassera les dents face à un adversaire mésestimé mais plus astucieux, ou aussi cruel - pensée synthétisée dans une partie du monologue du major de la première histoire qui fait admirer le paysage à son passager tout en faisant remarquer que l'armée le saccage.

C'est tout bonnement magistral : Will Eisner réussit le tour de force de tirer une morale sans jamais faire la morale. En grand humaniste avant tout, il dresse de la guerre des portraits d'hommes bouleversants, avec une subtilité narrative et une adresse visuelle qui ne cessent d'éblouir.  

lundi 15 décembre 2014

Critique 542 : WONDER WOMAN, VOLUME 1 - BLOOD, de Brian Azzarello, Cliff Chiang et Tony Akins


WONDER WOMAN : BLOOD rassemble les épisodes 1 à 6 de la série, écrits par Brian Azzarello et dessinés par Cliff Chiang (#1-4) et Tony Akins (#5-6), publiés en 2011 par DC Comics.
Cette nouvelle série s'inscrit dans le reboot des titres édités par DC Comics sous le nom de "New 52", conçu pour permettre aux lecteurs un nouvel accès aux séries.
*

Dans la région de la Virginie, une femme avec un manteau de plumes de paon tue un cheval avec une faux : des entrailles de l'animal sont extraits deux centaures. Ces créatures attaquent la ferme voisine où un homme aux chevilles, le dieu Hermès, conseille à Zola, une jeune femme enceinte, de fuir. Grâce à la clef qu'il lui tend, elle est téléportée à Londres dans la chambre à coucher de Diana alias Wonder Woman. Elle se réveille et repart aider Hermès contre les centaure, une autre jeune femme. Cette dernière revêt son habit de Wonder Woman et repart grâce à la clef et avec Zola pour combattre les centaures. C'est le début d'un imbroglio dont l'enfant qu'attend Zola est l'enjeu : il est en effet l'héritier de Zeus, le père des dieux, dont le panthéon et sans nouvelles, ce qui va attiser les convoitises pour le remplacer...

Dans le cadre de l'opération dite "New 52", DC Comics a opéré une refonte en profondeur de la quasi-totalité de ses séries à la suite de la mini-série événementielle Flashpoint, écrite par Geoff Johns. 
C'est au scénariste Brian Azzarello qu'est revenu la mission de réécrire le personnage de Wonder Woman en repartant de zéro et le moins qu'on puisse dire est qu'il a proposé une version audacieuse de cette héroïne. 

D'abord, il faut souligner l'efficacité de l'histoire : elle se lit vite mais possède une réelle densité, ce qui procure au lecteur le sentiment d'avoir affaire à un projet bien élaboré, bâti sur des fondations solides, avec un vrai point de vue. 

Ensuite, Azzarello inclut dans sa narration des effets inattendus, en particulier horrifiques, ce qui donne un aspect proche des comics indépendants à cette production "mainstream". Pourtant, par la grâce des graphismes successifs de Cliff Chiang (# 1-4) et Tony Akins (# 5-6), cela ne sombre jamais dans une représentation complaisante de la violence et de ses détails sanguinolents : il en résulte même une étrange poésie. Ces deux artistes possèdent en effet un style plutôt réaliste mais avec une simplicité dans le trait qui ôte aux images toute vulgarité, ainsi dessinées ces compositions sont plus facilement visibles, tolérables, échappant aux simples clichés du "gore".

Enfin, Azzarello prend soin de distiller les révélations sur Diana d'épisode en épisode, de manière fluide, parfaitement assimilable. Tout est inscrit dans l'action, on ne s'arrête pas pour assister à l'exposition des psychologies et des origines des protagonistes, tout est intégré : le lecteur découvre donc progressivement qui est qui, d'où il vient, son rôle dans une intrigue construite pour le long terme. 
Le scénario reste cependant fidèle aux bases de son héroïne mais en les redéfinissant subtilement : on retrouve donc la communauté des amazones sur une île isolée mais liée au panthéon des dieux grecs. C'est l'apport essentiel d'Azzarello à la série.

Pour appuyer cette originalité, Cliff Chiang a aussi réalisé les designs de ces dieux en leur donnant des apparences très originales, ce qui éloigne là aussi le titre des standards esthétiques des récits super-héroïques. 

Tout cela apporte à la série une tonalité unique, qui la démarque de sa précédente version (initiée par George Pérez) et du tout-venant des comics publiés par DC ou Marvel

Comme relevé plus haut, la prestation de Cliff Chiang compte considérablement dans la singularité de cette nouvelle version, en faisant une des plus atypiques de tout le "reboot" de l'éditeur. 
Par exemple, il a opté pour une Wonder Woman au look très étudié, en conservant des aspects familiers (et certainement imposés par DC) comme le maillot de bain une-pièce ou les étoiles sur la culotte et l'aigle stylisé du bustier. Mais il lui a rajouté des bottes à talons hauts, légèrement augmenté la taille de ses bracelets, plus un collier et un bracelet au biceps gauche. 
Il dote Diana d'une morphologie  athlétique mais qui n'en fait pas une simili-top model trop sexy, aux formes trop suggestives. Tout cela aboutit à une héroïne plus crédible qu'à l'accoutumée, plus sérieuse, plus grave. 

Ses pages sont simplement découpées, avec parfois quelques audaces (comme la double-page ci-dessus). Tony Akins reste dans cette ligne, même si son trait n'a pas la même élégance que Chiang (mais la série est obligée de recourir à un "fill-in artist" car le titulaire du poste ne peut assurer une cadence mensuelle).

De l'autre côté, Azzarello a évité tout le prêchi-prêcha pacifiste associé à l'héroïne, préférant en donner une interprétation nettement plus offensive, à la fois dans la confrontation physique mais aussi dans le tempérament.

Brian Azzarello et Cliff Chiang ont procédé à un lifting courageux et tonique du personnage en n'en conservant que le strict nécessaire. Pour le reste, le fan de longue date comme le nouveau venu auront tout le loisir d'apprécier ce regard neuf sur une héroïne qui a rarement été traitée avec autant de vigueur.