lundi 22 décembre 2014

Critique 545 : ESTEBAN, TOME 1 - LE BALEINIER, de Matthieu Bonhomme


ESTEBAN : LE BALEINIER est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Matthieu Bonhomme, d'abord publié aux Editions Milan en 2004 (sous le titre Le Voyage d'Esteban) puis repris par Dupuis
(Lors de sa reprise par Dupuis, qui édite la série depuis le tome 3, ce premier tome a été enrichi de six pages fournissant un prologue, qui permet d'éclaircir la situation initiale du héros.)

Esteban est un jeune indien de 12 ans qui veut se faire engager comme harponneur sur le Leviathan, baleinier voguant au large du Cap Horn. Sa détermination force le respect du capitaine de ce vaisseau, qui connaissait également sa mère, Suzanna, de la tribu de Tehuelches, morte douze jours auparavant. 
Une fois à bord, il est assigné aux corvées et rudoyé par quelques membres de l'équipage jusqu'à ce que le capitaine l'autorise à les accompagner lors d'une sortie quand un cétacé apparaît. Il s'en sort bien et gagne l'estime du bord.
Bientôt il découvre que le capitaine fait de la chasse un véritable affrontement mystique et quand une nouvelle baleine se présente, ce face-à-face avec ce colosse de mers est tout prés de tourner au drame...

Quand Matthieu Bonhomme se lance dans la réalisation du Voyage d'Esteban, il l'entreprend d'abord comme un one-shot, un récit complet, sans doute parce qu'il est encore engagé pour dessiner la série Le Marquis d'Anaon (écrite par Fabien Vehlmann). La genèse de l'oeuvre sera d'ailleurs compliquée par sa publication aux Editions Milan d'abord, ce premier épisode sort en comptant seulement 40 pages. Il faudra attendre le tome 3 pour que Dupuis accueille la série, et à cette occasion, l'auteur ajoutera au premier opus six planches pour un prologue permettant de préciser la situation de son héros avant qu'il ne postule comme harponneur sur le Léviathan (on y découvre dans quelles circonstances sa mère trouve la mort douze jours plus tôt).

Depuis, Le Voyage d'Esteban est devenu Esteban tout court et a conquis un lectorat fidèle, faisant du titre une des séries les plus appréciées de "Spirou", et de Matthieu Bonhomme un scénariste et dessinateur jouissant d'une belle côte (grâce à sa collaboration avec Vehlmann sur Le Marquis d'Anaon - série terminée - , Gwen de Bonneval - les trois tomes de Messire Guillaume réunis dans une superbe Intégrale, L'Esprit Perdu, dont j'ai parlé ici - ou avec Lewis Trondheim - pour le jubilatoire Texas Cowboys, deux tomes parus à ce jour, également chroniqués ici).

Il n'est pas étonnant que Bonhomme ait finalement développé son histoire (qui compte désormais un cycle entier de 5 tomes, réunis dernièrement dans une Intégrale somptueuse en noir et blanc avec le sous-titre Aventures Polaires) car l'intrigue possédait un fort potentiel et ce premier épisode se concluait de manière très ouverte.

On y découvre à travers les yeux de ce jeune adolescent indien un environnement rude, un métier original mais difficile, les conditions de vie à bord d'un baleinier. Le dépaysement est garanti et correspond aux classiques du récit d'aventures. 

Bonhomme soigne les détails et caractérise avec force chacun de ses personnages, des premiers rôles (Esteban et le capitaine) et des seconds couteaux (des marins aux motivations diverses et aux relations variées avec le héros). On échappe aux clichés pour découvrir des hommes soudés autour de leur chef, exerçant leur boulot avec un respect profond des traditions (comme en témoigne leur hostilité quand ils voient s'approcher un bateau à vapeur, symbole d'une pêche plus industrielle).

Le scénario laisse aussi planer le doute sur le passé de chacun et en joue avec malice (le capitaine est-il le père d'Esteban ? Un ancien amant de sa mère ? Des membres de l'équipage sont-ils d'ex-criminels ?), ce qui entretient une tension captivante.

Visuellement, c'est une très belle bande dessinée, qui prouve que Bonhomme est artiste de tout premier rang. Son encrage est magnifique, laissant la plupart du temps la trace des crayonnés au lieu de le nettoyer, ce qui donne une texture unique aux images.

La finesse du trait permet d'apprécier la diversité des physiques, qu'il s'agisse de marins aux visages marqués (comme le capitaine et son oeil droit barré d'une cicatrice) ou de la figure juvénile d'Esteban (dont les origines indiennes sont représentées avec une nuance remarquable).

Comme toujours avec Bonhomme, les décors sont également fabuleusement représentés, qu'il s'agisse de montrer la mer démontée, le pont du Léviathan ou les intérieurs du bateau avec son dortoir, sa salle à manger, sa cuisine. On s'y croirait.

Les ambiances sont soulignées par la colorisation sobre mais toujours juste de Delphine Chedru, qui en utilisant une palette réduite en tire le meilleur parti (des gammes de gris, bleus, marrons en majorité). On a l'impression d'avoir affaire à des gravures anciennes alternant avec des séquences d'action qui échappent à une surcharge d'effets chromatiques. 

Une fois arrivé au terme de cette première aventure, on en veut encore : quelle meilleur exemple pour prouver la qualité d'un projet ?

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