mercredi 24 février 2010

Critique 132 : GOTHAM CENTRAL - IN THE LINE OF DUTY, d'Ed Brubaker, Greg Rucka et Michael Lark


Gotham Central est une série policière publiée par DC Comics, écrite par Ed Brubaker et Greg Rucka et dessinée par Michael Lark.
Les histoires se focalisent sur le département de la police de Gotham city et les difficultés professionnelles (mais aussi personnelles) de ses officiers qui travaillent dans l'ombre du justicier Batman. La question centrale de cette oeuvre est : Batman sécurise-t-il la ville ou provoque-t-il l'émergence de la criminalité ?
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Greg Rucka et Ed Brubaker ont entamé leur collaboration sur Officer Down, un crossover impliquant les titres Batman. A la suite de cela, ils ont voulu développer une série dont le sujet serait le fonctionnement de la police à Gotham City et ce projet obtint l'aval des décideurs de DC.
Les deux auteurs imposèrent également Michael Lark comme artiste sur la série (et attendirent un an pour cela, le temps qu'il honore de précédents engagements - temps mis à profit pour élaborer le projet).
Brubaker et Rucka conçurent ensemble les éléments principaux du titre et écrivirent le premier récit, puis par la suite se partagèrent la rédaction : Rucka s'occupa des histoires du GCPD se déroulant en journée, Brubaker de celles se passant la nuit.
Gotham Central fut nominé dès le début pour de nombreuses récompenses aux Eisner awards en 2003 (Meilleure Nouvelle Série, Meilleurs Auteurs, Meilleur Dessinateur et Encreur).
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Le casting abondant de la série a été parfaitement répertorié par Wikipédia, comme en atteste ce lien Gotham City Police Department.
On distingue deux catégories de personnages, constituées des policiers travaillant la nuit et le jour, et chaque intrigue permet à chacune de ces équipes d'être mise en avant alternativement : ainsi fait-on connaissance avec les détectives Marcus Driver, Romy Chandler, Renee Montoya, Crispus Allen ou Josephine "Josie Mac" MacDonald ; leurs superieurs, le commissaire Michael Akins, le capitaine Margaret "Maggie" Sawyer et le lieutenant Ron Probson. A la fin de la série apparaîtra aussi l'agent corrompu Jim Corrigan (le Spectre de la JSA).
Des seconds rôles interviennent également et font même, pour certains, l'objet d'une histoire : des figures de Bat-verse apparaissent ainsi comme James Gordon et Harvey Bullock et Batman lui-même, quoique n'apparaissant que fugacement, joue un rôle proéminent dans de nombreux épisodes.
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Dans ce premier volume en hardcover sont réunis les 11 premiers épisodes, formant trois récits :
- In The Line of Duty (Gotham Central #1-2) est co-écrit par Ed Brubaker & Greg Rucka et dessiné et encré par Michael Lark.
Charlie Fields, le partenaire du détective Marcus Driver, est tué par Mr Freeze alors que les deux hommes enquêtaient sur une affaire de kidnapping. Ce drame permettra à la MCU (Major Crimes Unit) de déjouer une tentative d'attentat par Freeze.
- Motive (Gotham Central #3-5) est écrit par Ed Brubaker et dessiné et encré par Michael Lark.
La MCU reprend un dossier non résolu par feu le détective Charlie Fields qui va révèler un lien entre le meurtre d'une adolescente et les braquages incendiaires du pyromane Firebug.
- Half a Life (Gotham Central #6-10) est écrit par Greg Rucka et dessiné et encré par Michael Lark.
La détective Renee Montoya voit son homosexualité dévoilée contre son gré dans le commissariat : cet évènement est le premier d'une série qui va bouleverser son existence professionnelle et privée, la conduisant jusqu'en prison. C'est le maniaque Two-Face, tombé amoureux de la jeune femme, qu'il finit par kidnapper, qui se cache derrière ces manigances.Ce story-arc, peut-être le plus fameux de la série, a valu de nombreuses récompenses à son équipe créative.
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Comme ces résumés le racontent, après des années passées dans l'ombre de Batman, le Gotham City police department est sous les feux des projecteurs dans ce livre, qui est une réussite totale sur tous les plans.
Brubaker et Rucka donnent vie et chair à cette galerie de seconds rôles, nous les rendant familiers et attachants au cours d'aventures où l'on en apprend autant sur leur métier, leur relation avec Batman, que sur leur vie privée : immédiatement, on est pris d'affection pour ces héros ordinaires dans des circonstances extraordinaires que sont Renee Montoya, Crispus Allen, Nate Patton ou Romy Chandler.
Gotham Central est un curieux mais passionnannt mélange des genres : c'est à la fois une authentique série policière mais sur laquelle, constamment, plâne l'influence de Batman. Et cette influence est si forte qu'elle devient presque la clé de voûte de la série puisque les policiers s'interrogent sur la manière de résoudre leurs affaires sans faire appel au justicier. In the Line of Duty explore cette fracture relationnelle entre la police et Batman mais ce dernier est à la fois pratiquement hors champ et pourtant omniprésent, il hante littéralement la série et ses héros.
Les deux premières pages donnent le ton de toute l'entreprise puisqu'on assiste au duel ente deux inspecteurs et un super-vilain, affrontement aussi expéditif que terriblement révèlateur sur l'inégalité des forces en présence. Qu'apprend-ton ? Que d'un côté il y a de simples hommes et de l'autre des détraqués capables de les tuer sans qu'ils soient correctement équipés pour répliquer.
La mort en service de l'un d'eux va faire prendre conscience aux flics de la MCU qu'ils ont abandonné la sécurité de la ville à Batman. Les citoyens et les policiers de Gotham dépendent de Batman et comptent sur lui pour faire le boulot qu'ils sont sensés faire : cette prise de conscience va les obliger à une profonde remise en question et influencer chacun d'eux de manière différente.
Cette tension entre les détectives et le vigilant masqué se poursuit sur toute la seconde histoire, écrite par Brubaker, où deux enquêteurs reprennent un dossier de leur collègue disparu dans le premier épisode. Batman hante ces trois chapitres, pourtant il apparaît à peine. Cette adolescente assassinée a-t-elle été tuée par des garçons de son âge qui convoitaient le batarang qu'elle avait récupéré ou par un sans-abri avec lequel elle était amie ? Pendant que les deux détectives mènent leurs investigations sur cet homicide dans les rues, leurs collègues traquent Firebug sur les toits de Gotham.
La manière dont Brubaker relie les deux affaires est aussi habile que troublante car il suggère que sous le masque des monstres se cachent d'abord des individus a priori ordinaires et que, peut-être, la présence de Batman crée ces criminels.
Motive permet également de clôturer les rapports tendus entre Marcus Driver et Batman, le policier tenant indirectement le justicier responsable de la mort de son ami Charlie Fields (tué par Mr Freeze) : la scène finale de cette histoire est une merveille de concision et d'intensité.
Enfin, dans Half a life, durant cinq épisodes particulièrement intenses, Rucka imagine une romance tordue entre un des ennemis les plus déséquilibrés de Batman, Two-Face, et Renee Montoya. Ce personnage possède une épaisseur fabuleuse, qui en fait sans doute la créature la plus aboutie de la série : lesbienne, elle cache sa préférence sexuelle aussi bien à ses partenaires (alors qu'elle voue une confiance totale à l'un d'eux, Crispus Allen) qu'à ses parents. Lorsqu'elle est "dénoncée", elle voit son existence bouleversée sur tous les plans : professionnellement, elle doit supporter les remarques désobligeantes de collègues masculins, les mises en garde de sa hiérarchie, et le harcèlement d'un malfrat - en voulant régler seule cette dernière affaire, elle va être précipitée dans la tourmente. Cet "outing" a également des répercussions dévastatrices sur sa vie privée : ses parents la renient, son frère (pourtant dans la confidence et qui la soutient) se détourne d'elle, la femme qu'elle aime est tracassée par la police des polices.
Rucka traite son sujet franchement, sans happy end ni moralisme, et subtilement, avec tact et sensibilité : il est impossible de ne pas être touché par ce que traverse Renee. La volonté farouche avec laquelle elle fait face, se bat, le calvaire qu'elle endure, la bêtise et la folie auxquelles elle est soumise, tout cela est admirablement traduit au fil d'une aventure tortueuse et haletante. Le dénouement est certes cruel mais aussi réaliste, d'une intelligence magnifique.
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Les illustrations de Michael Lark apportent à ces histoires de la vie à travers leur (a)normalité. Il dessine ces personnages non pas comme des héros "bigger than life" mais comme de simples humains, dépassés, vulnérables, et malgré tout combattifs. Ses hommes ne sont pas des athlétes aux muscles saillants et ses femmes échappent aux clichés racoleurs du genre, faire-valoir à l'anatomie trop sexy pour être vraie.
En quelques lignes simples, épurées, et des à-plats d'un noir profond, Lark réussit à rendre crédibles et intéressants aussi bien les courses-poursuites au milieu des flammes sur les toits de la ville que des interrogatoires de plusieurs pages.
Elève inspiré de David Mazzuchelli, Lark donne à la série l'élégance et le relief qu'on admirait dans le classique absolu qu'est Batman: Year One. L'artiste parvient à exister malgré cette référence écrasante et nous gratifie de planches fantastiques, à l'atmosphère prenante.
Nul doute que sans lui cette série n'aurait pas ce cachet, cette classe qui ont tant embelli le run récent de Daredevil par Brubaker.
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In the Line of Duty est une synthèse bluffante entre les canons des histoires super-héroïques (car il s'agit quand même d'une production issue de l'univers de Batman et qu'elle traite de l'influence de celui-ci sur Gotham) et policières (parce qu'il s'agit d'hommes et de femmes au sein de la brigade criminelle de cette ville). C'est à la fois cela et bien plus, bien mieux.
Gotham Central est une immersion dans un univers fictif, un voyage dans les coulisses : ses auteurs nous invitent à découvrir ce qui se passe derrière chaque scène de crime où intervient Batman, là où se passe tout ce qui l'oblige à quitter les ténébres de la Batcave pour celles, aussi noires, de la cité qu'il protége avant tout des menaces qu'il semble inspirer.
Ne passez pas à côté de cette production aussi originale que "toxique" : c'est un des comics les plus mémorables qu'ait édité DC ces dix dernières années.

jeudi 18 février 2010

Critique 131 : OCEAN, de Warren Ellis et Chris Sprouse

Ocean est une série limitée en six épisodes publiée en 2004 par DC Comics sous la bannière Wildstorm, écrite par Warren Ellis et illustrée par Chris Sprouse.
Bien qu'il s'agisse d'un récit complet, détaché d'autres oeuvres de l'éditeur ou de l'auteur, cette production fait implicitement partie d'une sorte de trilogie de l'espace imaginée par Ellis et qui regroupe Ocean, Ministry of Space (dessiné par Chris Weston) et Orbiter (dessiné par Colleen Doran). Plus largement, on peut lier Ocean à la thématique développée par le scénariste depuis Planetary.
L'autre influence évidente de cette histoire est le roman Solaris de Stanislas Lem, adapté au cinéma par Andreï Tarkovski puis Steven Soderbergh.
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Cent ans dans le futur, l'inspecteur en charge des armements pour les Nations Unies Nathan Kane est envoyé en mission sur Europe, une des lunes de Jupiter. Là-bas se trouve une base, elle aussi affiliée aux Nations Unies, Cold Harbor, dont les quatre membres enquêtent sur les océans d'Europe où ils ont découvert les vestiges d'une ancienne civilisation - des cercueils et des armes capables de détruire une planète entière.
Le problème est que cela a été également localisé par une compagnie privée, Doors, qui convoitent ces reliques à des fins autres que scientifiques. Kane devra donc pacifier la situation et faire en sorte que ces armes de destruction massive ne tombent pas entre de mauvaises mains, ce qui ne va pas, bien entendu, aller de soi...
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Le casting de cette histoire est son premier atout et il est traité avec un soin remarquable, Ellis donnant à chacun de ses personnages une vraie voix. Chaque protagoniste a son moment sans que cela soit déconnecté du récit : au contraire le récit affine la personnalité de chacun et se déroule en allant crescendo, culminant, comme dans un western, dans un réglement de comptes cloturant l'intrigue de manière spectaculaire.
Un des éléments les plus originaux est que le héros, Kane, nourrit une aversion pour les armes (son père a été tué à la veille de l'application d'une loi en interdisant l'usage) : mais ce sentiment l'aide pour mener à bien sa mission, avec intransigeance, et ce n'est qu'en dernier recours qu'il emploiera à son tour un arsenal et fera preuve de violence, sans plaisir - mais sans hésitation non plus.
Le personnage n'est pas sans évoquer la création la plus mémorable d'Ellis, Elijah Snow, le leader de Planetary, un homme capable à la fois de prendre du recul et d'agir au meilleur moment, qui choisit rapidement son camp et ne s'en laisse pas compter, et qui aime les interlocuteurs ayant du répondant.
Les dialogues du scénariste ne décevront pas ses fans (et séduiront les autres) tant ils sont comme d'habitude ciselés. Le meilleur de cette partie se situe sans doute dans les échanges entre Kane et Fadia Aziz, qui commande la station de Cold Harbor, une femme au caractère affirmée comme la technicienne Siobhan Casey : Fadia est le contrepoint de l'ombrageux Kane, embarrassée par la tournure qu'a prise la situation depuis la découverte des reliques mais déterminée à tenir la compagnie Doors à distance. Par contre, la relation qui se noue entre Siobhan et Kane se joue sur un mode ludique, ironique, et même souvent sarcastique, la mécanicienne prenant un malin plaisir à défier l'autorité du visiteur.
En comparaison, les personnages d'Anna Li, l'analyste de la station, et de John Wells, le scientifique de la bande, sont plus effacés, mais cela ne signifie pas qu'ils sont sous-traités par Ellis, avant tout soucieux de diversifier les caractères. Anna incarne le détachement et orientera l'aventure de façon décisive dans sa dernière ligne droite. Quant à John, sa situation sera à l'origine d'un suspense final lorsque Kane et son adversaire devront s'affronter.
Le méchant de l'histoire est une figure trouble, immédiatement et durablement inquiètante : c'est un manager schizophrène résolu à se débarrasser de ceux qui l'entraveront, dont les intérêts de sa firme correspondent avec ses aspirations intimes. Son face-à-face avec Kane est voué à se terminer dramatiqement pour l'un d'eux, sans qu'on soit sûr du nom du vainqueur. Là encore, cette figure tourmenté et diabolique n'est pas sans rappeler le chef des Quatre dans Planetary, ce qui à défaut d'être original démontre la constance de l'oeuvre d'Ellis.
Le point qui pourra le plus prêter à discussion est l'allusion sans fard que fait Ellis au logiciel Windows - auquel le nom de la compagnie Doors fait indéniablement référence. La domination de son système informatique est l'objet d'une critique évidente, par opposition au souvenir idéalisé de la conquête spatiale qui passionne Kane (et Ellis, comme en témoignent d'autres titres de sa bibliographie - cf. Orbiter, Ministry of Space, Planetary).
Ellis dépeint le rapport à la technologie et à la science avec une touche unique, à la fois fasciné et prudent : il est incontestable que l'auteur est inspiré par cet aspect, vu la récurrence de ce thème dans son oeuvre, mais aussi lorsqu'on observe avec quelle minutie il représente cet univers en le rendant le plus crédible possible dans le cade historique de son récit. Ellis n'hésite pas à consacrer des pages entières pour montrer l'arrimage d'un véhicule spatial à une station ou pour explorer les abysses d'Europe.
La confrontation orchestrée par l'auteur entre les machineries complexes de l'homme et la puissance de la civilisation endormie flottant dans l'océan de cette lune lointaine aboutit à un discours équivoque : Ellis suggère que tous les instruments du progrés humain ne pèsent finalement pas lourd face aux pouvoirs d'un peuple provenant de la nuit des temps. Mais c'est surtout le détournement de ces puissances antiques par les hommes qui fait peur.
Ces descriptions d'engins spectaculaires fournissent néanmoins et surtout à Ellis les jouets pour des mises en scène comme il les affectione, dignes des blockbusters hollywoodiens. Et ce n'est pas le dénouement qui démentira cette préférence. Mais cela procure aussi au lecteur un enchaînement de scènes grandioses et jouissives après un récit tendu et incertain.
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Tout cela est (plus que) parfaitement traduit par le fantastique graphisme de Chris Sprouse. Son trait élégant et épuré, très "ligne claire", rend totalement justice a script d'Ellis et on peut apprécier dans cet album le travail méticuleux avec lequel l'artiste a conçu personnages, décors et équipements, aboutissant à une oeuvre d'une qualité rare.
Sprouse a été le collaborateur d'Alan Moore sur la série Tom Strong, une école exigeante dont profite cette mini-série. Son art du découpage est un modèle du genre, d'une fabuleuse lisibilité, et dont est absent toute fioriture.
Ce dessinateur méconnu mérite vraiment qu'on découvre son immense talent - tout comme le tandem exemplaire qu'il forme avec l'encreur Karl Story, un des meilleurs à ce poste.
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Ocean est un excellent comic-book, aussi bien écrit que dessiné, par deux pointures. Quiconque a apprécié Planetary ou Authority ne pourra qu'être conquis par ce divertissement dépaysant, hors des codes des bandes dessinées super-héroïques.

mercredi 17 février 2010

Critique 130 : LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES - CENTURY : 1910, d'Alan Moore et Kevin O'Neill


The League of Extraordinary Gentlemen, Volume III: Century est le troisième volume de la série écrite par Alan Moore et illustrée par Kevin O'Neill, publiée par Top Shelf (aux Etats-Unis) et Knockabout Comics (en Angleterre).
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Dans ce premier livre, qui se déroule 12 ans après l'invasion martienne contrecarrée par la Ligue et qui coûta la vie à Mr Hyde et l'Homme Invisible, de multiples personnages vont se croiser à nouveau dans une ambiance de fin du monde.
Ainsi Janni Dakkar se brouille avec son père, le Capitaine Nemo, qui agonise à bord de son Nautilus. Elle débarque clandestinement à Londres et décroche une place de bonne à tout faire dans une taverne mal fâmée où elle est observée par les regards lubriques des clients.
Par ailleurs, Thomas Carnacki est assailli par des rêves prémonitoires où il voit Oliver Haddo et sa secte préparer la venue du Moonchild. Ces funestes présages conduisent Mina Harker à reformer une équipe composée d'Orlando, A.J. Raffles et Allan Quatermain Jr avec laquelle elle localise le mage - mais sans avoir la moindre preuve pour l'arrêter.
Cependant, Jack MacHeath, accusé de plusieurs meurtres, est arrêté et amené à la potence sous les yeux de Mycroft Holmes.
Janni, violemment malmenée, met le port à feu et à sang et succède à son père mort à la barre du Nautilus, toujours secondé par Ishmael...
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Ce nouvel épisode de la League of Extraordinary Gentlemen est à la fois formidablement prometteur et terriblement frustrant : avec une suite prévue pour se passer en 1969 et un dénouement en 2009 (!), Moore et O'Neill nous mettent l'eau à la bouche mais nous oblige aussi à s'armer de patience.
En passant chez Top Shelf, Alan Moore a expliqué qu'il avait en liberté et allait désormais s'aventurer dans des constructions narratives encore plus audacieuses : c'est déjà sensible ici où il mène le lecteur par le bout du nez en n'en faisant qu'à sa tête.
Par conséquent, ne vous attendez pas à un comic-book ordinaire et bâlisé où les héros et lers aventures ressemblent au tout-venant : du début à la fin, cette nouvelle Ligue ne sait pas où elle met les pieds et collectionne les échecs et déconvenues. C'est à la fois désarmant, très drôle et iconoclaste.
Pour corser l'affaire, le livre se termine par un texte de 6 pages, en petits caractères, et accompagné de 4 illustrations, intitulé Les laquais de la Lune, composé de plusieurs parties fournissant des précisions sur des faits survenus entretemps.
On y apprend comment, apparemment, comment Orlando a acquis l'immortalité en 1236 avant J.C., d'une manière qui n'est pas sans rappeler 2001 : L'odyssée de l'espace.
Puis, en 1964, trois scènes se succèdent : d'abord un dialogue entre Allan et Orlando sur le point de s'abandonner à des frasques sexels dans le Paris de 1964, suivi d'un échange entre le Captain Universe et Vull dans le nuage de Magellan, et enfin, depuis Brazen World, Prospero, Mina Harker et le Galley-wag s'apprêtent à partir sur la lune.
Autant d'éléments dont la connection avec le récit est pour le moins nébuleuse mais qui, connaissant Moore, doivent faire partie d'un plan d'ensemble plus vaste et qui devrait être révèlé dans les deux prochains tomes.
Mais que le lecteur ne s'effraie pas : tous les ingrédients qui singularisent la série sont encore présents. On retrouve une sacrée galerie de personnages sortis de romans populaires plus ou moins connus, des figures féminines déterminées (Mina, Janni) malgré les épreuves, la présence de Mycroft Holmes... Le tout servi avec cet humour british très mordant et distancié, des références à From Hell (l'assassin au couteau), et un détournement grâtiné mais inspiré (à la manière d'un choeur grec antique) des chansons de L'Opéra de Quat'Sous de Bertolt Brecht.
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Graphiqement, la contribution de Kevin O'Neill reste essentielle à la série : son style anguleux si particulier peut dérouter mais il faut voir avec quel soin il détaille les vêtements et les décors, le découpage et les angles, les expressions des personnages. Les pages sont d'une remarquable lisibilité et le rythme est admirablement soutenu pour une bande dessinée reposant quasi-exclusivement sur les dialogues.
La linéarité prédominante dans le trait et la simplicité du cadrage invite le lecteur à regarder différemment les héros et les endroits qu'ils traversent, transformant ainsi les scènes de massacre en tableaux baroques terrifiants sans être complaisants.
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Encore une fois, et cela malgré des partis-pris parfois brutaux pour le lecteur lambda, Alan Moore réussit à nous embarquer dans un délire aussi jubilatoire qu'érudit : on n'a déjà hâte de découvrir la suite de cette intrigue farfelue et apocalyptique, digne des deux premiers volumes d'une des productions les plus réjouissantes de ces dix dernières années.

dimanche 14 février 2010

Critique 129 : BATMAN : PRIVATE CASEBOOK, de Paul Dini (et Peter Milligan) et Dustin Nguyen



Le run de Paul Dini sur la série Detective Comics mérite vraiment d'être découvert car il représente exactement ce que de bons épisodes de Batman devraient être, accessibles pour les néophytes et jubilatoires pour les fans. Cinq des histoires rassemblées dans ce Batman: Private Casebook ont été publiées à l'origine comme des récits complets unitaires (à l'exception de l'intrigue en deux parties dont Zatanna est la guest-star), mais les six forment un ensemble parfait pour qui ne veut pas lire d'autres titres de la gamme.
Ce recueil contient les numéros 840 à 845 du titre mensuel Detective Comics et en bonus une courte histoire (5 pages) issue de DC Infinite Halloween Special 1.
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Ces épisodes sont illustrés par Dustin Nguyen dans un style qui, au départ, peut dérouter par son aspect plutôt sombre et anguleux. Mais passé ce moment d'acclimatation, c'est un dessin d'une rare efficacité et d'une réelle beauté qui s'impose, dont émane une certaine poésie inhabituelle par rapport auux standards graphiques des comics mainstream.
Le découpage est en outre d'une grande richesse, avec des cases qui se chevauchent et des masses noires qui enveloppent toute la page et semblent immerger l'action dans une éternelle nuit liquide comme de l'encre. L'encrage, sublime, de Derek Fridolfs, et les couleurs, magnifiques, de John Kalisz, sont également pour beaucoup dans l'impact créé par ces pages atypiques et envoûtantes. Le charme est si puissant, esthétiquement, qu'il suffit à justifier la nouvelle d'Halloween dont l'intérêt est pourtant dispensable.
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L'autre point faible de l'album est le chapitre écrit par Peter Milligan où, étrangement, Bruce Wayne est dépeint comme un crétin, incapable de maîtriser une armure que lui a légué son ancienne fiancée (Talia Al Ghul), alors même que Batman est l'archétype du super-héros maître de lui-même, dôté d'un exceptionnel sens de l'anticipation, et habitué depuis le début de sa carrière à dompter ses démons intérieurs.
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Restent donc les 5 histoires écrites par Paul Dini :

- la première est une conclusion au retour de Ra's al Ghul et constitue un exercice délicat dont le scénariste s'acquitte avec habileté. En effet, les responsables éditoriaux de DC devaient boucler une histoire bancale tricotée par les scénaristes des différentes séries Batman pour ressuciter ce vieil ennemi du héros. Le résultat n'est pas renversant mais a le mérite de ne pas traîner et la chute ne manque pas de malice.

Libéré de ce poids mort, Paul Dini peut alors développer son univers et il ramène alors des ennemis classiques mais sans en faire des criminels sanguinaires : au contraire, il règne un climat de folie douce, subtilement décalé, mélangeant la psychologie et l'action selon un savant dosage. C'est ainsi que le Châpelier Fou réapparaît dans une version inédite de ses lubies concernant l'oeuvre de Lewis Caroll : le titre de l'épisode est d'ailleurs éloquent (The wonderful gang).

- Puis c'est au tour d'une nouvelle incarnation de Scarface et, donc, d'une nouvelle marionnettiste, Peyton Riley, d'entrer en scène pour une histoire de vengeance et de magie - puisque Zatanna assiste Batman dans cette intrigue.

- Enfin, le Riddler interfère dans une enquête de l'homme chauve-souris (avec une brêve apparition de Catwoman - "Meow") : l'ex-vilain utilise les médias pour résoudre une série de crimes sordides sans se douter que le meurtrier lui tend un piège. Des visages familiers, comme Oracle/Barbara Gordon, le commissaire Jim Gordon, Oswald Chesterfield Cobblepot (le Pingouin), Chimp participent aussi fugacement à l'aventure.
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Subtilement, Paul Dini réussit à singulariser chacun de ces acteurs en les écrivant avec humour mais sans ironie : l'auteur respecte cet univers, son atmosphère, mais avec la distance adéquate pour le rendre savoureux.
Son choix de rédiger des histoires courtes, délibérement à contre-courant de la tendance actuelle, permet de donner beaucoup de rythme à l'ensemble, sans égarer le lecteur avec des références au reste du Batverse, ce qui est extrèmement agréable.
Des séquences sont jubilatoires comme le flirt entre Zatanna et Bruce Wayne (qui n'occulte pas les évènements d'Identity Crisis, où la magicienne a lavé le cerveau de Batman), ou la jalousie de Catwoman envers Zatanna (et plus généralement toutes les conquêtes de Batman), ou encore la manière dont le héros résoud l'affaire impliquant le Riddler avec un forum sur Internet appelé "les héritiers de Dupin" (une référence à la première histoire policière écrite par Edgar Allan Poe). Avec une aisance étonnante, Dini peut même faire intervenir le detective Chimp (du groupe Shadowpact) sans que cela soit grotesque.
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Si ce recueil n'est pas parfait, à cause de circonstances extérieures à la contribution de Dini sur le titre, il propose du matériel de grande qualité, visuellement surprenant et narrativement différent de ce que fournit ce genre de production. L'essayer, c'est l'adopter !

samedi 13 février 2010

Critique 128 : INCOGNITO, d'Ed Brubaker et Sean Phillips

Incognito est une série limitée en 6 épisodes, écrite par Ed Brubaker et illustrée par Sean Phillips, publiée par Marvel Comics au sein du label "adulte" Icon en 2009.
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Qui est Zack Overkill ? Cet ancien super-criminel agissait autrefois pour le compte de l'empire criminel de The Black Death. Son frère jumeau, Xander, tué lors de leur arrestation, il a négocié sa liberté en dénonçant son employeur, qui croupit désormais dans une prison de haute sécurité au milieu de nulle part. En échange, il a bénéficié du programme de protection des témoins.
Mais cette nouvelle vie lui pèse : ses pouvoirs inhibés par des drogues, il supporte de plus en plus mal un boulot routinier, fantasme sur une collègue de bureau, écoute les délires conspirationnistes de son meilleur ami, et doit composer avec des agents de probation qui ne se privent pas pour le dénigrer.
Quand les drogues le privant de ses pouvoirs ne fonctionnent plus, il décide alors secrètement (pense-t-il...) de s'improviser justicier nocturne. Mais rapidement, ses agissements vont attirer l'attention et c'est sa propre peau que Zack Overkill devra sauver -tout en découvrant la sidérante vérité sur ses origines...
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Cette mini-série réalisée en "creator-owned" pour la branche "adulte" de Marvel synthétise le meilleur du tandem déjà à l'oeuvre sur la saga policière Criminal : un mix dense et efficace de polar, pulp-fiction et de super-héroïsme, sur la base d'une idée simplissime - à quoi ressemblerait la vie d'un ancien super-criminel devenu un témoin protégé, obligé de vivre ordinaire sous une nouvelle identité ?
Ed Brubaker a brodé sur ce canevas une intrigue où passé et présent alternent tout comme se conjuguent différents genres populaires, à la façon, mais sur un ton différent, de ce que fait Quentin Tarantino au cinéma. Ce mélange de série noire, de roman de gare et de comics super-héroïque, avec son lot de savants fous, de méchants repentis et d'effrayantes crapules, d'organisations secrètes gouvernementales ou terroristes, aboutit à une production parfaitement maîtrisée, divertissante et plus (dé)culottée que les bandes mainstream.
Scénariste affirmé, conteur hors pair, narrateur intelligent, Brubaker exploite son concept de telle manière qu'il nous est immédiatement familier. Ces six épisodes peuvent se suffire à eux-même et contiennent pourtant assez de potentiel pour être développés plus largement (l'auteur n'exclut pas d'y revenir... Si son emploi du temps déjà chargé le lui permet !).
Les fans du Brubaker de Captain America ou Daredevil retrouveront intacte la formidable capacité de l'écrivain à jouer avec la temporalité ou l'emploi de la voix-off : ces deux éléments lui permettent d'exposer rapidement les origines des protagonistes, leurs relations, leurs états d'âme en leur donnant une vraie épaisseur mais sans jamais être pesant. Le rythme est admirablement géré, les scènes d'action ponctuant l'histoire sans la phagocyter, les plages plus intimistes éclairant toujours le lecteur sur la situation du héros et la progression dramatique.
Zack Overkill n'a pas de capacités surhumaines particulièrement originales, pas plus que ses semblables. Mais ce n'est pas le propos : il ne s'agit pas de créér un concept inédit mais de jongler avec des codes déjà existants. Et cela, Brubaker s'en acquitte avec une aisance unique. Incognito est d'abord l'histoire d'un homme qui en récupérant ce qui fait de lui un être exceptionnel découvre aussi qu'il a changé : il redevient le surhomme qu'il fut mais désormais, comme il le déclare in fine, il ne s'en prendra plus qu'à ceux qui le méritent vraiment.
J'ai beaucoup aimé comment Brubaker montre cet aspect du personnage, son inaptitude à être comme n'importe qui. Il a été un "bad guy", il va devenir un héros (d'abord par la force des choses puis par choix) - et il le devient d'abord parce qu'il préfére cela à l'inaction ou à la possibilité de replonger dans la délinquance (possibilité qu'en fait il n'a plus puisqu'il a trahi sa "famille").
Cette révèlation trouble Zack et ce trouble, Brubaker nous le fait sentir d'une manière à la fois indirecte et néanmoins sensible.
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Sean Phillips réalise des planches fabuleuses, au niveau du script : on a du mal à imaginer qu'un autre artiste puisse illustrer ce récit de façon aussi adéquate. Le style expressionniste de Phillips sied à la perfection à l'idée originelle du projet : le trait vif, les lumières tranchées, le découpage économe, sont un modèle du genre. Le résultat peut sembler parfois frustre, voire sommaire, mais il est le pendant exemplaire aux références du concept, et la technique impressionnante du dessinateur, sous cette apparence brute, révèle une authentique réflexion pour traduire au mieux les émotions des héros et la tension du récit.
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Comme une cerise sur le gâteau, Jess Nevins (qui est notoirement connu pour ses précieuses annotations sur La Ligue des Gentlemen Extraordinaires d'Alan Moore, autre exercice de style magistral et référentiel sur les motifs littéraires populaires) a rédigé une savoureuse et érudite postface. Il intègre aux figures historiques de la pulp-fiction les protagonistes d'Incognito, résume les codes du genre et glisse quelques clins d'oeil croustillants (évoquant le bassiste de Led Zeppelin, John Paul Jones, au coeur d'une bibliographie imaginaire), ajoutant à la fois de la confusion et du plaisir à cette entreprise jubilatoire.
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Ne passez pas à côté de cette pépite confectionnée par deux virtuoses et qui comblera aussi bien le profane que l'amateur de curiosités trans-genres.

mardi 2 février 2010

Critiques 127 : Revues VF Février 2010

MARVEL UNIVERSE 19 :
- Les Gardiens de la galaxie 7-12.
C'est la première fois que j'achète ce bimestriel (toujours à pour me procurer une partie du poster de Coipel - cette fois, j'ai l'intégralité !) - et pour cause, comme le dit un des personnages, "je n'aime pas les trucs cosmiques". Néanmoins, j'étais curieux car la revue a très bonne réputation et cette nouvelle version des Gardiens de la galaxie recueille les louanges du public et de la critique.
Vaguement lié à un crossover (War of kings), le récit met en scène une équipe de super-héros évoluant un peu partout (et nulle part) dans l'espace. Pour le reste, j'aurai du mal à résumer l'intrigue dont les rebondissements sont multiples et s'enchaînent à un rythme effréné (je suis trop habitué à la narration décompressée). Toutefois, les personnages hauts en couleurs évitent au néophyte d'être totalement égaré, même si la fin est frustrante, invitant à poursuivre l'aventure (ce que je ne ferai pas).
L'écriture du duo Dan Abnett -Andy Lanning a pour premier atout donc un swing réjouissant, même si un peu usant à force. Il y a des astuces bien senties comme ces "rapports", des vignettes avec un héros revenant par un commentaire ironique sur une action antérieure et souvent corsée, qui introduisent une distance bienvenue mais tuent aussi tout suspense (s'il est encore là pour en parler, c'est donc qu'il s'en est sorti).
La caractérisation est inspirée : ces Gardiens forment un assemblage hétéroclite savoureux, avec des créatures inattendues comme ce râton-laveur expert en démolition ou cet arbre humanoïde géant répétant son nom inlassablement.
Graphiquement, c'est beaucoup plus inégal : Paul Pelletier (dont la passage sur les FF ne m'avait pas laissé de bons souvenirs) est à son avantage dans ce registre. Malheureusement, il ne signe qu'un épisode avant d'être remplacé par Brad Walker, plus quelconque mais ne lésinant pas sur les détails, et enfin par Wes Craig, qu'on pourrait rapprocher d'un Frazer Irving mineur mais prometteur.
Une lecture agréable mais coûteuse (5,60 E) et qui restera ponctuelle en ce qui me concerne.
MARVEL ICONS 58 :
Les Nouveaux Vengeurs 52 : Bas les masques (2).
Les recherches du Dr Strange, venu se réfugier chez les Nouveaux Vengeurs après un affrontement contre the Hood, pour trouver le nouveau sorcier suprême se poursuivent, dans une alternance de scènes où Parker Robbins tente de se libérer de sa soumission à Dormammu et d'autres séquences où notre équipe de héros tente d'aider leur ancien acolyte.
Cela va les conduire à la Nouvelle-Orléans où réside un prétendant au titre - même si l'intéressé l'ignore...

Brian Bendis est en pilote automatique dans cet arc où la magie est omniprésente : cette incursion dans le fantastique sur fond de succession mystique ne me semble pas être le terrain où il est le plus à l'aise.
Le sentiment qui domine est de lire un arc de transition, où la situation de Strange, mise en "sommeil" depuis l'Annual #2, va être sinon résolue (une mini-série par Mark Waid et Emma Rios revient sur le personnage actuellement en vo), du moins éclaircie. Avec Echo, il est vrai que c'est un des membres des New Avengers dont le destin a été occulté depuis la conclusion de Secret Invasion.

Mais le problème est qu'on a l'impression que cette intrigue aurait bien pu se passer sans les Nouveaux Vengeurs si the Hood n'avait été de la partie : le désir du groupe d'en finir avec ce gangster (et, peut-être, avec Norman Osborn, son complice avéré) justifie son implication, en plus de l'amitié qui lie les héros avec Strange. Toutefois, désormais composée d'une majorité de "street-level heroes", cette équipe paraît déplacée dans un récit où il est question de transmission magique, de démons...

Il y a comme un étrange flottement narratif - ça n'empêche pas une lecture plutôt plaisante, en tout cas dénuée d'ennui, mais sur un faux rythme, nonchalant. La dernière page, un cliffhanger classique mais toujours efficace, laisse espérer un peu plus d'action pour la suite.

Graphiquement, nous avons encore droit à un produit hybride, entre des planches hystériques de Chris Bachalo, vite lassantes et parfois limite lisibles, et celles de Billy Tan, d'un niveau correct (au mieux). Ce mix visuel renforce l'impression de lire un comic-book inabouti, hésitant entre partir dans un gros délire ou rester dans les clous (en attendant des jours meilleurs).

Ce n'est clairement pas une grande période pour la série qui semble encore se (re)chercher après la (longue) invasion secrète...

- Iron Man 12 : Dans la ligne de mire (5).
Mine de rien, voilà déjà un an que ce machin me pourrit la lecture de ma revue favorite.

On va la faire courte : c'est toujours aussi accablant et de plus en plus laid, chaque page est une nouvelle épreuve - et le pire, c'est que ni Fraction ni Larroca ne fatiguent puisqu'ils sont toujours aux commandes dans les previews.

Je déclare forfait !

- Captain America (vol.5) 48 : De vieilles connaissances (3).
La conclusion de cet arc confirme sa faiblesse : le dénouement, convenu, du vieux contentieux entre Bucky Barnes et le Pr Chin n'a fait que souligner l'aspect dispensable de leurs retrouvailles.

J'admire Ed Brubaker, mais en même temps cela l'humanise car cette histoire prouve qu'il ne peut exceller en permanence. Néanmoins, je ne me fais aucun souci sur sa capacité à rebondir.
Le problème de ce récit provient aussi de ses dessins, problème culminant ici avec pas moins de trois artistes qui se relaient : Butch Guice n'a pas été très inspiré, Steve Epting et Luke Ross colmatent ce qui reste comme ils peuvent. Mais le mal est fait.
Pour une série qui a toujours brillé par le brio de sa gestion graphique, ça fait évidemment tâche. Mais bon, tournons la page et oublions vite cette baisse de régime, qui ne saurait qu'être passagère.

- Fantastic Four 565 : Tu ne dévoreras pas Valeria !
Mark Millar achève son escapade en Ecosse pied au plancher : loin d'être inoubliable, ce dytptique nous gratifie d'un final percutant, avec la révèlation du secret du village d'Iarmailt et un affrontement énorme contre un affreux monstre lovecraftien.

On peut reprocher bien des choses à Millar, mais pas celle de faire trainer les choses ni de lésiner sur le spectacle : en deux épisodes, il a su nous divertir avec un mystère folklorique peu sophistiqué certes mais sans prétention. Les scènes d'action sont ravageuses et ça fait un bien fou de lire un comic-book où les codes sont respectés à ce niveau-là.

La légèreté de l'entreprise, qui pour certains sera indigne, a pour moi la vertu de la simplicité, d'un retour passager aux "basiques" du genre : des super-héros explorateurs en vacances obligés de régler son compte à un bon vieux monstre.

L'épisode se conclut sur une ellipse de plusieurs mois où il est suggéré des évènements importants, en relation avec Fatalis et ses fameux Maîtres, entrevus auparavant : le procédé, fort usité, réussit pourtant toujours à mettre l'eau à la bouche.

Visuellement, Bryan Hitch est à son avantage pour représenter un exercice familier, celui de destructions massives, au gré de cases "king-size" très détaillées et à l'efficacité indéniable. Cela compense ses maladresses pour croquer les enfants, et suffit amplement à faire de l'épisode l'élément le mieux dessiné de la revue ce mois-ci.

Un numéro mineur, donc. Mais, hors Iron Man, rien d'irrécupérable.

X-MEN 157 :
- X-Men 508-511 : La consoeurie (1-4/4).
La perspective de lire toute une saga réalisée par le duo Matt Fraction (scénario)-Greg Land (dessins) ne m'emballait guère, n'étant ni client de l'un ni de l'autre. Mais c'était ça ou manquer une partie du poster d'Olivier Coipel.
Contre toute attente, pourtant, je dois avouer que cela n'a pas été si éprouvant. D'abord, Panini a eu la bonne idée de publier une seule histoire, en quatre volets, qui peut se lire sans être trop perdue. Ensuite, justement, cela se lit sans déplaisir - même si ce n'est pas sans défauts.

Il est question d'un gang de mutantes, la Consoeurie, mené par Madelyne Prior (personnage apparu il y a longtemps maintenant, à une époque où les X-Men étaient à leur top, avec Chris Claremont et Paul Smith...). Depuis, ce sosie de Jean Grey a subi bien des péripéties mais sa haine envers Cyclope est demeurée intacte et elle se prépare à attaquer les mutants désormais basés à San Francisco.
Parallèlement à cela, le Fauve poursuit avec son Club-X ses recherches pour sauver la "mutanité", mise à mal depuis House Of M (ça commence à durer...).

Matt Fraction rédige une intrigue en employant avec un talent certain la narration parallèle, ce qui produit un suspense relatif, un rythme soutenu et son lot de rebondissements efficaces. Là où il réussit le mieux est dans son utilisation des pouvoirs des X-Men, faisant preuve d'habileté et d'intelligence.
Il gère plutôt bien un casting fourni sans égarer le lecteur, ramenant dans le giron des X-Men Vega, que les fans de feue la Division Alpha retrouveront avec plaisir, et exploitant avec ingéniosité la hiérarchie de l'équipe entre les adultes et leurs élèves, qui ne se contentent pas de faire de la figuration.
Malgré des passages explicatifs relatifs aux maneouvres de Maddy Prior, les dialogues ont le bon goût d'être sobres.
Il est indéniable que Fraction est plus inspiré avec les mutants qu'avec Iron Man : designé pour reprendre Thor, sera-t-il à la hauteur ?

Graphiquement, Greg Land est moins satisfaisant, sans être catastrophique : il serait juste préférable qu'il abuse moins, avec son encreur et coloriste (Jay Leisten et Justin Ponsor), d'effets numériques envahissants, qui "glacent" ses images, figent les expressions et les attitudes.
Les personnages féminins affichent le plus souvent un exaspérant large sourire ultra-brite et se ressemblent toutes, avec une poitrine disproportionnée et des tailles de guêpes, les cheveux impeccablement brushés, comme sorties des pages lingerie d'un catalogue.
Les hommes sont un peu plus réussis, mais souffrent aussi de ce syndrôme "Playboy", qui les privent de charisme et de diversité.
Bref, tout ça est trop artificiel pour être supportable au-delà de quatre épisodes : dommage.

Avec à la clé le retour d'un personnage emblématique, cette revue vaut mieux que les déceptions consécutives des précédentes sorties Panini du mois. Paradoxalement, cela n'est pas ma came mais c'est mieux que Spider-Man, Marvel Heroes et Dark Reign !
MARVEL HEROES 28 :

Plutôt que détailler le programme de cette revue, qui, autant le dire simplement et rapidement, est une PURGE absolue, survolons-en le contenu - et rappelons que la seule chose qui justifie son achat est l'acquisition d'une nouvelle partie du poster d'Olivier Coipel !

Que retenir donc de cette addition de pages indigestes ?
D'abord que cette revue, depuis son commencement, est loin d'être une réussite : Marvel Heroes a fait illusion par intermittence, avec le premier arc des Puissants Vengeurs (rappelez-vous, celui écrit par Bendis et dessiné par Frank Cho) plus deux épisodes illustrés par Alex Maleev qui introduisirent les Secret Warriors lors de Secret Invasion ; puis il y eut les débuts de Thor par JMS et Coipel (la série ayant pris du retard, sa diffusion en vf me fit lâcher la revue et acheter les tpb en vo) ; et puis... Et puis, c'est tout !
C'est peu en 28 numéros...

Où en est le titre lorsqu'on le rouvre après des mois sans l'avoir même feuilleter ?
- Hulk de Jeph Loeb et Ed McGuiness n'a toujours pas révèlé qui est le Red Hulk (ou Rulk), après 12 épisodes ! Le propos est toujours aussi débilissime, à se demander si ce Loeb-là est le même qui écrivit par exemple Batman the long halloween... Et Ed McGuiness, si son dessin dégage une puissance certaine, mérite bien mieux.

- Les Puissants Vengeurs évoluent eux aussi dans des abysses artistiques qui laissent songeur : le scénario de Dan Slott est d'une médiocrité totale. Et je n'oserai nommer "dessins" les horreurs infligées par Stephen Segovia, parmi les pages les plus laides qu'on puisse voir dans une vie de lecteur de comics.

-Thor symbolise la démission d'un auteur, JMS, dont la vraie fin du run sur la série, qu'il a ressucité avec pourtant un brio remarquable, s'est située au numéro 600. C'était d'ailleurs le dernier épisode dessiné par Coipel... Marko Djurdjevic le supplée de manière inégale, réussissant parfois de belles images, en ratant complètement d'autres, mais ne parvenant jamais à découper correctement une séquence.

- Enfin L'initiative... Je n'ai jamais aimé cette série mais elle ne peut être plus mauvaise que ce à quoi elle ressemble désormais : Christos Gage est crédité comme scénariste mais c'est une insulte faite au poste ; quand à Humberto Ramos... Bon sang, il dispute à Segovia le titre pour les planches les plus hideuses de la revue !

Allez, on oublie vite ça, et on attend avec impatience Marvel Icons et Universe pour se remettre de ce moment d'épouvante.
SPIDER-MAN 121 :

- Spider-Man : Diffamation (3 & conclusion).
La fin de l'arc réalisé par le duo Marc Guggenheim-John Romita Jr dévoile l'identité du vilain Menace, apparu au début des bouleversements survenus avec Brand New Day (la géniale idée de Joe Quesada de faire réécrire la vie du Tisseur par Mephisto et aboutit au départ de JMS comme scénariste régulier), tout en révèlant l'issue des élections municipales de New York - les deux évènements étant liés. C'est aussi la conclusion d'une longue intrigue secondaire où Spidey était soupçonné de plusieurs crimes, la police ayant retrouvé sur les victimes ses traceurs.

Même si ce n'est pas renversant, le mérite du scénariste (une des plumes de la série tv Les Experts) est de synthétiser et de clore plusieurs trames de manière efficace, à défaut d'être subtile. Qui est finalement Menace et de quelle manière se finissent les élections offrent une lecture sans ennui, mais sans vraiment d'intérêt : comme tous les épisodes depuis BND que j'ai lus et qui devait ramener aux fans le Spider-Man d'antan, cela manque cruellement d'originalité, de saveur. A aucun moment on ne sent une vraie singularité, une vraie personnalité dans l'écriture : c'est du feuilleton débité au kilomètre qui pourrait avoir été rédigé par n'importe quel gratte-papier suivant un soi-disant plan d'ensemble devant légitimer BND.

Comble de l'ironie, voilà que des gens comme Dan Slott, Bob Gale et Guggenheim sont crédités comme "Spider-experts" alors qu'on ne peut pas dire qu'ils sont sur la série depuis des lustres. Si encore un Roger Stern avait ce titre honorifique (quoique parfaitement gadget), ce serait logique. Mais ces trois pisse-copies...

Aux dessins, John Romita Jr anime son personnage fétiche, mais sans la flamme qu'on lui a connu : on devine là aussi que l'artiste a fait le tour de la question et exécute un arc de temps en temps en attendant du neuf (il va - enfin ! - l'avoir puisqu'il illustrera à partir de Mai, en vo, le relaunch des Vengeurs).
Sans faire injure à son immense talent, on l'a connu en meilleure forme, tout comme Klaus Janson qui l'encre et qui est méconnaissable : où est passé le fantastique complice de Frank Miller, ce maître de l'expressionnisme, virtuose des effets de lumière ?

Tout ça est assez triste : le sort infligé au personnage, l'écurie d'auteurs innombrables à son service pour sortir un titre hebdo et dont on ne reconnaît plus la patte, des artistes qui défilent sans avoir le temps de marquer le titre de leur empreinte...
Il n'y a qu'à lire la pitoyable conclusion de cette histoire, aussi dispensable que pauvrement mis en scène (texte comme images - cette fois avec Pat Oliffe et un certain Fabrizio Fiorentino), pour se convaincre que la nouvelle périodicité de Spider-Man n'aboutit qu'à des épisodes dont personne ne se souviendra.

- Spider-Man : Joyeux anniversaire.
Après ce désert créatif, ce bonus est un régal, merveilleusement écrit et superbement dessiné par une équipe à la fois plus créative et respectueuse des lecteurs.

Le récit met en scène Spidey et Wolverine, qui veut fêter simplement son anniversaire avec quelqu'un d'amical.

Zeb Wells, qui m'avait comblé avec son Dark Reign : Elektra (paru le mois dernier dans Marvel Heroes Extra 1), trousse un épisode à la fois léger et touchant, d'une remarquable sobriété et d'une impeccable justesse, avec des dialogues bien sentis. Cet auteur est vraiment à suivre.

Paolo Rivera a délaissé sa palette de peintre pour nous gratifier de planches à la technique plus traditionnelle mais irréprochable sur tous les plans : le découpage est simple, fluide et parfait, les attitudes et les expressions admirablement rendus. Presqu'élémentaire, me direz-vous ? Oui, mais sans aucune faute. Comme quoi, un travail appliqué et réfléchi garantit à celui qui le livre des félicitations méritées.

4 Euros pour si peu, ça fait un maigre rapport qualité/prix - mais avec une partie supplémentaire du somptueux poster d'Olivier Coipel, la pilule passe un peu mieux.
DARK REIGN 5 :

Parlons peu, parlons bien : c'est la dernière fois que j'achète cette revue dont la lecture du mois dernier m'avait déjà fort déçu - et la situation ne s'est pas rétablie. C'est la rupture bête et brutale : l'aventure avait de toute façon bizarrement commencée. Et quand l'Heroic Age sera là, après Siege, que va devenir ce titre sinon une incongruité ?
Les plus économes (et les plus sages) feront comme moi : ils arrêteront les frais au plus vite, revendrons leurs précédents numéros, et tâcherons d'oublier cette cuisante expérience.
Mais, revenons au programme extraordinaire du mois.

- Les Vengeurs Noirs : La cabale.
Cabale, oui. Mais Vengeurs Noirs, que dalle, nib de nib !
En vérité, nous est proposé cinq courts récits centrés sur un membre du petit cercle d'amis de Norman Osborn, chacun de ces chapitres étant écrit et dessiné par un scénariste et un dessinateur différent.

Le niveau est majoritairement affligeant : difficile d'être intéressé par des traitements aussi plats. Le seul à surnager (ou plutôt à flotter) est peut-être Jonathan Hickman avec son segment fantasmatique sur Fatalis.
Mais sinon, c'est de la bouillie : Matt Fraction et Emma Frost? Pitoyable ! Rick Remender et The Hood ? Du bla-bla ! Kieron Gillen et Namor ? Consternant ! Peter Milligan et Loki ? R.A.S. (Rien A Sauver).

Le graphisme ne sauve rien : que ce soient les peintures figées au possible d'Adi Granov, les coloriages éprouvants de Daniel Acuna, et les illustrations à peine passables de Max Fiumara ou Carmine Di Giandomenico. Seul Toni Zonjic offre quelques planches honnêtes - même s'il est capable de bien mieux (visitez son blog, vous verrez).

40 pages de pas grand'chose !

- Thunderbolts/Deadpool : Magnum opus (3 & 4/4).
Je ne vais pas non plus me fatiguer à commenter en détail la fin de ce navet intégral à l'humour abyssal, et aux images dispensables (bien que Paco Medina s'en sort un peu mieux - mais pas assez pour être indulgent).

On peut quand même saluer la prouesse : réussir, à deux, à pondre quatre épisodes aussi mauvais que le pire de Jeph Loeb, c'est tout de même notable !

- Les Kreveurs de skrulls : Breakfast in America.
Comme il faut bien vendre 96 pages, Panini a choisi de conclure ce numéro par une production aussi mauvaise que ce qui a précédé - ce qui a le mérite d'être éditorialement cohérent.

Heureusement, ce n'est pas long...
Mais c'est mauvais !

Seul bon point : Paulo Siqueira aux dessins - mais pas de miracle non plus.

Allez, économisez 4,60 E, ou alors dépensez-les pour commencer le poster d' Olivier Coipel et revendez la revue.
Sinon, épargnez-vous ça.