vendredi 30 octobre 2020

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #5, de Jeff Lemire et Tonci Zonjic

 

Le précédent numéro de Skulldigger + Skeleton Boy s'achevait sur un coup de théâtre tel qu'on pouvait légitimement se demander comment Jeff Lemire allait poursuivre sa mini-série sur deux épisodes supplémentaires. Le scénariste étonne encore, même s'il ne convainc qu'à moitié pour son pénultième chapitre. En revanche, Tonci Zonjic rend une copie virtuose grâce à laquelle l'histoire demeure aussi efficace et troublante.

 



Après que Skulldigger ait été abattu par GimJIm lui-même abattu par la détective Reyes, cette dernière a forcé, en le menottant, Skeleton Boy à la suivre. Mais elle ne le conduit ni au poste ni à l'orphelinat et le garçon proteste car son mentor est mort par la faute de a policière.


Sortie de Spiral City, Reyes téléphone à sa compagne pour l'informer de la situation. Elle refuse de rendre l'enfant aux services sociaux et compte s'isoler avec lui quelque temps. Avant de pouvoir être convaincue de la folie de son projet, Reyes raccroche et reprend le volant.


Cependant, grâce à la protection de son gilet pare-balles, Skulldigger a survécu à ses blessures. Il constate que GrimJim a disparu avant de descendre dans son garage où il trouve sa moto. Il prend la détective Reyes en chasse pour récupérer Skeleton Boy grâce à un traceur posé sur le costume de l'enfant.


En route, Reyes tente de raisonner l'enfant en lui expliquant que Skulldigger n'a rien d'un héros. Elle-même a vécu un drame dans sa jeunesse en étant victime d'un père violent. Le gmin finit par craquer, hanté par la vision de Tex Reed décapité par GrimJim dans la maison de Skulldigger.


C'est alors que GrimJIm resurgit et enlève Skeleton Boy. Skulldigger arrive sur les lieux mais trop tard : son ennemi s'enfuit à bord d'un dirigeable avec l'enfant comme otage...

Jeff Lemire est un narrateur fabuleux et Skulldigger + Skeleton Boy en a apporté une preuve supplémentaire. Inscrit dans le monde de Black Hammer, cette mini-série est fidèle à ce que l'auteur a déjà fait dans d'autres spin-off, sous la forme d'un hommage sibyllin à des comics mythiques tout en sachant leur donner une identité, une personnalité propres.

Toutefois, en concluant le quatrième et précédent épisode, Lemire a pris tout le monde de court en mettant scène la mort de Skulldigger, ce vigilante hyper-violent, et GrimJim, le méchant de l'histoire qui est aussi le père de ce justicier, lors d'une fusillade provoquée par la détective Reyes. Comment enchaîner, poursuivre après ça ?

En se concentrant sur les survivants de ce carnage, c'est-à-dire Skeleton Boy, cet orphelin dont les parents ont été assassinés et que Skulldigger a pris sous son aîle (à contrecoeur), et Reyes, cet flic à la fois obsédée par le projet d'appréhender le justicier et de sauver le gamin. Et Lemire réussit une première partie d'épisode étincelante.

On assiste à une fuite en avant poignante entre Reyes, complètement dépassée par les événements, et l'orphelin, qui vient d'assister au décès brutal de son père de substitution. Le dialogue est impossible entre l'enfant qui considérait Skulldigger comme un héros et la policière qui en avait fait son ennemi. Une halte pour téléphoner à sa compagne et l'avertir de son projet de protéger l'enfant elle-même, c'est-à-dire en ne le rendant pas aux autorités, permet de mesurer l'improvisation insensée qui préside à sa manoeuvre. 

Plus loin, on comprend que Reyes a été victime de la violence de son père, ce qui explique, de manière un peu (trop) appuyée, sa réaction envers l'orphelin et sa lubie de le sauver à tout prix. Plus convaincant : on assiste au moment où ce gamin déboussolé (on le serait à moins) craque nerveusement parce qu'il a vu Tex Reed décapité par GrimJim, une vision si traumatisante qu'il ne peut l'intègrer et qui, ainsi, lui prouve que le monde de Skulldigger est trop violent pour lui. Reyes le réconforte, mais en vérité on comprend à cet instant que ce sont deux êtres brisés par les circonstances qui se rencontrent véritablement, qui partagent une souffrance commune. Une scène magnifique.

On pense alors que la mini-série va emprunter une sortie inattendue et audacieuse. Mais Lemire déçoit en ne l'osant pas. Car Skulldigger n'est pas mort (il portait un gilet pare-balles) et GrimJim non plus. C'est à propos de ce dernier que j'ai tiqué car rien n'explique comment il a pu survivre à des tirs de pistolet automatique à bout portant. Evidemment, on se doute que GrimJim est une sorte d'humain modifié vu la couleur pourpre de sa peau, son physique très endurant (il n'a pas changé en plusieurs décennies comme on l'a vu dans les flashbacks où the Crimson Fist l'affrontait et les scènes au temps présent contre Skulldigger). Mais je pense qu'un peu plus de clarté sur la condition réelle de GrimJim n'aurait pas été un luxe pour justifier qu'il sorte indemne d'une fusillade.

L'autre élément problématique dans la belle mécanique de Lemire, c'est que si Skulldigger retrouve Skeleton Boy grâce à un traceur, ce qui suppose que le costume du garçon était équipé (à son insu) d'un mouchard permettant ce traçage, rien n'explique comment GrimJim soit capable lui aussi de resurgir pile là où s'est arrêtée la détective Reyes avec l'enfant. Cette incohérence est trop dérangeante pour qu'on ne la relève pas et qu'elle ne gâche le plaisir de la lecture. Je présume qu'il faudra faire sans puisque, à l'issue de cet épisode, le récit s'engage dans sa dernière ligne droite, loin de ces considérations "techniques". Cette négligence fait tâche et surprend de la part d'un auteur aussi rigoureux que Lemire.

Malgré tout, il reste indéniable que Skulldigger + Skeleton Boy demeure une lecture très efficace et agréable (même si le qualificatif est un peu impropre car le ton et les événements n'ont rien de confortables). Cela, on le doit à la prestation impeccable de Tonci Zonjic qui produit une fois encore des planches formidables.

Comme il assume tous les postes (dessin, encrage, colorisation), Zonjic est maître du résultat visuel et ainsi il est aussi responsable de ce qui peut marcher ou pas dans ce domaine. Mais c'est un aertiste complet et il ne commet aucune erreur. Ses effets sont dosés à la perfection et sa conduite du récit sur le plan graphique est éblouissante. 

Ce qui épate le plus dans cet épisode, c'est sa gestion du rythme de lecture. Il sait donner une intensité fièvreuse aux scènes les plus mouvementées à travers des compositions très dynamiques, comme en attestent la fuite de Reyes et l'enfant quand ils quittent Spiral City. Zonjic anime ces moments en virtuose en alternant les cases dans et hors du véhicule de la détective. Il suggère aussi habilement les heures qui filent puisqu'on commence avec une scène de nuit (qui prolonge directement la fin de l'épisode 4) et ensuite de jour (quand Reyes téléphone à sa compagne).

Aux dilaogues vifs entre Reyes et l'enfant, succèdent deux pages silencieuses où on découvre que Skulldigger a survécu, puis peut suivre le déplacement de Skeleton Boy et enfin où il découvre sa moto pour partir le récupérer. Zonjic alterne une double page avec des cases verticales qui grandissent et rapetissent en fonction des mouvements de Sulldigger, puis une pleine page quand il ôte de sa moto le drap qui la recouvrait. Là encore, l'effet est simple mais percutant. Avec son masque-casque au dessin symboliste de tête de mort, c'est comme si on voyait le justicier ressuciter littéralement pour accomplir sa dernière mission.

Le dernier tiers de l'épisode réserve encore de belles trouvailles visuelles, notamment quand GrimJim resurgit et fracasse le pare-brise de la voiture de Reyes. Zonjic prolonge cet effet de casse en disloquant ses vignettes, signifiant le retour du chaos dans la vie de la détective et de l'enfant, un chaos terrifiant puisque incarné par la figure maléfique du vilain qui enlève un gamin venant de craquer nerveusement et que GrimJim ravit au nom d'une vieille vengeance (the Crimson Fist/Tex Reed lui avait enlevé son fils - le futur Skulldigger).

Le dénouement promet d'être explosif et sûrement tragique, car Lemire n'est pas tendre avec ses héros (comme il l'a prouvé avec un autre spin-off de Black Hammer, le bouleversant Doctor Star, une autre histoire de paternité contrariée). Cela compensera sûrement les quelques facilités incongrues de cet épisode. 

jeudi 29 octobre 2020

X OF SWORDS, CHAPTER 11 : STASIS #1, de Jonathan Hickman, Tini Howard, Pepe Larraz et Mahmud Asrar

 

Comme l'a annoncé l'editor Jordan White, X of Swords : Stasis est un turning point, un épisode qui marque un basculement dans cette saga. Les dix épisodes précédents nous ont présentés les enjeux du crossover et les champions de Krakoa (même s'il en manque un). Ce nouveau chapitre nous introduit aux champions d'Arakko dans un format long (une quarantaine de pages), avec à la clé un coup de théâtre final (un peu convenu toutefois). Jonathan Hickman refait équipe avec Tini Howard au scénario et Pepe Larraz avec Mahmud Asrar au dessin.


Saturnyne convoque les représentants de royaumes de l'Outremonde en session extraordinaire. A l'ordre du jour : le droit de passage à accorder entre les divers territoires. Une majorité vote contre, et certains sont déjà passés outre, comme Arrako qui a conquis Dryador.


Pour règler cette question, Saturnyne a donc organisé le tournoi entre les champions d'Arakko et de Krakoa, les premiers voulant étendre leur empire jusqu'à la Terre. Jamie Braddock, installé par Apocalypse sur le trône d'Avalon, annonce l'arrivée des Krakoans.


Les quatre cavaliers d'Apocalypse, qui ont rompu avec leur père, et l'Invocateur visitent plusieurs combattants dans les provinces d'Arakko pour les convaincre d'affronter les champions de Krakoa. Ils obtiennent des récompenses au terme du tournoi pour certains.


Les neuf champions de Krakoa débarquent dans l'Outremonde, au sein de la citadelle de Saturnyne. Celle-ci les accueille et les invite à rejoindre leur chambre individuelle en attendant de rencontrer leurs challengers. Chacun reçoit une carte de tarot siggérant leur destin dans ce tournoi.


Ces cartes provoquent des réactions variées. Mais Apocalypse est troublé par ce qu'il voit et va réclamer des comptes à Saturnyne. Il la suit à son dernier rendez-vous de la journée, auprès d'Annihilation, leader d'Arakko, qui révèle à Apocalypse sa véritable identité...

Je vais me répéter mais ce qui m'épate le plus depuis le début de cette saga, c'est sa lisibilité. Avec un casting aussi fourni, une mythologie établie aussi dense, on pouvait penser que le déroulement de l'histoire serait complexe. Or, c'est exactement l'inverse qui s'est produit, à commencer par l'enjeu du récit : un tournoi qui doit décider du destin de Krakoa convoîté par les survivants d'Arakko.

Nous avons pu lire jusqu'à présent dix épisodes, précédés de deux prologues, qui ont permis de présenter les champions désignés par Saturnyne, la maîtresse de l'Outremonde où se déroulera le tournoi, via une prophétie cryptée. Les différents scénaristes ont déployé des trésors d'ingéniosité pour proposer neuf combattants mutants (dont un non-mutant) relativement surprenants, mais surtout animés par des motivatiosn diverses. S'il y a parmi ces élus, des personnages convenus (comme Wolverine, Magik, Cable), d'autres sont vraiment surprenants (Cypher, Tornade), et d'autres encore n'ont accepté le défi que poussés dans leurs retranchements (Captain Britain). L'un dans l'autre, on est quand même agréablement cueillis par le déroulement de cette première partie : si tout n'est pas parfait, d'un point de vue scénaristique ou visuel, l'ensemble tient bien la route et déjoue quelques attentes.

On peut légitimement questionner la méthode à l'eouvre dans ce Stasis qui répéte ce procédé (présentation de champions de Arakko) mais en "seulement" une quarantaine de pages. De fait, ces personnages sont plus sommairement introduits et le principe conducteur semble d'avoir surtout misé sur l'impact visuel plutôt que sur le profil psychologique. 

Mais aurait-on gagné quelque chose à développer une nouvelle dizaine d'épisodes pour présenter ces Arakki ? Pas sûr. En procédant de la manière choisie par Jonathan Hickman et Tini Howard, on peut penser, raisonnablement, qu'ils ont voulu conserver un certain mystère sur les adversaires des mutants de Krakoa. Trop en dire à leur sujet, ç'aurait été exposer leurs faiblesses, et donc dévoiler au lecteur comment les X-Men allaient sûrement les vaincre. A l'exception notable de Solem, qui a eu droit à une exposition conséquente dans Wolverine #6 (X of Swords, chap. 3) et X-Force #13 (X of Swords, chap. 4), on ignore bien les points faibles (tout comme les points forts d'ailleurs) des méchants de l'histoire. Et ça, ma foi, je trouve que c'est malin.

L'autre bon point, ç'aurait été, de la part de Marvel, de garder intact le sort de plusieurs X-Men engagés dans le tournoi. Hélas ! l'éditeur n'a jamais brillé par son intelligence tactique et on sait donc déjà, en consultant les solicitations de Décembre et Janvier, que certains mutants de Krakoa survivront déjà. Dommage car ça tue complètement le suspense de leurs duels à venir (alors qu'il aurait si simple de publier des couvertures "redacted" noires).

Mais au-delà de ces considérations éditoriales et narratives, que faut-il retenir de Stasis ? L'épisode se découpe en trois temps : d'abord Saturnyne convoque les représentants des royaumes de l'Outremonde pour réglementer les droits de passage de l'un à l'autre. Un vote négatif sanctionne la question, de manière logique quand on sait que Arakko a conquis Dryador et veut obtenir de traverser le territoire de Saturnyne pour s'emparer de Krakoa. Mais la reine de l'Outremonde a organisé un tournoi pour décider de ce projet. Jamie Braddock, installé par Apocalypse (et l'équipe d'Excalibur) sur le trône d'Avalon, annonce l'arrivée des champions mutants. Et Apocalypse, avec son épée Scarab, ouvre un portail pour accéder à l'Outremonde, après avoir prévenu ses alliés des risques qu'ils encourent dans cette dimension parallèle et de l'enjeu du tournoi.

Ensuite, il y a le coeur de l'épisode : la présentation des champions d'Arakko. Jordan White a raconté en interview que leur création s'était faite de manière très spontanée, avec Pepe Larraz pour visualiser les idées des scénaristes. Ainsi le spectaculaire Pogg Ur-Pogg, géant à quatre bras et à la tête de crocodile, où il a été demandé au dessinateur d'imaginer un monstre impressionnant, matérialisé en quelques minutes lors d'une réunion. D'autres Arakki avaient été montrés dans des épisodes de X-Men, comme L'Epée Blanche, Solem, Isca l'imbattable, l'Invocateur, Mort, Guerre ou Annihilation. Mais les nouveaux à apparaître dans cet épisode marquent immédiatement les esprits : j'ai été, pour ma part, saisi par Redroot la forêt ou Bei la lune de sang, dont les designs sont excellents. Et les motivations parfaitement décrites dans des scènes intenses aux dialogues inspirées (mention pour Redroot).

Ce qui frappe surtout, c'esst qu'on a affaire à de vrais adversaires, très impressionnants, qui devraient donner du fil à retordre aux héros. Ce ne sont pas de simples vilains spectaculaires, pour faire le nombre ou en mettre plein la vue avant de se faire trucider. Il est certain qu'il va y avoir des morts des deux côtés (et je mise déjà sur quatre X-Men susceptibles d'être vaincus et supprimés, ce qui serait déjà conséquent).

Enfin, la dernière partie voit l'arrivée des X-Men dans la citadelle de Saturnyne. En quelques pages rapides et puissantes, Hickman et Howard établissent une ambiance tendue, entretenue par Saturnyne (la marionnettiste de ce théâtre mais qui ne maîtrise cepandant pas complètement les belligérants qu'elle a dressés les uns contre les autres - c'est le sens de la phrase placée en exergue de l'épisode). Son mépris envers Captain Britain, son dédain face à Wolverine, sa malice à l'adresse d'Apocalypse sont des moments savoureux. La scène où chacun trouve une carte de tarot dans sa chambre va donner matière à phosphorer sur le destin de chacun, surtout quand on associe ces vignettes à l'interprétation de ces cartes par la mutante Tarot (qui indique que le titre des cartes n'a pas qu'un seul sens).

Et puis il y a le coup de théâtre final, avec la révélation de la véritable identité de Annihilation. J'ai, je dois le dire, trouvé ce rebondissement assez convenu. En effet, comme j'ai toujours pensé que l'Invocateur ne disait pas toute la vérité quand il avait évoqué la chute d'Arakko (dans X-Men #12), je m'attendais à ce qui a été en somme confirmé par la dernière page de Stasis. Toutefois, je me demande à présent comment celle qui se cache le masque de Annihilation va jouer sa partition dans la suite de X of Swords. Et puis reste un vrai mystère en suspens : qui sera le dixième épéiste au service de Krakoa (pour l'instant, ils ne sont que neuf) ? Faîtes vos jeux !

Visuellement, ce numéro est une nouvelle fois superbe. Pepe Larraz dessine la deuxième et troisième partie de l'épisode et il produit des planches splendides, parcourues par un souffle épique, une intensité jubilatoire. Les premières pages qui nous emmènent dans les royaumes de l'Outremonde donnent une idée très significative de l'imagination débordante de l'artiste pour varier les décors et donner à voir des environnements inattendus, avec des personnages étranges et majestueux. La manière dont il représente Saturnyne est un modèle du genre : si on peut se plaindre qu'elle ressemble beaucoup à Emma Frost (la blonde glaciale et dominatrice), il lui confère une allure supérieure qui traduit sa puissance et son arrogance.

Les scènes à Arakko et le recrutement des champions du camp adverse sont elles animées par Mahmud Asrar. Après avoir succédé à Leinil Yu sur X-Men, il a à nouveau la lourde charge de suivre Larraz et il le fait avec succès. Il s'empare de personnages qu'il n'a pas designés avec aisance et compose des images fortes, variées, qui transcende un exercice classique en vrai morceau de bravoure. Son trait expressif sert à merveille les sentiments qui agissent les Arakki, dont on comprend qu'ils ne sont pas tous là pour défendre leur nation mais pour des intérêts plus personnels, égoïstes.

Enfin, Larraz revient pour conclure l'épisode et prouve, si besoin était, que quand il tient les manettes, le récit prend instantanément une ampleur indéniable. L'arrivée des X-Men, la nervosité qui traverse leurs rangs, l'accueil que leur réserve Saturnyne, tout cela est admirablement découpé. Mais le meilleur est à venir quand on lit les saynètes où chacun trouve la carte de tarot sur son lit, leurs réactions (drôles ou graves). Et puis le dialogue entre Apocalypse et Saturnyne est un pur régal, plein de sous-entendus, avec un découpage extraordinaire (notamment lorsque l'ascenseur de Saturnyne descend dans les fondations de sa citadelle pour rejoindre Annihilation).

Sans préjuger de ce qui va se dérouler dans les onze prochains épisodes, on peut déjà dire que l'Acte I de X of Swords aura été une grande réussite. Ce crossover démesuré a quelque chose d'assez incroyable de maîtrise. Après la déception de l'event Empyre, c'est une source de satisfaction. Et à l'heure du reconfinement, c'est un divertisssement bienvenu.

samedi 24 octobre 2020

HIDDEN SOCIETY #4, de Rafael Scavone et Rafael Albuquerque

 

Il n'y a pas eu de miracle :  ce quatrième et dernier épisode de Hidden Society confirme le crash total de ce projet. Oh, je ne me faisais aucune illusion après ce lent et inéxorable naufrage, mais tout de même, quel gâchis... Rafael Scavone a tout à prouver comme scénariste. Et son compère Rafael Albuquerque, malgré son prodigieux talent, devrait mieux choisir dans quoi il s'investit.



Jadoo, Laura, Orcus et Mercy interviennent au somet de l'Etna pour empêcher la confrèrie de Nihil de réveiller le terrible dragon qui dort dans le volcan de resurgir. Pour cela, il leur faut délivrer le sorcier Ulloo, otage des frères.


Pour cela, l'équipe doit agir comme un seul homme. Leurs efforts paient puisque la confrérie est perturbée. Mais le sort qu'il tire d'Ulloo et des fantômes des anciens membres de la Société Secrète réveille quand même le dragon.


N'ayant pas eu le temps nécessaire pour conjurer un tel adversaire, Jadoo n'est pas en mesure de pallier l'incapacité d'Ulloo. Mercy décide de recourir à un moyen radical : elle abat le sorcier et ainsi brise le sort qui a réveillé le dragon. La bête retourne s'endormir au coeur du volcan.


La confrérie espère qu'en manipulant Jadoo elle pourra remédier à cela. Mais les anciens sociétaires sont réincarnés et maîtrisent leurs ennemis définitivement. Ils intronisent ensuite Jadoo comme remplaçant du défunt Ulloo et quittent Catane avec la bande.


Seule Mercy ne fait pas le voyage. Elle a rendez-vous avec le démon Belial avec qui elle a passé un pacte. Et qui n'accepte de le rompre qu'en l'obligeant à une dernière mission...

Je me suis engagé dans la lecture de Hidden Society sans grande ambition. Et c'est sans doute ce décalage, entre mes espoirs et ceux des auteurs, qui signent l'échec le plus cruel de cette entreprise. Car cette mini-série visait plus haut que le lecteur.

Dans ce cas de figure, il ne faut pas se rater et frapper fort et vite. Avec quatre épisodes annoncés, en guise d'amuse-bouche puisque le projet était promis à une suite, Rafael Scavone et Rafael Albuquerque semblaient sûrs d'eux. Et, au début, admettons-le, c'était prometteur.

Des personnages accrocheurs, variés, une mission à haut risque, une petite mythologie en arrière-plan, voilà qui mettait en appétit... Mais voilà, tous ces ingrédients appétissants n'ont jamais été convertis par les auteurs en un plat à la hauteur. Tout est vite tombé à plat, la faute à une intrigue sans substance, à l'image de ses protagonistes, séduisants, mais creux.

Cette histoire de dragon, que voulait réveiller une confrérie, rivale d'une société secrète de magiciens, n'a jamais pris. Scavone n'est jamais arrivé à en faire une menace suffisamment puissante pour qu'on vibre à son évocation. Et son attelage de héros improbables manquait trop de personnalité pour convaincre au-delà de l'idée de les réunir. Ni le jeune Jadoo, dont on devinait immédiatemetn qu'il allait succéder au vieux sorcier Ulloo, ni Laura et son génie Orcus, ni la tueuse Mercy n'avaient vraiment d'esprit, d'âme et de chair : ce n'étaient que des archétypes, vus et et revus, dont les designs accrocheurs ne pouvaient compenser l'absence de substance.

Quant aux méchants de la série, cette confrérie de Nihil, elle est encore plus transparente. Aucun des trois frères n'existe, ils ne sont là que pour balayer ces débutants réunis par Ulloo et extraire du vieux mage un sort pour réveiller leur dragon de fin du monde endormi dans le coeur de l'Etna. S'ils étaient si redoutables, auraient-ils besoin du dernier des membres vivants de la Société Secrète pour mener leur plan à terme ? Non, vraiment, ça ne fonctionne pas. 

Ce théâtre de poche et de fantôches fait en définitive peine à voir. Oublions Scavone, scénariste sans souffle, et attardons-nous sur Albuquerque. Voilà un dessinateur épatant, qui s'est bâti une réputation solide en quelques années. Sa rapidité pour produire des planches, le dynamisme jubilatoire de son dessin, ses associations avec des auteurs hype, tout cela l'a placé dans une situation enviable, où il peut choisir ses projets car il est désiré par tout le monde. Il peut même se payer le luxe de créer son propre délire SF (Eight) dont pourtant personne n'a gardé le souvenir.

Mais Albuquerque risque, en manquant de discernement, d'épuiser son crédit. Il a collaboré avec Mark Millar pour deux mini très inégales (le symapthique Huck et le désastreux Prodigy), et avec Scott Snyder pour la saga American Vampire (et quelques épisodes de Batman, période New 52). Mais à part ça, il n'a rien produit de personnel et de mémorable. Il n'est pas devenu un phénomène comme Sean Gordon Murphy, alors qu'il a largement le même potentiel. Albuquerque préfère visiblement se consacrer à des projets foireux comme cette Hidden Society entre deux volumes d'American Vampire et une collaboration avec Millar. Pas de quoi lier son nom à quelque chose d'historique.

Ce sentiment de gâchis, c'est à lui qu'on le rattache. Parce que Albuquerque a un talent immense, c'est un narrateur, un designer fantastique, mais qui semble se contenter de choses faciles, qui ne lui demandent pas d'efforts particuliers. J'aimerai le voir illustrer des scripts plus exigeants, par des scénaristes plus stricts, dans des univers moins familiers. Je suis sûr qu'il y imposerait sa griffe sans problème. Mais, lui, en a-t-il envie ? Pas sûr. Et c'est regrettable.

Hidden Society se termine sur une fin ouverte (un nouveau contrat pour Mercy qui devrait l'amener à croiser de nouveau ses anciens camarades). Dark Horse commandera-t-il un nouveau volume. Peu importe, je ne le lirai pas. J'attendrai, sans doute vainement, que Albuquerque s'engage dans quelque chose de plus palpitant que ses histoires de vampires avec Snyder. Et comme l'océan est plein de poissons, je découvrirai à la place d'autres comics.

JUGGERNAUT #2, de Fabian Nicieza et Ron Garney

 

Alors que X of Swords bat son plein, la mini-série Juggernaut poursuit son bonhomme de chemn, loin du tournoi qui monopolise l'attention des mutants de son demi-frère, Charles Xavier. Fabian Nicieza fait une brève allusion à ce dernier mais entraîne son histoire sur une autre voie, étonnamment sensible. Ron Garney compose avec sans être frustré, produisant des planches simples et efficaces.


Il y a quelques mois, alors qu'il est hospitalisé après s'être évadé des limbes, Cain Marko a la visite de son demi-frère, Charles Xavier, qui lui souhaite un prompt rétablissement. Mais Cain comprend surtout qu'il n'a pas le droit de le rejoindre sur Krakoa, où seuls sont tolérés les mutants.


De nos jours. Suivant le plan de D-Cel, le Fléau défie Hulk. Mais la manoeuvre doit surtout permettre à la société Damage Control, pour laquelle Cain travaille, de capturer le géant vert. Grâce aux pouvoirs combinés du Fléau, de D-Cel et d'un siphon éneergétique, Hulk est vaincu.


Quelques moins auparavant. Remis, Cain Marko se rend à Budapest pour y visiter avec un guide les catacombes. Il espère trouver là un moyen de récupérer ses pouvoirs grâce à un artefact relié à la divinité Cyttorak.


Hulk, enfermé dans une cage, est exhibé devant un parterre de civils ruinés par les dégats qu'il a provoqués dans leurs vies. Le Fléau écoute ces récriminations et se tait, tout en comprenant qu'il a lui aussi commis des dommages terribles dans l'existence d'innocents.


C'est ce que ne manque pas de lui signifier Hulk qui réussit à se libérer avant de disparaître avec l'aide de complices. De retour à New York avec D-Cel, le Fléau apprend que Damage Control le poursuit en justice pour avoir provoqué leur faillite...

Cette mini-série est plus surprenante que ce que j'en attendais. Qu'en attendais-je d'ailleurs ? Un récit bourré d'action, comme son anti-héros en était capable et comme le promettait cet épisode avec une confrontation avec Hulk au programme. Mais Fabian Nicieza creuse un autre sillon, plus sensible et troublant.

Traversé par deux flashbacks épatants et concis, où Cain Marko reçoit la visite spectrale du Pr. X, son demi-frère, et où il comprend qu'il ne pourra rejoindre Krakoa car il n'est pas un mutant, puis lors d'un voyage à Budapest, à la recherche d'un moyen de redevenir le Fléau, l'épisode explore le thème de la culpabilité.

Effectivement, le Fléau combat Hulk et leur opposition donne lieu à des planches percutantes où Ron Garney se fait plaisir. Même si le dessinateur offre parfois des compositions pas très inspirées et même maladroites, il traduit parfaitement la puissance de ces deux forces de la nature. Toutefois, depuis que Al Ewing a établi que Hulk était immortel (dans la saga Avengers : No Surrender puis dans la série Immortal Hulk), ce dernier est devenu un élément réellement imbattable, qui assume sa part malfaisante tout en ayant un intellect intact. Ce n'est plus une brute instoppable et primitive, mais une sorte de rouleau compresseur dépassant l'entendement, sans doute l'incarnation la plus féroce et la plus surhumaine qu'on ait connue.

Si Cain Marko en vient à bout, c'est en trichant, avec l'aide de la société Damage Control et de la jeune D-Cel qu'il a prise sous son aîle (à moins que ce ne soit l'inverse puisqu'elle narre la tentative de rachat du Fléau). C'est à partir de là que Nicieza déjoue les attentes du lecteur en opère un glissement malin dans son propos.

Hulk est livré en pâture à des citoyens dont il a détruit l'existence lors de batailles ou d'accès de folie meurtrière dans le passé. Le colosse de jade va s'évader, c'est certain, rien ni personne ne peut le contenir, mais il écoute en souriant ces plaintes. Cain Marko aussi écoute et il est bouleversé. Quand Hulk sort de la cage dans laquelle on l'a mis, il disparaît vite mais pas sans avoir pointé du doigt le Fléau et déclaré que lui aussi est coupable des mêmes maux. Cain l'admet d'autant plus douloureusement que, contrairement à Hulk, qui a longtemps été un démolisseur inconscient de ses actes, le Fléau a été un criminel parfaitement au fait de ses méfaits.

Entre, donc, le fait que Charles Xavier lui refuse l'accès à Krakoa, son séjour dans les limbes, et l'accusation incontestable de Hulk, Cain Marko apparaît à la fois comme un bourreau et une victime. Mais Nicieza voit, c'est évident, son personnage davantage comme une victime : victime de lui-même, de ses excès, de sa soif de puissance, de son incapacité à se contrôler. Et ainsi, étonnamment, on se prend à être touché, pas au point de l'excuser, mais assez pour comprendre que Cain Marko est profondément seul et que cela l'a conduit à des erreurs terribles dont il doit désormais payer le prix. A cet égard, la conclusion de l'épisode en rajoute, mais de façon très pragmatique.

Ron Garney, qu'on attendait beaucoup sur ce titre pour sa maîtrise à croquer des héros surpuissants, en est un pour ses frais, mais il a aussi assez de talent pour illustrer cette histoire au-delà de ça. Son découpage est efficace dans l'action, il donne ce qu'un artiste de sa trempe sait produire : l'impact des coups, la résistance face un adversaire trop fort, tout cela est rendu parfaitement, en dépit d'une page ou deux aux compositions maladroites (je pense à une page en particulier où Garney en deux cases, séparées par une ligne transversales, donne l'impression que le Fléau est franchement ridiculement petit comparé à Hulk, et dont le flux de lecture est inconfortable).

Mais, donc, Garney a du métier et quand il doit mettre en scène cette séquence devant cette assemblée avec Hulk, Cain, et tous ces témoins, il réussit très simplement mais intensément à faire comprendre au lecteur que ce qu'on reproche au géant vert s'applique aussi au Fléau. La mine troublée, puis de plus en plus pénétrée, de Cain suggère une malaise croissant chez lui. Et quand Hulk disparaît, Mark est accablé, admettant, lucide, ses torts.

Outre qu'on ne verra donc certainement pas le Fléau dans une série X de sitôt, la mini-série va aussi sûrement continuer à creuser ce sillon de la culpabilité de son héros, tout en nous instruisant sur la façon dont, après son séjour dans les limbes et à l'hôpital, il est redevenu le Juggernaut.

vendredi 23 octobre 2020

GUARDIANS OF THE GALAXY #7, de Al Ewing et Marcio Takara

 

Avant toute autre chose, pour apprécier ce septième épisode de Guardians of the Galaxy, assurez-vous d'avoir lu la saga Empyre, sinon vous serez complètement largués. C'est à la fois le charme et l'inconvénient de la notion d'univers partagé lorsqu'un scénariste, comme Al Ewing en l'occurrence, qui avait co-écrit cette saga, décide d'en explorer les conséquences dans une de ses séries. Il est une nouvelle fois associé à Marcio Takara pour ce récit en forme de whodunnit, plaisant mais qui du coup élude les questions censées être posées.



En sa qualité d'ambassadeur de l'Utopie Kree, Marvel Boy doit participer à une réunion extraordinaire entre plusieurs représentants de l'univers, suite à l'officialisation de l'alliance Kree-Skrull. Les Gardiens, qui le convoient, sont toutefois priés de rester en retrait à bord de leur vaisseau.


Nova représente la Terre et introduit Noh-Varr auprès des autres délégués. Parmi eux, un seul est absent : l'empereur Stote des Zn'rx est parti se soulager aux toilettes. Les discussions commencent malgré tout sans lui et Kl'rt, le super-skrull, et la capitain Val-Lorr, son adjoint, sont sous le feu des questions.


Il s'agit de règler le problème de l'armement Kree-Skrull, en particulier du Bûcher. Kr'lt et Val-Lorr jurent que leur empereur, Hulkling, en a interdit définitivement l'usage. Du moins tant qu'il règnera sur l'alliance. L'assemblée choisit de s'en satisfaire, Nova et Marvel Boy se portant garants de Hulkling.


A son tour, Marvel Boy se rend aux toilettes et là, surprise funeste, il trouve l'empereur Stote mortellement blessé. Avant de succomber, ce dernier souffle qu'un métamorphe s'est glissé parmi les représentants pour tromper les autres. Val-Lorr surgit et arrête Noh-Varr qu'il croit être le tueur.


Marvel Boy élimine Val-Lorr juste avant que Kr'lt arrive à son tour. Coupable évident, Noh-Varr est sur le point d'être exécuté sans procès lorsque Nova s'interpose. Il convainc tout le monde de confier l'enquête à un tiers impartial...

Je dois bien avouer que cet épisode ne m'a qu'à moitié convaincu et plu. En effet, je ne suis pas très friand du principe qui veut que l'auteur (le co-auteur précisément) d'un event ou d'une autre série poursuive ce qu'il a entamé dans un autre titre. Cela oblige le lecteur à lire ce qui a précédé, donc parfois à se plonger dans une histoire antérieure pas forcément réussie (comme ce fut le cas d'Empyre) : c'est pour moi la grande limite de ce qu'on appelle l'univers partagé des comics.

De manière générale, je me méfie toujours des tenants de la continuité. Cela équivaut à raconter des histoires pour des fans experts, qui connaissent des intrigues parfois anciennes. Idéalement, j'ai toujours estimé qu'un comic-book devait pouvoir se lire comme si c'était le premier pour tout le monde, sans avoir besoin de références. J'aime le côté reader's friendly, l'accessibilité.

Là, cet épisode de Guardians of the Galaxy me dérange parce que je me mets à la place du lecteur qui n'a pas lu Empyre et je sais qu'il ne comprendra rien à cette réunion d'ambassadeurs chargés de discuter de l'alliance Kree-Skrull officialisée au terme de cet event. C'est dommage. Et Al Ewing aurait dû être plus précautionneux envers ce lecteur dans la mesure où, donc, il a co-écrit Empyre.

Mais bon, je suppose aussi que si vous êtes en train de me lire, vous n'êtes pas non plus complètement à la ramasse, vous vous tenez informés grâce à mes critiques ou via les sites spécialisés, les forums, etc. Donc, vous savez à peu près ce que racontait Empyre. Donc je m'adresse à des lecteurs avertis. Désolé pour les autres.

Toutefois, mes réserves ne concernent pas que les points précités. D'autres éléments dans cet épisode me paraissent inaboutis, mal fichus. Pour commencer, dans la première scène, on assiste à un dialogue télépathique entre Moondragon et Phyla-Vell, sa femme et co-équipière : Moondragon vient de fusionner avec une entité provenant d'une réalité parallèle, sans consulter Phyla. L'ambiance entre les deux est tendue, on comprend Phyla. Problème : comme avant lui Donny Cates, Al Ewing ne s'attarde pas sur Phyla. De fait, depuis sept épisodes, c'est, nettement, le personnage auquel il accorde le moins de temps. D'importance, même. C'est un peu beaucoup pour une héroïne qui est présente dans l'équipe depuis donc dix-neuf épisodes (si l'on compte les runs de Cates et de Ewing). Et c'est dommage parce qu'elle mérite à l'évidence mieux que de piloter le Bowie (le vaisseau des Gardiens) ou de protéger Rocket Raccoon en mission. Ou de servir de faire-valoir à Moondragon.

Ce manque d'égards envers Phyla-Vell déçoit de la part de Ewing qui, par ailleurs, n'esquive pas la sexulaité de ses héros (dans Empyre, il a marié Hulkling et Wiccan, et dans Guardians..., il a créé le couple Marvel Boy-Hercule). Le couple que forme Moondragon et Phyla devrait donc l'inspirer, mais il n'en fait rien.

Ensuite, l'épisode s'intitule Let's talk politics : c'est approprié puisqu'il s'agit d'interroger l'alliance récente entre Kree et Skrulls lors d'une réunion au sommet. Mais là encore Ewing va un peu trop vite. Il expédie les débats sur un ton badin pour leur préférer un whodunnit qu'il présente comme une comédie policière avec Rocket dans le rôle d'Hercule Poirot. Le whodunnit est un genre en soi dans le polar : un meurtre est commis, un innocent accusé à tort, une enquête est instruite pour démeler le vrai du faux. Marvel Boy joue le coupable. Rocket le détective. Les ambassadeurs les suspects. Et bien entendu, le Proscenium, la station où se déroule le sommet, est le théâtre de cette pièce.

J'ai, pour part, eu l'impression que Ewing avançait avec un programme pour mieux cacher son intention véritable (traiter des répercussions politiques de l'alliance puis introduire une affaire criminelle en huis-clos sur le ton de la comédie). Le souci, c'est que, sachant que Marvel Boy n'est pas le coupable, et que les suspects ne présentent qu'un intérêt très relatif, il y a peu de chance que l'intrigue soit passionnante et que sa résolution soit étonnante. En vérité, tout cela donne l'impression que Ewing gagne du temps avant de faire revenir Star-Lord dont il a également échoué à nous convaincre qu'il était vraiment mort lors de la bataille des Gardiens contre les Olympiens. D'ici à ce que Peter Quill ne revienne providentiellement pour résoudre cette affaire de meurtre, je ne serai qu'à moitié étonné, mais aussi très déçu car ce serait une ficelle grosse un cable.

Pour la seconde fois d'affilée, c'est donc Marcio Takara qu supplée Juann Cabal. J'aime beaucoup Takara, avec ses défauts et qualités, ce n'est pas un problème. Il s'acquitte du job avec professionnalisme, même si, cette fois, ses planches sont assez fades dans l'ensemble (à l'exception, tiens, tiens, du dialogue entre Moondragon et Phyla au début). Il se contente d'illustrer platement les échanges d'un épisode bavard, et se montre moins à son avantage dans la dernière partie, lorsque ça s'anime. Les couleurs de Federico Blee n'appportent rien de consistant, sa palette est trop douce, trop uniforme pour que les ambiances s'en ressentent, surtout quand la situation devient plus corsée.

La série est en vérité trop dépendante de Cabal et de ses prouesses visuelles, qui en relèvent le niveau de façon spectaculaire. Là où le bât blesse, c'est que, récemment, Marvel a présenté en grandes pompes sa nouvelle promotion de jeunes artistes sur laquelle elle compte miser dans l'avenir proche. On y trouve Joshua Cassara, Natacha Bustos, Carmen Carnero, RB Silva, Iban Coello et, plus drôle, Patrick Gleason (qui n'a rien d'un nouveau venu après un long et riche parcours chez DC), mais aussi donc Cabal. On peut dire que ça la fout un peu mal quand un artiste fraîchement mis dans la lumière apr son éditeur n'est même pas présent sur l'épisode du mois correspondant à sa promotion.

 Bref, sans dire que tout est à jeter, il n'y a quand même pas grand-chose à retenir de ce numéro qui passe à côté de son sujet, de ses personnages. Souhaitons que Ewing se resaisisse vite car Guardians of the Galaxy est une série séduisante qui mérite plus re rigueur et de régularité.

jeudi 22 octobre 2020

X OF SWORDS, CHAP. 9-10 : EXCALIBUR #13 - X-MEN #13, de Tini Howard et R.B. Silva, Jonathan Hickman et Mahmud Asrar

 


Mine de rien, on arrive cette semaine, avec ces treizièmes épisodes de Excalibur et X-Men à presque la moitié de X of Swords (le cap sera franchi la semaine prochaine avec X of Swords : Stasis). C'est passé drôlement vite et cela me rassure car cela dissipe mes craintes sur les possibles longueurs de ce crossover. Ce premier acte aura donc mis en scène la présentation des champions de Krakoa (même s'il en reste encore deux à identifier) et les chapitres 9 et 10 réservent encore de belles surprises. A commencer par cette étape dans l'Outremonde avec Captain Marvel écrite par Tini Howard et dessinée par RB Silva....


Saturnyne a convié dans sa citadelle la famille Braddock. Il s'agit de désigner le champion de son royaume pour le tournoi contre les Arakki. Mais elle a déjà son idée à ce sujet et va conspirer pour arriver à ses fins en dressant Betsy (qu'elle déteste) contre Brian (son favori), devant Jamie.


Brian veut remettre l'épée de puissance à Betsy qui refuse. Lorsque Saturnyne s'en mêle, elle oblige Betsy à détruire l'amulette de la sagesse, ce qui la condamne à une incarcération et promeut Brian comme champion de l'Outremonde.


Jamie échappe de peu à une arrestation par les membres d'Excalibur, asservis par Saturnyne, et aide Betsy à prendre sa revanche. Saturnyne remet à Brian l'épée Starlight mais Brian a joué la comédie pour que Betsy s'en empare. Brian et Betsy combattront ensemble pour Krakoa.

*


Jonathan Hickman reprend la main ensuite. Il est désormais accompagné de Mahmud Asrar, à qui revient le redoutable honneur de remplacer Leinil Yu (qui signe la couverture, puissante, de l'épisode). Ce chapitre revient sur la guerre entre Amenth et Arakko et le rôle d'Apocalypse dans un récit épique et tragique.


A l'agonie après avoir été blessé par les cavaliers et l'Invocateur, Apocalypse reçoit un traitement de choc grâce au Guérisseur dont les pouvoirs sont amplifiés par Hope Summers. Il se remémore la guerre contre Amenth et ses conséquences pour sa famille directe.


Les démons d'Amenth ont dévasté Okkara, malgré la résistance offerte par l'Epée Blanche et ses troupes. L'intervention d'Apocalypse et surtout de sa femme Genesis et leurs enfants, les quatre cavaliers, a été décisivie pour négocier la paix face à Annihilation qui leur a soumis un test.


En réponse à ce défi, Genesis impose à Apocalypse de séparer Okkara en deux et de préparer dans le nouveau monde où il sera des champions au cas où elle échouerait à contenir la horde d'Annihilation. Apocalypse se remet de ses blessures et, escorté de Gorgone, va chercher son épée Scarab.

De manière finalement assez classique, X of Swords se sera déployé dans un premier temps à identifier les champions de Krakoa. Là où on pouvait redouter une intrigue complexe, on a eu un déroulé très simple. Au temps pour ceux qui reprochent à Jonathan Hickman ses intrigues trop sophistiquées (et j'ai longtemps été de ceux-ci, soyons honnêtes)...

Ce qui est très intéressant et réussi, c'est qu'on a pas eu droit à des désignations allant de soi (à l'exception de Wolverine, dont personne ne s'attendait à ce qu'il ne soit pas du nombre des champions). Les différents scénaristes ont dû composer avec des personnages aux motivations très diverses, un casting pas évident, et des surprises véritables pour le lecteur, qui ont permis d'instaurer un vrai suspense (grâce à la suspension de résurrections, puisque ceux qui périssent dans l'Outremonde ne peuvent revenir parmi les vivants - ou alors salement abîmés).

Je dois dire que j'ai été ravi des choix opérés, dans la conduite du récit et le choix des protagonistes. Si tous les épisodes ne se sont pas valus, tant sur les plans de l'écriture que des dessins, l'ensemble est tout de même d'une très belle facture. Cela se lit sans aucun ennui, avec même des chapitres au ton inattendu (Hellions).

L'autre surprise, c'est qu'alors que la semaine prochaine, X of Swords : Stasis va se pencher sur les champions d'Arakko dans un numéro spécial, on ne connaît pas, à la fin de X-Men #13, tous les élus de Krakoa (deux places sont encore vacantes). De quoi là aussi alimenter un certain suspense (et un suspense certain). Qui rejoindra Magik, Wolverine, Tornade, Cable, Cypher, Captain Avalon, Captain Britain et Apocalypse ?

Dans Excalibur #13, Tini Howard interroge la situation de Captain Britain, dont le titre appartient désormais à Betsy Braddock (ex-Psylocke). Elle n'a pas choisi de rôle et ses relations avec Saturnyne, qui est la chef du Captain Britain Corps (même si cette armée n'existe plus depuis sa décimation lors de Secret Wars), sont exécrables. Et pour cause, Saturnyne ne juge pas Betsy digne et lui préfére Brian Braddock (depuis toujours - Saturnyne a longtemps convoîté comme amant Brian et son ardeur ne semble pas franchement calmée, même si son champion est marié et père de famille).

Brian a renoncé à son titre, d'autant plus qu'il a récemment été possédé par Morgan le Fay. Il tient donc à confier l'épée de puissance à sa soeur. Mais celle-ci n'en veut pas car elle tient à choisir son arme, et donc reste réticente à toute question d'héritage impliquant Brian et le titre de Captain Britain. La présence lors de cette réunion du fantasque Jamie Braddock, qu'Apocalypse a installé sur le trône du royaume d'Avalon (là aussi, au grand dam de Saturnyne), n'arrange rien.

Même si on peut diversement apprécier que Betsy soit Captain Britain, lui avoir donné ce rôle rend cet épisode particulièrement savoureux et rend son personnage plus relevé. On a affaire à quatre individus aux caractères forts, à des conflits d'intérêts épicés, à des enjeux politiques et sentimentaux corsés. Tini Howard fait de cet épisode le théâtre de tous ce (res)sentiments, des non-dits qui éclatent au grand jour. La scénariste excelle à manipuler ces héros comme Saturnyne tout en piégeant finalement cette dernière de manière habile. Seul bémol : les membres d'Excalibur, comme c'était le cas pour les autres équipes dont les séries ont été "squattées" par la saga, sont relégués au rang de figurants. 

Même si je reste parfois désarçonné par les variations de rythme d'une scène à l'autre, c'est l'épisode que je préfère parmi ceux que j'ai lu de Tini Howard, qui a indéniablement un style, une voix bien à elle, qui existe fortement, qui n'est pas écrasé par le crossover. Et puis elle bénéficie d'un dessinateur de première classe pour l'occasion.

R.B. Silva quitte donc la franchise X sur une belle prestation (il est désormais le dessinateur régulier de Fantastic Four, à compter du #25 qui sort cette semaine). Boosté par ses épisodes de Powers of X, il aura contribué grandement à donner une nouvelle jeunesse aux mutants avec Pepe Larraz. La facilité de Silva à s'emparer de ces héros est toujours aussi confondante, et il produit des planches superbes ici, depuis la vue d'ensemble sur la citadelle de Staturnyne, jusqu'au jardin où ont été érigées des statues des précédents Captain Britain en passant par la geôle obscur où croupit brièvement Betsy et la chambre de Saturnyne. On est à chaque fois saisi par la majesté des décors et les compositions dynamiques de Silva, sa façon de les éclairer pour donner le plus d'intensité possible aux scènes.

Il faut aussi voir avec quelle minutie il habille les personnages et pour cela s'attarder sur les tressages des habits de Brian et Jamie Braddock. Il représente Betsy dans son costume de Captain Britain en lui conférant une allure moins juvénile que Marcus To et plus expressive même que Alan Davis (à l'époque où elle grossit les rangs des X-Men, au lendemain du Massacre Mutant). Dommage vraiment qu'il n'ait pas été installé sur un titre régulier de la franchise (mais nul doute que son renfort fera du bien aux FF de Dan Slott).

Comme souvent (toujours), lorsque Jonathan Hickman revient en scène, il y a comme une montée en régime, un changement de relief, assez nets en termes d'écriture, de construction. Et X-Men #13 le confirme avec un épisode somptueux.

Le grand architecte de la franchise X ne cache pas ses préférences pour certains mutants et Apocalypse en fait clairement partie. D'ailleurs X of Swords n'existerait même pas sans En Sabar Nur. Leinil Yu a permis de manière décisive à imposer le colosse immortel comme une figure éminente de la nation X, en lui ajoutant une bonne dose de mélancolie, ce qui a nuancé tout ce qu'on pouvait aimer ou pas chez ce personnage. Apocalypse est la mémoire du peuple mutant, un survivant, qui a converti ses ambitions guerrières dans une cohabitation paisible, mais pas exempte de secrets. Ces secrets forment le terreau fertile de ce crossover. Et cet épisode y revient.

Dans X-Men #12, via l'Invocateur, le petit-fils d'Apocalypse, on avait appris le funeste destin d'Arakko, tombé sous les coups de la horde démoniaque d'Amenth. Il était également suggéré qu'Apocalypse avait dû consentir à un terrible sacrifice pour empêcher l'ennemi d'envahir totalement l'île originelle d'Okkara. De fait il avait séparé Krakoa et Arakko en laissant derrière lui femme, enfants et peuple. Mais le récit de l'Invocateur demeurait sujet à caution depuis sa trahision dans X of Swords : Creation, où avec les quatre cavaliers, comme un nouveau Brutus, il avait blessé gravement son grand-père.

Depuis son retour sur Krakoa, dans X-Factor #4, et les événéments ayant conduit à l'arrêt des résurrections, Apocalypse agonise er rien ne semble pouvoir améliorer son état. Ni le Guérisseur, ni le Dr. Cecilia Reyes, ni le Fauve n'ont été capables de soulager ses atroces souffrances. En autorisant qu'on lui administre un traitement de chox, potentiellement fatal, il se rémémore ses derniers instants sur Arakko.

J'ai déjà dit tout le bien que je pensais du traitement mythologique qu'avait apporté Hickman aux X-Men via Apocalypse dans le cadre de ce crossover. Je ne vais pas me répéter, même si je trouve toujours ça impressionnant et passionnant de revenir sur l'existence d'Arakko, et par extension d'Okkara, de découvrir les premiers cavaliers d'Apocalypse, sa femme Genesis, les assauts de la horde démoniaque d'Amenth, la séparation d'avec Krakoa. Tout ça possède un souffle vraiment épique, qui ne peut que vous emporter. Cela donne une perspective inouïe à l'histoire, une profondeur tragique et poignante à l'intrigue. Plutôt que de multiplier les spin-off, Jordan White, l'editor de la franchise, aurait été plus inspiré de développer au moins une mini-série consacré à ces origines de l'île mutante (ç'aurait été plus captivant que de consacrer un titre à Kid Cable ou aux futurs Children of Atom).

Du point de vue d'Apocalypse, le sort d'Arakko devient nettement plus émouvant. Bien entendu, on peut penser que ce n'est toujours pas la vérité, mais pourtant, dans les conditions où il se rappelle de tout ça, il me paraît diffile qu'il mente. D'ailleurs, il ne s'agit pas d'un récit proprement dît car il ne partage pas ses souvenirs, il y revient alors qu'il est incapable de parler, en proie à une terrible souffrance physique, à l'article de la mort. Plus prosaïquement, il s'agit alors d'une évocation d'un homme qui a dû, par devoir, tout abandonner derrière lui, pour la survie de son espèce et en prévision de sombres lendemains. On comprend alors le masque triste, ravagé, insurmontablement marqué d'en Sabbah Nur.

Mais il y a un autre masque dans cette histoire. L'Invocateur avait évoqué Annihilation comme l'adversaire ayant eu raison d'Arakko et de sa reine, Genesis. Pourtant, Marvel et Hickman ont ensuite beaucoup "teasé" sur l'identité d'Annihilation, laissant entendre qu'il s'agissait de la figure la plus importante de leur saga. Les spéculations vont bon train depuis...

Hickman ne dit encore rien, il faudra attendre (sans doute jusqu'au bout de l'aventure). Mais cela ne veut pas dire qu'il ne nous étonne pas. Car en vérité, Annihilation avant d'être une personne est un masque, au sens littéral, un artefact d'une puissance absolue. Celui qui le porte est possédé par lui et consumé. Et donc l'Annihilation évoquée par L'invocateur doit être un individu sacrément puissant pour avoir supporté ce masque, ce qui justifie qu'elle soit venue à bout de Genesis (dont l'efficacité est montrée dans cet épisode). On notera incidemment que X of Swords est garni de reliques, d'objets mythiques avec les épées, les masques, les armures, les armes (comme les blasons mais aussi comme les arsenaux). Et cela renvoie aux récits de chevalerie, à la geste chevaleresque, à la quête arthurienne. On voit donc que ce crossover est davantage un récit quasi-moyenâgeux qu'une histoire de SF comme Hickman les apprécie (en témoigne son actuel creator-owned avec Mike Huddleston, Decorum).

La mise en images de Mahmud Asrar est magnifique. Son style est d'ailleurs proche de celui de Yu, sans être aussi marmoréen, granitique. Toutefois, l'épisode tout entier appartient au même registre illustratif que le précédent numéro de X-Men, puisque la voix-off remplace abondamment les dialogues et donc tout découpage séquentiel. 

Asrar est devenu, au gré d'une carrière qui est maintenant bien fournie, un dessinateur aguerri et capable de s'adapter à divers styles d'écriture (il a collaboré avec Bendis, Aaron, Waid...). Cette souplesse lui permet de s'approprier facilement et rapidement n'importe quel univers, personnages, décors, comme s'il les dessinait depuis toujours. Les designs de Pepe Larraz (qui a établi les looks des Arakki et de la horde de démons d'Amenth) ne lui posent aucune difficulté. 

Grâce à sa technique très solide, il compose des plans avec la distance souhaitée, l'ampleur requise, le sentiment nécessaire. Qu'il s'agisse de montrer, en ouverture le visage du Hurleur perturbé par les cris d'Apocalypse ou les larmes que verse finalement ce dernier en se souvenant de sa rupture avec Genesis et leurs enfants, il sait parfaitement convoquer l'émotion et la transmettre. Mais quand il s'agit d'illustrer les batailles, une négociation tendue, ou un voyage express dans le désert lybien au coeur d'une pyramide, Asrar fait preuve d'un métier, d'une assurance comparables. J'espère vraiment qu'il restera sur le titre un moment (même s'il travaille actuellement sur King Conan avec Aaron, la suite de leur run sur Conan the barbarian).

Voilà en tout cas deux épisodes remarquables à tous points de vue. X of Swords s'apprête à basculer dans son Acte II, sans qu'on sache exactement de quoi il va être fait (et c'est une sorte d'exploit que d'avoir produit une telle saga sans que le lecteur sache où il va). La réussite de ce premeir mouvement inspire en tout cas confiance pour la suite.

mercredi 21 octobre 2020

CATWOMAN #26, de Ram V et Fernando Blanco

 

La reprise en main de Catwoman par Ram V est décidément spectaculaire. Ce scénariste réussit en deux épisodes à peine à renouer avec ce que je préfère : du rythme, du charme, des personnages forts, une intrigue solide, une ambiance polar. C'est un pur régal que les dessins de Fernando Blanco servent à merveille. Sans aucun doute un des meilleurs comics actuels, surtout chez DC.

Doublé par Catwoman, le Pingouin veut sa revanche et même plus que ça : il engage donc le Père Vallée, un tueur à gages pour supprimer la voleuse. Cependant, la féline fatale patrouille dans Alleytown pour reconnaître son territoire avant de retrouver Leandro, son informateur.



Celui la renseigne sur le grand banditisme du quartier. D'un côté, Khadym, de l'autre Vilos Nahigian ; deux dealers. Nahigian est en affaires avec Trish "Pit" Rollins, qui trafique des armes, et bénéficie de la protection de Rich Kollak, un flic corrompu. Catwoman décide d'attaquer Nahigian.


L'agent Hadley, fraîchement muté depuis Villa Hermosa à Gotham, arrive dans un garage où la police a été appelée après un affrontement. Catwoman y a laissé des traces. Mais Hadley apprend par un contact au FBI que le Père Vallée est en ville, sans savoir quelle est sa cible.


Catwoman rencontre "Pit" Rollins et lui propose de s'allier contre Nahigian. Pour cela, la voleuse compte subtiliser sa drogue qu'il réceptionne dans les docks. Rollins attend d'avoir la drogue pour accepter d'aider Catwoman.


Mais, évidemment, comme le pense Leandro, Rollins appelle aussitôt Nahigian après le départ de  Catwoman. Elle avait prévu cela. Mais elle ignore encore que le Père Vallée sait où elle habite avec sa soeur Maggie...

Je n'ai que du bien à dire de ce deuxième épisode écrit par Ram V. Cet auteur a tout compris à la série et à son héroïne. Il avait déclaré en interview, avant la sortie du #25 que son modèle était le run de Ed Brubaker (avec Darwyn Cooke puis Cameron Stewart) et il faut reconnaître qu'il s'inscrit parfaitement dans les pas de ces illustres devanciers.

J'avais trouvé un peu dommage que cette reprise démarre avec un récit attaché à l'arc Joker War de Batman. Mais Ram V a été malin, d'abord en rendant cette référence compréhensible, même pour ceux qui ne suivent plus la série désormais dirigée par James Tynion IV, et ensuite en exploitant ce qu'il a installé pour une intrigue désormais indépendante (quand bien même la couverture de l'épisode affirme qu'il s'agit d'une histoire explorant les "dommages collatéraux" de la guerre du Joker).

La prouesse est d'autant plus éblouissante que, dans ce #26, Ram V bombarde le lecteur d'informations en les rendant parfaitement claires. Catwoman s'est donc à nouveau installée dans le quartier malfamé de Alleytown et elle prétend y servir de guide à des jeunes sans repères. Mais son absence ne lui permet d'appréhender seule et vite ce territoire et elle s'en remet à Leandro pour l'affranchir.

Le lecteur est donc dans la même situation que Catwoman : il doit s'informer et absorber plusieurs éléments pour s'y retrouver. On découvre donc les noms et positions des gangsters de Alleytown. Une double page suffit à Ram V et Fernando Blanco pour cartographier les forces en présence. Un art de la synthèse assez remarquable pour être noté.

Parfois ce qui m'agace dans les séries sur les héros en solo, c'est un supporting cast un peu envahissant, comme si la vedette du titre n'était pas suffisante. Je ne parle pas des adversaires qui pimentent ses aventures mais de figures périphériques qui prennent trop de place. Ce défaut, par exemple, est visible chez Kelly Thompson, qui profite trop souvent de ses séries pour caser des seconds rôles qu'elle apprécie et de fait transformer sa BD en team-book qui ne dit pas son nom comme dans Captain Marvel.

Sur ce point, Ram V est très rigoureux et pourtant il y a du monde à table. Le cas du détective Hadley, reliquat du run de Joelle Jones, est éloquent. Le scénariste ne s'en est pas débarrassé mais il l'a installé de manière intelligente dans son propos, tiraillé entre une évidente attirance pour Catwoman et son devoir de flic nouvellement muté à Gotham : de fait, il enquête tout de suite sur une affaire en relation avec Selina Kyle. Leandro, l'indic de Catwoman est aussi judicieusement employé. Et Maggie Kyle n'est pas oubliée, même si encore discrète. Le Père Vallée, ce tueur engagé par le Pingouin, présente un profil singulier (il ne porte pas de costume de super-vilain) mais suffisamment inquiétant pour qu'on croit à la menace qu'il incarne.

Visuellement aussi, Catwoman est à la fête avec Fernando Blanco. Cet artiste connaît son affaire et anime le récit avec brio. Son découpage est varié dans ses effets et sobre à la fois, il enchaîne sans difficulté des planches classiques et ponctue l'épisode de doubles pages somptueuses, avec un nombre abondant de vignettes superbement composées.

Assumant dessin et encrage, Blanco impose un trait un peu gras qui a pour conséquence d'économiser les détails. Ce qui ne signifie pas qu'il va trop vite sur les décors et les ambiances. Chaque lieu est facilement identifiable et suffisamment orné pour qu'on apprécie l'effort du dessinateur. La manière dont, par exemple, il représente le cabaret de "Pit" Rollins est un modèle du genre : comme Blanco sait que son "morceau de bravoure" se situe dans un flashback plein d'action avec Catwoman au premier plan, il doit mettre à profit le nombre de pages qui lui reste pour que le lecteur cerne cet endroit de façon rapide et mémorable. Un bout de scène, un coin de salon suffisent alors à cet artiste accompli pour nous familiariser avec ce cabaret où on remettra certainement les pieds sans être dépaysé.

Il est certain que la façon dont Blanco s'empare de Catwoman rappelle Darwyn Cooke (par le dynamisme de la mise en scène) et Cameron Stewart (pour ce mélange de féminité et d'agressivité), mais il s'approprie le personnage, son cadre, sans que la comparaison ne lui soit défavorable. C'est le meilleur des mondes, qui évoque de bons souvenirs tout en ayant sa propre personnalité.

Il y a quelque chose d'épatant à voir tout ça tenir en une vingtaine de pages. La qualité du scénario et des dessins est indéniable, mais c'est surtout la compréhension du titre, de ses fondamentaux qui réussissent à subjuguer. Cela, seuls des auteurs intelligents et talentueux y parviennent en s'investissant dans une série qu'ils ne traitent pas comme un job provisoire, une vulgaire commande.