lundi 31 janvier 2022

DES NOUVELLES NOUVELLES TOUTES FRAÎCHES

 Bonjour à tous ! J'espère que tout le monde va bien et, pour commencer, je voudrais une nouvelle fois remercier tous ceux qui s'arrêtent pour lire cette rubrique (et mes critiques). Chaque semaine, je peux voir la fréquentation, très stable, et ça motive pour continuer, même si parfois la motivation peut manquer ou que les annonces sont plus rares. Allez, c'est parti pour un nouveau flot de news comics !

IMAGE COMICS :


L'éditeur va fêter cette année ses 30 ans d'existence, l'occasion bien sûr de nombreux lancements de séries inédites. Mais aussi de la publication d'une anthologie sobrement nommée Image !, qui proposera des histoires courtes par des équipes créatives ayant pris leurs quartiers chez Image Comics.
Dans le n°1 qui paraîtra en Avril, on trouvera ainsi : Geoff Johns et Andrea Mutti, Wyatt Kennedy et Luana Vecchio, Mirka Andolfo, Kyle Higgins et Davide di Nicuolo, Declan Shalvey, Skottie Young.


2022 sera-t-elle l'année des vampires ? On peut se le demander quand on voit le nombre de comics prenant pour héros des suceurs de sang. Après Night Club (de Mark Millar), Little Monsters (de Jeff Lemire et Dustin NGuyen), Christian Ward va écrire Blood Stained Teeth pour le dessinateur Patric Reynolds


Ici, le vampire sera décliné de façon plus politique puisque le héros de cette série, Atticus Sloane, en voudra aussi à votre argent...  A ce compte, en 2023, on aura peut-être droit aux come-back des loups-garous.

TITAN BOOKS :


Vous aimez les comics, sinon vous ne seriez pas en train de lire ces lignes. Mais si vous aimez les comics et David Bowie, non seulement vous avez bon goût, mais surtout Titan Books a pensé à vous puisque le Thin White Duke va être à l'honneur.


Le scénariste Dan Watters va en effet adapter en roman graphique le film The Man who fell to Earth (en vf L'Homme qui venait d'ailleurs), de Nicolas Roeg (1976), dont Bowie tenait le rôle-titre. En l'occurrence, celui d'un extra-terrestre échoué sur Terre pour y trouver de l'eau qui permettrait à son peuple de survivre. Mais tout ne va pas se passer comme prévu : il s'éprend d'une femme, puis sombre dans l'alcool et développe une addiction aux écrans de télévision... C'est l'artiste indien Dev Pramanik qui illustrera et ça s'annonce très beau.

DARK HORSE COMICS :


L'unité 731 est le nom qu'on a donné à l'endroit et à l'équipe de scientifiques japonais qui pratiquèrent sur des prisonniers durant le seconde guerre mondiale des expériences atroces (inoculation de maladies, privations de nourritures et d'eau, etc). Pourtant, alors que les victimes de ces horreurs se compteraient par milliers (au bas mot), aucun survivant n'a pu en témoigner.


Will Conrad avec Rod Monteiro prendront pourtant le parti du témoignage pour raconter cette histoire dans The Collector : Unit 731, qui paraîtra à partir d'Avril chez Dark Horse. Pour les coeurs bien accrochés donc. Mais aussi pour l'Histoire (et ce n'est pas la seule fois qu'elle sera visitée dans les news cette semaine...).

BOOM ! STUDIOS :


Dan Panosian est un dessinateur formidable mais rare, préférant visiblement se consacrer à son activité de scénariste. Son nouveau projet s'intitule Alice Ever After et se présente comme une suite glaçante d'Alice au pays des Merveilles de Lewis Carroll, imaginant l'héroïne à l'âge adulte confrontée à nouveau à ses aventures passées.


Pour dessiner cette histoire, qui commencera en Avril chez Boom ! Studios, Panosian a choisi l'italien Giorgio Spalleta. Un peu dommage quand on voit (ci-dessous) les superbes characters designs de Panosian, mais Spalleta est loin d'être un manche.



MARVEL COMICS :


Toujours en Avril, Donny Cates, qui écrit actuellement les aventures de Hulk, et Ryan Ottley, qui les dessine, entameront un nouvel arc narratif de la série.


Au menu : l'introduction de l'incarnation la plus effrayante de Hulk ! Vous avez le droit de ne pas être excité par cette promesse, qui est racoleuse à souhait et fera pleurer les fans du run d'Al Ewing (bien plus subtil dans son approche de Hulk). Mais si vous aimez les trucs bien bourrins (et ce n'est pas sale), alors vous serez satisfait.


Christopher Cantwell est aux commandes de Iron Man depuis un an et demi et a développé une saga ambitieuse marquée par le retour de Korvac et l'accession de Tony Stark à un niveau de puissance divine. Mais le scénariste a aussi doté Iron Man d'un supporting cast assez étonnant, notamment en lui adjoignant Hellcat.
 

Et justement Tony Stark va demander à Patsy Walker de l'épouser dans le n°20 qui sortira en Avril prochain ! Avec son passé de playboy, la chose n'a rien d'évidente et, surtout, quand on sait à quel point Marvel aime briser les couples sans reculer devant rien, à voir si tout cela est sérieux... Angel Unzueta (avec qui Cantwell collabore actuellement sur la mini Captain America/Iron Man) assurera les dessins (en l'absence de Cafu, l'artiste habituel de tête de fer).


L'event de l'été 2022, Judgment Day, vient de se payer un coup de pub polémique. On le sait, l'histoire, par Gerry Duggan et Kieron Gillen, mettra en scène les Avengers, les Eternels et les X-Men (les mutants au sens large, pas seulement l'équipe). Trois teasers (sans image) ont été diffusés par Marvel et c'est le dernier en date qui a fait beaucoup parler puisque, dans une citation de Druig, il est fortement suggéré que les mutants seraient une branche des Déviants, créés comme les Eternels, par les Célestes !
Si c'est avéré, il s'agirait d'une retcon (continuité rétroactive) énorme. En même temps, il fau se rappeler que Apocalypse utilisa du matériel des Célestes par le passé et que son génome fut amélioré grâce à cela, et d'ailleurs peut-être que Judgment Day verra En Sabah Nur revenir sur Krakoa - n'avait-il pas assuré à Cyclope au terme de X of Swords que leur histoire commune n'était pas terminée...
Par ailleurs, dans la série Eternals actuelle, Kieron Gillen, via Sersi, a déclaré se méfier des mutants, déplorant l'avénement de Krakoa comme nation souveraine. Et les Avengers ont aussi exprimé leur sentiment contrarié à l'égard des mutants.
Si Judgment Day se résume en fin de compte à un front commun Avengers-Eternels contre les X-Men, bof. Mais dans Eternals #10, à venir, les Eternels vont déjà affronter les Avengers dont ils veulent visiter le QG, un Céleste mort...


Restons un instant avec les mutants et les X-Men (l'équipe cette fois). Depuis House of X, des fans se plaignent du look de Jean Grey/Marvel Girl, qui reprend la tenue qu'elle portait lorsque Neal Adams dessinait la série à la fin des années 60 : masque et bottes jaunes, robe verte. Pour ma part, j'aime son côté rétro et simple, même si c'est vrai que c'est un peu daté. Marvel a cependant décidé de siffler la fin de la partie avec le renfort de Russell Dauterman.
 

Le brillant dessinateur (qui, hélas ! ne dessine plus de pages intérieures - à part Giant-Size X-Men : Jean Grey & Emma Frost) signe beaucoup de couvertures (Marauders, et bientôt X-Men Red) et de characters designs. Il a revisité la tenue du Hellfire Gala portée par Jean Grey pour en faire un costume moins exubérant que portera prochainement la belle rousse dans la série X-Men. Que pensez-vous de cette correction ? (Christina Cordula la trouve "magnifaïque".)


Ce que je redoutais est arrivé : non pas le relaunch, prévisible, de Daredevil, au terme de Devil's Reign, mais bien le maintien de son équipe artistique à partir de Juin...


En effet, Chip Zdarsky et Marco Checchetto rempilent pour animer les aventures de DD. Je sais que leur run a beaucoup de fans, soulagés après celui de Charles Soule (que, moi, je défends, même si j'admets qu'il n'est extraordinaire - mais après Waid/Samnee, c'était difficile). Pour ma part, alors que je trouve qu'il démarrait bien, il m'a vite lassé. Zdarsky n'a pas une écriture qui me plaît, en tout cas pour ce personnage que j'adore depuis longtemps.


Je serai un peu plus indulgent avec Checchetto qui est un excellent dessinateur, mais qui peine à enchaîner les épisodes et qui a souvent été suppléé au bout de cinq numéros par des remplaçants moins bons. Néanmoins, malgré son talent, je ne suis pas fan de son interprétation de Daredevil. Mais bon, c'est comme ça : je sens que je ne vais pas retrouver le diable de Hell's Kitchen de sitôt. A voir ce que Marvel prépare pour Elektra (puisque l'éditeur a juré qu'elle ne disparaîtrait pas au terme de Devil's Reign...).

L'AFFAIRE MAUS :


Je voulais terminer par une news absolument ahurissante, dont vous avez peut-être entendu parler ces derniers jours. Le roman graphique Maus, prix Pulitzer, qui raconte le récit du père de Art Spiegelman sur sa déportation à Dachau et l'enquête mené par l'artiste pour en tirer un livre. Un livre essentiel, dont la lecture est à la fois bouleversante et instructive. Un livre qu'on pensait inattaquable...



Jusqu'à ce qu'une école du Tennessee décide de le bannir de sa bibliothèque au motif qu'on y trouve trop de gros mots et de nudité ! Les responsables de ce choix ajoutent que comme Spiegelman a travaillé pour Playboy, c'est l'oeuvre d'un pornographe, et qu'un tel ouvrage ne doit pas être accessible aux enfants (ni à quiconque d'ailleurs).
Que dire sinon que c'est consternant. Spiegelman a qualifié la situation de "orwellienne". L'émotion s'est emparé des réseaux sociaux où de nombreux artistes ont exprimé leur indignation, certains offrant même des exemplaires de Maus aux lecteurs de cette commune du Tennessee, des libraires se tenant prêts à en livrer gratuitement.
Attention ! N'allez pas croire qu'il s'agit d'une manoeuvre isolée : l'extrême-droite américaine et une bonne parti des Républicains approuvent, et plusieurs élus ou personnels du corps enseignant dans des Etats conservateurs ont déjà procédé jusque récemment à des "purges" identiques, touchant à des comics en tout genre (Y the Last Man par exemple). C'est un mouvement de fond, très inquiétant, et indigne.
Lisez, relisez Maus ! C'est un bouquin formidable, magistral, indispensable, même s'il est aussi difficile, insoutenable - je n'ai jamais écrit de critique à son sujet car je n'ai jamais trouvé les mots. Lisez Maus pour lutter contre l'obscurantisme.

Et voilà pour cette fois ! N'hésitez pas à déposer vos commentaires si une de ces news vous inspire. En attendant de se retrouver, prenez soin de de vous et de ceux que vous aimez.

vendredi 28 janvier 2022

BLACK HAMMER : REBORN #8, de Jeff Lemire, Malachi Ward et Matthew Sheean


Ce huitième épisode de Black Hammer : Reborn est encore plus fou que ceux qui l'ont précédé. Si, si, c'est possible ! Jeff Lemire nous entraîne dans le sillage de son héros le plus bizarre, le très dérangé colonel Randall Weird, en compagnie duquel nous allons découvrir de nouveaux aspects du Para-Vers. Ce numéro est également le dernier illustré par le tandem Malachi Ward-Matthew Sheean, qui ont livré une prestation éblouissante.


A plusieurs reprises, le colonel Weird est en train de flotter en apesanteur dans une des coursives de son vaisseau explorant la Para-Zone. A chaque fois, il voit un reflet différent de lui dans un hublot puis gagne la cabine de pilotage où le robot Ralky Walky cartographie la zone. Puis il sort du vaisseau.


Une anomalie l'attire à l'extérieur et progressivement il en comprend la nature : l'Anti-Dieu, que les super-héros de Spiral City pensaient avoir tué, sommeille au coeur des dimensions parallèles et quand il se réveillera, un grand danger menace à nouveau.


Weird doit empêcher cela et traverse littéralement le miroir pour accéder à une solution. Il entre alors dans un espace blanc où se trouve une station spatiale inconnue. Il y entre et pénètre dans une grande salle où l'attend le Parlement des Weird, composé de tous ses doubles de réalités alternatives.


Pour éviter que sa réalité soit réécrite, Weird doit reprendre contact avec Lucy Weber/Black Hammer, dont il a tué la famille et qui a juré sa mort. Libérée de la cellule de prison où elle croupit, celle-ci retrouve Skulldigger avec lequel elle doit sauver le Dr. Andromeda...

Il y a quelque chose de proprement vertigineux à lire cet épisode, encore plus barré que tout ce que Jeff Lemire nous a racontés jusque-là. Black Hammer : Reborn confirme son statut de série hors normes, apogée d'une mythologie conçue par le scénariste canadien et relecture commentée des comics produits par les "Big Two" (Marvel et DC).

En vérité, en terminant cet épisode, un nom s'est imposé à moi : celui de Stanley Kubrick. Le cinéaste américain, grand formaliste, obsédé par la symétrie des choses et qui adaptait les oeuvres de romanciers pour communiquer ses motifs narratifs et esthétiques, partageait avec Lemire le goût des histoires qui vous retournent le cerveau avec une précision chirurgicale.

Contrairement à un Grant Morrison, qui est travaillé par les écrits de Alan Moore dans un mélange amour/haine, mais qui n'a qu'occasionnellement réussi à convertir cette relation en récits aussi aboutis que son illustre devancier, Lemire lui ne se cache pas de recycler ce qui l'a intellectuellement nourri mais pour produire quelque chose de plus fou et néanmoins accessible.

La grande référence de ce Black Hammer : Reborn #8 est à trouver du côté de 2001 : L'odyssée de l'espace et d'ailleurs, les magnifiques planches de Malachi Ward et Matthew Sheean s'en inspirent directement, comme quand Randall Weird parcourt les coursives de son vaisseau pour effectuer une sortie extra-véhiculaire dans la Para-Zone. Plus loin, quand le colonel azimuté accède à l'espace blanc, sorte de dimension-relais entre toutes les réalités parallèles du Para-Vers, il s'agit d'une adresse assumée à la scène du film de Kubrick quand l'astronaute David Bowman est aspiré dans un tunnel au-delà de Jupiter.

L'autre référence est Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll puisque, dans une scène iconique, Randall Weird passe littéralement à travers le miroir en "phasant" via un des hublots de son vaisseau. Ce même hublot où il a vu différents reflets de lui-même. Tel Alice, le voici qui accède donc à l'espace blanc, le nexus de tous les possibles, en l'occurrence la base en forme de station spatiale du Parlement des Weird.

Késako ? Il s'agit de l'assemblée de tous les "variants" du colonel Weird, issus de dimensions alternatives. Lemire concrétise l'idée suggérée dans le précédent numéro : le Para-Vers est l'ensemble de plusieurs Para-Zones, et il est donc logique qu'il existe plusieurs versions du colonel Weird. Randall apprend ce qu'en fait il soupçonnait : il existe plusieurs lui-même, comme il existe plusieurs Para-Zones, plusieurs Terres, et au centre de ce Para-Vers dort l'Anti-Dieu, qui, lorsqu'il se réveillera (ce n'est plus une éventualité, mais une certitude) réécrira le continuum espace-temps dans lequel se trouve Randall Weird.

Cela explique qu'une deuxième Spiral City soit apparu dans notre dimension et plane au-dessus de la première, qu'une collision mutliverselle soit sur le point de se produire. Tout n'est pas que double, mais multiple. Et, comme une boucle brillamment bouclée, c'est en retrouvant et en convaincant Lucy Weber de l'aider que Randall Weird peut espérer éviter le pire. Lucy est, rappelons-le, détenue dans une prison de Spiral City 2 où Skulldigger l'a persuadée de se laisser enfermer avec lui parce que le James Robinson/Dr. Andromeda y est captif et que ce dernier pourrait sauvait leur univers.

Jeff Lemire a mis en place un quatuor de héros improbable pour sauver le monde : le colonel Weird, qui a assassiné la famille de Lucy Weber, qui veut désormais lui faire la peau comme Skulldigger, lui-même partenaire du Dr. Andromeda. "Traduit" en comics mainstream, c'est un peu comme si nous allions assister à un event où les garants de la victoire seraient Adam Strange (mais complétement à l'Ouest), Thor, le Punisher et Starman. Vous avez dit bizarre ? 

Et pourtant, nul doute que Jeff Lemire, avec Caitlin Yarsky dès le mois prochain, va encore nous surprendre car cet homme-là va plus loin, voit plus grand, imagine plus imprévisible que tous les autres scénaristes-architectes. Black Hammer : Reborn, c'est n'importe quel comic super-héroïque que vous lisez en cent fois plus fou. Attachez vos ceintures !    

THE HUMAN TARGET #4, de Tom King et Greg Smallwood


The Human Target #4 confirme encore une fois le brio de cette mini-série écrite par Tom King et dessinée par Greg Smallwood. Chaque épisode est aussi bon que le précédent, et le niveau est très élevé. A ce stade, c'est quasiment une démonstration et il devient difficile pour les comics qui sortent la même semaine de faire le poids. Surtout que tout cela est fait avec subtilité.


Pour le quatrième jour de son enquête, Christopher Chance rencontre, en compagnie de Ice, Ted Kord alias Blue Beetle. Affairiste fortuné, il gravite dans les mêmes sphères que Lex Luthor et dispose donc de moyens pour l'éliminer. Mais, comme il le jure, un héros ne ferait pas ça.
 

La journée va prendre un tour inattendu pour Chance car Blue Beetle est appelé sur plusieurs sites pour règler des situations épineuses : braquage avec prise d'otage, aliens pris à parti par des civils, etc. A chaque fois, avec Ice, la situation est rapidement résolue. Mais quelque chose dérange Chance...


Entre chaque déplacement, Blue Beetle ne cesse de fournir des arguments pour se disculper et Ice suffirait à solutionner chaque problème. Le soir venu, Ted Kord dépose ses deux invités dans un de ses hôtels. Chance lui offre un verre et le soûle, auditionnant une confidence troublante.


Celle-ci lui suffit pour en rester là avec Kord et l'orienter vers un prochain suspect. En attendant le lendeman, Chance monte dans sa chambre. Ice l'y attend...

The Human Target est une vraie leçon de storytelling qui nous instruit à la fois sur l'intrigue qu'a imaginée Tom King et sur ce qui fait défaut à tant d'autres comics actuels quand on les compare à cette mini-série.

Car le format est important. Concevoir une mini-série, c'est dès le départ construire une histoire avec un début, un milieu et une fin. Cela s'applique particulièrement dans le cas de The Human Target dont la structure reprend celle d'un compte à rebours : ce quatrième épisode renvoie au fait qu'il reste huit jours à vivre pour le héros, son temps est compté et le lecteur s'interroge pour savoir si ce sera suffisant pour identifier celui/celle qui en voulant empoisonner Lex Luthor a condamné Christopher Chance.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'aventure a son terme programmé dès le début. Cela donne un propos, un but, un objectf au récit. En douze épisodes, Chance (le mal-nommé) doit savoir qui l'a tué involontairement. Or, combien de séries peut-on lire où le propos n'est pas clair et se dissimule derrière le prétexte que parce qu'elle est illimitée, la série peut retarder son échéance ? 

Pourtant, même les séries illimitées doivent avoir un but, qu'il s'agisse du terme d'un arc narratif, d'une idée générale (un thème par exemple qui lui sert de justification), ou une esthétique (est-ce un livre qui a vocation à être sérieux ? Ou à être drôle ?). Posez-vous toujours cette question quand vous lisez un livre, quel qu'il soit (roman, BD...), de connaître son enjeu ? Si vous ne le décelez pas, c'est que, quelque part, au début ou en cours de route, l'auteur n'a pas bien fait son travail et ne fait que rallonger la sauce en différant la formulation de l'idée qui sous-tend son projet.

Tom King, qui est passé maître dans l'art de la mini-série, un format qui lui plaît et qui convient mieux aux histoires qu'il veut raconter, et qui impose à l'auteur qui l'adopte une rigueur narrative (en vertu du fait qu'il lui faut donc un début, un milieu, une fin), a conçu The Human Target comme une sorte de culmination dans cet exercice. Puisque son héros est condamné à mourir mais aussi à réussir à trouver son assassin, le scénariste est lui aussi en somme condamné à réussir son histoire, sans quoi son échec sera flagrant.

L'épisode de ce mois fonctionne lui aussi selon le principe du terme. Christopher Chance est obligé pendant une journée de suivre Blue Beetle (et Ice) sur différents théâtres d'opérations. Il se tient en retrait, à la fois pour ne pas les embarrasser car leur tandem fonctionne à merveille, grâce à des années de pratique commune, mais aussi pour les observer. Tom King sait que les fans de Justice League International ont retenu de ses membres une manière de faire comique car J.M. DeMatteis, Keith Giffen et Kevin Maguire, leurs auteurs originels, écrivaient et dessinaient la série comme une comédie d'action.

De fait on retient, encore aujourd'hui, des héros de la JLI leur caractère comique, quasi-parodique, de super-héros maladroits et complices. Mais du couo est-il encore possible de croire que ces personnages soient autre chose que des guignols ? Peut-on encore les écrire différemment ? Blue Beetle est un personnage intéressant à cet égard car il a été créé par un auteur que King admire (et qu'il a abondamment cité dans Rorschach) mais qui n'avait vraiment rien d'un type drôle, Steve Ditko. Et quand Blue Beetle était un héros de Charlton Comics puis figurait dans Crisis on Infinite Earths (donc avant la formation de la JLI), ce n'était pas un rigolo non plus : c'était un archétype du "science hero", un génie fortuné qui se battait avec divers gadgets et ses poings dans un registre street-level hero.

Ce n'est qu'en l'associant à des personnages comme Booster Gold ou Guy Gardner que Blue Beetle est devenu un héros plus léger - ce qui a rendu son assassinat par Maxwell Lord poignant et cruel (juste avant Infinite Crisis). King se prête donc à un exercice périlleux qui veut ménager la chèvre et le chou, refaire de Blue Beetle un héros crédible sans lui ôter sa fantaisie. C'est précisèment là que l'épisode bascule vers quelque chose qui nous parle de la manière même d'écrire des comics adultes sans sombrer forcément dans quelque chose de sombre et de grave.

Examinez la (superbe) couverture de ce numéro, qui témoigne encore une fois du prodigieux talent de Greg Smallwood. On y voit Christophe Chance, sa flasque à la main, tournant le dos à Blue Beetle en train de maîtriser difficilement plusieurs assaillants, sous une pluie d'onomatopées aux couleurs vives. Les expressions des deux hommes les placent dans leurs registres respectifs : Chance à cet air distancié du détective qui regarde un drôle de gugusse en costume moulant et coloré en train de se bagarrer, tandiq eu Blue Beetle est dans l'effort comme en témoigne sa grimace.

Lorsque nous assistons à la première intervention de Blue Beetle et Ice contre des braqueurs de banque/preneurs d'otages, King et Smallwood font le choix, audacieux, de ne pas montrer la bagarre qui oppose les héros aux malfrats. Le cadre reste fixé sur Chance qui avale une rasade de l'alcool contenu dans sa flasque, l'air détaché, et entouré, comme sur la couverture d'onomatopées énormes et criardes provenant hors-champ. Qu'est-ce que nous dit cette scène et la manière dont elle est découpée ?

Si Smallwood avait dessiné l'action, nous aurions eu page tout ce qu'il y de classique, de vu et revu, avec Blue Beetle et Ice faisant démonstrationde leurs pouvoirs et de leurs armes pour corriger des malfrats et libérer des otages. Mais en déplaçant le point de vue de la scène pour ne montrer que Chance et illustrer les bruits de la bagarre au moyen d'onomatopées, ce qu'on voit, c'est un homme adulte en train d'assister à un spectacle incongru (deux super-héros costumés contre des bandits, un combat déséquilibré et dont on connaît tous l'issue à l'avance car il s'inscrit dans les conventions d'un genre familier). 

En fait, Chance, à ce moment-là, quelque part, c'est nous : nous n'avons pas/plus besoin de voir la bagarre car nous en avons vues des dizaines (des centaines même), encore moins ses protagonistes (là aussi des super-héros, nous en avons vus des quantités, et des méchants, idem). Les onomatopées nous suffisent pour imaginer et en même temps pour résumer ce qu'il peut y avoir d'absurde, de grotesque dans ce spectacle - d'ailleurs les onomatopées sont une écriture absurde et grotesque par définition, figurant des bruits intraduisibles en mots, et le fait qu'elles soient écrites avec des couleurs vives renforcent leur aspect irréel.

A ce moment précis, on a le sentiment que Chance comme nous se demande ce qu'il fait là, s'il n'est pas trop vieux pour ces bétises (pour paraphraser une célèbre réplique de L'Arme Fatale), un peu blasé, un peu ahuri. Et cela trahit quelque chose de plus profond chez le personnage et dans cette histoire.

Smallwood découpe les scène de cet épisode soit en "gaufrier" (quand Blue Beetle, principalement, a la parole, et il parle beaucoup), soit en vignettes plus grandes, parfois de la largeur de la bande, et même à trois reprises occupant toute la surface de la page. 

C'est une façon de faire classique, les scènes d'action profitant de l'espace, tandis que les dialogues/monologues s'accommodant de grilles de cases plus serrées. Mais au-delà de ça, cela permet à l'artiste, suivant le script, de souligner deux sentiments croissants chez le héros. Dans le cas des dialogues/monologues, on observe que Chance ne pose qu'une question directe, à Ted Kord (est-ce qu'il a voulu assassiner Lex Luthor ?) et celui-ci passse littéralement toute la journée à argumenter à ce sujet, expliquant pourquoi il aurait pu le faire et pourquoi il ne l'a pas fait. Cette logorrhée est épuisante mais à dessein, elle a visiblement pour but de noyer le poisson, de répondre sans vraiment répondre à la question. In fine, malicieusement, Chance finit par soûler Kord au moins autant pour le faire taire que pour qu'il dise quelque chose sans tourner autour du pot : il ne sera pas déçu car il recueillera alors une confidence vertigineuse sur un futur suspect (et un sacré client en perspective puisqu'il s'agit de J'onn J'onzz, le Limier Martien).

Et puis il y a les plans plus larges, les bandes, voire les splash-pages. Elle sont magnifiques, superbement composées, avec une colorisation extraordinaire. The Human Target, on ne le répétera jamais assez, est un festin pour les yeux, la technique de Smallwood est impeccable, c'est un dessinateur absolument prodigieux qui va certainement être découvert par beaucoup grâce à cette série, et ce n'est que justice.

Mais revenons aux images plus exposées : elles sont montrées du point de vue de Chance et à chaque fois elles montrent l'efficacité de Blue Beetle et Ice face à la menace. Une efficacité si parfaite qu'elle ne paraît pas si honnête que ça. Bien entendu, les deux acolytes ont l'habitude de se battre l'un à côté de l'autre, ils savent leurs points forts respectifs, ils ne se marchent pas sur les pieds, ne se gênent pas. Non, le malaise naît d'autre chose qui est formulé à la fin de l'épisode : tout ça n'est, là aussi, que du baratin, du vent, un écran de fumée. Un mensonge.

Car Blue Beetle, encore une fois, n'est qu'un type normal, riche certes, entraîné aussi, mais sans pouvoirs, juste équipé de gadgets. Il se bat aux côtés de Ice, qui, elle, a des pouvoirs, est très puissante. C'est une déesse. Elle n'a en vérité pas besoin de Blue Beetle pour venir à bout des menaces qui se présentent. Donc, tout ça, tous ces affrontements, qu'on n'a pas besoin de voir et que Smallwood se permet donc de ne pas montrer, c'est de la comédie, c'est une mascarade. Un mensonge.

Et donc Chance suit une déesse, Ice. Il le sait désormais. Comme n'importe quel homme dans cette position, il est fasciné (et n'hésite pas à le lui avouer en expliquant que parfois il la regarde, et elle est tellement belle qu'il a du mal à respirer - un aveu qui sidère Ice). Mais il mesure aussi le danger qu'elle incarne, car non seulement en sa présence il est encore plus vulnérable (malade, condamné et amoureux !), mais surtout s'il la brusquait, s'il la contrariait, alors il sait qu'elle ne ferait qu'une bouchée de lui. Comme elle ne fait déjà qu'une bouchée de lui en l'attendant dans sa chambre d'hôtel, tellement belle qu'il ne se retient même plus alors de l'embrasser.

Cette réflexion sur la notion de distance, dans tous les sens du terme (le point de vue, l'espace entre deux êtres, entre une question et sa réponse, etc) est au coeur de cet épisode fascinant et magistral. Réussir si bien à traduire ça en 28 pages, sans dévier de l'intrigue mais au contraire en s'en servant comme levier, c'est réellement bluffant. Mais peut-il en être autrement quand la leçon est prodiguée par un scénariste aussi inspiré et un artiste aussi brillant ?     

jeudi 27 janvier 2022

DEVIL'S REIGN #3, de Chip Zdarsky et Marco Checchetto


Nous voici à mi-chemin de Devil's Reign avec ce troisième épisode et, comme c'est la coutume, on peut déjà tirer quelques enseignements de l'histoire que nous racontent Chip Zdarsky et Marco Checchetto. En tant qu'event, c'est moyennement solide mais tout de même efficace, avec des imperfections qui apparaissent (avec peut-être un risque de courir trop de lièvres à la fois). Mais on va rester positif car l'ensemble présente de vraies qualités narratives et visuelles.


La Chose et la Torche Humaine font irruption dans un commissariat pour en délivrer Spider-Man (Ben Reilly), passé à tabac par des flics revanchards et pro-Fisk. Une fois dehors, pourtant, les trois héros se demandent où aller puisqu'ils sont hors-la-loi et recherchés.


Le lendemain, dans la journée, Luke Cage officialise sa candidature pour l'élection municipale et Foggy Nelson répond aux journalistes qui s'interrogent sur ce choix alors qu'il est dans le viseur du maire. A la prison du Myrmidon, Kirsten McDuffie rend visite à Sue Richards qui s'inquiète du cours des choses.


Fisk, lui, est en compagnie de son plus précieux détenu, l'Homme Pourpre qui lui explique que son amnésie au sujet de l'identité secrète de Daredevil a dû être causée par ses enfants. La progéniture de Zebediah Kilgrave est en cavale mais le Dr. Octopus est trop occupé pour les traquer.


Divisés sur la suite à donner à leurs actions, les héros qui ont pris le maquis sentent l'influence de l'Homme Pourpre. Daredevil les convainc d'enlever Fisk, reclus à l'hôtel de ville. Mais l'opération dégénère quand le groupe est attaqué par Octopus et sa bande...

Après deux premiers numéros d'excellente facture car Chip Zdarsky osait poser quelques questions qui fâchent sur la responsabilité des super-héros vis-à-vis de la criminalité concentrée dans New York, le tout sur fond de chasse aux sorcières par le Caïd bien préparé, Devil's Reign accuse un peu le coup pour son troisième chapitre, plus classique.

Le scénario a en effet posé des bases intéressantes mais peine à les exploiter, à les développer. Fisk est toujours aussi enragé mais Zdarsky court trop de lièvres à la fois et s'égare un peu en révélant l'agenda personnel du Dr. Octopus qui a attiré dans notre dimension certains de ses doubles hybridés avec des héros connus (Wolverine, Hulk, Ghost Rider). 

Otto Octavius compte ainsi profiter du chaos qui règne dans la communauté des héros et de l'obsession de Fisk pour les neutraliser pour, une fois cet affrontement règlé, s'emparer du siège de maire. Du coup, l'officialisation de la candidature de Luke Cage passe trop inaperçue et la scène, qui se veut vibrante, manque cruellement d'intensité. Pour moi, c'est une mauvaise idée : Zdarsky rajoute un vilain à l'équation dont son histoire n'a pas besoin, alors que le risque avec un vilain de l'envergure d'Octopus, c'est bien qu'il vole la vedette, même au Caïd.

Par ailleurs, alors que Devil's Reign se déroule actuellement, l'event contredit quelques séries en cours, comme si Zdarsky ou l'editor du projet n'avaient pas pris la peine de s'aligner sur les travaux en cours de leur camarades. J'en veux pour preuves que, par exemple, le Dr. Octopus qui agit ici est trop différent de celui qui vient de repointer le bout de ses tentacules dans The Amazing Spider-Man (en aidant May Parker) ou, pire encore, en montrant Ben Reilly passé à tabac et sans nulle part où aller, une fois que Ben Grimm et Johnny Storm l'ont sauvé, alors qu'il est employé par la puissante Beyond Corporation qui ne laisserait sûrement pas son tisseur dans une telle panade.

C'est dommage. Mais l'addition de petites erreurs, d'incohérences de ce type nuisent à la mini-série. Fisk détient l'Homme Pourpre qui dénonce ses enfants (certes le père et ses rejetons se vouent une haine réciproque) mais là où ça cloche, c'est que Kilgrave pourrait/devrait être utilisé bien plus nocivement par Fisk contre les héros en cavale. Zdarsky s'inspire (ou copie) Fatalis Imperator, une histoire (brillante) de David Michelinie et Bob Hall (parue en 1987) dans laquelle Fatalis mettait le monde entier sans dessus-dessous grâce au même Homme Pourpre. Mais Zdarsky n'est pas Michelinie...

Il reste une suite de scènes qui, individuellement, sont efficaces, menées sur un rythme soutenu, mais dont la somme a du mal à aussi bien fonctionner que dans les deux précédents épisodes (on peut aussi, encore, incriminer l'excès de tie-in qui, comme d'habitude, donne l'impression qu'il manque des éléments à la série principale, notamment dans le nombre de fugitifs, le sort de ceux qui sont en prison, la nature des dossiers de Fisk contre les héros, etc.).

Marco Checchetto est, par contre, dans une grande forme. Non seulement il défend excellemment le script en l'illustrant de la manière la plus puissante et fluide possible, mais encore son dessin retrouve la solidité qu'il semblait avoir perdu depuis un moment.

Les pages se suivent et toutes réservent de belles trouvailles, avec des compositions dynamiques et soignées. Les personnages sont mis en scène avec une volonté de rendre justice à leur charisme. Quand l'action s'emballe, le résultat reste lisible et pêchu, même si Checchetto se ménage sur les décors et ne rechigne pas à user de quelques raccourcis (en jouant sur les ombres et lumières pour s'économiser). C'est malin mais pas honteux si on tient compte de l'exigence que réclame l'exercice.

La colorisation de Marco Meniz mérite elle aussi une mention car elle reste sobre, au service du trait de Checchetto et des ambiances, avec notamment la scène finale, le soir venu, donnant au combat de rue un côté blême bienvenue.

J'ai envie de dire qu'on va maintenant entrer dans le dur. Soit Zdarsky a encore quelques bonnes cartouches à tirer et son event tiendra ses belles promesses, d'autant que Checchetto a la patate. Soit, comme ça a souvent été le cas avec les events Marvel, la suite et fin de l'histoire confirmera cette désagréable impression que l'auteur a été trop gendarmé par l'editor, diluant les enjeux de l'affaire dans une énième bataille à l'issue prévisible et aux conséquences minorées. 

X-MEN #7, de Gerry Duggan et Pepe Larraz


X-Men #7 est la suite directe de X-Men #6 car on découvre qui se cache sous le masque (ou plutôt le casque) de Captain Krakoa. Gerry Duggan livre une épisode simple et directe pour éclaircir une situation complexe car les mutants sont face à un problème (et même plusieurs) épineux. Pepe Larraz prouve une nouvelle fois qu'avec lui la série a une autre dimension visuelle, quand bien même il ne force pas son talent.


Des hybrides mi-humains, mi-animaux sont lâchés dans New York par le Dr. Stasis, membre éminent de l'organisation Orchis, qui veut forcer les mutants à révèler qu'ils ont trouvé le moyen de ressuciter. Cyclope Synch, Sunfire et Wolverine (Laura Kinney) interviennent sans délai.


Mais la situation leur échappe car Stasis n'hésite pas à sacrifier des pions et à mettre en danger des civils. Sunfire en fait les frais, mais Synch limite les dégâts. En revanche, Cyclope est mortellement touché à l carotide en voulant sauver un nourrisson. Il décède devant plusieurs témoins.


Krakoa. Ressucité, Cyclope veut rentrer à New York mais Emma Frost lui explique que c'est impossible étant donné les circonstances dans lesquelles il a trouvé la mort. Elle contacte Jumbo Carnation pour une réunion de crise.


Dans la salle du conseil de Krakoa, Forge et Jumbo Carnation mettent la dernière main à la tenue de Captain Krakoa, l'alias que devra emprunter Cyclope pour que personne ne soupçonne son retour à la vie. Dans son antre, Stasis attend un faux pas des mutants.

En d'autres temps, comme lorsque Jonathan Hickman avait convaincu Marvel de sortir des épisodes à la pagination plus fournie pour le bien des histoires à raconter, X-Men #6 et #7 n'auraient occupé qu'un numéro. Désormais, Marvel est revenu à des formats plus traditionnels, suivant une périodicité mensuelle classique et Gerry Duggan a complété son intrigue en deux mois.

On voit là un retour à une forme de classicisme. La franchise mutante, désormais privée de son architecte, est rentrée dans le rang et son titre phare en est l'illustration. Ce n'est pas un reproche, mais juste le constat d'une normalisation. D'ailleurs, elle ne s'arrête pas là.

Gerry Duggan apprécie les team books (Uncanny Avengers, Guardians of the Galaxy, Marauders, X-Men), même s'il ne semble pas naturellement doué pour les animer. En vérité, c'est un auteur qui n'a pas de rigueur et s'il a un plan sur le long terme, chaque épisode arrive sans donner l'impression de suivre une trame précise. Au contraire, on a le sentiment que les menaces s'amoncellent, entre Orchis, Feilong, Stasis, Cordyceps Jones, le Maître de l'Evolution, et on peut sérieusement douter que tout sera bien développé.

De la même façon, on remarquera que Duggan, maladroit avec l'équipe au complet des X-Men, retrouve un peu de fluidité avec une formation réduite. Ici, il mène quatre X-Men au combat, et c'est déjà limite (Wolverine/Laura Kinney ne sert absolument à rien, elle n'a aucune interaction avec les autres, ses dialogues sont misérables, un vrai gâchis). Puisque seul Cyclope est au coeur du récit, on se demande pourquoi Duggan a jugé bon de l'entourer de trois co-équipiers, dont une est inutile et un autre (Sunfire) est incompétent et même dangereux. L'excuse pour justifier l'absence de Malicia, Marvel Girl et Polaris est ridicule.

Tout ça donc pour nous expliquer les origines du fameux Captain Krakoa. C'est un autre problème car le lecteur avait deviné tout ce qui se passe dans ce numéro le mois dernier, lorsqu'était évoqué la mort en opération de Cyclope, depuis obligé de se déguiser pour que personne ne comprenne que les mutants ont trouvé un moyen de ressuciter. Combien de temps va durer ce stratagème ? Combien de temps Cyclope acceptera-t-il de jouer la comédie ?

Comme souvent avec Duggan, ce qu'on voit, ce qu'il nous montre compte finalement moins que ce qu'il suggère. Cyclope, en bon petit soldat, accepte donc ce simulacre mais s'inquiète davantage d'autres choses. Qui a effacé la mémoire de Ben Urich, qui sur le point de publier un article à sensations sur les mutants ressucités ne s'y intéresse subitement plus ? Qui a attiré les X-Men dans ce traquenard pour que des civils assistent à la mort de Cyclope ? Cela est-il lié à l'arrivée de Feilong sur un satellite de Arakko/Mars ? Beaucoup de questions, peu de réponses, mais quarante pages pour créer Captain Krakoa et expliquer sa raison d'être.

Cette espèce de désinvolture semble contagieuse quand on examine les planches de Pepe Larraz. Le dessinateur espagnol est un des meilleurs artistes chez Marvel actuellement, ça ne fait pas un pli. Mais son statut a changé, les lecteurs ne voient plus en lui simplement un excellent dessinateur, ils voient une vedette qui les a éblouis avec House of X et les numéros intermédiaires de X of Swords ou Planet-Size X-Men. C'est ce qui est arrivé à des gens comme Bryan Hitch après Ultimates ou Steve McNiven après Civil War.

Dans une telle position, un dessinateur est longtemps déboussolé. Il a tendance naturellement, comme son éditeur le lui demande, à enchaîner avec des projets de plus en plus gros, ambitieux, comme un cinéaste avec des blockbusters. Parfois, il finit par s'y cantonner car il n'est pas/plus capable d'assurer une série mensuelle. Parfois, après des années d'efforts, il retombe sur ses pattes et se remet à produire normalement.

Larraz est entre les deux : X-Men gagne à être dessiné par lui car il attire désormais les lecteurs, séduit par son graphisme énergique. Mais on le sent à la peine, comme emprunté, dans le cadre étroit d'une série mensuelle. C'est une Ferrari sur une route de campagne. Il lâche les chevaux par intermittence, puis dessine de façoj ostensiblement moins investi ensuite. La faute sans doute à un script trop lâche. Mais aussi à un manque de motivation - difficile d'être aussi enthousiaste avec une "simple" série X-Men quand on s'est éclaté sur Planet-Size X-Men ou qu'on a explosé sur House of X.

J'ai souvent eu la sensation que Larraz était à court d'arguments, d'idées visuelles. Alors il épate la galerie, ici avec une contre-plongée qui fait toujours son effet, là avec une double page. Mais le reste du temps, c'est plat. Les décors disparaissent, les enchaînements de cases ne sont pas pleinement aboutis...  Au fond, je comprends qu'il n'enchaîne pas les épisodes, non pas parce qu'il est si fatigué (l'excuse ne tient pas, un artiste n'est pas vidé au bout de deux numéros d'affilée), mais parce qu'il semble s'ennuyer. Il n'y a pas assez de matière, de défis à relever avec les X-Men de Duggan, rien à inventer, à ajouter.

Les questions soulevées par l'intrigue ne sont pas inintéressantes, mais on a toutes les peines du monde à s'y accrocher, car elles sont trop reléguées (comme ce post-scriptum en data page où Cecilia Reyes note une évolution impressionnante des pouvoirs de Synch). Les méchants sont plus fantômatiques que fantasmatiques (Stasis, le Maître de l'Evolution Cordyceps Jones), le réglement des menaces trop expéditifs. Tout ça nous passe sous le nez ou au-dessus de la tête sans jamais nous faire palpiter.

C'est franchement décourageant à lire parce qu'on a l'impression de repartir régulièrement de zéro, Duggan lance une bombe, mais le temps qu'elle pète, il regarde ailleurs et nous aussi forcément. Larraz n'est pas suffisamment sollicité ou pas dans le bon tempo. Encore une fois, je me demande si ce n'est pas mon dernier numéro de X-Men. Disons que je perds patience.

mercredi 26 janvier 2022

BATMAN/CATWOMAN SPECIAL #1, de Tom King et John Paul Leon avec Bernard Chang, Shawn Crystal et Mitch Gerads


C'est un numéro vraiment spécial que ce Batman/Catwoman Special #1. A l'origine prévu pour être publié entre les épisodes 6 et 7 de la mini-série Batman/Catwoman de Tom King et Clay Mann, sa parution a été remise en cause et différée suite au décès de John Paul Leon, en Mai 2021. Finalement, ses meilleurs amis, Bernard Chang et Shawn Crystal, et Mitch Gerads ont complété l'épisode. En tout, 80 pages pour rendre hommage à cet immense artiste. 


Plutôt que de procéder comme j'en ai l'habitude (résumé et critique), en raison de la nature peu commune de cet ouvrage, je vais d'abord le présenter puis le commenter (même si l'analyse ici est secondaire). Donc, cela débute par Interlude, l'épisode proprement dit, long d'une quarantaine de pages : John Paul Leon en a dessiné et encré treize, Bernard Chang et Shawn Crystal se sont relayés pour encrer les pages 14 à 20, et Mitch Gerads a dessiné et encré les pages 21 à 38. Ci-dessus, une des pages dessinée et encrée par Leon.


Ci-dessus, une page crayonnée par Leon et encré par Chang.
 

Ci-dessus : une page crayonnée par Leon et encrée par Crystal.


Ci-dessus : une page dessinée et encrée par Mitch Gerads.

Interlude raconte la vie entière de Selina Kyle, depuis sa découverte, encore bébé, dans une poubelle par un clochard jusqu'à sa mort dans une ruelle, assassinée par un voleur. Entretemps, elle sera recueillie dans l'orphelinat financé par la famille Wayne, dont elle finira par fuguer, devenant voleuse à la tire, prostituée, vilaine costumée, amante et adveersaire de Batman, femme de Bruce Wayne, mère de leur fille Helena (qui deviendra justicière sous le pseudonyme de Batwoman), veuve, administratrice de l'orphelinat Wayne.

C'est récit complet qui ne nécessite pas d'avoir lu Batman/Catwoman avant. Tom King dresse un portrait exhaustif de Selina Kyle/Catwoman à travers des scènes courtes et frappantes. Le scénariste lie le destin de l'héroïne à celui de Bruce Wayne dès l'enfance puisque dans l'orphelinat où elle grandit se trouve un tableau de la famille Wayne. La fillette ambitionne d'être l'ami de Bruce sans jamais le rencontrer, recueille un chat errant, puis suite à des maltraitances (de la part d'autres orphelines et d'une des éducatrices) elle fugue. C'est alors qu'elle devient une voleuse à la tire, puis se prostitue (et continue de détrousser ses clients). Elle revêt le costume de Catwoman et s'acoquine avec le Joker. Sa route croise celle de Batman avec lequel elle entretient une relation complexe avant qu'ils ne deviennent amants puis époux et parents. La mort de Bruce les séparera mais Selina est une mère attentionnée pour leur fille, Helena, qui embrassera la carrière de justicière. L'existence de Selina trouve un terme sordide quand un voleur l'abat dans une ruelle.

King n'a jamais fait mystère de son attachement, voire de sa passion pour Catwoman, et il avait conçu tout son run sur Batman comme l'histoire du couple qu'il formait avec la féline fatale. Dans les six premiers épisodes de Batman/Catwoman que j'ai lus (avant de laisser tomber, trop déçu par le résultat et le fait que Clay Mann ait été incapable de continuer à produire la suite) tout comme dans Batman :Annual #2, King s'est consacré à détailler ce couple extraordinaire en montrant Batman fasciné par Catwoman. 

Influence majeure de King, Batman : Year One de Fran Miller et David Mazzucchelli est la collection d'épisodes autour de laquelle il ne cesse de tourner quand il s'agit de définir à quand a eu lieu la première rencontre entre Batman et Catwoman. Ici, on voit, d'une certaine manière, qu'elle est bien antérieure à la rue ou au bateau (selon les origines qu'on donne au dark knight et à sa belle). Et bien qu'il ait longtemps insisté sur le fait que Batman/Catwoman s'inscrivait dans la continuité, aujourd'hui King, sans doute pour arrondir les angles avec son éditeur et faciliter les choses avec les scénaristes qui lui ont succédé sur Batman (mais aussi sur Catwoman), consent à dire que c'est une histoire possiblement dans la continuité, à la manière de The Killing Joke d'Alan Moore et Brian Bolland, longtemps considéré comme hors continuité avant d'y être intégré. 

En vérité King garde le réflexe d'un auteur plus à son avantage dans les mini-séries, avec un début, un milieu et une fin - et la fin de Batman et Catwoman, il aimerait en être le seul auteur, par fierté mais aussi par amour pour ces deux personnages. Toutefois, on sait bien que cela ne fonctionne pas ainsi dans les comics mainstream, particulièrement quand cela touche à un héros aussi important stratégiquement que Batman pour DC Comics.

S'il y a des passages formidables, touchants, poignants même, drôles aussi, King lance des pistes passionnantes qui risquent fort de ne jamais être explorées (par exemple quand Helena demande à sa mère pourquoi Batman, le plus grand détective du monde, n'a jamais retrouvé les parents de son épouse et que Selina lui répond qu'elle n'a simplement jamais pensé à lui demander - pourtant, voilà une histoire qui serait intéressante à imaginer). Et puis, parfois, aussi, King ne sait pas s'arrêter, ou fait des choix déplorables, comme la mort sordide qu'il inflige à Selina, une vraie faute de goût.

Visuellement, les treize planches entièrement réalisées par John Paul Leon ne ressemblent pas du tout à celles d'un homme déjà très malade (et vraisemblablement condamné) : l'artiste y est au sommet de son art, tout entier à son art, avec ce trait épuré, sous influence Toth, avec un sens de la composition et du clair-obscur fabuleux. On trouve dans les bonus de l'épisode ses crayonnés (pour ces planches et pour une couverture alternative non retenue, mais magnifique) et franchement, c'est bouleversant. Il en avait encore sous le pied. Il avait encore tant à donner. Mais la mort se fiche du talent, du génie, elle est injuste et cruelle.

Bernard Chang et Shawn Crystal étaient les deux meilleurs amis de Leon dans le métier et se sont chargés d'encrer ses crayonnés pour les pages 14 à 20. Chang opte pour un encrage très fidèle, soucieux d'imiter au mieux le style de Leon, et le résultat est parfait, très soigné, impeccable. Crystal prend un peu plus de liberté, héritant aussi de breakdowns moins précis qu'il lui a fallu compléter. Mais l'ensemble est d'une remarquable tenue. Evidemment, on peut aussi penser qu'en publiant uniquement les breakdowns et en sortant le numéro inachevé, ça aurait été mieux, plus intègre. Mais c'est un choix éditorial et personnel aussi car Chang et Crystal n'ont évidemment pas été payés pour leur travail, ils ont voulu terminer le travail de leur ami, pensant honnêtement lui rendre hommage, offrir aux lecteurs un produit fini. Pour ma part, comme je l'ai écrit plus haut, critiquer ce choix me paraît dérisoire.

Enfin, Tom King a demandé à son ami Mitch Gerads, qui admirait Leon, de réaliser les 17 pages restantes. Pour la peine, Gerads s'est astreint à un dessin à l'ancienne alors qu'il utilise normalement la tablette graphique, et un encrage traditionnel. On sent qu'il s'est investi et si parfois il y a quelques maladresses (des visages pas très réussis notamment ou des attitudes un peu alambiquées), la majorité de ses planches sont formidables, dans l'esprit, grâce aussi aux couleurs de Dave Stewart qui a unifié cet ensemble hétéroclite.

Pin-up de Tula Lotay

DC a fait le choses bien puisque, après Interlude, Michael Davis, éditeur du label Milestone et co-créateur de la série et du personnage Static sur lequel JP Leon a débuté sa carrière, a rédigé un texte absolument poignant, célébrant à la fois le génie du dessin qu'il était mais aussi l'individu incroyablement humble, généreux et sensible. Plus loin, Kurt Busiek, scénariste de Batman : Creature of the Night qu'a dessiné Leon, écrit aussi un éloge posthume superbe, mettant en avant le courage mais aussi la clairvoyance de son collaborateur. Connaître et travailler avec lui a considérablement marqué tous ceux qui l'ont côtoyé.


Une galerie de pin-ups permet d'apprécier ce que plusieurs dessinateurs ont retenu de Leon : Lee Bermejo, Denys Cowan, Becky Cloonan (ci-dessous), Klaus Janson, Rick Leonardi, Chris Batista, Dani, Ibrahim Moustafa, Clay Mann (ci-dessus), Vanesa del Rey, Dave Johnson, Joelle Jones, Shawn Martinbrough, Khary Randolph, Tula Lotay, Walter Simonson et Jon Bogdanove. Seul le dessin de Dave Gibbons fait tâche (un portrait de... Rorschach exprimant son respect pour le refus des compromissions de Leon ?!).


Enfin, deux récits illustrés par JP Leon complètent le programme : le premier est issu de l'anthologie Batman Black & White, sur un scénario de Walt Simonson, sidérant de beauté ; et le second, plus récent, sur un texte de Ram V, mettant en scène The Question, magistral.

Pin-up de Dani

Ce tribute to John Paul Leon est un indispensable pour tous ses admirateurs. Mais si vous méconnaissiez cet immense artiste, achetez-le aussi : après l'avoir lu, vous ne pourrez qu'avoir envie de lire plus de comics dessinés par JP Leon. Et c'est ainsi qu'il demeurera vivant. Eternel.