dimanche 28 février 2021

NEW MUTANTS #16, de Vita Ayala et Rod Reis


Depuis que Vita Ayala a pris New Mutants en main, la scénariste accomplit un boulot fabuleux et ce nouvel épisode en apporte une nouvelle preuve. Alors qu'elle doit animer un nombre important de personnages et autant d'intrigues, jamais elle ne perd le fil et nous sommes entraînés dans un récit parfaitement clair et très prenant. Par ailleurs Rod Reis est aussi le dessinateur qu'il fallait à cette série en lui donnant beaucoup de personnalité et d'audace visuelles.


Bravant les interdits de la communauté krakoane, de jeunes mutants s'amusent à emprunter les portails dimensionnels pour s'aventurer dans l'Outremonde, ignorant le danger. Mais lorsqu'ils sont surpris par Jamie Braddock dans le royaume d'Avalon, deux d'entre eux comprennent leur erreur.
 

Toutefois d'autres jeunes mutants ne sont guère plus prudents sur Krakoa. Suivant toujours le Roi d'Ombre, il acceptent ses expériences sur leurs pouvoirs. La seule à ne pas apprécier reste Scout (Gabby Kinney) qui se méfie de Farouk et des intentions.


Magik inflige, elle, une correction aux élèves qui ont harcelé leurs camarades. Pour les punir, elle les oblige à cohabiter avec leurs victimes. Au même moment, les deux fugitifs venant du royaume d'Avalon confient leur bêtise à Dani Moonstar qui part aider leur ami avec Karma.


Félina interpèle Prodigy et Eye-Boy au sujet de la résurrection, refusée par les Cinq, de son fils, Tier. X-Factor pense que dernier est encore en vie mais ne souhaite pas vivre sur Krakoa. Bouleversée, Rhane Sinclair cherche le réconfort de Dani mais celle-ci est déjà partie pour Avalon...

Ignorant ce que valait vraiment Vita Ayala avant qu'elle hérite de New Mutants, je n'avais aucun préjugé sur ses capacités à écrire la série. Ce que je savais en revanche, c'est qu'elle avait accepté une mission périlleuse puisque la série était décriée depuis que Ed Brisson avait succédé à Jonathan Hickman. Le fruit des efforts d'Ayala impressionne du coup d'autant plus.

En effet, Hickman avait suggéré, et Brisson avait essayé de le suivre, que New Mutants ne désignait plus seulement l'équipe des Nouveaux Mutants (dont deux membres ne résidaient plus sur Krakoa) mais l'ensemble des jeunes mutants de Krakoa. Autrement dit, en pilotant la série, il fallait s'engager à animer un casting pléthorique.

Ayala a donc eu la bonne idée de créer des échelons dans la jeunesse krakoane. Aux Nouveaux Mutants historiques qui étaient restés sur l'île, il fallait une mission précise et comme les mutants les plus célèbres étaient déjà bien occupés par ailleurs, alors ils seraient les professeurs de la génération suivant la leur. Cette hiérarchie a permis de structurer une série invertébrée. Et en même temps elle donnait aux Nouveaux Mutants une identité propre, ce n'était plus des X-babies, ou des juniors, ou des subalternes. Ils avaient un rôle.

Ce premier arc, intitulé The Wild Hunt ("La chasse sauvage"), doit ainsi être comprise sur plusieurs niveaux. La menace que constitue le Roi d'Ombre et ses manipulations sur quelques jeunes mutants n'est qu'une partie d'un plan plus grand. On le comprend parfaitement avec cet épisode où le thèmes de la chasse prend de nouvelles directions. Magik fait ainsi la chasse aux harceleurs et Dani Moonstar avec Karma part en chasse pour retrouver un élève dans l'Outremonde, tandis que Félina est elle aussi en chasse pour récupérer son fils au sujet duquel elle va faire une bouleveersante découverte.

Ce qui m'épate vraiment le plus avec le scénario de Ayala, c'est sa densité. Elle multiplie les lignes narratives sans jamais s'emmêler, elle dirige beaucoup d'acteurs sans jamais en négliger aucun, elle entretient une tension sur plusieurs plans sans faiblir. C'est bluffant. Le Roi d'Ombre rencontre une première résistance face à Gabby Kinney/Scout, mais celle-ci sera-t-elle en mesure de prévenir ses maîtres de la menace, étant entendu qu'elle n'est pas une mutante de sang pur mais le clone d'une mutante et qu'elle a des difficultés à s'intègrer. Magik doit enseigner le respect à des élèves qui intimident leurs camarades et trouve pour cela une punition précaire en les obligeant à cohabiter avec leurs victimes. Dani Moonstar et Karma doivent inspecter l'Outremonde en ignorant que Merlin a capturé des jeunes mutants s'étant introduits dans son royaume et qu'un autre élève parcourt ces contrées hostiles en toute insouciance. Enfin Rhane Sinclair est totalement désemparée quand elle apprend que son fils est vivant mais ne souhaite visiblement pas vivre sur Krakoa.

Il y a là une matière foisonnante qui donne un récit sans temps mort. On pourrait craindre que cela soit trop, mais Vita Ayala exploite tout cela avec une formidable fluidité. Elle n'a pas seulement restructurer la série, elle lui a donné un second souffle étonnant, une authentique ambition.

Le retour de Rod Reis sur la série, après avoir collaboré avec Hickman à ses débuts, est l'autre chance de New Mutants. Car l'artiste aussi donne une identité forte, sur le plan visuel, à ces épisodes. Son style aux couleurs pétantes, qui joue sur les exagérations graphiques, installe des ambiances inquiétantes, est audacieux. Pourtant il convient parfaitement au projet car, comme ses héros, il est changeant, mouvant, extrême. Il correspond aux caractères eux-mêmes limites de ces mutants en pleine évolution, en proie à des dangers multiples dont ils ne sont pas conscients.

Sans doute pour mieux se consacrer aux pages intérieures, Reis a abandonné les dessins de couvertures à Christian Ward, un autre artiste adepte des colorations saturées. Sur l'image illustrant ce n°16, l'accent est mis sur le Roi d'Ombre, mais le récit est plus riche que cela. Le défi pour Reis est donc de ménager les scènes en fonction des Nouveaux Mutants qui en occupent le centre. Pour le Roi d'Ombre, comme Ward, Reis privilégie en effet les teintes sombres, Farouk domine avec son physique imposant, ses grimaces : c'est un ogre dans la forêt de Krakoa qui s'amuse avec de jeunes proies. Quand on passe à la scène avec Magik, le rouge symbolise la colère de la magicienne envers les harceleurs. Puis le jaune et le marron entourent les moments partagés entre Dani Moonstar et Karma, Reis va même jusque, dans une magnifique double page, jusqu'au noir et blanc avec l'usage de trames, pour montrer qu'on a changé de dimension et que cela impacte l'humeur des deux jeunes femmes (Karma est étonnamment zen, résolue à surmonter ses récents cauchemars, quand Dani maugréé car courir après un élève fugueur l'agace autant que le calme de sa partenaire). Enfin, le bleu illustre la tristesse poignante de Rhane Sinclair, plus seule que jamais après avoir appris que Tier ne veut pas vivre avec elle et délaissée par Dani.

Reis est en pleine confiance; son découpage se simplifie (sans renoncer à quelques éclats - cf. la double page dans l'Outremonde, la pleine page chez Merlin), ses effets sont superbement dosés. Mais l'ensemble a une réelle puissance évocatrice. De ce point de vue, c'est certainement la série la plus forte visuellement dans la collection X actuelle.

Quel plaisir, quel régal ! Voilà la preuve qu'on peut être audacieux tout en étant parfaitement accessible, c'est le meilleur des deux mondes, un zeste d'indé dans une grosse franchise.  

samedi 27 février 2021

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #6, de Jeff Lemire et Tonci Zonjic


Il se sera fait attendre, ce sixième et dernier épisode de Skulldigger + Skeleton Boy. Depuis Octobre dernier, on était sans nouvelles de ce spin-off de Black Hammer. Mais, comme on dit, ça valait le coup. Car une fois encore Jeff Lemire réussit à livrer une conclusion épatante, lumineuse, pleine d'espoir. Tonci Zonjic est lui aussi en grande forme pour une de ses meilleure prestations.


1984. Crimson Fist et Alley Rat, son sidekick, se disputent après une patrouille où le second a brutalisé un malfrat. Il explique à son mentor qu'il n'y peut rien, que c'est dans sa nature. Sans doute l'héritage de son père, le criminel GrimJim.
 

1996. GrimJim vient d'enlever Skeleton Boy et Skulldigger se lance à leur poursuite avant que le dirigeable du vilain ne soit hors de vue. La détective Reyes n'a d'autre choix que de suivre le justicier mais appelle, en route pour Spyral City, des renforts.


GrimJim délire en pense que Skeleton Boy est son petit-fils. Skulldigger surgit dans le repaire de son père et tue ses acolytes. Pendant ce temps, Reyes, par une entrée dérobée, se glisse jusqu'à Skeleton Boy et le délivre.


GrimJim blesse Skulldigger et prend la fuite. Skeleton Boy veut le suivre pour l'arrêter. Mais Reyes tente de le retenir en lui expliquant qu'il peut encore décider de son destin. Quel choix fera le jeune garçon ?

Revenons un instant sur le retard pris par le série. Evidemment, comme toujours, ni l'éditeur ni les auteurs ne se sont exprimés à ce sujet. Pourtant communiquer clairement à ce sujet calmerait tout le monde et ferait comprendre aux fans les plus impatients (et intransigeants dans leurs commentaires) que la réalisation d'une BD ne va pas forcèment de soi. Cependant Tonci Zonjic a avoué, à demi-mots, qu'il avait connu des difficultés personnelles (de santé ?) récemment, l'empêchant de travailler régulièrement. Les artistes ne sont pas des machines et produire 20 pages/mois n'est pas naturel ni facile : ce serait bien que tout le monde s'en souvienne.

Cela pour dire aussi que, souvent, les critiques confondent la manière de dessiner avec le rythme de travail. Zonjic a un trait épuré, il est donc aisé de penser qu'il ne doit pas passer beaucoup de temps sur ses planches, tandis qu'un artiste généreux dans les détails est censé passer des heures, des jours entiers. Ce n'est pas si facile : dépouiller son dessin, c'est souvent au contraire faire des efforts pour sacrifier des effets et aller à l'essentiel, et donc, non, ce n'est pas parce qu'on a un dessin épuré qu'on dessine plus vite, plus facilement.

A cet égard, ce dernier épisode est un modèle du genre : Zonjic s'y affirme en grand storyteller. Ses planches sont un modèle du genre, toujours d'une lisibilité exemplaire, avec des enchaînements fluides, de magnifiques jeux d'ombres et de lumières, des compositions très équilibrées. Lire Zonjic, c'est savourer des images qui, justement, parce qu'elles semblent évidentes, exemptes d'efforts, trahissent l'exigence d'un dessinateur soucieux, tout le temps, de livrer des planches immédiatement appréciables, dans lesquelles on se plonge, qui ont cette qualité immersive propre aux travaus des meilleurs.

Si ça vous paraît évident, simple, normal, alors vous mésestimez l'investissement nécessaire pour produire une BD. Tout l'art de l'art séquentiel, c'est, pour ainsi dire, de faire comme si c'était facile. Le lecteur qui perçoit l'effort ne fait que lire une histoire en vérité laborieuse, qui cherche à épater la galerie plutôt qu'à convaincre qu'elle est accessible. Vous pouvez comparez ça à l'exercice d'un grand sportif qui réussit des figures sans que cela lui semble difficile, alors que c'est le résultat d'heures d'entraînement, d'années de pratique.

Si Tonci Zonjic brille autant dans cette mini-série, c'est parce qu'il ressemble à son scénariste. Jeff Lemire aussi est un narrateur redoutable. Il imagine des intrigues, les développe de telle manière qu'on a le sentiment qu'elles sortent de lui sans problème. L'univers de Black Hammer est devenu une marque en soi : en à peine quelques années, le scénariste est parvenu à développer un agrégat d'histoires, de personnages d'une cohérence impressionnante. Il fait jeu égal avec le Hellboy-verse de Mignola, et Dark Horse Comics doit être heureux de le compter dans ses rangs alors que son catalogue a été récemment dépouillé de franchises juteuses (Star Wars, Aliens, Predator, chez Marvel désormais).

Skulldigger + Skeleton Boy est une éclatante réussite et pour cela on lui pardonne tout, ses retards, ses twists improbables, quelques manques frustrants (comme un manque de caractérisation pour le méchant GrimJim dont j'aurai aimé savoir d'où il tenait son pouvoir régénérateur, transmis à son fils). Malgré donc des points faibles, cette mini-série se relira d'une traite avec plaisir (Urban Comics la traduira en Mai).

Le dénouement de l'histoire est bluffant alors qu'on pouvait légitimement se demander comment Lemire allait s'en sortir. Le scénariste joue sur des effets-miroir : dans la première scène de cet épisode, on assiste à une dispute entre Crimson Fist et Alley Rat, son sidekick, qui deviendra Skulldigger. La raison de cet échange houleux : le fait que Alley Rat a brutalisé un malfrat. Interrogé sur cet accès de violence, le garçon le justifie en expliquant qu'il n'a pas pu se retenir. Il pense qu'il tient ça de son père, le criminel GrimJim. Lors Crimson Fist cherche à le réconforter en l'appelant "fiston", Alley Rat répond sèchement qu'il n'est pas son fils.

Ce moment, ce dialogue, sont reproduits quasiment tels quels à la fin de l'épisode quand la détective Reyes, venant de libérer Skeleton Boy, tente de le raisonner car GrimJim vient de poignarder Skulldigger et prend la fuite. Le justicier incite son partenaire à prendre le criminel en chasse et le gamin est prêt à le faire. Pourquoi ? Parce qu'il a ça dans le sang. Il ne peut lutter contre ça. Vraiment ?

Je ne spoilerai pas le choix fait par Skeleton Boy. Disons que Lemire a préféré la lumière aux ténèbres et refuse tout fatalisme. Skeleton Boy n'est pas Alley Rat, c'est un gosse qui a subi une tragédie déchirante (le meurtre de ses parents) et réclame vengeance, encouragé par un mentor violent. La détective Reyes s'interpose en incarnant la voix de la raison, de la sagesse, de la maternité aussi. Mais rien n'est acquis et la décision prise par Skeleton Boy interroge la volonté du gamin. 

Ainsi l'histoire in fine est une réflexion poignante sur l'engrenage de la violence, de la vengeance, autant que sur la paternité. Car la figure du père traverse ces six épisodes : GrimJim et Skulldigger, Crimson Fist et Alley Rat, Skulldigger et Skeleton Boy. L'écrivain Pascal Jardin avait cette phrase que j'aime beaucoup sur le fait que les pères nous construisent spirituellement (et les mères émotionnellement) : Skulldigger + Skeleton Boy l'illustre parfaitement.

Un dernier mot pour Dave Stewart : cet exceptionnel coloriste, habitué des productions Dark Horse, accomplit encore une prestation de haute volée. Sa complicité avec Zonjic est fabuleuse. Mais surtout Stewart, c'est un partenaire, un vrai, toujours au service de la série, qui ne se met jamais en avant. Un artiste dans son registre, qui valorise les autres, quitte à s'effacer, à être mésestimé.

Ne passez pas à côté de cette mini-série si vous ne l'avez pas suivi en singles. rattrapez-vous avec le recueil, en vo ou en vf, c'est un régal à lire, et c'est aussi une oeuvre intense, profonde. Le meilleur des deux mondes, entre divertissement de qualité et réflexion subtile.

vendredi 26 février 2021

SABRINA THE TEENAGE WITCH : SOMETHING WICKED #5, de Kelly Thompson et Veronica Fish


La parution chaotique de ce deuxième volume de Sabrina The Teenage Witch s'achève trois mois après la sortie du précédent épisode. J'ignore ce qui a pris si longtemps à Archie Comics pour livrer ce numéro mais passons. Kelly Thompson avait la lourde tâche de conclure une intrigue un peu plus laborieuse que celle de son premier arc et elle s'en sort bravement. Veronica Fish met cela en images avec son énergie habituelle.


Capturée avec Ren et Radka Ransom par Della, Sabrina comprend que cette dernière était la tueuse qui sévissait à Greendale depuis plusieurs semaines car elle avait besoin de l'énergie vitale de ses victimes pour conserver sa jeunesse. Aujourd'hui, cependant, c'est à Sabrina d'en faire les frais.


Ren et Radka comprennent qu'il leur faut aider Sabrina, la seule à pouvoir les délivrer du sort que leur a lancés Della en représailles contre leur défunte mère, également sorcière. Ils se changent en Wendigo et offrent une diversion pour que Sabrina se libère de ses liens et défie Della.


Pour affronter Sabrina toutefois, Della n'a pas le choix : elle doit quitter sa cabane et s'enfoncer dans la forêt. Les deux adversaires commencent à se battre au centre d'un pentagramme. Effrayés par la tournure des événements, Ren et Radka tentent de s'interposer mais un champ de force les maintient à l'écart.


A coups de sortilèges de plus en plus puissants et agressifs, Sabrina, bien qu'en difficulté, joue son va-tout en invoquant les esprits des victimes de Della et ainsi elle l'emprisonne dans une carte magique. Il est temps pour les jeunes gens de rentrer chez eux, mais une surprise attend encore Sabrina chez ses tantes...

Parfois on reproche à l'équipe artistique d'une série de ne pas produire assez vite et de nous faire perdre le fil de l'histoire qu'elle raconte. Parfois aussi c'est la faute de l'éditeur qui sort un peu n'importe comment les épisodes. C'est bien ce qui semble s'être passé ici car Archie Comics, au début de la crise sanitaire, avait lancé ce deuxième volume des aventures de Sabrina the teenage witch quand tous les autres se mettaient en stand-by. Puis quand les choses s'arrangèrent, du moins techniquement, la série a vu ses parutions s'espacer. Et notre intérêt se diluer...

Il faut ajouter que l'intrigue de cette mini-série a été moins concluante que la première "saison". Kelly Thompson a démarré fort avec une affaire de meurtres à Greendale pour laquelle Sabrina s'est mise à soupçonner ses tantes Hilda et Zelda. En parallèle, la scénariste a voulu continuer à développer l'évolution de sa jeune héroïne, en plein tourment amoureux, et victime d'un chantage (car Radka Ransom avait découvert son secret et l'obligeait à la délivrer su sort qui les changeait, elle et son frère Ren, en wendigo).

Cela faisait peut-être beaucoup pour seulement cinq épisodes et on a constaté rapidement que Thompson ne traitait guère des meurtres pour privilégier l'introduction d'un nouveau second rôle en la personne de Della, une sorcière qui instruisait Sabrina à de nouvelles pratiques. Il aura donc fallu attendre ce cinquième numéro pour établir le lien entre les meurtres et Della et comprendre le mobile qui animait cette dernière pour les commettre (un prétexte assez convenu d'ailleurs).

Il semble, en outre, que Thompson ait voulu coller à la série de Netflix (Chilling adventures of Sabrina/Les Nouvelles Aventures de Sabrina) en insufflant un peu plus de noirceur dans son scénario. Un calcul maladroit car justement c'est la fraîcheur et l'humour du premier volume qui faisaient tout le charme de la série BD. Et puis graphiquement les éléments horrifiques ne conviennent guère au style graphique des Fish.

Car, quand Kelly Thompson se prenait les pieds dans son tapis (volant), Veronica et Andy Fish tenaient bon le cap : les dessins conservaient leur aspect coloré et facétieux, parfois à la limite du cartoon. Veronica Fish est une artiste qui a une signature bien à elle, on reconnaît ses pages entre mille et sa collaboration avec son mari coloriste, Andy, est formidable. L'esthétique de la série fait énormément pour son attractivité, pas sûr qu'avec d'autres qu'eux on aurait tenu jusqu'à la fin. 

Dans ce dernier chapître, on mesure complètement leur apport car c'est l'heure du duel attendu entre l'héroïne et celle qui l'a trompée depuis le début. Le décor intérieur de la cabane de Della représente un effort louable pour reproduire celui de l'antre d'une vraie sorcière avec chadron fumant, chaînes suspendues, lumières inquiétantes. Ensuite l'affrontement entre Sabrina et Della dans la forêt tient toutes ses promesses : Veronica Fish privilégie les cases d'une dimension généreuse et laisse à la palette Andy de l'espace pour un véritable feu d'artifices pour rendre les sortilèges échangées vraiment flamboyants. Le final est à la fois glaçant sans être trop effrayant, ce qui conserve à la série son côté "pour tout public".

Les situations imaginées par Kelly Thompson demeurent pleines de dynamisme et le trait expressif de Veronica Fish traduit à merveille les émotions qui traversent les personnages, sans jamais aller trop loin dans la comédie, ce qui nuirait à la violence des coups portés/reçus par les deux sorcières. On sent parfaitement la difficulté pour Sabrina de contenir les assauts de Della mais aussi sa détermination mêlée à une meilleure maîtrise de sa magie pour la contrer et finalement la vaincre.

La question restait de savoir si Archie Comics allait s'engager dans un troisième arc, surtout après l'annulation de la série sur Netflix. La réponse est oui comme le suggère le personnage qui attend Sabrina chez ses tantes (dont on ignore où elles sont passées). Kelly Thompson et les époux Fish vont donc pouvoir poursuivre leur run, mais on espère que sa publication sera moins désordonnée et que son histoire sera mieux structurée. 

jeudi 25 février 2021

X-MEN #18, de Jonathan Hickman et Mahmud Asrar


Il y a un an, en Janvier 2020 (le monde d'avant...), paraissait X-Men #5 et Jonathan Hickman envoyait trois mutants dans la Voûte en Amérique du Sud pour qu'ils découvrent ce qui s'y cachait, la véritable puissance de ses occupants... Une intrigue laissée en suspens, volontairement, car le temps compté était une donnée cruciale. Avec ce numéro (et le suivant, le mois prochain) le scénariste reprend le fil de cette histoire, en compagnie de Mahmud Asrar (et non de Brett Booth comme l'indique la couverture). Et ça valait le coup d'attendre.
 

Synch raconte la mission qu'il a accepté de remplir avec Wolverine (Laura Kinney) et Darwin. Grâce à une diversion des X-Men, ces trois-là ont réussi à s'introduire dans la Voûte, où résident d'autres mutants, puissants et menaçants, et dont l'entrée est camouflée par une sentinelle endommagée.


A l'intérieur de la Voûte, le temps s'écoule différemment et l'espace cache une ville gigantesque mais peu peuplée. Wolverine entraîne Darwin et Synch pour l'explorer. Mais leurs présences ne passent pas inapercues car Serafina, qui peut se connecter avec le système de surveillance de la Voûte, les repère.


Serafina avec le chef des Enfants de la Voûte, Sangre, et ses compagnons, Aguja, Fuego et Perro, partent à la rencontre des intrus avec la volonté de les éliminer pour protéger la cité. Mais Wolverine ouvre les hostilités la première en tuant Serafina.


Brûlé par Fuego, Synch réussit à riposter et tue ce dernier, Sangre, et Perro. Reste Aguja qui, bouleversée, jure de faire payer à ses trois adversaires leurs meurtres. Elle déclenche une gigantesque explosion...

C'est plus exactement en Janvier 2020 que parut X-Men #5 et que démarrait cette histoire. C'était il y a peine un an et pourtant ça nous paraît aujourd'hui une éternité. Ce récit trouve un troublant écho car personne ne pouvait se douter qu'en suivant Wolverine, Synch et Darwin dans la Voûte, nous allions nous aussi entrer dans une période, toujours pas finie, ponctuée de confinements et de couvre-feu à cause la crise sanitaire mondiale.

Je ne prétendrai pas que Jonathan Hickman a été visionnaire, mais ce qui est sûr, c'est qu'il a eu le nez creux. On peut juger qu'attendre un an pour connaître la suite et fin de cette intrigue, c'est long, mais entretemps, il y a eu X of Swords, et même sans ça, le temps a joué en faveur de cette histoire car il y joue un rôle déterminant.

En effet, la dernière page de X-Men #5, avec un dialogue entre le Pr. X et Cyclope, expliquait que Wolverine, Synch et Darwin étaient entrés dans la Voûte depuis trois mois et cinq jours, ce qui correspondaient à 537 ans dans la Voûte ! Quiconque n'a pas eu l'impression que les douze derniers mois n'ont pas paru durer une éternité a bien de la chance... Ou aucun notion du temps.

Hickman fait de Synch le narrateur de l'épisode : c'est un mutant sympathique, facile à apprécier, dont le pouvoir lui permet de copier ceux des autres par mimétisme. Mais on apprend rapidement, au détour d'une data page, grâce à un rapport rédigé par le Dr. Cecilia Reyes, que depuis leur résurrection, beaucoup de mutants ont vu leurs pouvoirs augmentés, comme un effet secondaire de leur retour à la vie. Ce "détail" aura son importance à la fin de cet épisode.

R.B. Silva a cédé sa place au dessin à Mahmud Asrar, qu'on est bien content de retrouver après l'intérim pénible du mois dernier par Brett Booth. L'artiste prend le relais avec une facilité déconcertante, il évolue dans un registre similaire à son collègue, un dessin réaliste et descriptif, mais avec un trait différent, moins fin que celui de Silva. Ce n'est pas un reproche : Asrar compense cela par une plus grande maîtrise des compositions : il sait poser une scène et les éléments qui la forment rapidement et ainsi peut se passer ensuite de répéter des plans d'ensemble pour que le lecteur sache où les personnages se trouvent. Sa représentation de la Cité est impressionnante et marque les esprits de telle sorte qu'on s'en rappelle, son architecture futuriste, les couleurs bleutées de Sunny Gho, ses perspectives interminables suffisent à en donner la mesure phénoménale et d'une beauté glaçante.

Hickman est dans son élément avec ce contexte de SF, qui donne le la à son run sur X-Men. Il n'a pas besoin, lui non plus, d'insister pour prouver que les Enfants de la Voûte sont des mutants dangereux et puissants. Lorsque Serafina se connecte au grand ordinateur de la Cité, elle communique avec la machine sur ce qu'elle a appris au sujet de Krakoa et de la menace que représente désormais sa population - une menace mésestimée et à laquelle il faut se préparer. En effet, depuis leur première apparition durant le run de Mike Carey, les Enfants de la Voûte peuvent mesurer l'évolution énorme qu'ont connu les mutants.

Si je disais que le temps, la notion de temps étaient primordiale dans cette intrigue et que la parution à un an d'écart de cet épisode et de X-Men #5 était finalement un atout, c'est parce que, alors que, pour des raisons liées justement à cette publication mais aussi à ce qui s'est passé dans la vraie vie, nous avons pu ressentir plus intensément le passage du temps, en revanche les trois héros de l'histoire eux n'ont pas du tout conscience qu'ils sont dans la Voûte depuis une éternité. 

A l'image de Synch, qui est très confiant parce que Wolverine est le leader de l'expédition, et que Darwin peut littéralement s'adapter à tout et donc qu'il pourra s'aligner sur lui, tout semble se passer facilement pour les mutants de Krakoa. Ce décalage entre la perception des faits et leur réalité culmine dans la dernière page où Aguja riposte de manière spectaculaire est dévastatrice à l'attaque des X-Men. La voix-off de Synch (qui jure alors : "we do our best") résonne de sinistre façon, laissant planer un sérieux doute sur la capacité des trois héros à avoir résister à cette réplique ennemie. Et qu'en sera-t-il quand ils sortiront de la Voûte ? Cela fait penser aux missions spéléologiques où les volontaires pour des plongées au centre de la Terre perdent toute notion du temps, connaissent parfois de troubles psychologiques et physiques sérieux. Appliquée aux mutants, on peut deviner que Hickman ne va pas se contenter d'exfilter Wolverine, Synch et Darwin intacts.

Dans la dernière partie de l'épisode, Asrar met en scène l'affrontement entre les deux groupes de manière très habile. Il privilégie classiquement des cases assez grandes pour y intègrer un maximum de personnages mais aussi pour donner à voir le déchaînement de leurs pouvoirs, en particulier celui de Fuego. Et justement cela renvoie au rapport de Cecilia Reyes sur Synch qui découvre qu'il peut désormais assimiler une agression et reproduire un pouvoir étranger beaucoup plus facilement et puissamment qu'avant. Entre ça et l'entraînement sur la synchronicité des élèves des Nouveaux Mutants, on n'est plus loin des Chimères initiées par Mr. Sinistre dans Powers of X...

A suivre donc le mois prochain pour savoir ce qui adviendra de Wolverine, Synch et Darwin. Mais c'est prometteur.

mercredi 24 février 2021

FUTURE STATE : DARK DETECTIVE #4, de Mariko Tamaki et Dan Mora, Joshua Williamson et Giannis Milonogiannis


Et voici donc ma dernière critique au sujet de Future State avec le quatrième numéro de Dark Detective. Un épisode encore une fois rondement mené par Mariko Tamaki, qui a su très intelligemment et efficacement s'emparer de cette version futuriste de Batman et le mener jusqu'à un dénouement très radical, soutenu par le dessin exceptionnel de Dan Mora. De leur côté, Joshua Williamson et Giannis Milonogiannis "concluent" (les guillemets sont importants) eux aussi l'aventure de Red Hood.


2027. Gotham. Sa planque découverte, Bruce Wayne n'a d'autre choix que de l'évacuer. Il piège le toit pour attirer les nano-drones du Magistrat et en détruire un maximum. Puis il neutralise son logeur, Noah, et sédate sa fille, Hannah, qui travaille comme programmatrice pour le Magistrat.


Noah et Hannah à l'abri, Bruce apprend que cette dernière espionne en vérité le Magistrat depuis qu'elle a été embauchée afin de le pièger en révélant aux médias comment il surveille la population de Gotham. Mais pour assurer la défaite du Magistrat, Bruce a besoin de pirater plus de données.


Le Gardien de la Paix 01 tombe dans le piège tendu par Bruce et voit ses nano-drones détruits dans l'explosion de l'immeuble de Noah. Il est rappelé au QG du Magistrat lui où une alerte à la bombe a été signalée. Le personnel est en cours d'évacuation alors que Hannah achève de siphonner les données du Magistrat.


Une fois sur les lieux, le Gardien de la Paix 01 sait que Batman se trouve dans le QG du Magistrat et y pénètre pour le trouver. Batman couvre la fuite de Hannah et affronte le Gardien de la Paix après avoir activé des explosifs dans le bâtiment...

Mariko Tamaki aura prouvé deux choses en écrivant les quatre épisodes de Dark Detective : d'abord elle s'est totalement et brillamment emparé du contexte futuriste de cet event pour produire une intrigue captivante, et ensuite elle a a démontré qu'elle savait écrire Batman de manière très efficace, sans timidité envers ce personnage iconique auquel elle donne une fin d'une brutalité désespérée étonnante.

Car c'est sans nul doute la plus grande surprise de ce dernier épisode : sa conclusion est d'une noirceur totale, sans issue. L'histoire se termine vraiment pour le dark knight. Bien entendu, le terme même de Future State n'est pas à prendre au pied de la lettre : il s'agit d'un futur, pas du futur. Ce que Tamaki propose ici, c'est un "Elseworld" qui ne contredit pas ce que raconte, par exemple, Tom King dans Batman/Catwoman où Bruce Wayne connaît une autre fin tragique mais bien différente.

Toutefois, et c'est très habile, ce que propose Tamaki est crédible par rapport à Batman : la scénariste a su tirer profit de l'époque à laquelle elle situe son récit. 2027, ce n'est pas si lointain et elle ne s'est pas privée d'adresser des allusions au run de James Tynion IV et à son arc Joker War, dans lequel Bruce Wayne a perdu une part importante de sa fortune, ce qui conduirait au déclin de ses affaires, à la perte de ses contrats, à la dispersion de sa technologie et à la corruption de son matériel. 

On peut aussi y lire une référence appuyée au Projet Omac que Batman avait déjà élaboré dans la continuité (avant DC Rebirth, DC New 52, Flashpoint - hé oui, ça commence à dater, ça ne nous rajeunit pas) quand il s'était mis à espionner les méta-humains avant que son programme ne se dérègle. La Magistrature, ce serait alors une version 2.0 du projet Omac à Gotham, un fliquage en règle de la population entière sous couvert de chasse aux masques.

Quand on choisit de tout faire péter comme Tamaki, le plus délicat est de le justifier et elle a su préparer le terrain pour cela. Dos au mur, Batman accomplit un baroud d'honneur pour permettre à Hannah, la fille de son logeur, de siphonner des données compromettantes sur l'espionnage généralisé du Magistrat. Il se sacrifie littéralement pour cela en emportant avec lui le Gardien de la Paix 01. 

Au sujet de ce dernier, on pouvait espérer que la révélation de son identité aboutisse à une surprise choquante (certains pariaient sur Damian Wayne), mais, et c'est le seul bémol que j'exprimerai, Tamaki n'en fait rien. Ce n'est qu'un fonctionnaire zélé et revanchard. De même, on ignore qui est le Magistrat, mais c'était plus attendu - je doute même pour ma part qu'il y ait un Magistrat, un seul individu concentrant tout ce pouvoir para-militaire ; je crois plutôt qu'il s'agit d'un groupuscule, tirant les ficelles dans l'ombre.

Une fois encore, les dessins sont extraordinaires. Dan Mora a accompli un boulot phénoménal sur cette mini-série en soignant particulièrement l'environnement futuriste de Gotham, inspiré par l'esthétique de Blade Runner. L'immersion dans le récit, l'ambiance oppressante sont renforcées par ce fabuleux effort sur les décors, et la colorisation de Jordie Bellaire est elle aussi, à ce titre, digne d'éloges.

Par ailleurs, j'aime beaucoup le Batman de Mora : très athlétique mais aussi vulnérable, mal rasé, aux abois, le personnage est parfaitement animé par un dessinateur très solide techniquement mais surtout inspiré par le héros, dans ce type d'intrigue. Les détails apportés au costume sont aussi remarquables car on voit bien que Bruce Wayne a dû modifier son déguisement pour plus de fonctionnalité mais aussi avec beaucoup moins de moyens.

Magistral en tous points.

*


2025. Gotham. Après avoir découvert le cadavre en décomposition du Châpelier Fou avec Ravager, Red Hood comprend qu'on a usurpé son alias pour lui faire porter la responsabilité de ce meurtre. Il sème Ravager puis des drones lancés à sa poursuite une fois de retour en ville.


A présent, Jason Todd doit retrouver qui est derrière cette affaire : il se coiffe du casque du premier Red Hood trafiqué par le Châpelier Fou et, perdant tout contrôle sur lui-même, arrive dans la cache du lapun Blanc. Ravager surgit et libère Jason de l'emprise du casque. Puis les Gardiens de la Paix interviennent.


La confusion qui s'ensuit permet au Lapin Blanc, qui n'a pas révèlé pour qui elle travaillait, de s'enfuir. Mais Jason est blanchi. Il prend alors contact avec un mystérieux allié afin que Ravager soit mise à l'abri pendant qu'il continue son enquête...

Dans le cas de Future State : Red Hood, on est dans un autre cas de figure. Car, avant même la fin de sa publication, DC a communiqué sur ce personnage, qui, comme beaucoup d'autres, avait vu sa série annulée juste avant le début de l'event. Ce n'était pas une grande perte car avec un scénariste (Scott Lobdell) pris dans un scandale sexuel, des intrigues lamentables et des dessinateurs atroces, Red Hood faisait peine à voir, et depuis longtemps.

Mais Jason Todd a visiblement des fans chez son éditeur puisque donc ses aventures futuristes connaîtront une suite rapide dans une série intitulée Future State : Gotham. On ne sera pas dépaysé puisque Joshua Williamson et Giannis Milonogiannis resteront aux commandes de ce titre dans lequel le héros traquera le nouveau Batman (et enquêtera sûrement sur le Magistrat, comme la fin de cet épisode le laisse supposer).

Pour l'heure, Red Hood voit sa situation dégénèrer dramatiquement : de chasseur, il devient proie, soupçonné de conspirer contre son employeur grâce à la technologie piratée du Châpelier Fou retrouvé mort. Joshua Williamson nous entraîne dans un récit très vif, facile à suivre, riche en péripéties. C'est ce qui est vraiment agréable ici : bien que Jason Todd travaille pour le méchant, il suscite malgré tout notre sympathie parce qu'il incarne la figure classique du faux coupable.

Ce qui est aussi épatant, ce sont les choix de Williamson : bien qu'il soit considéré par DC comme un scénariste majeur, suite à son run sur Flash et son implication dans les prochains projets de l'éditeur, il a, semble-t-il, préféré des chemins de traverse en ce qui le concerne. Alors qu'on l'annonçait sur une grosse série (Justice League, avant que Bendis ne soit choisi), il se "contente" d'un nouveau mensuel sur Robin (Damian Wayne) et donc la suite de Future State : Red Hood (avant une suite à Future State : Justice League ?). Etonnant. Mais concluant, en tout cas pour ce qui concerne Jason Todd.

A ses côtés, Giannis Milonogiannis livre une prestation très convaincante. Son trait manque un peu d'épaisseur à mon goût, ce qui donne à ses images un côté un peu léger, notamment dans les scènes les plus calmes, où il doit représenter des visages et les émotions qu'ils expriment.

En revanche, quand il y a de l'action et des plans larges, Milonogiannais est au rendez-vous et ce qui fait sa faiblesse devient sa force. Il y a du mouvement, du tonus, dans ses cases, son découpage est direct, sans fioritures. Il a du potentiel, ce garçon, en tout cas.

A suivre.

FUTURE STATE : AQUAMAN #2, de Brandon Thomas et Daniel Sampere


Suite et fin de Future State : Aquaman... Et conclusion de l'event Future State cette semaine. C'est l'heure des comptes, et pour ma part, même si je suis loin d'avoir lu toutes les mini-séries, j'ai trouvé le niveau très bon, voir excellent. Aquaman fait partie des grandes réussites, avec une écriture très maîtrisée de Brandon Thomas et la révélation à un haut niveau de Daniel Sampere. De quoi avoir envie de revoir ces personnages.


2024. Andy Curry a été séparée de Jackson Hyde par la Confluence cosmique des océans. Elle échoue sur une plage, gravement blessée. Mais grâce à ses pouvoirs aquatiques, elle se confectionne une prothèse en eau solide - ce qui provoque la colère des créatures locales.


Andy promet de réparer cela quand elle aura retrouvé Jackson Hyde. Durant les six années suivantes, elle s'entraîne pour cela, en répétant les enseignements que lui a prodiguée son mentor. Elle affronte mille dangers et cherche à renouer le contact avec Jackson jusqu'à ce qu'elle le localise.


Andy surgit dans la prison où a été détenu six ans durant Jackson et, furieuse envers ses geôliers, elle se déchaîne contre eux. Jackson la raisonne en lui expliquant qu'il faut que leurs ennemis les respectent et pour cela, il est inutile des les tuer, il suffit de les impressionner.


Andy et Jackson nagent jusqu'à la surface et savourent leurs retrouvailles. Jackson est impressionné par la maturité gagnée par la jeune femme. Ils reprennent leur traversée pour rejoindre, via la Confluence, leur océan d'origine.

De tous les titres Future State que j'ai lus, Aquaman est sans doute celui dont j'attendais le moins. Et pourtant, c'est, finalement, un de ceux qui m'a la plus plu. Sans doute parce qu'il a su parfaitement tirer parti de la contrainte de son format (deux épisodes) en livrant un récit touchant, étonnamment épique, et en rendant ses héros attachants.

Sachant que la série Aquaman a été annulée juste avant le lancement de Future State et que le héros ne reviendra que dans les pages de Justice League le mois  prochain, on peut se demander si DC n'a pas avec ces deux épisodes testé son lectorat pour une éventuelle relance, mais peut-être plus avec Arthur Curry en vedette. Il semble d'ailleurs que l'éditeur ne veuille pas en rester là avec Future State et développer cet univers futuriste (il paraît évident qu'il y aura tôt ou tard une série régulière Future State : Justice League, et déjà il y aura un titre Future State : Gotham, qui fera suite à Future State : The Red Hood).

Revenons à cet épisode. Brandon Thomas avait consacré le précédent numéro à ce qui était arrivé à Jackson Hyde, prisonnier d'un mystérieux hôte sous prétexte de le soulager de la perte d'Andy Curry, la fille d'Arthur et Mera. Pourtant, on apprenait que cette dernière n'était pas morte comme il le croyait au début.

On apprend dont cette fois ce qu'il est advenu d'Andy depuis 2024, après avoir été séparée de Jackson. Thomas fait preuve d'une belle maîtrise pour rendre tout ça épique, si bien qu'on se demande jusqu'au bout s'ila rrivera à réunir Andy et Jackson à temps. Surtout le scénariste montre parfaitement l'évolution d'Andy dans un milieu hostile et son passage à l'âge adulte. Il dresse le portrait d'une jeune fille obligée de grandir dans des circonstances extrêmes et qui se découvre des ressources psychologiques et physiques insoupçonnées. 

Brandon Thomas connaît ses classiques et leur adresse des clins d'oeil : par exemple, l'amputation de la jambe gauche d'Andy renvoie à la période où Aquaman arborait un crochet à la main gauche. Il semble que, dans la famille Curry, pour grandir, il faille en passer par des mutilations... Toutefois Andy se confectionne une prothèse bien plus esthétique, même si, pour cela, elle doit supporter des reproches de créatures aquatiques très tenaces.

Si Future State : Aquaman est une réussite, elle le doit aussi à son dessinateur et c'est peu dire que je n'attendais pas Daniel Sampere à ce niveau. Il n'a pas une carrière très fournie, on peut même dire qu'il était dans l'antichambre de DC depuis un moment. Mais là, il est en train de décoller et c'est mérité car le bonhomme a un sacré talent.

Sampere a un dessin réaliste et descriptif, de style classique. Son trait est assuré, et sert un découpage simple mais toujours bien pensé. Ses images sont toujours superbement composées et ses personnages ont un charisme naturel, de l'expressivité. Il est aussi à l'aise avec des héros masculins comme Jackson Hyde dont il fait un mentor désemparé qu'avec Andy Curry dont il trace l'évolution de manière très subtile, de la gamine impatiente et impulsive à la jeune femme guerrière. Il a visiblement gagné la confiance de DC puisqu'il sera le prochain artiste d'Action Comics (sur des scénarios de Philip Kennedy Johnson).

Sampere bénéficie lui-même des couleurs d'Adriano Lucas et il faut le mentionner quand, sans lui, cette mini-série n'aurait pas cette beauté. Avec des décors exotiques et marins, la palette de Lucas rend justice aux images de Sampere qu'elle embellit de façon notable. Les deux partenaires resteront ensemble dans le futur proche puisque Lucas aussi participera à la reprise d'Action Comics.

Future State aura été une parenthèse plus aboutie que prévue (rappelons que le projet dans son ensemble découle d'un concept initié par Dan Didio avant son renvoi de DC). L'éditeur a toujours aimé ces "Elsewords" improbables sans les exploiter suffisamment (hormis Kingdom Come). Mais cette fois, le matériau a un potentiel suffisant pour dépasser deux mois de publication.

samedi 20 février 2021

BATMAN/CATWOMAN #3, de Tom King et Clay Mann


Avec ce troisième épisode, Batman/Catwoman teste vraiment la résistance de son lecteur. La narration, plus fractionnée que jamais, de Tom King est un puzzle à recomposer, parfois énervant, il faut le dire. Visuellement, la mini-série reste splendide, mais Clay Mann frôle le ridicule à plusieurs reprises. C'est donc un objet très expérimental, qui, s'il prouve que son auteur a à coeur de se renouveler, n'échappe pas à un certain hermétisme.


Le Passé. Catwoman commet un nouveau cambriolage sur le lieu duquel le Joker l'a encore une fois précédé. Il continue de la faire chanter en lui révélant qu'il planifie un massacre. Si elle prévient Batman, elle sauvera des innocents. Mais Batman voudra savoir comment elle savait.
 

Le Présent. Phantasm continue de semer la terreur parmi les bandits de Gotham. Elle ignore que le Joker a été mis à l'abri par Batman mais sait que ce dernier doit savoir où est le clown du crime. Andrea Beaumont s'en prend donc à Selina Kyle, seule au manoir Wayne.


Le Futur. Helena Wayne a succédé à son père en devenant la nouvelle protectrice masquée de Gotham. Le commissaire Dick Grayson du GCPD l'informe que le Joker a été tué en Floride où il s'était retiré incognito. Helena décide de mener sa propre enquête.


Pour Helena, la mort du Joker survenant peu de temps après celle de son père ne peut être une coïncidence. Elle soupçonne sa mère de s'être vengée. Mais la police n'a trouvé aucun indice. Et Selina Kyle n'avoue rien à sa fille.

Pour que vous comprenez bien mon embarras, le résumé et les image qui l'illustrent ci-dessus sont dans l'ordre chronologique. Mais ce n'est pas dans cet ordre que se déroule l'épisode : comme précédemment, Tom King mélange les temporalités, en se passant volontairement de tout élément qui permettrait de situer l'époque des scènes. Et donc il faut s'accrocher, souvent à des détails, pour saisir ce qu'on lit.

Ce procédé, d'une narration aussi fractionnée et sans repères de temps clairs, King en a eu l'idée en relisant Love & Rockets de Jaime Hernandez où on passait en un éclair, et sans être prévenu, dans une même page d'une scène au présent à une autre dans le passé ou dans le futur. C'est une liberté que s'autorisent les auteurs de comics indés parce que, justement, le but est d'expérimenter, de faire voler en éclats les conventions, les codes narratifs. Dans le cas de Love & Rockets, en plus, Hernandez passe aussi rapidement du drame à la comédie, ose le fantaisie la plus débridée et l'intimisme le plus touchant. C'est une lecture exaltante mais exigeante aussi, à laquelle on peut très bien être complètement insensible.

Pour King, jouer avec la narration de cette manière fait partie d'une volonté de se renouveler. Il sait que des fans lui ont reproché des tics d'écriture durant son run sur Batman, avec des textes abondants, des gimmicks parfois lassants. Il a aussi pris conscience qu'il était assimilé à des histoires dépressives, explorant la psyché de héros brisés (Mister Miracle) et il veut désormais, avec Batman/Catwoman mais aussi Rorschach et Strange Adventures, surprendre, sortir de sa zone de confort.

C'est courageux mais casse-gueule - courageux parce que casse-gueule. Strange Adventures par exemple souffre de baisses de tension fréquentes. Rorschach déroute par son rythme lent et son intrigue filandreuse où les références à Watchmen sont allusives. Mais indéniablement, ça change de ce que King a produit auparavant. Même si au fond le scénariste est toujours rattrapé par ses obsessions avec des héros borderline, dépassés parce qu'ils traversent.

Le souci que j'ai eu avec cet épisode de Batman/Catwoman, c'est que ce fractionnement de la narration, cette succession de scènes courtes et les sauts dans le temps, c'est que j'ai trouvé que ça empêchait de vraiment s'immerger dans ces scènes, d'être ému. Tout ça est un peu aride, désincarné. On n'a pas le temps de comprendre vraimetn ce qui se passe, à quel point ça bouleverse les protagonistes, d'où viennent certains nouveau personnages, comment ils en sont arrivés là. C'esr... Compliqué.

Surtout, à plusieurs reprises depuis trois épisodes, j'ai l'impression que King, bien qu'il ait affirmé que cette histoire se situait dans le prolongement de son run sur Batman, s'attache à brouiller ce qu'il y avait établi. L'exemple le plus notable, c'est ce qui occupe le centre de l'intrigue, la relation entre Catwoman et les hommes - "ses" hommes : Batman et le Joker. 

Parce que le Joker la fait chanter, Catwoman ment à Batman, et d'ailleurs celui-ci le sent, même si elle s'en défend. Cela fragilise leur couple alors même que dans ses épisodes de Batman, King insistait sur la confiance qui cimentait le couple que Batman formait avec Catwoman. Pourquoi, maintenant, Catwoman trompe-t-elle ainsi l'homme auquel elle a donné son amour ? C'est incohérent. Par ailleurs, je n'ai jamais eu le sentiment que, par le passé, Catwoman et le Joker étaient si proches que le montre cette histoire. King a-t-il voulu les lier pour optimiser l'efficacité de son intrigue ? C'est le plus probable, mais pas le plus facile à admettre. 

Dans cet épisode aussi, on assiste à l'entrée en scène d'Helena Wayne, la fille de Bruce et de Selina Kyle. King l'introduit comme la nouvelle protectrice masquée de Gotham, comme si ça allait de soi. Mais ça aurait été encore mieux de justifier cela car embrasser la carrière de super-héros n'est jamais évident, ce n'est pas exactement comme si Helena s'était convertie après avoir assisté à l'assassinat de son père par exemple (Bruce est mort d'une longue maladie après un combat où il a été exposé aux radiations du Pr. Phosphorus). Ce n'est pas le seul problème avec Helena, mais j'y reviendrai.

En revanche, le scénariste se montre plus habile avec la réapparition de Dick Grayson qu'il imagine en nouveau commissaire du GCPD. Ce n'est une évolution forcément naturelle, mais c'est crédible. En fait, c'est comme si l'ex-Nightwing (puisque, visiblement, il a abondonné sa carrière de justicier masqué) succédait non plus à Batman, son mentor, mais à James Gordon, et ça, c'est malin puisque Gordon est le père de Barbara Gordon (alias Batgirl/Oracle), dont a longtemps été amoureux Grayson (peut-être va-t-on apprendre dans les prochains épisodes qu'ils sont en couple).

La présence de Batman comme de Phantasm d'ailleurs est très discrète cette fois. Mais on a droit à un face-à-face spectaculaire entre Phantasm et Selina. C'est peu. Mais symptomatique d'une narration fragmentée où l'impression de zapper d'une scène à l'autre, d'une époque à l'autre, rend chaque personnage fulgurant.

Je mentionnai un autre problème avec Helena et ça me fournit une transition pour évoquer le dessin. Batman/Catwoman est une série splendide, King ne mentait pas en assurant que Clay Mann allait impressionner tout le monde. Chaque planche est fantastique et cet épisode n'est pas avare en pleine page ou en cases aux dimensions généreuses qui permettent de savourer les détails, les textures, les jeux d'ombres et de lumières. Oui, c'est vraiment exceptionnel.

Clay Mann a trouvé chez DC un éditeur qui l'a laissé s'exprimer à son rythme. Il a parfois joué le fill-in artist, mais dans l'ensemble il a pu dessiner sur la longueur. Et quand malgré tout il ne tenait pas les délais, il n'a pas été remplacé, mais ponctuellement suppléé (comme sur Heroes in Crisis, dont il a pu assurer l'essentiel des épisodes). Surtout avec King, il a trouvé un scénariste qui l'admirait et l'a employé de manière bien pesée, notamment en lui confiant des diptyques sur Batman. Et qui a obtenu un an de délai pour que Mann puisse complèter Batman/Catwoman.

C'est donc un dessinateur de haut niveau qui s'est révélé, après avoir souvent frustré quand il travaillait chez Marvel. Batman/Catwoman n'arrangera pas sa réputation de dessinateur lent, mais marquera les esprits par la qualité de sa prestation.

Parmi les marottes de Mann, qu'on lui reproche parfois, il y a sa manière de représenter les femmes. Chez lui, les héroïnes sont des Aphrodites, d'une beauté sidérante, des statues en mouvement. Ses détracteurs l'accusent d'hyper-sexualiser les femmes et, par un raccourci un peu grotesque, d'être un artiste sexiste, ce qui me paraît être un malheureux malentendu parce que dessiner de belles femmes, sexys, ce n'est pas les avilir, c'est les sublimer. Comparez Clay Mann et Frank Cho et vous mesurerez que Mann n'est pas un simple adepte du "good babe art".

Alors oui, il est insistant sur les formes divines de Catwoman, mais pour moi, il veut surtout montrer à quel point Selina Kyle est la seule femme qui a vraiment tourné la tête de Batman. Par ailleurs, il la dessine athlétique, comme une acrobate qu'elle est elle, ce n'est donc pas un objet sexuel, d'autant que le personnage a la tête aussi bien faite que bien remplie, c'est une héroïne ambiguë, fascinante au-delà de son corps.

Mais, dès lors, pourquoi Mann a conçu un costume aussi ridicule pour Helena Wayne. Sans les couleurs de Tomeu Morey, on la croirait franchement à moitié nue. Mais surtout ce costume est... Moche. Il ne ressemble à rien, c'est un mauvais design tout simplement. Suffisamment mauvais pour qu'il vous fasse sortir de l'histoire quand le personnage apparaît car on ne voit que ça, une justicière dans un costume ridicule.  Une faute de goût terrible, surtout si tôt dans la série.

Bref, ce troisième épisode n'est pas facile. Comme je le présentai, il met le lecteur, le fan à l'épreuve. Je crois qu'après cet épisode, soit on fait l'effort de passer outre ses défauts, soit on abandonne. Je choisis de poursuivre parce que ça m'intrigue. Mais indéniablement, ça risque d'être délicat.

vendredi 19 février 2021

THOR #12, de Donny Cates et Nic Klein


Quatrième partie (sur six) de l'arc Prey... On s'ennuie un peu, là, non ? Je me suis engagé à aller au terme de cette histoire avant de raccrocher cette série, mais je nourris quelque regret. Bon, je tiens mes promesses, mais c'est quand même long. En vérité, Donny Cates est un auteur classique : avec une intrigue en six numéros, il renoue avec une tradition bien connue. Et laisse à Nic Klein le soin de dessiner ça de la façon la plus efficace possible. Très classique donc.


Depuis que Thor l'a laissé revenir à Asgard, Donald Blake traque et tue tous ceux qu'Odin a pourvu de pouvoirs en en récupérant un peu plus à chaque fois. Mais en défiant Throg, il trouve à qui parler et la grenouille défend bravement sa peau.


Pour gagner, Throg peut compter sur le renfort de Lockjaw, le chien Inhumain, qui réussit à le suivre partout où Blake l'entraîne en utilisant l'épée de Lady Sif et donc le Bifrost. Une fois Blake maîtrisé, qu'en faire ? Il faudrait demander son avis à Thor, toujours coincé dans le monde de Blake.


Mais Blake n'a pas dit son dernier mot. Il se reprend et retourne sur Terre pour s'en prendre au Dr. Strange, qui a autrefois volé une partie de la magie asgardienne. Jane Foster assiste au combat entre le sorcier suprême et Blake, qui, quand il voit Jane se changer en Valkyrie, s'éclipse.


Le Dr. Strange a compris où se rendait Blake : il va s'en prendre à Yggdrasil, l'arbre-monde d'Asgard, la source du pouvoir divin. Valkyrie compte bien l'en empêcher, mais pas seule. Et elle va chercher le seul à pouvoir stopper Blake...

Récemment, j'ai exprimé sur un forum mon avis sur les scénaristes en vue chez Marvel en pointant le point commun que je leur trouvais. Plus particulièrement, je désignai Chip Zdarsky et son run sur Daredevil et Donny Cates sur Thor. Mon reproche portait sur le fait qu'il n'écrivait pas sur le héros de leur série, il faisait même tout pour l'éviter et en décompressant leur narration.

Zdarsky, et ce qui a fini par me décourager avec son traitement de Daredevil, est vraiment un cas d'école : à la fin de son premier arc, il a mis Matt Murdock dans une situation telle qu'il abandonnait son rôle de justicier. Puis il a mis en scène son (lent) retour à cette activité clandestine (mais sans renouer avec son alias). Finalement quand Murdock a remis son masque de DD, juste après il s'est livré à la police, a plaidé coupable devant un tribunal et a atterri en prison pour y purger une peine de deux ans. Laissant Elektra, qui souhaitait avoir son aide pour régler une affaire, le remplacer comme protectrice de Hell's Kitchen (c'est toujours le cas). En tout et pour tout, Zdarsky n'a pas dû écrire plus de sept épisodes de Daredevil avec Matt Murdock dans ce rôle sur près de trente numéros.

Revenons à Thor. Si on excepte la mini-série King Thor (qui se déroulait dans le futur), le run de Jason Aaron s'est terminé avec l'event War of the Realms au terme duquel Odin reconnaissait Thor comme le nouveau roi d'Asgard et Père-de-tout. Cates a donc repris la série avec ce nouveau statu quo : Thor sur le trône, souverain des neuf royaumes. Mais Cates a surtout mis en scène un Thor réticent à endosser ce rôle, le protocole, et vite transformé en héraut de Galactus pour aller combattre l'Hiver Noir. Après quoi, histoire de saper encore plus ce statut récent de régent, Cates a remis le couvert, déjà exploité par Aaron, qu'entre Mjolnir et son détenteur, ça n'était plus ça : Thor n'en était pas indigne à nouveau, mais désormais tout le monde pouvait brandir le marteau enchanté.

Pour le dieu du tonnerre, on ne peut pas dire que le bilan était glorieux. C'est le choix de son scénariste et, ma foi, il n'y a pas à le discuter. On aime ou pas, on lit ou pas, c'est aussi simple que ça. Moi, j'ai choisi, malgré ma déception, de donner une seconde chance à Cates en entamant la lecture de ce nouvel arc qui marquait le retour de Donald Blake. Mais j'ai vite déchanté en comprenant qu'il ne s'agissait pas de réunir Thor et son alter ego mais de se débarrasser définitivement de Blake. Aaron avait fait comme si Blake n'existait plus. Cates a décidé de le supprimer.

Son histoire fait donc de Blake un monstre et les arguments justifiant cela sont plutôt bien imaginés, je ne reviens pas dessus, cela a fait l'objet de mes précédentes critiques. En programmant son intrigue sur six épisodes, il restait à rendre tout ça palpitant. Et là, problème.

Je ne sais pas si on peut identifier celui qui, le premier, a construit un story arc en six épisodes - le nom de Warren Ellis revient souvent pour affirmer que c'est lui qui a popularisé ce format. C'est devenu l'emblême de ce qu'on appelle la "narration décompressée" parce que cela a tendance à diluer l'intérêt de l'histoire, à en ralentir le rythme, en établissant une espèce de "ventre mou" à mi-chemin avant de boucler souvent précipitamment le récit. Mais certains ont su dompter ce format et produire des histoires accrocheuses malgré un rythme bancal. Le tout, c'est de savoir doser ses effets.

A ce petit jeu, Cates est comme beaucoup d'autres : il commence fort, pique un peu du nez et conclut en trombe. C'est ce qui va certainement se passer si j'en juge par le cliffhanger de cet épisode qui voit le retour d'un personnage laissé pour compte par Cates depuis le début de son run. Pendant ce temps, Donald Blake continue de vouloir faire la peau à tous les pseudo-Thor qui trainent. Son combat contre Throg (Frog Thor) est la séquence la plus réussie de cet épisode car cet avatar de Thor, avec l'aide de Lockjaw, fait mieux que résister à la furie de Blake.

Mais au fond, on s'en fout un peu. Après tout, au point où il en est, Blake peut bien s'en prendre à la Terre entière, le mec a complètement pété un cable, il est irrécupérable et je ne sais pas s'il finira pas se faire buter ou remettre en cage dans une dimension parallèle. En tout cas, à la fin, il aura fait son temps. Cette fois, il n'y aura même plus besoin de faire comme s'il n'existait plus. C'est dommage, j'aimai bien Donald Blake, mais je devais être un des derniers. Et je crois aussi qu'à la fin de cet arc, Thor ne sera plus roi d'Asgard ni Père-de-tout (parce qu'il ne voudra plus, parce qu'il aura fait la preuve de son incompétence, parce qu'il sera remplacé sur le trône). Je le crois parce que ça n'a pas l'air de convenir à Cates, et que Marvel n'aime pas quand ses héros profitent de leur gloire (regardez Spider-Man : à chaque fois qu'il monte trop haut, on le fait vite redescendre pour en refaire un loser célibataire car Marvel est convaincu que Spider-Man, comme Peter Pan, une fois adulte et arrivé, n'intéressera plus les fans).

C'est le comble atteint par ce 12ème épisode : il est plus intéressant parce qu'il laisse deviner que par ce qu'il raconte, sans grand intérêt sinon de montrer encore une fois Donald Blake en plein délire vengeur. Et de confirmer que Cates oublie Thor (une page dans cet épisode, parfaitement dispensable) : plus il est absent de son propre titre, plus le scénariste peut s'amuser à massacrer des seconds rôles et montrer Blake complètement déchaîné. Comme Zdarsky avec DD, c'est évident que Cates travaille à sa série en évitant son héros, en le démolissant. Encore une fois, c'est son choix. Mais c'est le mien de ne pas trouver ça intéressant.

Je suis un peu navré d'être grincheux. J'aimerai conserver de l'énergie pour parler de Nic Klein mais même ses dessins ne me font plus d'effet. C'est pourtant tonique, mais bon, Klein a trop de talent pour une telle histoire. Je préférerai le voir collaborer avec un scénariste qui lui donne plus, mieux. Je n'ai rien à dire de plus. Nic Klein est le dernier truc qui rend ça attractif, mais bon, ça ne sauve pas l'affaire pour autant.

Encore deux épisodes donc. Mais après, rideau.