lundi 29 avril 2019

LA DERNIERE CORVEE, de Hal Ashby


Personne n'en parle(ra) mais cette année Hal Ashby aurait eu 90 ans. Il est mort en 1988 après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, carrément exclu de la salle de montage de son ultime film (Huit millions de façons de mourir). Et pourtant, celui qui fut le monteur de L'Affaire Thomas Crown était un des cinéastes les plus importants de son époque, influence revendiquée de plusieurs réalisateurs renommés aujourd'hui (d'Alexander Payne à Judd Apatow). L'occasion de (re)voir son chef d'oeuvre, La Dernière Corvée, qui a le même âge que votre serviteur (une bonne année donc...).

Buddusky (Jack Nicholson)

Deux quartiers-maîtres de l'U.S. Navy, Bill Buddusky et Mulhall, reçoivent pour mission de convoyer à la prison militaire de Portsmouth un jeune marin, Lawrence Meadows. Il a été condamné à huit ans de détention pour avoir volé 40 $ destiné à une collecte de fonds contre la polio, bonne cause défendue par la femme de l'Amiral.  

Mulhall (Otis Young)

Les trois hommes partent de Norfolk en train et font connaissance durant le trajet : Mulhall dit "le Mule" est originaire de Bogalusa, près de la Nouvelle-Orléans, et s'est engagé dans la Marine pour entretenir sa mère ; Buddusky surnommé "Bad Ass" ("Baduc" ou "Trouduc") est divorcé et a fui une vie conjugale ennuyeuse.

Lawrence Meadows (Randy Quaid)

Meadows explique qu'il n'a pas voulu volé l'argent, il ne peut pas s'en empêcher : il est kleptomane, et son cas relève donc de la psychiatrie comme le comprennent Buddusky et Mulhall. A Washington, ils s'offrent un gueuleton en attendant leur correspondance. Buddusky a l'intention de prendre son temps puisque l'Etat-Major leur a donnés cinq jours pour livrer le prisonnier, tandis que Mulhall préférerait se débarrasser rapidement de cette corvée. Mais les ruses de Buddusky réussissent à leur faire rater leur train et ils sont obligés de passer la nuit dans un hôtel où ils se soûlent à la bière. Ivre mais lucide, Buddusky exprime sa haine de l'armée et de sa discipline. 

La jeune prostituée et Meadows (Carol Kane et Randy Quaid)

Le lendemain, Buddusky convainc Mulhall de faire un crochet par Camden pour que Meadows puisse dire "au revoir" à sa mère, mais celle-ci est une alcoolique et s'est absentée. Ils se replient à la gare où ils infligent une correction à trois soldats qui se sont moqués de leur uniforme de marins. Arrivés à Boston, Buddusky entraîne Mulhall et Meadows dans une tournée des bars où il arnaque un client en jouant aux fléchettes, offre une gourmette à Lawrence, lui achète des magazines pornos, puis s'incruste avec ses deux amis dans une soirée de jeunes religieux. Donna, l'hôtesse, suggère à Meadows de s'échapper au Canada, pendant que Buddusky drague une fille prénommée Nancy et que Mulhall doit supporter un hippie anti-militariste et anti-Nixon. 


Après cette soirée, les trois hommes arrivent enfin à Portsmouth : Buddusky veut déniaiser Meadows et l'emmène avec Mulhall dans un bordel où il passe la nuit avec une jeune prostituée. Le lendemain, en attendant 18 heures, ils se font cuire des hot-dogs (ou plutôt des saucisses, car Buddusky a oublié d'acheter du pain) dans un parc enneigé. Meadows tente de fuir avant d'être rattrapé par Buddusky qui le frappe.


Une fois à la prison, le jeune marin est immédiatement incarcéré. L'officier de la maison d'arrêt ayant remarqué les blessures du détenu interroge ses deux convoyeurs mais ceux-ci n'accepteront de répondre à ce sujet qu'au Commandant de la base. Ils repartent donc pour Norfolk, tranquilles, mais dégoûtés par leur mission car sachant que Meadows ne tiendra jamais le coup pendant huit ans.

Hal Ashby n'est guère plus connu aujourd'hui que des cinéphiles : mort en 1988, à 59 ans, ce cinéaste doit son plus grand succès au cinéma à son adaptation de Harold et Maud (1971), même s'il a aussi dirigé Jane Fonda dans Retour (78) avec un Oscar à la clé pour la star, le couple Warren Beatty et Julia Christie dans Shampoo (75) et Peter Sellers dans Bienvenue Mister Chance (79). Avant cela, Ashby fut un monteur réputé : c'est lui qui "édita" Le Kid de Cincinnatti (65) et L'Affaire Thomas Crown (68) de Norman Jewison. Mais quand il passa derrière la caméra, il eut toujours des difficultés à financer ses projets et accepta souvent des commandes. 


C'était un artiste étonnant en vérité : né dans une famille de mormons, il fugua de l'Utah jusqu'en Californie dans les années 50 où il galéra longtemps avant de trouver un boulot. Rien ne laissait espérer qu'il gagnerait un Oscar pour le montage de Dans la chaleur de la nuit (67), mais par contre il devint un observateur sensible de l'évolution de la société américaine. Avec sa dégaine de hippie, son addiction à l'alcool et aux drogues, son tempérament volcanique, c'était un vrai marginal, allergique au système hollywoodien : ce que traduit précisément La Dernière Corvée

L'histoire est adaptée d'un roman de Darryl Ponicsan par le futur scénariste de Chinatown (75), Robert Towne. Celui-ci a su préserver l'intégrité des dialogues dont le langage cru offusquait les patrons de studios, bénéficiant du soutien de Jack Nicholson pour qui le premier rôle était prévu. Le résultat est encore aujourd'hui d'une étonnante modernité, à la fois drôle et touchant, tout en transgressant les codes de ce qu'on appelait pas encore un road movie.

Ashby y met en scène trois hommes en lutte, comme lui-même, avec leur hiérarchie : Buddusky et Mulhall ne veulent pas de la corvée qu'on leur confie, mais s'y résignent en attendant leur affectation, et en cours de route ils sympathiseront avec leur prisonnier. Meadows apparaît immédiatement comme une victime d'un système absurde : il écope d'une peine écrasante pour un délit dérisoire et qu'il a commis sans intention crapuleuse puisqu'il est kleptomane. Plutôt que de se rebeller agressivement, les trois hommes vont transformer leur mission en escapade. Ce procédé se voit traduit dans la réalisation même : le cinéaste musarde, contourne, bifurque - la critique de l'époque n'appréciera pas cette apparente nonchalance (alors qu'en vérité, la forme est très soignée, le rythme très dosé), quand bien même Ashby était un artiste respecté par ses pairs (en qui il voyait un émule des réalisateurs de "la Nouvelle Vague" française, le modèle des auteurs du New Hollywood des années 70).

Même si le personnage de Buddusky domine le voyage, son exubérance ne transforme pas le récit en une fable loufoque : pour nuancer ce fort-en-gueule, Ashby s'attache à le montrer, lui et ses deux acolytes, dans des situations ordinaires - ils marchent, mangent, boivent, discutent, draguent, s'amusent, cherchent où dormir. La simplicité de l'action permet aussi de suggérer l'incertitude qui planait sur l'Amérique de 1973, avec le bourbier de la guerre du Vietnam - si Meadows va perdre sa jeunesse dans une prison, Buddusky et Mulhall risquent bien de partir combattre après leur mission. Cette menace est omniprésente et cette envie de se distraire une dernière fois traduit aussi l'appréhension des protagonistes de tout perdre bientôt.

The Last Detail est manifestement anti-militariste mais de façon habile, jamais frontale : si ces trois marins nous sont sympathiques, c'est d'abord parce qu'ils sont plus humains que les officiers brutaux et abrutis qui leur donnent des ordres ou les punissent de façon disproportionnée, quand il ne s'agit pas de jeunes administrateurs tatillons jouant au petit chef (scène jubilatoire dans le bureau du responsable de la maison d'arrêt à la fin où Buddusky et Mulhall sont intimidés avant de rabattre le caquet d'un fonctionnaire suspicieux). 

La direction d'acteurs laisse aux comédiens de l'espace (on peut deviner qu'ils improvisent parfois) au diapason de du filmage (avec une mise au point aléatoire, des cadres flottants, des fondus enchaînés), soulignant les ambiances, osant les ellipses. La photographie de Michael Chapman (qui apparaît aussi dans le petit rôle du chauffeur de taxi qui dépose les trois marins au bordel) possède un joli grain et saisit bien la saison hivernale qui oblige aussi les héros à bouger sans cesse pour ne pas avoir trop froid.  

La mélancolie gagne en importance au fur et à mesure que Buddusky, Mulhall et Meadows approchent de Portsmouth et sa prison : en chemin, le premier avouera son mépris pour les règles aliénantes de l'armée, le deuxième gagnera en souplesse et en compassion pour le troisième, reconnaissant envers ses convoyeurs (il refuse ainsi de s'échapper parce qu'il sait que ceux-ci seraient sanctionnés ensuite - sa seule tentative pour fuir est sans conviction et a lieu à la fin).  

Ashby a pu s'appuyer pour cette histoire sur trois comédiens extraordinaires. Rmarqué dans un petit rôle dans La Dernière séance (de Peter Bogdanovich, 1971), Randy Quaid est formidable dans la peau de Meadows, ce grand gamin qui va perdre à la fois ses illusions, sa virginité, et sa jeunesse. Mulhall est incarné par l'acteur noir Otis Young, issu de la télévision, et dont le jeu sobre mais la présence imposante figurent la sagesse dans ce trio. Enfin, il y a Jack Nicholson, tout bonnement grandiose, véritable grenade dégoupillée, renard roublard, à la fois attendri et dépité, hédoniste et insolent, mais qui ne fait jamais son numéro aux dépens de ses partenaires (son regard impuissant, désolé, quand les gardes emmènent Meadows en cellule à la fin est inoubliable) : le rôle lui vaudra le Prix d'interprétation à Cannes en 74, le BAFTA et le Golden Globe (mais pas l'Oscar ! L'Académie lui préférera Art Carney dans Harry et Tonto...). 

Cette ballade tristement drôle (et drôlement triste) mérite vraiment d'être (re)découverte (ressorti en salles il y a deux ans, le film était passé inaperçu). 

samedi 27 avril 2019

DIAL H FOR HERO #2, de Sam Humphries et Joe Quinones


Dial H for Hero a fait un retour jubilatoire le mois dernier dans cette version pleine d'humour et d'action écrite par Sam Humphries et dessinée par Joe Quinones. Ce deuxième épisode est aussi réjouissant, aussi dense, et exploite pleinement le concept génial de la série. Embarquez sans hésiter dans ce joyeux délire !


Le Thunderbolt Club est partout et ses membres sont prêts à tout pour mettre la main sur le téléphone magique que possède désormais Miguel Montez, en cavale avec Summer. Barnaby est à leurs trousses dans un dinner où ils se restaurent.


Refusant de jouer plus longtemps les héros et le larbin de l'Opérateur, Miguel se débarrasse de l'appareil en le jetant du haut d'un pont dans la rivière. Barnaby plonge pour le récupérer tandis que Summer s'éloigne pour laisser bouder son complice.


Alors qu'elle patiente adossée au food-truck de l'oncle de Miguel, qu'elle a volé, Summer est menacée par l'agent Grande de la police qui convoîte aussi le téléphone magique. Or l'appareil est entre les mains de Barnaby...


... Qui s'en est servi pour se transfomer en Jobu the Zondey King, un invraisemblable âne dôté de pouvoirs. Miguel est témoin de la scène et comprend qu'il doit corriger cela. Il essaie de récupérer le téléphone attaché à la créature...


... Et il est transformé à son tour en Iron Deadhead, un robot géant, qui engage le combat. Victorieux, non sans difficultés, et rejoint par Summer qui a faussé compagnie à l'agent Grande, Miguel décide de confier le téléphone à Superman. Mais l'appareil a été subtilisé par Grande, qui part à Star City...

Décidément, Sam Humphries fait feu de tout bois avec ce titre. Est-ce parce qu'il n'en dispose que pour six numéros (même si j'espère qu'un succès en termes de vente convaincra DC de poursuivre l'aventure, même après un break, avec la même équipe bien sûr) ? En tout cas, il ne s'interdit rien, et c'est jubilatoire.

Mais, derrière la blague, Humphries interroge quand même le lecteur sur la notion d'héroïsme via le personnage de Miguel : celui-ci a hérité du téléphone magique sans rien avoir demandé et si sa première expérience de super-héros l'a amusé, il a bien conscience maintenant du fardeau que cela représente.

En effet, l'Opérateur ne cesse de le solliciter (et il refuse donc de décrocher le combiné), le club Thunderbolt est à ses trousses, et il est en cavale avec Summer (qui a volé le food-truck de son oncle). L'ado prend une mesure radicale en se débarrassant du "H-Dial".

Evidemment, cela provoque une réaction en chaîne et l'épisode devient fou avec l'apparition de l'irrésistible Jobu the Zonkey King, dont l'apparence est une parodie hilarante à des personnages de mangas. Puis le délire monte d'un cran supplémentaire quand ce super-âne trouve sur son chemin Iron Deadhead, autre dérivé des géants de fer japonais.

Joe Quinones est dans une forme olympique et s'amuse autant que nous. Mais là encore, il faut surtout saluer sa performance esthétique car l'artiste imite à la perfection le style des mangas lors des "thrilling origins" de ces deux personnages tandis que Humphries ose écourter celle du second parce que le combat n'attend pas.

Dans ce feu d'artifices farcesque, le personnage de Summer souffre un peu, d'abord parce qu'elle est indirectement impliquée dans les transformations, plus spectatrice que complice, et ensuite parce que son rôle se limite à asticoter Miguel quand il avoue piteusement n'être jamais sorti de son patelin (même si c'est là qu'il a rencontré Superman).

La série, en apparence, déconnecté du reste des titres estampillés "Wonder Comics", ne l'est pas tant que ça car le lecteur attentif remarquera que l'Opérateur demande à Miguel de gagner le Gemworld - où se situe l'action actuelle de Young Justice et qui est aussi mentionné dans Naomi (c'est là que Dee, le géant thanagarien, a passé un portail pour atterrir sur Terre). Tout cela prépare-t-il une réunion des personnages du label, un crossover ? A suivre.

En tout cas, Dial H for Hero confirme son statut de série la plus divertissante du lot.

BAD LUCK CHUCK #2, de Lela Gwenn et Matthew Dow Smith


Après un premier numéro très accrocheur, Bad Luck Chuck descend d'un cran pour son deuxième épisode. Lela Gwenn et Matthew Dow Smith choisissent ne pas enchaîner directement avec ce qu'ils ont entrepris au profit d'un portrait plus approfondi de leur héroïne. C'est déconcertant, mais le capital sympathie de la série reste intact.


Fayola, la jeune fille sauvée d'une secte (et de sa mère), par Chuck Manchester, interroge cette dernière sur son talent particulier. Mais l'intéressée le considère davantage comme une malédiction et, pour le prouver, évoque quelques affaires.


Cependant, les ennemis de Chuck préparent leur revanche. Alors Sterling, le détective de la compagnie d'assurances, épluche à nouveau les dossiers auxquels elle est mêlés, il reçoit la visite de Mme Afolayan, la mère de Fayola, venue lui proposer une alliance.


Les récits que lui fait Chuck de ses expériences amusent Fayola qui est certaine que tant qu'elle reste auprès d'elle, elle ne craint rien de sa mère. En revanche, Chuck lui ordonne de rien toucher à ses affaires pour que sa malchance ne se tourne contre elles.


Fayola paie le restaurant à Chuck qui a remarqué que la jeune fille rechignait à parler de l'héritage faramineux de son oncle. Et pour cause : elle ne le touchera qu'à sa majorité. Autrement dit : Chuck ne sera pas payée avant cela.


D'abord furieuse de s'être faite rouler, Chuck trouve une issue pour payer son loyer en retard en acceptant la mission d'un contact : elle doit faire sauter un entrepôt. La routine...

Le premier épisode de Bad Luck Chuck était un concentré de malice, enrobé dans un polar et le portrait d'une anti-héroïne atypique, dont le talent était de porter la poisse d'une manière redoutable. Elle venait de sauver des griffes d'une secte une jeune fille, bientôt héritière d'une fortune. Mais l'opération attirait sur elles les foudres du gourou, Papa Freedom ; de la mère , Mme Afolayan : et d'un détective des assurances, Sterling. Cette fois, les ennuis étaient sur le point de rattraper Charlene "Chuck" Manchester...

On pouvait raisonnablement penser que ce nouveau numéro allait enchaîner directement sur ces événements. Mais la scénariste Lela Gwenn a pris un contrepied risqué, qui, il faut l'admettre, désarçonnne et déçoit un peu.

La majeure partie de l'épisode revient sur différents coups d'éclats de Chuck, dont on peut véritablement mesurer le pouvoir de nuisance sur les cibles qu'on lui désigne. C'est assez drôle mais aussi teinté de mélancolie car elle doit vivre avec ça comme une malédiction quand les autres y voient un cadeau.

En même temps, Gwenn observe que pour se préserver de son propre talent, Chuck est superstitieuse, comme lorsqu'elle défend à Fayola, sa protégée, de composer le chiffre treize dans son appartement, ou, plus tard, alors qu'elle s'apprête à faire exploser un entrepôt, elle dépose un fer à cheval et se jette du sel par-dessus l'épaule avant de commettre son méfait. C'est bien vu.

Mais du coup, tout cela nous éloigne sensiblement de ce qui avait été entrepris dans le précédent numéro. Tout juste aura-t-on droit à une rencontre entre Mme Afolayan, la mère de Fayola (qui veut s'approprier le magot de son héritage), et le détective des assurances, Sterling, en vue d'une alliance pour neutraliser Chuck. Une scène plus énigmatique se passe dans l'enceinte d'un commissariat où des policiers sont exhortés par leur supérieur à se préparer à une guerre contre un puissant adversaire, mais sans qu'on sache de qui il s'agit (même s'il est probable que ce soit Chuck bien sûr). Papa Freedom est absent de l'épisode mais sera de retour pour le #3.

Matthew Dow Smith est très à l'aise la plupart du temps, et avec la coloriste Kelly Fitzpatrick, il a recours à une astuce simple pour figurer les flash-backs relatifs aux expériences de Chuck puisqu'ils sont soit en noir et blanc (avec quelques taches de couleurs), soit dans des tons délavés.

L'essentiel du numéro reposant sur des dialogues entre Chuck et Fayola, Sterling et Mme Afolayan, le découpage est très classique. La seule scène présentant un réel effort de découpage est justement celle dans le commissariat, avec un effet de travelling arrière lui aussi très simple mais efficace. Pour le reste, on a principalement affaire à des "gaufriers" ou des alternances entre strips de deux cases et cases occupant toute la largeur de la bande.. Parfois, rarement, Dow Smith s'accorde un plan général.

On a le sentiment que les auteurs ont voulu marquer un temps après un démarrage canon et avant la reprise des hostilités. Vu le nombre de personnes qui souhaitent en découdre avec Chuck, la suite devrait être autrement plus mouvementée.  

vendredi 26 avril 2019

PUNK MAMBO #1, de Cullen Bunn et Adam Gorham


Valiant Comics, c'est l'éditeur autout duquel je tournais depuis un moment sans trouver de point d'entrée. Pourtant, il était présenté comme une alternative efficace aux "Big Two", un peu comme Dark Horse et Image. Punk Mambo fait partie d'une nouvelle collection de séries qui vont remplacer les "classiques" maison, tout en étant le spin-off d'un titre pré-existant. Aux manettes, Cullen Bunn et Adam Gorham, transfuges de Marvel, en quête de liberté.


Londonienne, Punk Mambo s'est exilée en Louisiane où elle loue ses services de chasseuse de démons. Elle reçoit comme première mission de retrouver une bande de jeunes punks enlevés dans le bayou.


C'est ainsi qu'elle combat des cannibales dégénérés à Grunch Road avec l'aide d'un esprit, Ayezan (Aye pour faire plus court) qu'elle invoque à volonté. Elle torture un des monstres pour localiser l'endroit où sont retenus les otages.


Mais elle tombe sur un os en faisant face à un démon plus puissant que Aye. Elle déploie de nouvelles ressources pour en venir à bout et rend à leur liberté les jeunes punks.


Errant ensuite dans les rues de la Nouvelle-Orléans, Mambo échoue à rappeler Aye. La reine du vaudou, Marie Laveau, surgit et lui offre son aide en lui expliquant que l'esprit est retenu par une force trop puissante pour la jeune femme.


Direction : Haïti, la terre du vaudou. Via un portail dimensionnel, Marie guide Mambo jusqu'à un marché où une commerçante, Maman Brigitte, lui indique une église. A l'intérieur, tous les fidèles sont possédés par le Loa et promettent leur aide en échange des services de leur visiteuse...

Punk Mambo est d'abord apparue dans la série Shadowman (qui va certainement faire l'objet d'un relaunch puisqu'elle n'est plus publiée actuellement), déjà située dans le domaine du mysticisme. Comme one le voit, c'est une jeune femme au look correspondant à son nom, avec sa crête iroquoise rose, ses tatouages, piercings, et sa tenue de rockeuse punk.

Les familiers de l'univers mutant de Marvel ou de West Coast Avengers récemment lui trouveront un indéniable air de ressemblance avec Quentin Quire/Kid Omega, et pas seulement physiquement car Punk Mambo a le même sale caractère effrontée et revêche. Bref, on est sûr de ne pas s'ennuyer avec elle.

A l'image de cette héroïne, Punk Mambo, la série, a un aspect borderline, rebelle, qui a dû si bien inspirer le scénariste Cullen Bunn. L'ancien auteur du western fantastique The Sixth Gun (chez Oni Press en vo, Urban Comics en vf) n'a jamais convaincu chez Marvel ou DC, où son imagination prolifique s'accomodait mal des contraintes éditoriales et de l'obligation de livrer des histoires pour un public ciblé. 

En revanche, quand il se défoulait chez Dark Horse, dans des titres horrifiques (comme le terrifiant Harrow County), Bunn retrouvait des couleurs et révélait sa vraie nature, celle d'un conteur amateur de série B, plus à l'aise qu'avec des super-héros.

Recruté (comme d'autres scénaristes en difficulté, comme Tim Seeley qui va relancer Bloodshot) par Valiant, Bunn ne met pas longtemps à prouver son savoir-faire. Ce premier épisode ne s'embarrasse guère d'exposition, l'héroïne est introduite sans rappel à son passé, et avec elle nous plongeons directement dans l'action. C'est saignant, drôle, mouvementé : jubilatoire. Un modèle d'efficacité.

L'enjeu est posé très vite : Mambo a perdu contact avec un esprit qui l'aide et la reine du vaudou lui offre son aide. Mambo accepte à contrecoeur. La voilà à Haïti, en présence de fidèles d'une église, disposés à lui porter secours si elle leur rend la pareille. C'est ce qui est le plus jouissif ici : cette façon d'embarquer dans l'aventure sans perdre de temps, sans avoir le temps de se poser de questions. On marche ou pas, mais si y va, alors ça swingue méchamment.

Et le dessin d'Adam Gorham (non retenu par Marvel après la mini-série New Mutants : Dead Souls) sert tout à fait cette ambition, simple mais efficace. Son style est réaliste mais surtout très tonique. Le découpage est nerveux, raccord avec l'action dominante.

Pas de round d'échauffement pour cet artiste très doué, très complet, qui a déjà bien en mains son personnage, ses décors, cet univers. Les monstres à l'oeuvre sont impressionnants, mais jamais le malaise ne l'emporte car, à l'instar de Mambo et de son allure flamboyante, tout est d'abord fait pour distraire.

Comme souvent, quand Bunn a un dessinateur en phase avec ce qu'il raconte, le résultat est irrésistible, très accrocheur. On en veut encore et donc on attend déjà impatiemment la suite du périple haïtien de Punk Mambo.

JUSTICE LEAGUE DARK #10, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


Justice League Dark serait-elle en train de se reveiller (enfin !) au bout de son dixième épisode ? C'est ce que laisse espérer ce numéro, très dense, mais où James Tynion IV répond à beaucoup d'interrogations et anime certains personnages. Sublimée par Alvaro Martinez en état de grâce, la série atteint une envergure inédite.


Khalid Nassour raconte comment il a surpris une conversation entre Nabu et les Seigneurs de l'Ordre dans le royaume mystique de ces derniers. Le Dr. Fate y exposait son plan pour purger la Terre de la magie en piégeant du même coup l'Autre Genre.


Menacé actuellement, le Royaume de Myrra doit choisir entre un combat désespéré contre les Seigneurs de l'Ordre et la retraite sur Terre, malgré la menace de l'Autre Genre. Bobo veut lutter, mais Blue Devil ordonne l'évacutation.


Cependant, sur l'île d'Aerea, Circé explique à Wonder Woman et surtout à Zatanna que son père, Giovanni Zatara, avait prévu ces événements avant sa mort. Pour le suppléer, il avait formé John Constantine et scellé un accord avec Mordru, le Seigneur du Chaos.


Bouleversée, Zatanna se téléporte avec Wonder Woman là où Circé lui indique la position de Mordru. La magicienne reçoit alors la visite de l'Homme Inversé, commandant de l'Autre Genre, à qui elle a promis une guerre à leur avantage.
  

A Myrra, l'évacuation va débuter. Mais soudain la réalité de cette dimension cesse de s'effacer et Soeur Symétrie apparaît et soumet la propostion de Nabu : s'ils renoncent à la magie, ils vivront encore comme de simples humains mais protégés de l'Autre Genre. Ou bien ils mourront tout de suite.

James Tynion IV ne m'a guère convaincu depuis le début de son run sur Justice League Dark, comme s'il maîtrisait mal son sujet alors qu'il avait déclaré qu'il s'agissait du projet de ses rêves. Avec un casting mal exploité, une intrigue alambiquée, des enjeux mal exposés, on était loin de la construction experte de ses arcs de Detective Comics.

J'avais donc décidé le mois dernier d'aller jusqu'au terme de cette histoire pour ne rien regretter mais surtout pour vérifier si le scénariste en tirerait quelque chose de valable ou sombrerait complètement. Autant dire que c'était quitte ou double, ma patience étant sérieusement entamée.

Et puis voilà qu'une sorte de miracle se produit avec cet épisode, très dense, encore imparfait (Man-Bat reste toujours le caillou dans ce jardin, inutile), mais qui présente l'avantage de remettre quasiment tout à plat, comme si l'auteur avait soudain prise conscience qu'il ne suffisait plus d'avancer, sûr de son fait, mais de convaincre enfin.

Donc, le numéro est découpé en blocs distincts mais bien pratiques. On a le sentiment étonnant que la série redémarre presque, comme si nous avions enfin le plan de l'intrigue sous les yeux. C'est encore très touffu, mais plus compréhensible et plus dynamique, avec chacune des parties concernées détaillées. Et vraiment, ça fait un bien fou.

Soit donc : Dr. Fate/Nabu convainc les Seigneurs de l'Ordre (ses semblables) de détruire la magie car il estime que son usage a été dévoyé (spécialement par les terriens) mais aussi parce que son emploi est devenu dangereux depuis la brêche ouverte dans le Mur de la Source (qui sépare le Multivers du Dark Multivers - ce qui renvoie à la saga Justice League : No Justice). Ce plan aboutira à la disparition des Seigneurs de l'Ordre, mais Nabu/Fate considère que c'est un sacrifice pour le bien commun.

Pour terrasser l'Autre Genre, la menace du Dark Multiverse, conduite par l'Homme Inversé, Nabu/Fate veut le laisser avec ses congénères consommer la magie terrestre puis en profiter pour sceller le passage avec le Multivers, ce qui condamnera donc toute la magie noire ou "blanche". Les Seigneurs de l'Ordre ont déjà "nettoyé" plusieurs dimensions magiques, ils s'apprêtent à raser le royaume de Myrra où se sont réfugiés les sorciers et mages terrestres, dont Bobo et Swamp Thing de la JLD.

Pendant ce temps, Wonder Woman et Zatanna apprennent par Circé que Giovanni Zatara, le père de Zatann, avait tout prévu depuis longtemps, formant son remplaçant (John Constantine) et s'attachant l'aide de Mordru, le Seigneur du Chaos, seul capable de vaincre Nabu. Mais Circé, marquée par la déesse Hécate, joue sur deux tableaux car elle a conclu une alliance avec l'Homme Inversé : elle compte sur les défaites de Mordru et Fate pour devenir la seule gardienne de la magie de tout le Multivers.

C'est donc tout cela que Tynion IV a, selon moi, totalement échoué à raconter proprement, clairement, depuis neuf numéros, et que, de manière imprévisible, il arrive à résumer ce mois-ci, relançant complètement mon intérêt pour la série. Si seulement il avait commencé par là, au lieu d'empiler (à la façon de son mentor Scott Snyder) les mystères, les rebondissements fumeux, un crossover foireux (entre les séries Wonder Woman et Justice League Dark)... Invraisemblable méthode de la part d'un auteur qui avait démontré une science architecturale impressionnante dans Detective Comics, sur la base d'un arc/un personnage en avant, pour aboutir à un climax tragique et l'auto-destruction logique de l'équipe de "Gotham knights".

Au moins maintenant, on sait où on en est, qui est qui, pourquoi fait-il ça... Il ne reste plus à Tynion IV qu'à ne pas rater l'entrée en scène de Mordru (surtout que l'option représentée par ce personnage est délicate : s'en remettre au Seigneur du Chaos pour sauver la magie, c'est comme demander à un fou de rétablir l'ordre), puis à animer la JLD comme une vraie équipe (et non deux groupes), sans omettre de réhabiliter Fate (mais de ce côté-là, il y a aussi de l'espoir puisqu'on voit Kent Nelson se rebeller contre Nabu).

Tynion IV pourra en tout cas s'appuyer sur le talent de son dessinateur pour le soutenir car Alvaro Martinez sort le grand jeu dans cet épisode, qui est sans doute également son meilleur (même s'il a, lui, rarement, déçu). Fort d'idées de découpage insensées, l'espagnol transcende l'exercice pour éblouir le lecteur sans toutefois le noyer sous des effets tape-à-l'oeil.

On est saisi par la précision de ses compositions, affolé par le soin apporté aux détails (le casque de Fate qui fond à mesure que Nabu déchaîne son pouvoir, la manière dont Circé manipule le lasso de WW, le sort - car oui, enfin là aussi, Zatanna lance un sort - de Zatanna contre un démon de l'Autre Genre), et la qualité de l'encrage et de la colorisation ajoute à l'enchantement. A ce niveau, JLD devient une des plus belles séries DC actuelles. 

On sort de là repu, rincé aussi, mais redirigé, confiant : exemple rare d'un moment où série et lecteur sont à nouveau alignés.

jeudi 25 avril 2019

SKYWARD #12, de Joe Henderson et Lee Garbett


Ce mois-ci, Skyward s'offre un grand flash-back pour raconter l'histoire de Lilly Fowler, la mère de l'héroïne. C'est une audace que peut se payer une série condamnée et Joe Henderson se la permet tout en nous disant, à mots couverts, tout ce qu'il avait certainement prévu de développer en cas de succès. Lee Garbett délivre des planches encore une fois merveilleuses.


Il y a vingt ans. Nate Fowler fait promettre à sa femme, enceinte, Lilly de partir de se réfugier dans la ville souterraine de Crystal Springs qu'il a convaincu le gouvernement de bâtir en prévision du "G-Day".
  

L'événément a lieu plus tôt que prévu et alors que Nate croit voir Lilly périr en échappant à la gravité, elle survit miraculeusement. Accompagnée d'un chien, elle gagne l'abri où l'accueille Randy.


Les années passent. Randy et Lilly resten longtemps seuls dans leur souterrain et cette proximité noue leur relation amoureuse. Randy devient le maire de Crystal Springs et doit négocier avec le consei municipal de l'arrivée de nouveaux réfugiés.


Maîtresse d'école, Lilly  intercepte une radio trouvée par ses élèves à qui elle explique, comme elle le peut, pourquoi ils doivent rester sous terre. Puis un bulletin annonce l'attaque terroriste de Chicago, nommant Willa comme son auteur.


Bravant l'interdiction de quitter Crystal Springs, Lilly part à la recherche de Willa et la ramène avec Roger Barrow. Celui-ci, soulagé que son business ne soit pas menacé par la "solution" de Nate, veu repartir. Mais Randy l'en empêche en condamnant les issues. Willa est donc également coincée...

La fin de Skyward approchant chaque mois davantge (elle aura lieu en Juillet avec le #15), on mesure de plus en plus quels aspects du récit Joe Henderson a sacrifié pour conclure de manière malgré tout satisfaisante.

Si l'idée des retrouvailles entre Willa et sa mère s'est imposée à l'auteur (comme il l'expliquait dans les bonus du précédent numéro), l'explication sur les années passées de cette dernière amène forcément des regrets chez les fans de la série car on devine sans mal tout ce que Henderson a dû compresser dans son récit.

En une vingtaine de pages, pourtant, le scénariste réussit fort bien à résumer une vingtaine d'années, sans décevoir. Comment Lilly Fowler a survécu, acrobatiquement, lors du "G-Day", comment elle a gagné la cité souterraine (la fameuse "solution" à l'absence de gravité trouvée par Nate), sa liaison avec Randy, le peuplement du refuge, la découverte que Willa était en vie, sa décision de lui porter secours... Tout cela est formidablement raconté.

Mais il est certain que si Skyward avait performé au niveau de ses ventes, Henderson aurait certainement consacré plus de temps à cette partie de l'intrigue. Il y avait là un matériau abondant, à l'image du concept de la série entière. Le portrait de Lilly, son évolution, et par ricochet celui de Crystal Springs, cette ville sous terre, avec ses règles arbitraires, strictes, ses illusions pathétiques, son propre sort - qui fait écho à la politique de Trump, et son refus d'accueillir des réfugiés et migrants - , sont autant d'éléments susceptibles d'alimenter des épisodes, voire des arcs entiers.

D'ailleurs, dans les deux dernières pages, la contrainte de ramasser les évènements impacte le découpage de Lee Garbett qui se voit obliger de mettre en scène un moment particulièrement important de façon maladroite. Lorsque Randy condamne l'issue de la ville, et donc empêche Barrow et Willa de ressortir (ce qui est surtout dramatique pour cette dernière, alors qu'elle devait rejoindre Edison pour l'aider contre le raid des fermiers), on a droit à une petite case en fin de page et une explosion dérisoire alors que le moment nécessitait plus de place, d'espace.

Ce bémol mis à part, le dessinateur accomplit un sans-faute. Parce que le "G-Day" a été montré de manière spectaculaire dès le premier épisode, il évite de répéter ce qu'il a déjà représenté. Tout juste s'offre-t-il une double page du point de vue de Lilly.

Ensuite Garbett enchaîne des planches rigoureuses et intimistes, avec Lilly et le chien Stranger (dont le modèle est le propre chien de Joe Henderson, comme il l'explique dans les bonus), puis avec Randy. Les années défilent et avec une économie de moyens qui force le respect, on admet leur rapprochement, leur amour, on compatit avec eux quand l'animal meurt de vieillesse. Le trait vif et expressif de Garbett est impeccable, même dans un épisode moins aérien.

Une belle leçon de narration écrite et graphique. Quel dommage que cela s'arrête bientôt, si prématurèment.    

ACTION COMICS #1010, de Brian Michael Bendis et Steve Epting


Brian Michael Bendis, neuf mois après son arrivée sur le titre, continue à mettre en place les fondations de son Event Leviathan (début en Juin) dans les pages d'Action Comics. Bien aidé par Steve Epting, jamais meilleur que dans ce type de récit, le scénariste orchestre magistralement une conspiration spectaculaire dans laquelle Superman change subtilement de registre.


Sous les ruine du siège du D.E.O., Bones, le directeur de l'agence détruite, reçoit la visite de Kate Spencer, avocate, venue préparer sa défense. Les médias, en effet, s'interrogent sur la possibilité que Leviathan soit une des officines gouvernementales détournée de sa mission.
  

Mais Bones devine le piège et sait qu'il ne parle pas à Kate Spencer mais Talia Al Ghul. Elle quitte l'abri souterrain en avertissant qu'on a voulu empoisonner le directeur et s'éclipse sans avoir identifiée.


A la Forteresse de Solitude, Amanda Waller compose avec la présence de Jimmy Olsen. Il la soupçonne d'être à la tête de Leviathan et d'avoir piégé Superman pour infiltrer son repaire.


Londres. Sous les fausses identités de Chaz et Andi, agents de l'organisation Spyral, Superman et Lois Lane rencontrent le Tigre de Kandahar, responsable de cette officine chargée de surveiller les méta-humains, et très méfiant.


La conversation est abrégée par l'arrivée de la créature responsable des destructions des agences. Superman agit en l'éloignant et survit à son implosion. Mais quand il redescend dans la rue, Lois a disparu avec le Tigre.

A mesure que cet arc narratif progresse, on observe deux choses : la première est qu'il se distingue du premier (The inivisble mafia) par le traitement de l'intrigue et des scènes d'action plus clairsemées ; et ensuite que chaque chapitre (on en est au quatrième) révèle une progression dans la nébuleuse des agences gouvernementales cibles du Leviathan.

Bendis a visiblement potassé son sujet puisque le DCU est bien garni en officines d'espionnage divers. Ce mois-ci, on aborde Spyral, popularisée lors de la série Grayson (par Tom King, Tim Seeley et Mikel Janin, à partir de 2011), et dont la mission est justement de surveiller les super-héros. Cette agence a connu bien des péripéties internes (son chef était un traître, puis Helena Bertinelli/Huntress en a pris la tête, avant de laisser la direction au Tigre de Kandahar), mais elle n'a pas encore été attaquée. Et si Spyral était la couverture du Leviathan (comme l'avance Lois Lane) ?

Avant cela, le scénariste montre une nouvelle manoeuvre de Talia Al Ghul, principale suspecte dans ces affaires de terrorisme, puisqu'elle a été la patronne d'une organisation du nom de Leviathan (exploitée par Grant Morrison, notamment dans sa série Batman, inc.). Visiblement, elle cherche des alliés pour se dédouaner mais aussi arrêter les attentats - on l'a donc spolié. Mais en bonne tueuse, elle n'hésite pas à se débarrasser de quiconque refuse sa main tendue ou la menace à son tour.

Et si c'était la machiavélique Amanda Waller qui manigançait tout depuis le début ? C'est que pense Jimmy Olsen en la photographiant dans la Forteresse de Solitude où Superman les a mis à l'abri - un endroit parfait pour pièger l'homme d'acier.

Bendis sème habilement le doute et ainsi teinte l'aventure de mystère, la baigne dans les barbouzeries des espions : une nouveauté pour Superman, héros spectaculaire (comme la série à son nom, écrite par le même Bendis, le prouve) qu'on n'attend pas dans ce genre d'histoire. Mais précisèment, c'est ce qui rend la lecture jubilatoire : la bienveillance naturelle du kryptonien est éprouvée au contact de ces manoeuvres de coulisses.

Steve Epting a désormais la série bien en main - au point qu'on regrette déjà de le voir partir à la fin de cet arc. Familier de ces ambiances entre chien et loup (depuis ses collaborations fructueuses avec Ed Brubaker, qu'on aurait bien vu élaborer une telle intrigue), il produit des planches superbes.

Avec un artiste de ce niveau, un dialogue révèle toute sa tension, même si les protagonistes ne se lèvent pas de leur chaise, ou que l'échange se déroule dans un magasin qui sert de façade à une agence d'espionnage. 

Les confrontations entre Bones et Talia (déguisée en Kate Spencer - ce qui annonce le retour de Manhunter, version Marc Andreyko) ; Waller et Olsen ; Superman, Lois et le Tigre deviennent des moments intenses, plus palpitants que l'intervention finale de l'homme d'acier contre le destructeur.

En route pour une saga qui s'annonce captivante, ces épisodes d'Action Comics sont un régal.
  
La variant cover de Francis Manapul.

mercredi 24 avril 2019

HEROES IN CRISIS #8, de Tom King, Mitch Gerads et Travis Moore


Tom King l'avait promis : ce huitième et avant-dernier numéro de Heroes in Crisis révélerait l'identité du meurtrier du Sanctuaire, tandis que le dernier épisode expliquerait son mobile et la résolution de l'intrigue. C'est donc l'heure de la première révélation et, avec Mitch Gerads et Travis Moore, l'auteur interroge à nouveau la réalité alors même que le coupable faisait partie des suspects les plus probables.


Wally West enregistre sa confession vidéo à l'attention de Lois Lane. Il avoue avoir commis le massacre au Sanctuaire, où il était admis depuis trois semaines. Rongé par la solitude, écrasé par le symbole de l'espoir qu'il incarnait, il revient sur son acte.


Une question taraudait le jeune homme. Pourquoi, dans cette structure, ne parvenait-il pas à guérir ? Pourquoi ces simulations thérapeutiques ne le soulageaient pas ? Et si tout n'était que façade, illusion ? Il fallait qu'il sache. Il a agi en conséquence.
  

Mais sans être prêt à ce qu'il allait apprendre en piratant l'ordinateur du Sanctuaire, en accédant aux témoignages des autres patients. Recevoir toute la souffrance des autres a achevé de le briser car, non, il n'était pas seul dans son cas.


Sortant du bâtiment en courant, il en déclencha l'alarme. Les patients s'approchaient de lui pour le réconforter. Ironiquement, lui qui souffrait de sa solitude ne souhaitait plus qu'être seul alors. L'énergie de la Force Véloce échappa à son contrôle et tua les résidents.


Il maquilla alors la scène de crime pour tromper Batman et Flash en détournant la technologie temporelle de Booster Gold afin que lui et Harley Quinn croient que l'autre était le meurtrier. Ainsi gagna-t-il cinq jours : le temps de réparer le mal fait. Et de se confesser.

Wally West était un des suspects dans l'affaire du massacre du Sanctuaire, au moins depuis que Booster Gold en compagnie de Blue Beetle avait remarqué, sur les vidéos de sécurité, que Flash II y apparaissait plus vieux de cinq jours que les autres victimes.

Tom King avait annoncé, à l'avance aussi, que le nom du coupable serait dévoilé pour le pénultième épisode de sa saga, juste avant le dénouement de l'intrigue. Il s'agit donc ici d'un homicide multiple involontaire. Mais surtout d'un cas qui évoque celui de celui de Scott Free dans la maxi-série Mister Miracle du même auteur.

Scott Free tentait de se suicider, soi-disant pour savoir s'il pouvait échapper même à la mort, en vérité parce qu'il souffrit d'une dépression profonde (à cause de la mort de son ami Oberon, des séquelles d'une enfance passée sur Apokolips, peut-être aussi de l'influence de l'équation d'antio-vie détenue par Darkseid). A mesure qu'il devait composer avec la guerre entre son monde, New Genesis, et celui de son père adoptif tyrannique, Apokolips donc, son existence était chamboulée par la naissance de son fils, Jacob, jusqu'à la démonstration par Metron de l'existence d'une réalité parallèle peuplée d'autres surhumains. Il préfera finalement y renoncer pour élever son enfant et chasser ses démons tout en assumant sa double vie de mari-père et de Haut-Père.

Wally West est entré au Sanctuaire pour une dépression aussi. Il souffrait à la fois de la perte de sa famille (sa femme Linda, leurs deux enfants) et du symbole de l'espoir qu'il incarnait pour la communauté super-héroïque (une situation tristement ironique). La thérapie consistait en des simulations en réalité virtuelle et des confessions pour localiser la source du malaise et le dépasser. Si parler a permis au speedster de se soulager en mettant des mots sur sa détresse, le reste n'a pas suffi. 

En fait, Flash II restait perplexe sur le cadre du Sanctuaire et de ses procédures. On y garantissait l'anonymat du patient et les enregistrements des sessions étaient détruits au terme du protocole. Mais pourquoi, malgré tout, ce sentiment de solitude écrasant persistait ? Et si tout cela n'était qu'une gigantesque illusion ? Un dérivé de l'équation d'anti-vie comme pour Scott Free, semant le doute, incitant à croire qu'on allait mieux sans que cela soit effectif.

Tom King est passionné par la réalité, le rapport à la réalité, non seulement des personnages avec leur environnement, mais aussi dans la perception qu'ont les lecteurs de la situation vécue par les personnages. Dans Mister Miracle, il était impossible de démêler le vrai du faux. Dans Batman, le dark knight est éprouvé mentalement par un adversaire qui, méticuleusement, pulvérise tout possibilité pour lui d'être heureux. Ici, Wally West est ce héros confronté à une solitude si extrême que, lorsqu'il veut connaître la vérité sur le Sanctuaire, décide de savoir s'il y a vraiment d'autres patients, si oui est-ce que cela marche pour eux, et qui au final reçoit en pleine face la détresse de milliers de héros.

Wally West n'est pas/ n'est plus seul et cela le brise. Encore plus cruellement, celui qui était accablé par la solitude ne désire plus alors qu'être vraiment seul pour encaisser ce qu'il a appris. Et parce qu'il a un réflexe (sortir en vitesse du Sanctuaire, déclenchant son alarme), il sent que les autres patients vont le submerger (d'attentions, de questions). Il perd le contrôle de l'énergie source de son pouvoir et les tue sans pouvoir l'empêcher. Rattrapé par la réalité dont il a douté, il doit à présent la maquiller pour tromper les enquêteurs. Il est l'homme le plus rapide du monde, il gagne donc littéralement du temps pour accabler deux suspects parfaits, mettre en scène la scène du crime. Et réaliser quelque chose qui, sans l'innocenter, permettra, espère-t-il, de compenser ce qu'il a commis. Il gagne les cinq jours qu'a détecté Booster Gold avec Blue Beetle pour cela. Et pour se confesser.

On le voit : finalement, ce n'est pas si important de savoir si on a eu raison de soupçonner Wally West du massacre. Ce qui l'est, c'est ce qui a conduit au drame. Et ce qui reste à découvrir : qu'a-t-il fait pour "compenser" son acte, qu'a-t-il fait durant cinq jours, entre le massacre et l'enregistrement de sa confession ? Ce qu'on sait, c'est que c'est Lois Lane qui recevra ses aveux, qui en avisera qui de droit (la trinité - Superman, Batman, Wonder Woman - , Flash). Ce qu'on ignore encore, c'est comment ils réagiront. Et les réactions de Booster Gold (avec Blue Beetle) et Harley Quinn (avec Batgirl). Et les conséquences durables pour la communauté super-héroïque (à commencer par l'avenir du Sanctuaire).

Une nouvelle fois, Clay Mann n'a rien dessiné : on pourra le déplorer (et remarquer que Russell Dauterman a intégralement réalisé les cinq épisodes de War of the Realms, l'event Marvel actuel - mais, avec cette différence de taille, qu'il a eu un an pour le faire).

En revanche, on ne peut guère se plaindre de la manière dont DC a su anticiper l'incapacité de Mann à enchaîner huit épisodes (c'était couru d'avance), en ayant recouru à des suppléants de la classe de Lee Weeks, Jorge Fornes, et donc à nouveau Mitch Gerads (particulièrement à-propos pour cet épisode évoquant Mister Miracle) et Travis Moore (même s'il ne signe que le premier quart de l'épisode).

Gerads, puisque c'est tout de même lui qui s'acquitte du plus gros du numéro, réalise une production éblouissante. Son style se fait plus nerveux et son découpage plus aéré. La mise en couleurs, qu'il assure, participe aussi à la réussite du tout : il a parfaitement intégré et exploité les ressources d'un personnage hyper-rapide et trop fragile pyschologiquement comme Wally West. Grâce à lui, l'explication visuelle de l'énigme devient limpide et poignante.

Si l'on prend en compte que King a déclaré que leur prochaine maxi-série, à lui et Gerads, concernerait un personnage de Heroes in Crisis, alors s'il s'agit de Wally West, cela augure de quelque chose de très alléchant (même si je penche plutôt pour Booster Gold, et ce serait également prometteur).

Le plus fort, en fin de compte, c'est qu'alors que l'essentiel est désormais connu (Wally West coupable), la conclusion, le mois prochain, de cette saga, demeure passionnante à découvrir pour tout ce qu'elle induit. Il ne s'agit pas d'une simple affaire d'homicide, avec un super-vilain, mais d'un cas très épineux, relatif à un personnage très apprécié des fans. Non, ce n'est pas fini. Vraiment pas.
     
La variant cover de Ryan Sook.